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Dossier : 2005-1804(IT)G

ENTRE :

JOLLY FARMER PRODUCTS INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Requête entendue par voie de conférence téléphonique,

le 5 novembre 2008, à Ottawa (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Participants :

 

Avocat de l’appelante :

Me John D. Townsend

 

Avocat de l’intimée :

Me Cecil S. Woon

____________________________________________________________________

 

ORDONNANCE

 

ATTENDU qu’une requête présentée par l’avocat de l’appelante afin d’obtenir une ordonnance d’adjudication des dépens a été entendue le 5 novembre 2008;

 

ET APRÈS avoir entendu les observations des parties et avoir reçu les plus amples observations écrites des parties;

 

La requête de l’appelant est accueillie en partie conformément aux motifs ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de décembre 2008.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de février 2009.

 

S. Tasset

 


 

 

Référence : 2008 CCI 693

Date : 20081223

Dossier : 2005-1804(IT)G

ENTRE :

JOLLY FARMER PRODUCTS INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

Le juge Boyle

 

[1]              La contribuable a présenté une requête afin d’obtenir une ordonnance d’adjudication de dépens plus élevés que ceux fixés dans le tarif prévu par les Règles de la Cour canadienne de l’impôt (les « Règles »).

 

[2]              L’instruction et la requête préliminaire ont été entendues et tranchées par l’ancien juge en chef de la Cour. Le juge en chef Bowman a accueilli l’appel de la contribuable (2008 DTC 4396) et a adjugé les dépens en faveur de cette dernière. La contribuable avait intégralement obtenu gain de cause à l’instruction, laquelle a duré cinq jours. La contribuable a appelé deux experts à témoigner tandis que la Couronne n’en a appelé qu’un seul. Tant la contribuable que la Couronne ont été représentées par deux avocats pendant toute l’audience.

 

[3]              Même Voltaire conviendrait que le juge en chef Bowman est une personne dotée d’un bon sens hors du commun. Il ressort sans équivoque de ses motifs qu’il estimait qu’il ne s’agissait pas d’une affaire difficile à trancher et que la question en litige ne justifiait pas une aussi longue instruction, si tant est qu’une instruction ait même été nécessaire. Je crois qu’il est en outre juste d’ajouter que, dans ses motifs, le juge en chef Bowman blâme carrément l’intimée pour cette situation. Trois paragraphes de ses motifs sont particulièrement pertinents :

 

13        […] Dans ce cas‑ci, je crois que l’ARC faisait une fixation (l’avocat de l’appelante a parlé d’[traduction] « obsession ») sur deux choses – le fait que les employés sont actionnaires et le fait qu’ils professent certaines croyances chrétiennes fondamentales rappelant l’Église primitive et qu’ils adhèrent à ces croyances. À mon avis, ces faits n’ont aucune importance. Une fois que nous nous débarrassons de ces deux diversions et que nous mettons l’accent sur le fait que l’appelante fournit des habitations et d’autres installations à ses employés, la fourniture de ces installations devient un coût tout à fait normal et ordinaire d’exploitation de l’entreprise de l’appelante.

 

14        Selon moi, l’approche que le ministre a adoptée à l’égard de ce problème résulte de la confusion entre au moins deux concepts (ou peut‑être de leur fusion). Dans le calcul de son revenu, le particulier ne peut pas déduire des « frais personnels ou de subsistance ». Le ministre semble croire, si je comprends bien, que le coût pour un employeur de la fourniture de locaux d’habitation (ou le coût en capital des biens utilisés à cette fin) est également visé par cette interdiction. À partir de cette prémisse fallacieuse inarticulée, le ministre cherche à contraindre l’employeur à démontrer que la décision commerciale qu’il a prise de fournir le logement à ses employés est justifiable sur le plan commercial, et que cette façon de faire des affaires est préférable à une autre méthode. Le caractère fallacieux de la prémisse initiale est ainsi aggravé et exacerbé par le fait que, pour une raison qui m’échappe, le ministre tient en outre compte du fait que les employés sont également actionnaires et qu’ils ont de fermes croyances religieuses. Puis, même après que l’employeur, Jolly Farmer Products Inc., a démontré d’une façon irréfutable (ce qui était à mon avis inutile) que son entreprise connaît un succès retentissant sur le plan commercial, le ministre tient encore, avec une ténacité féroce, à son erreur initiale et affirme que l’appelante aurait dû adopter des pratiques commerciales qui lui plaisent davantage, même si elles sont moins économiques. Mit der Dummheit kämpfen Götter selbst vergebens[1].

