Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2006-3866(IT)G

ENTRE :

JEAN-LUC DESCHÊNES,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 7 octobre 2008, à Rimouski (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Robert J. Hogan

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Marion Pelletier

 

 

Avocate de l'intimée :

Me Christina Ham

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L'appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 2001, 2002 et 2003 est rejeté, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2008.

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 


 

 

Référence : 2008 CCI 655

Date : 20081128

Dossier : 2006-3866(IT)G

ENTRE :

JEAN-LUC DESCHÊNES,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hogan

 

 

[1]              Il s’agit d’un appel de cotisations pour les années d’imposition 2001, 2002 et 2003. Les cotisations ont été établies au moyen de la méthode de la valeur nette. Dans ces cotisations, le ministre a révisé le revenu d’entreprise net de l’appelant en y ajoutant des montants de 54 856 $, de 40 544 $ et de 49 423 $ pour les années d’imposition 2001, 2002 et 2003 respectivement. La cotisation établie pour chacune des années comprend également une pénalité pour faute lourde imposée en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Les faits tenus pour acquis par le ministre pour établir ces cotisations sont énoncés aux paragraphes 11 et 12 de la réponse à l’avis d’appel qui se lisent comme suit :

 

11. a)   l’appelant exploitait une entreprise dans le domaine du recouvrement d’entrée en asphalte recyclée [sic];

 

b)   cette entreprise était la seule source de revenus de l’appelant sauf pour des montants de 618,13 $ (en 2001) et de 556,33 $ (en 2002) de revenus de placement;

 

c)   l’appelant ne tenait aucun livre comptable à l’égard de son entreprise, il n’avait pas de factures de ventes et il lui manquait des factures d’achats;

 

d)   l’appelant faisait presque toutes ses transactions en argent comptant;

 

e)   l’appelant avait des comptes auprès de la Caisse populaire de Rimouski (compte #105718) et de la Caisse populaire de Les Hauteurs (comptes #660 et #661);

 

f)    l’appelant a fait des dépôts dans ces comptes pour un montant supérieur au montant des ventes qu’il a déclarées;

 

g)   l’appelant a débuté la construction de sa résidence sise au 855, chemin Ste‑Odile, Sainte-Odile-sur-Rimouski, en 2001;

 

h)   l’appelant a engagé des frais de construction à l’égard de cette résidence de 57 409,36 $, de 43 202,78 $ et de 10 377,95 $ en 2001, 2002 et 2003, respectivement;

 

i)    l’appelant détenait également une autre résidence sise au 267, rue Principale, Les Hauteurs;

 

j)    l’appelant a déclaré des revenus nets provenant de son entreprise de 14 543,48 $, de 15 290,98 $ et de 16 070,73 $ pour les années d’imposition 2001, 2002 et 2003, respectivement;

 

k)   l’appelant a indiqué à la vérificatrice de l’Agence du revenu du Canada qu’il conservait à sa résidence à la fin de chaque année civile environ 10 000 $ comptant avec lesquels il vivait jusqu’au printemps. Selon l’appelant, lorsqu’il reprenait ses activités d’entreprise au printemps, il utilisait le reste de cette somme afin de débuter ces activités;

 

l)    l’appelant a également déclaré à la vérificatrice de l’Agence du revenu ne pas avoir reçu d’indemnité d’assurance pendant les années d’imposition en litige sauf un montant à l’égard des dommages subis lors d’un accident par l’un de ses véhicules automobiles;

 

m)  une vérification selon la méthode de l’écart de l’avoir net a révélé que l’appelant avait omis de déclarer les montants de 54 856 $, de 40 544 $ et de 49 423 $ de revenus d’entreprise pour les années d’imposition 2001, 2002 et 2003, respectivement (voir les annexes I à III de la présente réponse qui doivent être considérées comme faisant partie intégrante du présent paragraphe).

 

12. a)   les faits énoncés au paragraphe 11 de la présente réponse;

 

b)   l’appelant a construit sa résidence de Sainte-Odile-sur-Rimouski durant les années en litige et ne disposait d’aucune source de revenu autre que les revenus non déclarés pour payer les travaux de construction;

 

c)   les revenus déclarés par l’appelant pour les années d’imposition en litige ne sont pas compatibles avec l’augmentation de son avoir net et de ses dépenses personnelles;

 

d)   l’appelant connaissait très bien son revenu d’entreprise puisqu’il prenait les commandes, faisait les soumissions, effectuait les travaux, recevait les paiements et faisait les dépôts;

 

e)   l’appelant a sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait des faux énoncés ou des omissions, dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition en litige;

 

f)    l’importance des revenus non déclarés par l’appelant par rapport aux revenus déclarés était telle que l’appelant ne pouvait ignorer avoir omis de déclarer ces premiers revenus ou d’avoir fait un faux énoncé en produisant ses déclarations de revenus pour les années d’imposition en litige.

