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Dossier : 2007-4951(EI)

ENTRE :

 

HCR DATA SERVICES LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 26 novembre 2008, à Vancouver (Colombie‑Britannique).

Devant : L’honorable juge Wyman W. Webb

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

M. Gary Robert Hantke

Avocates de l’intimé :

Mme Billie Attig (stagiaire)

Me Shannon Walsh

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel que l’appelante a interjeté en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi ») à l’encontre de la décision par laquelle l’intimé a conclu que l’emploi exercé par Chris Hantke au cours de la période allant du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2006 était un emploi assurable au sens de l’article 5 de la Loi est accueilli et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour qu’il l’étudie de nouveau compte tenu du fait que l’emploi exercé par Chris Hantke au cours de la période en question n’était pas un emploi assurable en vertu de l’article 5 de la Loi. L’intimé versera des dépens de 1 000 $ à l’appelante.

 


       Signé à Halifax (Nouvelle-Écosse), ce 19e jour de décembre 2008.

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de février 2009.

 

S. Tasset


 

 

 

 

Référence : 2008CCI679

Date : 20081219

Dossier : 2007-4951(EI)

ENTRE :

 

HCR DATA SERVICES LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Webb

 

[1]              L’appelante a interjeté appel de la décision de l’intimé selon laquelle l’emploi que Chris Hantke exerçait auprès d’elle au cours de la période allant du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2006 (la « période d’emploi ») était un emploi assurable pour l’application de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi »). Selon l’appelante, l’emploi que Chris Hantke exerçait auprès d’elle pendant la période d’emploi n’était pas un emploi assurable.

 

[2]              Le paragraphe 5(2) de la Loi prévoit notamment ce qui suit :

 

N’est pas un emploi assurable :

 

[...]

 

i)          l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance.

 

[3]              Le paragraphe 5(3) de la Loi prévoit ce qui suit :

 

(3) Pour l’application de l’alinéa (2)i) :

 

a)         la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu;

 

b)         l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

[Je souligne.]

 

[4]              Par conséquent, si Chris Hantke et l’appelante avaient entre eux de lien de dépendance et s’ils n’étaient pas des personnes liées, l’emploi de Chris Hantke auprès de l’appelante ne serait pas un emploi assurable puisque cet emploi serait exclu par l’alinéa 5(2)i) de la Loi et que l’alinéa 5(3)b) de la Loi ne s’appliquerait pas. L’alinéa 5(3)b) de la Loi s’applique uniquement si Chris Hantke et l’appelante étaient des personnes liées. Chris Hantke était (et est) lié à son père, Gary Hantke (qui détenait la moitié des actions de l’appelante), mais il s’agit de savoir si Chris Hantke était lié à l’appelante.

 

[5]              La question de savoir si l’appelante et Chris Hantke n’avaient entre eux aucun lien de dépendance doit être tranchée conformément aux dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu. De plus, la question de savoir si l’appelante et Chris Hantke étaient des personnes liées au cours de la période d’emploi doit être réglée de la façon prévue par la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[6]              Le paragraphe 251(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit notamment ce qui suit :

 

251  (1) Pour l’application de la présente loi :

 

a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

 

[...]

 

c) [...] la question de savoir si des personnes non liées entre elles n’ont aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

 

[7]              Le paragraphe 251(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit notamment ce qui suit :

 

(2) Pour l’application de la présente loi, sont des « personnes liées » ou des personnes liées entre elles :

 

[...]

 

b) une société et :

 

(i) une personne qui contrôle la société si cette dernière est contrôlée par une personne,

 

(ii) une personne qui est membre d’un groupe lié qui contrôle la société,

 

(iii) toute personne liée à une personne visée au sous‑alinéa (i) ou (ii);

 

[8]              Gary Hantke et Theodor Redekop exploitaient, dans le cadre d’une société de personnes, un cabinet comptable sous le nom Hantke, Coffey, Redekop & Co. L’appelante a été constituée en personne morale afin d’employer du personnel chargé de s’occuper de la comptabilité pour les clients de la société de personnes. La moitié des actions de l’appelante étaient détenues par Gary Hantke, alors que Theodor Redekop détenait le reste des actions. Gary Hantke et Theodor Redekop n’étaient pas des personnes liées entre elles. Les statuts de l’appelante prévoyaient qu’en cas de partage des voix, le président de la société avait une voix prépondérante. Gary Hantke agissait comme président de l’appelante pendant toute la période d’emploi.

