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Dossier : 2006-1682(IT)I

ENTRE :

SHERRY LEE CRONE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 13 juin 2008, à Ottawa (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Réal Favreau

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

 

L’appelante elle‑même

Avocate de l’intimée :

Me Sara Chaudhary

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie à l’égard de l’appelante en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2000 est rejeté, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour d’octobre 2008.

 

 

« Réal Favreau »

Juge Favreau

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de décembre 2008.

Alya Kaddour‑Lord, traductrice


 

 

 

Référence : 2008CCI567

Date : 20081016

Dossier : 2006-1682(IT)I

ENTRE :

SHERRY LEE CRONE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Favreau

 

[1]              En l’espèce, la seule question à trancher est de savoir si le ministre du Revenu national (le « ministre ») a eu raison d’inclure dans le calcul du revenu de l’appelante pour l’année d’imposition 2000 les paiements s’élevant à 3 997 $ que l’ex‑mari de l’appelante, David Crone, a versés à celle‑ci pour pourvoir aux frais extraordinaires liés aux enfants, et ce, conformément aux termes d’un accord de séparation daté du 27 mai 1993 (l’« accord »).

 

[2]              Dans sa déclaration de revenu pour l’année d’imposition 2000, l’appelante a inclus des paiements de pension alimentaire de 32 740,94 $ dans le calcul de son revenu, mais pas les paiements relatifs aux frais extraordinaires liés aux enfants s’élevant à 3 997 $. Un avis de cotisation, daté du 17 août 2001, a d’abord été établi à l’égard de l’appelante pour l’année d’imposition 2000; il a par la suite été remplacé par un avis de nouvelle cotisation daté du 16 août 2004. Dans la nouvelle cotisation, le ministre a inclus dans le calcul du revenu de l’appelante une pension alimentaire supplémentaire de 3 997 $.

 

[3]              Lorsqu’il a établi la nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante pour l’année d’imposition 2000, et ratifié cette nouvelle cotisation, le ministre s’est appuyé sur les hypothèses de fait suivantes, énoncées au paragraphe 8 de la réponse à l’avis d’appel :

 

[traduction]

 

a)      l’appelante et son ex‑mari, David Crone, ont deux enfants issus de leur mariage : Robert, né le 18 décembre 1983, et Jordan, né le 10 juin 1986 (admise);

b)      l’appelante et David Crone ont commencé à vivre séparés le 26 juillet 1992 à la suite de la rupture de leur mariage; le domicile de l’appelante était la résidence principale des enfants (admise);

c)      selon les termes de l’accord, M. Crone devait payer à l’appelante une pension alimentaire pour enfants périodique de 1 200 $ par mois par enfant (ce montant devant être indexé) pendant toute l’année d’imposition 2000; M. Crone était censé pouvoir déduire de son revenu la pension payée, qui devait être incluse dans le calcul du revenu de l’appelante (admise);

d)      toujours selon les termes de l’accord, l’appelante et M. Crone devaient participer aux frais extraordinaires liés aux enfants, et M. Crone devait payer 333 $ par mois, pour chacun des deux enfants, à ce titre, ces paiements devant être considérés comme des allocations périodiques au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu (admise);

e)      l’accord ne stipule pas que les paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch.1 (5e suppl.) (la « Loi »), doivent s’appliquer aux frais extraordinaires liés aux enfants (ignorée);

f)       l’appelante pouvait utiliser les montants dont il est question à l’alinéa 8d) et qui s’élevaient à 3 997 $ au total à sa discrétion, et ce, même si elle devait transmettre à l’appelant [sic] un budget prévisionnel pour chaque année, et qu’elle devait soumettre, à la fin de chaque année, les reçus et les factures justifiant les dépenses effectuées (niée en ces termes parce que l’appelante prétend qu’elle ne pouvait pas utiliser les montants reçus à sa discrétion; admise en ce qui concerne l’autre partie de l’alinéa);

g)      M. Crone a versé à l’appelante la somme de 36 737 $ à titre de pension alimentaire pour enfants pendant l’année d’imposition 2000, soit le montant mentionné à l’alinéa 8c) ci‑dessus, plus les 3 997 $ représentant les frais extraordinaires liés aux enfants, l’ensemble de ces montants devant être inclus dans le calcul du revenu de l’appelante (niée en ce qui concerne l’inclusion du montant de 3 997 $).

 

[4]              Le paragraphe 9 de l’accord, qui est le passage pertinent portant sur les frais extraordinaires, prévoit ce qui suit :

 

[traduction]

 

(1)    Les parties participeront aux frais extraordinaires liés aux enfants, tels que les frais de scolarité de l’école privée, le camp d’été, les activités extrascolaires, les voyages scolaires, les cours de piano et les autres frais divers, et ce, dans la mesure où leur situation financière respective et celle de la fiducie au profit des enfants le permettront.

