Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossier : 2008-527(EI)

ENTRE :

NORMAN F. EINARSSON LAW CORPORATION,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

[traduction française officielle]

 

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

Norman F. Einarsson Law Corporation (2008-529(CPP))

à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 18 novembre 2008.

 

Devant : L’honorable juge suppléant D.W. Rowe

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Me Andrea Donohoe

Me Donald W. Smetheram

 

 

Avocate de l’intimé :

Me Whitney Dunn

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel est rejeté est la décision du ministre du Revenu national est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

 

 

Signé à Sidney (Colombie‑Britannique), ce 26e jour de janvier 2009.

 

 

 

« D.W. Rowe »

Juge suppléant Rowe

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mars 2009.

 

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


 

 

 

 

Dossier : 2008-529(CPP)

ENTRE :

NORMAN F. EINARSSON LAW CORPORATION,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

[traduction française officielle]

 

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

Norman F. Einarsson Law Corporation (2008-527(EI))

à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 18 novembre 2008.

 

Devant : L’honorable juge suppléant D.W. Rowe

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Me Andrea Donohoe

Me Donald W. Smetheram

 

 

Avocate de l’intimé :

Me Whitney Dunn

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel est rejeté est la décision du ministre du Revenu national est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

 

 

Signé à Sidney (Colombie‑Britannique), ce 26e jour de janvier 2009.

 

 

 

« D.W. Rowe »

Juge suppléant Rowe

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mars 2009.

 

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


 

 

 

 

Référence : 2009CCI45

Date : 20090126

Dossiers : 2008-527(EI)

2008-529(CPP)

ENTRE :

NORMAN F. EINARSSON LAW CORPORATION,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

[traduction française officielle]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Rowe

 

[1]     L’appelante, la Norman F. Einarsson Law Corporation (« ELC »), a interjeté appel de deux décisions prises le 20 novembre 2007 par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en application de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi ») et du Régime de pensions du Canada (le « Régime »). Dans ces décisions, le ministre a conclu que l’emploi exercé par Diana Tecson (« Mme Tecson ») auprès d’ELC entre le 1er janvier 2005 et le 31 mars 2006 était un emploi assurable et ouvrant droit à pension parce que Mme Tecson avait été engagée au moyen d’un contrat de louage de services.

 

[2]     Les avocats de l’appelante et l’avocate de l’intimé ont accepté que les deux appels soient entendus conjointement.

 

[3]     Même si Mme Tecson travaillait auprès d’ELC selon les mêmes modalités depuis 2003, seule la période mentionnée ci‑dessus fait l’objet du présent litige.

 

[4]     Les parties se sont entendues pour déposer en preuve (pièce A‑1) un exposé conjoint partiel des faits, dont les paragraphes 1 à 21 sont ainsi rédigés :

 

[TRADUCTION]

 

1.                  La Norman F. Einarsson Law Corporation (le « cabinet ») fournit des services juridiques en Colombie‑Britannique en matière de droit du transfert immobilier, de droit successoral, de droit des sociétés et, dans une faible mesure,  de litiges mettant en cause des sociétés.

 

2.                  Diana Tecson fournissait des services de soutien juridique au cabinet. Mme Tecson a commencé à travailler auprès du cabinet en 2003 et a continué à le faire tout au long de la période visée par les appels, à savoir du 1er janvier 2005 au 31 mars 2006.

 

3.                  Le cabinet et Mme Tecson se sont entendus pour que cette dernière fournisse ses services à titre d’entrepreneur indépendant, et le cabinet n’a fait aucune retenue sur les sommes qu’il versait à Mme Tecson, que ce soit au titre de l’impôt sur le revenu, de l’assurance‑emploi ou du Régime de pensions du Canada.

 

4.                  L’intention du cabinet et de Mme Tecson était que cette dernière ne soit pas un employé, mais bien un travailleur indépendant.

 

5.                  Mme Tecson devait, entre autres, effectuer des tâches de dactylographie, classer des documents et répondre au téléphone.

 

6.                  Mme Tecson avait de l’expérience dans ce domaine, et le cabinet n’avait pas besoin de surveiller son travail.

 

7.                  Le cabinet vérifiait le travail de Mme Tecson pour s’assurer de sa qualité.

 

8.                  Les heures de bureau du cabinet étaient de 9 h à 16 h, du lundi au vendredi.

 

9.                  Mme Tecson travaillait habituellement environ six heures par jour, du lundi au vendredi.

 

10.              Mme Tecson recevait une rémunération de 16,50 $ l’heure.

 

11.              Mme Tecson présentait au cabinet des factures sur lesquelles elle indiquait le nombre d’heures qu’elle avait passées à travailler.

 

12.              Mme Tecson n’ajoutait pas de taxe sur les produits et services (la « TPS ») à ses factures.

 

13.              Le cabinet payait Mme Tecson par chèque.

 

14.              Dans ses bureaux, le cabinet fournissait un ordinateur, un téléphone, un classeur et des fournitures de bureau à Mme Tecson.

 

15.              Mme Tecson faisait parfois du travail pour le cabinet à partir de son bureau à domicile, où elle se servait de ses propres ordinateur, téléphone et télécopieur.

 

16.              Pour son bureau à domicile, Mme Tecson devait assumer les frais relatifs à son téléphone, son télécopieur et son téléphone cellulaire, et elle devait s’occuper de la préparation de factures et de la tenue de livres comptables.

 

17.              Mme Tecson n’a rien déboursé, ou presque, pour fournir ses services au cabinet.

 

18.              Mme Tecson pouvait travailler ailleurs, que ce soit en offrant les mêmes services qu’elle offrait au cabinet ou en offrant des services semblables. Elle ne l’a cependant pas fait durant la période visée par les appels.

 

19.              Mme Tecson n’avait pas de numéro d’entreprise à des fins fiscales.

 

20.              Mme Tecson n’avait ni carte professionnelle ni compte bancaire d’entreprise, et elle n’avait souscrit aucune assurance générale de responsabilité d’entreprise commerciale.

 

21.              Mme Tecson ne faisait pas de publicité pour offrir ses services.

 

[5]     Les avocats de l’appelante, avec l’accord de l’avocate de l’intimé, ont déposé en preuve (pièce A‑2) un recueil de documents contenant des copies de factures présentées à ELC par Mme Tecson durant la période en cause.

 