 

[9]              Gary Hantke, qui est comptable et qui n’est pas avocat, représentait l’appelante. Dans l’avis d’appel, l’appelante déclarait notamment ce qui suit :

 

[traduction] Chris étudiait en vue de devenir CGA lorsqu’il a commencé à travailler pour HCR Data Services Ltd. le 3 juin 2002. (Chris est devenu CGA au mois de septembre 2007.) Dès le départ, Chris était formé au vue de devenir associé du cabinet Hantke, Coffey, Redekop & Co. Cela étant, la relation employeur‑employé n’est pas une relation sans lien de dépendance.

 

[10]         Dans l’avis d’appel, l’appelante mentionne également le paragraphe de ses statuts qui prévoit que le président de l’appelante a une voix prépondérante. Dans l’avis d’appel, l’appelante dit également que [traduction] « le contrôle de fait de [l’appelante] est exercé par Gary Hantke ». Pour décider si l’appelante et Chris Hantke étaient des personnes liées entre elles, il faut savoir si Gary Hantke exerçait un contrôle de droit et non s’il exerçait un contrôle de fait. Dans l’arrêt Duha Printers (Western) Ltd. v. The Queen 98 DTC 6334, [1998] 1 R.C.S. 795, [1998] 3 C.T.C. 303, la Cour suprême du Canada a dit ce qui suit :

 

35     Il est bien reconnu que, sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, le « contrôle » d’une société s’entend normalement du contrôle de jure et non pas du contrôle de facto.  Notre Cour a cité et approuvé à maintes reprises le critère suivant, énoncé par le président Jackett dans Buckerfield’s, précité, à la p. 507 :

 

[traduction] On pourrait sans doute adopter de nombreuses méthodes pour la définition du mot « contrôle » figurant dans un texte tel que la Loi de l’impôt sur le revenu.  Il pourrait par exemple s’agir du contrôle exercé par les « dirigeants », lorsque les dirigeants et le conseil d’administration sont distincts, ou il pourrait s’agir du contrôle exercé par le conseil d’administration.  [. . .] Le mot « contrôle » pourrait peut‑être s’entendre du contrôle de fait exercé par un ou plusieurs actionnaires, qu’ils détiennent ou non la majorité des actions.  Je suis d’avis cependant que, dans l’article 39 de la Loi de l’impôt sur le revenu [l’ancien article traitant des sociétés associées], le mot « contrôlées » évoque le droit de contrôle auquel donne lieu le fait de détenir un nombre d’actions tel qu’il confère la majorité des voix à leur détenteur dans l’élection du conseil d’administration.  [Je souligne.]

 

Les arrêts dans lesquels notre Cour a appliqué le critère qui précède sont notamment Dworkin Furs, précité, et Vina‑Rug (Canada) Ltd. c. Minister of National Revenue, [1968] R.C.S. 193.

 

 

[11]         Le premier paragraphe de la réponse qui a été déposée en l’espèce est libellé comme suit :

 

            [traduction]

1.   Le ministre du Revenu national (le « ministre ») admet les faits suivants qui sont énoncés dans l’avis d’appel :

 

a)      la période visée par l’appel allait du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2006 (la « période »);

 

b)      Chris Hantke (le « travailleur ») est le fils de Gary Hantke (« M. Hantke »); il était un employé de l’appelante au cours de la période;

 

c)      M. Hantke et Theodor Redekop (« M. Redekop ») étaient les seuls associés du cabinet comptable Hantke, Coffey, Redekop & Co. (le « cabinet comptable ») au cours de la période;

 

d)      l’appelante gérait et employait le personnel chargé de s’occuper de la comptabilité pour les clients du cabinet comptable au cours de la période;

 

e)      au cours de la période, l’appelante employait :

 

i)       des personnes qui étudiaient en vue d’obtenir le titre de comptable général accrédité (« CGA »),

 

ii)      des travailleurs qui avaient obtenu le titre de CGA,

 

iii)      d’autres travailleurs.

