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Dossier : 2008-41(GST)I

ENTRE :

LOUISE ST-YVES,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 22 septembre 2008, à Ottawa (Ontario)

 

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Avocate de l'appelante :

Me Chantal Donaldson

Avocate de l'intimée :

Me Martine Bergeron

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise dont l'avis porte le numéro PH2005‑37 et est daté du 19 octobre 2005, pour la période allant du 26 août 2004 au 31 octobre 2004 est rejeté.

 

Signé à Montréal, Québec, ce 3e jour d’octobre 2008.

 

 

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 


 

 

 

 

Référence : 2008 CCI 549

Date : 20081003

Dossier : 2008-41(GST)I

 

ENTRE :

 

LOUISE ST-YVES,

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre

 

[1]              Il s’agit d’un appel d’une cotisation établie par le ministre du Revenu national (ministre) en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d’accise (LTA) par laquelle on réclame de l’appelante un montant de 4 470,47 $, qui correspond au montant de la taxe nette (à laquelle on a ajouté des intérêts et une pénalité) que la société 4253728 Canada Inc. (4253) aurait dû verser le 30 novembre 2004, en vertu du paragraphe 228(2) de la LTA, relativement à des fournitures effectuées au cours de la période allant du 26 août 2004 au 31 octobre 2004 (pièce A-1, onglet R-1).

 

[2]              Ces dispositions législatives se lisent comme suit :

 

228(2) Versement − La personne est tenue de verser au receveur général le montant positif de sa taxe nette pour une période de déclaration dans le délai suivant, sauf les paragraphes (2.1) ou (2.3) s'appliquent à la période de déclaration :


 

a)         si elle est un particulier auquel le sous-alinéa 238(1)a)(ii) s'applique pour la période, au plus tard le 30 avril de l'année suivant la fin de la période;

b)         dans les autres cas, au plus tard le jour où la déclaration visant la période est à produire.

 

323(1) Responsabilité des administrateurs − Les administrateurs d'une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l'exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l'exige l'article 230.1, un montant au titre d'un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d'une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

 

(2) Restrictions − L'administrateur n'encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

 

a)         un certificat précisant la somme pour laquelle la personne morale est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l'article 316 et il y a eu défaut d'exécution totale ou partielle à l'égard de cette somme;

b)         la personne morale a entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution, ou elle a fait l'objet d'une dissolution, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant le premier en date du début des procédures et de la dissolution;

c)         la personne morale a fait une cession, ou une ordonnance de faillite a été rendue contre elle en application de la Loi sur la faillite et l 'insolvabilité, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant la cession ou l'ordonnance.

 

(3) Diligence − L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

(4) Cotisation − Le ministre peut établir une cotisation pour un montant payable par une personne aux termes du présent article. Les articles 296 à 311 s'appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance, dès que le ministre envoie l'avis de cotisation applicable.

 

(5) Prescription − L'établissement d'une telle cotisation pour un montant payable par un administrateur se prescrit par deux ans après qu'il a cessé pour la dernière fois d'être administrateur.

 

(6) Montant recouvrable − Dans le cas du défaut d'exécution visé à l'alinéa (2)a), la somme à recouvrer d'un administrateur est celle qui demeure impayée après l'exécution.

 

(7) Privilège − L'administrateur qui verse une somme, au titre de la responsabilité d'une personne morale, qui est établie lors de procédures de liquidation, de dissolution ou de faillite a droit au privilège auquel Sa Majesté du chef du Canada aurait eu droit si cette somme n'avait pas été versée. En cas d'enregistrement d'un certificat relatif à cette somme, le ministre est autorisé à céder le certificat à l'administrateur jusqu'à concurrence de son versement.

 

(8) Répétition − L'administrateur qui a satisfait à la réclamation peut répéter les parts des administrateurs tenus responsables de la réclamation.

 

[3]              Au cours de la période en litige, l’appelante était un administrateur de la société 4253. Elle invoque le paragraphe 323(3) pour se soustraire à sa responsabilité solidaire, en plaidant qu’elle a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement par la société 4253 de verser la taxe nette, que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances. Plus précisément, l’appelante a argumenté qu’elle a perdu le contrôle sur les comptes recevables de la société, faisant en sorte qu’elle s’est retrouvée dans l’incapacité de s’assurer que la société effectue le versement de la taxe nette.