[6]     Norman Franklin Einarsson a témoigné qu’il était avocat pratiquant le droit à Surrey, en Colombie‑Britannique. Il a été admis au barreau en 1972, et, après avoir pratiqué au sein d’un cabinet à Vancouver pendant 30 ans, il s’est installé dans un petit bureau à Surrey, où il a pratiqué le droit seul par l’entremise d’une société professionnelle – ELC – dont il était l’unique administrateur. Me Einarsson a rencontré Mme Svelander, une technicienne juridique qui avait travaillé auprès d’un cabinet spécialisé en transfert immobilier à Port Coquitlam avant d’aller occuper un poste semblable auprès d’un avocat pratiquant dans le secteur de South Surrey. À la suite du départ de cet avocat, Me Einarsson a pu s’installer dans les locaux ainsi libérés. Mme Tecson, qui est la belle‑sœur de Mme Svelander, avait travaillé auprès d’un cabinet comptable à Vancouver, mais elle voulait travailler plus près de chez elle pour passer moins de temps à faire la navette entre la maison et le travail. Me Einarsson a affirmé avoir été convaincu que Mme Tecson avait assez d’expérience professionnelle et d’expertise en comptabilité pour pouvoir travailler comme secrétaire dans son cabinet, dont les activités étaient principalement de fournir des conseils juridiques, mais aussi, dans une moindre mesure, de représenter des clients dans le cadre de litiges. Cependant, Me Einarsson ne pouvait pas établir de charge de travail exacte et en a parlé avec Mme Tecson. Celle‑ci a accepté que le nombre d’heures de travail puisse varier. Me Einarsson a affirmé avoir montré à Mme Tecson comment préparer certains documents, mais il a dit qu’elle savait déjà comment inscrire les transactions dans les registres qu’elle emportait chez elle et comment faire l’apurement obligatoire des comptes en fiducie. Conformément à l’entente intervenue entre Me Einarsson et Mme Tecson quand elle a commencé à travailler auprès d’ELC en 2003, le taux horaire de Mme Tecson durant la période en cause était de 16,50 $, elle ne recevait aucune prime pour les heures supplémentaires et elle n’avait droit à aucun avantage social. Par l’entremise de son cabinet, Me Einarsson s’occupait de dossiers de transfert immobilier et, pour ce faire, il avait recours aux services de Mme Svelander. Celle‑ci travaillait dans les mêmes locaux que Me Einarsson et était rémunérée en fonction d’un pourcentage des honoraires facturés par Me Einarsson pour ces dossiers. En janvier 2005, Mme Svelander a eu besoin d’aide pour s’occuper des dossiers de transfert immobilier, et Mme Tecson a accepté de lui prêter main-forte. Me Einarsson a dit qu’il s’était entendu avec Mme Tecson pour qu’elle reçoive une commission équivalant à 13 % des honoraires facturés pour les dossiers auxquels elle allait travailler, en plus de son salaire de 16,50 $ l’heure. Me Einarsson a affirmé que suite à des négociations, le salaire horaire versé à Mme Tecson avait augmenté depuis 2003, et que Mme Tecson recevait environ 24 000 $ par année durant la période en cause. Me Einarsson exigeait que Mme Tecson l’avertisse avant de s’absenter, mais il considérait qu’il s’agissait d’une question de courtoisie. Mme Tecson l’avertissait lorsqu’elle partait en camping pendant une semaine ou qu’elle prévoyait ne pas travailler le vendredi. Selon les factures présentées à ELC par Mme Tecson pour la période allant du 4 au 14 janvier 2005 (onglet « janvier » de la pièce A‑2), elle avait seulement facturé 5,5 heures pour les 5 et 6 janvier, 6 heures pour quatre autres journées, et une pleine journée de 7 heures seulement pour le 13 janvier. Me Einarsson ne se souvenait pas du moment où il s’était entendu avec Mme Tecson pour qu’elle fasse le ménage des locaux, selon ce qu’elle jugeait nécessaire, pour un taux fixe de 70 $, mais Mme Tecson a facturé ce service durant la période en cause. Compte tenu de la nature des dossiers de transfert immobilier, Mme Tecson pouvait les apporter chez elle et y travailler à son propre rythme. La facture du mois de février, qui visait la période allant du 31 janvier au 11 février, comprenait une entrée relative à 3 heures de travail fait à domicile quant à des [TRADUCTION] « rapp. bancaires », c’est‑à‑dire des rapprochements bancaires. M. Einarssson a affirmé que Mme Tecson pouvait refuser de travailler à certains dossiers, et que pour ces cas‑là, il s’était entendu avec un cabinet d’avocats comptant cinq personnes pour que ce cabinet lui fournisse les services d’un technicien juridique pour certains dossiers, par exemple dans le cas de la vente d’une entreprise à un prix considérable. Bien que cela soit arrivé plus tôt dans sa relation de travail avec Me Einarsson et avant la période en cause, Mme Tecson avait fait appel à un technicien juridique pour la remplacer quand elle est partie en vacances durant cinq semaines. La sœur de Mme Tecson travaillait comme technicienne juridique dans un cabinet d’avocats situé au centre‑ville de Vancouver, et Mme Tecson pouvait demander de l’aide et des conseils à d’autres personnes ayant de l’expérience dans le domaine. Me Einarsson a dit qu’au début de la relation de travail, il avait convenu avec Mme Tecson qu’ils pourraient l’un et l’autre mettre fin à leur relation de travail, mais cela est seulement arrivé quand Mme Tecson a annoncé à Me Einarsson qu’elle et son époux allaient déménager à Prince George. L’organisation du déménagement a pris entre six et huit mois, et ce n’est qu’en juin 2008 que Mme Tecson a cessé de travailler auprès d’ELC. Me Einarsson a dit qu’il avait discuté du statut de Mme Tecson avec elle plus d’une fois, car elle n’avait droit à aucun avantage social et à aucun congé payé, mais Mme Tecson voulait demeurer un entrepreneur indépendant et ne voulait pas occuper un emploi la forçant à travailler jusqu’à 17 h, car elle tenait absolument à être avec ses enfants dès qu’ils quittaient l’école à 15 h. On a renvoyé Me Einarsson à l’onglet « juin » de la pièce A‑2, où Mme Tecson avait facturé une somme de 159,46 $ en fonction d’une commission de 13 % des honoraires facturés pour trois dossiers de transfert immobilier distincts. Mme Tecson n’incluait pas de taxe sur les produits et services (la « TPS ») dans ses factures parce qu’elle facturait moins de 30 000 $ par année et qu’elle n’était pas inscrite comme fournisseur pour l’application de la Loi sur la taxe d’accise.

 

[7]     L’avocate de l’intimé a contre‑interrogé Me Einarsson. Celui‑ci a reconnu qu’en tant que membre de la Law Society of British Columbia (la société du barreau de la Colombie‑Britannique, ci‑après la « société du barreau ») ayant un cabinet, il était responsable du travail fait par Mme Tecson. Quoique Mme Tecson n’avait jamais travaillé dans un cabinet d’avocats, Me Einarsson a conclu qu’elle apprenait très rapidement et, quand elle a commencé à travailler à des dossiers de transfert immobilier, Me Einarsson vérifiait plus rigoureusement le travail de Mme Tecson sur ces dossiers que celui de Mme Svelander. Selon Me Einarsson, pour la plus grande partie de la période visée par les appels, Mme Tecson était assez bien formée et qualifiée pour faire son travail et décider de préparer divers documents de son propre chef. Jusqu’à ce que Mme Svelander quitte ELC à l’été 2005, elle recevait une commission de 40 % des honoraires facturés pour les dossiers auxquels elle travaillait. Me Einarsson a estimé que durant la période en cause, les activités d’ELC étaient constituées d’entre 10 % et 15 % de dossiers de transfert immobilier, d’entre 50 % et 55 % de dossiers en droit des sociétés et d’un certain nombre de litiges quant à des lésions corporelles.

 

[8]     Lorsque Me Einarsson a été réinterrogé par ses avocats, il a affirmé qu’il considérait que Mme Svelander avait fourni ses services à ELC à titre d’entrepreneur indépendant. Il a aussi dit qu’avant l’embauche de Mme Tecson, la comptabilité était faite par un comptable général accrédité. Me Einarsson ne se souvenait pas s’il avait demandé au cabinet d’avocats comptant cinq personnes de fournir les services d’un technicien juridique à ELC durant la période en cause.

 

[9]     L’intimé n’a appelé aucun témoin.

 

[10]    Les avocats de Me Einarsson ont présenté des argumentations écrites, que j’ai résumées de la façon suivante :

 

1.                 Il est indéniable que Me Einarsson – par l’entremise d’ELC, sa société – et Mme Tecson avaient l’intention de voir cette dernière fournir ses services en tant qu’entrepreneur indépendant pour dactylographier, classer des documents,  répondre au téléphone, assurer la liaison avec les clients et fournir des services de comptabilité.

 

2.                 Me Einarsson supervisait très peu le travail de Mme Tecson, se limitant à ce qui était nécessaire, par prudence, pour vérifier la qualité du travail et se conformer aux exigences de la société du barreau.

 

3.                 Mme Tecson et ELC s’étaient entendues pour que, dans ses factures, Mme Tecson indique le nombre d’heures travaillées au taux horaire convenu (16,50 $), de même que les sommes supplémentaires qu’elle avait gagnées, à titre de commission, en fonction des honoraires facturés pour les dossiers de transfert immobilier; elle devait aussi indiquer les divers services pour lesquels elle n’était pas rémunérée à son taux horaire habituel.

 

4.                 Tout au long de leur relation de travail, y compris durant la période en cause, Mme Tecson et Me Einarsson se sont comportés de façon conforme à leur intention originale, c’est‑à‑dire de voir Mme Tecson fournir ses services à titre d’entrepreneur indépendant, et non pas en tant qu’employé engagé au moyen d’un contrat de louage de services.

 

5.                 Bien que Mme Tecson travaillait habituellement six heures par jour, elle pouvait choisir d’écourter ou d’allonger ses journées de travail, elle pouvait décider de s’absenter du bureau pour une partie de la journée et elle pouvait choisir d’apporter des dossiers chez elle pour y travailler dans son bureau à domicile, pour lequel elle devait assumer tous les frais.