 

f)       M. Hantke et M. Redekop :

 

i)       détenaient chacun 50 p. 100 des actions avec droit de vote de l’appelante au cours de la période,

 

ii)      étaient les seuls actionnaires de l’appelante au cours de la période,

 

iii)      étaient tous deux administrateurs de l’appelante au cours de la période,

 

iv)     agissaient respectivement comme président et comme secrétaire‑trésorier au cours de la période;

 

g)      M. Hantke agissait comme président du conseil d’administration de l’appelante au cours de la période;

 

h)      le travailleur effectuait des études pour devenir CGA lorsqu’il a commencé à travailler pour l’appelante, le 3 juin 2002;

 

i)       le travailleur a obtenu le titre de CGA au mois de septembre 2007;

 

j)       l’appelante et le travailleur avaient entre eux un lien de dépendance.

 

[Je souligne.]

 

[12]         L’aveu de l’intimé selon lequel l’appelante avait avec Chris Hantke un lien de dépendance n’était pas fondé sur la conclusion ou sur l’hypothèse selon laquelle Chris Hantke était une personne liée à l’appelante (l’allégation selon laquelle Chris Hantke était une personne liée à l’appelante n’a été faite qu’au cinquième paragraphe de la réponse). Il s’agit simplement d’une allégation inconditionnelle figurant au premier paragraphe de la réponse, à savoir que l’intimé admet que la relation existant entre l’appelante et Chris Hantke était une relation avec lien de dépendance.

 

[13]         Comme il en a ci‑dessus été fait mention, la question de savoir si une personne morale et un particulier sont des personnes liées est tranchée au moyen de l’application des dispositions du paragraphe 251(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu. En l’espèce, étant donné que Gary Hantke et Theodor Redekop ne sont pas des personnes liées entre elles et que chacun possède la moitié des actions de l’appelante, Chris Hantke ne sera une personne liée à l’appelante que si Gary Hantke contrôlait l’appelante en raison de la voix prépondérante qu’il avait en sa qualité de président de l’appelante.

 

[14]         Dans l’arrêt Minister of National Revenue v. Dworkin Furs (Pembroke) Limited [1967] C.T.C. 50, [1967] R.C.S. 223, 67 DTC 5035, la Cour suprême du Canada a dit ce qui suit :

 

[traduction]

14     En ce qui concerne Allied Business Supervisions Limited, Alexander Aaron était titulaire de 50 p. 100 des actions émises, alors que deux autres personnes, Joseph Tomney et Roy N. Hall, détenaient respectivement 31 p. 100 et 19 p. 100 des actions. MM. Aaron et Tomney ont été élus administrateurs de la société le 17 décembre 1959, pour une période indéfinie, tant que la durée de leur mandat n’était pas modifiée par les actionnaires au cours d’une assemblée d’actionnaires subséquente. Le même jour, M. Aaron a été élu président de la société.

 

15     La société en question a été constituée en vertu de la Companies Act de la Saskatchewan, R.S.S. 1953, ch. 124. La société a adopté comme statuts ceux figurant au tableau A de la Companies Act. L’article 46 du tableau A est libellé comme suit :

 

46. En cas de partage des voix, au moyen d’un vote à main levée ou par scrutin, la personne présidant la réunion ou l’assemblée au cours de laquelle le vote a eu lieu, a droit à une voix prépondérante.

 

16     Il est soutenu pour le compte de l’appelante que le fait que M. Aaron, en sa qualité de président, avait une voix prépondérante aux assemblées d’actionnaires et aux réunions du conseil d’administration lui conférait le contrôle de la société au sens attribué à ce terme par Buckerfield. Le juge Thurlow a conclu que le droit à une voix prépondérante ne conférait pas le contrôle à M. Aaron. Voici ce qu’il a dit :

 

La voix prépondérante, contrairement au droit de vote se rattachant à la détention d’actions, lequel peut être exercé sans qu’il en découle quelque responsabilité envers la société ou envers d’autres actionnaires, n’est pas à mon avis le propre du détenteur, mais elle constitue plutôt un accessoire d’une charge.

 

Je souscris à cet avis.

 

[Je souligne.]

