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Dossier : 2007-1460(EI)

ENTRE :

YVON LEPAGE,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

Appel entendu les 8 et 10 octobre 2008, à Rimouski (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Robert J. Hogan

 

Comparutions :

 

Avocate de l'appelant :

Me Maryse Beaulieu

 

 

Avocate de l'intimé :

Me Christina Ham

 

 

JUGEMENT

          L’appel est rejeté et la décision que le ministre du Revenu national a rendue le 5 décembre 2006 en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de décembre 2008.

 

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 


 

 

 

Référence : 2008 CCI 656

Date : 20081201

Dossier : 2007-1460(EI)

ENTRE :

YVON LEPAGE,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hogan

 

[1]              L’appelant a interjeté appel d’une décision du ministre du Revenu national (le « ministre ») selon laquelle l’emploi que l’appelant exerçait du 15 octobre au 8 décembre 2001, du 8 juillet au 28 septembre 2002 et du 14 août au 14 novembre 2003 au service de 9076-3442 Québec inc. (le « payeur ») était un emploi exclu au sens des alinéas 5(2)i) et 5(3)b) de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »). Dans la réponse à l’avis d’appel, l’avocate de l’intimé a invoqué comme motif subsidiaire que l’appelant avait le contrôle de plus de 40 % des actions avec droit de vote du payeur, ce qui rendait l’emploi de l’appelant également exclu en vertu de l’alinéa 5(2)b) de la Loi.

 

[2]              Les alinéas 5(2)b), 5(2)i) et 5(3)b) de la Loi, en ce qui a trait aux motifs soulevés dans la réponse à l’avis d’appel, se lisent comme suit :

 

5(2) N’est pas un emploi assurable :

 

[…]

 

b) l’emploi d’une personne au service d’une personne morale si cette personne contrôle plus de quarante pour cent des actions avec droit de vote de cette personne morale;

 

[…]

 

i) l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance.

 

[…]

 

(3) Pour l’application de l’alinéa (2)i) :

 

[…]

 

b) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[3]              Il n’est pas contesté que l’appelant et le payeur sont liés au sens de la Loi. Pendant les exercices du payeur se terminant le 30 avril 2002 et le 30 avril 2003, le fils de l’appelant, Frédéric Lepage, détenait 52 % des actions avec droit de vote alors que sa conjointe de fait, Gaétane Beaulieu, détenait 48 % des actions avec droit de vote. Dans sa réponse à l’avis d’appel, le ministre conteste le nombre d’actions avec droit de vote du payeur que l’appelant détenait en 2001, en 2002 et en 2003. Dans l’avis d’appel, l’appelant a indiqué qu’il détenait 33 % des actions du payeur en 2001, en 2002 et en 2003.

 

[4]              La réponse à l’avis d’appel indique que le ministre n’est pas convaincu qu’il est raisonnable de conclure que l’appelant et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance. Les paragraphes 6b) à 6m) de la réponse à l’avis d’appel se lisent comme suit :

 

6.b)   le payeur, constitué en société le 14 avril 1999, exploitait une entreprise de transport et de camionnage;

 

c)   le payeur exploitait son entreprise à l’année longue avec une baisse marquée durant la saison hivernale;

 

d)   selon les déclarations de revenus, le volume d’affaires du payeur était de 63 112 $ au 30 avril 2003 et de 104 738 $ au 30 avril 2004;

 

e)   l’appelant s’occupait des activités quotidiennes du payeur et agissait à titre de camionneur et de superviseur pour le payeur;

 

f)    Frédéric Lepage ne travaillait pas pour le payeur;

 

g)   selon la version obtenue, le payeur possédait entre 2 et 4 camions;

 

h)   l’appelant établissait son propre horaire de travail mais ne pouvait préciser combien d’heures il faisait par semaine;

 

i)    l’appelant ne recevait aucune directive du payeur et travaillait selon les besoins du payeur;

 

j)    selon ses demandes de prestations, l’appelant recevait une rémunération de 728 $ par semaine pour 40 heures de travail en 2001 et de 750 $ par semaine pour 40 heures en 2003;

 

k)   dû au manque de collaboration des parties au litige, nous n’avons pu connaître la rémunération de l’appelant pour l’année 2002;

 

l)    après chacune de ses prétendues périodes de travail, l’appelant faisait une demande de prestations et retirait le maximum des semaines auxquelles il se qualifiait avant de reprendre le travail;

 

m)  malgré le manque de collaboration de l’appelant, nous pouvons conclure que les périodes où il est inscrit au registre des salaires du payeur ne correspondent pas aux besoins du payeur mais plutôt au [sic] besoins de l’appelant de se qualifier pour recevoir des prestations.

