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Dossier : 2006-1806(IT)G

ENTRE :

GROUPE TVA INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appels entendus le 22 octobre 2007, à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Dominic C. Belley

 

 

Avocat de l'intimée :

Me Martin Gentile

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1995 et 1996 sont accueillis avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour d’octobre 2008.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard


 

 

 

Référence : 2008 CCI 509

Date : 20081024

Dossier : 2006-1806(IT)G

ENTRE :

GROUPE TVA INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Bédard

 

[1]              L'appelante interjette appel sous le régime de la procédure générale, à l'encontre de nouvelles cotisations établies le 26 mai 2000 à son endroit par l'Agence des douanes et du revenu du Canada (« ARC »), pour ses années d'imposition 1995 et 1996, dont les avis portent les numéros 7002038[1] et 7002041[2].

 

[2]              Les nouvelles cotisations ont été ratifiées par le ministre du Revenu national (le « ministre ») par avis de ratification[3] daté du 21 mars 2006.

 

[3]              Au soutien des nouvelles cotisations, le ministre invoque les articles 3, 9, 18, 38, 39 et 50 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C., c. 1 (5e supplément) (la « Loi »), pour refuser les déductions demandées par l'appelante au montant de 5 868 431 $ et 1 248 707 $ pour les années d'imposition 1995 et 1996, respectivement, au motif que ces montants constituaient des dépenses de nature capitale et des pertes au titre d’un placement d'entreprise (les « sommes litigieuses »).

 

[4]              Les sommes ont été payées par l'appelante à la suite d'un jugement[4] de la Cour d'appel du Québec daté du 19 mai 1995 (jugement rectificatif daté du 18 septembre 1995) ordonnant à l'appelante de payer ces sommes à la Banque Nationale du Canada en conformité d'un cautionnement consenti le 8 février 1982[5] par les sociétés antérieures à l'appelante dans le cadre de l'exploitation de l'entreprise de celle-ci.

 

 

Liste d’admissions des parties

 

[5]              Les parties ont convenu de la liste d'admissions suivante[6] que je reproduis ici intégralement :

 

i)        L'appelante, Groupe TVA inc., est une importante entreprise canadienne oeuvrant, entre autres, dans le domaine de la télévision et de la réalisation et de la diffusion d'émissions de divertissement et d'intérêt général;

                   - Avis d'appel, par. 4

                        - Réponse à l'avis d'appel, par. 4

 

ii)       L'appelante a succédé à Télé-Métrople inc. et à Télé‑Métropole International inc.;

                        - Avis d'appel, par. 4

                        - Réponse à l'avis d'appel, par. 4

 

iii)      Télé-Métropole International inc. était, aux époques pertinentes, une filiale à part entière de Télé‑Métropole inc, dont le mandat de recherche et de développement consistait à offrir les services techniques du groupe de sociétés à des producteurs indépendants, dans la mesure de la capacité de son marché;

                   - Avis d'appel, par. 6

                        - Réponse à l'avis d'appel, par. 4

 

 

iv)      Sonolab inc. était, aux époques pertinentes, une filiale à part entière de Télé‑Métropole inc., et fournissait des services techniques dans le cadre de productions télévisuelles et cinématographiques;

                   - Avis d'appel, par. 5

                        - Réponse à l'avis d'appel, par. 4

 

v)       Aux époques pertinentes, les services de Sonolab ont été retenus pour l'exécution de travaux de nature technique requis pour la production d'un film intitulé « The Neighbour »;

                   - Avis d'appel, par. 9

                        - Réponse à l'avis d'appel, par. 7

 

vi)      Le film était produit par les Films du Neighbour inc., une filiale de Les Productions Claude Léger inc.;

                   - Réponse à l'avis d'appel, alinéas 12 c) et d)

 

vii)     Le financement du film, en raison de nombreux problèmes, s'est avéré difficile;

                   - Avis d'appel, par. 10

                        - Réponse à l'avis d'appel, par. 7

 

viii)    Le 4 janvier 1982, Les Productions Claude Léger inc. obtenait une lettre de crédit au montant de 3 150 000 $ auprès de la Banque Albert de Bary and Co. N.V. (Pays‑Bas), à certaines conditions;

                   - Pièce A‑1

 

ix)      Toutefois, en raison des difficultés financières éprouvées par Les Films du Neighbour inc. à produire le film, la Banque Mercantile du Canada a, quant à elle, exigé des garanties afin de donner le financement requis;

                   - Réponse à l'avis d'appel, alinéa 12 c)

 

x)       Le 4 février 1982, une entente est intervenue entre Télé-Métropole International inc., Les Films du Neighbour inc et les Productions Claude Léger inc., en vertu de laquelle Télé‑Métropole International inc. a accepté d'émettre un cautionnement envers la Banque Mercantile du Canada en rapport avec la production du film, à certaines conditions;

                        - Réponse à l'avis d'appel, alinéa 12 d)

 

xi)      L'entente signée par les parties le 4 février 1982 mentionne, entre autres, que Télé‑Métropole International inc. a reçu les éléments suivants en échange de son cautionnement :

 

a)       Honoraires de 50 000 $;

 

b)      Règlement de toutes les dettes dues à Télé‑Métropole inc. et à ses sociétés affiliées;

 

c)       Engagement de continuer à utiliser les services de Télé‑Métropole International inc. et de ses sociétés affiliées pour la production du film;

 

d)      Avance de 200 000 $ sur les services à être rendus par Sonolab inc.;

 

e)       Participation de 12% à 34% au profit net du film (selon les circonstances); et

 

f)       Option d'achat du film (à certaines conditions)

                             - Avis d'appel, par. 12

                                    - Réponse à l'avis d'appel, par. 7 et alinéa 12 e)

                                    - Pièce A‑1, onglet 12

 

xii)     Télé‑Métropole inc. ou Télé‑Métropole International inc. n'a toutefois jamais levé l'option d'achat du film;

                   - Réponse à l'avis d'appel, alinéa 12 m)

