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Dossier : 2007-702(EI)

ENTRE :

JOSEPH CAMPBELL,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

NATALIE NUSSEY,

intervenante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 22 janvier 2008, à London (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelant :

Ted Wernham

 

Avocat de l’intimé :

MPascal Tétrault

 

Pour l’intervenante :

L’intervenante elle-même

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L’appel est accueilli et la décision du ministre est modifiée afin qu’il soit tenu compte du fait que l’intervenante occupait un emploi assurable.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 28jour de mars 2008.

 

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour d’octobre 2008.

 

D. Laberge, LL.L.


 

 

 

Référence : 2008CCI170

Date : 20080328

Dossier : 2007-702(EI)

ENTRE :

JOSEPH CAMPBELL,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

NATALIE NUSSEY,

intervenante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Boyle

 

[1]     Il est fait appel d’une décision rendue par l’Agence du revenu du Canada en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi, décision selon laquelle (i) la fille adulte de l’appelant était une employée de l’appelant, mais (ii) n’occupait pas un emploi assurable, parce que a) elle et son employeur ont entre eux un lien de dépendance et b) les modalités de son emploi ne sont pas considérées, aux fins de l’application de l’alinéa 5(3)b) de la Loi sur l’assurance-emploi, comme des modalités caractérisant une absence de lien de dépendance.

 

[2]     Dans sa réponse, le ministre a voulu soulever la question de savoir si la travailleuse était une employée, en plus de celle de savoir si l’emploi était un emploi avec lien de dépendance. Je n’ai pas eu l’impression que la Cour serait validement saisie de cet aspect étant donné que le ministre ferait alors appel de sa propre décision. Il ne m’est pas nécessaire de statuer sur ce point puisque l’avocat de la Couronne a admis, dans son argumentation, que l’intervenante était une employée. Vu la manière dont les actes de procédure et les hypothèses ont été rédigés, et vu la preuve produite, y compris le contre-interrogatoire de l’appelant et l’interrogatoire principal de l’agente des appels de l’ARC, il m’aurait fallu conclure que la Couronne n’avait pas prouvé que sa décision selon laquelle la fille de l’appelant était une employée était inexacte.

 

[3]     Le seul point à décider est donc celui de savoir si l’emploi de la fille de l’appelant était un emploi sans lien de dépendance, selon les termes de l’alinéa 5(3)b).

 

I. La disposition applicable

 

[4]     L’alinéa 5(3)b) prévoit ce qui suit :

 

b) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

 

II. La norme de contrôle

 

[5]     La norme de contrôle, dans un tel cas, consiste à se demander si la conclusion du ministre est justifiée et si elle est raisonnable d’après la preuve qu’il avait devant lui, à laquelle s’ajoute la preuve soumise à la Cour. Voir par exemple deux arrêts de la Cour d’appel fédérale : Légaré c. Canada, [1999] A.C.F. n° 878, et Pérusse c. Canada, [2000] A.C.F. n° 310, ainsi qu’une décision de 2005 de la Cour, Birkland c. Canada, [2005] C.C.I. 291.

 

III. Les faits

 

[6]     Trois témoins ont comparu : le révérend Campbell, employeur appelant, sa fille Nathalie Nussey, et l’agente des appels de l’ARC. Chacun des témoins a fait une déposition claire, intelligible et crédible. Aucune des parties n’a donné sérieusement à penser, durant les contre-interrogatoires, que les témoins de l’autre partie n’étaient pas crédibles. Le représentant de l’appelant a pu dire que l’une de ses questions, en contre-interrogatoire, mettait en doute la crédibilité de l’agente des appels, mais en réalité la question portait sur l’exhaustivité de l’une des réponses antérieures données par l’agente en contre-interrogatoire. Je tiens pour exacte la déposition de chacun des témoins; leurs dépositions ne s’opposaient pas véritablement.

 

[7]     L’appelant, le révérend Campbell, est ministre du culte et, avant la période en cause, il avait été pasteur dans une église. En janvier 2006, il a accepté d’occuper le poste de directeur national du développement au sein d’un organisme de bienfaisance canadien à vocation religieuse. Parmi les programmes dont il avait la charge au sein de cet organisme, il y avait la vente, aux églises partout au Canada, d’un programme d’éducation chrétienne d’une durée de huit semaines. C’était pour l’organisme un nouveau programme. Pour le promouvoir, le personnel de l’organisme devait d’abord communiquer avec les églises, partout au Canada, pour leur expliquer le programme, mesurer leur intérêt à son égard et leur envoyer des trousses d’information.

 

[8]     L’organisme de bienfaisance a d’abord engagé deux préposées aux appels. C’est le révérend Campbell qui assurait leur supervision. Elles lui présentaient un rapport écrit sur le résultat de leurs appels afin qu’il puisse personnellement assurer un suivi auprès du pasteur ou du directeur de l’éducation chrétienne, à telle ou telle église qui s’était montrée intéressée par le programme. Les préposées aux appels lui indiquaient également les heures qu’elles passaient à appeler à toutes les églises canadiennes indiquées dans leur base de données, en lui disant où elles en étaient dans leur travail.

