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Dossier : 2007-2883(IT)G

 

ENTRE :

MICHAEL OUNPUU,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

Appel entendu les 26 et 27 janvier 2009, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L'honorable juge Wyman W. Webb

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Russell D. Laishley

Avocat de l'intimée :

Me Justin Kutyan

_________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'égard de la nouvelle cotisation établie sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ») relativement à l'année d'imposition 1998 est accueilli avec dépens et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que les dispositions du paragraphe 110.6(6) de la Loi ne s'appliquent pas à la déduction pour gains en capital faite dans le calcul du revenu imposable gagné par l'appelant en 1998 et que l'appelant peut déduire, dans le calcul de son revenu imposable pour 1998, la somme de 155 443 $ en application du paragraphe 110.6(2.1) de la Loi.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 26e jour de février 2009.

 

 

« Wyman W. Webb »

Le juge Webb

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de juin 2009.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 121

Date : 20090226

Dossier : 2007-2883(IT)G

 

ENTRE :

MICHAEL OUNPUU,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Webb

 

[1]              Le point en litige dans le présent appel est de savoir si la déduction pour gains en capital, à laquelle l'appelant aurait par ailleurs droit, doit être refusée en application du paragraphe 110.6(6) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

[2]              L'appelant est métallurgiste. Il est titulaire d'un baccalauréat en sciences dans le domaine du génie géologique. Ses compétences particulières consistent à séparer les minéraux les uns des autres.

 

[3]              En 1995, l'appelant travaillait chez Lakefield Research, un laboratoire d'essais appartenant à Falconbridge. À cette époque, Falconbridge avait décidé de concentrer ses efforts sur l'exploitation du nickel et de vendre Lakefield Research. L'appelant a joué un rôle peu important dans le rachat de l'entreprise par les cadres de Lakefield Research. Il a alors acquis 40 000 actions de Lakefield Research Limited. Outre ces actions, l'appelant a acquis 2 434 actions additionnelles lorsqu'un autre actionnaire a quitté Lakefield Research Limited.

 

[4]              En 1998, Lakefield Research Limited se proposait d'étendre ses activités à l'étranger. Les cadres supérieurs de Lakefield Research Limited se préoccupaient de ce que les actions de la société cessent d'être des actions admissibles de petite entreprise, au sens de l'article 110.6 de la Loi. Eric Steinmiller, comptable agréé, a initialement présenté aux cadres supérieurs, puis à tous les autres actionnaires (dont l'appelant), un projet visant à permettre aux actionnaires de cristalliser leur déduction pour gains en capital. La société comptait environ 12 actionnaires à ce moment. Chaque actionnaire a constitué sa propre société de portefeuille et a transféré ses actions de Lakefield Research Limited à cette société.

 

[5]              L'appelant a transféré ses actions à sa société de portefeuille (une société à dénomination numérique de l'Ontario) au moyen de deux opérations distinctes. Il a transféré 40 000 actions ordinaires de catégorie B de Lakefield Research Limited à sa société de portefeuille en contrepartie de 94 actions ordinaires de celle‑ci. Aucun choix n'a été effectué en application du paragraphe 85(1) de la Loi relativement à ce transfert d'actions. La deuxième opération tenait au transfert, à sa société de portefeuille, des 2 434 actions ordinaires de catégorie B que l'appelant avait acquises de l'actionnaire ayant quitté Lakefield Research Limited (et qu'il détenait depuis moins de deux ans à ce moment). Un choix a été fait en application du paragraphe 85(1) de la Loi relativement à cette seconde opération.

 

[6]              C'est la première opération (soit le transfert de 40 000 actions ordinaires de catégorie B à la société de portefeuille) qui est pertinente dans le présent appel. Les parties conviennent que le gain en capital découlant de ce transfert d'actions s'élevait à 207 257 $ et que le gain en capital imposable était de 155 443 $ (puisque les gains en capital imposables correspondaient à 75 pour 100 des gains en capital en 1998). Il s'agit en l'espèce de savoir si l'appelant a droit à une déduction pour gains en capital de 155 443 $ suivant l'article 110.6 de la Loi. L'intimée ne conteste pas le fait que l'appelant aurait eu droit à cette déduction s'il avait produit au plus tard le 30 avril 2000 une déclaration de revenus relative à 1998 qui faisait état du gain en capital.

