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Dossier : 2006-1130(IT)G

ENTRE :

FRANÇOIS GRAVIL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 12 juin 2008, à Québec (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

 

Me Roger Breton

Avocat de l'intimée :

Me Michel Lamarre

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

        L’appel à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1999 et 2000 est rejeté avec dépens, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour d’octobre 2008.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 


 

 

 

 

Référence : 2008 CCI 505

Date : 20081007

Dossier : 2006-1130(IT)G

 

ENTRE :

FRANÇOIS GRAVIL,

 

appelant,

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Bédard

 

 

[1]              L’appelant interjette appel de nouvelles cotisations établies le 14 septembre 2004 à son égard par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour les années d’imposition 1999 et 2000.

 

 

[2]              Par ces nouvelles cotisations, le ministre a effectué les changements suivants aux déclarations de revenus de l’appelant :

 

1999

 

$

2000

 

$

Revenu total antérieur

62 505

14 525

Ajouter

 

 

1.   Honoraires reçus de la société Les produits Déli‑Bon inc.

47 000

60 000

2.   Sommes avancées et radiées par la société Les produits Déli‑Bon inc.

 

136 430

3.   Avantage reçu de la société Les produits Déli‑Bon inc. relatif à l’acquisition de ses actions

 

213 162

4.   Avantage reçu de la société Les produits Déli‑Bon inc.

 

110 918

Total des ajouts

47 000

520 510

Tous les revenus ajoutés ont été assujettis à la pénalité imposée

conformément au paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Déduire

 

 

      Déductions réclamées par l’appelant

4 578

37 653

5.   Perte au titre de placement d’entreprise

 

271 867

Revenu imposable révisé

104 927

225 515

 

 

Contexte

 

[3]              L’appelant est un autochtone vivant dans une réserve indienne. En janvier 1996, l’appelant, qui travaille depuis une dizaine d’années comme consultant en alimentation, est embauché par Les produits Déli‑Bon inc. (la « société »), une entreprise de production et de distribution de salades de fruits appartenant alors à The Unimark Group Inc. (« Unimark »), une société du Texas, qui en est l’unique actionnaire. À l’été 1999, l’appelant, qui est alors le principal dirigeant de la société, apprend que Unimark éprouve de graves difficultés financières et songe à se départir notamment de la société. L’idée d’acquérir les actions de la société germe alors dans l’esprit de l’appelant. Ce dernier connaît bien les activités de la société, mais ses connaissances en matière de financement d’une telle acquisition sont limitées. L’appelant croit donc utile de trouver un associé qui s’y connaît en financement avant de se lancer dans l’acquisition des actions de la société. Cette idée l’amène à communiquer en 1999 avec monsieur Guy Picard, un consultant en matière de crédit qu’il connaît depuis environ un an. Les discussions entre les deux hommes aboutissent à l’association recherchée par l’appelant. De fait, le 11 octobre 1999, les deux associés achètent en parts égales, pour un prix de 1 423 932 dollars américains toutes les actions de la société. Le contrat d’achat (pièce A‑8) précise que François Gravil et Guy Picard agissent « in trust for the company to be owned and operated by François Gravil and Guy Picard ». On trouve donc à l’article 1 du contrat d’achat les conditions selon lesquelles la vente est effectuée :

 

Sale and Purchase of Stock. Seller hereby agrees to sell, and Purchaser hereby agrees to purchase, the Deli‑Bon Shares for $1,432,932 payable as follows:

 

(a)        by delivering $320,000 (U.S.) in immediately available funds on the closing date (as set forth in Section 4 of this Agreement);

 

(b)        by executing and delivering a 30 day non‑interest bearing promissory note in the original principal amount of $400,000 (U.S.), in substantially the same form as Exhibit B hereto (the “30 Day Note”). The note shall be secured by all the Deli‑Bon Shares in accordance with the terms of two pledge agreements in substantially the same form as Exhibit C hereto (the “Short‑term Pledge Agreement”) and Exhibit F hereto (the “Long‑term Pledge Agreement”);

 

(c)        by executing and delivering a 60 day non‑interest bearing promissory note in the original principal amount of $400,000 (U.S.), in substantially the same form as Exhibit D hereto (the “60 Day Note”). The note shall be secured by all the Deli‑Bon Shares in accordance with the terms of two pledge agreements in substantially the same form as the Short‑term Pledge Agreement and the Long‑term Pledge Agreement;

 

(d)        by executing and delivering a five year promissory note in the original principal amount of $303,932 (U.S.). The note shall bear interest at 8.75% per annum, with interest and principal payable in monthly installments of $6,272 and shall be in substantially the same form as Exhibit E hereto (the “5 Year Note”). The note shall be secured by the Deli‑Bon Shares. The note shall be secured by 51% of the outstanding Deli‑Bon Shares in accordance with the terms of the Long‑term Pledge Agreement.