 

[9]     L’une des préposées aux appels de l’organisme de bienfaisance était la fille de l’appelant, et l’autre était une personne sans lien de parenté avec lui. On n’a pas prétendu que l’organisme de bienfaisance n’était pas un organisme totalement indépendant par rapport à l’appelant et à l’intervenante. Le travail n’était pas un travail à temps plein, mais un travail qui allait de dix à vingt heures par semaine. Ce n’était pas un travail très rémunérateur, puisque le salaire était inférieur à 10 $ l’heure. Les préposées aux appels faisaient le travail à partir de chez elles. Elles étaient rémunérées par l’organisme deux fois par mois, sur présentation de leurs relevés de temps.

 

[10]    C’était pour l’appelant une nouvelle activité. Une fois devenu travailleur autonome, il a obtenu des conseils de nature professionnelle et financière. Il fallait par exemple qu’il enregistre son entreprise individuelle auprès de l’ARC, ce qu’il a fait. Il s’est aussi rendu compte qu’il pouvait être avantageux pour un professionnel d’avoir des employés, y compris des membres de la famille, pour faire un travail dont ils étaient capables, un travail qui était nécessaire et qui serait rémunéré aux tarifs et aux conditions ayant cours sur le marché.

 

[11]    Comme c’était une nouvelle activité pour l’appelant, et un nouveau programme pour l’organisme de bienfaisance, l’appelant et l’organisme étaient à la fois ambitieux et prévoyants. Ils espéraient réussir, mais prenaient soin de faire les choses sans hâte. Au début, on décida de commencer avec deux préposées aux appels. Les préposées ont commencé leur travail en février 2006, peu après l’entrée en fonction de l’appelant auprès de l’organisme.

 

[12]    Fort de la connaissance qu’ils avaient des emplois du temps des paroisses, l’appelant et l’organisme ont pensé que la période qu’il leur faudrait consacrer à la promotion d’un tel projet irait de janvier à juin et de septembre à novembre. Les mois d’été, à savoir juillet et août, seraient une période creuse dans les églises, puisque leurs employés seraient en vacances, et, vu les préparatifs de Noël dans les églises au cours de l’avent, ils s’abstiendraient de promouvoir le projet directement auprès des églises en décembre. De même, les préposées aux appels étaient encouragées à faire leur travail le matin, puisque c’est durant cette période de la journée qu’elles avaient les meilleures chances de communiquer avec les bureaux paroissiaux.

 

[13]    L’organisme confiait aux deux préposées aux appels le même travail et les rémunérait de la même façon et aux mêmes conditions.

 

[14]    En avril ou mai 2006, l’appelant a offert aux deux préposées des postes rémunérés au sein de son entreprise. Elles feraient le même travail pour l’organisme de bienfaisance, et toutes les modalités de leur emploi, y compris celles concernant le contrôle et la direction, ainsi que les rapports, etc., demeureraient les mêmes. On ne sait pas véritablement s’il était prévu que la rémunération horaire tomberait à 8 $ l’heure, mais c’est ce qui arriva, sans doute par inadvertance. Quoi qu’il en soit, l’agente des appels de l’ARC a témoigné que les deux taux de rémunération étaient considérés, vu le travail à faire, comme des taux raisonnables qui attestaient une absence de lien de dépendance. Selon un document déposé, l’organisme se voyait facturer en retour le coût de son ancienne employée placée en sous-traitance auprès de l’appelant.

 

[15]    La fille de l’appelant, qui est l’intervenante dans la présente affaire, a accepté l’offre d’emploi. Sa collègue ne l’a pas acceptée. Celle-ci percevait alors des prestations d’assurance-emploi et préféra recevoir la rémunération contractuelle pour son travail à temps partiel comme cela est permis jusqu’à un certain degré. Elle envisageait aussi de quitter son travail à l’organisme de bienfaisance et de revenir à un emploi à temps plein au plus tard de 1er octobre, lorsque prendraient fin ses prestations d’assurance-emploi.

 

[16]    L’intervenante a travaillé pour l’appelant jusqu’à la fin de juin. Sa collègue a elle aussi laissé son travail auprès de l’organisme à la fin de juin. Durant la période où l’intervenante a travaillé pour lui, l’appelant a procédé aux retenues salariales requises, puis a établi et produit un feuillet T4 ainsi qu’un relevé de rémunération.

 

[17]    À la mi-juillet, une nouvelle préposée a été embauchée pour soutenir le programme durant les mois d’été, et elle est demeurée à son poste par la suite. Elle n’avait aucun lien avec l’appelant ou l’organisme. Elle s’est vu elle aussi offrir la possibilité de devenir une employée de l’appelant ou de travailler pour l’organisme à des conditions contractuelles. Elle a décidé de travailler directement pour l’organisme à des conditions contractuelles. L’appelant lui a plus tard offert à nouveau la possibilité de devenir une employée de son entreprise, mais elle a encore une fois décliné l’offre. On ne sait pas pourquoi la nouvelle préposée a choisi de travailler pour l’organisme selon des conditions contractuelles plutôt que de devenir une employée de l’appelant, mais au Canada les travailleurs placés comme elle devant un tel choix doivent tenir compte de nombreux facteurs, notamment les suivants : l’existence ou non d’autres clients, le mode différent de déduction des frais professionnels à des fins fiscales et le paiement de cotisations d’assurance-emploi et de cotisations au RPC, tout cela mis en balance avec ses chances de percevoir des prestations acceptables compte tenu de sa situation personnelle.