 

Année d’imposition

Revenus entreprise net déclarés

Revenus entreprise non déclarés

% du redressement

2001

14 543$

54 856$

377%

2002

15 290$

40 544$

265%

2003

16 070$

49 423$

308%

 

 

[2]              Les avocats des deux parties se sont entendus pour que l’intimée établisse sa preuve en premier lieu. Mme Lévesque a commencé sa vérification des affaires de l’appelant pour les années d’imposition en question en se rendant à la résidence principale de ce dernier située à Rimouski. Au cours de la visite, l’appelant a fourni à la vérificatrice des cahiers d’exercices pour chacune des années d’imposition. Les cahiers d’exercices ont été produits sous la cote I-3. Mme Lévesque a témoigné que les cahiers d’exercices n’étaient pas tenus comme des registres comptables, mais que l’appelant utilisait plutôt les cahiers d’exercices pour noter les noms des clients, leur numéro de téléphone ainsi le montant qu’il avait estimé pour le travail à effectuer. Elle a constaté que l’appelant ne tenait pas d’autres livres ou registres comptables et qu’il ne conservait pas non plus de copies des factures qu’il aurait établies pour ses clients ou des factures pour ses achats.

 

[3]              Mme Lévesque a obtenu directement de plusieurs institutions bancaires tous les relevés de compte de l’appelant. Elle a procédé à une analyse des dépôts des différents comptes de l’appelant pour les années d’imposition en question. Elle a dressé à même ces comptes l’annexe 3 produite sous la cote I-2. À la suite de l’analyse des dépôts et des retraits des comptes bancaires, Mme Lévesque a constaté des redressements nets de 13 657 $ pour l’année d’imposition 2001, de 33 315 $ pour l’année d’imposition 2002 et de 46 896 $ pour l’année d’imposition 2003.

 

[4]              Suivant ce premier constat, Mme Lévesque a témoigné qu’elle a décidé de déterminer le revenu de l’appelant pour les trois années d’imposition par la méthode de la valeur nette. Les calculs détaillés sont indiqués aux annexes 1, 2 et 3 sous la cote I-2. Dans un premier temps, Mme Lévesque a préparé un bilan pour l’appelant. Elle a comptabilisé les actifs d’entreprise de l’appelant qui étaient de l’ordre de 5 432 $, de 3 903 $, de 2 813 $ et de 2 033 $ pour les années d’imposition 2000, 2001, 2002 et 2003, respectivement. Pour chacune de ces années, elle a calculé les actifs que l’appelant détenait personnellement. Parmi les principaux actifs que l’appelant détenait à titre personnel il y avait une somme de 10 000 $ d’encaisse qu’il gardait chez lui à chacune des années ainsi que des soldes débiteurs crédités à des institutions bancaires. À cela, Mme Lévesque a ajouté la valeur de la première résidence de l’appelant à Les Hauteurs près de Rimouski ainsi que le coût d’une deuxième résidence dont la construction a débuté en 2001. Mme Lévesque a constaté que l’actif de l’appelant a augmenté de façon significative entre 2000 et 2003. Au 31 décembre 2000, l’actif de l’appelant était de 83 616 $. À la fin de l’année d’imposition 2003, l’actif de l’appelant se soldait à 185 772 $. La cause principale de l’augmentation de l’actif était la construction de la résidence de l’appelant située à Rimouski. Mme Lévesque a expliqué qu’elle a reçu du ministère du Revenu du Québec des copies de toutes les factures que l’appelant a soumises pour obtenir un crédit disponible pour la construction d’une nouvelle résidence. Cette résidence a coûté au total 112 309 $. L’appelant n’avait aucune dette en 2000 et 2001. En 2002, il a obtenu, par contrat, un prêt de 15 000 $ pour construire sa résidence. À la fin de l’année d’imposition 2003, ce prêt personnel a été réduit à 4 123 $. À la suite de ce premier calcul, Mme Lévesque a noté que l’avoir net de l’appelant avait augmenté de 56 359 $ en 2001, de 23 075 $ en 2002 et de 18 597 $ en 2003.