 

[…]

 

24        Nous avons ici un excellent exemple d’un cas dans lequel l’ARC cherche à substituer son jugement à celui du contribuable sur le plan des affaires. Les solutions de rechange proposées par l’intimée auraient eu pour effet de diminuer la rentabilité de l’entreprise. La façon dont l’appelante choisit d’exercer ses activités commerciales fort rentables est une décision commerciale, et le ministre du Revenu national n’a pas le droit de substituer son jugement à celui de la société et de préconiser d’autres solutions qui lui plaisent davantage. (Voir par exemple Gabco Limited v. M.N.R., 68 DTC 5210.)

 

[4]              La contribuable demande des honoraires d’avocat forfaitaires de 97 750 $, les honoraires réellement versés à ses experts ainsi que les frais de photocopie payés à ses avocats. Les frais de justice réellement engagés par la contribuable dans le cadre du présent litige s’élèvent à environ 400 000 $. Les honoraires d’avocat prévus au tarif pour un avocat principal et un avocat adjoint sont d’environ 20 000 $.

 

[5]              L’intimée fait valoir ce qui suit :

 

(i)                aucune somme supérieure à celles prévues dans le tarif n’est justifiée;

(ii)              la contribuable n’a droit qu’aux honoraires d’un seul avocat puisque l’avocat adjoint n’a pas présenté d’éléments de preuve ni débattu d’un quelconque point soulevé par l’affaire;

(iii)            les honoraires des experts n’ont pas à être remboursés au moyen des dépens puisqu’ils n’étaient pas nécessaires;

(iv)            les dépens doivent être adjugés uniquement pour trois des cinq jours qu’a duré l’instruction parce que le témoignage du principal témoin de la contribuable comportait une trop grande quantité de détails au sujet de l’évolution de l’entreprise et des activités de la société contribuable, parce que le témoignage des experts était inutile et parce qu’une demi‑journée a été perdue à cause des conflits d’horaire d’un des témoins de la contribuable;

(v)              les frais de photocopie sont excessifs.

 

[6]              Il convient de signaler que la contribuable ne demande pas des dépens sur une base procureur‑client. Nul n’a jamais laissé entendre que l’intimée avait fait quoi que ce soit pendant l’instruction pour justifier que la Cour envisage même la possibilité de rendre une ordonnance aussi exceptionnelle.

 

[7]              La Cour jouit du plein pouvoir discrétionnaire d’adjuger les dépens. Selon le paragraphe 147(3) des Règles, la Cour, lorsqu’elle exerce ce pouvoir, peut tenir compte des éléments suivants :

 

a) du résultat de l’instance;

 

b) des sommes en cause;

 

c) de l’importance des questions en litige;

 

d) de toute offre de règlement présentée par écrit;

 

e) de la charge de travail;

 

f) de la complexité des questions en litige;

 

g) de la conduite d’une partie qui aurait abrégé ou prolongé inutilement la durée de l’instance;

 

h) de la dénégation d’un fait par une partie ou de sa négligence ou de son refus de l’admettre, lorsque ce fait aurait dû être admis;

 

i) de la question de savoir si une étape de l’instance,

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii) a été accomplie de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

 

j) de toute autre question pouvant influer sur la détermination des dépens.