 

6.                 Mme Tecson pouvait refuser de travailler à certains dossiers, prendre de vacances prolongées ou des journées de congé quand elle le voulait et offrir des services similaires à d’autres personnes et à d’autres cabinets d’avocats sans devoir demander la permission de Me Einarsson.

 

7.                 Bien que Mme Tecson ne l’ait pas fait durant la période en cause, elle avait le droit d’engager quelqu’un pour l’aider ou la remplacer.

 

8.                 La nature de la relation de travail faisait qu’il était normal et raisonnable qu’ELC, dans ses locaux, fournisse à Mme Tecson ses outils de travail.

 

9.                 D’une part, Mme Tecson risquait de voir ELC mettre fin à son contrat sans préavis et sans indemnisation. D’autre part, Mme Tecson pouvait cesser de fournir ses services à ELC sans préavis.

 

10.             Mme Tecson fournissait ses services à un cabinet qui comptait un seul avocat : Me Einarsson. Elle ne pouvait donc pas s’attendre à avoir la même sécurité d’emploi que si elle avait travaillé pour un grand cabinet d’avocats dont, dans des circonstances normales, la survie aurait semblé naturelle.

 

11.             Mme Tecson n’avait pas droit aux avantages sociaux dont profite habituellement un employé, notamment les congés payés, la rémunération des jours fériés, la prime pour les heures supplémentaires et les congés de maladie.

 

12.             Mme Tecson pouvait augmenter ses revenus en obtenant des commissions sur des dossiers de transfert immobilier.

 

13.             Mme Tecson faisait aussi le ménage des bureaux d’ELC, et elle facturait 70 $ à ELC chaque fois qu’elle faisait cette tâche.

 

14.     Mme Tecson préparait elle‑même ses factures en fonction du taux horaire convenu, du pourcentage fixé pour ses commissions quant à certains dossiers et du taux fixe établi pour le ménage.

 

15.             ELC et Mme Tecson ont délibérément choisi d’agir conformément à la pratique commerciale moderne selon laquelle Mme Tecson fournissait ses services en application d’un contrat de service. Comme le démontrent leurs actions, ils ont ensuite agi de façon à se conformer à cette intention.

 

[11]    Les avocats de l’appelante ont soutenu que les appels devraient être accueillis et que la décision du ministre devrait être modifiée compte tenu du fait que Mme Tecson n’avait pas occupé d’emploi assurable ou ouvrant droit à pension auprès d’ELC durant la période en cause.

 

[12]    L’avocate de l’intimé a reconnu que l’intention des parties était claire, que celles‑ci voulaient que Mme Tecson fournisse ses services à titre d’entrepreneur indépendant, et que Mme Tecson facturait ses services à ELC. L’avocate de l’intimé a souligné que les factures (pièce A‑2) portaient presque toujours sur des services fournis pour 20 ou 21 jours par mois. Lorsque Mme Tecson préparait ses factures pour certaines périodes, elle indiquait que certains jours étaient fériés, et inscrivait « 0 » dans la colonne [TRADUCTION] « heures travaillées ». Elle faisait la même chose lorsqu’elle indiquait les journées où elle avait pris un congé de maladie en inscrivant « 0 » comme nombre d’heures passées à travailler. Selon l’avocate de l’intimé, Mme Tecson agissait de la même manière que l’aurait fait un employé rémunéré en fonction d’un taux horaire, car la rémunération de Mme Tecson reflétait le véritable nombre d’heures qu’elle avait passées à travailler. L’avocate de l’intimé a souligné que Mme Tecson n’avait fait presque aucun travail pour ELC à partir de son bureau à domicile : elle avait seulement facturé 3 heures pour février 2005 et 3 heures pour mars 2005. Cela mis à part, Mme Tecson travaillait selon un horaire régulier de 6 heures par jour, du lundi au vendredi – un total d’environ 30 heures par semaine. De plus, le taux horaire de Mme Tecson avait été haussé avant le début de la période visée par les appels.

 

[13]    Quant à la question du contrôle, l’avocate de l’intimé a soutenu que Me Einarsson, l’âme dirigeante d’ELC et l’unique membre de sa direction, était responsable de la qualité du travail de Mme Tecson, et qu’en fin de compte, il devait répondre à la société du barreau du traitement de ses dossiers et de l’exactitude de la comptabilité faite par Mme Tecson, que ce soit pour les clients ou pour répondre aux besoins du cabinet, y compris pour respecter les règles de la société du barreau.

 

[14]    L’avocate de l’intimé a fait référence aux factures de Mme Tecson pour démontrer que les revenus attribuables aux commissions provenant de dossiers de transfert immobilier n’étaient pas importants compte tenu des revenus de Mme Tecson durant la période en cause – environ 26 000 $. Selon l’avocate de l’intimé, les services de nettoyage fournis par Mme Tecson faisaient partie de ses tâches en tant qu’employée d’ELC, et ces services permettaient au cabinet, qui comptait un seul avocat, de bien fonctionner. Mme Tecson n’avait pas de carte professionnelle, et elle n’était pas tenue de facturer la TPS parce que ses revenus ne dépassaient pas le seuil qui l’aurait obligée à s’inscrire aux fins de la TPS.

 

[15]    L’avocate de l’intimé a soutenu que la décision du ministre devrait être confirmée.

 

[16]    Dans plusieurs décisions récentes incluant Wolf v. The Queen, 2002 DTC 6853, Royal Winnipeg Ballet c. M.R.N. (C.A.F.), 2006 CAF 87 (CanLII) (« Royal Winnipeg Ballet »), Vida Wellness Corp. (s.n. Vida Wellness Spa) c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [2006] A.C.I. no 570 et City Water International Inc. c. Canada, 2006 CAF 350 (CanLII) (« City Water »), il n’a pas été contesté que les parties avaient clairement exprimé leur intention de voir la personne qui fournissait ses services le faire à titre d’entrepreneur indépendant plutôt qu’à titre d’employé. C’est aussi le cas dans les présents appels, comme il est affirmé dans l’exposé conjoint partiel des faits.

 

[17]    Dans 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983 – (« Sagaz »), la Cour suprême du Canada s’est penchée sur une affaire portant sur la responsabilité du fait d’autrui. Parmi les questions qu’elle a dû examiner, la Cour suprême a dû définir les caractéristiques de l’entrepreneur indépendant. C’est le juge Major qui a rédigé les motifs de la décision de la Cour suprême, et il a fait une revue de la jurisprudence portant sur les différences entre un employé et un entrepreneur indépendant dans les affaires de responsabilité du fait d’autrui. Après avoir fait référence aux motifs du juge MacGuigan dans Wiebe Door Services Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [1986] C.F. 553, et à la référence faite dans cet arrêt au critère d’organisation appliqué par lord Denning et à la synthèse du problème faite par le juge Cooke dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732, le juge Major s’est ainsi exprimé aux paragraphes 47 et 48 de Sagaz :

 

[47]      Bien qu’aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

 

[48]      Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

 

[18]    Je vais donc examiner les faits en cause dans les présents appels à la lumière des facteurs énoncés par le juge Major dans Sagaz.

 

Degré de contrôle

 

[19]    Au départ, quand Mme Tecson a commencé à travailler auprès d’ELC, c’est‑à‑dire en 2003, il a fallu que Me Einarsson la forme et surveille son travail de plus près, ce qu’il a aussi dû faire lorsqu’elle a commencé à s’occuper de dossiers de transfert immobilier. Une fois que Mme Tecson s’est habituée à ce travail et a montré qu’elle pouvait accomplir diverses petites tâches relatives à d’autres questions, Me Einarsson a pu diminuer le niveau de supervision et permettre à Mme Tecson de préparer certains documents de son propre chef. Toutefois, comme Me Einarsson avait des obligations envers ses clients et devait se conformer aux règles de la société du barreau, c’était lui qui était ultimement responsable du travail fait par Mme Tecson, y compris la comptabilité faite pour des dossiers de clients et pour ELC. Dans ce deuxième cas, Me Einarsson était responsable de l’exactitude des registres, des rapprochements bancaires, des comptes des clients et, aspect le plus important, du grand livre des comptes en fiducie – pour vérifier le traitement des sommes confiées par les clients d’ELC. Durant la période en cause, Mme Tecson a seulement facturé 7 heures de travail à domicile à ELC; il est donc évident qu’elle travaillait presque exclusivement dans les locaux du cabinet d’avocat, où son travail – mis à part le ménage – pouvait faire l’objet de surveillance et de contrôle, si nécessaire.