 

[18]    Le succès remporté par le programme et par l’entreprise de l’appelant n’a pas justifié l’embauchage d’autres préposés par l’organisme ou par l’appelant.

 

[19]    En mai 2006, à l’époque où l’appelant a offert un emploi à l’intervenante, chacun savait qu’il était possible que la fille de l’appelant, qui alors était enceinte, n’atteigne pas tout à fait le nombre d’heures nécessaire pour lui donner droit à l’assurance-emploi au moment prévu de la naissance, compte tenu de son autre occupation principale en tant que travailleuse sociale auprès des jeunes. Cela allait dépendre en partie de la date à laquelle il lui faudrait cesser de travailler en raison de sa grossesse. En outre, puisque le travail qu’elle faisait déjà pour l’organisme trouvait sa source dans un contrat, ce travail n’allait pas lui procurer des heures assurables à cette fin. Un agent d’assurance-emploi informa la fille de l’appelant de la possibilité qu’il lui manque environ 30 heures sur les 600 heures assurables requises, et il lui recommanda de trouver un emploi additionnel à temps partiel pour s’assurer d’avoir droit à des prestations. L’appelant et l’intervenante savaient tous deux que le travail à temps partiel devrait suffire à supprimer ce risque, pour autant que sa nouvelle situation de travail comme employée de l’appelant soit une situation sans lien de dépendance. Il se trouve que la fille de l’appelant s’est vu offrir suffisamment de postes de travail dans son emploi de travailleuse sociale pour que, si elle les acceptait tous, elle n’ait pas besoin des quelques heures additionnelles pour avoir droit à des prestations d’assurance-emploi à la naissance de son enfant. L’intervenante a aussi témoigné que, pour les quelques heures requises, elle aurait pu tout aussi facilement occuper un nouvel emploi à temps partiel au lieu de transformer en emploi le travail contractuel qu’elle faisait déjà.

 

[20]    L’appelant a témoigné que, durant sa vie professionnelle, il avait déjà offert à des travailleurs le choix d’être des employés ou des entrepreneurs, en fonction de ce que le travailleur disait préférer à l’égard de l’assurance-emploi. Son témoignage s’accordait avec ce que l’agente des appels de l’ARC a dit qu’il lui avait affirmé, et il est confirmé par les notes de l’agente.

 

[21]    Il y a quelques contradictions mineures entre le témoignage détaillé produit devant la Cour et les réponses données par l’appelant et l’intervenante dans leurs questionnaires respectifs de l’ARC relatifs à la question du lien de dépendance et au travailleur. C’est presque toujours le cas, et je suis d’avis que cela ne tire pas à conséquence.

 

[22]    Selon la preuve non contredite et non contestée, l’appelant payait l’intervenante par chèque deux fois par mois, selon la même formule que lorsque l’intervenante travaillait directement pour l’organisme à la faveur d’un contrat. La Couronne a produit les chèques comme preuve, faisant observer qu’ils étaient tirés sur un compte joint de l’appelant, qu’ils étaient numérotés suivant un ordre séquentiel, même si leurs dates s’étendaient sur une période de deux mois, et qu’ils avaient été déposés tous les quatre par l’intervenante à sa banque le même jour.

 

[23]    Un point intéressant a surgi lorsque l’agente des appels de l’ARC a commencé à témoigner. Son témoignage est devenu spontané après qu’elle se fut référée à ses notes à quelques reprises. Cependant, il est devenu évident qu’elle n’avait aucun souvenir de ce qui était écrit dans les notes, et la Couronne n’avait pas cherché à produire les notes de l’agente comme preuve. Le représentant de l’appelant n’a pas soulevé d’objection, puisqu’il n’était pas avocat et que l’instance était régie par la procédure informelle de la Cour, mais j’ai fait remarquer à la Couronne l’apparente difficulté que lui causait le fait de produire un témoin qui ne pouvait, sans un examen de ses notes, se remémorer les événements dont elle pourrait témoigner. L’intimé a judicieusement décidé de produire les notes de l’agente comme preuve, et l’agente a témoigné qu’elle avait toujours eu l’habitude de consigner ce qui s’était dit après un appel téléphonique ou une conversation.

 

[24]    Il importe que les avocats se souviennent qu’il y a une différence entre l’emploi de notes afin de raviver ou de rafraîchir l’enregistrement d’un souvenir, et l’emploi de notes comme preuve de l’enregistrement d’un souvenir. Ce qu’il faut savoir, c’est que, dans le premier cas, c’est le témoignage qui constitue la preuve, alors que, s’agissant de l’enregistrement d’un souvenir, c’est le document qui constituera la preuve.

 

[25]    L’un des précédents faisant autorité concernant l’enregistrement d’un souvenir est la décision Fleming v. Toronto R.W. Co. (1911), 25 O.L.R. 317, en particulier aux paragraphes 25 et 31.