 

[4]              Le ministre a imposé le montant de la taxe nette telle que déclaré par l’appelante dans le formulaire de déclaration qu’elle a rempli pour la période du 26 août 2004 au 31 octobre 2004, soit la somme de 4 150,14 $ (pièce A-1, onglet R-22) en sus des intérêts de 91,60 $ et d’une pénalité de 228,73 $ (pièce A‑1, onglet R-1). Selon le vérificateur au dossier, monsieur Stéphane Michaud, ce formulaire a été déposé auprès du ministère du Revenu du Québec (MRQ) le 22 mars 2005, alors qu’il aurait dû être déposé le 30 novembre 2004. Aucune somme n'a été versée relativement au montant déclaré dans ce formulaire. Selon monsieur Michaud, il semble que ce formulaire ait été envoyé juste après que le MRQ ait envoyé une demande de cautionnement à l’appelante, lui demandant de payer six mois à l’avance.

 

Faits

 

[5]              La société 4253 a été constituée le 26 août 2004. Au moment de sa constitution, l’appelante et son conjoint, Gilles Desmarais, étaient tous deux actionnaires et administrateurs de cette société, qui exploitait une entreprise de pose de briques, sous le nom Maçonnerie Habitation Desmarais (pièce I-1). Monsieur Desmarais travaillait dans ce domaine depuis plusieurs années, et avait sa propre société depuis 2002, laquelle exploitait tant dans le domaine commercial que résidentiel, sous le nom de Construction Desmarais. Au printemps 2004, monsieur Desmarais a commencé à éprouver des problèmes avec la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec (CSST) et la Commission de la construction du Québec (CCQ). Il semblerait qu’il ne respectait pas certaines normes imposées dans la province de Québec sur les chantiers de construction. Il a reçu des amendes de plusieurs milliers de dollars (près de 100 000 $ si j’ai bien compris) pour plusieurs infractions commises. On lui a enlevé sa licence d’entrepreneur dans le domaine commercial. Il a cessé d’exploiter son entreprise Construction Desmarais au mois d’août 2004. C’est alors que l’appelante et lui ont constitué la nouvelle société 4253 devant exploiter l’entreprise sous le nom de Maçonnerie Habitation Desmarais, pour continuer sous une nouvelle entité, les contrats déjà commencés par l’ancienne entreprise. On peut donner comme exemple le contrat donné par Brigil Construction pour la phase II de la Place Champlain à Gatineau, secteur Hull, d’abord à Construction Desmarais et repris en charge par Maçonnerie Habitation Desmarais le 30 août 2004, et pour lequel contrat, Brigil Construction a été obligée de payer la somme de 8 937 $ due par les deux sociétés de Desmarais à la CSST, de même que la somme de 5 950 $ due à la CCQ (pièce A‑1, onglets R‑4, R‑52, R‑53, R-54 et R‑55).

 

[6]              L’appelante a expliqué qu’elle travaillait au niveau de l’administration dans le milieu hospitalier, depuis une quinzaine d’années. Elle a vu ce nouveau projet comme un défi. Elle connaissait les exigences reliées au paiement de la taxe sur les produits et services (TPS) et de la taxe de vente du Québec (TVQ) et se sentait à l’aise pour remplir les formulaires requis. Elle savait que son conjoint avait eu des problèmes avec la CCQ et la CSST et qu'en conséquence, son ancienne entreprise avait des problèmes à se faire payer par les donneurs d’ouvrage. En effet, en vertu de la Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main d’œuvre dans l’industrie de la construction (LRT) et la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LAT), le donneur d’ouvrage peut être tenu solidairement responsable de tout montant dû à la CCQ et à la CSST par ses fournisseurs. Plusieurs des clients de Construction Desmarais avaient déjà reçu des demandes de paiement pour les montants dus par cette dernière à ces organismes, de même qu’au MRQ pour des dettes fiscales de l’ordre de 350 000 $ aux termes de la Loi sur le ministère du Revenu du Québec et de l’ordre de 114 000 $ aux termes de la LTA (pièce A-1, onglets R-37 à R-39, R-41 et R-42). Aussi, au lieu de payer les comptes payables à Construction Desmarais, les clients payaient directement la CCQ et la CSST pour les sommes dues par cette dernière. Craignant d’autres représailles, certains clients ont retenu le solde dû à Construction Desmarais afin de ne pas être obligé de payer en double.

