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Dossier : 2007-3472(IT)G

ENTRE :

MICHEL CORRIVEAU,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Appels entendus le 3 novembre 2008, à Québec (Québec).

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Denys Saindon

Avocat de l'intimée :

Me Michel Lamarre

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

        Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 2002, 2003 et 2004 sont accueillis en partie, et les cotisations sont déférées au Ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e  jour de février 2009.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 


 

 

 

Référence : 2009 CCI 33

Date : 20090203

Dossier : 2007-3472(IT)G

ENTRE :

MICHEL CORRIVEAU,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Angers

 

[1]              L'appelant interjette appel des cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « Ministre ») à l'égard des années d'imposition 2002, 2003 et 2004. Le Ministre, en établissant ces nouvelles cotisations, a ajouté au revenu de l’appelant, pour les années d’imposition en question, des revenus d'entreprise non déclarés au montant de 24 225 $, de 67 855 $ et de 29 539 $, respectivement. Le ministre a de plus imposé des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ») pour chacune des années d'imposition en question.

 

[2]              Pendant les trois années d'imposition en question, l'appelant exploitait une entreprise de taxis et les revenus tirés de cette entreprise constituent la seule source de revenu de l'appelant. L'appelant a acheté un premier permis de taxi (# 88) en 1980 au coût de 15 000 $. Le 25 août 1999, il a acheté avec un associé un autre permis d'exploitation (# 36) de son frère Marcel Corriveau pour la somme de 73 000 $. Son frère a financé l'achat à hauteur de 50 000 $ remboursables sur six ans. Le 19 avril 2001, l'appelant s'est porté acquéreur d'un autre permis d'exploitation de taxis (# 58). Il a versé au vendeur la somme de 24 140 $ en argent comptant et ce dernier a financé le solde de 50 000 $ en acceptant des paiements amortis sur 48 mois.

 

[3]              Le 26 février 2003, l'appelant a vendu le permis # 88 pour 86 500 $. L'appelant devait percevoir de son acheteur des paiements de 1 000 $ par mois sur 120 mois. À la même date, l'appelant a acheté la part de son associé, soit 50% du permis # 36, en lui remettant 7 000 $ en argent comptant et en s’engageant à effectuer 10 versements de 500 $ par mois. L'appelant s’engageait également à payer les dettes de la société. En 2006, l'appelant a vendu le permis # 58. Ainsi, l'appelant exploitait en 2002 son entreprise avec deux permis et demi. Au début de 2003, il a vendu un permis et il a acheté la part de son associé, de sorte qu'il avait deux permis de taxi en son nom en 2003 et 2004.

 

[4]              Pour les années d'imposition en question, l'appelant a déclaré les revenus d'entreprise suivant :

 

Revenus bruts

Revenus nets

 

 

 

2002

           84 677,84 $

       13 142,41 $

2003

           88 957,79 $

         9 585,40 $

2004

           94 153,44 $

       14 726,19 $

 

[5]              C'est au moyen de la méthode de calcul de l'avoir net que l'intimée a ajouté les revenus de 24 225 $, de 67 855 $ et de 29 539 $, respectivement, aux revenus de l’appelant pour les années en question. Selon le vérificateur, la personne à qui le dossier de l’appelant a été confié en juin 2005 a été contrainte d’utiliser la méthode du calcul de l’avoir net à la suite de l’examen des registres comptables de l’entreprise en raison du faible contrôle qu'exerçait l'appelant sur sa comptabilité et du fait que de nombreuses opérations avaient été effectuées en argent comptant.

 

[6]              L'appelant devait avoir recours à des chauffeurs pour assurer l'exploitation des permis de taxis qu'il détenait durant les années en question. Une fois que les chauffeurs avaient complété leur semaine de travail, l'appelant inscrivait dans des cahiers leurs recettes brutes de la semaine, il leur remettait 36% de ce revenu brut et les chauffeurs gardaient leurs pourboires. Il tenait un cahier pour chacun de ses chauffeurs pour chacune des trois années d'imposition en question. Il lui était possible de vérifier les revenus de ses chauffeurs de façon approximative en examinant le taximètre de bord et le kilométrage parcouru. Il lui était aussi possible de vérifier les revenus de ses chauffeurs puisque environ 70% des revenus des courses provenaient de coupons remis par les clients. Ces coupons sont utilisés par différents ministères du gouvernement, des entreprises telles que des garages et certaines grandes entreprises. À chaque mois, les coupons ainsi reçus étaient remis à la coopérative qui les avait émis et, à chaque 10e jour du mois suivant, l'appelant recevait son paiement par chèque.