 

[5]              Dans la réponse à l’avis d’appel, l’intimé a mentionné que ni l’appelant ni le payeur n’ont voulu collaborer avec les représentants de l’intimé (quant au caractère assurable et à l’appel) et que la décision a été prise à la lecture des documents déjà dans le dossier de l’appelant.

 

[6]              L’avocate de l’appelant a noté au début de la séance que le payeur a fait cession de ses biens en 2005. L’avocate a également indiqué que tous les dossiers du payeur étaient aux archives du bureau du syndic qui s’est occupé de la cession des biens du payeur en 2005. Elle a eu de la difficulté à obtenir une copie des registres pertinents et a reçu certains extraits du procès-verbal du payeur seulement à la veille de l’audition de l’appel.

 

[7]              M. Frédéric Lepage, le fils de l’appelant, a témoigné en premier. Il a indiqué qu’il a travaillé à la réfection des routes de la région de Rimouski et dans les environs de la ville de Québec en 2001, en 2002 et en 2003. Il ne travaillait pas pour le payeur, puisqu’il n’avait pas les permis nécessaires pour conduire les camions du payeur.

 

[8]              Il a expliqué que son père a eu des ennuis de santé importants en 2001; il était atteint de cancer et souffrait de problèmes cardiaques importants. Il estime que les problèmes de santé de son père ont causé des difficultés financières qui ont mené à la cession des biens de l’appelant le 13 juin 2002.

 

[9]              Il a indiqué qu’il a acquis 52 % des actions avec droit de vote du payeur après la maladie de son père. Selon M. Lepage, son père ne voulait plus s’occuper de l’administration du payeur. Il voulait devenir un simple employé.

 

[10]         M. Frédéric Lepage a également témoigné que la conjointe de fait de son père, Mme Gaétane Beaulieu, détenait 48 % des actions avec droit de vote du payeur.

 

[11]         Au cours de son témoignage, M. Frédéric Lepage était incapable de préciser la façon dont il avait acquis les actions avec droit de vote. Il a finalement indiqué que son père lui avait transféré les actions pour une contrepartie de 1 $ l’action.

 

[12]         Nonobstant le fait qu’il n’était pas autorisé à conduire les camions du payeur, M. Frédéric Lepage a témoigné qu’il connaissait bien l’industrie de réfection routière et le rôle que les transporteurs jouent lors des projets de construction importants.

 

[13]         Il a indiqué que le payeur avait trois camions-citernes et un camion à gravier. Il a expliqué à la Cour que la répartition des contrats se faisait par l’entreprise de répartition « Transporteurs en vrac de Rimouski inc. ». C’est cette entreprise qui établit la répartition des transporteurs en vrac. Si un individu a plus d’un camion, la répartition se fait selon le nom de l’individu. S’il reçoit un contrat de transport une journée, il retourne à la fin de la liste. Par contre, si un individu crée une personne morale, cette dernière est traitée comme un autre transporteur aux fins de la répartition des contrats, même si l’individu détient 100 % des actions de la personne morale.

 

[14]         Il a expliqué que le payeur avait de deux à quatre employés en tout temps pendant les années d’imposition 2001, 2002 et 2003. M. Fernando Ross travaillait pour le payeur pendant toutes ces années. L’appelant était également employé du payeur. M. Jean-Pierre Dubé a travaillé à temps partiel pour le payeur.

 

[15]         M. Frédéric Lepage a témoigné qu’il n’a pas reçu de dividendes du payeur. D’autre part, il n’était pas inscrit au registre du payeur à titre d’employé. Par conséquent, il n’a pas reçu de salaire.

 

[16]         Il a témoigné qu’en 2001, il avait travaillé pour la société Couillard Construction à Québec à la réfection des routes et des terrains de stationnement de centres commerciaux. En 2002, il a travaillé pour la société Wilfrid Allen à Québec à la réfection des routes. Il a également indiqué que lorsqu’il travaillait pour Couillard Construction, il a obtenu un contrat de transport en vrac lors de la réfection d’un terrain de stationnement d’un centre commercial.