 

[8]              La Cour n’a pas à suivre servilement le tarif. Cependant, elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire à la lumière des principes appropriés, comme les éléments énumérés au paragraphe 147(3) des Règles, et non de façon capricieuse. Le simple fait qu’une affaire soit nouvelle, unique, complexe ou difficile ou qu’elle intéresse une importante somme d’argent ne peut suffire à écarter le tarif : voir la décision McGorman et al. v. HMQ, 99 DTC 591, au paragraphe 13, le juge Bowman (tel était alors son titre). De même, le simple fait que les frais de justice réellement engagés par la partie excèdent grandement la somme fixée par le tarif ne justifie pas que la Cour adjuge des dépens en sus de ceux prévus à ce tarif. Dans la décision Continental Bank of Canada et al. v. HMQ, 94 DTC 1858, le juge en chef Bowman s’est exprimé en ces termes :

 

Il est manifeste que les montants prévus au tarif ne sont nullement censés compenser entièrement une partie des frais juridiques que celle‑ci a engagés dans la poursuite d’un appel. Le fait que les montants prévus au tarif paraissent excessivement bas par rapport aux dépens réels d’une partie n’est pas une raison pour adjuger des dépens supplémentaires à ceux que prévoit le tarif. Je ne crois pas que, chaque fois que la présente Cour est saisie d’une cause de nature fiscale importante et complexe, nous devrions user de notre pouvoir discrétionnaire pour hausser les dépens adjugés à un montant qui corresponde davantage à celui que les avocats des contribuables factureront vraisemblablement. Il doit avoir été évident aux membres des comités de rédaction des règles qui ont fixé le tarif que les dépens entre parties qui peuvent être recouvrés sont de peu d’importance par rapport aux frais réels qu’une partie peut avoir engagés. Nombreuses sont les causes importantes et complexes dont la Cour est saisie. Les litiges de nature fiscale sont un aspect complexe et spécialisé du droit, et les rédacteurs des Règles auxquelles nous sommes soumis devaient le savoir.

 

Dans le même ordre d’idées, Mme la juge Layden‑Stevenson a tenu des propos analogues dans la décision Aird c. Country Park Village Property (Mainland) Ltd., [2004] A.C.F. no 1153 (QL) :

 

Les dépens ne doivent être ni punitifs ni extravagants. C’est un principe fondamental que l’allocation de dépens représente un compromis entre l’indemnisation de la partie qui a gain de cause et la non‑imposition d’une charge excessive à la partie qui succombe […]

 

[9]              Ayant ce résumé des principes applicables à l’esprit, j’examinerai maintenant les éléments qui sont pertinents dans la présente affaire.

 

I. Offres de règlement

 

[10]         La première offre de règlement proposée par la contribuable en 2006 comprenait un énoncé détaillé de plus de vingt pages faisant état de la thèse et de l’analyse juridiques qu’elle a systématiquement avancées en l’espèce. À partir de ce moment, l’intimée connaissait les prétentions de la contribuable d’une façon beaucoup plus approfondie que si elle avait simplement disposé d’un avis d’appel. Lorsque cette offre de règlement a été présentée, environ 70 nouvelles cotisations établies à l’égard d’actionnaires/employés étaient aussi frappées d’appel et l’offre proposait uniquement de régler l’appel de la contribuable en l’espèce en même temps que les appels des actionnaires/employés. Par conséquent, je ne pense pas que ce genre d’offre de règlement puisse justifier que la Cour adjuge des dépens plus élevés. Les modalités de cette offre n’étaient pas, pour l’intimée, au moins aussi favorables que l’issue de l’instruction puisque l’offre obligeait la Couronne à mettre en péril les nouvelles cotisations relatives aux actionnaires/employés.