 

xiii)    Le 8 février 1982, Télé‑Métropole International inc. a signé auprès de la Banque Mercantile du Canada un cautionnement maximum de 3 150 000 $, payable le 1er mars 1983;

                   - Avis d'appel, par. 11

                        - Réponse à l'avis d'appel, par. 7 et alinéa 12 f)

                        - Pièce A‑1, onglet 16

 

xiv)    Le 8 février 1982, Télé‑Métropole inc. s'est engagée à répondre à toute obligation et engagement de Télé‑Métropole International inc. envers la Banque Mercantile du Canada pour un montant de 3 150 000 $;

                   - Réponse à l'avis d'appel, alinéa 12 g)

                        - Pièce A‑1, onglet 17

 

 

xv)     De façon contemporaine, la Banque Mercantile du Canada a octroyé à Les Films du Neighbour inc. un prêt au montant de 3 150 000 $, assorti de modalités;

                   - Pièce A‑1, onglet 15

 

xvi)    En 1983, la Banque Mercantile du Canada n'a pas récupéré l'ensemble de son prêt de Les Films du Neighbour inc. et a exigé que Télé‑Métropole inc. ou Télé‑Métropole International inc. honore la garantie accordée aux termes de l'acte de cautionnement;

                   - Avis d'appel, par. 13

                        - Réponse à l'avis d'appel, par. 7 et alinéa 12 i)

                        - Pièce A‑1, onglet 19

 

xvii)   Télé‑Métropole inc. et Télé‑Métropole International inc. ont refusé de payer;

                   - Réponse à l'avis d'appel, alinéa 12 i)

 

xviii)  Par jugement de la Cour supérieure du Québec, daté du 29 mai 1989, puis de la Cour d'appel du Québec, daté du 19 mai 1995 (jugement rectificatif : 18 septembre 1995), Télé‑Métropole inc. et Télé‑Métropole International inc. ont été obligés de remédier en payant à la Banque Nationale du Canada (demanderesse en reprise d'instance de la Banque Mercantile du Canada) des montants de 5 868 431 $ en 1995 et de 1 248 707 $ en 1996;

                   - Avis d'appel, par. 14

                        - Réponse à l'avis d'appel, par. 7 et alinéas 12 j) et k)

                        - Pièce A‑1, onglets 25 et 26

 

xix)    Les sommes ont été versées par Télé‑Métropole inc. et ont été déduites à titre de dépenses courantes, tant sur le plan fiscal que comptable;

                   - Avis d'appel, par. 15

                        - Pièce A‑1, onglets 1, 2, 20, 21, 23 et 24

 

xx)     Le 26 mai 2000, le ministre établissait deux (2) avis de nouvelle cotisation à l'encontre de l'appelante, cette dernière ayant succédé à Télé‑Métropole inc. et Télé‑Métropole International inc., pour les années d'imposition 1995 et 1996 et portant respectivement les numéros 7002038 et 7002041;

                   - Pièce A‑1, onglets 3 et 4

 

xxi)    Le 25 août 2000, l'appelant s'opposait aux dites cotisations;

                   - Avis d'appel, par. 17

                        - Réponse à l'avis d'appel, par. 10

                        - Pièce A‑1, onglets 5 et 6

 

xxii)   Le 21 septembre 2000, l'appelante modifiait ses avis d'opposition;

                   - Avis d'appel, par. 17

                        - Réponse à l'avis d'appel, par. 10

                        - Pièce A‑1, onglets 7 et 8

 

xxiii)  Le 21 mars 2006, le ministre ratifiait les cotisations, d'où le présent appel;

                        - Avis d'appel, par. 17

                        - Réponse à l'avis d'appel, par. 10

                        - Pièce A‑1, onglet 9

 

xxiv)  En cotisant, le ministre a reconnu que :

 

                   a)       Les sommes payées par Télé‑Métropole inc. l'avaient été dans le cadre de son entreprise et dans le but de gagner ou de produire un revenu;

 

                   b)                Les sommes représentaient des dépenses de nature capitale qui ne pouvaient être déduites à titre de dépenses courantes;

 

                   c)                Les sommes sont admissibles comme « pertes au titre d'un placement d'entreprise »;

                                    - Avis d'appel, par. 16

 

xxv)   La seule question en litige consiste à déterminer si, dans les circonstances, les dépenses effectuées par l'appelante en 1995 et en 1996, sont à titre de revenu, comme le soutient l'appelante, ou à titre de capital, comme le prétend l'intimée.

 

 

Témoignages

 

[6]              Monsieur André Fleury et monsieur Michel Éthier ont témoigné à l'appui de la position de l'appelante. Seul monsieur Denis Audet a témoigné à l'appui de la position de l'intimée.

 

Témoignage de monsieur André Fleury

 

[7]              Il ressort notamment du témoignage très crédible de monsieur André Fleury, un ingénieur en génie électronique aujourd’hui à la retraite, ce qui suit :

 

i)                   vers la fin des années 1960, monsieur Fleury avait constitué la société Sonolab inc. (« Sonolab ») dans le but d’acheter les actifs de la société Trans-World Film qui fournissait alors des services techniques, dont le doublage de films, dans le cadre de productions télévisuelles et cinématographiques. Les premiers actionnaires de Sonolab avaient été monsieur Fleury et monsieur DeSèves qui détenaient 60 % et 40 % des actions de cette dernière, respectivement. Monsieur DeSèves était alors le principal actionnaire de Télé‑Métropole inc. (« TM ») en plus d’en être son président-directeur-général;

 

ii)                 au début des années 1970, à la demande de monsieur DeSèves, toujours président et principal actionnaire de TM, monsieur Fleury avait conçu et supervisé l’assemblage pour cette dernière d’un studio de production et de post-production de films et de télé‑séries;

 

iii)               à la suite du décès de monsieur DeSèves, monsieur Roland Giguère avait été nommé président de TM. À la demande de monsieur Giguère, monsieur Fleury avait vendu en 1978 les actions qu’il détenait dans Sonolab et il était devenu chez TM la personne responsable des activités liées à la production et à la post-production de films et de télé‑séries et la personne responsable des ventes des services techniques aux producteurs indépendants;