 

[17]         Il a pris l’emploi chez Wilfrid Allen afin d’obtenir ses cartes de compétence à titre de manœuvre. Il a continué à travailler pour Wilfrid Allen à la réfection de la route 132 et, par l’entremise de son emploi, il a obtenu des contrats de transport en vrac pour le payeur.

 

[18]         Il a identifié la pièce A-1 comme étant le relevé d’emploi de M. Fernando Ross pour la période du 10 juin au 27 septembre 2002. Ce relevé d’emploi est signé par Marlène Dumais, une employée du comptable externe du payeur. Il a également identifié la pièce A-2 comme étant le relevé d’emploi de l’appelant pour la période du 8 juillet au 28 septembre 2002. Ce relevé d’emploi n’était pas signé, mais le nom de Gaétane Beaulieu apparaît sous la ligne du signataire.

 

[19]         M. Frédéric Lepage a témoigné qu’il s’occupait du paiement des factures et des dépôts bancaires et qu’il était responsable des employés du payeur. Il a embauché son père pour conduire principalement des camions-citernes et pour effectuer les travaux mécaniques sur l’équipement du payeur.

 

[20]         Il a admis lors de son témoignage que les clients du payeur appelaient parfois la résidence de son père et que ce dernier prenait parfois l’appel et répartissait le travail s’il était incapable de rejoindre son fils Frédéric. Il a également témoigné que Mme Beaulieu pouvait prendre les appels et lui laisser des messages sur son téléphone cellulaire.

 

[21]         Le contre-interrogatoire de ce témoin était intéressant. M. Lepage était incapable de préciser à la Cour la façon dont il avait acheté les actions du payeur. Il a finalement indiqué qu’il croyait les avoir achetées de son père et ne pas y avoir souscrit.

 

[22]         Il a indiqué qu’il a cédé les actions à son père en 2005 lorsqu’il est retourné aux études à Québec. Il a indiqué au tribunal qu’il avait suivi un cours de machinerie lourde, domaine dans lequel il travaillait jusqu’à cette date. Il a expliqué au tribunal qu’il souhaitait retourner aux études puisqu’il devenait évident en 2005 que le payeur ne serait pas assez rentable pour qu’il en devienne un employé à temps plein. Il a aussi précisé lors de son témoignage que la saison de transport routier en vrac était trop courte et que, selon lui, il était impensable qu’il soit en mesure de gagner une vie convenable à titre de propriétaire de cette société.

 

[23]         L’appelant a témoigné en deuxième lieu. Il a expliqué au tribunal qu’il est né à Saint-Marcellin.

 

[24]         Il a indiqué au tribunal que le payeur était constitué en société depuis quelques années et qu’il était l’unique actionnaire du payeur jusqu’au moment où son fils, Frédéric Lepage, a acquis 52 % des actions avec droit de vote et sa conjointe de fait a acquis 48 % des actions avec droit de vote. Il a corroboré que son état de santé l’a conduit à se départir de ses actions du payeur. Puisque son fils Frédéric avait exprimé un intérêt pour le payeur, il lui a transféré des actions. Il a également permis que sa conjointe de fait, Gaétane Beaulieu, acquière 48 % des actions avec droit de vote. Il voulait se libérer de l’administration du payeur, ce qui a conduit au transfert desdites actions.

 

[25]         Il a expliqué au tribunal que M. Fernando Ross travaillait pour lui entre les années 1974 et 1990. M. Ross a quitté son emploi en 1980 pour conduire des autobus scolaires. Il a repris son travail avec le payeur en 2000. Ses tâches pour le payeur consistaient à conduire les camions-citernes et à s’occuper de tout problème mécanique. L’appelant a témoigné qu’il recevait un salaire brut entre 740 $ et 750 $ par semaine. Il était payé à la semaine plutôt qu’à l’heure puisqu’il devait être libre en tout temps pour conduire les camions lorsqu’on appelait.

 

[26]         En contre-interrogatoire, il a expliqué qu’il a constitué la société payeuse puisque la réglementation et l’exploitation de l’entreprise de répartition Transporteurs en vrac de Rimouski inc. ont changé en 1995. À cette date, un individu pouvait constituer une société qu’il détenait à 100 % afin d’être inscrit deux fois à la liste établie par le répartiteur. Si l’individu détenait un permis de conduire en son propre nom et un camion inscrit au registre de la société, il pouvait être inscrit deux fois plutôt qu’une.