 

[15]         L’Agence du revenu du Canada, soit l’agence qui a conclu que l’appelante et Chris Hantke étaient des personnes liées et que l’emploi était assurable, publie des bulletins d’interprétation portant sur diverses questions. Dans le bulletin d’interprétation IT‑64R4 (Consolidé) – Sociétés : Association et contrôle, en date du 13 octobre 2004, il est dit ce qui suit au paragraphe 16 :

 

Effet d’une voix prépondérante

 

¶16. Si deux personnes se partagent en parts égales les actions avec droit de vote d’une société, le fait que le président d’une assemblée des actionnaires puisse avoir voix prépondérante n’a pas pour effet de conférer le contrôle de droit de la société à cette personne. Il en est ainsi parce que le vote décisif dépend de la fonction de la présidence de la réunion et non pas de la propriété des actions avec droit de vote (voir l’affaire Aaron (Prince Albert) Ltd. et al v. MNR, également connue sous le nom d’Allied Business Supervisions Ltd., 66 DTC 5244, [1966] CTC 330 (Cour de l’Éch.) – confirmé dans l’affaire MNR v. Dworkin Furs (Pembroke) Ltd., 67 DTC 5035, [1967] CTC 50 (C.S.C.)). (Le fait d’avoir « voix prépondérante » dans les circonstances décrites ci‑dessus peut toutefois constituer un contrôle de fait selon le paragraphe 256(5.1).)

 

[16]         Par suite de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dworkin Furs, précitée, Gary Hantke ne contrôlait pas l’appelante pour l’application du paragraphe 251(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Cette décision de la Cour suprême du Canada a été reconnue par l’Agence du revenu du Canada dans le bulletin d’interprétation IT‑64R4. Toutefois, la réponse dit simplement, au paragraphe 5, que le [traduction] « ministre a en outre décidé que le travailleur et l’appelante étaient des personnes liées entre elles ». Il semble que cette décision ait été prise sans qu’il soit tenu compte de la décision que la Cour suprême du Canada avait rendue dans l’affaire Dworkin Furs, précitée, telle qu’elle a été reconnue par l’Agence du revenu du Canada dans le bulletin d’interprétation IT‑64R4.

 

[17]         Étant donné que Gary Hantke ne contrôlait pas l’appelante pour l’application du paragraphe 251(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, Chris Hantke et l’appelante n’étaient pas des personnes liées entre elles. Par conséquent, comme le prévoit l’alinéa 251(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu, la question de savoir si Chris Hantke et l’appelante n’avaient entre eux aucun lien de dépendance est une question de fait. Puisque l’intimé a admis de façon inconditionnelle que Chris Hantke avait un lien de dépendance avec l’appelante et puisque rien ne permet de conclure que Chris Hantke et l’appelante étaient des personnes liées entre elles (aucun fondement à l’appui de cette conclusion n’a été énoncé dans la réponse et, par suite de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dworkin Furs, précitée, cette conclusion ne pouvait de toute façon pas être étayée), la réponse telle qu’elle est rédigée permet de conclure que l’appel doit être accueilli et ne révèle aucun fondement en droit permettant de rejeter l’appel.

 

[18]         Après l’audition de l’affaire, lorsque la question de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dworkin Furs, précitée, a été soulevée auprès de l’avocate de l’intimé, cette dernière a demandé qu’on lui donne le temps d’examiner l’affaire. L’avocate de l’intimé a par la suite déposé des observations écrites dans lesquelles il était reconnu que Chris Hantke et l’appelante n’étaient pas des personnes liées entre elles, mais elle a par la suite cherché à soulever l’argument selon lequel l’appelante et Chris Hantke n’avaient entre eux aucun lien de dépendance, et, ce, malgré l’aveu que l’intimé avait clairement fait dans la réponse, à savoir qu’il existait un lien de dépendance.

 

[19]         À mon avis, l’avocate de l’intimé ne saurait soulever cet argument additionnel après l’audience. Étant donné l’aveu fort clair que l’intimé a fait dans la réponse, à savoir que la relation existant entre l’appelante et Chris Hantke était une relation avec lien de dépendance (ce qui serait une question de fait puisqu’ils n’étaient pas des personnes liées entre elles), l’avocate de l’intimé ne saurait effectivement essayer de rétracter cet aveu après la fin de l’audience, l’appelante ne pouvant pas soumettre des éléments de preuve additionnels au sujet de la question de savoir si Chris Hantke et l’appelante n’avaient entre eux aucun lien de dépendance. La question, telle qu’elle est définie dans les actes de procédure, était de savoir si les modalités d’emploi auraient été à peu près semblables en l’absence d’un lien de dépendance. (Comme il en a ci‑dessus été fait mention, cette question ne serait pertinente que si Chris Hantke et l’appelante étaient des personnes liées entre elles.) Ce qui importait, c’était les modalités d’emploi et non la façon dont Chris Hantke et l’appelante traitaient l’un avec l’autre. L’appelante aurait peut‑être voulu produire des éléments de preuve additionnels si la question avait été redéfinie avant l’audience. Il ne convient pas pour l’avocate de l’intimé de redéfinir la question de cette façon, après l’audience.