         

Fourniture de l’outillage et embauche d’assistants

 

[20]    Pour la période en cause, aucune preuve n’a été présentée pour montrer que Mme Tecson avait engagé des assistants, et l’outillage dont elle avait besoin pour travailler chez elle, dans la faible mesure où elle l’a fait – 7 heures en tout –, était probablement minime, car il semble qu’elle faisait surtout du travail de comptabilité lorsqu’elle travaillait chez elle. Rien ne permet de croire que Mme Tecson a dû engager des dépenses pour le travail qu’elle a fait pour ELC à son bureau à domicile, et les parties ont reconnu que Mme Tecson n’avait rien ou presque rien dépensé pour fournir ses services à ELC. Dans ses bureaux, ELC fournissait à Mme Tecson ses outils de travail, et Me Einarsson s’était entendu avec un cabinet d’avocats comptant cinq personnes pour obtenir l’aide d’un technicien juridique dans les cas où Mme Tecson se serait absentée du bureau ou n’aurait pas pu ou voulu, en raison de son manque d’expérience, faire certaines tâches liées à d’importantes transactions commerciales visant des sociétés. Il se peut que Mme Tecson ait acheté des produits de nettoyage pour faire le ménage, tâche qui lui a rapporté 350 $ en 15 mois, et il se peut qu’elle ait engagé quelqu’un pour faire le ménage à sa place, mais aucune preuve n’a été présentée à ce sujet.

 

Étendue des risques financiers et responsabilité pour mises de fonds et gestion

 

[21]    Les avocats de l’appelante ont soutenu que la précarité de l’emploi de Mme Tecson constituait un risque financier. Ils ont peut‑être raison, mais cela n’a rien à voir avec l’analyse qui doit être faite dans le cadre des présents appels. Il est vrai que Mme Tecson travaillait auprès d’un cabinet ne comptant qu’un avocat, mais elle travaillait auprès d’ELC depuis 2003; elle ne se trouvait donc pas dans la même situation qu’une personne qui doit faire la queue chaque matin pour se faire assigner une tâche d’installation de gouttières, de nettoyage de conduits à une résidence ou d’entretien de purificateurs d’eau. Dans le cadre de son travail de technicienne juridique, Mme Tecson ne risquait aucunement de subir des pertes en accomplissant ses tâches ordinaires de secrétaire, en travaillant à des dossiers de transfert immobilier, ou en faisant la comptabilité nécessaire à ELC. Mme Tecson n’était pas tenue de faire le moindre investissement relativement au fonctionnement du cabinet ou aux services qu’elle fournissait. Elle n’avait aucun personnel à gérer, et elle n’était pas obligée de fournir à ELC l’aide d’un technicien juridique en son absence, car Me Einarsson s’en était déjà chargé.

 

Possibilité de tirer profit de l’exécution des tâches

 

[22]    Mme Tecson facturait ses services de secrétaire à ELC en fonction d’un taux horaire. Elle ne facturait que les heures réellement passées à travailler, c’est‑à‑dire habituellement 6 heures par jour, du lundi au vendredi. Lorsque Mme Tecson travaillait à des dossiers de transfert immobilier, elle facturait une commission correspondant à 13 % des honoraires facturés, et elle ne pouvait ainsi augmenter ses revenus que si Me Einarsson se faisait confier davantage de dossiers de ce genre. Mme Tecson pouvait refuser de travailler à certains dossiers plus complexes, mais elle renonçait ainsi à des revenus supplémentaires. Il a été dit, pour le compte de Mme Tecson, qu’elle aurait pu travailler ailleurs, mais cela est vrai pour n’importe quelle personne qui a un horaire de travail régulier, à moins que le contrat de travail ne comporte une clause restrictive. Il n’est pas rare qu’une personne qui travaille environ 30 heures par semaine à un endroit augmente ses revenus en travaillant ailleurs, que ce soit à titre d’employé ou d’entrepreneur indépendant, et en accomplissant des tâches identiques, semblables ou étrangères à celles de son travail principal. La relation de travail qui liait ELC et Mme Tecson permettait seulement à cette dernière d’augmenter ses revenus en travaillant plus longtemps chaque semaine, en négociant un taux horaire plus élevé, en travaillant à plus de dossiers de transfert immobilier ou en s’entendant avec Me Einarsson pour obtenir une commission plus importante pour les dossiers de transfert immobilier. Mme Tecson aurait aussi pu nettoyer les locaux d’ELC plus souvent, et négocier un meilleur taux pour cette tâche‑là. Pour la période en cause, les factures faisant partie de la pièce A‑2 indiquent que Mme Tecson a gagné 1 432,16 $, soit 5,3 % de son revenu total de 26 677 $. Mme Tecson ne pouvait pas augmenter ses revenus en modifiant sa méthode de travail ou en étant plus efficace. Elle aurait peut‑être pu nettoyer les locaux d’ELC plus souvent, mais durant la période en cause, elle a seulement gagné 350 $ en faisant cette tâche, somme qui ne représente que 1,3 % de son revenu total pour cette période.

 

[23]    Dans Royal Winnipeg Ballet, précité, la question était de savoir si les danseurs étaient des employés ou des entrepreneurs indépendants. La position de la compagnie de ballet était appuyée par l’agent de négociation des danseurs, la Canadian Actors’ Equity Association (la « CAEA »). Dans cet arrêt, où elle a conclu que les danseurs n’étaient pas des employés de la compagnie de ballet, la juge Sharlow s’est prononcée de la sorte au sujet de l’arrêt Wolf, précité, aux paragraphes 60 à 64 de ses motifs :

 

[60]      Le juge Décary n’affirmait pas que la nature juridique d’une relation donnée est toujours celle que lui prêtent les parties. Il faisait référence en particulier aux articles 1425 et 1426 du Code civil du Québec, qui énoncent des principes du droit des contrats que l’on retrouve également en common law. Un de ces principes veut que, lorsqu’il s’agit d’interpréter un contrat, il faut rechercher l’intention commune des parties plutôt que de s’en remettre uniquement au sens littéral des mots utilisés. Un autre principe est que, pour interpréter un contrat, il convient de tenir compte des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que lui ont déjà donnée les parties ou d’autres personnes, ainsi que de l’usage. La conclusion inévitable est qu’il faut toujours examiner les éléments de preuve qui reflètent la façon dont les parties ont compris leur contrat et leur accorder une force probante appropriée.

 

[61]      Je souligne, une fois de plus, que cela ne veut pas dire que les affirmations que font les parties quant à la nature juridique de leur contrat sont concluantes. Cela ne veut pas dire non plus que les déclarations que font les parties quant à leurs intentions doivent nécessairement amener le tribunal à conclure que leurs intentions ont été concrétisées. Pour paraphraser la juge Desjardins (au paragraphe 71 des motifs principaux de l’arrêt Wolf), lorsqu’il est prouvé que les modalités du contrat, examinées dans le contexte factuel approprié, ne reflètent pas la relation juridique que les parties affirment avoir souhaité établir, alors il ne faut pas tenir compte de leur intention déclarée.

