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Dossier : 2006-1070(IT)G

ENTRE :

GUY PICARD,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 10 juin 2008, à Québec (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Pour l'appelant :

 

L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Michel Lamarre

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

        L’appel à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1999, 2000 et 2001 est rejeté avec dépens, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour d’octobre 2008.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard


 

 

 

 

Référence : 2008 CCI 506

Date : 20081007

Dossier : 2006-1070(IT)G

ENTRE :

 

GUY PICARD,

appelant,

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Bédard

 

 

[1]              L’appelant interjette appel à l’encontre de nouvelles cotisations établies le 14 septembre 2004 à son égard par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour les années d’imposition 1999, 2000 et 2001.

 

 

[2]              Par ces nouvelles cotisations, le ministre a effectué les changements suivants aux déclarations de revenus de l’appelant :

 

 

 

 

1999

 

$

2000

 

$

2001

 

$

Revenu total antérieur

13 365

16 000

43 800

Ajouter

 

 

 

1.     Honoraires reçus de la société Les produits Déli‑Bon inc.

47 000

62 000

 

2.     Avances non remboursées de la société Les produits Déli‑Bon inc.

 

75 000

 

3.     Sommes avancées et radiées par la société Les produits Déli‑Bon inc.

 

88 570

 

4.     Avantage reçu de la société Les produits Déli‑Bon inc. relatifs à l’acquisition de ses actions

 

213 162

 

5.     Avantage reçu de la société Les produits Déli‑Bon inc.

 

110 918

 

Total des ajouts

47 000

549 650

Ø

Déduire

 

 

 

6.     Perte au titre de placement d’entreprise de l’année 2001

5 365

254 736

 

7.     Perte au titre de placement d’entreprise

 

 

303 900

Revenu imposable révisé

55 000

310 914

Ø

 

 

[3]              Je souligne immédiatement que l’appelant ne peut interjeter appel de la nouvelle cotisation portant qu’aucun impôt n’est payable établie à son égard pour son année d’imposition 2001, puisque l’appelant n’avait aucun impôt à payer à la suite de l’établissement de cette nouvelle cotisation.

 

Contexte

 

[4]              L’appelant est un autochtone qui vivait avec sa famille au Village Huron, qui est situé sur une réserve indienne. L’appelant est un consultant en matière de crédit. Les bureaux de son entreprise sont situés sur cette réserve indienne. L’entreprise de l’appelant possède une ligne téléphonique distincte de celle de l’appelant. Enfin, l’entreprise de l’appelant est enregistrée auprès de l’Inspecteur général des institutions financières.

 

[5]              En janvier 1996, monsieur François Gravil, qui travaille depuis une dizaine d’années comme consultant en alimentation, est embauché par Les produits Déli‑Bon inc. (la « société »), une entreprise de production et de distribution de salades de fruits appartenant alors à The Unimark Group Inc. (« Unimark »), une société du Texas, qui en est l’unique actionnaire. À l’été 1999, monsieur Gravil, qui est alors le principal dirigeant de la société, apprend que Unimark connaît de graves difficultés financières et songe à se départir notamment de la société. L’idée d’acquérir les actions de la société germe alors dans l’esprit de monsieur Gravil. Ce dernier connaît bien les activités de la société, mais ses connaissances en matière de financement d’une telle acquisition sont limitées. Monsieur Gravil croit donc utile de trouver un associé qui s’y connaît en financement avant de se lancer dans l’acquisition des actions de la société. Cette idée l’amène en 1999 à communiquer avec l’appelant, un consultant en matière de crédit qu’il connaît depuis environ un an. Les discussions entre les deux hommes aboutissent à l’association recherchée par monsieur Gravil. De fait, le 11 octobre 1999, les deux associés achètent en parts égales, pour un prix de 1 423 932 dollars américains toutes les actions de la société. Le contrat d’achat (pièce I-4) précise que François Gravil et Guy Picard agissent « in trust for the company to be owned and operated by François Gravil and Guy Picard ». Il est bon ici de souligner que les actions ne seront jamais enregistrées au nom de cette société à être constituée. On trouve donc à l’article 1 du contrat d’achat les conditions selon lesquelles la vente est effectuée :