 

[11]         Le jour où la Cour a ordonné, en 2007, la tenue d’une conférence préparatoire visant à régler le différend, l’avocat de la contribuable a présenté à la Couronne une nouvelle offre de règlement. Les appels interjetés par les actionnaires/employés avaient alors déjà été tranchés. Après mon examen de l’offre de règlement interprétée d’une façon raisonnable, j’estime que cette offre était au moins aussi favorable à la Couronne que l’issue de l’instruction par suite de laquelle elle a été totalement déboutée. Bien que l’offre fasse mention des aspects de l’affaire touchant les avantages conférés aux actionnaires/employés, cette question a continué d’être ultérieurement pertinente pour la contribuable/l’employeur même si les appels interjetés par les actionnaires/employés avaient été réglés. Je ne vois pas comment on pourrait en inférer que l’offre de règlement en l’espèce est tributaire de la résolution d’autres questions. De fait, il semble ressortir des motifs donnés par le juge en chef Bowman qu’en pratique, ses conclusions ont une incidence analogue sur ces questions au regard de la contribuable/l’employeur. Bien que son intérêt dans la protection de l’intégrité et des principes de la Loi de l’impôt sur le revenu oblige la Couronne à considérer les offres de règlement différemment que ne le feraient des parties privées et à ne pas s’en tenir qu’à la seule somme directement en cause, la présente affaire ne semble pas soulever des questions de politique ou de cohérence. Le juge en chef Bowman n’a fait état d’aucune question de cette nature dans ses motifs et la Couronne n’en a formulé aucune dans le cadre de la présente requête.

 

[12]         L’un des aspects troublants de cette offre de règlement faite en 2007 découle de l’affidavit d’une technicienne juridique du ministère de la Justice dans lequel on peut lire que la Couronne semble n’avoir aucun document établissant qu’elle a reçu une telle offre. Je fais observer, sans qu’il soit nécessaire de tirer une conclusion à cet égard, que l’affidavit de la technicienne juridique fait uniquement état de l’absence de document. Il ne mentionne pas qu’elle a tenté de savoir si quelqu’un se souvenait de cette offre. Je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que cette offre a réellement été présentée. En effet, dans le courriel qu’il faisait parvenir plusieurs jours plus tard, alors que les avocats essayaient de restreindre les questions en litige en vue de l’instruction, l’avocat de la contribuable a expressément renvoyé à cette offre de règlement en précisant la date de celle‑ci et en ajoutant qu’il était malheureux que la Couronne n’en ait pas fait mention. Quoi qu’il en soit, si la Couronne n’avait pas reçu l’offre de règlement, ce courriel avait certainement pour effet de l’aviser qu’une offre avait été faite. Elle aurait donc dû tenter de trouver son exemplaire ou demander qu’on lui en fasse parvenir un si elle n’en avait reçu aucun ou s’il avait été égaré. Les parties doivent honorer de façon rigoureuse leurs obligations d’examiner les offres de règlement qui leur sont présentées, faute de quoi elles risquent d’être tenues aux dépens si l’issue de l’instruction ne leur est pas plus favorable.

 

[13]         Contrairement aux règles de plusieurs autres tribunaux, l’article 147 des Règles de la Cour ne prévoit pas que, si une partie déboutée n’a pas accepté une offre de règlement plus favorable, elle est tenue de payer une indemnité substantielle ou des dépens sur une base procureur‑client, de la date de l’offre jusqu’à la fin de l’instruction. Cependant, je suis persuadé qu’en l’espèce, le fait que la Couronne n’a pas accepté l’offre – que ce soit parce qu’elle en jugeait les modalités inacceptables ou parce qu’elle n’a pas tenté d’en obtenir un exemplaire pour l’examiner – justifie l’adjudication d’une somme qui est, dans une certaine mesure, plus élevée que celle prévue par le tarif.

 

II. Prolongation indue de la durée de l’instruction

 

[14]         Il ressort sans équivoque des motifs du juge siégeant à l’instruction que ce dernier estimait la thèse de l’intimée dénuée de fondement. De fait, il emploie le terme « fallacieux » à deux occasions, tandis que le terme « bêtise » figure dans sa citation allemande, et il reproche au ministre de tenir à une thèse totalement obscure.

