Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Dossier : 2008-1762(IT)I

ENTRE :

SADRUDIN KARA,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[traduction française officielle]

____________________________________________________________________

Appel entendu à Toronto (Ontario), le 28 janvier 2009.

 

Devant : L’honorable juge Wyman W. Webb

 

Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocate de l’intimée :

Me Sonia Singh

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté à l’égard de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour l’année d’imposition 2006 de l’appelant est accueilli et la question est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que l’appelant, en application de l’article 118.8 de la Loi, a droit au transfert du crédit d’impôt pour personnes handicapées inutilisé par son épouse.


 

          L’intimée devra aussi verser 600 $ à l’appelant à titre de dépens.

 

          Les droits de dépôt de 100 $ acquittés par l’appelant lui seront remboursés.

 

          Signé à Ottawa (Ontario) ce 3e jour de février 2009.

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de mars 2009.

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


 

 

 

Référence : 2009 CCI 82

Date : 20090203

Dossier : 2008-1762(IT)I

ENTRE :

SADRUDIN KARA,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[traduction française officielle]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Webb

 

[1]              En l’espèce, la question est de savoir si l’appelant, en application de l’article 118.8 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), a droit au transfert du crédit d’impôt pour personnes handicapées inutilisé par son épouse en 2006. L’appelant a soutenu qu’il avait déjà fait l’objet d’une nouvelle cotisation quant à ce crédit d’impôt pour son année d’imposition 2005. Dans un jugement daté du 9 novembre 2007, la Cour a accueilli l’appel qu’il avait interjeté pour l’année 2005, et elle a confirmé que l’appelant pouvait demander le crédit d’impôt pour personnes handicapées inutilisé par son épouse en 2005 dans sa déclaration de revenus pour cette année‑là.

 

[2]              L’avocate de l’intimée a expliqué que l’intimée ne cherchait pas à contester ou à porter en appel la décision déjà rendue par la Cour, mais qu’elle soulevait simplement la question pour découvrir si les faits avaient changé entre 2005 et 2006. L’appelant a affirmé que la situation restait inchangée, mais même après avoir entendu ce témoignage – et sans avoir présenté un seul élément de preuve le contredisant – l’avocate de l’intimée a dit qu’elle souhaitait poursuivre l’appel.

 

[3]              Il n’a aucunement été remis en cause que l’épouse de l’appelant était handicapée en 2006, et qu’elle l’était depuis 1985. L’appelant a dit qu’il ne résidait pas au même endroit que son épouse. Cela est dû à l’historique de la relation entre l’appelant et son épouse. En 1991, suite à un malentendu survenu entre les époux, l’épouse de l’appelant a demandé à celui‑ci de quitter leur résidence. L’appelant et son épouse ont ensuite conclu un accord de séparation et commencé à vivre séparément.

 

[4]              Au fil des années, il semble que l’appelant ait passé de plus en plus de temps avec son épouse. En 2006, il passait cinq jours par semaine avec elle; il arrivait chez son épouse à 7 h et y restait jusqu’aux environs de 20 h, sauf quand il dormait là. Tout au long de l’année 2006, l’appelant a souvent dormi chez son épouse, et ce, jusqu’à trois fois par semaine. Quand l’appelant ne dormait pas chez son épouse, il passait la nuit chez lui.

 

[5]              L’épouse souffrait de plusieurs problèmes de santé. Elle était diabétique, son cœur était très faible et elle éprouvait des maux au bas du dos. L’épouse de l’appelant avait aussi une vessie hyperactive. De plus, elle souffrait d’enflure aux jambes. L’appelant préparait des repas pour son épouse, la nourrissait, l’habillait, faisait des tâches ménagères pour elle, l’aidait à prendre ses médicaments, lui donnait son bain, faisait son épicerie, la conduisait chez le médecin et l’accompagnait à l’église. L’appelant aidait son épouse autant qu’il le pouvait. Il a affirmé que son épouse et lui étaient physiquement et affectivement unis en 2006. Il me semble que l’appelant s’occupait de son épouse comme un mari, et pas simplement comme un pourvoyeur de soins.

 

[6]              L’article 118.8 de la Loi est ainsi rédigé :

 

118.8   Le particulier qui, à un moment d’une année d’imposition, est marié ou vit en union de fait peut déduire dans le calcul de son impôt payable en vertu de la présente partie pour cette année – sauf si, pour cause d’échec du mariage ou de l’union de fait, il vit séparé de son époux ou conjoint de fait à la fin de l’année et pendant une période de 90 jours commençant au cours de l’année –, le montant calculé selon la formule suivante :

 

[…]

[Non souligné dans l’original.]

 

[7]              La question est donc de savoir si l’appelant, pour cause d’échec de son mariage, vivait séparément de son épouse à la fin de l’année 2006 et pendant une période de 90 jours ayant commencé au cours de cette année‑là.