 

Sale and Purchase of Stock. Seller hereby agrees to sell, and Purchaser hereby agrees to purchase, the Deli‑Bon Shares for $1,423,932 payable as follows:

 

(a)                by delivering $320,000 (U.S.) in immediately available funds on the closing date (as set forth in Section 4 of this Agreement);

 

(b)               by executing and delivering a 30 day non‑interest bearing promissory note in the original principal amount of $400,000 (U.S.), in substantially the same form as Exhibit B hereto (the “30 Day Note”). The note shall be secured by all the Deli‑Bon Shares in accordance with the terms of two pledge agreements in substantially the same form as Exhibit C hereto (the “Short‑term Pledge Agreement”) and Exhibit F hereto (the “Long‑term Pledge Agreement”);

 

(c)                by executing and delivering a 60 day non‑interest bearing promissory note in the original principal amount of $400,000 (U.S.), in substancially the same form as Exhibit D hereto (the “60 Day Note”). The note shall be secured by all the Deli‑Bon Shares in accordance with the terms of two pledge agreements in substantially the same form as the Sort‑term Pledge Agreement and the Long‑term Pledge Agreement;

 

(d)               by executing and delivering a five year promissory note in the original principal amount of $303,932 (U.S.). The note shall bear interest at 8.75% per annum, with interest and principal payable in monthly installments of $6,272 and shall be in substantially the same form as Exhibit E hereto (the “5 Year Note”). The note shall be secured by the Deli‑Bon Shares. The note shall be secured by 51% of the outstanding Deli‑Bon Shares in accordance with the terms of the Long‑term Pledge Agreement.

 

 

[6]              Les deux hommes se répartissent les rôles au sein de la société de la façon suivante :

 

1)                 François Gravil, à titre de président, doit s’occuper de l’exploitation de la société, y compris les ventes et les relations avec les fournisseurs;

2)                 l’appelant, à titre de directeur général, doit se charger du financement de l’entreprise et des comptes fournisseurs.

 

Hypothèses de fait du ministre

 

[7]              En établissant les nouvelles cotisations du 14 septembre 2004 et en les ratifiant, le ministre a tenu pour acquis les mêmes faits, à savoir :

 

a)                 le 11 octobre 1999, l’appelant et monsieur François Gravil ont acheté respectivement 50 % des actions de la société Les produits Déli‑Bon inc. (ci-après la « Société ») pour la somme de 1 423 932 $ US. (admis). Il convient immédiatement de souligner que l’appelant a reconnu que les actions achetées ont toujours été détenues par lui et qu’elles n’ont jamais été enregistrées au nom d’une société à être constituée. En définitive, l’appelant a reconnu que l’opération d’achat n’avait jamais été ratifiée par quelque société que ce soit;

 

b)                le 14 juin 2000, monsieur Gravil vend les actions qu’il détient dans la Société pour un montant de 75 000 $ à l’appelant qui prend également en charge les sommes encore dues lors de l’acquisition desdites actions; (admis)

 

c)                 le 12 octobre 2001, la Société faisait faillite; (admis)

 

Honoraires reçus de la Société

 

d)                l’exercice financier de la Société débutait le 3 octobre et se terminait le 2 octobre; (admis)

 

e)                 la Société exploitait une entreprise spécialisée dans le domaine de l’alimentation; (admis)

 

f)                  l’appelant était secrétaire de la Société avec pour fonction d’effectuer l’administration générale au sein de l’entreprise; (admis)

 

g)                 en tout temps pertinent, la Société avait sa place d’affaires au 132, rue Giroux à Loretteville, Québec; (admis)

 

h)                 la Société était située à l’extérieur d’une réserve indienne et ses activités étaient exercées à l’extérieur de celle‑ci; (admis)

 

i)                   au cours des années d’imposition 1999 et 2000, l’appelant a reçu de la Société des sommes de 47 000 $ et de 62 000 $ respectivement qualifiées à titre d’honoraires; (admis)