 

[15]         De plus, la thèse de l’intimée relative aux [TRADUCTION] « hypothèses religieuses », selon les termes employés dans la requête préliminaire, n’a cessé de changer de façon appréciable pendant toute la durée de l’instance. Même si le juge siégeant à l’instruction a conclu à l’inutilité de la preuve présentée par la contribuable pour défendre les motivations religieuses qui ont poussé ses actionnaires à adopter le modèle commercial qu’elle applique, il était manifestement dans l’intérêt de la contribuable de traiter de cette question d’une façon claire et détaillée dans le cadre de l’appel.

 

[16]         La question des hypothèses religieuses n’a pas été soulevée par l’intimée au cours du processus de nouvelle cotisation. C’est dans sa réponse que la Couronne en a fait état pour la première fois. La requête de la contribuable visait à faire radier ces hypothèses pour cause de non‑pertinence. La requête a été vigoureusement contestée par la Couronne. Le juge de la requête, soit le juge en chef Bowman, n’était pas disposé à radier les hypothèses réellement formulées, qu’elles aient été dénuées de pertinence ou non. Il n’était pas non plus disposé à conclure qu’elles n’étaient pas pertinentes, même s’il a manifesté un doute appréciable à cet égard : voir la décision Jolly Farmer Products Inc. v. HMQ, 2008 DTC 4396. Par la suite, au moment de l’interrogatoire du représentant de l’intimée, celle‑ci a sensiblement minimisé, voire nié, l’importance et la pertinence de ces hypothèses au regard de sa thèse. Dans son témoignage à l’instruction, l’agent des appels a toutefois affirmé qu’une des raisons, sinon la seule, à l’origine des nouvelles cotisations tenait au fait que les actionnaires de la contribuable avaient choisi de vivre à l’écart de la collectivité.

 

[17]         C’est ce changement constant dans la thèse de l’intimée relative aux hypothèses religieuses, selon laquelle ces hypothèses étaient tantôt pertinentes, tantôt sans importance, puis décisives, particulièrement à la lumière du fait qu’elles étaient en définitive dénuées de pertinence, jumelé au fait que leur pertinence a été sérieusement mise en doute par la Cour dans le cadre de la requête en radiation, qui a inutilement prolongé l’instance. L’approche suivie par l’intimée a manifestement accru le fardeau qui incombait à la contribuable de réfuter les allégations formulées contre elle et ne lui a guère laissé d’autre choix que de présenter la preuve qu’elle a produite. Il lui fallait donc traiter notamment de la question des hypothèses religieuses et de la question de l’avantage économique. Cela a sans aucun doute prolongé la durée de l’instruction, ce qui, à mon avis, justifie l’adjudication de dépens plus élevés que ceux prévus au tarif.

 

III. Experts

 

[18]         Je ne puis accepter que le témoignage des deux experts de la contribuable était superflu et inutile. La contribuable avait l’obligation de réfuter l’ensemble de la preuve présentée par l’intimée, peu importe à quel point elle, et le juge au bout du compte, estimaient que cette preuve était faible. Il importe de signaler que l’intimée a également appelé un expert à témoigner relativement aux avantages économiques du modèle commercial choisi par la contribuable.

 

[19]         Les nouvelles cotisations frappées d’appel visaient une somme d’argent importante et soulevaient une question essentielle à l’entreprise de la contribuable. L’issue de l’appel relatif à ces nouvelles cotisations influerait, en pratique, sur son assujettissement à l’impôt pour les années futures et s’appliquerait à d’autres dépenses de l’entreprise.

 

[20]         La preuve relative aux avantages économiques découlant du fait que les employés vivaient sur les lieux a de toute évidence été présentée afin de raisonnablement répondre à la thèse du ministre voulant que les dépenses liées à la fourniture d’un logement sur les lieux à ses employés n’aient pas été engagées par la contribuable en vue de gagner un revenu.