 

[7]              Ne connaissant pas exactement l’ampleur des dettes financières de Construction Desmarais, mais étant au courant de ses déboires financiers, l’appelante a accepté de démarrer la nouvelle entreprise car elle croyait à son potentiel et voulait repartir à neuf. Bien vite, elle s’est rendue compte que les clients ne payaient plus. Maçonnerie Habitation Desmarais a commencé à payer ses employés au début de septembre 2004 et dès le mois d’octobre, les comptes à recevoir s’empilaient, vu que les donneurs d’ouvrage mettaient un frein sur tout paiement, sachant que c’était monsieur Desmarais qui exploitait cette nouvelle entreprise, et que ce dernier n’avait pas réglé tous ses problèmes avec la CSST et la CCQ.

 

[8]              Le 2 novembre 2004, la société 4253 déposait une déclaration modificative auprès du Registraire des entreprises afin de retirer monsieur Desmarais comme actionnaire et administrateur, laissant l’appelante seule dans cette société (pièce I-2). Rien n’y fit, l’appelante dit que les clients ne payaient toujours pas leurs comptes. Toutefois, une somme de 55 000 $ fut payée en octobre 2004 et un montant de l’ordre de 35 000 $ fut aussi payé à 4253 en novembre 2004 par un de ses gros donneurs d’ouvrage, soit Les Entreprises Laurent Labrie (pièce A-1, onglet R-49). Malgré ceci, des comptes à recevoir de l’ordre de 119 000 $ apparaissaient toujours au bilan de la société 4253 au 31 juillet 2005 (le bilan ayant été préparé à cette date, mais l’entreprise avait cessé toute exploitation le 11 décembre 2004, pièce A‑1, onglets R‑5, R‑12 et R‑17).

 

[9]              L’appelante a dit qu’elle avait donné priorité au paiement des salaires des employés, mais qu’elle n’avait pu verser au gouvernement les remises sur les déductions à la source (DAS) à compter du mois d’octobre 2004 (pièce R-23) ainsi que les remises de TPS et de TVQ pour la période en litige (pièce R-22). Selon une action prise en justice par la CCQ contre l’appelante et l’un des donneurs d’ouvrage (Les Entreprises Laurent Labrie), il ressort que l’appelante était également en défaut de payer des salaires et autres montants dus aux employés pour des travaux effectués entre le 26 septembre 2004 et le 27 novembre 2004 (pièce A-1, onglet R-45). Madame Chantal Parisien de la CCQ a d’ailleurs confirmé qu’une enquête avait été ouverte et que des plaintes avaient été portées par des employés de 4253 relativement au non-paiement de leurs salaires. Voyant qu'il n’y avait plus d’issue, l'appelante et son mari ont cessé l'exploitation de cette entreprise en décembre 2004. La nouvelle entreprise a donc été en opération pendant un peu plus de trois mois seulement.

 

[10]         L'appelante a déposé en preuve une série de documents tentant de démontrer que la CSST et le CCQ s'étaient organisées pour se payer en priorité des autres créanciers. Les clients ayant peur d'être tenus solidairement responsables, en vertu de la LRT et la LAT, retenaient les sommes dues à la société 4253. L'appelante dit qu'elle a demandé tant à la CCQ qu'à la CSST de fournir les certificats de conformité exigés par la législation régissant l’industrie de la construction pour lui permettre de se faire payer par ses créanciers. Selon certains rapports fournis en preuve, il appert qu’à compter du mois d’octobre 2004, des rapports mensuels avaient été transmis sans que les sommes correspondantes soient versées (voir par exemple le rapport de la CCQ daté du 9 décembre 2004, pièce A-1, onglet R-18). Ainsi, les donneurs d'ouvrage retenaient les sommes dues, et ne voulaient plus donner d’autres contrats à la société 4253.

 

[11]         L’appelante indique qu’elle ne pouvait en faire plus. Compte tenu de l’attitude des clients, il y avait moins d’argent dans les comptes bancaires, et pas assez pour payer le gouvernement. D’ailleurs, c’est le gouvernement lui-même à travers la CCQ et la CSST, qui s’est donné priorité pour recouvrer les sommes qui lui étaient dues en se fondant sur l’article 54 de la LRT et l’article 316 de la LAT. Ces articles se lisent comme suit :

 

Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main d'oeuvre dans l'industrie de la construction (LRT)

 

Obligation solidaire.