 

j)                   en tout temps pertinent, l’appelant n’a pas travaillé sur la réserve indienne du village Huron pour gagner ces sommes; (nié)

 

k)                 si l’appelant a travaillé pour gagner ces sommes, celui-ci a travaillé à la place d’affaire de la Société, soit à l’extérieur de la réserve; (nié)

 

l)                   l’appelant n’a pas déclaré ces montants dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 1999 et 2000; (admis)

 

Avantage reçu de la Société relatif à l’acquisition des actions

 

m)              les 13 et 21 octobre 1999, des versements de 320 000 $ US et de 380 000 $ US pour l’acquisition des actions de la Société ont été faits à partir des fonds mêmes de la Société et comptabilisés dans ses livres à titre d’avances aux actionnaires; (admis)

 

n)                 des montants prêtés à l’appelant et à monsieur Gravil, la Société, au cours de son exercice financier se terminant le 2 octobre 2000, a, par une écriture comptable dans son Grand‑livre, viré un montant de 426 324 $ au poste frais courus à titre d’honoraires et un montant de 221 836 $ au poste honoraire consultation diminuant du même montant le solde du compte dû par les actionnaires, alors qu’aucun service n’avait été rendu par ceux-ci. Je souligne immédiatement que l’appelant a, au départ, admis cette allégation, à l’exception de la partie soulignée. En effet, l’appelant a au départ prétendu qu’il avait rendu à la société des services d’une valeur de 213 162 $. Pour appuyer son affirmation que des services avaient été rendus, l’appelant a déposé en preuve une facture d’honoraires (pièce A-3) de 213 162 $ qu’il avait fait parvenir à la société. Je souligne immédiatement que l’appelant a finalement admis lors de son témoignage[1] qu’il n’avait rendu aucun service à la société. Je note aussi de cette facture que les honoraires de 213 162 $ étaient liés à des services qui auraient été rendus relativement à l’achat des actions de la société par lui-même et monsieur Gravil. Je note aussi de cette facture est datée du 27 septembre 1999, donc avant l’acquisition des actions de la société.

 

o)                de ces montants virés par la société, la portion que l’appelant devait à celle‑ci était de 213 162 $ et 110 918 $, soit la moitié du montant prêté; (admis)

 

p)                au cours de l’année d’imposition 2000, la Société a donc payé pour le compte de l’appelant des dépenses personnelles, à savoir, les montants de 213 162 $ et 110 918 $ pour l’achat, par l’appelant, des actions de la Société; (nié)

 

Avances non remboursées

 

q)                selon les états financiers de la Société, au 2 octobre 2000, l’appelant s’était fait avancer par celle‑ci des fonds, pour un montant net et total de 75 000 $; (nié)

 

r)                  les prêts faits par la Société à l’appelant ne prévoyaient aucune modalité de remboursement; (nié)

 

s)                 au 2 octobre 2001, l’appelant n’avait pas remboursé le prêt de 75 000 $ à la Société; (nié)

 

Je souligne que l’appelant, bien qu’il ait nié au début ces trois allégations à l’égard des avances de 75 000 $ non remboursées, n’a soumis aucune preuve pour les réfuter. Je note que les états financiers de la société au 2 octobre 2000 (pièce I-8) font état d’une avance aux actionnaires non remboursée de 75 000 $. Je rappelle aussi que l’appelant était le seul actionnaire de la société au 2 octobre 2000.

 

          Sommes avancées et radiées

 

t)                   selon les états financiers de la Société, au 2 octobre 2000, celle-ci réclamait une perte sur mauvaise créance au montant de 225 000 $; (nié)

 

u)                 cette perte provenait d’avances qui avaient été accordées à l’appelant et monsieur Gravil au cours des années d’imposition 1999 et 2000; (nié)

 

v)                 du montant de la perte de 225 000 $, une somme de 136 430 $ représentait les avances qui avaient été accordées par la Société à monsieur Gravil au cours des années d’imposition 1999 et 2000; (nié)

 

w)               au cours de l’année d’imposition 2000, la Société a payé pour le compte de l’appelant des dépenses personnelles à savoir les montants de 88 570 $, soit le montant radié par la Société de 225 000 $ diminué du montant de 136 430 $ représentant les avances faites par la Société à monsieur Gravil; (nié).