 

iv)               à la suite des pressions exercées par le CRTC sur TM (dans le cadre du renouvellement de sa licence comme télédiffuseur) pour qu’elle participe au développement de l’industrie québécoise du cinéma, TM avait constitué en 1980 une filiale, en l’espèce Télé‑Métropole International inc. (« TMI »), dont le mandat de recherche et de développement consistait à offrir des services techniques du groupe TM à des producteurs indépendants, dans la mesure de la capacité de son marché. Monsieur Fleury a aussi expliqué que TMI agissait aussi à titre de co-producteur de films. Finalement, il a témoigné que TM devait constamment avancer des fonds à TMI, cette dernière n’étant pas financièrement auto‑suffisante;

 

v)                 les Productions Claude Léger inc. (« Les Productions Léger ») avait toujours été un bon client de TM et de ses filiales, et ce, bien avant la production du film « The Neighbour »;

 

vi)               TMI avait refusé dans un premier temps de participer au financement de film « The Neighbour ». Monsieur Fleury a expliqué que TMI refusait systématiquement d’investir dans les films produits par les producteurs québécois indépendants, compte tenu de la quasi‑absence de rentabilité des films québécois;

 

vii)             la production du film « The Neighbour » avait été interrompue en raison des difficultés financières éprouvées par Les Films Du Neighbour inc. (« Les Films Neighbour »). Au moment de l’interruption de la production du film, Les Films Neighbour devait, pour des services rendus, de 200 000 $ à 300 000 $ à TM et à ses filiales;

 

viii)           l’octroi du cautionnement par TM avait permis à la Films Neighbour de reprendre la production du film « The Neighbour »;

 

ix)               lors de la négociation du cautionnement, monsieur Fleury agissait à titre de dirigeant de TM, recevant ses instructions directement de monsieur Giguère son président-directeur-général, qui détenait le pouvoir non seulement sur TM mais aussi sur Sonolab et TMI. Autrement dit, TMI et Sonolab étaient dirigées par monsieur Giguère comme si elles avaient été des divisions de TM. À la suite des directives données par monsieur Giguère, monsieur Fleury devait en arriver à conclure un cautionnement de telle sorte que les entrées de fonds de diverses sources et activités de TM et ses filiales se poursuivent. Monsieur Fleury négociait donc au nom de chacune des entités du groupe TM comme un tout et ne faisait aucune distinction entre les revenus qui pourraient être générés par l’une ou l’autre d’entre elles individuellement. Pour utiliser l’expression de monsieur Fleury, tout était traité comme un « melting pot ». Autrement dit, monsieur Fleury devait s’assurer, lors de la négociation du cautionnement, que TM et ses filiales, comme un tout, ne perdent pas de revenus pour les travaux passés et futurs, au bénéfice de Les Films Neighbour et Les Productions Léger, cette dernière étant un client de longue date de TM et de ses filiales;

 

x)                 après avoir reçu l’assurance des conseillers juridiques de TM à l’effet que les risques financiers pour TMI et TM liés à l’octroi de leur cautionnement étaient à toutes fins pratiques inexistants et après avoir estimé que les cautionnements généraient directement et indirectement des entrées de fonds substantielles dans TM et ses filiales, monsieur Fleury avait recommandé à TM d’octroyer le cautionnement. À cet égard, monsieur Fleury a expliqué que la production du film « The Neighbour » avait généré dans Sonolab seulement des revenus d’environ 500 000 $. Monsieur Fleury a enfin déclaré que, dans le cadre de l’entente intervenue le 4 février 1982 entre TM, les Productions Léger et les Films Neighbour, les sociétés TM, TMI et Sonolab avaient reçu 220 201 $, 156 402 $ et 239 632 $ respectivement.

 

Témoignage de monsieur Michel Ethier

 

[8]              Par ailleurs, il ressort du témoignage de monsieur Michel Ethier, qui portait principalement sur le traitement fiscal et comptable des sommes litigieuses, ce qui suit :

 

i)                   l’appelante, qui est le successeur de TM, de TMI et de Sonolab, est une filiale de Quebecor Média;[7]

 

ii)                 monsieur Ethier est comptable agréé et occupe le poste de vice‑président, fiscalité, au sein de Quebecor Média. Il n’avait pas participé aux transactions et négociations liées au cautionnement;

 

iii)               monsieur Ethier était responsable de la vérification et traitait directement avec l’ARC en ce qui concerne les questions liées au présent litige. Bien qu’il se soit écoulé plus de cinq ans entre les avis d’opposition de l’appelante et la ratification par le ministre des nouvelles cotisations, la seule et unique question litigieuse demeurait toujours la même, soit de savoir si les dépenses encourues afin d’honorer le cautionnement étaient de nature courante ou capitale.[8] Jamais l’ARC n’a suggéré que les sommes litigieuses soient ventilées entre TM, TMI et Sonolab.[9]

 

Témoignage de monsieur Denis Audet

 

[9]              Il ressort du témoignage de monsieur Denis Audet ce qui suit :

 

i)                   monsieur Audet, un comptable général accrédité (CGA), est à l’emploi de l’Agence depuis 1988;

 

ii)                 monsieur Audet avait été la personne désignée par l’ARC pour vérifier les années d’imposition 1995 et 1996 de l’appelante. La vérification s’était déroulée pendant les années 1999 et 2000;[10]

 

iii)               dans le cadre de sa vérification, monsieur Audet avait rencontré monsieur Ethier. En aucun temps, monsieur Audet n’a tenté de rencontrer un dirigeant de l’appelante (tel monsieur Fleury) qui avait une connaissance personnelle des objectifs visés par le cautionnement et des événements et conséquences liés à ce cautionnement;

 

iv)               les explications de monsieur Audet relativement aux motifs et raisons sous-jacents à la position de l’intimée voulant que les sommes litigieuses soient des dépenses de nature courante étaient tout simplement incompréhensibles. En effet, monsieur Audet a expliqué que la position de l’ARC était basée sur une analyse à deux volets; premièrement, il avait examiné l’intention initiale du contribuable et, en deuxième lieu, il avait évalué la conduite du contribuable. En ce qui a trait au premier volet, monsieur Audet a expliqué aussi la raison, selon lui, par laquelle TM a octroyé le cautionnement : « c’est qu’en bout de ligne, tout le groupe [TM et ses filiales] va gagner là‑dedans. »[11] En ce qui concerne le volet ayant trait à la conduite du contribuable, monsieur Audet s’exprimait ainsi : « Si on a cautionné puis on n’est pas intéressé au douze (12 %) puis au trente-quatre pour cent (34 %), c’est qu’à quelque part, on était juste intéressé à faire rembourser nos comptes à recevoir puis d’y aller de façon capital, c’est-à-dire, et obtenir ce qu’on appelle la notoriété »[12].