 

[7]              Dans la présente affaire, l'appelant n'a produit sa déclaration de revenus pour 1998 qu'en 2001 et il n'y a déclaré aucun gain en capital. Une cotisation visant la dette fiscale de l'appelant pour 1998 a été établie à la lumière de la déclaration de revenus qu'il avait produite, mais une nouvelle cotisation relative à cette dette a été établie sur le fondement de l'inclusion d'un gain en capital imposable de 155 443 $ dans le calcul de son revenu (aucune somme n'étant acceptée à titre de déduction pour gains en capital).

 

[8]              L'appelant a fait valoir qu'il avait omis de produire sa déclaration de revenus relative à 1998 en temps opportun et de déclarer le gain en capital parce qu'il avait beaucoup de travail et qu'il n'avait pas entièrement compris la nature des opérations effectuées en 1998 ni comment il fallait traiter ces opérations dans sa déclaration de revenus.

 

[9]              En 1998, le paragraphe 110.6(6) de la Loi prévoyait ce qui suit :

 

(6) Malgré les paragraphes (2) et (2.1), aucun montant n'est déductible en vertu du présent article au titre d'un gain en capital réalisé par un particulier pour une année d'imposition sur la disposition d'une immobilisation, dans le calcul du revenu imposable du particulier pour l'année ou pour une année d'imposition ultérieure, si, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, le particulier :

 

a) soit ne produit pas une déclaration de son revenu pour l'année dans un délai de un an suivant le jour où il est tenu d'en produire une pour l'année conformément à l'article 150;

 

b) soit ne déclare pas ce gain en capital dans la déclaration de revenu pour l'année qu'il est tenu de produire conformément à l'article 150.

 

Le ministre a la charge d'établir les faits qui justifient le rejet d'une déduction faite malgré le présent paragraphe.

 

[10]         Lorsque le paragraphe 110.6(6) a été ajouté à la Loi en 1985, la déduction pour gains en capital pouvait être demandée au titre de n'importe quel gain en capital découlant de la disposition de n'importe quel bien en immobilisation. Un grand nombre de particuliers pouvaient donc éventuellement bénéficier d'une déduction pour gains en capital. Par suite de l'élimination de la déduction pour gains en capital au titre de n'importe quel gain en capital découlant de la disposition de n'importe quel bien en immobilisation en 1994, seuls les gains en capital découlant de la disposition d'actions admissibles de petite entreprise ou d'un bien agricole admissible (et maintenant d'un bien de pêche admissible) peuvent faire l'objet d'une déduction pour gains en capital et le nombre de particuliers pouvant se prévaloir de la déduction pour gains en capital a donc été sensiblement réduit.

 

[11]         Le paragraphe 150(1) de la Loi était en partie rédigé comme suit en 1998 :

 

150(1) Est produite auprès du ministre, sans avis ni mise en demeure, une déclaration de revenu sur formulaire prescrit, contenant les renseignements prescrits, pour chaque année d'imposition dans le cas d'une société (sauf une société qui a été, tout au long de l'année, un organisme de bienfaisance enregistré) et, dans le cas d'un particulier, pour chaque année d'imposition pour laquelle un impôt est payable ou au cours de laquelle le particulier a un gain en capital imposable ou a disposé d'une immobilisation :

 

[...]

 

d) dans le cas d'une autre personne :

 

(i) au plus tard le 30 avril de l'année suivante [...]

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[12]         L'appelant n'a exploité aucune entreprise en 1998. Comme il a disposé d'un bien en immobilisation en 1998, sa déclaration de revenus pour 1998 devait être produite au plus tard le 30 avril 1999.