 

Enfin, l’article 15 du contrat d’achat, qui mérite d’être signalé, est rédigé comme suit :

 

15     Neither this Agreement nor any interest of any party herein may be assigned, pledged or transferred without the prior written consent of the parties hereto.

 

 

[4]              Les deux hommes se répartissent les rôles au sein de la société de la façon suivante :

 

1)                 l’appelant, à titre de président, doit s’occuper de l’exploitation de la société, y compris les ventes et les relations avec les fournisseurs;

 

2)                 monsieur Picard, à titre de directeur général, doit se charger du financement de l’entreprise et des comptes fournisseurs.

 

 

[5]              Les deux premiers versements prévus au contrat pour l’acquisition des actions de la société ont été faits à partir des fonds propres de cette dernière et inscrits dans ses registres à titre d’avances aux actionnaires.

 

[6]              En mai 2000, l’appelant en vient à la conclusion que son association avec monsieur Picard ne peut se prolonger plus longtemps vu leurs divergences quant à la façon de diriger la société. Des discussions ont lieu entre l’appelant et monsieur Picard pour mettre fin à leur association. Ces discussions amènent finalement les deux hommes à convenir que l’appelant quittera la société. Ainsi, le 15 juin 2000, les deux hommes signent un contrat intitulé « Contrat de vente d’actions » (pièce A‑13) selon lequel l’appelant vend ses actions de la société à monsieur Picard. Voici le contenu de ce document :

 

Contrat de vente d’actions

 

Je soussigné, François Gravil, homme d’affaires, agissant personnellement et ou in trust, demeurant au 10 Gaspard Picard, Wendake, Québec G0A 4V0, et :

 

Guy Picard, homme d’affaires, agissant personnellement et ou in trust, demeurant au 80 des écureuils, Wendake, G0A 4V0

 

Lesquels déclarent et conviennent ce qui suit :

 

Qu’ils ont acheté le 11 octobre 1999, suivant « stock purchase agreement » toutes les actions détenues par The UniMark Group inc, étant les certificats C-3 et C4, totalisant 1,450,000 actions ordinaires.

 

Qu’ils ont donné en garantie collatérale à The UniMark Group inc en vertu d’un « stock power » les dites actions totalisant 1,450,000 actions ordinaires en vertu de deux billets soient, « 60 days secured note », et « 5 years secured note » daté le 11 octobre 1999.

 

Qu’ils ont convenu d’une convention d’actionnaires et d’un contrat de consultant suivant résolution par Les Produits Déli‑Bon inc daté le 12 octobre 1999.

 

Que Les Produits Déli‑Bon inc, ont convenu de fournir un véhicule suivant résolutions du 20 décembre 1999.

 

Que Guy Picard achète de François Gravil personnellement et ou in trust, toutes les actions ordinaires détenues par ce dernier soient les certificats C3 et C-4 et offert en garantie à The UniMark Group inc totalisant 1,450,000 actions ordinaires.

 

Que François Gravil personnellement et in trust, reconnaît avoir reçu bonne et valable considération, dont et du tout quittance finale et totale.

 

Que François Gravil transfert et renonce irrévocablement tous droits, titres et intérêts en la totalité des actions détenu par lui dans les Produits Déli‑Bon inc et ou dans les Produits Déli‑Bon 2000 inc, le tout en faveur de monsieur Guy Picard.

 

Que François Gravil renonce purement et simplement à tous les avantages consenties par les Produits Déli‑Bon inc et ou dans les Produits Déli‑Bon 2000 inc concernant tout contrat de consultant financier et ou tous autres avantages préalablement consenti par résolutions.

 

Que François Gravil renonce a tous droits, titres et intérêts, recours personnel ou autres et accorde et s’engage a signer devant Me Danielle Grenon, un main levée de toute garantie créée en vertu d’hypothèque mobilière, immobilière et ou garantie collatérale, dans un délais de 5 jours d’avis cet effet.