 

v)                 l’ARC n’a jamais considéré la possibilité de ventiler les sommes litigieuses entre TM, TMI et Sonolab;

 

vi)               bien que monsieur Audet ait fait amplement référence à la clause du contrat de cautionnement prévoyant la participation au profit net du film (à certaines conditions) de TM, son témoignage est contradictoire à cet égard. Lors du contre-interrogatoire, l’avocat de l’appelante lui a demandé si les revenus potentiels de la vente du film constituaient un élément que l’ARC avait pris en considération lors de l’établissement des nouvelles cotisations. Sa réponse avait été la suivante : « Nous en avons tenu compte au moment où on a établi la conduite du contribuable ».[13] Par la suite, l’avocat de l’appelante lui a posé essentiellement la même question en la formulant ainsi: « Télé-Métropole, prenons-le « as a group ». Télé-Métropole avait droit à des redevances de douze pour cent (12%) et de trente-quatre pour cent (34%). Est-ce que, ça, pour vous, ça faisait en sorte que c’était une dépense capital ou courante? Ou est-ce que c’était non pertinent? La réponse de monsieur Audet avait été la suivante : « Pour nous, c’était rendu à la fin non pertinent parce que la conduite de Télé-Métropole ne nous indiquait pas qu’on allait poser des gestes qui allaient faire en sorte qu’on va sauver la production. »[14]

 

 

vii)             Monsieur Audet semble aussi reconnaître que le cautionnement visait principalement à ce que la production du film « The Neighbour » se termine et que le remboursement des comptes en souffrance puisse se faire.[15]

 

Question en litige

 

[10]         La seule question en litige consiste à déterminer si les sommes payées par l’appelante à la Banque Nationale du Canada, en conformité d’un jugement de la Cour d’appel du Québec daté du 19 mai 1995 (jugement rectificatif : 18 septembre 1995) ordonnant à l’appelante d’honorer un cautionnement consenti le 8 février 1982, sont des dépenses à titre de revenu, comme le soutient l’appelante, ou à titre de capital, tel que le prétend l’intimée.

 

Position de l’intimée

 

[11]         L’intimée a soutenu, en s’appuyant essentiellement sur la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Easton[16], qu’il existe une présomption réfutable à l’effet qu’une perte subie à la suite d’un cautionnement de la même nature que celui octroyé par TM constitue une perte en capital. Je rappelle, que dans l’arrêt Easton, la question consistait à savoir si un paiement effectué par un actionnaire à titre de garant d’un emprunt contracté par la société dont il était actionnaire devait être considéré comme une dépense de nature courante. Je souligne que, dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a d’abord réitéré le principe de base établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Steer[17], en affirmant :

 

16     En guise d'énoncé général, il est raisonnable de conclure qu'une avance faite par un actionnaire à une société ou une dépense faite par un actionnaire au nom d'une société sera considérée comme un prêt consenti dans l'intention de fournir un fonds de roulement à cette société. Dans le cas où le prêt n'est pas remboursé, la perte est réputée être une perte en capital pour l'une ou l'autre des deux raisons suivantes. Le contribuable a consenti le prêt soit pour en retirer un revenu continu, ce qui est typique d'un investissement, soit pour permettre à la société d'exploiter son entreprise de manière à procurer à l'actionnaire un avantage durable sous forme de dividendes ou grâce à une augmentation de la valeur des actions. Comme la loi présume que l'acquisition a été faite dans le but de faire un placement, il ne semble que trop raisonnable de supposer que la perte découlant d'une avance ou d'une dépense faite par un actionnaire est également une perte en capital. Les mêmes considérations s'appliquent aux garanties données par les actionnaires à l'occasion de prêts consentis à des sociétés. Dans l'arrêt The Minister of National Revenue c. Steer, [1967] R.C.S. 34, il a été statué que la garantie donnée à une banque par un contribuable relativement à la dette d'une société en contrepartie d'actions de la société devait être traitée comme un prêt différé consenti à la société et que le paiement effectué pour régler cette dette devait être considéré comme une perte en capital. Cet arrêt n'appuie toutefois pas la proposition que chaque fois qu'une société omet de rembourser un actionnaire relativement à une avance, à une dépense ou à un paiement effectué à l'occasion d'une garantie, la perte est nécessairement une perte en capital. Il existe simplement une présomption réfutable à cet égard…  [je souligne]

 

Je rappelle aussi que, dans l’arrêt Easton, la Cour d’appel fédérale a précisé qu’il existait deux exceptions à cette règle de base en affirmant :

 

17     Il existe deux exceptions reconnues au principe général que des pertes semblables à celles dont il vient d'être question sont des pertes en capital. Premièrement, il se peut que le contribuable soit en mesure de démontrer que le prêt a été consenti dans le cours normal des activités de son entreprise. L'exemple classique est celui du contribuable/actionnaire qui est dans l'entreprise de prêt d'argent ou d'octroi de garanties. Cette exception s'applique toutefois aussi aux situations dans lesquelles l'avance ou la dépense a été faite dans un but productif de revenu lié à la propre entreprise du contribuable et non à celle de la société dont le contribuable est actionnaire. À titre d'exemple, dans l'affaire L. Berman & Co. Ltd. c. M.N.R., [1961] C.T.C. 237 (C. de l'É.), la société contribuable avait volontairement effectué des paiements aux fournisseurs de sa filiale afin de protéger sa clientèle. La filiale avait manqué à ses obligations et comme la contribuable avait traité avec les fournisseurs, elle désirait continuer de le faire plus tard. [La Cour suprême a cité et paru approuver la décision Berman dans l'arrêt Stewart & Morrison Ltd. c. M.R.N., [1974] R.C.S. 477, à la p. 479.]