 

[5]              Mme Lévesque a témoigné qu’après l’analyse des comptes bancaires, elle a ajusté l’avoir net de l’appelant apparaissant à l’annexe 1 sous la cote I-2 afin d’ajouter des redressements nets provenant de l’analyse des dépôts bancaires. Pour l’année d’imposition 2001, le redressement net était de 13 657 $. Pour l’année d’imposition 2002, le redressement net était de 33 315 $. Finalement, pour l’année d’imposition 2003, le redressement net était de 46 896 $. Ce dernier calcul a permis à Mme Lévesque de remplir l’annexe III qui établit le montant du revenu d’entreprise net non déclaré de l’appelant indiqué à la troisième colonne du paragraphe 12f) de la réponse à l’avis d’appel.

 

[6]              Mme Lévesque a rencontré l’appelant aux bureaux de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») pour présenter des calculs indiqués sous la cote I-2. Elle a demandé à l’appelant s’il y avait d’autres factures qu’il avait omis de lui donner. Il n’a pas fourni les détails d’autres dépenses à Mme Lévesque.

 

[7]              Selon Mme Lévesque, ce sont les écarts considérables déterminés par la méthode de la valeur nette entre le revenu net déclaré par l’appelant et le revenu non déclaré décelé par Mme Lévesque qui l’ont incitée à cotiser une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

[8]              L’appelant a témoigné dans sa cause. Dans un premier temps, il a expliqué qu’il était natif de Les Hauteurs près de Rimouski. Il a témoigné qu’il avait quitté l’école très tôt, soit après sa cinquième année, et qu’à l’âge de 14 ans il travaillait avec son père à la ferme familiale. Il a occupé cet emploi pendant six à sept ans.

 

[9]              Par la suite, il a travaillé dans un garage à Les Hauteurs jusqu’à l’âge de 20 ans.

 

[10]         Il s’est marié en 1968 et a eu son premier enfant en 1969. Il a eu un deuxième enfant en 1970. Lorsqu’il a quitté Les Hauteurs, il a occupé un emploi de gardien d’un club de chasse et pêche. Il a vécu chez son employeur avec ses deux enfants jusqu’à ce que son plus jeune enfant atteigne l’âge de quatre ans.

 

[11]         Il est retourné à Les Hauteurs pour y travailler pour la municipalité. À cette époque, son plus jeune enfant débutait l’école.

 

[12]         Avec l’aide de l’un de ses frères, il a construit une première maison à Les Hauteurs qu’il a habitée pendant de nombreuses années et qu’il a finalement vendue pour 40 000 $ après la période en question.

 

[13]         Il a expliqué à la Cour qu’il avait occupé vers 1974 un emploi à la Baie James comme opérateur de poreuse. Il a témoigné qu’il avait occupé cet emploi pendant sept ans et demi à huit ans, de 1975 à 1982. Il travaillait chaque année pendant une période de sept à huit mois après quoi il redescendait à Les Hauteurs. Il a relaté que ce travail lui avait permis de constituer un bas de laine d’environ 55 000 $ à 80 000 $.

 

[14]          Vers 1982, l’appelant est retourné à Les Hauteurs où il a travaillé pendant deux à trois ans dans l’industrie de la construction. Il a témoigné qu’en 1982 il a eu l’idée de recycler l’asphalte provenant de la réfection des routes à Les Hauteurs afin de paver l’entrée de sa résidence. Pour y arriver, il a fabriqué une bouilloire à laquelle il a ajouté un brûleur de propane de façon artisanale. Il a réchauffé l’asphalte recyclé afin de le faire fondre et a utilisé l’asphalte fondu pour paver l’entrée de sa cour. C’est comme cela qu’est née son entreprise.

 

[15]         De bouche à oreille la nouvelle a circulé et les voisins de Les Hauteurs lui ont demandé s’il pouvait utiliser l’asphalte recyclé pour paver leur entrée. Vers la fin de cette année-là, il a eu la visite d’un citoyen de Rimouski qui lui a demandé s’il pouvait paver l’entrée de sa résidence qui était située dans cette ville avoisinante.

 

[16]         L’appelant a expliqué à la Cour qu’il travaillait seul dans son entreprise. Au fur et à mesure que son entreprise progressait, l’acheteur s’est doté de matériel d’occasion, dont un camion, un rouleau compresseur et une chargeuse. Il a également fabriqué une plus grosse bouilloire qui pouvait contenir beaucoup plus d’asphalte recyclé.