 

Je souligne que l’appelant, bien qu’il ait nié au départ ces quatre allégations à l’égard des sommes avancées et radiées, n’a soumis aucune preuve pour démontrer que ces allégations étaient fausses en totalité ou en partie.

 

[8]              La première question en litige consiste à déterminer si le ministre était justifié d’ajouter 47 000 $ au revenu déclaré par l’appelant pour l’année d’imposition 1999 et 62 000 $ pour l’année d’imposition 2000 à titre de revenus non déclarés. Je note immédiatement que l’appelant a soutenu que ses honoraires de 47 000 $ et de 62 000 $ reçus de la société étaient des biens meubles situés sur une réserve, au sens de l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens, et que ces revenus étaient donc des revenus exonérés au sens de l’alinéa 81(1)a) de la Loi.

 

[9]              La deuxième question en litige consiste à déterminer si le ministre était justifié d’ajouter 213 162 $, 110 918 $ et 88 570 $ au revenu déclaré par l’appelant pour son année d’imposition 2000 à titre d’avantages à l’actionnaire conformément aux dispositions du paragraphe 15(1) de la Loi. La position de l’appelant à cet égard est aussi que ces revenus étaient des biens meubles situés sur une réserve, au sens de l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens, et que ces revenus étaient donc exonérés au sens de l’alinéa 81(1)a) de la Loi.

 

[10]         La troisième question en litige consiste à déterminer si le ministre était justifié d’ajouter 75 000 $ au revenu de l’appelant pour son année d’imposition 2000 à titre d’avances non remboursées à l’actionnaire conformément aux dispositions du paragraphe 15(2) de la Loi. Encore une fois, l’appelant a soutenu que ce revenu de 75 000 $ était un bien meuble situé sur une réserve au sens de l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens et que ces revenus étaient donc exonérés au sens de l’alinéa 81(1)a) de la Loi.

 

Analyse et conclusion

 

L’exonération fiscale en vertu de l’article 87 de la Loi sur les Indiens

 

[11]         La disposition pertinente pour résoudre la question de l’exonération des revenus de consultation de l’appelant et des sommes que le ministre veut ajouter aux revenus déclarés de l’appelant conformément aux dispositions de l’article 15 de la Loi se trouve à l’alinéa 81(1)a) de la Loi, qui édicte :

 

81(1) Sommes à exclure du revenu -- Ne sont pas inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition :

 

a) Exemptions prévues par une autre loi -- une somme exonérée de l'impôt sur le revenu par toute autre loi fédérale, autre qu'un montant reçu ou à recevoir par un particulier qui est exonéré en vertu d'une disposition d'une convention ou d'un accord fiscal conclu avec un autre pays et qui a force de loi au Canada;

 

[Je souligne.]

 

[12]         La disposition pertinente de l'autre loi est ici l'article 87 de la Loi sur les Indiens, qui édicte :

 

87     (1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation :

 

a)         le droit d'un Indien ou d'une bande sur une réserve ou des terres cédées;

 

b)         les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve.

 

(2) Nul Indien ou bande n'est assujetti à une taxation concernant la propriété, l'occupation, la possession ou l'usage d'un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l'un de ces biens.

 

(3) Aucun impôt sur les successions, taxe d'héritage ou droit de succession n'est exigible à la mort d'un Indien en ce qui concerne un bien de cette nature ou la succession visant un tel bien, si ce dernier est transmis à un Indien, et il ne sera tenu compte d'aucun bien de cette nature en déterminant le droit payable, en vertu de la Loi fédérale sur les droits successoraux, chapitre 89 des Statuts revisés du Canada de 1952, ou l'impôt payable, en vertu de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès, chapitre E-9 des Statuts révisés du Canada de 1970, sur d'autres biens transmis à un Indien ou à l'égard de ces autres biens.