 

 

[62]      La question de savoir si l’intention contractuelle qu’une des parties déclare avoir eue coïncide avec celle de l’autre partie donne fréquemment lieu à des différends. En particulier, dans les appels intentés aux termes du Régime de pensions du Canada et de la Loi sur l’assurance-emploi, il arrive que les parties présentent des preuves contradictoires au sujet de la nature de la relation juridique qu’elles souhaitaient créer. Ce genre de différend prend habituellement naissance dans le cas où une personne est embauchée pour fournir des services et signe un formulaire de contrat présenté par l’employeur dans lequel la personne en question est qualifiée d’entrepreneur indépendant. L’employeur insère parfois une telle clause dans le contrat dans le but d’éviter de créer une relation employeur-employé. Il arrive que la personne en question affirme par la suite qu’elle était une employée. Elle pourrait déclarer qu’elle s’est sentie obligée d’indiquer son consentement sur le formulaire de contrat pour des raisons financières ou autres. Elle pourrait également déclarer qu’elle pensait, malgré le fait qu’elle a signé un contrat contenant ces termes, qu’elle serait traitée comme les autres travailleurs qui étaient manifestement des employés. Dans ce genre d’affaire, le tribunal pourrait fort bien conclure, en se fondant sur les facteurs exposés dans l’arrêt Wiebe Door, que la personne en question est une employée, mais cela ne veut pas dire que l’intention des parties n’est pas pertinente. En fait, les parties sont généralement d’accord sur le sens à donner à la plupart des modalités énoncées dans leur contrat. Cela veut simplement dire qu’une stipulation du contrat portant sur la nature juridique de la relation créée par celui‑ci n’est pas déterminante.

 

 

[63]      Ce qui est inhabituel en l’espèce, c’est qu’il n’y a pas d’accord écrit qui vise à qualifier la relation juridique existant entre les danseurs et le RWB, et que, parallèlement, les parties s’entendent sur ce qu’elles croient être la nature de leur relation. La preuve révèle que le RWB, la CAEA et les danseurs pensaient tous que les danseurs étaient des travailleurs indépendants et qu’ils avaient agi en conséquence. Le litige portant sur la nature de la relation juridique existant entre les danseurs et le RWB vient du fait qu’un tiers (le ministre), qui a un intérêt légitime à ce que la relation juridique soit correctement qualifiée, souhaite faire écarter le témoignage des parties au sujet de leur intention commune parce que ce témoignage n’est pas compatible avec les faits objectifs.

 

[64]      Dans les circonstances, il me semble qu’il serait contraire aux principes applicables de mettre de côté, en le considérant comme dépourvu de toute force probante, le témoignage non contredit des parties quant à la façon dont elles comprennent la nature de leur relation juridique, même si ce témoignage ne saurait être déterminant. Le juge aurait dû examiner les facteurs de l’arrêt Wiebe Door à la lumière de ce témoignage non contredit et se demander si, dans l’ensemble, les faits étaient compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des travailleurs indépendants, comme les parties le pensaient, ou s’ils étaient davantage compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des employés. C’est parce que le juge n’a pas adopté cette approche qu’il en est arrivé à une conclusion erronée.

 

[24]    En l’espèce, les parties s’étaient entendues pour que Mme Tecson fournisse ses services à ELC à titre d’entrepreneur indépendant. Il reste à savoir si cette intention commune a de l’importance compte tenu de l’ensemble des circonstances.

 

[25]    Dans City Water, précité, le juge Malone a exposé la trame factuelle de la sorte aux paragraphes 5 à 12 :

 

[5]        City Water vend et loue des purificateurs d’eau (les purificateurs) à des entreprises et à des particuliers. L’Agence du revenu du Canada a délivré des avis de cotisation à City Water pour les années d’imposition 2002 et 2003, le calcul desquelles tenait pour acquis que certains des travailleurs occupaient des emplois assurables et ouvrant droit à pension.

 

[6]        City Water fournit à ses clients deux services distincts : l’installation des purificateurs et par la suite leur entretien et leur réparation. Le présent appel ne concerne que les travailleurs qui entretiennent et réparent les purificateurs (les travailleurs en entretien). Les contrats d’embauche de ces travailleurs ont été conclus oralement. Les modalités de leur emploi ont été définies par l’administration de City Water et chaque travailleur les a approuvées avant de commencer à travailler. Dès le début, City Water a clairement fait savoir aux travailleurs en entretien qu’ils étaient embauchés à titre de travailleurs autonomes.

 

[7]        Les travailleurs en entretien effectuaient tant des travaux de routine que des travaux d’urgence chez les clients de City Water. Pour les travaux de routine, ils recevaient une liste des clients qu’il fallait visiter dans les 30 jours suivants et ils pouvaient ensuite établir à leur guise l’horaire de ces visites pendant cette période. Ils avaient la liberté de planifier leur trajet et d’assurer le service comme il leur convenait et ils n’avaient pas à effectuer un nombre préétabli de visites par jour ou par semaine. Pour ce qui est des visites d’urgence, elles devaient être effectuées le plus tôt possible. Ces travaux d’urgence étaient payés à part aux employés qui les avaient effectués.

 

[8]        Aucun représentant de City Water n’allait chez le client pour superviser ou inspecter les travaux effectués par les travailleurs en entretien.

 

[9]        Comme il avait été convenu à leur embauche, les travailleurs en entretien n’avaient pas droit au paiement de vacances, d’heures supplémentaires ou de congés de maladie. Ils ne bénéficiaient d’aucun avantage social et aucune retenue salariale n’était effectuée. Ils devaient envoyer des factures et justifier le travail effectué, les heures travaillées et les dépenses réclamées, et ils étaient payés à l’heure selon des taux différents. Ils n’étaient pas tenus de se rendre quotidiennement au bureau de City Water. City Water tenait des réunions mensuelles à Toronto afin d’informer les travailleurs en entretien des nouveaux produits, afin de payer le travail effectué et afin d’attribuer les tâches pour le mois à venir. La présence à ces réunions n’était pas obligatoire.

 

[10]      Les travailleurs en entretien ne devaient avoir qu’un tournevis et une clé à molette. City Water leur fournissait tous les autres outils de travail, comme un sceau, des éponges, des serviettes, des pastilles pour tester l’eau, des gants, du désinfectant, du nettoyant pour verre, des filtres de rechange, une clé de plastique pour les filtres et un appareil pour mesurer la teneur en métaux de l’eau.

 

[11]      Les travailleurs en entretien devaient également fournir leur propre véhicule automobile, ou leur propre bicyclette s’ils travaillaient au centre-ville de Toronto. Beaucoup d’entre eux parcouraient de grandes distances dans la région du Grand Toronto et ailleurs afin de fournir les services. Ils assumaient les coûts de l’assurance et de l’entretien de leur véhicule ou de leur bicyclette. Certaines dépenses leur étaient remboursées, comme l’essence et le stationnement, et ils recevaient chaque mois une indemnité pour usage de leur véhicule personnel lorsqu’ils parcouraient plus de 100 kilomètres.

 

[12]      Dans la ville de Toronto, les travailleurs, s’ils n’avaient pas à être rappelés pour reprendre le travail, recevaient une prime de rendement de 200 $, dont étaient déduits 50 $ par rappel jusqu’à ce que les 200 $ soient épuisés.

 

[26]    Après avoir examiné la preuve, le juge Malone a conclu qu’il fallait attribuer peu de valeur au critère de contrôle en raison de la simplicité de la tâche exécutée par les travailleurs, et parce que le fait de contrôler la qualité du travail ne revient pas à contrôler son exécution. Par conséquent, il a conclu que le critère du contrôle laissait clairement entrevoir la possibilité que le contrat en cause soit un contrat d’entreprise. Le juge Malone a conclu que, malgré le fait que City Water fournissait presque tous les outils de travail, la plupart des travailleurs utilisaient leur propre véhicule, qui était essentiel à leur travail et constituait un investissement majeur. Selon le juge Malone, ces faits favorisaient la conclusion selon laquelle les travailleurs en entretien avaient été embauchés à titre d’entrepreneurs indépendants. Le juge Malone a ensuite conclu que les travailleurs n’avaient pas la possibilité de réaliser un profit parce qu’ils étaient payés à l’heure et que la possibilité de réaliser un profit revenait entièrement à City Water. Il est vrai que les travailleurs étaient incités à travailler plus fort pour recevoir une prime de 200 $, mais cela n’équivalait pas au risque commercial de diriger une entreprise. Pour ce qui est du degré de risque financier, le juge Malone a conclu que les travailleurs en entretien ne couraient aucun risque de perte, car ils se voyaient rembourser plusieurs dépenses et recevaient également chaque mois une indemnité pour utilisation d’un véhicule personnel. Surtout, ils ne couraient aucun risque d’assumer une créance irrécouvrable puisqu’ils étaient assurés d’être payés, que le client paye City Water ou non.