 

[13]         Comme l'appelant a omis de produire sa déclaration de revenus pour 1998 au plus tard le 30 avril 2000 et qu'il a en outre omis de déclarer le gain en capital dans cette déclaration lorsqu'il l'a produite, le paragraphe 110.6(6) de la Loi s'appliquera à lui dans l'une ou l'autre des situations suivantes :

 

1.       L'appelant, sciemment, n'a pas produit sa déclaration de revenus pour 1998 au plus tard le 30 avril 2000;

 

2.       L'appelant, dans des circonstances équivalant à faute lourde, n'a pas produit sa déclaration de revenus pour 1998 au plus tard le 30 avril 2000;

 

3.       L'appelant, sciemment, n'a pas déclaré dans sa déclaration de revenus pour 1998 le gain en capital découlant du transfert de 40 000 actions ordinaires de catégorie B de Lakefield Research Limited à sa société de portefeuille;

 

4.       L'appelant, dans des circonstances équivalant à faute lourde, n'a pas déclaré dans sa déclaration de revenus pour 1998 le gain en capital découlant du transfert de 40 000 actions ordinaires de catégorie B de Lakefield Research Limited à sa société de portefeuille.

 

[14]         Les dispositions du paragraphe 110.6(6) de la Loi s'appliqueront à l'appelant s'il se trouve dans l'une ou l'autre de ces quatre situations et, le cas échéant, il ne pourra demander une déduction pour gains en capital au titre du gain en capital découlant de la disposition de ces actions de Lakefield Research Limited en faveur de sa société de portefeuille.

 

Sciemment n'a pas produit

 

[15]         Selon l'avocat de l'intimée, cette dernière, pour établir que l'appelant, sciemment, n'a pas produit sa déclaration de revenus, n'a qu'à prouver que l'appelant savait que sa déclaration de revenus pour 1998 n'avait pas été produite au plus tard le 30 avril 2000. Il me paraît évident que l'appelant savait en 1999 et en 2000 que sa déclaration de revenus pour 1998 n'était pas produite et qu'il savait donc que sa déclaration de revenus pour 1998 n'avait pas été produite au plus tard le 30 avril 2000. Cependant, la Cour doit se demander en l'espèce si cela suffit à justifier l'application du paragraphe 110.6(6) de la Loi.

 

[16]         Dans l'arrêt R. c. Sault Ste‑Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299, la Cour suprême du Canada a reconnu trois catégories d'infractions. Le juge Dickson s'est exprimé en ces termes :

 

Je conclus, pour les motifs que j'ai indiqués, qu'il y a des raisons impératives pour reconnaître trois catégories d'infractions plutôt que les deux catégories traditionnelles :

 

1.         Les infractions dans lesquelles la mens rea, qui consiste en l'existence réelle d'un état d'esprit, comme l'intention, la connaissance, l'insouciance, doit être prouvée par la poursuite soit qu'on puisse conclure à son existence vu la nature de l'acte commis, soit par preuve spécifique.

 

2.         Les infractions dans lesquelles il n'est pas nécessaire que la poursuite prouve l'existence de la mens rea; l'accomplissement de l'acte comporte une présomption d'infraction, laissant à l'accusé la possibilité d'écarter sa responsabilité en prouvant qu'il a pris toutes les précautions nécessaires. Ceci comporte l'examen de ce qu'une personne raisonnable aurait fait dans les circonstances. La défense sera recevable si l'accusé croyait pour des motifs raisonnables à un état de faits inexistant qui, s'il avait existé, aurait rendu l'acte ou l'omission innocent, ou si l'accusé a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l'événement en question. Ces infractions peuvent être à juste titre appelées des infractions de responsabilité stricte. C'est ainsi que le juge Estey les a appelées dans l'affaire Hickey.

 

3.         Les infractions de responsabilité absolue où il n'est pas loisible à l'accusé de se disculper en démontrant qu'il n'a commis aucune faute.