 

[Je souligne.]

 

 

 

[13]         Depuis la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, le revenu gagné par un autochtone peut être considéré comme un bien meuble d'un Indien aux fins de l'article 87 de la Loi sur les Indiens. Reste à déterminer si le revenu en cause ici était situé sur une réserve au sens de la Loi sur les Indiens. L'arrêt clé en la matière est une autre décision de la Cour suprême du Canada : Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877. C'est dans cet arrêt que la Cour suprême a élaboré l'approche que doivent suivre les tribunaux pour déterminer le situs des biens d'un Indien. En particulier, le juge Gonthier s'est fondé sur l'analyse en profondeur effectuée par le juge La Forest dans l'arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85. Dans cet arrêt, le juge La Forest a défini l'objet des articles 87 et 89 de la Loi sur les Indiens, comme le faisait remarquer le juge Gonthier à la page 885 de Williams:

 

[...] ces articles visent à préserver les droits des Indiens sur leurs terres réservées et à assurer que la capacité des gouvernements d'imposer des taxes, ou celle des créanciers de saisir, ne porte pas atteinte à l'utilisation de leurs biens situés sur leurs terres réservées. La conséquence de cette conclusion était que les articles en question ne visent pas à conférer un avantage économique général aux Indiens (aux pp. 130 et 131) [...]

 

[Je souligne.]

 

 

[14]         À la page 887 de l'arrêt Williams, le juge Gonthier ajoutait :

 

En conséquence, en vertu de la Loi sur les Indiens, un Indien jouit d'un choix en ce qui concerne ses biens personnels. L'Indien peut situer ces biens sur la réserve, auquel cas les biens sont protégés contre la saisie et la taxation, ou il peut les situer hors de la réserve, auquel cas les biens sont situés à l'extérieur de la zone protégée et peuvent davantage être utilisés dans le cours des opérations commerciales ordinaires dans la société. Il appartient à l'Indien de décider s'il désire bénéficier du système de protection que constitue la réserve ou s'il veut s'intégrer davantage dans l'ensemble du monde des affaires.

 

Le critère du situs, à l'art. 87, a pour objet de déterminer si l'Indien détient les biens en question en vertu des droits qu'il possède à titre d'Indien sur la réserve. Lorsqu'il est nécessaire de choisir entre diverses méthodes de détermination de l'emplacement des biens pertinents, le choix doit se faire en tenant compte de cet objet.

 

[Je souligne.]

 

 

[15]         Le juge Gonthier, aux pages 890 et 891, a conclu de la façon suivante en ce qui a trait à la méthode qu'il devait appliquer pour déterminer le situs de prestations d'assurance-chômage :

 

En répondant à cette question, il est évident qu'il serait complètement contraire à l'économie et aux objets de la Loi sur les Indiens et de la Loi de l'impôt sur le revenu d'adopter simplement les principes généraux du droit international privé dans le présent contexte. En effet, les objets du droit international privé ont peu sinon rien en commun avec ceux qui sous-tendent la Loi sur les Indiens. On ne voit pas en quoi le lieu d'exécution normal d'une dette est pertinent pour décider si l'imposition de la réception du paiement de la dette représenterait une atteinte aux droits détenus par un Indien à titre d'Indien sur une réserve. Le critère du situs en vertu de la Loi sur les Indiens doit être interprété conformément aux objets de cette loi et non à ceux du droit international privé. En conséquence, il faut réexaminer attentivement, en fonction des objets de la Loi sur les Indiens, si l'on doit retenir la résidence du débiteur comme facteur exclusif pour déterminer le situs de prestations comme celles qui ont été versées en l'espèce. Il se peut que la résidence du débiteur demeure un facteur important, voire même le seul. Toutefois, on ne peut arriver directement à cette conclusion à partir d'une analyse de la façon dont le droit international privé tranche cette question.

 

[Je souligne.]