 

[27]    Le juge Malone a ensuite dû se pencher sur la question de l’intention des parties. Il s’est ainsi exprimé aux paragraphes 27 à 31 de ses motifs :

 

[27]      Le bilan des facteurs analysés ci‑dessus ne donne pas un résultat clair. Par conséquent, il est nécessaire d’établir la valeur qu’il faudrait accorder à l’intention de City Water et des travailleurs en entretien au moment de la conclusion du contrat.

 

[28]      S’il peut être établi que les modalités du contrat, examinées dans le contexte factuel approprié, sont conformes à la relation juridique que les parties souhaitaient établir, alors il ne peut être fait abstraction de leur déclaration d’intention (voir l’arrêt Royal Winnipeg Ballet c. Canada (Ministre du Revenu national, 2006 CAF 87, au paragraphe 61). Royal Winnipeg n’était pas tranché quand le juge a rendu sa décision.  

 

[29]      Royal Winnipeg reprend essentiellement les principes de droit énoncés par la Cour dans l’arrêt Wolf, précité au paragraphe 15. Dans cette affaire, la Cour devait trancher la question de savoir si M. Wolf était un employé ou un entrepreneur indépendant. Le juge Noël, qui était d’accord avec la juge Desjardins quant à la décision à rendre, mais qui avait procédé à une analyse différente, a affirmé aux paragraphes 122 à 124 :

 

[…] Mais, dans une issue serrée comme en l’espèce, si les facteurs pertinents pointent dans les deux directions avec autant de force, l’intention contractuelle des parties et en particulier leur compréhension mutuelle de la relation ne peuvent pas être laissées de côté.

 

[…] Mon évaluation de l’ensemble de la relation entre les parties ne n’amène pas à une conclusion claire et c'est pourquoi, selon moi, il faut examiner la façon dont les parties voyaient leur relation.

 

[…] Il s’ensuit que la manière dont les parties ont pu voir leur entente doit l’emporter à moins qu’elles ne se soient trompées sur la véritable nature de leur relation. À cet égard, la preuve, lorsqu’elle est évaluée à la lumière des critères juridiques pertinents, est pour le moins neutre. Comme les parties ont estimé qu’elles se trouvaient dans une relation d’entrepreneur indépendant et qu’elles ont agi d’une façon conforme à cette relation, je n’estime pas que la juge de la Cour de l’impôt avait le loisir de ne pas tenir compte de cette entente […]

 

 

[30]      Donc, il ne convient d’accorder de la valeur à l’intention des parties que si le contrat reflète de façon satisfaisante la relation juridique qui les unit (voir Royal Winnipeg, au paragraphe 81). En l’espèce, il n’existe aucun accord écrit prétendant qualifier la relation juridique entre les travailleurs en entretien et City Water. Toutefois, les parties concevaient de la même façon la nature de leur relation. Selon la preuve, les deux parties croyaient que les travailleurs étaient autonomes et chacune a agi en conséquence. 

 

[31]      Selon mon analyse, puisque les facteurs pertinents ne suggèrent pas de résultat clair, le juge aurait dû accorder plus d’importance à l’intention des parties en l’espèce. Le juge devait examiner les facteurs à la lumière de la preuve non contestée et se demander si, dans l’ensemble, les faits concordaient avec la conclusion voulant que les travailleurs soient des personnes « travaillant à leur compte » (voir Sagaz, précité au paragraphe 3) ou s’ils concordaient plus avec la conclusion voulant que les travailleurs soient des employés. En omettant de ce faire, il a commis une erreur manifeste et dominante sur une question mixte de droit et de fait. S’il avait procédé à cette analyse, à mon sens, il n’aurait eu d’autre choix que de conclure que City Water n’était pas l’employeur des travailleurs en entretien.

 

[28]    Dans l’arrêt Standing c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.) (C.A.F.), [1992] A.C.F. no 890, le juge Stone a affirmé ce qui suit :

 

[…] Rien dans la jurisprudence ne permet d’avancer l’existence d’une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l’arrêt Wiebe Door. […]

 

[29]    Lorsqu’il a rendu sa décision dans Dean Lang et Sharon Lang c. M.R.N., 2007 CCI 547 (CanLII), le juge en chef Bowman a considéré la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Wolf et d’autres décisions rendues après Wolf. Il s’est exprimé de la sorte au paragraphe 24 :

 

[24]      Je doute qu’il soit possible de trouver la ratio decidendi qui s’appliquerait aux trois jugements. Les trois juges étaient d’accord pour dire que le jugement de la Cour canadienne de l’impôt ne pouvait pas être maintenu, mais indépendamment de cela, je ne puis trouver aucun élément commun. La juge Desjardins n’a pas mentionné l’intention, alors que le juge Décary a conclu que l’intention commune était déterminante et que, si d’autres facteurs étaient nécessaires, le manque de sécurité d’emploi, le fait qu’il n’y avait pas d’avantages sociaux, la liberté de choix et la mobilité devaient être pris en considération. Ces facteurs ne semblent pas avoir été mentionnés antérieurement, mais il s’agit certes de facteurs dont l’absence ou la présence serait, selon moi, importante lorsqu’il s’agit de déterminer l’existence d’une relation employeur‑employé. Le juge Noël considérait l’intention comme un facteur pondérateur si le critère traditionnel énoncé dans l’arrêt Wiebe Door ne donnait aucun résultat concluant.

 

[30]    Aux paragraphes 33 à 40, le juge en chef Bowman a ainsi continué son analyse :

 

[33]      J’aimerais faire quelques observations au sujet du facteur « intention ». Premièrement, la Cour suprême du Canada n’a pas exprimé d’avis au sujet du rôle de l’intention. Dans l’arrêt Sagaz, il n’est pas fait mention de l’intention en tant que facteur. Deuxièmement, si l’intention des parties est un facteur, cette intention doit être partagée par les deux parties. S’il n’y a pas rencontre de volontés et si les parties ne sont pas d’accord, l’intention ne peut pas être un facteur. Troisièmement, si l’intention est un facteur permettant de décider si quelqu’un est un employé ou s’il est plutôt un entrepreneur indépendant, ce doit nécessairement être un facteur dans tous les cas où la question est pertinente. La Cour met habituellement l’accent sur la question plutôt stricte de savoir si une personne exerce un emploi assurable ou un emploi ouvrant droit à pension ou, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, si une personne est un employé aux fins de la déduction de certains types de dépenses ou quant à la façon d’établir son impôt. D’autre part, l’arrêt Sagaz portait sur la responsabilité du fait d’autrui. Si le critère est le même, l’intention subjective des parties contractantes quant à la nature de leur relation pourrait bien influer sur les droits de tiers, soit une préoccupation exprimée par le juge Evans dans les motifs qu’il a rendus en dissidence dans l’arrêt Royal Winnipeg Ballet.

 

[34]      Où cette série d’arrêts nous mène‑t‑elle? Il est possible de tirer quelques conclusions générales :

 

            a)         Le critère à quatre volets énoncé dans l’arrêt Wiebe Door, tel qu’il a été confirmé dans l’arrêt Sagaz, est un facteur important dans tous les cas, y compris ceux qui viennent du Québec;

 

            b)         La Cour d’appel fédérale a relégué le critère à quatre volets énoncé dans l’arrêt Wiebe Door au rang des « points de repère utiles », « pertinents et utiles lorsqu’il s’agit de déterminer quelles étaient les intentions des parties ». Cela est vrai tant au Québec que dans les provinces de common law;

 

            c)         L’intégration en tant que critère n’entre plus en ligne de compte à toutes fins utiles. Les juges qui essaient de l’appliquer le font à leurs risques et périls;

 

            d)         L’intention est un critère qui ne peut être ignoré, mais son poids n’est pas encore déterminé. Le poids à lui accorder varie d’un cas à l’autre : il peut être prédominant ou il peut être un critère de démarcation. La Cour suprême du Canada n’a pas tenu compte de ce critère. Si elle en tient compte, le jugement rendu en dissidence par le juge Evans dans l’arrêt Royal Winnipeg Ballet devra être pris en considération;

 

            e)         Les juges de première instance qui omettent de tenir compte de l’intention risquent fort de voir leurs jugements annulés par la Cour d’appel fédérale. (Cependant, voir l’affaire Gagnon, dans laquelle l’intention n’a pas été prise en considération en première instance mais que la Cour d’appel fédérale a établie en se reportant aux critères énoncés dans l’arrêt Wiebe Door, que le juge de première instance avait appliqués. Comparer avec Royal Winnipeg Ballet, City Water et Wolf.)