 

18     La deuxième exception est exposée dans l'arrêt Freud. Lorsqu'un contribuable possède des actions dans une société non pas comme un placement mais comme un actif commercial, la perte résultant d'une dépense accessoire, y compris un paiement effectué à l'occasion d'une garantie, sera imputable au compte de revenu. Cette exception s'applique aux personnes qui sont considérées comme des négociants en actions. Les personnes qui n'appartiennent pas à cette catégorie devront prouver qu'elles ont acquis les actions dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial. Selon moi, cette "circonstance exceptionnelle" ne constitue pas une solution pour les contribuables qui cherchent à déduire des pertes. Je dis cela parce qu'il existe une présomption réfutable voulant que les actions soient acquises à titre d'immobilisations : voir l'arrêt Mandryk (O.) c. Canada, [1992] 1 C.T.C. 317 (C.A.F.) aux pages 323 et 324. [je souligne]

 

[12]         Plus particulièrement, l’intimée a soutenu que l’appelante ne peut se prévaloir de la première exception à la règle de base établie par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Easton en ce que TM n’a pas octroyé le cautionnement dans un but productif de revenus liés à sa propre entreprise. À cet égard, la position de l’avocat de l’intimée mérite d’être cité :[18]

 

[. . .] Ce que je vous soumets en... de façon générale, c'est que l'acceptation de cautionner pour Télé-Métropole faisait en sorte qu'elle solidifiait cette structure corporative-là en renflouant ses filiales, elle enrichissait son patrimoine. Mon confrère disait qu'il n'y avait pas de structure génératrice de revenu qui était acquise ou obtenue par Télé-Métropole en acceptant de cautionner. Il n'y avait peut-être rien de nouveau comme tel mais ce qu'elle faisait, c'est qu'elle entretenait ses actifs, ses actifs étant TMI et Sonolab.

 

Et ultimement, si ces actifs-là prennent de la valeur, Télé-Métropole en est gagnante. Soit sous forme de dividendes, sous forme de revente des compagnies par la suite. Mais chose certaine, quand ses filiales prennent de la valeur, elle est gagnante.

 

 

[13]         De plus, l’avocat de l’intimée a soutenu au cours de sa plaidoirie qu’il découle clairement de la preuve que les deux filiales de TM ont gagné du revenu d’entreprise et qu’elles ont reçu des avantages liés à leurs activités à la suite du cautionnement et que ces avantages et ce revenu n’avaient rien à voir avec les activités de TM à l’époque pertinente.

 

[14]         Enfin, bien qu’il ait maintenu, au cours de sa plaidoirie, sa position à l’effet que le cautionnement n’avait pas une double vocation (en ce qu’il avait été octroyé par TM à la fois dans un but productif de revenus lié à sa propre entreprise et à celle de ses deux filiales), l’avocat de l’intimée a soutenu que, en s’appuyant sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Forest[19], la Cour était convaincue que le cautionnement avait une double vocation, elle se devait de procéder à la ventilation de pertes subies à la suite du cautionnement puisqu’il existe une certaine preuve lui permettant d’identifier sur une base raisonnable la composition d’un montant global.

 

Analyse

 

[15]         Les sommes litigieuses payées par l’appelante en 1995 et 1996 constituent des dommages versés par l’appelante au sens du droit civil. Or, la Loi ne prévoyant pas spécifiquement le traitement fiscal des dommages, on doit se référer aux dispositions générales relatives au calcul du revenu, soit les articles 3, 9 et 18. En vertu de l’alinéa 3a) de la Loi, pour déterminer le revenu d’un contribuable, pour une année d’imposition, pour l’application de la Partie I, il faut, notamment, calculer le total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l’année dont la source se situe au Canada ou à l’étranger, y compris le revenu tiré de chaque entreprise et bien. Le paragraphe 9(1) de la Loi prévoit que le revenu d’un contribuable tiré d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il tire pour cette année. De façon plus précise, l’alinéa 18(1)a) de la Loi indique que, dans le calcul du revenu du contribuable tiré d’une entreprise ou d’un bien, les dépenses ne sont pas déductibles, sauf dans la mesure où elles ont été engagées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l’entreprise ou du bien. Par ailleurs, en vertu de l’alinéa 18(1)b) de la Loi, une dépense en capital n’est pas déductible dans le calcul du revenu d’une entreprise ou d’un bien. Il ressort de ce qui précède que, pour qu’une dépense soit déductible dans le calcul du revenu d’entreprise d’un contribuable, celle‑ci doit être :

 

a)                 engagée ou effectuée en vue de tirer un revenu d’entreprise; et

 

b)                de nature courante et non de nature capitale.

 

Dans la présente affaire, il est admis que les paiements des sommes litigieuses ont été effectués en vue de tirer un revenu d’entreprise. La seule question consiste donc à déterminer s’il s’agit d’une dépense de nature capitale.