 

[7]              L'appelant ne traitait pas ses propres revenus en tant que chauffeur de la même façon. En fait, il ne tenait aucun registre pour lui en tant que chauffeur. Il a affirmé qu’il travaillait 30 à 40 heures par semaine durant les années en question. Il inscrivait ses heures sur des bouts de papier qu'il ne conservait pas. Il a déclaré cependant qu'il lui serait possible de déterminer ses revenus en tant que chauffeur étant donné que les montants sont inscrits dans ses rapports trimestriels de taxe de vente et de taxe sur les produits et services qu'il préparait lui‑même et qu'il suffirait de soustraire du montant déclaré à titre de revenu ce qu'il a payé à ses chauffeurs et on obtiendrait ainsi son revenu. Le vérificateur n'a pas accepté cette façon de faire.

 

[8]              Le vérificateur, avec l'aide de l'appelant, a donc préparé une feuille de dépenses personnelles afin d'établir le coût de la vie de l'appelant. Pour certaines dépenses, le montant fourni par l'appelant a été utilisé et, pour le reste, le montant utilisé correspond à celui établi par Statistiques Canada. L'appelant a identifié quatre rubriques où il s’est opposé aux montants utilisés par le vérificateur pour les fins du litige. Sous la rubrique « Logement, électricité et chauffage », il a affirmé qu'il chauffe au bois et qu’il vit seul, de sorte que le montant de 1 800 $ devait être réduit. L'appelant n'a pas établi de preuve pouvant justifier une réduction des coûts. De plus, le montant utilisé par le vérificateur est celui qu'avait fourni l'appelant et non celui de Statistiques Canada.

 

[9]              Sous la rubrique « Transport », les chiffres utilisés sont ceux de Statistiques Canada. L'appelant a maintenu que son taxi était à sa porte mais n’a pas apporté de preuve pouvant permettre quelconque réduction. Sous les rubriques « Éducation » et « Cadeaux », l’appelant a soutenu qu’il n'y avait simplement rien à déclarer, de sorte que le coût de la vie annuel de l’appelant, selon lui, devrait être réduit de 1 292,17 $ pour ces deux rubriques et ce, pour les trois années.

 

[10]         Le coût de la vie de l’appelant a été établi à 14 707,70 $ pour l'année 2002, à 16 956,62 $ pour 2003 et à 16 275,30 $ pour 2004. L'augmentation est liée aux dépenses de soins de santé et de divertissement déclarées par l'appelant pour 2003 et 2004.

 

[11]         Le vérificateur a donc procédé à établir la valeur des actifs et du passif de l'appelant. Il a rencontré l'appelant le 1er novembre 2005 et a, par la suite, préparé une première ébauche. Trouvant l'écart assez substantiel entre ses calculs et ceux de l’appelant, il a contacté à nouveau l'appelant et ce dernier lui a dit qu'il avait de l'argent liquide en main, soit 5 000 $. L'ébauche a été modifiée en conséquence et le vérificateur a revu l'appelant avec un projet final le 19 décembre 2005. L'appelant a alors informé le vérificateur qu'il parlerait à son comptable.

 

[12]         Le 19 janvier 2006, le vérificateur a reçu du comptable de l'appelant une lettre expliquant que l'appelant avait compris qu'on lui demandait combien d'argent il avait besoin pour rouler, d'où la réponse qu’il avait 5 000 $ en main. Or, il appert que l'appelant, selon son comptable, aurait eu en main en 2001 la somme de 93 650 $ et qu'il s'agit d'argent que l'appelant aurait accumulé depuis qu'il travaille. En modifiant les chiffres en conséquence, il existe toujours un écart de 4 223 $, de 4 286 $ et de 20 640 $ respectivement pour les années en question entre les calculs de l’appelant et ceux du vérificateur.