 

[20]         Dans la décision Ritonja c. La Reine, 2006 CCI 346, 2006 DTC 3140, le juge en chef Bowman (tel était alors son titre) a dit ce qui suit :

 

            [10]      Permettre à l’intimée de faire valoir pour la première fois à l’instruction un tout nouveau moyen justifiant le refus de la déduction serait contraire au principe fondamental d’équité procédurale. Voir la décision Poulton v. Canada, 2002 2 C.T.C. 2405 qui a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Burton v. The Queen, 2006 DTC 6133. Dans la décision Poulton, aux pages 2408 à 2410, j’ai exposé mon point de vue sur les moyens invoqués à la dernière minute par la Couronne à l’encontre des contribuables qui ne sont pas représentés par un avocat.

 

[11] La veille de l'instruction, l'intimée a présenté des requêtes visant à modifier ses réponses afin d'ajouter aux sections C et D un renvoi à l'alinéa 6(1)b). La requête a été débattue au fond au début de l'instruction. J'ai rejeté la requête de l'intimée et j'ai donné des explications verbales assez détaillées à ce sujet. Voici un bref résumé de mes motifs.

 

[12] Tant la Cour canadienne de l'impôt que la Cour d'appel fédérale se montrent habituellement assez libérales en ce qui a trait à l'autorisation de modifications. [...]

 

[...]

 

[16] Pourquoi n'ai‑je pas autorisé la modification en l'espèce, comme la Cour fédérale l'avait fait dans les arrêts susmentionnés? En fait, il y a toute une différence entre les grandes sociétés ouvertes et les multinationales qui ont accès aux services d'avocats chevronnés pour les défendre dans des causes mettant en jeu des millions de dollars, et les petits contribuables qui ne sont pas représentés par des avocats et dont le litige porte sur des montants relativement mineurs.

 

[17] Selon les principes d'équité procédurale, dans les affaires régies par la procédure informelle, la Couronne ne devrait pas être autorisée à présenter à la dernière minute un tout nouvel argument à l'encontre d'un contribuable. Si les appelants avaient su dès le départ ou, à tout le moins, s'ils avaient appris dans un délai raisonnable avant l'instruction, que la Couronne comptait invoquer l'alinéa 6(1)b), ils auraient peut-être agi de façon entièrement différente et auraient pu présenter une preuve visant à réfuter l'allégation selon laquelle les montants constituaient des « allocations » au sens de l'alinéa 6(1)b) ou à démontrer qu'ils étaient soustraits à l'application de cette disposition par le paragraphe 6(6). Si j'avais fait droit aux requêtes de la Couronne et autorisé la modification, les appelants auraient eu parfaitement le droit de demander un ajournement, ce qui aurait retardé indûment le traitement des appels informels en l'espèce, qui portent sur un litige relativement mineur. Je ne saurais trop répéter à quel point il est important que la Cour veille, dans les affaires régies par la procédure informelle, à ce que le contribuable non représenté ne soit pas privé de l'application des principes d'équité procédurale.

 

[18] J'admets volontiers qu'en rejetant la requête en modification de la Couronne, j'ai peut-être privé celle-ci de la possibilité d'invoquer ce qui pourrait être un argument fort valable. Cependant, le rejet des appels en l'espèce au détriment de la Couronne parce que celle-ci a commis une erreur et omis de citer une disposition qui aurait pu l'aider n'est pas une catastrophe, que ce soit au plan jurisprudentiel ou financier. Il est beaucoup plus important de veiller à ce que les contribuables non représentés au cours d'une affaire régie par la procédure informelle bénéficient pleinement de l'application des principes d'équité procédurale. Contraindre les appelants à étudier des dispositions aussi complexes que l'alinéa 6(1)b) et le paragraphe 6(6) la veille de l'instruction causerait un tort irréparable à l'administration de la justice.