 

[17]         Il a témoigné qu’il travaillait en collaboration avec un dénommé M. Banville. Ce dernier préparait l’entrée des cours lorsque nécessaire pour permettre à l’appelant de procéder dans un deuxième temps à la pose de l’asphalte.

 

[18]         Il a indiqué qu’il pouvait travailler entre le 15 juin et le 15 septembre, mais seulement s’il faisait beau. En 2001, il a commencé la construction de sa résidence principale actuelle. Il a témoigné que, dans un premier temps, il a coupé son bois et l’a fait scier. La période de construction a duré de 2001 à 2003.

 

[19]         Il a témoigné que, depuis l’époque où il travaillait à la Baie James, le montant d’encaisse qu’il gardait chez lui avait augmenté. La somme a augmenté approximativement à 138 000 $. Lors de la première rencontre avec la vérificatrice à sa résidence et lors de sa visite aux bureaux de l’ARC, il a admis avoir omis de mentionner à la vérificatrice qu’il gardait cette somme importante chez lui au début de 2001.

 

[20]         Après sa rencontre au bureau de la vérificatrice à Rimouski, l’appelant a témoigné que son comptable lui avait dit qu’il devrait consulter un fiscaliste. Il a rencontré une fiscaliste et lui a expliqué son histoire. La fiscaliste lui a apparemment indiqué qu’il aurait dû mentionner à la vérificatrice qu’il gardait une somme importante d’argent chez lui qu’il a utilisée pour la construction de sa résidence principale pendant la période de 2001 à 2003.

 

[21]         Plusieurs questions ont été posées à l’appelant en contre-interrogatoire. La Cour lui a demandé d’expliquer les événements entourant le divorce de sa première conjointe en 1992. En répondant à ces questions, il a admis que sa première conjointe savait qu’en 1992 il gardait chez lui environ 80 000 $ comptant.

 

[22]         La Cour lui a demandé si sa première conjointe lui avait demandé de partager cette somme lors des procédures de divorce. Il a répondu « non ». Son épouse aurait plutôt accepté son offre de lui payer la moitié de la valeur de sa première résidence située à Les Hauteurs. D’après un acte notarié produit à la pièce I-1, cette résidence fut vendue seulement en 2004 pour la somme de 40 000 $. Selon l’appelant, c’est seulement à cette époque qu’il aurait versé la moitié du produit de la vente à sa première conjointe.

 

[23]         Dans un deuxième temps, l’appelant a dit qu’il vivait à Rimouski avec sa deuxième conjointe avec qui il a eu un troisième enfant. Il a précisé que sa deuxième conjointe a menacé de le poursuivre pour obtenir le paiement d’une pension alimentaire pour leur fille née de l’union de fait. Il n’a pas précisé à la Cour si cette dernière savait qu’il gardait une somme importante chez lui ou si elle savait d’où provenaient les fonds utilisés pour construire sa résidence.

 

[24]         L’appelant a admis que le seul prêt qu’il a contracté pour construire sa résidence était un prêt d’environ 15 000 $ que lui avait accordé la caisse populaire.

 

[25]         Lors du contre-interrogatoire, l’avocate de l’intimée a montré à l’appelant les cahiers d’exercices dans lesquels l’appelant inscrivait les soumissions. Comme l’avocat de l’appelant n’a pas jugé bon lors de l’examen en chef de mettre ces documents en preuve, l’avocate de l’intimée a décidé de le faire. Ces cahiers d’exercices ont été déposés au dossier de la Cour sous la cote I-3.

 

[26]         La Cour a pu constater que ces cahiers d’exercices étaient loin d’être clairs. On y retrouve des noms, des numéros de téléphone encerclés ainsi que, sur certaines des pages, l’adresse et une estimation pour le travail de l’appelant. Dans la marge de certaines pages se trouvent les heures indiquées. La Cour a demandé à l’appelant d’expliquer la signification de ces mentions. L’appelant a expliqué que ces notes indiquaient parfois le nombre d’heures passées avec les clients. La Cour doit constater que, vu l’état des cahiers en question, il était impossible pour la vérificatrice de tirer quelque conclusion que ce soit sauf celle que l’appelant ne s’est pas acquitté de son obligation de tenir des registres comptables qui auraient pu permettre à la vérificatrice de vérifier le revenu brut et les dépenses de l’entreprise de l’appelant.