 

[27]         Mme Gaétane Beaulieu, la conjointe de fait de l’appelant, a été appelée à témoigner par l’avocate de l’intimé. Elle a témoigné qu’elle est devenue actionnaire du payeur en 2001, en même temps que Frédéric Lepage. Elle a expliqué au tribunal qu’elle détenait 48 % du capital-actions du payeur, mais elle ignorait quel pourcentage des actions émises et en circulation ceci représentait.

 

[28]         Elle a expliqué qu’elle occupait ailleurs un emploi de courtière depuis approximativement sept ans.

 

[29]         Elle disait qu’elle faisait très peu de travail pour le payeur. Sa seule tâche consistait à prendre le courrier et les documents reçus par le payeur et les mettre dans une chemise qu’elle remettait au comptable. Lorsque l’avocate de l’intimé le lui a demandé, elle était incapable d’indiquer la sorte de documents qu’elle classait dans la chemise. Elle indiquait que de temps à autre, soit le matin ou le soir après son travail pour le payeur, elle pouvait recevoir des appels téléphoniques qu’elle transmettait à Frédéric lorsqu’elle était en mesure de le rejoindre. Elle a témoigné qu’elle a gardé ses actions jusqu’en 2003, avant de les remettre à l’appelant. Le tribunal doit noter que Mme Beaulieu était incapable d’identifier la façon dont elle a obtenu les actions. Elle ignorait si elle y avait souscrit ou si elle les avait acquises de M. Frédéric Lepage. De toute évidence, elle savait très peu de choses au sujet de la conduite des activités du payeur.

 

[30]         M. Jean-Luc Gauthier, enquêteur chez Ressources humaines et Développement social Canada (« RHDSC »), a témoigné pour l’intimé. Il a dit qu’il a pris rendez-vous avec M. Frédéric Lepage à son bureau. Comme le rendez-vous était prévu pour 16 h, il a indiqué à M. Lepage qu’il devrait le rencontrer à la porte d’entrée de l’édifice. M. Frédéric Lepage était accompagné de son père, l’appelant, lorsqu’il s’est présenté à la rencontre. L’appelant a indiqué à l’enquêteur qu’il ne consentait pas à ce que son fils se présente seul à la rencontre. Il a indiqué à M. Gauthier soit qu’il accompagnerait son fils à la rencontre, soit que son avocate l’accompagnerait.

 

[31]         Une rencontre était également fixée avec l’appelant. Il s’est présenté aux bureaux de RHDSC, mais au tout début de la rencontre il a indiqué qu’il était mal à l’aise que cette rencontre ait lieu sans son avocate. Il a indiqué qu’il prendrait un nouveau rendez-vous avec M. Gauthier, mais cela n’a pas eu lieu. Vu l’impossibilité de procéder à des entrevues avec M. Frédéric Lepage ou avec l’appelant, M. Gauthier a décidé de transmettre le dossier afin qu’une décision soit prise.

 

[32]         Mme Nicole Bérubé, chef des appels chez l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), a témoigné qu’elle a confié le dossier à Mme Nathalie Bédard, agente des appels, afin qu’elle traite la demande d’appel de l’appelant. Elle a agi suivant la décision qui déclarait que l’emploi de l’appelant avec le payeur n’était pas assurable pour les périodes en litige. Elle a indiqué au tribunal qu’elle a révisé le travail de Mme Bédard et que cette dernière ne pouvait pas être présente au procès puisqu’elle était en congé de maternité.

 

[33]         Mme Bérubé a témoigné qu’elle avait le dossier de Mme Nathalie Bédard en sa possession. Elle a indiqué que Mme Bédard et elle ont choisi de confirmer la décision de première instance à la lumière des documents dans le dossier de l’ARC. Elle a témoigné que M. Frédéric Lepage et l’appelant ont refusé de collaborer avec l’ARC. Elle a indiqué que, selon le dossier de Mme Bédard, cette dernière a communiqué avec M. Frédéric Lepage ou avec l’appelant à plusieurs reprises. M. Frédéric Lepage l’a invitée en tout temps à parler à son père. Ce dernier a refusé de faire une entrevue téléphonique et a demandé à Mme Bédard de se déplacer à Rimouski afin que toute entrevue ait lieu en présence de son avocate.