 

[16]         Pour déterminer la nature de la dépense, le point de départ de l’analyse est, à mon avis, l’arrêt de 2005 rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Tsiaprailis c. Canada, [2005] 1 R.C.S. 113. Dans ses motifs, au nom de la majorité dans l’arrêt Tsiaprailis, la juge Charron indique qu’une somme verse à titre de dommages est intrinsèquement neutre sur le plan fiscal et que le traitement fiscal dépend de ce que la somme versée vise à remplacer. La juge Charron s’exprimait comme suit aux pages 117 et 118, paragraphe 7 :

 

[...] qu'une somme accordée à titre d'indemnité ou en règlement d'un litige soit intrinsèquement neutre sur le plan fiscal. Ma collègue ne conteste pas ce principe. Elle explique que, pour déterminer si une somme est imposable, il faut considérer sa nature et son objet et se demander ce qu'elle est censée remplacer. L'examen est factuel. Les conséquences fiscales du versement d'une somme à titre d'indemnité ou en règlement d'un litige sont ensuite établies en fonction de cette qualification. Autrement dit, le traitement fiscal dépend de ce que la somme vise à remplacer. Il s'agit du principe de la substitution. Comme le signale la juge Abella, ce principe a été défini dans l'arrêt London and Thames Haven Oil Wharves, Ltd. c. Attwooll, [1967] 2 All E.R. 124 (C.A.), […]

 

 

Plus loin dans ses motifs, à la page 120, paragraphe 15, la juge Charron énonce les deux questions qui doivent être posées pour déterminer le traitement fiscal des dommages :

 

Les questions décisives sont les suivantes : (1) que visait à remplacer le paiement et, si la réponse est suffisamment claire, (2) l'élément remplacé aurait-il été imposable pour la personne qui en a bénéficié? […]

 

 

[17]         Le principe ci-dessus tire sa source du locus classicus britannique London and Thames Haven Oil Wharves, Ltd. v. Attwooll, [1967] 2 All E.R. 124 (C.A.), où Lord Willmer énonçait ce qui suit, à la page 127 :

 

In the course of the argument we have been referred to a considerable number of authorities, to some of which I shall have to refer in the course of this judgment.  It seems, however, to me that the question which we have to decide is eminently a question of fact, which depends on the answer to the question: what did the sum of £21,404 represent? To adopt a phrase used in one of the authorities to which we have been referred, what place in the economy of the tax payer company’s business does this payment take?

 

 

[18]         Lord Willmer nous amène donc à établir quelle place occupait le paiement dans l’économie de l’entreprise du contribuable. Pour ce faire, son confrère Lord Harman nous invite, quant à lui, à étudier attentivement chaque fait pertinent de l’affaire à l’étude, à la page 133 :

 

Questions relating to capital and income are among points that in my experience arise no less in the region of fiscal law, in which we are here involved, that in that of inheritance, where they are as thick as autumn leaves; and it is tempting to try to classify them and to decide whether they fall on one side of the line or the other. The judge in the court below seems at one time to have been tempted to farm out the authorities in this way; but as he rightly reminds himself in his judgment (29):

 

“Judges have from time to time been careful to say that no clear and comprehensive rule can be formulated, and no clear line of demarcation can be drawn, by reference to which it can be determined in every case whether the sum received should be regarded as a capital receipt or as a revenue receipt to be taken into account in arriving at the profits or gains of the recipient’s trade. Each case must be considered on its own facts.”

 

 

[19]         Bien que la jurisprudence précédemment citée traitait de la situation où l’on devait établir le traitement fiscal des dommages du point de vue du récipiendaire, le principe de substitution s’applique également aux fins de déterminer le traitement fiscal du point de vue de la personne tenue de payer les dommages, plus particulièrement pour déterminer si le paiement des dommages est déductible en vertu du paragraphe 9(1) et des alinéas 18(1)a) et 18(1)b) de la Loi. La Cour de l’Échiquier consacrait ce principe dans Imperial Oil Ltd. v. M.N.R., [1947] 3 D.T.C. 1090 (C. de l’É.). Plus récemment, dans l’arrêt McNeil v. The Queen, [2000] 2 C.T.C. 304 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale confirmait que le paiement des dommages constituait une dépense déductible en vertu du paragraphe 9(1) et des alinéas 18(1)a) et 18(1)b) de la Loi dans la mesure où il est en remplacement d’un montant de nature courante et non de nature capitale. Il ressort donc que, pour que le paiement de dommages soit déductible dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré d’une entreprise, la dépense que les dommages visent à remplacer doit respecter les conditions établies au paragraphe 9(1) et aux alinéas 18(1)a) et 18(1)b) de la Loi.

 

[20]         Dans la présente affaire, les dommages payés par l’appelante résultent d’un cautionnement consentit par TM. Il y a donc lieu de déterminer quel est le traitement fiscal propre aux dommages résultant d’un cautionnement, à savoir, s’agit‑il d’une dépense de nature courante ou de nature capitale? Il existe un certain nombre d’exemples tirés de la jurisprudence qui peuvent nous guider dans l’établissement du traitement fiscal accordé aux paiements au titre de dommages résultant d’un cautionnement, comme c’est le cas en la présente instance. À cet égard :

 

                   i)                        l’arrêt L. Berman & Co. Ltd. v. M.N.R., [1961] C.T.C. 237 (C. de l’É.), nous enseigne que :

 

1)                 si le paiement est lié à l’entreprise exploitée par le contribuable, il sera déductible;

 

2)                 si le paiement est déductible conformément aux principes commerciaux généralement acceptés, il sera déductible aux fins fiscales;

 

3)                 si le paiement est effectué dans le cadre du processus visant à générer des revenus, il sera déductible;

 

4)                 le fait qu’aucun profit ne soit généré, que l’octroi du cautionnement (ou d’un prêt) se soit soldé par un résultat désastreux ou que le paiement ait largement dépassé les revenus générés n’a aucun impact sur la déductibilité.

 

                 ii)                        l’arrêt M.N.R. v. Freud, [1969] R.C.S. 75 nous enseigne notamment que, si le cautionnement a un caractère spéculatif, il ne peut pas s’agir d'une dépense de nature capitale;

 

               iii)                        les arrêts The Queen v. F.M. Jones Tobacco Sales Co. Ltd., [1973] C.T.C. 784 (C.A.F.), et Panda Realty Ltd. v. M.N.R., 86 D.T.C. 1266 (C.C.I.), nous enseignent notamment que, si le cautionnement (ou le prêt) est octroyé afin d’éviter de perdre des revenus courants ou futurs d’un client, la dépense sera déductible. En d’autres termes, si le cautionnement (ou le prêt) est octroyé pour éviter de perdre un client et que celui‑ci fasse affaires avec un concurrent, la dépense sera de nature courante;

 

               iv)                        la décision The Queen v. Lavigueur, [1973] C.T.C. 773 (C.F. 1re inst.), nous enseigne notamment par ailleurs que, si le cautionnement (ou le prêt) est consenti pour favoriser de façon continue l’entreprise lorsqu’un client est en difficultés financières, la dépense sera de nature courante;

 

                 v)                        la décision Lavigueur citée ci-haut et l’arrêt Easton précédemment cité nous apprennent notamment que, si le cautionnement (ou le prêt) ne débouche pas sur l’acquisition ou la création d’un bien ou d’une structure à caractère permanent, la dépense sera de nature courante;

 

               vi)                        enfin, l’arrêt F.H. Jones Tobacco Sales Co. Ltd. précédemment cité nous apprend aussi que la situation doit être considérée du point de vue de l’homme d’affaires qui prend la décision d’accorder le cautionnement.