 

[21]         Dans l’arrêt Burton c. la Reine, 2006 CAF 67, [2006] 2 C.T.C. 286, 2006 DTC 6133, de la Cour d’appel fédérale, le juge Rothstein (tel était alors son titre) a dit ce qui suit :

 

[12]    Si je comprends bien son raisonnement, le juge Bowman estimait que, dans les affaires régies par la procédure informelle, la Cour de l'impôt ne devrait pas invariablement faire droit à une requête par laquelle la Couronne sollicite l'autorisation de « présenter à la dernière minute un tout nouvel argument à l'encontre d'un contribuable ». Lorsque l'ajournement aurait pour effet de retarder indûment le traitement d'appels informels portant sur un litige relativement mineur, le juge de la Cour de l'impôt doit exercer judicieusement son pouvoir discrétionnaire pour décider s'il y a lieu de permettre la modification et l'ajournement pouvant en découler. Le juge Bowman fait remarquer que, lors d'appels informels, le refus de permettre à la Couronne de faire des modifications à la dernière minute n'entraînerait pas de « catastrophe, que ce soit au plan jurisprudentiel ou financier ».

 

[22]         S’il est peu probable que l’intimé, dans une affaire régie par la procédure informelle, soit autorisé à présenter, à la dernière minute, un tout nouvel argument, il ne doit pas être autorisé à présenter ce nouvel argument après la fin de l’audience. Puisqu’il s’agissait de savoir si les modalités d’emploi auraient été à peu près semblables dans le cas où il y aurait eu absence de lien de dépendance, certains éléments de preuve ont été soumis au sujet de la façon dont Chris Hantke et l’appelante traitaient entre eux. Chris Hantke avait déclaré qu’il pouvait prendre un congé en donnant un préavis fort bref, alors que les employés avec lesquels il n’existait aucun lien de dépendance étaient obligés de donner un préavis plus long s’ils voulaient prendre un congé. De plus, Chris Hantke a déclaré qu’il avait accepté de l’appelante une rémunération inférieure à celle que recevaient ses collègues qui travaillaient pour d’autres employeurs parce qu’il voulait travailler pour son père. Certains éléments de preuve additionnels auraient pu être présentés au sujet de la façon dont Chris Hantke et l’appelante traitaient entre eux si la question de l’absence de lien de dépendance avait été mentionnée comme point litigieux dans les actes de procédure.

 

[23]         Dans ses observations écrites, l’avocate de l’intimé semble avoir supposé que si elle avait été autorisée à soulever le nouvel argument selon lequel l’appelante et Chris Hantke n’avaient entre eux aucun lien de dépendance, la charge de la preuve aurait néanmoins incombé à l’appelante. Dans ses observations écrites, l’avocate de l’intimé a dit que [traduction] « la preuve n’a pas démontré que l’appelante et le travailleur avaient en fait entre eux un lien de dépendance ». Cela donnerait à entendre que l’appelante aurait eu l’obligation d’établir qu’il en était ainsi.

 

[24]         Dans l’arrêt Loewen, [2004] A.C.F. no 638, 2004 CAF 146, la juge Sharlow, pour le compte de la Cour d’appel fédérale, a fait les remarques suivantes :

 

11 Les contraintes imposées au ministre lorsqu’il invoque des hypothèses n’empêchent cependant pas Sa Majesté de soulever, ailleurs dans la réponse, des allégations de fait et des moyens de droit qui sont étrangers au fondement de la cotisation. Si Sa Majesté allègue un fait qui ne fait pas partie des faits présumés par le ministre, la charge de la preuve repose sur elle. Ce principe est bien expliqué dans la décision Schultz c. Canada, 1995, [1996] 1 C.F. 423 (C.A.), autorisation d’appel à la C.S.C. refusée, [1996] A.C.S.C. no 4.

 

[Je souligne.]

 

[25]         L’autorisation de se pourvoir en appel devant la Cour suprême du Canada de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Loewen, précitée, a été refusée (338 N.R. 195 (nota)).

 

[26]         S’il incombe à l’intimé d’établir des faits à l’égard desquels le ministre n’a émis aucune hypothèse, la charge d’établir des faits contraires à ceux que l’intimé a admis doit également incomber à l’intimé. S’il avait été autorisé à soulever le nouvel argument, l’intimé aurait eu la charge d’établir le nouveau fait, à savoir que l’appelante et Chris Hantke n’avaient entre eux aucun lien de dépendance.