 

[35]      J’examinerai maintenant la question du statut des gens qui avaient été embauchés pour s’occuper du nettoyage des conduits. Même si je suis tenté d’employer la méthode préconisée par sir Wilfred Greene, je tâcherai d’appliquer du mieux que je le peux les principes à déduire des arrêts de la Cour d’appel fédérale.

 

[36]      J’ai examiné la présente espèce en me fondant sur quatre hypothèses possibles. Ces hypothèses mènent toutes à la même conclusion :

 

            a)         L’intention est déterminante (Royal Winnipeg Ballet);

 

            b)         Il suffit de se fonder sur l’arrêt Wiebe Door, et l’intention n’a pas à entrer en ligne de compte (Sagaz, Wiebe Door et Precision Gutters);

 

            c)         Le critère énoncé dans l’arrêt Wiebe Door ne pointe pas d’une façon concluante dans une direction, de sorte que l’intention est un critère de démarcation (Wolf et City Water);

 

            d)         Il faut se fonder sur le bon sens, sur son instinct et sur ce que penserait la personne ordinaire.

 

[37]      Si la loi ne me permet pas de tenir compte d’autre chose que du critère énoncé dans l’arrêt Wiebe Door, considéré isolément, je dois dire qu’en l’espèce, tout indique une relation d’entrepreneur indépendant plutôt que d’employé. Aucune supervision ni aucun contrôle n’étaient exercés. On choisissait les travailleurs et on leur demandait de se rendre à un endroit particulier. S’il fallait reprendre le travail, les travailleurs devaient le faire à leurs frais. Il y avait pour les travailleurs des possibilités de profit et des risques de perte. Les travailleurs touchaient un pourcentage du montant versé à Dun‑Rite. Si le client ne payait pas Dun‑Rite, les travailleurs n’étaient pas payés non plus. Si Dun‑Rite réussissait à obtenir un grand nombre de commandes, les chances d’augmenter leur revenu étaient d’autant plus grandes pour les travailleurs. Si Dun‑Rite décidait de ne pas embaucher un travailleur, celui‑ci n’était tout simplement pas embauché. Le travailleur qui s’acquittait bien de sa tâche avait d’autant plus de chances d’être embauché pour un autre travail. Le facteur de la propriété des instruments de travail ne va ni dans un sens ni dans l’autre. Les appelants fournissaient l’équipement de nettoyage et la fourgonnette, et les travailleurs fournissaient les petits outils.

 

[38]      Si l’intention est déterminante, les travailleurs étaient sans aucun doute des entrepreneurs indépendants (Royal Winnipeg Ballet). Les appelants et les travailleurs qui ont été cités comme témoins se considéraient tous comme des entrepreneurs indépendants. C’est ce qui ressort des témoignages qu’ils ont présentés oralement ainsi que du fait qu’aucun avantage social, aucune paie de vacances et aucune sécurité d’emploi n’étaient assurés. Les travailleurs devaient attendre que les appelants ou Monty Hagan communiquent avec eux. Ils pouvaient accepter ou refuser le travail, et ils pouvaient accepter d’autres travaux. Il n’existait aucune garantie que Dun‑Rite les embauche et il n’existait aucune garantie qu’ils seraient embauchés de nouveau une fois terminé le travail pour lequel ils avaient été embauchés. Cela étant, les considérations que le juge Décary a énoncées dans l’arrêt Wolf s’appliquent.

 

[39]      Si nous considérons l’intention comme étant simplement un critère de démarcation (comme l’a dit le juge Noël dans les motifs qu’il a rendus dans l’affaire Wolf ainsi que le juge Malone dans l’arrêt City Water), le résultat serait identique même si les critères énoncés dans l’arrêt Wiebe Door n’allaient pas clairement dans un sens ou dans l’autre. La loi m’oblige à tenir compte du critère énoncé dans l’arrêt Wiebe Door, mais elle ne m’empêche pas de procéder à un examen plus approfondi afin de déterminer quelle était la relation réelle entre les parties. Si le critère énoncé dans l’arrêt Wiebe Door ne donnait pas de résultat concluant, l’examen de l’intention des parties ferait clairement pencher la balance du côté de la relation d’entrepreneur indépendant.

 

[40]      Si je devais me fonder uniquement sur mon instinct et sur le bon sens, je dirais qu’indépendamment du critère énoncé dans l’arrêt Wiebe Door, indépendamment de l’intention, les travailleurs à qui on fait appel pour nettoyer les conduits de quelques maisons, qui touchent une partie du montant demandé et qui poursuivent ensuite leur chemin sont loin de pouvoir être considérés comme des employés.

 

[31]    Les points de vue divergents quant au critère de l’intention des parties ont été mis en évidence par le juge Evans dans Royal Winnipeg Ballet, où, aux paragraphes 96 à 105, il a exprimé ses motifs de dissidence de la façon suivante :

 

[96]      Étant donné que les décisions récentes prononcées par la Cour qui sont examinées dans les motifs de la juge Sharlow sont toutes, en partie au moins, fondées sur le Code civil, je ne peux conclure qu’elles ont eu pour effet de renforcer l’importance qu’attachent traditionnellement les règles de common law en matière de contrats à la façon dont les parties ont compris la nature juridique du contrat qu’elles ont conclu. Lorsqu’une loi fédérale renvoie à une notion de droit privé qui n’est pas définie dans la loi, la nature bijuridique de notre fédération permet que la loi en question soit appliquée différemment au Québec et dans les provinces et territoires de common law : Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, article 8.1; voir également, par exemple, 9041-6868 Québec Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2005 CAF 334, au paragr. 6.

 

[97]      Je ne sais pas dans quelle mesure le Code civil diffère de la common law pour ce qui est de la qualification des contrats, ni si les causes en question auraient été tranchées différemment si on avait appliqué les règles de common law que je viens de décrire.

 

[98]      Lorsque le différend à trancher porte sur la qualification juridique d’un contrat, il y a de bonnes raisons d’accorder peu de poids, voire aucun, à la façon dont les parties en ont compris la nature ou à l’objectif qu’elles recherchaient en concluant le contrat en question. Premièrement, il est difficile de comprendre pour quelle raison la façon dont les parties qualifient juridiquement le contrat qu’elles ont conclu serait pertinente ou devrait être conciliée avec les facteurs objectifs exposés dans les arrêts Wiebe Door et Sagaz. C’est une chose que de tirer une déduction au sujet de la nature juridique d’un contrat en se fondant, par exemple, sur les facteurs de contrôle, de risque de pertes et de possibilité de profit, mais c’en est une autre très différente que de tirer des conclusions à partir de la perception des parties de la nature juridique de leur contrat, qui est la question essentielle que la Cour doit trancher. Le fait que les parties aient eu l’intention de conclure un contrat d’entreprise n’est pas un attribut juridique d’un tel contrat.

 

[99]      Deuxièmement, l’opinion qu’entretiennent les parties au sujet de la nature juridique de leur contrat est nécessairement intéressée. En général, les parties s’intéressent principalement à l’objectif recherché et ne se préoccupent que de façon secondaire, voire pas du tout, des moyens juridiques permettant de l’atteindre. Supposons, par exemple, que leur objectif soit de se soustraire au versement des cotisations d’assurance-emploi. Le moyen juridique à utiliser pour y parvenir est de conclure un contrat d’entreprise. Cet objectif sera atteint si les modalités du contrat et la conduite des parties se rapprochent davantage des éléments d’un contrat d’entreprise que de ceux d’un contrat de travail. Dans la mesure où elles y auront réfléchi, les parties préféreront conclure le genre de contrat qui, juridiquement, leur permettra d’atteindre l’objectif qu’elles recherchent.