 

Que François Gravil s’engage à ne pas exploiter directement ou indirectement dans un rayon de 50 km de Québec, un commerce de production de vente de produit de salade de fruits et ou salsa pour une période de 5 ans.

 

Que les parties se déclarent satisfaits de la dite entente.

 

[. . .]

 

 

[7]              Toujours le 15 juin 2000, l’appelant signe le document suivant :

 

Je soussigné François Gravil reconnaît avoir reçu de monsieur Guy Picard, la somme de $75,000.00 pour bonne et valable considération.

 

François Gravil

 

 

[8]              Toujours le même jour, l’appelant signe en outre l’avis de démission suivant :

 

Je soussigné François Gravil, homme d’affaires demeurant au 10 Gaspard Picard, Wendake, province de Québec, G0A 4V0, avise et démissionne à titre de président des compagnies, de directeur des opérations, de consultant financier et ou employé de Les Produits Déli‑Bon inc, et ou Les Produits Déli‑Bon 2000 inc.

 

En foi de quoi j’ai signé, en ce jour à Loretteville, province de Québec.

 

François Gravil

 

 

[9]              Le 3 octobre 2000, les sociétés Unimark et UniMark Goods inc. intentent une action contre la société, Les Produits Déli‑Bon 2000 inc., François Gravil et Guy Picard dans le but de récupérer le solde impayé du prix de vente des actions. Le 12 octobre 2001, la société faisait faillite.

 

[10]         La preuve a aussi révélé que :

 

                               i)            le 5 juin 2000, le conseil d’administration de la société avait adopté la résolution suivante (pièce A‑18) :

 

« Que la compagnie qui était spécifiée à être formée lors de l’achat de la compagnie, (Guy Picard, in trust & François Gravil in trust) est la nouvelle corporation : Les Produits Déli‑Bon 2000 inc., matricule : 1149110141 . »

 

                             ii)            le 3 juin 2000, le conseil d’administration de la société avait adopté la résolution suivante (pièce A-21) :

 

« Que la compagnie donne bonne, valable final et définitive quittance à Messieurs François Gravil et Guy Picard, personnellement et/ou in trust pour la somme totale de $725,000US qui étaient dues en vertu des résolution suivantes :

 

                                       A 6 octobre 1999
                                       B 21 octobre 1999
                                       C 10 décembre 1999

 

Que les dits emprunts sont l’entière responsabilité de « Les Produits Déli‑Bon 2000 inc. », matricule : 1149110141 en considération des action émises soient 1,450,000 actions ordinaires (certificat C-3, C-4).

 

 

Hypothèses de fait du ministre

 

[11]         En établissant les nouvelles cotisations du 14 septembre 2004 et en les ratifiant, le ministre a tenu pour acquis les mêmes faits, à savoir :

 

a)                 le 11 octobre 1999, l’appelant et monsieur Guy Picard ont acheté respectivement 50 % des actions de la société Les produits Déli‑Bon inc. (« ci-après la Société ») pour la somme de 1 423 932 $ US; (nié)

 

b)                le 14 juin 2000, l’appelant a vendu les actions qu’il détenait dans la Société pour un montant de 75 000 $ à monsieur Picard qui a pris également en charge les sommes encore dues lors de l’acquisition desdites actions; (nié)

 

c)                 le 12 octobre 2001, la Société faisait faillite; (admis)

 

Honoraires reçus de la Société

 

d)                l’exercice financier de la Société débutait le 3 octobre et se terminait le 2 octobre; (admis)

 

e)                 la Société exploitait une entreprise spécialisée dans le domaine de l’alimentation; (admis)

 

f)                  l’appelant était président, directeur des opérations et directeur des ventes de la Société; (admis)

 

g)                 en tout temps pertinent, la Société avait sa place d’affaires au 132, rue Giroux à Loretteville, Québec; (admis)

 

h)                 la Société était située à l’extérieur d’une réserve indienne et ses activités étaient exercées à l’extérieur de celle-ci; (admis)

 

i)                   au cours des années d’imposition 1999 et 2000, l’appelant a reçu de la Société les sommes de 47 000 $ et 60 000 $ respectivement qu’elle a qualifié d’honoraires; (admis)

 

j)                   en tout temps pertinent, l’appelant n’a pas travaillé sur la réserve indienne du village Huron pour gagner ces sommes; (admis)