 

[8]              Dans Roby c. La Reine [2001] A.C.I. no 801, le juge en chef Bowman (tel était alors son titre) s’est exprimé de la sorte :

 

[7]   Dans l'affaire Kelner c. La Reine, C.C.I., no 94-868 (IT)I, 29 septembre 1995 ([1996] 1 C.T.C. 2687), j'ai passé en revue la jurisprudence qui existe dans ce domaine et j'ai conclu qu'il était possible que des époux vivent « séparés » tout en demeurant sous le même toit. Cette proposition est inattaquable sur le plan du droit, mais, sur le plan des faits, il est toujours nécessaire de produire une preuve convaincante. Dans les affaires Rangwala c. La Reine, C.C.I., no 2000-993 (IT)I, 19 septembre 2000 ([2000] 4 C.T.C. 2430), et Raghavan c. La Reine, C.C.I., no 2000‑2088 (IT)I, 26 avril 2001 ([2001] 3 C.T.C. 2218), la juge Campbell en est arrivée à la même conclusion.

 

[8]   On ne fait certainement pas erreur en prenant comme point de départ la décision rendue par le juge Holland dans l'affaire Cooper v. Cooper (1972), 10 R.F.L. 184 (H.C. de l'Ont.), où il a déclaré à la page 187 :

 

[TRADUCTION]

 

Peut-on dire que les parties en cause en l'espèce vivent séparées? Nul doute que des époux qui vivent sous le même toit peuvent aussi vivre séparés l'un de l'autre dans les faits. Le problème a souvent été examiné dans le cadre de litiges fondés sur le sous-alinéa 4(1)e)(i) de la Loi sur le divorce, et, généralement parlant, les juges en sont arrivés à la conclusion que les parties vivaient séparées lorsque les circonstances suivantes étaient présentes :

 

(i)         Les conjoints occupent des chambres à coucher distinctes.

 

(ii)        Les conjoints n'ont pas de relations sexuelles.

 

(iii)       Il y a peu de communication entre les conjoints, pour ne pas dire aucune.

 

(iv)       La femme n'effectue pas de travaux ménagers pour le mari.

 

(v)        Les conjoints prennent leurs repas séparément.

 

(vi)       Les conjoints n'ont pas d'activités sociales communes.

 

Voir les affaires Rushton v. Rushton (1968), 1 R.F.L. 215, 66 W.W.R. 764, 2 D.L.R. (3d) 25 (C.-B.); Smith v. Smith (1970), 2 R.F.L. 214, 74 W.W.R. 462 (C.-B.); Mayberry v. Mayberry, [1971] 2 O.R. 378, 2 R.F.L. 395, 18 D.L.R. (3d) 45 (C.A.).

 

[9]   La juge Campbell et moi-même avons tous deux considéré que ces critères constituent un guide utile, quoiqu'ils ne soient nullement exhaustifs et qu'aucun d'eux ne soit déterminant. Je suis enclin à souscrire aux observations formulées par le juge Wilson dans l'affaire Macmillan-Dekker v. Dekker, 4 août 2000, dossier 99‑FA-8392, et citées par la juge Campbell dans l'affaire Rangwala, à la page 7 (C.T.C. : aux pages 2435 et 2436) :

 

[TRADUCTION]

 

Se basant sur une synthèse de la jurisprudence, la Cour a établi une liste faisant état de sept facteurs à utiliser pour déterminer si une union conjugale existe ou existait. Ces questions d'organisation permettent au juge présidant un procès de voir la relation globalement pour déterminer si les parties vivaient ensemble comme conjoints. Le fait de tenir compte de ces sept facteurs permettra d'éviter que l'accent soit mis à tort sur un facteur à l'exclusion d'autres facteurs et de faire en sorte que tous les facteurs pertinents soient pris en considération.

 

[...]

 

Je conclus qu'il n'y a pas un seul et unique modèle statique d'union conjugale ou de mariage. Il y a plutôt un groupe de facteurs reflétant la diversité des unions conjugales et mariages qui existent dans la société canadienne moderne. Chaque cas doit être examiné selon les faits objectifs qui lui sont propres.

 

[9]              À mon avis, il est clair qu’il n’y a eu aucune période de 90 jours en 2006 pendant laquelle l’appelant a vécu séparé de son épouse pour cause d’échec de leur mariage. Durant les périodes où l’appelant passait nuit et jour avec son épouse, il vivait avec elle. Compte tenu de l’état de santé de l’épouse, je crois qu’il ne faut pas accorder une grande importance aux deux premières circonstances énumérées ci‑dessus, s’il faut même leur en accorder. L’appelant préparait des repas pour son épouse, la nourrissait, l’habillait, lui donnait son bain, l’aidait à prendre ses médicaments, faisait des tâches ménagères et dormait chez elle. Il l’accompagnait aussi à l’église. Comme je l’ai déjà souligné, l’appelant s’occupait de son épouse en sa qualité de mari. Dans Roby, le juge en chef adjoint Bowman (tel était alors son titre) a aussi ajouté le critère des responsabilités financières. En l’espèce, l’appelant soutenait son épouse financièrement : il déboursait environ 645 $ par mois pour les repas et pour d’autres dépenses.