 

 

[16]         Finalement, le juge Gonthier a établi la démarche suivante aux pages 892 et 893 :

 

[...] Il faut d'abord identifier les divers facteurs de rattachement qui peuvent être pertinents. On doit ensuite analyser ces facteurs pour déterminer le poids à leur accorder afin d'identifier l'emplacement du bien, en tenant compte de trois choses : (1) l'objet de l'exemption prévue dans la Loi sur les Indiens, (2) le genre de bien en cause et (3) la nature de l'imposition de ce bien. Il s'agit donc de déterminer, relativement à chaque facteur de rattachement, le poids qui devrait lui être accordé pour décider si l'imposition en cause de ce type de bien représenterait une atteinte aux droits de l'Indien à titre d'Indien sur une réserve.

 

[Je souligne.]

 

 

[17]         Notons de plus que la Cour d'appel fédérale a eu, à plusieurs reprises, l'occasion d'analyser le situs du revenu tiré d'une entreprise, notamment dans les arrêts Southwind c. Canada, no A-760-95, 14 janvier 1998, [1998] A.C.F. no 15 (QL), 98 DTC 6084, et Bell c. Canada, no  A-527-98, 18 mai 2000, [2000] A.C.F. no 680 (QL). Dans Southwind, le procureur de la Couronne avait suggéré les facteurs suivants pour décider si les revenus d'une entreprise étaient situés sur une réserve : (1) le lieu où se déroulaient les activités de l'entreprise, (2) le lieu où se situaient les clients (débiteurs) de l'entreprise, (3) le lieu où étaient prises les décisions touchant l'entreprise, (4) le type d'entreprise et la nature du travail, (5) le lieu du paiement, (6) la mesure dans laquelle l'entreprise participait au commerce général, (7) le lieu de l'établissement stable de l'entreprise et le lieu où étaient conservés les livres et registres, et (8) la résidence du propriétaire de l'entreprise.

 

[18]         Au paragraphe 14 de cette décision, le juge Linden exprime l'opinion suivante :

 

14   Selon l'opinion exprimée par la Cour suprême dans l'affaire Mitchell, lorsqu'un Indien participe au « commerce général », il doit être assujetti aux mêmes conditions que les autres Canadiens auxquels il fait concurrence. Bien que la signification de cette expression ne soit pas claire du tout, il ne fait aucun doute qu'elle vise à distinguer les activités commerciales des Autochtones qui traitent avec des personnes situées principalement à l'extérieur de la réserve, plutôt que sur la réserve. Elle a pour but d'isoler les activités commerciales dont profite un Autochtone en particulier plutôt que l'ensemble de sa communauté, bien qu'il soit évidemment reconnu, comme l'a affirmé Me Nadjiwan, que la collectivité tire profit du fait qu'une personne assure la subsistance de sa famille.

 

[Je souligne.]

 

 

[19]         À mon avis, les facteurs énumérés dans la décision Southwind sont tout à fait pertinents pour déterminer si les revenus de consultation de l’appelant de 47 000 $ et de 62 000 $ pour les années d’imposition 1999 et 2000 respectivement étaient des revenus exonérés au sens de l’alinéa 81(1)a) de la Loi. Toutefois, je vais analyser individuellement seulement les critères suivants, la preuve étant muette à l’égard des autres critères :

 

                               i)            le lieu où se déroulaient les activités de l’entreprise;

 

                             ii)            le lieu où étaient situés les clients de l’entreprise.

 

Le lieu où se déroulaient les activités de l’entreprise

 

[20]         L’appelant possédait un bureau sur la réserve et une ligne de téléphone utilisée uniquement pour son entreprise de consultation.