 

[13]         Environ un mois plus tard, le comptable de l'appelant a informé le vérificateur que le montant d’argent que l’appelant avait en main en 2003 devait être réduit de 30 000 $ étant donné que cette somme constituait un prêt du frère de l'appelant. Ce changement n'a pas modifié l'écart calculé par le comptable de l'appelant. L'appelant a indiqué par écrit au vérificateur la provenance de l’argent comptant, soit au total environ 88 000 $, obtenu au fil des ans. De plus, lors de son contre-interrogatoire, l'appelant a expliqué qu’il aurait eu en main non pas 63 650 $ mais en réalité une cinquantaine de milliers dollars qu'il gardait chez lui en argent comptant. Ces précisions n'ont pas été retenues par le vérificateur qui s’en est tenu à ses calculs.

 

[14]         L'appelant a témoigné avoir été aubergiste et exploitant d'un bar de campagne jusqu'à la vente de cette entreprise en 1978 pour la somme de 25 000 $ en argent comptant. Il soutient avoir gardé cet argent en plus des pourboires qu'il a reçus car, à l'époque, personne ne déclarait ses pourboires au fisc. Au fil des années, il aurait accumulé un bas de laine. Il déclare avoir hérité de l’argent de ses parents en 1991, soit 9 000 $ (selon la pièce I‑5), et aussi de deux autres membres de sa famille. Selon la pièce I‑5, l’héritage était de 6 500 $ entre 1970 et 1980 et de 3 500 $ en 1991. La pièce A‑6 fut présentée comme étant le règlement de la succession de la mère de l'appelant en date du 16 septembre 1991 et fut décrite comme étant un bordereau de dépôt. À mon avis, il s'agit plutôt d'un talon de chèque et le nom du bénéficiaire n'y est pas indiqué.

 

[15]         L'appelant a témoigné que, lors de l'acquisition de la part du permis # 36 de son associé en février 2003, son frère Marcel Corriveau lui aurait prêté 30 000 $ en trois tranches de 10 000 $ en contrepartie de billets à ordre dont il n'a pas soumis en preuve les copies. Une partie de cet argent aurait servi à l'achat de deux voitures Honda (pièce A‑7) pour l’exploitation des permis # 36 et # 58. Une de ces voitures aurait été payée comptant et l'autre en partie au moyen d’un chèque de 6 000 $ (pièce A‑8) et en partie en argent comptant. L'appelant n'a pas eu à rembourser cet argent à son frère qui est décédé en 2004. Il n'a déposé dans son compte de banque qu’une somme de 6 000 $ qui a servi à couvrir le chèque de 6 000 $.

 

[16]         Dans l'actif personnel de l'appelant pour l'année d'imposition 2004, le vérificateur a inscrit un placement de 10 000 $ auprès de Valeurs mobilières Desjardins. L'appelant a expliqué qu'il avait initialement prêté cet argent à son fils et que celui‑ci l’avait remboursé progressivement. Une fois la somme de 10 000 $ remboursée, il a investi cet argent chez Desjardins puisque son fils travaillait pour cette institution. En contre‑interrogatoire, il a déclaré avoir déposé une partie de l'argent remboursé par son fils et avoir utilisé une autre partie de l’argent pour payer des dépenses d'exploitation de son entreprise de taxis.

 

[17]         Le comptable de l'appelant a présenté trois feuilles de travail durant la vérification afin de réduire les écarts entre son évaluation de l’avoir net de l’appelant et celle du vérificateur de l'intimée et dans le but de tenir compte des montants d'argent en main qu’avait l’appelant, les 30 000 $ avancé par son frère, les 10 000 $ remboursés par son fils et finalement une réduction de 3 000 $ par année des dépenses personnelles de l'appelant. L'écart final, selon le comptable de l'appelant, serait de 1 223 $, de 1 286 $ et de 7 460 $ pour les années d'imposition respectives. Selon le comptable, qui a déjà été propriétaire d’une entreprise de taxis, il serait presque impossible que les calculs obtenus par le vérificateur de l’intimée soient dus aux revenus tirés des taxis étant donné que les revenus d'une entreprise de taxis sont similaires d'année en année.