 

[34]         Mme Bérubé a identifié les documents produits sous les cotes I-1 à I-10 du dossier de la Cour.

 

[35]         La pièce I-1 est la déclaration annuelle du payeur pour l’année 2001 que M. Frédéric Lepage a signée le 16 mai 2002. Ce document a été fourni à l’Inspecteur général des institutions financières du Québec. À la case intitulée « Identification des actionnaires », il est indiqué que M. Frédéric Lepage détenait plus de 50 % des actions avec droit de vote du payeur. Mme Gaétane Beaulieu était identifiée comme l’actionnaire détenant le solde des actions.

 

[36]         Elle a également identifié la demande d’appel de l’appelant. Dans sa lettre du 22 mai 2006, l’appelant a indiqué que son emploi était assurable puisqu’il détenait, selon l’information reçue des bureaux de l’ARC, moins de 40 % des actions du payeur, ce qui est pertinent quant à la détermination du motif subsidiaire présenté par l’avocate de l’intimé.

 

[37]         Elle a également identifié la déclaration annuelle du payeur pour l’année 2002 produite à l’Inspecteur général des institutions financières du Québec. Les deux mêmes personnes ont été indiquées comme actionnaires du payeur. L’appelant a signé le formulaire le 9 décembre 2002 en tant que vice-président du payeur. Mme Bérubé a identifié les demandes de prestations de chômage déposées par l’appelant pour chacune des années en cause. Dans sa demande de prestations pour la période du 15 octobre au 8 décembre 2001, l’appelant a indiqué à la question 35 qu’il n’avait aucun lien de dépendance avec l’employeur, c’est-à-dire le payeur. De plus, à la question 36, où on demandait à l’appelant s’il détenait plus de 40 % des actions du payeur, il a répondu « non ». Dans les renseignements supplémentaires concernant la demande de prestations, l’appelant indique qu’il détient 23 % des actions du payeur.

 

[38]         Dans sa demande de prestations pour la période du 30 septembre au 25 octobre 2002, l’appelant a répondu de la même manière aux questions relatives au lien de dépendance et à la détention des actions ordinaires du payeur. Toutefois, dans la section intitulée « Renseignements supplémentaires », il n’indique rien.

 

[39]         Dans sa demande de prestations pour la période du 14 août au 14 novembre 2003, l’appelant indique qu’il est lié au payeur puisqu’il est contrôlé par son fils. Il répond « non » à la question relative à la détention de plus de 40 % des actions avec droit de vote du payeur.

 

[40]         Mme Bérubé a identifié deux autres documents produits au dossier de la Cour. Le premier document est un extrait informatique, la pièce I-8, qui contient des informations sommaires sur les déclarations de revenus de M. Frédéric Lepage pour les années d’imposition 2001, 2002 et 2003. L’information indique que M. Frédéric Lepage a gagné un revenu d’entreprise brut de 38 710 $ et un revenu net de 11 909 $ pour l’année d’imposition 2001. Le fichier électronique indique un revenu brut de 65 632 $ pour l’année d’imposition 2002 et un revenu d’entreprise net de -10 $ pour cette même année. Finalement, le fichier électronique n’indique aucun revenu d’entreprise net pour 2003.

 

[41]         Les états des résultats des activités d’une entreprise de M. Frédéric Lepage ont été produits en liasse à la pièce I-10 du fichier électronique. Dans l’état des résultats du 1er janvier au 31 décembre 2002, M. Frédéric Lepage a réclamé une dépense de 35 000 $ payable au payeur pour un contrat de sous-traitance.

 

[42]         Après le témoignage de Mme Bérubé, M. Frédéric Lepage a été appelé à témoigner en réinterrogatoire afin d’expliquer l’origine du revenu d’entreprise déclaré dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2001 et 2002.

 

[43]         M. Frédéric Lepage a indiqué à la Cour qu’il a acheté, selon les conseils de son père, un camion-citerne pour la modique somme de 500 $. À sa demande, son père s’est occupé des réparations majeures du camion-citerne, y compris la réparation du moteur. Il a expliqué qu’il ne voulait pas induire le tribunal en erreur lorsqu’il a mentionné qu’il n’avait reçu aucun revenu quelconque du payeur. Il a témoigné que la raison pour laquelle il possédait personnellement le camion-citerne était de profiter du système de priorité établi par l’entreprise Transporteurs en vrac de Rimouski inc.