 

[26]    Les quatre critères exposés dans Wigmore on Evidence ((Chadbourn rev. 1970), volume 3, ch. 28, s. 744 et suiv.) ont récemment été adoptés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Fliss, [2002] 1 R.C.S. 535, au paragraphe 63. Ce sont les critères suivants :

 

1.   L’enregistrement du souvenir doit être fiable.

 

2.   Pour présenter une précision probable, le souvenir doit à l’époque avoir été suffisamment frais et vif.

 

3.   Le témoin doit être en mesure d’affirmer que l’enregistrement représente exactement sa connaissance et son souvenir à l’époque. Il doit affirmer qu’à l’époque il le « tenait pour véridique », pour reprendre l’expression habituelle.

 

4.   Il faut utiliser l’enregistrement original, s’il est possible de l’obtenir.

 

[27]    D’après le témoignage de l’agente des appels de l’ARC, pour savoir ce que serait l’opinion du ministre aux fins de l’application de l’alinéa 5(3)b), elle avait considéré :

 

(i)    la rémunération versée;

(ii)   les modalités d’emploi;

(iii)la durée de l’emploi;

(iv)      l’importance et la nature du travail.

 

Outre les chèques et les questionnaires de l’ARC, elle avait tenu compte des relevés de temps de l’employée.

 

[28]    S’agissant de la rémunération, l’agente de l’ARC était d’avis que, pour le travail effectué, elle attestait suffisamment une absence de lien de dépendance. Sans doute la rémunération était-elle, pour quelque raison, inférieure de 1 $ à celle que versait l’organisme de bienfaisance, mais elle n’établissait pas pour autant un lien de dépendance. L’agente a dit que, pour l’ARC, la rémunération ne posait pas de difficulté.

 

[29]    S’agissant des modalités d’emploi, l’agente a relevé que l’employée travaillait chez elle et utilisait son propre équipement. Cela n’établissait pas un lien de dépendance – selon l’agente, cette situation était assimilable à son propre travail auprès de l’ARC.

 

[30]    Les aspects qui l’avaient conduite à penser que les modalités d’emploi signalaient un lien de dépendance d’après l’alinéa 5(3)b) étaient les suivants :

 

(i)    les chèques de paie étaient tirés sur un compte joint, ils étaient numérotés en ordre séquentiel et ils avaient tous été encaissés par l’employée le même jour;

 

(ii)   l’agente a trouvé qu’il s’agissait d’un « emploi fabriqué », de courte durée, dont l’objet était la perception de prestations d’assurance-emploi, étant donné que l’intervenante faisait déjà le même travail directement pour l’organisme et qu’elle voulait tout simplement justifier de 32 heures supplémentaires d’emploi assurable pour atteindre le chiffre de 600 heures requis pour ses prestations parentales d’assurance-emploi.

 

IV. L’analyse

 

[31]    Dans sa décision, l’ARC concluait que, au regard de l’assurance-emploi, l’intervenante était une employée engagée par contrat de louage de services, et non une entrepreneuse indépendante liée par un contrat de louage d’ouvrage. La Couronne a reconnu qu’il s’agissait là d’une relation d’emploi.

 

[32]    Sauf certaines exceptions que j’aborderai plus loin, toutes les modalités et dispositions applicables à l’emploi sont les mêmes que lorsque la fille de l’appelant faisait ce même travail pour l’organisme, immédiatement avant l’emploi en question. Toutes ces modalités avaient été établies entre l’organisme et l’intervenante, lesquels n’avaient pas de lien de dépendance. Même si l’intervenante relevait de son père quand elle travaillait directement pour l’organisme, les modalités du travail étaient les mêmes que celles auxquelles était soumise sa collègue qui n’avait pas de lien de dépendance.

 

[33]    Une exception est que, pour quelque raison, elle n’était payée que 8 $ l’heure comme employée, alors qu’elle recevait 9 $ l’heure de l’organisme. Cependant, l’agente de l’ARC a témoigné que, selon le ministre, le taux de rémunération n’attestait pas pour autant un lien de dépendance. La différence de rémunération ne tire pas à conséquence.

 

[34]    Une autre exception possible est que, après qu’elle recevait de son père ses chèques de paie, l’employée ne les encaissait pas immédiatement. Je ne considère pas cela comme pertinent, quand bien même m’aurait-on dit à quel moment l’intervenante encaissait habituellement les chèques qu’elle recevait de l’organisme ou d’autres personnes pour qui elle travaillait. Dès lors qu’un employeur remet à un employé qui a un lien de parenté avec lui un chèque valide dont on peut compter qu’il sera honoré, je ne vois pas en quoi il importe de savoir à quel moment l’employé choisira de déposer le chèque dans son compte bancaire. Les conditions d’un emploi sans lien de dépendance prévoient en principe une rémunération versée régulièrement. En l’espèce, l’intervenante a dit qu’elle avait décidé de retenir les quelques chèques modestes en vue d’une dépense future particulière. Mon opinion ne serait pas différente si une employée décidait de ne pas encaisser les chèques de paie qu’elle reçoit d’un employeur avec qui elle a un lien de parenté, et cela par souci de préserver la trésorerie de son employeur ou autre circonstance financière de son employeur. Au Canada, les propriétaires d’entreprises et leurs familles sont souvent payés les derniers. Dans la mesure où un chèque valide qui a toutes les chances d’être honoré est reçu comme paiement, selon une somme justifiée et dans un délai justifié, alors il n’y a plus lieu de douter de l’absence d’un lien de dépendance. Toute décision postérieure laissant apparaître un lien de dépendance et portant sur le moment auquel le chèque sera encaissé ne saurait transformer des conditions d’emploi sans lien de dépendance en conditions d’emploi avec lien de dépendance. La décision, en situation de dépendance, de « prêter » de l’argent à l’employeur qui est un parent est une décision personnelle prise après que le travail sans lien de dépendance a été exécuté et rémunéré. Il serait ridicule, même si telles étaient les circonstances, d’obliger dans ce cas l’employé à encaisser d’abord le chèque, pour ensuite prêter à son employeur la rémunération qu’il vient de lui verser.