 

[21]         Aucune raison n’a été avancée dans le cadre de la présente requête pour expliquer pourquoi les honoraires des experts, s’ils doivent faire l’objet de l’adjudication des dépens, ne devraient pas être entièrement remboursés. La Couronne a eu recours à son propre expert et je présumerai que c’était sensiblement aux mêmes conditions que la contribuable puisque, dans le cas contraire, on m’en aurait certainement fait part. En conséquence, les honoraires des experts de la contribuable devront être entièrement remboursés par l’intimée.

 

IV. Opportunité de multiplier par un nombre donné les taux prévus au tarif

 

[22]         La contribuable a choisi, dans le cadre de la présente requête, de demander des honoraires d’avocat forfaitaires équivalant à cinq fois la somme prévue au tarif. Il ne semble pas exister de précédent étayant cette méthode d’adjudication des dépens. De plus, cette approche n’a pas d’attrait à mes yeux. Je n’accepte pas que la multiplication, que ce soit par cinq ou par un autre nombre moins élevé, puisse constituer un exercice approprié de mon pouvoir discrétionnaire en l’espèce.

 

V. Honoraires relatifs à l’avocat adjoint

 

[23]         À mon sens, l’argument de la Couronne selon lequel il n’y a pas lieu d’adjuger des honoraires au titre de l’avocat adjoint parce que ce dernier n’a pas présenté d’éléments de preuve ni participé au débat est dénué de fondement. Outre qu’il était présent et vêtu d’une toge, cet avocat a assisté son confrère pendant toute l’instruction. La Couronne était représentée par deux avocats. La Cour accorde couramment des honoraires pour plusieurs avocats et notre tarif envisage cette possibilité même si, bien sûr, un seul avocat par partie sera debout ou s’exprimera à un moment donné. Je prends en compte la présence et la contribution des deux avocats de la contribuable pour fixer les dépens en l’espèce.

 

VI. Audition des témoins

 

[24]         Une demi‑journée d’audience a été perdue lorsque la Cour a dû ajourner l’audience pour l’après‑midi en raison d’un conflit d’horaire touchant les témoins de la contribuable. Cette situation ne pose pas de problème dans le cadre du tarif puisque celui‑ci prévoit une somme pour une journée ou une demi‑journée. Je conviens avec la Couronne qu’il importe, au moment de fixer des dépens en sus de ceux prévus au tarif, de tenir compte de ce retard et de la prolongation indue de l’instance qu’a causée la partie ayant obtenu gain de cause et ayant droit aux dépens.

 

VII. Photocopies

 

[25]         La Couronne fait valoir que la somme de 11 000 $ réclamée au titre des frais de photocopie est excessive. Environ 35 000 pages ont été copiées. Aux yeux du profane, pour lequel les instances longues et complexes ne sont pas une chose familière, ce nombre peut paraître assez élevé. Or, une audience qui dure une semaine, dans le cadre de laquelle six témoins – dont la moitié sont des experts – sont entendus, qui est précédée d’au moins une requête contestée, d’interrogatoires préalables, de productions et d’engagements prolongés, d’une conférence préparatoire ordonnée par la Cour et qui se termine par des aperçus écrits des arguments et des recueils de textes à l’appui, dont des doubles sont préparés pour deux avocats, le témoin, la partie adverse, la Cour et le juge, n’est pas un processus qui a été conçu pour épargner les arbres. De fait, comme je l’ai signalé à l’audience, j’étais saisi d’une pile de documents de 18 pouces de haut juste pour la présente requête. J’accorde à la contribuable les frais qu’elle a réellement engagés au titre de l’impartition de la photocopie ainsi que 0,25 $ la page pour l’ensemble des photocopies réalisées à l’interne pour l’usage de ses avocats, à l’exception de celles se rapportant à la requête dans le cadre de laquelle les dépens ont été adjugés à l’intimée.