 

[10]         L’appelant ne vivait pas séparément de son épouse lorsqu’il était chez elle, il vivait plutôt avec elle. Comme cette situation a duré tout au long de l’année 2006, il n’y a eu aucune période de 90 jours ayant commencé en 2006 durant laquelle l’appelant vivait séparé de son épouse.

 

[11]         L’appelant a expliqué qu’il retournait chez lui quand son épouse, à cause de son état de santé, lui disait qu’elle voulait être seule. On ne peut pas considérer que, durant ces courtes périodes, l’appelant vivait séparé de son épouse pour cause d’échec de leur mariage. De plus, aucune de ces périodes n’a duré au moins 90 jours. Bien qu’au total, il soit possible que l’appelant ait passé plus de 90 jours chez lui, la Loi ne fait pas état d’un total de 90 jours, mais bien d’une période de 90 jours ayant débuté durant l’année pertinente. Il faudrait donc que les 90 jours soient consécutifs pour entraîner l’application de la disposition en cause.

 

[12]         L’avocate de l’intimée a soutenu que les faits en cause dans la présente affaire étaient les mêmes que dans Corroll c. La Reine, 2002 CAF 388, [2003] 1 C.T.C. 179. Dans cet arrêt, le juge Rothstein (tel était alors son titre) avait décrit les faits de la sorte :

 

[2]        Comme l'a souligné le juge Rip, il s'agit d'une cause qui attire la sympathie. L'épouse du demandeur souffre de schizophrénie depuis plus de trente ans. Le demandeur se rend à la résidence de son épouse, deux ou trois fois par semaine pour y effectuer des travaux d'entretien, de nettoyage, y amener de la nourriture et s'occuper de la propriété.

 

[3]        Cependant, le demandeur a déclaré devant le juge que son épouse était autonome ou autosuffisante pendant la période visée. Le juge Rip a conclu que même si le demandeur venait en aide à son épouse, il vivait avec une autre femme et qu'il y avait eu échec du mariage. Cette conclusion était fondée sur une affirmation à cet effet, faite par le ministre du Revenu national dans sa réponse à l'avis d'appel devant la Cour canadienne de l'impôt, affirmation qui n'a pas été réfutée par le demandeur.

 

[13]         À mon avis, les faits en cause dans la présente affaire peuvent facilement être distingués de ceux de l’affaire Corroll. Dans Corroll, le contribuable passait beaucoup moins de temps chaque semaine à la résidence de son épouse que ne l’a fait l’appelant dans la présente affaire. Dans Corroll, le contribuable se rendait « à la résidence de son épouse, deux ou trois fois par semaine pour y effectuer des travaux d'entretien, de nettoyage, y amener de la nourriture et s'occuper de la propriété ». Rien ne permet de savoir le nombre d’heures que M. Corroll passait chaque jour chez son épouse, mais il serait fort peu probable que M. Corroll ait passé 13 heures par jour avec son épouse, car il vivait avec une autre femme.

 

[14]         En l’espèce, l’appelant se rendait chez son épouse cinq jours par semaine, et il y restait entre 7 h et 20 h, sauf lorsqu’il dormait chez elle, auquel cas il restait plus longtemps. Une autre différence très importante entre les deux affaires est que dans Corroll, le contribuable vivait avec une autre femme. Il s’agit là d’un indice sérieux de l’échec du mariage de M. Corroll. En l’espèce, l’appelant a clairement dit que son épouse et lui étaient physiquement et affectivement unis. Aucune preuve n’a été présentée pour démontrer que l’appelant vivait avec une autre femme, et la réponse à l’avis d’appel ne comportait aucune hypothèse en ce sens.

 

[15]         Par conséquent, je conclus que l’appelant n’a pas vécu séparément de son épouse pendant une période de 90 jours ayant débuté en 2006 pour cause d’échec de son mariage.

 

[16]         L’appel est accueilli et la question est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que l’appelant, en application de l’article 118.8 de la Loi de l’impôt sur le revenu, a droit au transfert du crédit d’impôt pour personnes handicapées inutilisé par son épouse en 2006. L’intimée devra verser 600 $ à l’appelant à titre de dépens.

 

       Signé à Ottawa (Ontario) ce 3e jour de février 2009.

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de mars 2009.

 

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.



RÉFÉRENCE :

2009 CCI 82

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2008-1762(IT)I

 

INTITULÉ :

Sadrudin Kara et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Wyman W. Webb

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 3 février 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Sonia Singh

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

Nom :

 

 

Cabinet :

 

 

Pour l’intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.