 

[35]    Il m’est impossible de juger pertinent le fait que les chèques étaient tirés sur un compte joint. L’employeur était l’un des titulaires du compte joint. Il n’y a vraiment rien d’exceptionnel ici à ce qu’un particulier qui travaille pour son propre compte dispose de ce que l’on appelle un compte d’affaires. D’innombrables entrepreneurs au Canada acquittent leurs frais d’entreprise avec des chèques personnels. Dans la mesure où il s’agit de frais légitimes engagés par une entreprise légitime, et dans la mesure où il peut en être rendu compte en tant que frais de l’entreprise, l’existence d’un compte joint n’entraîne aucune conséquence. De même, les chèques et cartes de crédit d’une entreprise servent souvent à payer des dépenses personnelles et, dans la mesure où il en est rendu compte comme dépenses personnelles, alors là non plus il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Billets, pièces, chèques, cartes de crédit, troc, paiements en nature, qu’importe. L’unique question est la suivante : y a-t-il eu paiement?

 

[36]    J’ai été intrigué au départ par l’observation selon laquelle les chèques étaient tous numérotés en ordre séquentiel, même s’ils étaient datés, et avaient été rédigés, sur la période de deux mois qu’avait duré l’emploi. Cependant, eu égard à la preuve produite dans la présente affaire, il m’est impossible d’attribuer une quelconque pertinence au numérotage séquentiel des chèques. Selon la preuve non contestée, ces chèques ont été rédigés au cours de la période de deux mois. L’intimé n’a pas cherché à faire admettre à l’un ou l’autre des témoins que les chèques n’avaient pas été rédigés à la date qu’ils portaient. Il ne leur a pas demandé combien d’autres comptes de chèques l’appelant possédait, ni combien de chèques lui et le cotitulaire du compte (sans doute son épouse) rédigeaient en général sur une période d’un mois. L’intimé n’a produit comme preuve aucun des chèques de l’appelant qui avaient pu servir à verser à l’ARC les retenues de l’employée, etc., durant cette période, pour montrer une possible contradiction dans les dates de ces chèques numérotés en ordre séquentiel. Je ferais observer qu’on rédige aujourd’hui très peu de chèques. En bref, la numérotation séquentielle des chèques ne saurait porter atteinte à la crédibilité des témoins lorsqu’ils ont dit à quel moment les chèques étaient tirés et remis. De toute manière, l’intimé ne m’a pas demandé de m’interroger sur la véracité de la preuve. Dans ces conditions, je refuse d’admettre que le numérotage séquentiel des chèques puisse vraiment aider le ministre à dire si les modalités d’emploi étaient ou non sans lien de dépendance.

 

[37]    Il ressort clairement de l’ensemble de la preuve que toutes les modalités de l’emploi de la fille de l’appelant étaient les mêmes que les modalités de son travail auprès de l’organisme. (J’ai déjà évoqué le fait que la rémunération horaire payée par l’appelant était inférieure de 1 $ à celle payée par l’organisme.) Il est donc parfaitement raisonnable de conclure que les modalités en cause sont celles sur lesquelles s’entendraient vraisemblablement des parties sans lien de dépendance. Cette conclusion nécessaire s’explique par le fait que des parties sans lien de dépendance s’étaient entendues sur les mêmes modalités, pour le même travail, exécuté par la même personne et par sa collègue, elle-même étrangère à l’appelant. Dans son argumentation, l’intimé a même reconnu que chacune des modalités était en soi raisonnable.

 

[38]    Cependant, il n’est pas évident que cette conclusion permette nécessairement d’affirmer que l’opinion du ministre aux termes de l’alinéa 5(3)b) n’était pas raisonnable. L’alinéa 5(3)b) dispose qu’il doit être « raisonnable de conclure […] [que l’employeur et l’employé] auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance » (non souligné dans l’original). Il faut donc se demander si des personnes sans lien de dépendance auraient conclu un contrat de travail/contrat de louage de services au lieu d’un contrat d’entreprise/contrat de louage d’ouvrage.