 

VIII. Conclusion

 

[26]         Il y a peut-être des arguments et des cas que l’Agence du revenu du Canada devrait tout simplement abandonner. La Couronne n’est pas une partie privée. Lorsqu’elle établit une nouvelle cotisation à l’égard d’un contribuable et qu’elle ne réussit pas à régler l’opposition de celui‑ci, la Couronne oblige son citoyen/contribuable à s’adresser aux tribunaux. Lorsque la thèse de la Couronne est dénuée d’un certain fondement raisonnable et qu’elle est, dans les faits, entièrement rejetée, il est tout naturel que la Couronne soit consciente qu’elle poursuit l’instance au risque d’être condamnée à des dépens plus élevés que ceux prévus au tarif, si elle est déboutée. La Couronne n’est pas une partie privée et les affaires fiscales ne sont pas des différends similaires à ceux qui opposent deux Canadiens entre eux. En effet, il s’agit du gouvernement qui poursuit l’un de ses citoyens. Bien souvent, la Couronne perdra sa cause parce qu’elle n’avait pas entièrement connaissance, avant l’audience, de la preuve présentée par le contribuable ou n’était pas en mesure d’en apprécier sa crédibilité, ou parce qu’elle ne pouvait entièrement saisir la thèse qu’il avançait. Il arrivera que la Couronne fasse valoir, sans succès, des arguments nouveaux. Aucune de ces situations ne paraît exister en l’espèce. Les faits essentiels ne semblent pas avoir été contestés et un des administrateurs de la contribuable a fait l’objet d’un interrogatoire approfondi. Comme il a été mentionné précédemment, la première lettre d’offre de règlement envoyée par la contribuable comprenait une analyse détaillée de sa thèse juridique.

 

[27]         Je sais bien que l’une des raisons mises de l’avant pour justifier le tarif relativement modeste de la Cour tient au souci d’éviter à un Canadien qui poursuit, sans succès, son appel en matière d’impôt d’être en plus condamné, sous réserve de circonstance inhabituelles, à des dépens très élevés. On se préoccupe du fait que, si j’accorde en l’espèce des dépens supérieurs à ceux prévus au tarif, le principe de la symétrie pourrait faire en sorte que, dans d’autres affaires où la Couronne obtient gain de cause, le contribuable débouté soit pareillement exposé au risque d’une adjudication de dépens plus élevés que ceux prévus au tarif. Je suis sûr que les juges de la Cour peuvent exercer leur pouvoir discrétionnaire de façon appropriée, sans que cet exercice soit entravé par ma décision en l’espèce. De fait, en suivant une approche distincte en matière d’adjudication de dépens supérieurs à ceux prévus au tarif dans les cas opportuns où toutes les parties sont bien représentées, les juges sont en mesure d’écarter les éventuels risques que la menace de dépens élevés incite les Canadiens à ne pas interjeter appel dans les affaires fiscales lorsqu’ils perçoivent une injustice.

 

[28]         Compte tenu de la situation, je fixe les honoraires d’avocat à 42 500 $, en plus d’accorder à la contribuable le montant total des honoraires relatifs à ses experts ainsi qu’une somme de 9 328,69 $ au titre de ses frais de photocopie.

 

[29]         Ces honoraires d’avocat forfaitaires englobent les dépens auxquels la contribuable a droit dans le cadre de la présente requête.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de décembre 2008.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de février 2009.

                             

S. Tasset


 

RÉFÉRENCE :                                            2008 CCI 693

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :               2005-1804(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                        Jolly Farmer Products Inc. c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 5 novembre 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE PAR :       L’honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DE L’ORDONNANCE :                   Le 23 décembre 2008

 

PARTICIPANTS :

 

Avocat de l’appelante :

Me John D. Townsend

 

Avocat de l’intimée :

Me Cecil S. Woon

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                                Me John D. Townsend

 

                          Cabinet :                            Cox & Palmer

                                                                   Fredericton (Nouveau-Brunswick)

 

       Pour l’intimée :                                     John H. Sims, c.r.

                                                                   Sous-procureur général du Canada

                                                                   Ottawa, Canada



[1] Cette brève citation allemande est tirée de La Pucelle d’Orléans de Friedrich von Schiller et peut se traduire ainsi : Même les dieux luttent en vain contre la bêtise.

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