 

(2)    Le premier jour du mois de mai 1993, et ensuite le premier jour de chaque mois subséquent, le mari versera la somme de 333 $ par mois pour les deux enfants, et les paiements ainsi versés seront considérés comme des allocations périodiques au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu. Les parties se rencontreront sur une base annuelle afin d’examiner un budget prévisionnel que l’épouse aura préparé, et qui fera état de la façon dont elle prévoit dépenser l’argent payable en vertu du présent alinéa. Chaque année, l’épouse devra rendre compte de ses dépenses, et l’argent payable en vertu du présent alinéa qu’elle n’aura pas dépensé au cours de l’année où il lui aura été versé sera déduit des paiements dus par le mari l’année suivante.

 

[5]              Le paragraphe 9 susmentionné n’indique en aucune façon que le mari pourrait déduire les paiements en question dans le calcul de son revenu, ni que ces mêmes paiements devraient être inclus dans le revenu de l’appelante, si ce n’est la référence au fait que les paiements destinés aux enfants seront considérés comme des allocations périodiques au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), dans sa version modifiée (la « Loi »).

 

[6]              Les montants payables à titre de pension alimentaire doivent être inclus dans le calcul du revenu du bénéficiaire en vertu de l’alinéa 56(1)b) de la Loi, qui est ainsi libellé :

 

Pension alimentaire le total des montants représentant chacun le résultat du calcul suivant :

A - (B + C)

où :

 

A      représente le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a reçue après 1996 et avant la fin de l’année d’une personne donnée dont il vivait séparé au moment de la réception de la pension,

B       le total des montants représentant chacun une pension alimentaire pour enfants que la personne donnée était tenue de verser au contribuable aux termes d’un accord ou d’une ordonnance à la date d’exécution ou postérieurement et avant la fin de l’année relativement à une période ayant commencé à cette date ou postérieurement,

C      le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a reçue de la personne donnée après 1996 et qu’il a incluse dans son revenu pour une année d’imposition antérieure;

 

[7]              Les définitions de « pension alimentaire pour enfants » et de « pension alimentaire » aux fins de l’article 56 de la Loi se trouvent au paragraphe 56.1(4); elles sont ainsi rédigées :

 

« pension alimentaire pour enfants » pension alimentaire qui, d’après l’accord ou l’ordonnance aux termes duquel elle est à recevoir, n’est pas destinée uniquement à subvenir aux besoins d’un bénéficiaire qui est soit l’époux ou le conjoint de fait ou l’ex-époux ou l’ancien conjoint de fait du payeur, soit le parent, père ou mère, d’un enfant dont le payeur est légalement l’autre parent.

 

« pension alimentaire » Montant payable ou à recevoir à titre d’allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d’enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

 

a)   le bénéficiaire est l’époux ou le conjoint de fait ou l’ex-époux ou l’ancien conjoint de fait du payeur et vit séparé de celui-ci pour cause d’échec de leur mariage ou union de fait et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent ou d’un accord écrit;

 

b)   le payeur est légalement le père ou la mère d’un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d’une province.

                                                                                                                                                [Non souligné dans l’original.]

 

[8]              En ce qui concerne les montants versés pour payer les frais extraordinaires, l’appelante est d’avis qu’elle n’avait pas à les inclure dans son revenu parce qu’elle ne pouvait pas utiliser ces sommes à sa discrétion. Dans son avis d’opposition, daté du 8 février 2005, l’appelante a décrit de la manière suivante les limites qui lui étaient imposées quant à la manière dont elle pouvait utiliser cet argent :

 

[traduction]

 

Toutefois, avant que son comptable n’envoie ces chèques, je devais soumettre un budget prévisionnel indiquant comment je prévoyais dépenser l’argent. Ce n’est qu’une fois que ce budget était approuvé que je recevais les paiements. Chaque année, avant que quelque paiement que ce soit ne puisse m’être versé pour l’année suivante, je devais également présenter un document comptable et des reçus expliquant chaque cent que j’avais dépensé. Un autre budget, prévoyant les dépenses qui seraient engagées l’année suivante, accompagnait ces reçus. Je ne pouvais utiliser les fonds à ma discrétion. David devait approuver ces dépenses. C’est le comptable de David qui reçoit les rapports, les reçus et les budgets, année après année. Je devais lui envoyer ces documents avant de pouvoir obtenir les paiements de pension alimentaire.