 

[100]    De la même façon, le droit attache peu de poids, sinon aucun, au fait que la conduite des parties soit compatible avec les conséquences juridiques découlant de la conclusion d’un contrat d’entreprise. Ces conséquences peuvent avoir pour effet d’exempter le payeur d’avoir à déduire et à verser les cotisations d’assurance-emploi et les cotisations au Régime de pensions du Canada, et d’obliger le fournisseur de services à s’inscrire aux fins de la TPS et à la facturer. Ce sont là les conséquences juridiques d’un contrat d’entreprise, mais elles ne constituent pas la preuve de son existence. Le fait que les parties aient recherché ces conséquences n’est d’aucun secours lorsqu’il s’agit de décider si elles ont adopté les moyens juridiques pour y parvenir, à savoir si elles ont conclu un contrat qui comporte les éléments d’un contrat d’entreprise et non ceux d’un contrat de travail.

 

[101]    Troisièmement, les parties à un contrat prévoyant l’exécution d’un travail (pour utiliser un terme neutre) sont rarement sur un pied d’égalité pour négocier. En attribuant une force probante importante à une déclaration figurant dans un document contractuel signé par les parties selon laquelle le contrat est un contrat d’entreprise, on risque de désavantager la partie la plus vulnérable qui pourrait fort bien dire par la suite, par exemple, qu’elle avait l’intention de conclure un contrat de travail pour pouvoir participer au régime d’assurance-emploi.

 

[102]    En présence d’une disposition claire d’un contrat signé selon laquelle il s’agit d’un contrat d’entreprise et non d’un contrat de travail, une partie dans cette situation aurait du mal à nier que, selon une analyse objective, cette disposition reflète l’intention des parties, au moins en l’absence de fausse représentation ou de contrainte. Autrement dit, la partie vulnérable est non seulement liée par les modalités du contrat, mais son statut contractuel et, par conséquent, les droits que lui confère la loi, risquent d’être compromis par la façon dont la partie en position de force a qualifié juridiquement le contrat.

 

[103]    Quatrièmement, la qualification juridique d’un contrat peut avoir un effet sur les tiers, comme la victime d’un acte délictuel commis par le fournisseur de services dans l’exécution du contrat ou, comme en l’espèce, Revenu Canada. Le fait de fonder la qualification juridique du contrat sur des considérations autres que les modalités de celui-ci, interprétées dans leur contexte,  risque de compromettre ces intérêts et de porter atteinte à des programmes obligatoires établis par la loi visant à protéger certaines catégories de personnes, comme l’assurance-emploi et le Régime de pensions du Canada.

 

[104]    Je m’inquiète également de l’effet que pourrait avoir sur les autres danseurs du RWB une conclusion sur le statut contractuel des danseurs en l’espèce. Si l’intention des danseurs doit jouer un rôle important dans la décision, le résultat pourrait-il être différent dans le cas d’un autre danseur du RWB qui nierait avoir eu l’intention de conclure un contrat d’entreprise? Il semble étrange que des contrats essentiellement identiques puissent être qualifiés différemment pour cette raison.

 

[105]    À mon avis, le seul rôle important que peut jouer l’intention déclarée des parties au sujet de la nature juridique de leur contrat est d’influencer le contexte interprétatif dans lequel la Cour examine le contrat en vue d’en élucider les ambiguïtés et d’en combler les lacunes.

 

[32]    Pour déterminer le statut d’un fournisseur de service, il n’est pas nécessaire que la personne ait fourni ses services par l’intermédiaire d’une entreprise préexistante ou que la personne ait d’autres clients. Cependant, pour la personne qui veut être perçue comme travaillant à son propre compte, il est utile que certains éléments propres à l’exploitation d’une entreprise se rattachent à la fourniture des services en question. En l’espèce, Mme Tecson n’exploitait pas une entreprise par l’entremise d’une agence de techniciens juridiques et elle ne cherchait pas à offrir des services semblables à d’autres cabinets d’avocats. Elle n’avait pas recours à un nom commercial, ne faisait aucune publicité et n’était pas un inscrit aux fins de la TPS – ses revenus étaient trop faibles pour qu’elle soit obligée de s’inscrire –, mais en s’inscrivant, elle aurait eu droit à des crédits de taxe sur les intrants. Rien ne me permet de conclure que, dans la présente affaire, la relation de travail liait deux entreprises (ELC et une entreprise exploitée par Mme Tecson).

 

[33]    Il n’y a aucun doute que les parties voulaient que Mme Tecson fournisse ses services à titre d’entrepreneur indépendant. À mon avis, après avoir conclu leur entente, les deux parties ont agi de manière à confirmer leur conviction selon laquelle le statut donné à Mme Tecson dans le contrat était le bon. À quelques reprises, Me Einarsson a demandé à Mme Tecson si elle voulait bel et bien être considérée comme un entrepreneur indépendant plutôt qu’un employé, et elle a confirmé qu’elle était satisfaite de leur entente, car l’entente lui offrait un sentiment de liberté. Pour ce qui est de l’intention et des actions de Me Einarsson et de Mme Tecson – qui ont toujours fait preuve de bonne foi et d’honnêteté –, il est évident qu’ils ont cherché à transformer une relation employeur‑employé qui était cordiale, agréable et souple en une relation où Mme Tecson aurait fourni ses services à titre d’entrepreneur indépendant. Mme Tecson souhaitait consacrer environ 30 heures par semaine à un travail qui lui aurait permis, en tant que mère au travail, d’aller chercher ses enfants à l’école à 15 h et de prendre congé pour aller faire du camping ou partir en vacances avec son mari et ses enfants. Par courtoisie, elle avertissait Me Einarsson de ses intentions; celui‑ci était satisfait de leur entente, car il avait accès aux services d’un technicien juridique pour le dépanner en cas de besoin.

 

[34]    Après avoir considéré les facteurs énumérés par le juge Major dans Sagaz, précité, je suis d’avis qu’aucun de ces facteurs ne permet de conclure avec certitude que Mme Tecson fournissait ses services en application d’un contrat de service. En considérant la relation de travail dans son ensemble, les faits me mènent à conclure que Mme Tecson était une employée plutôt qu’une personne qui exploitait une entreprise pour son propre compte. Il est clair que les parties voulaient que Mme Tecson ait ce second statut lorsqu’elle fournissait ses services à ELC comme secrétaire – y compris pour les dossiers de transfert immobilier – et pour nettoyer les locaux. Après avoir considéré la preuve, je crois que le fait de laisser le statut que les parties avaient donné à Mme Tecson qualifier la relation de travail qui la liait à ELC aurait pour effet de permettre aux parties de se soustraire à l’application des régimes nationaux établis par la Loi et le Régime. Compte tenu de l’évolution rapide du monde du travail, il se peut que le législateur décide un jour de créer un mécanisme permettant à des parties de se soustraire à ces régimes dans des cas où leur relation de travail serait exempte de coercition, de déséquilibre dans le pouvoir de négociation et de risques de voir le fournisseur de service être traité inéquitablement pour être forcé de renoncer à d’autres droits et protections que lui accorderaient des lois fédérales et provinciales. Toutefois, ce jour n’est pas encore venu, et, si je décidais d’accueillir les présents appels, je permettrais à Me Einarsson et à Mme Tecson de déterminer leur propre statut, ce qui influerait sur les droits de tiers représentés par le ministre en application des dispositions législatives en cause.

 

[35]    Les décisions prises par le ministre en application de la Loi et du Régime sont correctes et elles sont toutes deux confirmées.

 

[36]    Les deux appels sont donc rejetés.

 

 

 

Signé à Sidney (Colombie‑Britannique), ce 26e jour de janvier 2009.

 

 

 

« D.W. Rowe »

Juge suppléant Rowe

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mars 2009.

 

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.



RÉFÉRENCE :

2009 CCI 45

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

2008-527(EI) et 2008-529(CPP)

 

INTITULÉ :

Norman F. Einarsson Law Corporation et

le ministre du Revenu national

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge suppléant D.W. Rowe

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 26 janvier 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

Me Andrea Donohoe

Me Donald W. Smetheram

 

Avocate de l’intimé :

Me Whitney Dunn

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Nom :

Andrea Donohoe

Donald W. Smetheram

 

Cabinet :

Smetheram & Company

Barristers & Solicitors

450 – 1090, rue Georgia Ouest

Vancouver (Colombie‑Britannique)  V6E 3V7

 

Pour l’intimé :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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