 

k)                 si l’appelant a travaillé pour gagner ces sommes, celui-ci a travaillé à la place d’affaire de la Société, soit à l’extérieur de la réserve; (admis)

 

l)                   l’appelant n’a pas déclaré ces montants dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 1999 et 2000; (admis)

 

Avantage reçu de la Société relatif à l’acquisition des actions

 

m)              les 13 et 21 octobre 1999, des versements de 320 000 $ US et 380 000 $ US pour l’acquisition des actions de la Société ont été faits à partir des fonds mêmes de la Société et comptabilisés dans ses livres à titre d’avances aux actionnaires; (admis)

 

n)                 des montants prêtés à l’appelant et à monsieur Picard, la Société, au cours de son exercice financier se terminant le 2 octobre 2000, a, par une écriture comptable dans son Grand-livre, viré un montant de 426 324 $ au poste frais courus à titre d’honoraires et un montant de 221 836 $ au poste honoraire consultation diminuant du même montant le solde du compte dû par les actionnaires, alors qu’aucun service n’avait été rendu par ceux-ci; (admis)

 

o)                de ces montants virés par la Société, la portion que l’appelant devait à celle-ci était de 213 162 $ et 110 918 $, soit la moitié du montant prêté; (nié tel que rédigé)

 

p)                au cours de l’année d’imposition 2000, la Société a donc payé pour le compte de l’appelant des dépenses personnelles, à savoir, les montants de 213 162 $ et 110 918 $ pour l’achat, par l’appelant, des actions de la Société; (nié tel que rédigé)

 

Sommes avancées et radiées

 

q)                selon les états financiers de la Société, au 2 octobre 2000, celle-ci réclamait une perte sur mauvaise créance au montant de 225 000 $; (admis)

 

r)                  cette perte provenait d’avances qui avaient été accordées à l’appelant et monsieur Picard au cours des années d’imposition 1999 et 2000; (nié comme rédigé)

 

s)                 du montant de la perte de 225 000 $, une somme de 88 570 $ représentait les avances qui avaient été accordées par la Société à monsieur Picard au cours des années d’imposition 1999 et 2000; (ignoré)

 

t)                   au cours de l’année d’imposition 2000, la Société a payé pour le compte de l’appelant des dépenses personnelles à savoir les montants de 136 430 $ soit le montant radié par la Société de 225 000 $ diminué du montant de 88 570 $ représentant les avances faites par la Société à monsieur Picard; (nié comme rédigé).

 

Questions en litige

 

[12]         La première question, qui consistait à déterminer si le ministre était justifié d’ajouter aux revenus déclarés par l’appelant un montant de 47 000 $ pour l’année d’imposition 1999 et un montant de 60 000 $ pour l’année d’imposition 2000 à titre de revenus non déclarés, ne fera pas l’objet d’analyse, puisque le procureur de l’appelant a reconnu dès le départ que le ministre était justifié de le faire. Toutefois, l’appelant soutient que le ministre n’était pas justifié de lui imposer une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi à l’égard de ces revenus non déclarés.

 

[13]         La deuxième question, qui consistait à déterminer si le ministre était justifié d’ajouter 213 162 $, 110 918 $ et 136 430 $ au revenu de l’appelant pour son année d’imposition 2000 à titre d’avantages à l’actionnaire conformément aux dispositions du paragraphe 15(1) de la Loi, ne fera l’objet d’analyse qu’à l’égard des sommes de 213 162 $ et de 110 918 $, puisque le procureur de l’appelant a admis dès le départ que le ministre était justifié d’ajouter 136 430 $ au revenu de l’appelant pour son année d’imposition 2000. Il convient de souligner que l’appelant, bien qu’il ait fait une admission à l’égard de la somme de 136 430 $, soutient que le ministre n’était pas justifié de lui imposer une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi à l’égard de ce revenu non déclaré de 136 430 $.

 

[14]         La troisième question en litige consiste à déterminer si le ministre était justifié de tenir compte de la somme de 75 000 $ reçue par l’appelant lors de la vente de ses actions de la société dans le calcul de sa perte au titre d’un placement d’entreprise pour son année d’imposition 2000.

 

[15]         La quatrième question en litige consiste à déterminer si pour les années 1999 et 2000 de l’appelant, le ministre était justifié d’imposer la pénalité prévue au paragraphe 163(2) de la Loi sur tous les revenus ajoutés par le ministre.