 

[44]         L’appelant a été rappelé à la barre afin d’identifier de nouveaux documents qui ont été déposés sous la cote A-4 afin d’expliquer des divergences concernant le nombre d’actions avec droit de vote du payeur détenues par l’appelant. Ces documents sont des extraits des procès-verbaux du payeur pour les périodes du 20 mars 2001 au 5 décembre 2003.

 

[45]         Le procès-verbal du 20 mars 2001 prévoit l’émission d’actions du payeur comme suit :

 

Souscripteurs

Nombre & catégorie d’actions

Nature de la contrepartie

Considération totale

 

 

 

 

Yvon Lepage

23 act. cat. « A »

Argent

23.00

Frédéric Lepage

29 act. cat. « A »

Argent

29.00

Gaétane Beaulieu

48 act. cat. « A »

Argent

48.00

 

[46]         Chacune des parties précitées a obtenu les actions directement du payeur.

 

[47]         Dans le procès-verbal du 30 avril 2002 signé par Frédéric Lepage, Gaétane Beaulieu et l’appelant, le payeur approuve le transfert de 23 actions de « catégorie A » de l’appelant à son fils Frédéric Lepage.

 

[48]         Dans le dernier procès-verbal de la pièce A-4, en date du 5 décembre 2003, les administrateurs du payeur ont approuvé le transfert de 48 actions de « catégorie A » du payeur de Gaétane Beaulieu à l’appelant.

 

[49]         Au cours de son témoignage, Mme Bérubé a indiqué que la déclaration de revenus du payeur pour l’année d’imposition se terminant le 30 avril 2004 indiquait que l’appelant était le seul actionnaire du payeur. Ni l’appelant ni l’intimé n’ont déposé une copie de cette déclaration de revenus.

 

Analyse

 

[50]         L’avocate de l’appelant a argumenté que l’emploi de l’appelant devrait être assurable en vertu des dispositions de la Loi. Elle a expliqué à la Cour que les conditions d’emploi de M. Frédéric Lepage étaient identiques à celles de M. Fernando Ross. Elle a indiqué que l’appelant avait un revenu un peu plus élevé que M. Ross et que cela était uniquement en raison du fait que l’appelant s’occupait également de la mécanique. La période d’emploi de l’appelant était pratiquement identique à celle de M. Ross. Le paiement du salaire hebdomadaire était identique à celui de M. Ross. Dans les deux cas, M. Ross et l’appelant devaient être libres en tout temps pour conduire les camions lorsque les appels étaient reçus. Comme les conditions d’emploi de M. Frédéric Lepage étaient à peu près semblables à celles de M. Ross, qui n’avait aucun lien de dépendance avec le payeur, l’avocate de l’appelant a argumenté que la décision de l’ARC est erronée. Le lien de dépendance n’a eu aucun effet sur les conditions d’emploi de son client puisque celles-ci étaient identiques à celles d’une personne sans lien de dépendance. Quant à l’argument subsidiaire livré par l’intimé, elle a argumenté que l’intimé avait le fardeau de prouver selon la prépondérance des probabilités que l’appelant avait un contrôle réel sur plus de 40 % des actions avec droit de vote du payeur. Elle a indiqué à la Cour que l’intimé n’a pas satisfait au fardeau de la preuve sur ces motifs subsidiaires et que, par conséquent, elle demande que l’appel soit accueilli.

 

[51]         L’avocate de l’intimé a argumenté que la propriété légale des actions du payeur n’était pas claire pour les périodes d’emploi de l’appelant. Elle a argumenté que l’appelant a indiqué dans sa demande de révision de la décision de première instance qu’il détenait 33 % des actions émises et en circulation du payeur.

 

[52]         Elle a expliqué à la Cour qu’il était impossible pour l’ARC de présenter une preuve directe sur la question du contrôle réel exercé par l’appelant sur les actions avec droit de vote du payeur. L’appelant, son fils et Mme Beaulieu ont refusé de collaborer lors de l’enquête initiale ainsi que lors de l’appel de la décision. Elle a argumenté que Mme Beaulieu connaissait très peu le fonctionnement du payeur et était incapable d’identifier la façon dont elle a obtenu les actions. Elle a indiqué à la Cour que Mme Beaulieu a mentionné qu’elle avait acquis les actions de l’appelant alors que les procès-verbaux du payeur prévoient qu’elle y avait souscrit.