 

[27]         L’avocat de l’appelant n’a pas jugé bon de produire aucun autre document comptable ou état de rapprochement des revenus et des dépenses pour les années en question.

 

Analyse

 

[28]         L’avocat de l’appelant a soulevé principalement deux arguments pour contester la cotisation de l’intimée.

 

[29]         Dans un premier temps, il a argumenté qu’il était peu probable que l’appelant aurait pu gagner un revenu net correspondant à celui établi par l’ARC. Il a indiqué que le témoignage de l’appelant a démontré que l’appelant travaillait seul en tout temps et qu’il lui aurait été impossible de gagner un revenu brut aussi élevé pendant la courte saison estivale.

 

[30]         Dans un deuxième temps, il a argumenté que la vérificatrice de l’ARC aurait pu établir le revenu net de l’appelant à partir des cahiers d’exercices. Il a souligné que la vérificatrice n’a pas jugé bon d’utiliser cette méthodologie et n’a pas posé de questions à l’appelant pour l’aider à cet égard.

 

[31]         Finalement, l’avocate de l’intimée a fait état du fait que l’appelant a pris de nombreuses années pour accumuler une somme d’encaisse importante qu’il gardait chez lui dans le but de réaliser son rêve de construire une résidence à Rimouski.

 

[32]         L’avocat de l’appelant a indiqué que l’appelant a coopéré avec la vérificatrice lors de ses rencontres et qu’il ne s’est pas départi de ses biens afin d’éviter des actions de recouvrement du ministre. À cet égard, il a précisé à la Cour que l’ARC et le ministère du Revenu du Québec avaient tous deux fait enregistrer des hypothèques légales sur la résidence principale de l’appelant. L’appelant ne s’est pas opposé à l’enregistrement des hypothèques légales. Ceci indiquait un comportement de quelqu’un qui était prêt à coopérer avec les autorités et non celui de quelqu’un qui tentait d’échapper à ses obligations. Il a admis que l’appelant a manqué à ses obligations de tenir des registres, mais, compte tenu de son niveau de scolarité peu élevé, ceci était compréhensible dans les circonstances.

 

[33]         Quant à l’application de la pénalité, l’avocat de l’appelant a indiqué qu’en tout temps son client a coopéré avec l’ARC lors de la vérification.

 

[34]         La Cour est d’avis que l’appelant a manqué à ses obligations de tenir une comptabilité adéquate qui aurait pu permettre à l’ARC de vérifier le revenu net de l’appelant sans avoir à procéder par la méthode de la valeur nette. Dans un premier temps, la Cour constate que les cahiers d’exercices étaient incompréhensibles pour un tiers telle la vérificatrice. Il n’incombe pas à l’ARC de tenter de reconstituer le revenu net d’un contribuable à partir d’une documentation inadéquate.

 

[35]         Dans un deuxième temps, la Cour estime que l’appelant aurait pu tenter, à l’aide d’un fiscaliste, de refaire les états financiers de l’appelant, ce qui aurait peut‑être pu aider la Cour à comprendre l’évolution du revenu net de l’appelant pendant la période en question. L’appelant et son avocat n’ont pas jugé bon d’avoir recours aux services d’un comptable ou d’un fiscaliste à cette fin.

 

[36]         D’autre part, la Cour constate que l’appelant ne préparait aucune facture pour ses clients. Du moins, l’appelant n’a déposé aucune pièce à la Cour. Dans un système d’autocotisation, il appartient aux contribuables de faire une tenue de livres qui, au minimum, pourrait permettre à l’ARC de faire sa vérification.

 

[37]         La Cour trouve invraisemblable le témoignage de l’appelant selon lequel il a gardé chez lui une importante somme d’argent pendant de nombreuses années. Il est peu probable qu’au cours de son divorce en 1992, son ex-épouse ait omis de faire la demande de partage de cet actif et ait attendu plusieurs années pour recevoir seulement la moitié du produit de vente de la résidence à Les Hauteurs qui a eu lieu en 2004. Si elle n’a pas demandé le partage de cet actif important, c’est que l’appelant n’avait pas accumulé les fonds contrairement à ce qu’il a prétendu lors de son témoignage principal. D’autre part, si l’appelant a accumulé des fonds après avoir occupé un emploi à la Baie James pour lequel il a déclaré ce revenu net à la vérificatrice, pourquoi gardait-il ces fonds chez lui et prenait-il ainsi le risque de se les faire voler ou de les perdre dans un incendie? L’appelant a prétendu que les fonds étaient conservés dans une cannette. Ces fonds ne bénéficiaient d’aucune forme de protection. Finalement, ces fonds ne produisaient aucun intérêt pour l’appelant.