 

Position de l’appelant et analyse

 

[16]         L’appelant soutient que le ministre n’était pas justifié de tenir compte de la somme de 75 000 $ qu’il avait reçue de monsieur Picard le 15 juin 2000 dans le calcul de sa perte au titre d’un placement d’entreprise pour son année d’imposition 2000. L’appelant soutient qu’il a cédé gratuitement ses actions à monsieur Picard. Quant au reçu de 75 000 $ (pièce A‑15), il prétend qu’il porte sur le remboursement en argent comptant d’une somme qu’il avait confiée en août 1999 en argent comptant à monsieur Picard lors d’un projet où lui et monsieur Picard projetaient d’acquérir en parts égales un terrain vague situé près de la réserve indienne où ils demeuraient, projet qui n’a jamais eu lieu. Cette version des faits est difficile à croire. Est-il imaginable que ce reçu de 75 000 $ (pièce A-15) n’ait rien à voir avec le contrat de vente (pièce A-13) et la démission de l’appelant (pièce A‑14), documents qui ont tous été signés en même temps et au même endroit? Je réponds « non » à cette question, d’autant plus que la version de l’appelant m’apparaît tout à fait invraisemblable. En effet, pourquoi l’appelant aurait-il confié à monsieur Picard, un futur associé qu’il connaît alors à peine, 75 000 $ en argent comptant alors que lui et monsieur Picard n’étaient pas alors tenus contractuellement de verser quelque somme que ce soit au vendeur? Je souligne que l’appelant n’a aucunement expliqué les raisons qui l’auraient motivé à confier si tôt une telle somme à monsieur Picard. Pour ces motifs, je suis d’avis que le ministre était justifié de tenir compte de la somme de 75 000 $ que l’appelant avait reçue de monsieur Picard dans le calcul de sa perte au titre d’un placement d’entreprise pour son année d’imposition 2000.

 

Montants de 213 162 $ et de 110 918 $ ajoutés au revenu de l’appelant pour son année d’imposition 2000 conformément aux dispositions du paragraphe 15(1) de la Loi

 

[17]         Rappelons à cet égard que les 13 et 21 octobre 1999, des versements de 320 000 et de 380 000 dollars américains pour l’acquisition des actions de la société ont été faits à partir des fonds mêmes de la société et inscrits dans ses registres à titre d’avances aux actionnaires. Je rappelle aussi que des montants ainsi prêtés à l’appelant et à monsieur Picard, la société, au cours de son exercice se terminant le 2 octobre 2000, a, par une écriture comptable dans son grand livre, viré un montant de 426 324 $ au poste « frais courus à titre d’honoraires » et un montant de 221 836 $ au poste « honoraires de consultation », diminuant du même montant le solde du compte « dû par les actionnaires » (qui n’était plus que de 75 000 $ au 2 octobre 2000), alors qu’aucun service n’avait été rendu par ceux-ci. Je rappelle enfin que de ces montants virés par la société, la portion que l’appelant devait à celle‑ci était de 213 162 $ et de 110 918 $, soit la moitié du montant prêté. L’appelant soutient que le ministre n’était pas justifié d’ajouter à son revenu ces deux montants pour son année d’imposition 2000 à titre d’avantage à l’actionnaire conformément au paragraphe 15(1) de la Loi, et ce, pour les motifs suivants :

 

                            i)               L’acquéreur des actions de la société était la société Déli‑Bon 2000 inc. En effet, l’appelant soutient que monsieur Picard et lui-même s’étaient portés acquéreurs des actions de la société pour une société à être constituée, soit la société Déli‑Bon 2000 inc. qui fut constituée quelques mois après la signature du contrat d’acquisition des actions de la société du 11 octobre 1999. Je souligne immédiatement que l’appelant n’a pas été en mesure de déposer en preuve le procès‑verbal de la société Déli‑Bon 2000 inc. établissant qu’elle a ratifié la transaction intervenue le 11 octobre 1999, le registre des procès‑verbaux de cette dernière étant introuvable. L’appelant allègue que monsieur Picard avait tout simplement oublié d’inscrire, comme ils l’avaient convenu, les effets de la ratification dans les registres comptables de la société. L’appelant prétend enfin que bien que les documents à cet égard ne soient pas tous faits correctement, il existe par ailleurs plusieurs documents (pièces A-13, A-18 et A-19) qui permettent d’établir qu’il y a eu ratification par Déli‑Bon 2000 inc. de la transaction intervenue le 11 octobre 2000.