[9]              L’appelante a témoigné à l’audience, et le seul document qu’elle a déposé en preuve était un document manuscrit intitulé [traduction] « Dépenses additionnelles pour les activités extrascolaires de Robert et Jordan Crone, 2000/2001 » auquel étaient jointes des notes manuscrites indiquant le montant des dépenses engagées en 1999/2000, les dates auxquelles ces dépenses avaient été effectuées, ainsi qu’une description générale des dépenses en question. Aucun budget n’a été présenté, mais l’appelante a déclaré que le budget qu’elle soumettait annuellement comportait uniquement des rubriques générales telles que [traduction] « activités scolaires », « activités extrascolaires », « goûters d’anniversaire » et « faux frais ». Elle a ajouté que son ex-mari ne donnait pas son accord préalable aux budgets étant donné qu’il la dirigeait vers son comptable. Elle a souligné que la seule discussion qu’elle avait eue avec son mari au sujet des budgets s’était tenue l’année suivant la signature de l’accord. L’appelante a également confirmé qu’aucun rapprochement n’était effectué entre les dépenses engagées au cours d’une année donnée et le budget soumis pour cette même année. Elle a également reconnu qu’elle pouvait décider du type de dépenses à engager au profit des enfants.

 

[10]         L’intimée est d’avis que les frais extraordinaires liés aux enfants doivent être inclus dans le revenu du bénéficiaire de la pension en vertu de l’alinéa 56(1)b) de la Loi étant donné que l’appelante pouvait utiliser à sa discrétion les allocations périodiques qui lui étaient versées pour subvenir aux besoins de ses enfants, et que ces dépenses sont par conséquent visées par les définitions de « pension alimentaire » et de « pension alimentaire pour enfants » du paragraphe 56.1(4) de la Loi. L’avocate de l’intimée s’est appuyée sur les causes suivantes :

 

-    Canada c. Pascoe, [1976] 1 C.F. 372 (Cour d’appel fédérale);

-    Gagnon v. The Queen, 86 DTC 6179 (Cour suprême du Canada);

-    Serra v. Canada, 98 DTC 6602 (Cour d’appel fédérale), Hamer v. Her Majesty the Queen, 97 DTC 1273 (Cour canadienne de l’impôt);

-    Assaf c. Sa Majesté la Reine, [1992] A.C.I. n° 46.

 

[11]         L’arrêt Serra est particulièrement pertinent parce que les appelantes contestaient l’inclusion dans leur revenu des paiements de pension alimentaire destinés uniquement à subvenir aux besoins de leurs enfants. Le juge Dussault, qui ne s’est pas rangé à l’avis des appelantes, a formulé les commentaires suivants, au paragraphe 21 du jugement qu’il a rendu :

 

Seules les appelantes pouvaient contrôler l'utilisation des sommes qu'elles ont reçues, décider de leur affectation en fonction des besoins des enfants, établir les priorités et juger de l'importance des sommes à consacrer à chaque type de dépenses. Comme les appelantes possédaient ce pouvoir de contrôler l'utilisation des sommes reçues et qu'elles ont effectivement exercé ce pouvoir on ne peut que conclure qu'elles pouvaient alors utiliser les sommes reçues à leur discrétion et, partant, que celles qu'elles ont reçues constituent des allocations au sens du paragraphe 56(12) aux fins de l'application des alinéas 56(1)b), c), ou c.1) de la Loi. Comme telles, ces allocations doivent être incluses dans leur revenu respectif. Qui plus est, le contrôle sur les sommes reçues et leur pouvoir d'en disposer leur conférerait aussi, à mon avis, le caractère de revenu entre leurs mains selon les principes dégagés dans les affaires Sura et Poynton si tant est que l'on voudrait ajouter cette exigence au libellé clair du paragraphe 56(1) qui prescrit de façon spécifique et non équivoque l'inclusion dans le revenu des pensions et allocations reçues dans les circonstances décrites aux alinéas b), c) et c.1) de ce paragraphe. Qui plus est, la simple possibilité d'une reddition de compte ou d'un contrôle a posteriori ne change rien à la situation.

 

[12]         En l’espèce, l’appelante avait la garde des deux enfants, et elle seule décidait comment dépenser l’argent qu’elle recevait. Son ex‑mari n’avait pas voix au chapitre des dépenses et il n’a été consulté en aucune manière. La seule restriction imposée à l’appelante était que l’argent devait être dépensé au profit des enfants, et l’obligation de présenter des compte rendus au comptable de son ex‑mari devait simplement permettre à ce dernier de s’assurer que tel était le cas.

 

[13]         Par conséquent, l’appel est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour d’octobre 2008.

 

 

 

« Réal Favreau »

Juge Favreau

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de décembre 2008.

Alya Kaddour‑Lord, traductrice


 

RÉFÉRENCE :                                  2008CCI567

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2006-1682(IT)I

 

INTITULÉ :                                       Sherry Lee Crone et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 13 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Réal Favreau

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 16 octobre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

 

Avocate de l’intimée :

Me Sara Chaudhary

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                        Nom :                       

                    Cabinet :

 

           Pour l’intimée :                        John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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