 

[38]         Je note les conclusions suivantes du juge Tardif dans la décision Ruest c. Canada, [1999] A.C.I. no 586 (QL) :

 

27        Les cotisations ayant résulté de l'écart constaté entre les revenus et dépenses en corrélation avec le capital ou les actifs, la justification desdits écarts devenait la responsabilité exclusive de l'appelant. Pour convaincre le Tribunal, il devait, au moyen d'une preuve prépondérante, établir la vraisemblance, la raisonnabilité, la justesse et la cohérence de ses prétentions. Il ne suffisait pas de critiquer et soulever certains griefs mineurs pour conclure que tout balançait, grâce au montant reçu à un certain moment donné.

 

28        Il s'agissait peut-être là d'un travail colossal nécessitant beaucoup de travail, j'en conviens, mais il faut cependant rappeler que le contribuable cotisé par "avoir net" a lui-même été l'artisan de la façon dont il a été cotisé, en ce qu'il a lui-même choisi délibérément, sciemment de ne pas avoir de comptabilité et de ne tenir aucunement compte de ses revenus et dépenses.

 

[39]         J’estime que la preuve présentée par l’appelant, en ce qui a trait à son allégation selon laquelle il a accumulé des épargnes importantes au cours des années antérieures, pour expliquer l’écart de plus de 104 000 $ déterminé par la vérificatrice pour les années 2001, 2002 et 2003, est insuffisante pour établir par prépondérance des probabilités que les cotisations dans lesquelles une partie de ce montant a été ajoutée au revenu de chacune de ces années sont erronées.

 

[40]         L’écart entre le revenu d’entreprise net déclaré et le revenu d’entreprise non déclaré est très important. Pour 2001, le revenu non déclaré équivaut à 377 % du revenu déclaré. Pour 2002, le revenu non déclaré équivaut à 265 % du revenu déclaré. Finalement, pour 2003, le revenu non déclaré équivaut à 308 % du revenu déclaré. La Cour estime que l’intimée s’est acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait en vertu du paragraphe 162(3) puisque l’appelant savait ou aurait dû savoir que le revenu net déclaré représentait seulement 25 % à 33 % du revenu d’entreprise gagné à chacune des années en question. À cet égard, j’adopte les conclusions suivantes du juge Pelletier de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Lacroix c. Canada, 2008 CAF 241 :

 

         

30        Les faits en preuve, dans un tel cas, sont que la déclaration de revenu du contribuable fait une présentation erronée des faits et que la seule explication offerte par le contribuable est jugée non crédible. Évidemment, il doit y avoir une autre explication pour ce revenu. Il faut donc conclure que le contribuable a une source de revenu qu'il n'a pas déclarée, qu'il est au courant de cette source et qu'il refuse de la divulguer puisque les explications qu'il a offertes n'ont pas été jugées crédibles. En de telles circonstances, la conclusion que la fausse déclaration de revenu a été produite sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde me semble inéluctable. Cela justifie non seulement l'imposition d'une pénalité mais aussi l'établissement de la nouvelle cotisation hors de la période statutaire.

 

[…]

 

32        […] Dans la mesure où la Cour canadienne de l'impôt est persuadée que le contribuable touche un revenu qu'il n'a pas déclaré et que l'explication offerte par le contribuable pour l'écart constaté entre son revenu déclaré et l'accroissement de son actif est non crédible, le ministre s'est acquitté du fardeau de preuve qui lui incombe aux termes du sous-alinéa 152(4)(a)(i) et du paragraphe 162(3).

 

[41]         Pour tous ces motifs, je rejette l’appel pour les années d’imposition 2001, 2002 et 2003.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2008.

 

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan


RÉFÉRENCE :                                  2008 CCI 655

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2006-3866(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              JEAN-LUC DESCHÊNES c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Rimouski (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 7 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Robert J. Hogan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 28 novembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Marion Pelletier

 

 

Avocate de l'intimée :

Me Christina Ham

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant :

 

                     Nom :                            Me Marion Pelletier

 

                 Cabinet :                           Rimouski (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.