 

Les infractions criminelles dans le vrai sens du mot tombent dans la première catégorie. Les infractions contre le bien-être public appartiennent généralement à la deuxième catégorie. Elles ne sont pas assujetties à la présomption de mens rea proprement dite. Une infraction de ce genre tombera dans la première catégorie dans le seul cas où l'on trouve des termes tels que « volontairement », « avec l'intention de », « sciemment » ou « intentionnellement » dans la disposition créant l'infraction. En revanche, le principe selon lequel une peine ne doit pas être infligée à ceux qui n'ont commis aucune faute est applicable. Les infractions de responsabilité absolue seront celles pour lesquelles le législateur indique clairement que la culpabilité suit la simple preuve de l'accomplissement de l'acte prohibé. L'économie générale de la réglementation adoptée par le législateur, l'objet de la législation, la gravité de la peine et la précision des termes utilisés sont essentiels pour déterminer si l'infraction tombe dans la troisième catégorie.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[17]         Dans la décision Pillar Oilfield Projects Ltd. c. La Reine, no 93‑614(GST)I, 19 novembre 1993, [1993] G.S.T.C. 49, 2 G.T.C. 1005, le juge Bowman (tel était alors son titre), après avoir renvoyé au passage susmentionné de l'arrêt Sault Ste‑Marie, a tenu les propos suivants :

 

Bien que l'analyse du juge Dickson ait porté sur des « infractions », j'estime qu'il n'y a pas de raison en principe de ne pas l'appliquer aussi à des pénalités qui sont imposées administrativement. Une pénalité, comme le mot le suggère, est une forme de peine. [...]

 

[18]         Cette analyse a été adoptée par le juge Rip (tel était alors son titre) dans la décision Ross c. La Reine, no 95‑3447(GST)I, 3 mai 1996, [1996] G.S.T.C. 33, 4 G.T.C. 3099, au paragraphe 24.

 

[19]         Dans la présente affaire, le rejet de la déduction pour gains en capital n'est pas décrit comme une pénalité au paragraphe 110.6(6) de la Loi. Cependant, les conséquences liées à un tel rejet peuvent être graves. En l'espèce, si l'appelant n'a pas droit à la déduction pour gains en capital, son revenu augmentera de 155 443 $. Comme son salaire en 1998 s'élevait à environ 87 000 $, sa dette additionnelle, selon la Loi (à l'exclusion de l'intérêt), consécutive au rejet de la déduction pour gains en capital serait supérieure à 45 000 $ (et l'appelant serait en outre assujetti aux impôts sur le revenu de la province de l'Ontario). Il me semble qu'une dette de cette importance doit constituer une pénalité.

 

[20]         De même, les termes employés au paragraphe 110.6(6) de la Loi pour préciser les situations qui commanderont l'application de cette disposition (sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde) sont les mêmes que ceux figurant au paragraphe 163(2) de la Loi (sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde). Comme le paragraphe 163(2) de la Loi est clairement une disposition pénale (Udell c. Ministre du revenu national, [1970] R.C.É. 177, [1969] C.T.C. 704, 70 D.T.C. 6019, au paragraphe 46), il me semble que le paragraphe 110.6(6) de la Loi doit également être traité comme une disposition de cette nature.

 

[21]         À mon avis, les observations formulées par le juge Dickson dans l'arrêt Sault Ste‑Marie s'appliquent donc également aux dispositions du paragraphe 110.6(6) de la Loi. Comme le terme « sciemment » est employé dans cette disposition, la Couronne doit prouver « l'existence réelle d'un état d'esprit, comme l'intention, la connaissance, l'insouciance ».

 

[22]         Dans l'arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, 2005 D.T.C. 5547, [2005] 5 C.T.C. 215, 340 N.R. 1, 259 D.L.R. (4th) 193, la Cour suprême du Canada mentionne ce qui suit :

 

10        Il est depuis longtemps établi en matière d'interprétation des lois qu'« il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L'interprétation d'une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s'harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d'une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d'interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d'un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L'incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l'objet sur le processus d'interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d'une loi comme formant un tout harmonieux.

 

[23]         Le paragraphe 110.6(6) de la Loi vise le particulier qui, « sciemment », ne produit pas de déclaration de revenus. Si la simple connaissance du fait qu'une déclaration de revenus n'a pas été produite est suffisante pour l'application de cette disposition, le particulier qui omet de produire sa déclaration de revenus par manque de soin ou par négligence, mais qui sait que la déclaration n'est pas produite, sera assujetti à l'application de cette disposition. À mon sens, le législateur n'aurait pas voulu priver un particulier de la déduction pour gains en capital à laquelle il aurait par ailleurs eu droit simplement parce que cette personne n'aurait pas, par manque de soin ou par négligence, produit sa déclaration de revenus et ce, même si elle savait que la déclaration n'était pas produite. Le paragraphe 110.6(6) de la Loi s'applique lorsque le particulier, « sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde », ne produit pas de déclaration dans le délai prescrit, et non lorsque le particulier n'a pas, par manque de soin ou par négligence, produit de déclaration de revenus dans le délai prescrit.