 

[21]         Pour déterminer la nature d’une dépense en vertu de l’alinéa 18(1)b) de la Loi, il faut, à mon avis, déterminer le motif pour lequel le contribuable a engagé la dépense. En l’espèce, il faut déterminer le motif pour lequel TM s’est engagée le 8 février 1982 à répondre à toute obligation et engagement de sa filiale TMI envers la Banque Mercantile.

 

[22]         Il m’apparaît évident à la lumière du témoignage de monsieur Fleury et de la preuve documentaire (pièce A-1, onglets 12 et 18) que TM a octroyé le cautionnement dans le but de ne pas perdre des revenus pour les travaux passés et futurs, au bénéfice de Les Films du Neighbour et de sa société-mère, Les Productions Claude Léger. En cautionnant, TM voulait notamment s’assurer du paiement par Les Films du Neighbour inc. et les Production Claude Léger de tous les comptes qui lui étaient dus par ces dernières. À cet égard, la preuve n’a‑t‑elle pas révélé qu’à la suite du cautionnement TM avait reçu une somme de 156 402 $ en paiement de ses comptes à payer? Il ressort aussi de cette preuve que TM voulait aussi s’assurer, en cautionnant, du fonctionnement continu de sa propre entreprise en aidant Les Films du Neighbour, un client qui éprouvait des difficultés financières. La preuve a aussi révélé que TM voulait s’assurer, en cautionnant, que Les Productions Claude Léger et Les Films du Neighbour ne fassent pas affaires dans l’avenir avec un concurrent. Il faut rappeler à cet égard que ces deux sociétés étaient des clientes de TM en ce que cette dernière leur louait ses équipements, ses studios, ses bureaux et ses décors. Je rappelle aussi que la relation d’affaires entre TM et Claude Léger et/ou les Productions Claude Léger existait bien avant la production du film « The Neighbour ». À cet égard, la preuve a révélé notamment que TM avait retenu les services de Claude Léger pour produire le film Lucky Star, et ce, bien avant la production du film « The Neighbour ».

 

[23]         Nul doute que la preuve a aussi révélé que TM a octroyé le cautionnement dans le but d’éviter que ses deux filiales perdent des revenus pour les travaux futurs et passés, au bénéfice de Les Films du Neighbour et Les Productions Claude Léger. Cela appert notamment de la lettre en date du 4 février 1982 entre les parties au cautionnement. En outre, il ressort de cette entente que TMI a reçu des honoraires de 50 000 $. Pour sa part, Sonolab a reçu une somme de 200 000 $ en regard de services techniques qu’elle avait rendus et qu’elle devait rendre dans le cadre de la production du film « The Neighbour ». Il ressort aussi de cette entente que les deux filiales de TM auraient encaissé tous les comptes en souffrance qui leur étaient dus au 4 février 1982 par Les Films du Neighbour et Les Productions Claude Léger. En d’autres termes, en cautionnant, TM voulait aussi s’assurer du fonctionnement continu de l’entreprise de deux filiales en aidant un client (Les Films du Neighbour) qui éprouvait des difficultés financières. TM voulait aussi s’assurer que Les Films du Neighbour et Les Productions Claude Léger continuent à utiliser les services de ses deux filiales et ne fassent pas affaires avec un concurrent. Il faut aussi rappeler à cet égard que la relation d’affaires entre Sonolab et Les Productions Claude Léger existait bien avant la production du film « The Neighbour ». L’avocat de l’intimée a aussi insisté sur le fait que le cautionnement avait permis à TMI d’obtenir le droit à une participation au profit net généré par le film « The Neighbour », en plus d’obtenir une option d’achat du film, à certaines conditions. À cet égard, il convient immédiatement de souligner que le témoignage de monsieur Fleury a révélé que la participation éventuelle au profit net généré par le film n’avait en aucune façon été un élément pris en compte par TM dans sa décision de cautionner puisque cette dernière savait pertinemment que les chances qu’un film québécois soit rentable à cette époque étaient à toutes fins pratiques nulles. Qui plus est, je note à partir du témoignage de monsieur Audet que cette participation au profit n’avait pas été un élément pris en considération lors de la prise de décision.

 

[24]         Donc, contrairement à ce que prétend l’intimée, on peut conclure, à la lumière de la preuve soumise, que le cautionnement a été consenti par TM à la fois dans un but productif de revenus liés à sa propre entreprise et à celle de ses deux filiales. En d’autres termes, on peut conclure que le cautionnement avait un double objectif ou encore une double vocation. Par conséquent, l’argument de l’intimée à l’effet que l’appelante ne peut se prévaloir de la première exception à la règle de base établie par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Easton en ce que TM n’a pas octroyé le cautionnement dans le but productif de revenu lié à sa propre entreprise ne résiste pas à l’analyse. À mon avis, il ne faut pas interpréter l’arrêt Easton comme nous enseignant qu’un contribuable ne peut déduire la perte subie à la suite de son cautionnement que s’il l’a octroyé exclusivement ou principalement dans un but productif de revenu lié à sa propre entreprise. Je suis plutôt d’opinion qu’un contribuable peut déduire la perte subie à la suite de son cautionnement s’il y a un lien suffisant entre le cautionnement et sa propre activité génératrice de revenus. En l’espèce, la preuve a révélé qu’un tel lien existait en ce qu’il était direct et significatif. J’ajouterai qu’en utilisant dans l’arrêt Easton les mots « dans un but productif de revenu », la Cour d’appel fédérale a aussi voulu réitérer le principe qu’il n’est pas indispensable que des profits soient générés à la suite du cautionnement pour que la perte subie suite à son octroi soit déductible. Je rappelle à ce titre que l’arrêt Berman nous a enseigné que le fait qu’aucun profit ne soit généré, que l’octroi d’un cautionnement (ou d’un prêt) se soit soldé par un résultat désastreux, ou que le paiement ait largement dépassé les revenus générés n’a aucun impact sur la déductibilité.