 

[18]         Il y a eu une hausse de la tarification en matière de transport par taxi en 2003 et en 2005. Cette hausse fut accordée par la Commission des transports du Québec à la suite d’audiences publiques tenues devant trois de ses commissaires. Les rapports de ces audiences ont été déposés afin de permettre à la Cour de comparer les revenus déclarés par l'appelant avec les revenus moyens qui furent présentés et analysés par la Commission dans la détermination des nouveaux tarifs. Les coûts d'exploitation ont été analysés en tenant compte des coûts fixes, des coûts variables, des salaires et des avantages que gagneraient les chauffeurs selon les tarifs actuels et proposés. Le but de cet exercice, pour l'appelant, était de démontrer que les revenus et les dépenses déclarées par ce dernier se situaient dans la moyenne des entreprises de taxis de la province de Québec et ce, pour les trois années en question. Travaillant en moyenne de 30 à 40 heures par semaine, l'appelant travaillait aussi moins d'heures que ses chauffeurs.

 

[19]         Du côté du vérificateur de l’intimée, ce dernier a témoigné au sujet d’une conversation qu’il a eue avec l'appelant concernant les explications de son comptable sur le montant de 93 650 $ que l’appelant avait en main. L'appelant lui aurait alors dit qu'il n'avait pas cet argent en main. Lorsque le vérificateur lui aurait demandé s’il en avait ailleurs, l'appelant aurait dit non.

 

[20]         Le vérificateur a expliqué qu'il avait imposé une pénalité pour chacune des années en raison du fait que l'appelant tenait sa propre comptabilité sans tenir compte de ses revenus en tant que chauffeur et, plus particulièrement, en raison du fait que l'écart entre le revenu déclaré et celui établi par la méthode du calcul de l’avoir net était important. Le vérificateur a reconnu toutefois que la tenue de livres de l'appelant était irréprochable, sauf pour les documents de base portant sur les revenus de l'appelant.

 

[21]         Le Ministre était‑il justifié d'ajouter aux revenus de l'appelant les montants de $24,225, de $67,855 et de $29,539 en tant que revenus non déclarés de l’appelant pour les années d'imposition 2002, 2003 et 2004 respectivement et d’imposer des pénalités pour chacune de ces années?

 

[22]         L'avocat de l'appelant fait valoir que les revenus et les dépenses, tels que déclarés par l'appelant, sont dans les moyennes établies dans le rapport de la Commission des transports sur la fixation générale des tarifs de services de transport par taxi. Il a expliqué l'augmentation de l'avoir net de l'appelant de chaque année en affirmant que ce dernier avait en sa possession de l'argent comptant, soit plus de 60 000 $, et qu'il utilisait cet argent pour combler ses manques à gagner, tout comme d'ailleurs les 30 000 $ que lui aurait prêtés son frère et le remboursement en 2004, par son fils, d'un prêt de 10 000 $. L'avocat de l’appelant a également affirmé qu'une réévaluation du coût de la vie de l'appelant permettrait de réduire cette rubrique d'environ 3 000 $ par année. L'appelant allègue qu'en l'espèce il n'était pas approprié pour le Ministre de procéder par la méthode du calcul de l'avoir net.

 

[23]         De son côté, l'avocat de l'intimée affirme que la preuve avancée par l'appelant repose principalement sur la crédibilité de l'appelant puisque ce dernier a été incapable de fournir des pièces justificatives ou d’étayer ses allégations au moyen de témoignages. Les explications de l'appelant au sujet de l'augmentation de son avoir net sont peu fiables puisqu'il a donné plusieurs versions des faits depuis la vérification jusqu'à l'audition de la cause.