 

[24]         La simple connaissance du fait que la déclaration n'est pas produite ne suffit pas, selon moi, à faire jouer le paragraphe 110.6(6) de la Loi. À mon avis, pour établir que le particulier, sciemment, n'a pas produit de déclaration de revenus, il est nécessaire de montrer qu'il a intentionnellement (ce qui englobera le particulier ayant fait preuve d'aveuglement volontaire) omis de produire sa déclaration de revenus dans des circonstances où il tentait d'obtenir un avantage financier par le biais d'une tromperie. Un particulier peut « intentionnellement » omettre de produire sa déclaration à un moment donné parce qu'il a l'intention de la produire plus tard mais, par suite de son manque de soin ou de sa négligence, la déclaration n'est pas produite dans le délai prescrit. Selon moi, l'application du paragraphe 110.6(6) de la Loi n'est pas tributaire de l'existence d'une intention de ce genre, mais plutôt d'une intention de tromper en vue d'obtenir un avantage financier. Les décisions de la Cour en matière de tromperie et de gain financier dans le contexte du paragraphe 110.6(6) de la Loi sont examinées plus loin en liaison avec l'omission de déclarer un gain en capital. S'il doit exister une tromperie visant à obtenir un avantage financier pour établir qu'une personne, sciemment, n'a pas déclaré un gain en capital, la tromperie doit alors être également nécessaire pour établir que la personne, sciemment, n'a pas produit de déclaration de revenus.

 

[25]         La décision Ragobar c. La Reine, no 94‑85(IT)I, 29 juillet 1994, [1995] 1 C.T.C. 2364, permet d'affirmer que le simple fait de savoir qu'une déclaration de revenus n'est pas produite ne remplit pas les exigences fixées au paragraphe 110.6(6) de la Loi. Dans cette affaire, le contribuable n'a pas produit de déclaration de revenus dans le délai visé au paragraphe 110.6(6) de la Loi. Au paragraphe 21 de la décision, la Cour expose de la façon suivante les précisions fournies par le contribuable pour expliquer son omission :

 

L'appelant a expliqué comme suit pourquoi il a omis de produire sa déclaration de revenus dans le délai prescrit. En ce qui concerne son revenu d'emploi, les retenues à la source effectuées par son employeur étaient suffisantes pour payer l'impôt dû sur ce revenu et il croyait donc, naïvement, qu'il n'était pas nécessaire de produire une déclaration. Quant au gain en capital provenant de la vente de l'immeuble Askin, il croyait encore, naïvement, qu'il n'était pas nécessaire de déclarer de tels gains jusqu'à ce que le plafond de la déduction pour gains en capital ait été atteint. Bien sûr, la Loi oblige les contribuables à produire leurs déclarations à temps. Toutefois la question à trancher en l'espèce est celle de savoir si l'appelant a « sciemment ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde » omis de produire sa déclaration et de déclarer le gain en capital à temps?

 

[26]         Manifestement, le particulier dans cette affaire devait savoir que la déclaration n'était pas produite puisqu'il a affirmé qu'il croyait avoir une excuse valable pour ne pas la produire. Dans cette décision, le juge O'Connor a conclu que le paragraphe 110.6(6) de la Loi ne s'appliquait pas. Il a déclaré ce qui suit au paragraphe 25 :

 

La Cour accepte l'explication qu'a fournie l'appelant pour justifier l'omission de produire sa déclaration de revenus à temps et conclut qu'il n'a pas agi sciemment ou dans des circonstances justifiant l'imputation d'une faute lourde.