 

                          ii)               Puisque l’acquéreur des actions de la société était la société Déli‑Bon 2000 inc., l’appelant prétend que les versements de 320 000 et de 380 000 dollars américains faits à partir des fonds mêmes de la société pour le paiement des actions doivent être considérés comme des avances consenties par la société à Déli‑Bon 2000 inc. et non comme des avances consenties à monsieur Picard et à lui‑même, et qu’ainsi il n’a pas à payer de l’impôt sur ces sommes puisque c’est la société Déli‑Bon 2000 inc. qui a reçu l’avantage.

 

[18]         La position de l’appelant à l’égard des versements de 320 000 et de 380 000 dollars américains pour l’acquisition des actions de la société est bien fondée en théorie. En effet, il ressort de l’article 123.7 de la Loi sur les compagnies, des articles 319 et 320 du Code civil du Québec et de l’interprétation qu’en a donnée la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Société sylvicole de l’Outaouais c. Rasmussen et al., 2005 QCCA 729, J.E. 2005-1551, que les signataires initiaux d’un contrat préconstitutif, les promoteurs (en l’espèce l’appelant et monsieur Picard), cessent d’être des parties contractantes et deviennent des mandataires de la personne morale récemment constituée à la suite d'une ratification (qui peut être tacite et qui ne doit pas nécessairement être faite dans le délai de 90 jours prévu à l’article 123.7 de la Loi sur les compagnies). Cela dit, il fallait tout au moins que l’appelant fasse la preuve que la société Déli‑Bon 2000 inc. avait ratifié tout au moins tacitement la transaction du 11 octobre 1999, puisqu’il n’existerait aucun document de la société Déli‑Bon 2000 inc. indiquant que cette dernière aurait ratifié la transaction du 11 octobre 1999. L’appelant ne m’a pas convaincu que la société Déli‑Bon 2000 inc. avait ratifié cette transaction. D’abord, ni l’appelant ni monsieur Picard n’ont dit clairement qu’il y avait eu ratification de cette transaction ou n’ont dit à quel moment elle aurait été faite par la société Déli‑Bon 2000 inc. En fait, la preuve de l’appelant à cet égard reposait essentiellement sur deux documents déposés en preuve sous les cotes A‑13 et A‑18. Je souligne que le document déposé en preuve sous la cote A‑18 a été préparé par monsieur Picard et que ce dernier n’a pas été en mesure d’en expliquer la teneur lors de son témoignage. Ce document préparé par monsieur Picard peut en effet indiquer que la société Déli‑Bon 2000 inc. a ratifié la transaction du 11 octobre 1999. Si tel était le cas, comment expliquer que les versements de 320 000 et de 380 000 dollars américains pour l’acquisition des actions de la société aient été inscrits dans les registres comptables de la société (pour son exercice se terminant le 2 octobre 2000) comme des avances à l’appelant et à monsieur Picard (et non pas comme des avances à la société Déli‑Bon 2000 inc.) et que la société ait, au cours du même exercice, par une écriture comptable dans son grand livre, viré un montant de 426 324 $ au poste « frais courus à titre d’honoraires de consultation » et un montant de 221 836 $ au poste « honoraires de consultation », diminuant du même montant le solde du compte « dû par monsieur Picard et l’appelant »? Si la transaction du 11 octobre 1999 avait été ratifiée comme le soutient l’appelant, monsieur Picard, le responsable de la comptabilité de la société, n’aurait jamais accepté qu’on procède à de telles écritures dans les livres comptables de la société. En effet, monsieur Picard, qui est aux prises avec les mêmes problèmes fiscaux que l’appelant, n’avait aucun intérêt à ne pas indiquer dans les livres comptables de la société les effets d’une ratification de la transaction du 11 octobre 2000 par la société Déli‑Bon 2000 inc. si elle avait eu lieu. Quant au document déposé en preuve sous la cote A‑13, il peut aussi indiquer que la société Déli‑Bon 2000 inc. a ratifié la transaction du 11 octobre 1999. Le procureur de l’appelant soutient que Unimark n’aurait pas pris la peine de poursuivre la société Déli‑Bon 2000 inc. si cette dernière n’avait pas ratifié la transaction du 11 octobre 1999. À mon avis, ce fait ne démontre pas nécessairement qu’il y ait eu ratification de la transaction du 11 octobre 1999. On peut aussi penser que Unimark ait décidé de poursuivre Déli‑Bon 2000 inc. au cas où cette dernière aurait ratifié la transaction du 11 octobre 1999. Il aurait été fort intéressant d’entendre un dirigeant d’Unimark expliquer la raison pour laquelle elle avait décidé de poursuivre Déli‑Bon 2000 inc. De toute façon, cet élément de preuve n’est pas suffisant pour me convaincre qu’il y a eu ratification, puisque l’essentiel de la preuve documentaire indique le contraire.