 

54. Le salaire dû par un sous-entrepreneur est une obligation solidaire entre ce sous-entrepreneur et l’entrepreneur avec qui il a contracté, et entre ce sous-entrepreneur, le sous-entrepreneur avec qui il a contracté, l’entrepreneur et tout sous-entrepreneur intermédiaire.

 

Fin de la solidarité.

 

Lorsque l’employeur est titulaire de la licence requise en vertu de la Loi sur le bâtiment (chapitre B-1.1), cette solidarité prend fin six mois après la fin des travaux exécutés par cet employeur, à moins que le salarié n’ait déposé, auprès de la Commission, une plainte relative à son salaire, qu’une action civile n’ait été intentée, ou qu’une réclamation n’ait été transmise par la Commission suivant le troisième alinéa du paragraphe 1 de l’article 122 avant l’expiration de ce délai.

 

Étendue de la solidarité.

 

Cette solidarité s’étend aussi au client qui a contracté directement ou par intermédiaire avec un entrepreneur qui n’est pas titulaire de la licence requise en vertu de la Loi sur le bâtiment, à l’égard du salaire dû par cet entrepreneur et par chacun de ses sous-entrepreneurs.

 

Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LAT)

 

316. La Commission peut exiger de l’employeur qui retient les services d’un entrepreneur le paiement de la cotisation due par cet entrepreneur.

 

Calcul du montant.

 

Dans ce cas, la Commission peut établir le montant de cette cotisation d’après la proportion du prix convenu pour les travaux qui correspond au coût de la main-d’œuvre, plutôt que d’après les salaires indiqués dans la déclaration faite suivant l’article 292.

 

Remboursement.

 

L’employeur qui a payé le montant de cette cotisation a droit d’être remboursé par l’entrepreneur concerné et il peut retenir le montant dû sur les sommes qu’il lui doit.

 

[12]         L'appelante soutient que c’est à cause de cette branche du gouvernement que la société 4253 n’a pu verser la TPS aux termes de la LTA. C’est le gouvernement lui‑même qui a forcé la société à faire défaut dans ses paiements.

 

[13]         L’intimée rétorque que l’appelante n’a pas avisé le MRQ de ses problèmes. L’appelante n’a pas tenté d’emprunter sachant qu’elle avait des comptes à recevoir. Sur des ventes d’environ 395 000 $, elle a payé d’autres fournisseurs et ses employés en priorité aux remises de taxes nettes dues au gouvernement, tel qu’en fait foi l’état des résultats de 4253 pour la période du 1er septembre 2004 au 31 juillet 2005 (pièce A‑1, onglet R‑5). De plus, selon l’intimée, la taxe nette doit être perçue au moment où les services sont rendus et conservée pour être ensuite versée au gouvernement au moment de produire sa déclaration pour la période (dans ce cas-ci, au 30 novembre 2004), et non pas au moment où les comptes à recevoir entrent dans les coffres de la société. L'argument de l'appelante ne tient donc pas.

 

 

Analyse

 

[14]         La responsabilité des administrateurs a fait l’objet de plusieurs décisions. Dans l’arrêt Soper c. Canada, [1997] A.C.F. no 881; [1998] 1 C.F. 124, la Cour d’appel fédérale s’exprime ainsi aux paragraphes 53 et 56 :

 

[53]      À mon avis, l’obligation expresse d’agir prend naissance lorsqu’un administrateur obtient des renseignements ou prend conscience de faits qui pourraient l’amener à conclure que les versements posent, ou pourraient vraisemblablement poser, un problème potentiel. En d’autres termes, il incombe vraiment à l’administrateur externe de prendre des mesures s’il sait, ou aurait dû savoir, que la société pourrait avoir un problème avec les versements. La situation typique dans laquelle un administrateur est, ou aurait dû être, au courant de cette éventualité est celle de la société qui a des difficultés financières

 

[…]

 

[56]      Il est important de noter que la question de savoir si une société a de graves difficultés financières, de nature à révéler un problème avec les versements, ne peut être tranchée simplement en fonction du fait que le résultat indiqué sur le bilan mensuel est négatif. À titre d’exemple, de nombreuses entreprises ont une ligne de crédit pour faire face aux fluctuations fiscales. C’est au juge de la Cour de l’impôt qu’il appartiendra dans chaque cas de déterminer si, d’après les renseignements ou les documents financiers que possédait l’administrateur, celui-ci aurait dû savoir qu’il y avait un problème réel ou éventuel avec les versements. La question de savoir si l’administrateur visé a satisfait à la norme de prudence, telle qu’elle est maintenant définie, est donc avant tout une question de fait qu’il faut trancher à la lumière des connaissances personnelles et de l’expérience de ce dernier.