 

[27]         Comme l'explication a été acceptée et que le paragraphe 110.6(6) de la Loi n'a pas été appliqué, le simple fait de savoir qu'une déclaration de revenus n'est pas produite ne peut suffire. Lorsqu'elle a accepté cette excuse, la Cour a, me semble‑t‑il, fondé sa conclusion sur une interprétation du terme « sciemment » qui exige une intention de tromper en vue d'obtenir un gain financier.

 

[28]         Dans la présente affaire, les seules sources de revenu de l'appelant consistaient en un revenu d'emploi et en quelques modestes revenus de placement. Chaque année, l'appelant effectuait la cotisation maximale à son REÉR et il recevait un remboursement après avoir produit sa déclaration. Ce fut également le cas en 1998 lorsque l'appelant a eu droit, sans tenir compte du gain en capital découlant de la disposition des actions de Lakefield Research Limited, à un remboursement de 1 147 $.

 

[29]         Comme l'appelant avait droit à un remboursement pour l'année 1998, rien ne l'incitait à reporter la production de sa déclaration de revenus y afférente. Selon les renseignements fournis à l'appelant lorsque le projet de cristallisation a été présenté, les opérations visées par ce projet n'auraient pas d'incidence sur sa dette fiscale (et son remboursement ne changerait donc pas). Le seul bien que l'appelant détenait en 1998, ou au cours de n'importe quelle année subséquente, et qui était susceptible de faire l'objet d'une déduction admissible pour gains en capital (si on suppose que les actions de Lakefield Research Limited ont cessé d'être des actions admissibles de petite entreprise comme le prévoyaient les cadres supérieurs) était les actions de Lakefield Research Limited qu'il détenait avant qu'elles ne soient transférées à sa société de portefeuille. L'appelant n'avait rien à gagner sur le plan financier à produire sa déclaration tardivement et je conclus qu'il n'a pas, sciemment, omis de produire sa déclaration de revenus dans le délai prescrit pour l'application du paragraphe 110.6(6) de la Loi.

 

Faute lourde – Omission de produire

 

[30]         La prochaine question consiste à savoir si l'appelant, dans des circonstances équivalant à faute lourde, a omis de produire sa déclaration de revenus pour 1998 au plus tard le 30 avril 2000. Dans la décision Venne c. La Reine, no T‑815‑82, 9 avril 1984, [1984] C.T.C. 223, 84 D.T.C. 6247, le juge Strayer, de la Section de première instance de la Cour fédérale, a formulé les observations suivantes sur le sens de l'expression « faute lourde » au regard de pénalités imposées en application du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu :

 

[...] La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi. [...]

 

[31]         Dans la décision Maltais c. La Reine, no 91‑1499(IT), 6 novembre 1991, [1991] 2 C.T.C. 2651, 91 D.T.C. 1385, le juge Bowman (tel était alors son titre) a tenu les propos suivants lorsqu'il s'est penché sur une pénalité imposée en application du paragraphe 163(1) de la Loi :

 

[...] Me Ghan a fait valoir pour le compte de l'intimée que le paragraphe 163(1), tel qu'il s'appliquait en 1989, n'exigeait pas de la part du contribuable l'intention volontaire de se soustraire à l'impôt. À l'appui de cette thèse, il a signalé que, dans sa formulation antérieure, le paragraphe 163(1) parlait de « toute personne qui tente volontairement de se soustraire à l'impôt qu'elle doit payer », tandis que le paragraphe 163(2) employait l'expression « sciemment ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde ». Ces dispositions exigent l'existence d'une intention coupable ou d'une négligence. [...]

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[32]         Même si elles constituaient une remarque incidente dans cette décision, les observations du juge Bowman relatives au paragraphe 163(2) de la Loi ont été reprises par le juge Hamlyn dans la décision Dunleavy c. La Reine, no 91‑1082(IT), 26 mars 1993, [1993] 1 C.T.C. 2648, 93 D.T.C. 417.

 

[33]         Dans la décision Boileau c. Ministre du Revenu national, no 87‑2128(IT), 12 avril 1989, [1989] 2 C.T.C. 2001, 89 D.T.C. 247, le juge Lamarre Proulx s'est exprimée en ces termes :

 

[...] Il est vrai qu'en vertu du paragraphe 163(2) il n'y a ni accusé ni accusation criminelle. Il semblerait donc qu'il ne s'agit pas d'une action criminelle et que cela demeure une action civile. Cependant, l'application du paragraphe en question exige que l'on fasse la preuve d'une intention ou d'une conduite coupable [...]