 

Pénalités

 

[19]         L’appelant soutient que le ministre n’était pas justifié de lui imposer une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi à l’égard de ses honoraires non déclarés de 47 000 $ et de 60 000 $ durant les années d’imposition 1999 et 2000 respectivement, et ce, parce que son comptable, monsieur Leblanc, lui aurait affirmé que les honoraires qu’il avait reçus de la société n’étaient pas imposables parce qu’une partie des services qu’il avait rendus à la société l’avaient été sur la réserve indienne où il réside. Autrement dit, son comptable lui aurait affirmé que ses revenus d’honoraires de consultation étaient exonérés en vertu de l’alinéa 81(i)a) de la Loi et de l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Le témoignage de l’appelant à l’effet qu’une partie des services avait été rendue sur la réserve indienne et que son comptable lui aurait affirmé que ses honoraires étaient donc non imposables me semble peu crédible, puisque la preuve a notamment révélé que l’appelant travaillait tout au moins tous les jours ouvrables au siège social de la société pendant la période pertinente, et ce, au moins de 9 h à 17 h. Il aurait été fort intéressant d’entendre le témoignage de monsieur Leblanc à l’égard des affirmations qu’il aurait faites à l’appelant à cet égard. L’appelant était en mesure de faire témoigner monsieur Leblanc pour appuyer son témoignage. Il ne l’a pas fait. J’en conclus que ce témoignage lui aurait été défavorable. J’en conclus que monsieur Leblanc ne lui a jamais fait de telles affirmations et que l’appelant a sciemment omis de déclarer des honoraires de consultation de 47 000 $ et de 60 000 $ durant les années d’imposition 1999 et 2000 respectivement.

 

[20]         L’appelant soutient aussi que le ministre n’était pas justifié de lui imposer une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi à l’égard de la somme de 136 432 $ (qu’il a reconnue devoir être incluse dans le calcul de son revenu pour son année d’imposition 2000 en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi) parce que son comptable, monsieur Leblanc, lui aurait affirmé que la somme de 136 432 $ était un prêt ne portant pas intérêt et ne comportant aucune modalité de remboursement et qu’un prêt de cette nature n’avait pas à être inclus dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2000. Les allégations de l’appelant à l’égard des affirmations de son comptable ne sont tout simplement pas crédibles. Il apparaît absolument invraisemblable qu’un comptable le moindrement compétent ait fait une telle affirmation. Encore une fois, il aurait été fort intéressant d’entendre le témoignage de monsieur Leblanc à cet égard. L’appelant ne l’a pas fait témoigner alors qu’il était en mesure de le faire. J’en conclus que cette preuve lui aurait été défavorable. J’en conclus que monsieur Leblanc n’a jamais fait une telle affirmation à l’appelant et que ce dernier a sciemment omis de déclarer cette somme de 163 432 $ dans sa déclaration de revenus de l’année d’imposition 2000.

 

[21]         Je conclus, par ailleurs, que le ministre était aussi justifié d’imposer à l’appelant une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi à l’égard des montants de 213 162 $ et de 110 918 $ non déclarés par l’appelant durant son année d’imposition 2000 en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi. En effet, le ministre m’a convaincu que l’appelant avait sciemment omis de déclarer ces sommes dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2000.

 

[22]         Pour ces motifs, l’appel est rejeté avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour d’octobre 2008.

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard


RÉFÉRENCE :                                  2008 CCI 505

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2006-1130(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              FRANÇOIS GRAVIL ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 12 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 7 octobre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

 

Me Roger Breton

Avocat de l'intimée :

Me Michel Lamarre

 

 

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                            Me Roger Breton

                   Cabinet :                         Beaumont, Provençal, Breton

                                                          L’Ancienne-Lorette (Québec)

 

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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