 

[15]         Ainsi, la norme de prudence décrite dans la défense de diligence raisonnable pour un administrateur en vertu de la LTA, dépend des faits de chaque affaire, en tenant compte d'éléments objectifs et subjectifs.

 

[16]         Dans l’arrêt Smith c. Canada, [2001] A.C.F. no 448 (QL), 2001 CAF 84, la Cour rajoute ceci aux paragraphes 10 et 14 :

 

[10]      L’élément subjectif de la norme de prudence applicable à un administrateur donné dépendra de ses qualités personnelles, y compris ses connaissances et son expérience. En général, une personne expérimentée en affaires ou en questions financières sera tenue à une norme plus élevée qu’une personne qui n’a pas de connaissances ou d’expérience en affaires et dont le statut d’administrateur reflète, par exemple, un simple lien familial. Toutefois, la défense de diligence raisonnable ne sera d’aucune aide à un administrateur qui n’a pas tenu compte de ses obligations imposées aux administrateurs par la loi, ou qui n’a fait aucun cas d’un problème dont il connaissait l’existence, ou dont il aurait dû connaître l’existence comme toute personne prudente en pareilles circonstances (Hanson c. Canada 2000 CanLII 16336 (F.C.A.), (2000) 260 N.R. 79, [2000] 4 C.T.C. 215, 2000 D.T.C. 6564 (C.A.F.)).

 

[…]

 

[14]      Dans certaines circonstances, le fait qu’une société soit en difficultés financières et donc à risque plus élevé que d’autre sociétés de ne pas verser ses remises d’impôts peut être un facteur qui milite pour une norme de prudence plus élevée. Par exemple, un administrateur qui connaît les difficultés financières de la société et qui décide sciemment de financer les opérations de la société avec les sommes prélevées à la source et non remises pourrait ne pas pouvoir invoquer la défense de diligence raisonnable (Ruffo c. Canada, 2000 D.T.C. 6317 (C.A.F.)). Toutefois, il est important de se rappeler que dans tous les cas la norme est celle du raisonnable et non celle de la perfection.

 

[17]         Dans Canada (Procureur général) c. McKinnon, [2000] A.C.F. no 1730; [2001] 2 C.F. 203, la Cour d’appel fédérale se prononce également comme suit :

 

[34]      Cependant, que ces administrateurs en aient fait assez ou non pour s’exonérer de la responsabilité tenant au défaut de versement des retenues à la source et de la TPS, cela dépend, du moins en partie, du quatrième principe dégagé par la jurisprudence, savoir que la diligence raisonnable imposée aux administrateurs de société par le paragraphe 227.1(3) consiste à prévenir ce défaut. Il a été jugé que ce principe signifie que si ceux-ci deviennent à première vue responsable du défaut de versement de la compagnie, ils ne peuvent normalement se réclamer du bénéfice du paragraphe 227.1(3) si leurs efforts n’avaient pour effet que de les mettre en état de remédier au défaut après coup. Il s’ensuit que des mesures prises en vue de remettre Abel à flot, celles qui comptent le plus pour notre propos se limitent à celles qui étaient logiquement à même de prévenir le défaut de verser, à l’échéance, les retenues à la source et la TPS.

 

[35]      […] Tout récemment, dans Ruffo c. M.N.R., (2000), 2000 DTC 6317, le juge Létourneau, J.C.A., prononçant le jugement de la Cour, a dit (paragraphe 6) :

 

L'obligation de l'appelant en tant qu'administrateur était de prévenir et d'empêcher l'omission de payer les sommes dues et non de la commettre ou de la perpétuer comme il l'a fait à compter de mars 1992 dans l'espoir qu'en fin de compte l'entreprise renouerait avec la rentabilité ou qu'il y aurait assez d'argent, même en cas de liquidation, pour payer tous les créanciers.