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[34]         Il me semble que l'intimée, pour établir que l'appelant, dans des circonstances équivalant à faute lourde, n'a pas produit sa déclaration de revenus pour 1998 au plus tard le 30 avril 2000, doit prouver qu'il a, d'une manière ou d'une autre, eu une conduite coupable. En l'espèce, j'estime que l'appelant n'avait nullement l'intention de tromper qui que ce soit ni d'induire quiconque en erreur. Il a simplement compris, à tort, que, dans la mesure où il recevait un remboursement, il n'était assujetti à aucun délai particulier pour produire une déclaration de revenus et qu'un retard de sa part lui faisait perdre de l'argent puisqu'il ne recevrait pas son remboursement tant que sa déclaration ne serait pas produite. En conséquence, je conclus que l'appelant n'a pas, dans des circonstances équivalant à faute lourde, omis de produire sa déclaration de revenus pour 1998 au plus tard le 30 avril 2000.

 

Sciemment n'a pas déclaré le gain en capital

 

[35]         L'appelant a en outre omis de déclarer le gain en capital dans la déclaration de revenus pour 1998 qu'il a finalement produite. Il s'agit donc de savoir si l'appelant, sciemment, n'a pas déclaré ce gain en capital. Pour les raisons susmentionnées, si l'intimée veut établir que l'appelant, sciemment, n'a pas déclaré le gain en capital, il lui faudra prouver que l'appelant a intentionnellement omis (ou a fait preuve d'aveuglement volontaire dans cette omission) de déclarer ce gain en capital afin de tromper l'Agence du revenu du Canada et d'obtenir un quelconque avantage financier.

 

[36]         L'appelant faisait partie d'un groupe d'actionnaires qui ont participé aux opérations de cristallisation. L'expert‑comptable qui a conçu le projet assistait à des réunions des actionnaires et expliquait le projet à ceux‑ci. L'appelant a affirmé que ces explications le dépassaient complètement. Il n'a pas retenu les services de cet expert‑comptable pour remplir sa déclaration de revenus.

 

[37]         Au moment où les opérations ont été proposées, l'expert‑comptable a communiqué par écrit avec l'appelant. Dans une lettre du 27 janvier 1998, l'expert‑comptable mentionne ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

Vous vendrez vos actions à la société de portefeuille, vous déclarerez le gain en capital (soit l'excédent de la valeur des actions sur votre coût) qui découle de cette opération dans votre déclaration de revenus et vous demanderez la déduction pour gains en capital afin de soustraire le gain en capital à l'impôt sur le revenu.

 

[38]         Dans une autre lettre qu'il a adressée à l'appelant le 12 février 1998, l'expert‑comptable confirme que le gain en capital découlant du transfert des actions sera protégé par la déduction pour gains en capital dont l'appelant peut se prévaloir et que ce dernier n'aura pas d'obligation au titre de l'impôt minimum de remplacement.

 

[39]         Un double d'une télécopie datée du 13 février 1998 qui se trouvait dans les dossiers de l'expert‑comptable a également été déposé en preuve. Cette télécopie comprenait la lettre du 12 février 1998 ainsi que deux annexes additionnelles que l'appelant n'a pas réussi à repérer parmi ses propres documents. Ces annexes comportent des extraits tirés de deux déclarations de revenus, l'une dans laquelle figurent le gain en capital et les montants des déductions pour gains en capital, et l'une dans laquelle aucun gain en capital n'est déclaré. Dans les deux cas, le montant des impôts à payer est exactement le même, soit 24 437,04 $.

 

[40]         L'appelant a affirmé que, lorsqu'il a produit sa déclaration de revenus pour 1998, il savait qu'il devait déclarer quelque chose au sujet de l'opération de cristallisation, mais il ignorait comment le faire. Il a ajouté qu'il s'était principalement préoccupé du résultat net. Il voulait s'assurer que le montant des impôts à payer soit calculé avec exactitude. Il avait cru comprendre que l'opération de cristallisation effectuée en 1998 ne donnerait lieu à aucun impôt.