 

[39]    Cette question soulève à son tour le point de savoir si le contrat conclu entre l’intervenante et l’organisme était un contrat de travail au regard de l’assurance-emploi, même s’il a été décrit dans la preuve comme un contrat de louage d’ouvrage. L’organisme n’était pas partie à la présente instance, le contrat n’a pas été produit comme preuve, et aucune preuve n’a été produite à propos d’aspects comme l’intention de l’organisme concernant ce contrat, ou l’intention de ses préposées aux appels. Je ne m’exprimerai certainement pas sur l’appellation qu’il convient de donner au contrat conclu par l’organisme, au regard de l’assurance-emploi, et je ne dis pas non plus qu’il pourrait s’agir d’autre chose que d’un contrat de louage d’ouvrage. Toutefois, à l’égard de la présente instance, puisque, dans sa décision, l’ARC a dit que le contrat conclu entre l’appelant et l’intervenante était un contrat de travail, et puisque, d’après la preuve, les modalités du contrat conclu avec l’organisme étaient en tous points les mêmes, je dois conclure que, au moment de considérer, aux fins de l’application de l’alinéa 5(3)b) de la Loi sur l’assurance-emploi, la relation d’emploi dont il s’agit ici, le ministre aurait dû voir que la relation de travail entre l’intervenante et l’organisme était de même nature que la relation de travail entre l’appelant et l’intervenante – il s’agissait d’un contrat de travail. Il serait tout à fait exceptionnel que l’entente qu’une travailleuse a conclue avec une organisation soit en droit un contrat de travail, alors qu’une entente identique qu’elle a conclue avec une autre organisation sera autre chose qu’un contrat de travail. Il semble donc que le ministre a eu tort de dire que les modalités de l’emploi de l’intervenante par l’appelant, c’est-à-dire l’emploi lui-même, n’auraient probablement pas été ce qu’elles étaient si les parties avaient négocié sans lien de dépendance. L’opinion du ministre n’était donc pas raisonnable au vu de la preuve qu’il avait devant lui, à laquelle s’ajoute la preuve soumise à la Cour.

 

[40]    Je ne suis pas persuadé que l’intimé puisse trouver appui dans la conclusion de l’ARC selon laquelle il pouvait s’agir là d’un « emploi fabriqué ». Un travail réel, authentique et indispensable a été exécuté moyennant contrepartie. Le travail, le besoin, et des modalités raisonnables ont été fixés par des personnes sans lien de dépendance avant que n’existe la relation d’emploi avec lien de dépendance. La notion d’emploi fabriqué n’est pas le critère que le législateur a choisi dans l’alinéa 5(3)b) pour rectifier l’abus appréhendé. Il a plutôt établi un critère objectif énonçant les modalités raisonnables d’une relation sans lien de dépendance.

 

[41]    Il m’est impossible de conclure que l’alinéa 5(3)b) comporte implicitement un critère de l’objet visé, de telle sorte que, si l’un des objets d’un emploi par ailleurs véritablement avec lien de dépendance, mais dont les modalités attestent une absence de lien de dépendance, est de permettre l’accès dans l’avenir à d’éventuelles prestations d’assurance-emploi, alors l’emploi est exclu de la définition de « emploi assurable ». Le texte de l’alinéa 5(3)b) est clair. Il requiert de comparer les modalités de l’emploi avec lien de dépendance, lorsque l’employeur et l’employé sont des personnes liées, avec les modalités sur lesquelles des parties sans lien de dépendance pourraient vraisemblablement s’entendre. L’alinéa ne fait pas état d’un objet visé, et il serait pour le moins inopportun de voir cette notion dans le texte de l’alinéa 5(3)b), que ce soit pour des raisons d’intérêt public, de politique sociale, de politique fiscale ou autres. Dans l’arrêt 65302 British Columbia Ltd. v. Canada, 99 DTC 5799, et dans l’arrêt Shell Canada Limited v. Canada, 99 DTC 5669, la Cour suprême du Canada met explicitement les tribunaux en garde contre l’idée d’adopter ou de développer, sous le couvert de l’interprétation législative, des notions de politique ou de principe qui ne sont pas exprimées, surtout lorsque la législation aborde explicitement et clairement la question.

 

[42]    Dans l’arrêt 65302 British Columbia Ltd., le juge Iacobucci, s’exprimant pour les juges majoritaires, écrivait ce qui suit, à propos de la Loi de l’impôt sur le revenu :

 

50                Notre Cour a approuvé en plusieurs occasions l’énoncé de Driedger sur le principe moderne de l’interprétation des lois : [traduction] « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur ». Voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au par. 21. La règle est la même pour les lois fiscales : Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, à la p. 578.

 

51                Toutefois, notre Cour a aussi souvent fait preuve de circonspection dans l’emploi de moyens d’interprétation des lois permettant de s’écarter d’un libellé clair et non ambigu. Dans Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312, aux pp. 326 et 327, notre Cour dit :

 

Même si les tribunaux doivent examiner un article de la Loi de l’impôt sur le revenu à la lumière des autres dispositions de la Loi et de son objet, et qu’ils doivent analyser une opération donnée en fonction de la réalité économique et commerciale, ces techniques ne sauraient altérer le résultat lorsque les termes de la Loi sont clairs et nets et que l’effet juridique et pratique de l’opération est incontesté.