 

[24]         Le Ministre est justifié d'entreprendre l'enquête qui lui semble nécessaire s'il doute, pour quelque raison que ce soit, de l'exactitude de la déclaration de revenus produite par un contribuable. C'est ce qu'affirmait la Cour d'appel fédérale dans Régent Lacroix et Sa Majesté la Reine, 2008 CAF 241, au paragraphe 18 de l’arrêt. Or, en l'espèce, le vérificateur chargé du dossier de l'appelant a constaté que ce dernier ne tenait aucun registre de ses revenus personnels, malgré le fait que ceux qui étaient tenus pour ses chauffeurs étaient en règle. Le vérificateur a également constaté que l'appelant faisait beaucoup d’opérations en argent comptant, les services de taxi étant payés en partie en argent comptant, et que l'appelant n'aurait pas déclaré ses pourboires. Il existait donc, en l'espèce, très peu de façons de vérifier les revenus. En outre, plusieurs dépenses étaient payées en argent comptant. Je reconnais qu'il n'est pas illégal de se faire payer en argent comptant ou de payer des dépenses en argent comptant, sauf que cette façon de faire comporte des risques lorsque vient le temps de justifier ses revenus et ses dépenses. En l'espèce, je suis d'avis que le vérificateur était justifié d’utiliser la méthode du calcul de l'avoir net.

 

[25]         Lorsque cette méthode dévoile une augmentation de l'avoir net d'un contribuable qui ne peut s'expliquer par le montant de son revenu déclaré, il incombe à ce contribuable de démontrer que cette augmentation n'est pas attribuable à son omission de déclarer des revenus imposables. En l'espèce, l'appelant, par l'entremise de son comptable, nous a présenté trois tableaux différents représentant les calculs de son avoir net, établis à partir de celui préparé par le vérificateur mais qui reflètent des changements avancés par l'appelant, à savoir de l'argent liquide qu'il avait en sa possession, une somme de 30 000 $ empruntée de son frère, une somme de 10 000 $ remboursée par son fils et une réduction de son coût de la vie d'environ 3 000 $ pour chacune des années en question.

 

[26]         Je tiens tout d'abord à préciser que le dernier tableau (pièce A‑12) qui représente l'ensemble des explications de l'appelant donne toujours un écart d'environ 1 200 $ pour 2002 et 2003 et de 7 460 $ pour 2004. De plus, la réduction de l'écart, selon les calculs fournis par le comptable de l'appelant, repose principalement, tel que déjà mentionné, sur la thèse que l'appelant avait en sa possession en 2001 une somme de 63 650 $ en argent comptant chez lui et qu'il aurait utilisé cet argent pour combler son manque à gagner ou réduire l'écart, soit de 20 000 $ en 2002 et de 33 659 $ en 2003. Il faut aussi souligner que l'appelant n'a pas contesté les données du vérificateur en ce qui concerne le total de l'actif de l'entreprise et ni le passif de l'appelant et de l'entreprise pour les fins des calculs faits par son comptable.

 

[27]         L'appelant, au moment de la vérification, avait déclaré avoir en main une somme de 5 000 $ en 2001 et durant les trois années en question. Ce montant est indiqué dans le tableau du bilan de l'appelant préparé par le vérificateur. On a par la suite expliqué au vérificateur que l'appelant croyait comprendre qu'on lui avait demandé combien d'argent il gardait pour rouler. Le comptable de l’appelant a présenté un premier tableau (pièce I‑5) selon lequel l’appelant avait en main en 2001 la somme de 93 560 $. Le comptable a expliqué qu'il était difficile pour l'appelant de divulguer à un inconnu qu'il avait près de 100 000 $ dans son « bas de laine ». Environ un mois plus tard, le comptable de l'appelant a modifié le montant, établissant à 63 500 $ le montant appartenant à l’appelant et en y ajoutant une somme de 30 000 $ prêtée en 2003 par le frère de l'appelant (pièce I‑4). Dans le troisième tableau (pièce A‑12), le comptable a ajouté la somme de 10 000 $ provenant du remboursement d'un prêt fait à son fils et a réduit ses dépenses liées au coût de la vie.