 

[25]         Je rappelle que, lors de sa plaidoirie, l’avocat de l’intimée a maintenu sa position à l’effet que le cautionnement n’avait pas une double vocation, tout en ajoutant, en s’appuyant sur l’arrêt Forest, que, si la Cour était convaincue que le cautionnement avait une double vocation, elle se devait de procéder à une ventilation de la perte subie dans la mesure où il existe une certaine preuve permettant d’identifier sur une base raisonnable la composition du montant global. À cet égard, l’avocat de l’intimé a suggéré que la lettre datée du 10 février 1982 permettait cet exercice. À la lecture de cette lettre, on note qu’à la suite du cautionnement, TM, TMI et Sonolab ont reçu 156 402 $ (soit 25 % du total), 239 632 $ et 220 201 $ respectivement. Une ventilation sur cette base dicterait que seulement 25 % des sommes en question sont de nature courante, soit la portion des revenus générés directement par TM. Je suis d’avis toutefois que cette lettre ne peut constituer une base objective afin de procéder à une ventilation raisonnable. Cette lettre ne permet pas d’établir quelle portion du cautionnement a été donnée en garantie par l’une ou l’autre des entités participantes, le cas échéant. En l’espèce, la preuve testimoniale révèle au contraire qu’il n’y a jamais eu de ventilation. Cette lettre ne permet pas d’établir ce dont les parties ont tenu compte pour en arriver à un tel cautionnement. Cette lettre ne constitue pas une correspondance entre les parties traitant de la ventilation, même indirectement. Cette lettre ne fait qu’indiquer qu’il y a eu une entrée de fonds à la suite du cautionnement, et ce, quelques jours après son octroi. Cette lettre n’indique pas qu’il s’agit d’un paiement final ou si d’autres paiements ont suivi. À cet égard, le témoignage de monsieur Fleury suggère qu’il ne s’agissait pas d’un paiement final. En bref, cette lettre contient des renseignements trop fragmentaires et est insuffisamment fiable pour qu’elle puisse servir de base objective afin de procéder à une ventilation raisonnable, selon la prépondérance des probabilités. Enfin, je souligne que la preuve de la ventilation doit être faite par celui qui l’invoque, toujours selon la prépondérance des probabilités. En l’espèce, c’est à l’intimée qu’incombait ce fardeau et elle ne s’en est pas acquitté. À cet égard, il est fort instructif de noter que l’intimée n’a jamais tenté de faire cet exercice de ventilation, que ce soit lors de la vérification, de la cotisation, de l’opposition ou de la ratification, allant même, au stade de l’appel, à conclure que la seule question en litige consiste à déterminer si les dépenses effectuées en 1995 et 1996 sont à titre de revenu ou à titre de capital.

 

[26]         À mon avis, dans les cas où un cautionnement a une double vocation, comme en l’espèce, la ventilation de la perte subie à la suite du cautionnement n’est possible en droit que si l’objet du cautionnement est purement objectif. Par exemple, si dans la présente affaire le cautionnement avait été octroyé par TM uniquement dans le but d’éviter qu’elle‑même et ses filiales ne perdent des revenus pour les travaux passés, une ventilation aurait été possible. Toutefois, à partir du moment où le but du cautionnement ayant une double vocation est à la fois subjectif (en ce qu’il a notamment pour objet par exemple d’empêcher que le client ne fasse affaires dans l’avenir avec un concurrent) et objectif (en ce qu’il a pour objet notamment d’éviter que des revenus pour des travaux passés soient perdus), il m’apparaît évident qu’une ventilation n’est pas possible et qu’il faut revenir à la règle de base suivante : le contribuable peut déduire toute la perte subie à la suite du cautionnement ayant une double vocation, s’il y a un lien suffisant entre le cautionnement et sa propre activité génératrice de revenus. En l’espèce, j’ai conclu qu’un tel lien existait en ce qu’il était direct et significatif.

 

[27]         Pour ces motifs, l’appel est accueilli avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour d’octobre 2008.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 


RÉFÉRENCE :                                  2008 CCI 509

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2006-1806(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Groupe TVA Inc.c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 22 octobre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 24 octobre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Dominic C. Belley

 

 

Avocat de l'intimée :

Me Martin Gentile

 

 

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                            Me Dominic C. Belley

                 Cabinet :                           Ogilvy Renault

                     Ville :                            Montréal, Québec

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1] Pièce A‑1, onglet 3.

[2] Pièce A‑1, onglet 4.

[3] Pièce A‑1, onglet 9.

[4] Pièce A‑1, onglets 25 et 26.

[5] Pièce A‑1, onglets 16 et 17.

[6] Pièce A‑3.

[7] Vg les notes sténographiques, aux pages 87 et 98.

[8] Transcription de l’audience, aux pages 97 et 101.

[9] Transcription de l’audience, aux pages 98 et 104.

[10] Transcription de l’audience, aux pages 111 et 112.

[11] Transcription de l’audience, à la page 122.

[12] Transcription de l’audience, à la page 123.

[13] Transcription de l’audience, à la page 133.

[14] Transcription de l’audience, à la page 134.

[15] Transcription de l’audience, à la page 137.

[16]             Easton c. Canada, [1997] A.C.F. no 1282, 97 D.T.C. 5464 (CAF).

[17]          M.N.R. v. Steer, [1967] R.C.S. 34, 66 D.T.C. 5481.

[18]             Vg notes sténographiques aux pages 170 et 171.

[19]             Forest c. La Reine, 2007 D.T.C. 632 (CAF).

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