 

[53]         Quant au classement de documents que Mme Beaulieu faisait pour le payeur, elle était incapable d’identifier la nature des documents en question. Ceci indiquait que son rôle dans la gestion du payeur était très superficiel.

 

[54]         L’avocate de l’intimé a indiqué que M. Frédéric Lepage n’a pas témoigné avec franchise devant le tribunal. Lors de son interrogatoire principal, il a omis d’expliquer au tribunal qu’il était le propriétaire enregistré d’un camion-citerne et qu’il avait conclu un contrat de sous-traitance avec le payeur. Deuxièmement, elle a noté que M. Frédéric Lepage a témoigné qu’il a cédé les actions à son père en 2005 lorsqu’il est retourné aux études à Québec. La déclaration de revenus et les notes au dossier de Mme Bérubé indiquaient que l’appelant était le propriétaire de toutes les actions émises et en circulation en date du 30 avril 2004.

 

[55]         L’avocate de l’intimé a expliqué à la Cour que le stratagème utilisé afin d’avoir priorité chez l’entreprise Transporteurs en vrac de Rimouski inc. était un plan élaboré par l’appelant et non par son fils. Selon elle, la preuve démontre que l’appelant était l’âme dirigeante du payeur pendant toutes les périodes d’emploi en litige.

 

[56]         Elle a argumenté à la Cour que l’intimé a satisfait au fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilités quant au motif subsidiaire invoqué au début du procès. Quant au motif initial mentionné par le ministre en prenant sa décision au sujet du caractère assurable de l’emploi de l’appelant, elle a indiqué que l’emploi de l’appelant n’était pas similaire à celui de M. Ross. Elle a mentionné que le relevé d’emploi de l’appelant indiquait qu’il était à la fois répartiteur et conducteur de camion alors que M. Fernando Ross n’était que simple conducteur. Elle a précisé qu’il aurait été préférable que M. Ross témoigne pour établir ses conditions d’emploi qui ont été utilisées comme base de référence par l’appelant. Pour tous ces motifs, elle a demandé à la Cour de rejeter l’appel de l’appelant.

 

[57]         J’estime qu’il est important de traiter des motifs subsidiaires soulevés par l’avocate de l’intimé à l’appui de la décision prise par Mme Bérubé après l’examen du dossier d’appel de l’appelant. Quant au motif principal, je conclus que l’appelant a prouvé selon la prépondérance des probabilités que son emploi était similaire à celui de M. Ross, une personne sans lien de dépendance avec le payeur.

 

[58]         La décision de Mme Bérubé se lit comme suit :

Nous avons déterminé que cet emploi n’était pas assurable pour les périodes susmentionnées. Après avoir examiné les conditions et les modalités de l’emploi, nous sommes d’avis qu’un contrat de travail semblable n’aurait pas été conclu s’il n’y avait pas eu de lien de dépendance entre l’employé et l’employeur.

 

Cette décision a été rendue en vertu du paragraphe 93(3) de la Loi sur l’assurance‑emploi et s’appuie sur l’alinéa 5(2)i) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[Je souligne.]

 

[59]         La décision apparaît à la première phrase de la citation. En bref, Mme Bérubé a conclu que l’emploi de l’appelant n’était pas assurable pendant les périodes en litige mentionnées dans sa décision. Le reste de la citation traite des motifs de la décision.

 

[60]         Je note que Me Dany Leduc, qui s’occupait du dossier de l’intimé avant le procès, a envoyé une lettre en date du 14 mai 2008 à l’avocate de l’appelant indiquant que l’intimé pourrait invoquer un argument subsidiaire à l’appui de la décision du ministre du Revenu national au cours du procès. Me Leduc indiquait que l’argument subsidiaire serait que l’appelant contrôlait plus de 40 % des actions avec droit de vote du payeur. Une copie de cette lettre a été produite au dossier de la Cour. L’avocate de l’appelant ne pouvait pas être prise par surprise lorsque l’avocate de l’intimé a soulevé cet argument subsidiaire au début du procès. Toutefois, puisqu’il s’agit de nouveaux motifs, j’estime que l’intimé a le fardeau de prouver selon la prépondérance des probabilités que l’appelant contrôlait plus de 40 % des actions avec droit de vote du payeur.