 

Dans leur examen de cette décision, P. W. Hogg et J. E. Magee, tout en reconnaissant, avec justesse, qu’il faut toujours prendre en considération le contexte et l’objectif de la disposition, mentionnent que [traduction] « [l]a Loi de l’impôt sur le revenu serait empreinte d’une incertitude intolérable si le libellé clair d’une disposition détaillée de la Loi était nuancé par des exceptions qui n’y sont pas exprimées, provenant de la conception qu’un tribunal a de l’objet de la disposition » : Principles of Canadian Income Tax Law (2e éd. 1997), aux pp. 475 et 476. Il ne s’agit pas là de l’approbation d’une approche littérale à l’interprétation législative, mais de la reconnaissance que, dans l’application des principes d’interprétation de la Loi, il faut porter attention au fait qu’elle est une des lois les plus détaillées, complexes et exhaustives de notre législation, et que les tribunaux devraient être réticents à adopter, sous le couvert d’interprétation législative, des notions de politique ou de principe qui ne sont pas exprimées.

 

[…]

 

57                Cela nous amène au cœur de la question. Bien que l’on soit pleinement conscient de la nécessité en général d’harmoniser l’interprétation des différentes lois, la question en l’espèce se pose dans le cadre particulier d’un système fiscal qui est fondé sur le principe de l’autocotisation. Le Parlement a conçu ce système et il lui est loisible, au chapitre de la conception du système, de choisir lui-même de résoudre toute incompatibilité apparente entre les politiques qui sous-tendent les dispositions fiscales et celles d’autres lois. Le Parlement a indiqué son intention d’assumer cette fonction non seulement en élaborant un système d’autocotisation, qui oblige des contribuables sans formation juridique à examiner un ensemble complexe de dispositions pour calculer leur revenu net, démarche qui nécessite le maximum de directives explicites, mais aussi et plus particulièrement en identifiant, dans la Loi même, certaines dépenses que le contribuable n’est pas autorisé à déduire, comme nous le verrons ci-dessous. Ayant pris conscience du problème de l’incompatibilité potentielle de diverses politiques législatives, le Parlement a fourni une solution, à savoir qu’en l’absence de directives du Parlement dans la Loi de l’impôt sur le revenu, les dépenses sont déductibles si elles ont été engagées en vue de tirer un revenu.

 

[…]

 

62                Même si divers objectifs de politique sont mis en œuvre par la voie de notre système fiscal et violent les principes de la neutralité et de l’équité, j’estime que c’est au Parlement qu’il revient de prendre ces décisions de politique publique. L’observation suivante faite par notre Cour dans Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411, au par. 112, est très à propos : « une prescription du législateur est plus susceptible d’être claire qu’une règle dont les limites précises ne seront établies que par suite d’une longue et coûteuse série de poursuites ». Notre Cour a approuvé cette observation dans Canderel Ltée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, au par. 41, et ajouté qu’« [e]n matière d’impôt sur le revenu, le droit est suffisamment compliqué sans que les tribunaux fassent inutilement des incursions dans le domaine de la création des lois. En tant que ligne de conduite et par respect pour le rôle même du législateur, c’est un lieu commun que de dire que la promulgation de nouvelles règles de droit fiscal doit être laissée au législateur ».

 

63                Cette approche et cette conclusion trouvent appui dans le fait que le Parlement a expressément interdit la déduction de certaines dépenses pour des motifs qui semblent relever de l’ordre public. […]

 

[…]

 

 

65                De plus, puisque le Parlement a spécifiquement envisagé la déduction de dépenses liées à certaines activités énumérées à l’art. 67.5 de la Loi qui constituent des infractions en vertu du Code criminel, il n’y a pas lieu, selon moi, d’apporter judiciairement quelque modification à la question générale de la déductibilité des amendes et des pénalités. Le fait que la Loi n’est pas muette sur la question de la restriction des déductions de dépenses engagées dans le but de produire un revenu indiquent fortement que le Parlement y a effectivement prêté attention et que, dans les cas où il le souhaitait, il a expressément limité la déduction de dépenses ou de paiements d’amendes et de pénalités. […]

[Non souligné dans l’original.]

 

[43]    Dans l’arrêt Shell, la Cour suprême du Canada écrivait, là encore à propos de la Loi de l’impôt sur le revenu :

 

43        […] La Loi est un texte législatif complexe au moyen duquel le législateur tente d’établir un équilibre entre d’innombrables principes. La jurisprudence de notre Cour est constante : les tribunaux doivent par conséquent faire preuve de prudence lorsqu’il s’agit d’attribuer au législateur, à l’égard d’une disposition claire de la Loi, une intention non explicite : Canderel Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, au par. 41, le juge Iacobucci; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411, au par. 112, le juge Iacobucci; Antosko, précité, à la p. 328, le juge Iacobucci. En concluant à l’existence d’une intention non exprimée par le législateur sous couvert d’une interprétation fondée sur l’objet, l’on risque de rompre l’équilibre que le législateur a tenté d’établir dans la Loi.