 

[28]         À l'audience, l'appelant a apporté quelques explications pouvant justifier le fait qu'il avait en sa possession de l'argent comptant qu'il aurait accumulé au fil des ans. Cependant, les explications données n’apportent des éclaircissement que sur une partie du montant total qu'il a déclaré avoir en main et, si je prends en considération le fait qu'il a dépensé cet argent en 2002, en 2003 et en 2004 pour finalement n’avoir en main plus qu’une somme de 1 000 $ en 2004, il a dû en dépenser une partie au cours des années antérieures à 2001. Non seulement le montant d'argent qu'il avait en main est-il passé de 5 000 $ à 93 650 $ avant d’être ramené par  la suite à 63 650 $, mais l'appelant aurait dit au vérificateur, lorsque ce dernier lui a posé des questions sur les 93 650 $, qu'il n'avait pas cet argent à ce moment là. Au procès, il a témoigné qu’il n'avait qu'une cinquantaine de milliers de dollars en argent comptant chez lui. Somme toute, il s'agit d'une preuve peu fiable qui met en doute l'exactitude du montant que suggère l'appelant sous cette rubrique.

 

[29]         À mon avis, il en va de même pour les explications avancées par l'appelant concernant l’argent qu'il a reçu de son frère. Il a expliqué avoir signé des billets à ordre à son frère mais aucun d’entre eux n'a été produit en preuve. Il a déclaré avoir acheté des voitures avec cet argent, mais il s’agirait encore une fois d’opérations en argent comptant, sauf pour un chèque de 6 000 $ qu'il a tiré sur son compte où il avait déposé de l’argent prêté par son frère. Une preuve du dépôt de cet argent aurait pu confirmer les dires de l'appelant, tout comme un inventaire des actifs de la succession de son frère et la renonciation de la succession au remboursement du prêt par l’appelant.

 

[30]         L'appelant a déclaré avoir investi 10 000 $ chez Valeurs mobilières Desjardins et que cet argent provenait du remboursement d’un prêt fait à son fils. Les modalités de remboursement du prêt n’ont pas été fournies. Tout ce que l’appelant a révélé est qu’il aurait utilisé cet argent pour faire des placements et des dépenses, laissent la Cour dans l’incertitude en ce qui concerne le montant exact de cette source d'argent. Le fils de l’appelant n’a pas témoigné.

 

[31]         La seule preuve qui semble donner un peu raison à l'appelant et qui pourrait appuyer en partie ses explications est celle à l’effet que ses revenus et ses dépenses se situent dans la moyenne de l’industrie selon ce qu'a reconnu la Commission des transports du Québec dans sa décision visant la fixation des tarifs en matière de services de transport par taxi. Il est donc possible que l'appelant n'ait pas généré, dans le cadre de l’exploitation de son entreprise de taxis, les revenus que le Ministre lui attribue.

 

[32]         Il ne fait aucun doute que l'application de la méthode du calcul de l'avoir net produit des résultats imprécis. Un contribuable qui choisit d’exploiter son entreprise sans tenir ses livres de façon adéquate et sans conserver ses pièces justificatives étayant les opérations faites en argent comptant aura beaucoup plus de difficulté à s’acquitter du fardeau de la preuve. Sa crédibilité sera définitivement mise à l'épreuve.

 

[33]         En l'espèce, d’après l'ensemble de la preuve, je suis prêt à réduire le total du coût de la vie de l'appelant de 3 000 $ par année et ce, pour chacune des années en question. J'accepte le fait que l'appelant mène une vie relativement sédentaire et qu'il n'a peut‑être pas effectué toutes les dépenses que lui a attribuées le vérificateur, même si les données concernant ces dépenses venaient de l'appelant lui‑même. Encore là, il s'agit de montants approximatifs mais je crois qu'il est justifié en l’espèce de les réduire.

 

[34]         Il est aussi, à mon avis, justifié de réduire les revenus d’entreprise attribués à l’appelant par la méthode du calcul de l’avoir net pour le seul motif que ses revenus ainsi calculés par le vérificateur seraient bien supérieurs à la moyenne de l’industrie calculée par la Commission des Transports du Québec. Cela dit, il est par contre impossible de préciser les montants qui seraient appropriés dans les circonstances compte tenu du fait qu’il s’agit d’une moyenne et de montants approximatifs. Quant à l’argent que l’appelant avait en main, ce dernier a été incapable, de façon convaincante, non seulement d’établir un montant approximatif, mais également d’établir selon la prépondérance des probabilités la provenance d’une partie de cet argent.