 

[…]

 

[39]      En sixième lieu, l’administrateur qui a perdu juridiquement le contrôle de la compagnie, à la nomination d’un séquestre-gérant par exemple, n’est pas tenu envers Revenu Canada des dettes contractées par la suite. La jurisprudence a parfois étendu ce principe aux cas où les administrateurs ont perdu le contrôle de fait des finances de la compagnie aux mains d’un autre, en particulier de la banque. L’exonération dans ces cas a été expliquée à la fois par la raison que la disposition portant assujettissement à l’impôt, savoir le paragraphe 227.1(1), suppose que les administrateurs ont tout loisir de décider si la compagnie verse les retenues à la source, et pour la raison qu’on ne saurait dire que les administrateurs qui n’ont pas le contrôle nécessaire des finances de la compagnie, n’ont pas fait preuve de « diligence raisonnable ».

 

[18]         Dans la présente instance, l’appelante était très au fait des difficultés financières de la société Construction Desmarais qu’a exploitée son conjoint jusqu’au mois d’août 2004. La preuve a révélé qu’elle a accepté de constituer une nouvelle société avec son conjoint pour continuer, au moins en partie, les contrats engagés initialement par Construction Desmarais. Bien qu’il soit vrai qu’il s’agissait d’une entité corporative distincte, les donneurs d’ouvrage étaient parfaitement conscients que monsieur Desmarais tentait de poursuivre son entreprise en laissant derrière lui le marasme financier engendré par Construction Desmarais. L’appelante n’est pas dépourvue d’intelligence et savait ce qu’elle faisait. Elle avait une expérience solide en administration, et connaissait bien le mécanisme des versements de la TPS et de la TVQ. Durant la courte période de vie opérationnelle de la société 4253, elle remplissait consciencieusement les formulaires qu’elle remettait au gouvernement. Le seul problème est qu’elle n’envoyait pas les sommes dues avec ces rapports.

 

[19]         L’appelante a clairement dit qu’elle favorisait le paiement des employés avec les fonds disponibles dans 4253, et l’état des résultats de la société montre que d’autres dépenses également ont été payées pour continuer l’exploitation de l’entreprise. Ce même état des résultats et la preuve ont montré que la société 4253 a eu des entrées d’argent au cours de la courte période d'exploitation de l'entreprise. C’est donc un choix difficile mais délibéré qui a été effectué de ne pas faire les remises de TPS. L’avocate de l’appelante plaide que cette dernière n’avait plus le contrôle sur les comptes à recevoir, et que le gouvernement du Québec s’est auto-financé par la CCQ et la CSST, en priorité sur les autres créanciers. Au moment de créer la société 4253, l’appelante connaissait les privilèges accordés à ces deux organismes par les lois provinciales régissant la construction dans la province de Québec. C’était donc à ses risques et périls qu’elle acceptait de continuer l’exploitation de l’entreprise de son conjoint par l’intermédiaire de cette nouvelle société.

 

[20]         À mon avis, l’appelante ne peut invoquer la diligence raisonnable pour se soustraire à son obligation solidaire aux termes de l’article 323 de la LTA. Je ne suis pas d’accord avec l’appelante qu’elle a perdu le contrôle des finances de la société 4253. Elle avait toujours autorité pour signer les chèques et outre les demandes des certificats de conformité qu’elle a faites pour tenter de forcer les clients à payer, elle n’a pas pris d’autres mesures pour s’assurer que les remises au gouvernement soient faites. Elle devait être parfaitement consciente du risque auquel elle s’exposait dès le début et elle doit maintenant en assumer les conséquences. Elle n’a pas démontré de façon prépondérante qu’elle a exercé une diligence raisonnable au sens du paragraphe 323(3) de la LTA.

 

[21]         L’appel est rejeté.

 

Signé à Montréal, Québec, ce 3e jour d’octobre 2008.

 

 

 

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 


RÉFÉRENCE :                                  2008 CCI 549

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-41(GST)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              LOUISE ST-YVES ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 22 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 3 octobre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l'appelante :

Me Chantal Donaldson

Avocate de l'intimée :

Me Martine Bergeron

 

 

AVOCATE INSCRITE AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                            Me Chantal Donaldson

 

                 Cabinet :                           LeBlanc, Doucet, McBride

                                                          Gatineau (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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