 

[61]         L’intimé a-t-il réussi à satisfaire à ce fardeau de la preuve? J’estime que oui. Il est évident qu’une preuve directe de l’existence d’un contrôle réel exercé par l’appelant est impossible à moins d’un aveu des actionnaires du payeur.

 

[62]         La Cour a pu constater par le témoignage de Mme Gaétane Beaulieu que celle-ci ne savait rien de l’administration et du fonctionnement du payeur. Elle ignorait de son propre aveu la nature des documents qu’elle plaçait dans une chemise pour les remettre au comptable externe du payeur. Elle ignorait le fait qu’elle n’a pas acquis ses actions de M. Frédéric Lepage, mais qu’elle y a plutôt souscrit. Je conclus qu’elle signait les documents que l’appelant lui demandait de signer. J’estime que quelqu’un qui s’occupe de l’administration pourrait facilement dire si les documents qu’elle classait étaient des factures pour services rendus ou des factures pour les dépenses payées. Elle ne s’occupait ni des dépôts bancaires ni des payes des employés. Elle mettait simplement des documents dans une chemise qu’elle remettait au comptable une fois par semaine. Au cours de son témoignage, elle a admis à plusieurs reprises qu’elle ne savait rien des activités du payeur. Elle était un témoin très récalcitrant pour l’intimé.

 

[63]         J’ai eu beaucoup de difficultés avec le témoignage de M. Frédéric Lepage. L’histoire de son désir de devenir propriétaire du payeur semblait être une histoire apprise par cœur. Il a indiqué qu’il a cédé les actions à son père lorsqu’il est retourné aux études en 2005, alors que le dossier que Mme Bérubé avait devant elle indiquait que M. Frédéric Lepage était le seul actionnaire à la fin de 2004. En interrogatoire principal, il a omis d’expliquer au tribunal qu’il avait un camion enregistré en son nom.

 

[64]         Il a expliqué l’existence de ce camion seulement au cours d’un réinterrogatoire après que ses déclarations de revenus produites par Mme Bérubé indiquaient qu’il avait un contrat de sous-traitance avec le payeur. À plusieurs reprises, l’avocate de l’intimé a demandé à M. Frédéric Lepage s’il avait pu profiter des actions ou de sa gestion du payeur. Il a répondu non plusieurs fois en interrogatoire principal. En réinterrogatoire, son explication était que la question touchait simplement les activités du payeur et non ses activités personnelles. Toutefois, il avait un contrat de sous-traitance important avec le payeur qui l’obligeait à verser à ce dernier 35 000 $ en 2002. J’estime que M. Frédéric Lepage n’a pas voulu expliquer cet arrangement au cours de son interrogatoire principal puisque celui-ci consistait en la mise en œuvre d’un stratagème, que son père connaissait très bien, afin d’apparaître deux fois sur la liste de l’entreprise Transporteurs en vrac de Rimouski inc. Je conclus par inférence que l’appelant était l’âme dirigeante de ce stratagème.

 

[65]         Lorsque je lui ai demandé comment il avait acquis le camion, il a expliqué que ce camion était acheté pour une modique somme de 500 $. Les réparations majeures du camion-citerne étaient entièrement effectuées sous le contrôle de son père.

 

[66]         M. Frédéric Lepage n’avait aucun permis qui lui permettait de conduire ce camion ou celui du payeur. Il a expliqué à la Cour qu’un employé du payeur devait venir le chercher et le reconduire aux locaux du payeur.

 

[67]         Après avoir entendu toute la preuve, j’estime que l’appelant exerçait un contrôle réel sur les actions avec droit de vote du payeur détenues par Mme Gaétane Beaulieu, sa conjointe de fait. J’estime également qu’il avait un contrôle important sur les actions détenues par son fils. Il était l’âme dirigeante du payeur pendant toutes les périodes d’emploi en litige.

 

[68]         Pour ces motifs, je rejette l’appel de l’appelant.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de décembre 2008.

 

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2008 CCI 656

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-1460(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              YVON LEPAGE c. M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Rimouski (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 8 et 10 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Robert J. Hogan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 1er décembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l'appelant :

Me Maryse Beaulieu

 

 

Avocate de l'intimé :

Me Christina Ham

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant :

 

                     Nom :                            Me Maryse Beaulieu

 

                 Cabinet :                           Desaulniers, Ouellet, avocats

                                                          Rimouski (Québec)

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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