 

[35]         L’appelant et son comptable ont affirmé à un moment donné au vérificateur que l’appelant avait eu en main la somme de 93 650 $ avant de faire marche arrière et d’expliquer qu’une partie de cette somme, soit 30 000 $, était en fait un prêt consenti par le frère de l’appelant que ce dernier n’a pas eu à rembourser. L’appelant a par la suite réduit le montant de 63 650 $ à une cinquantaine de milliers de dollars, tout cela après avoir dit initialement au vérificateur qu’il n’avait pas d’argent liquide en main. Ces contradictions laissent planer un doute et minent aussi la crédibilité de l’appelant. Il aura fallu trois rapports différents de la part du comptable de l’appelant pour en arriver au résultat que propose ce dernier et ce, en raison des versions contradictoires de sa part.

 

[36]         Il en va de même pour le remboursement d’un prêt fait à son fils et que l’appelant a investi par la suite. Aucun détail précis n’a été fourni sur le montant exact du prêt à son fils ni sur les montants exacts des remboursements ou la date des versements. Le fils de l’appelant, à mon avis, aurait pu témoigner pour confirmer ces affirmations. J’en déduis donc que son témoignage n’aurait pas aidé l’appelant.

 

[37]         Prenant en considération tous ces éléments, je réduis de façon strictement arbitraire les revenus d’entreprise non déclarés de l’appelant d’un montant de 10 000 $ pour chacune des années d’imposition en question.

 

[38]         Je suis également d'avis que le Ministre a assumé le fardeau de la preuve en ce qui concerne l'imposition des pénalités. Le juge Pelletier, dans l'arrêt Lacroix (précité), a conclu ceci sur le fardeau de la preuve du Ministre en matière de pénalités imposées à la suite d’une évaluation de la valeur nette :

 

32        Qu'en est-il alors du fardeau du ministre? Comment s'en acquitte-t-il? Il se peut que dans certaines circonstances, le ministre soit en mesure de faire une preuve directe de l'état d'esprit du contribuable lorsque ce dernier a produit sa déclaration de revenu. Mais dans la grande majorité des cas, le ministre ne pourra que miner la crédibilité du contribuable, soit par des éléments de preuve qu'il apporte, soit en contre-interrogatoire du contribuable. Dans la mesure où la Cour canadienne de l'impôt est persuadée que le contribuable touche un revenu qu'il n'a pas déclaré et que l'explication offerte par le contribuable pour l'écart constaté entre son revenu déclaré et l'accroissement de son actif est non crédible, le ministre s'est acquitté du fardeau de preuve qui lui incombe aux termes du sous‑alinéa 152(4)(a)(i) et du paragraphe 162(3).

 

33        Comme le dit si bien le juge Létourneau dans Molenaar c. R., 2004 CAF 349, 2004 D.T.C. 6688 (F.C.A.) , au paragraphe 4 :

 

4. À partir du moment où le ministère établit selon des données fiables un écart, substantiel dans le cas présent, entre les actifs d'un contribuable et ses dépenses et où cet écart demeure inexpliqué et inexplicable, le ministère a assumé son fardeau de preuve. Il appartient alors au contribuable d'identifier la source et d'établir la nature non imposable de ses revenus.

 

[39]         Les appels sont accueillis en partie et les cotisations sont déférées au Ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que le total du coût de la vie de l'appelant est réduit de 3 000 $ pour chacune des années en question et que les revenus d’entreprise sont réduits de 10 000 $ pour chacune des années d’imposition également. L'imposition des pénalités est maintenue sur le montant des revenus non déclarés une fois les réductions apportées. L’intimée aura droit à 70% de ses dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de février 2009.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 


 

 

 

RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 33

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-3472(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Michel Corriveau c. Sa Majesté La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 3 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 3 février 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Denys Saindon

Avocat de l'intimée :

Me Michel Lamarre

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                            Me Denys Saindon

 

                 Cabinet :                           Denys Saindon, avocat

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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