 

[…]

 

46        Examiner la « réalité économique » d’une situation donnée, au lieu d’appliquer simplement une disposition claire et non équivoque de la Loi aux opérations juridiques effectuées par le contribuable a des répercussions regrettables en pratique. Cette démarche favorise à tort l’application d’une règle voulant que, s’il existe deux manières de structurer une opération pour produire le même effet économique, le tribunal doive ne tenir compte que de l’option qui ne confère aucun avantage fiscal. Avec égards, cette démarche n’accorde pas l’importance voulue à la jurisprudence de notre Cour selon laquelle, en l’absence de dispositions législatives expresses contraires, le contribuable peut diriger ses affaires de façon à réduire son obligation fiscale : […]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[44]    Plus récemment, dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada Co v. Canada, 2005 DTC 5523, la Cour suprême du Canada examinait la règle générale anti-évitement, dans la Loi de l’impôt sur le revenu, une règle qui requiert explicitement la prise en compte de l’objet visé. La Cour suprême écrivait, à l’unanimité, au paragraphe 11 :

 

Lorsque le législateur précise les conditions à remplir pour obtenir un résultat donné, on peut raisonnablement supposer qu’il a voulu que le contribuable s’appuie sur ces dispositions pour obtenir le résultat qu’elles prescrivent.

 

[45]    Dans ces précédents, la Cour suprême s’intéressait expressément à l’interprétation de la Loi de l’impôt sur le revenu, mais elle commence toujours, et à juste titre, par nous rappeler que l’interprétation des lois fiscales n’est en général pas différente de celle de n’importe quelle loi. Partant, je n’ai aucune hésitation à faire miens les commentaires de la Cour suprême pour l’interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi.

 

[46]    Puisque l’alinéa 5(3)b), tel qu’il est rédigé, est clair tant pour ce qui concerne le texte que le contexte de la disposition, et puisque manifestement il ne fait état d’aucun objet, la Cour n’a pas le loisir d’y introduire un critère de l’objet. L’effet d’un tel critère d’origine jurisprudentielle constituerait un empiétement injustifié des tribunaux dans les plates-bandes du législateur. Si une telle notion de « emploi fabriqué » ou un tel critère de l’objet constitue une saine politique, alors il est loisible au législateur de légiférer sur le sujet. Un tel critère pourrait toutefois avoir d’importantes conséquences sur le droit de nombreux Canadiens aux prestations d’assurance-emploi.

 

[47]    Je suis tout à fait conscient du fait que l’alinéa 5(2)i) vise à rectifier une situation particulière et que l’alinéa 5(3)b) est une exception à l’alinéa 5(2)i). Dans l’arrêt Légaré, la Cour d’appel fédérale examinait ainsi, au paragraphe 12, l’objet à l’origine de l’alinéa 5(3)b) :

 

[…] L’exclusion des emplois entre personnes liées au niveau de la Loi sur l’assurance-chômage repose évidemment sur l’idée qu’on peut difficilement se fier aux affirmations des intéressés et que la possibilité d’emplois fictifs, aux conditions farfelues, est trop présente entre personnes pouvant si facilement agir de connivence. Et l’exception de 1990 a simplement voulu diminuer la portée de la présomption de fait en acceptant d’exclure de la sanction (ce qui n’était que justice) les cas où la crainte d’abus n’avait plus raison d’être.

 

[48]    J’observe que l’abus appréhendé dont parle le juge Marceau au paragraphe 12 repose sur l’idée de « la possibilité d’emplois fictifs, aux conditions farfelues » entre personnes avec lien de dépendance. Mon propos ci-dessus s’accorde aussi avec un tel examen téléologique de l’alinéa 5(3)b). La Cour d’appel fédérale n’a pas dit que la situation à corriger était celle qui consistait à exécuter un travail réel et nécessaire, pour une rémunération raisonnable, quand l’un des objets de la relation d’emploi était de pouvoir justifier d’un nombre suffisant d’heures assurables à l’égard de l’assurance-emploi. L’assurance-emploi est l’un des importants programmes sociaux du Canada. Elle est offerte aux Canadiens pour qu’ils puissent en tirer parti. Un critère de l’objet semblerait, jusqu’à un certain degré, aller à l’encontre de ce principe. L’abus ou la situation que l’alinéa 5(3)b) envisage manifestement concerne un emploi assurable qui n’est pas ce qu’il paraît être – le cas où le travail exécuté ou la rémunération versée ne répond pas au critère objectif d’une relation sans lien de dépendance. En l’espèce, les modalités non seulement répondent à un tel critère objectif, mais encore elles peuvent l’attester par une preuve subjective.

 

[49]    Pour les motifs énoncés, j’arrive à la conclusion que l’opinion du ministre n’était pas une opinion raisonnable, compte tenu de l’ensemble de la preuve. J’ordonnerai que la décision du ministre soit modifiée afin qu’il soit tenu compte du fait que l’intervenante occupait un emploi assurable.

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 28jour de mars 2008.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour d’octobre 2008.

 

D. Laberge, LL.L.


RÉFÉRENCE :                                  2008CCI170

 

N° DU DOSSIER DE LA COUR :     2007-702(EI)

 

INTITULÉ :                                       JOSEPH CAMPBELL ET M.R.N. ET NATALIE NUSSEY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   London (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 22 janvier 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 28 mars 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelant :

Ted Wernham

 

Avocat de l’intimé :

MPascal Tétrault

 

Pour l’intervenante :

L’intervenante elle-même

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                     

 

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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