 

[21]         Il n’y a pas de doute que l’appelant devait exercer une partie de ses activités de consultation sur la réserve indienne. En effet, l’appelant possédait un bureau sur la réserve et une ligne téléphonique distincte. Je souligne par ailleurs que le témoignage de l’appelant était tout à fait muet à l’égard des activités de son entreprise pendant la période pertinente autres que les activités liées aux services rendus à la société pendant cette période. S’il fallait appliquer strictement le critère de l’endroit où s’exerçaient les activités de l’entreprise, il n’y aurait pas de doute que le revenu de l’entreprise pourrait avoir été situé sur la réserve. Toutefois, deux commentaires s’imposent. Tout d’abord, ce critère n’est pas le critère déterminant, puisqu’on doit en soupeser l’importance en fonction de l’objet de la Loi, c’est‑à‑dire qu’il faut déterminer si l’autochtone détient les biens en question en vertu des droits qu’il possède à titre d’Indien sur une réserve. Deuxièmement, peu d’éléments démontrent le caractère permanent et important de cet établissement pendant la période pertinente.

 

Le lieu où étaient situés les clients de l’entreprise

 

[22]         En l’espèce, il ressort de la preuve que le seul client desservi par l’appelant pendant la période pertinente, en l’espèce la société, était situé hors de la réserve.

 

Le type d’entreprise et la nature du travail

 

[23]         La preuve a révélé[2] que l’appelant avait un bureau au siège social de la société et qu’il y travaillait tous les jours ouvrables, et ce, au minimum huit heures par jour. La preuve a aussi révélé qu’il occupait le poste de directeur général et qu’à ce titre il s’occupait particulièrement du financement de la société, des comptes fournisseurs de la société et des rapports avec ses fournisseurs. Enfin, la preuve a révélé que les sommes de 47 000 $ et de 62 000 $ ont été versées par la société à l’appelant en paiement de services qu’il avait ainsi rendus à cette dernière.

 

[24]         Le fait que la société soit située à l’extérieur de la réserve est important en l’espèce parce que la société a été le seul client de l’appelant pendant la période pertinente et son seul débiteur. De plus, tous les services fournis par l’appelant l’ont été à l’extérieur de la réserve, ce qui constitue un autre élément important en l’espèce. Ces deux éléments m’apparaissent en l’espèce plus importants que le fait que l’appelant ait eu un établissement sur la réserve pendant la période pertinente. Pour ces motifs, j’en viens à la conclusion que l’appelant ne détenait aucun bien à titre d’Indien sur une réserve et que ses revenus de consultation étaient assujettis à la Loi.

 

[25]         À l’égard des sommes que le ministre veut ajouter aux revenus déclarés de l’appelant en vertu de l’article 15 de la Loi, il faut d’abord déterminer la nature de ce revenu. Il convient d’abord de souligner que l’article 15 de la Loi se trouve dans la sous-section b de la section B de la Partie I de la Loi, qui traite du revenu tiré de biens ou d’une entreprise d’un contribuable. De plus, l’article 15 de la Loi vise à ce qu’un actionnaire paie de l’impôt sur toute distribution déguisée de la richesse accumulée de la société dont il est un actionnaire. En quelque sorte, le revenu sur lequel un actionnaire doit payer de l’impôt en vertu de l’article 15 de la Loi pourrait être qualifié de revenu tiré de biens ou de revenu passif tiré d’une société. Étant un revenu passif, ce revenu n’est pas produit par le travail individuel du contribuable. Donc, il faut accorder beaucoup d’importance à la façon dont ce revenu passif (distribué par voie de prêt à l’appelant) a été produit. En l’espèce, le revenu passif qui a été distribué indirectement à l’appelant a été généré par une société dont l’usine et le siège social étaient situés hors de la réserve et dont les clients étaient tous hors de la réserve. La société n’avait aucun autre lien avec la réserve, si ce n’est que ses actionnaires et dirigeants résidaient sur une réserve indienne, ce qui n’est pas suffisant, à mon avis, pour conclure que ces revenus sont comme un bien meuble situé sur une réserve et, par conséquent, exonérés d’impôt.

 

[26]         Pour ces motifs, l’appel est rejeté avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour d’octobre 2008.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard


RÉFÉRENCE :                                  2008 CCI 506

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2006-1070(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              GUY PICARD ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 10 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 7 octobre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

 

L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Michel Lamarre

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                           

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]               Voir les notes sténographiques aux pages 36, 42 et 53.

[2]               Voir les notes sténographiques aux pages 210 et 211.

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