 

[27]         L’avocate de l’intimé a également mentionné plusieurs décisions dans lesquelles une distinction était faite entre une relation avec un employé et une relation avec un entrepreneur indépendant. Toutefois, étant donné que l’appelante et l’intimé prennent tous deux la position selon laquelle Chris Hantke était un employé de l’appelante, la pertinence de ces décisions n’est pas claire. Les deux parties conviennent que Chris Hantke était un employé de l’appelante pendant toute la période d’emploi.

 

[28]         Dans l’arrêt Fournier c. La Reine, 2005 CAF 131, la Cour d’appel fédérale a examiné la question de savoir si des dépens peuvent être adjugés dans une instance où les règles applicables ne prévoient pas l’adjudication des dépens. Le juge Létourneau, de la Cour d’appel fédérale, a dit ce qui suit :

 

[11]      Le juge s'est dit sans compétence pour imposer des frais à un appelant qui retarde inutilement le déroulement d'un appel intenté dans le cadre de la procédure informelle. Je signale que la Cour canadienne de l'impôt possède le pouvoir inhérent de prévenir et de contrôler un abus de ses procédures : voir Yacyshyn c. Canada, [1999] A.C.F. no. 196 (C.A.F.).

 

[12]      Or, l'adjudication de frais ou dépens se veut l'un des mécanismes de prévention ou de réparation des abus de délai ou de procédure : voir Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, aux paragraphes 179 et 183. Dans l'affaire Sherman c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [2003] 4 C.F. 865, au paragraphe 46, cette Cour écrit en rapport avec la question :

Il est maintenant généralement reconnu que l'adjudication des dépens peut remplir plus d'une fonction. En vertu des règles contemporaines, l'adjudication des dépens peut servir à réglementer, à indemniser et à dissuader. Elle réglemente en encourageant les plaideurs à en arriver à un règlement tôt dans le processus et à faire preuve de retenue. Elle décourage les comportements et litiges impétueux, futiles et abusifs. Elle vise à indemniser, du moins en partie, la partie qui a eu gain de cause et qui a parfois engagé de grosses dépenses pour faire valoir ses droits.

 

[C’est le juge Létourneau qui a souligné.]

 

[29]         Dans cette décision‑là, la Cour d’appel fédérale a fixé le montant des dépens à 1 000 $.

 

[30]         Compte tenu de cette décision de la Cour d’appel fédérale, les dépens ont été adjugés à l’encontre de la Couronne dans un appel interjeté en vertu de la Loi dans l’affaire Zinck c. Ministre du Revenu national, 2007 CCI 592.

 

[31]         À mon avis, le fait que l’intimé poursuive cette affaire pour la faire entendre sur la base d’une réponse qui, telle qu’elle est rédigée, nous amène à conclure que l’appel doit être accueilli constitue un abus de procédure. De plus, il n’est pas approprié pour l’intimé de tenter de soulever après l’audience de nouvelles questions qui contredisent les aveux clairs qui ont été faits dans les actes de procédure, à un moment où l’appelante ne peut pas soumettre d’éléments de preuve additionnels sur ce point.

 

[32]         Dans ce cas‑ci, les dépens devraient être adjugés à l’encontre de l’intimé et, par conséquent, l’appelante aura droit à des dépens de 1 000 $, que l’intimé devra payer.

 

[33]         L’appel que l’appelante a interjeté en vertu de la Loi à l’encontre de la décision par laquelle l’intimé a conclu que l’emploi exercé par Chris Hantke, au cours de la période allant du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2006, était un emploi assurable au sens de l’article 5 de la Loi est accueilli et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour qu’il l’étudie de nouveau compte tenu du fait que l’emploi exercé par Chris Hantke au cours de la période en question n’était pas un emploi assurable en vertu de l’article 5 de la Loi. L’intimé versera des dépens de 1 000 $ à l’appelante.

 

 

          Signé à Halifax (Nouvelle‑Écosse), ce 19e jour de décembre 2008.

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de février 2009.

 

S. Tasset

 


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI679

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-4951(EI)

 

INTITULÉ :                                       HCR DATA SERVICES LTD.

                                                          c.

                                                          M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 26 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Wyman W. Webb

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 19 décembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

M. Gary Robert Hantke

Avocates de l’intimé :

Mme Billie Attig (stagiaire)

Me Shannon Walsh

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :                        

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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