 

[41]         À mon avis, l'intimée n'a pas réussi à établir, comme l'exige le paragraphe 110.6(6) de la Loi, que l'appelant a, sciemment, omis de déclarer le gain en capital dans sa déclaration de revenus pour 1998. Rien ne permet de penser que l'appelant avait une quelconque intention de tromper l'Agence du revenu du Canada. L'appelant n'avait aucune raison de ne pas déclarer le gain en capital puisqu'il n'avait pas d'autre possibilité de se prévaloir de la déduction pour gains en capital à laquelle il avait droit (en 1998, cette déduction ne pouvait être demandée qu'à l'égard d'actions admissibles de petite entreprise ou d'un bien agricole admissible).

 

Faute lourde — Omission de déclarer le gain en capital

 

[42]         Comme il est mentionné plus haut, la faute lourde est elle aussi tributaire de l'existence d'une intention coupable. Dans la décision Succession Colangelo c. La Reine, no 95‑3539(IT)G, 11 mars 1998, [1998] 2 C.T.C. 2823, 98 D.T.C. 1607, le juge Bowie, lorsqu'il a conclu que le paragraphe 110.6(6) de la Loi ne s'appliquait pas dans les circonstances de l'affaire dont il était saisi, a tenu les propos suivants :

 

11        Il est bien établi évidemment que l'ignorance d'une loi pénale n'excuse pas une violation de cette loi. L'élément mental vise l'accomplissement de l'acte; cela n'exige pas une connaissance de la loi enfreinte. Bien que les dispositions en cause ici soient des dispositions pénales de par leur nature même, je ne suis pas convaincu que le législateur entendait qu'elles s'appliquent de telle sorte qu'une personne omettant de déclarer un gain parce qu'elle ne sait pas que la Loi l'oblige à déclarer ce gain doive dans tous les cas en subir les conséquences pénales. L'avocat des appelants ne conteste pas le fait qu'on ne peut se soustraire à l'impôt en plaidant l'ignorance de la loi, et les contribuables ont, conformément à ce raisonnement, payé l'impôt, ainsi que les intérêts y afférents, bien qu'ils ne l'aient fait qu'après avoir interjeté ces appels et avoir pour la première fois obtenu un avis juridique d'une personne compétente. Les dispositions relatives aux conséquences d'une omission de déclarer un gain en capital qui figurent au paragraphe 110.6(6) sont rédigées en termes absolus et peuvent effectivement être très sévères. Si on avait voulu qu'elles s'appliquent à une personne se trouvant dans la position dans laquelle se trouvent ces appelants, je pense que le législateur aurait prévu l'exercice d'un certain pouvoir discrétionnaire dans les cas où il y avait non pas une intention d'éviter illégalement l'impôt, mais simplement une ignorance des conséquences qui s'y rattachent. Après tout, cette disposition a pour objet de dissuader les gens d'éviter sciemment l'impôt et non d'exiger que de simples particuliers se familiarisent avec les dispositions d'une loi dont l'ampleur et la complexité sont notoirement intimidantes pour de nombreux avocats.

 

[43]         Dans la décision Sidhu c. La Reine, 2004 CCI 174, [2004] 2 C.T.C. 3167, 2004 D.T.C. 2540, le juge Hershfield a conclu que le paragraphe 110.6(6) de la Loi s'appliquait dans cette affaire particulière. Il a formulé les observations suivantes au sujet du paragraphe 110.6(6) de la Loi :

 

23        L'appelant se fonde sur la décision Venne c. La Reine, C.F. 1er inst., no T‑815‑82, 9 avril 1984 (84 D.T.C. 6247) pour soutenir que le seuil de la faute lourde a été rehaussé et qu'il faut maintenant être en mesure de conclure à l'existence d'un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée. Alors qu'on pourrait trouver des décisions pour étayer un argument contraire, la décision rendue dans l'affaire Venne ne rehausse pas le seuil de la preuve de manière à obliger le ministre à prouver une intention de tromper ou une faute de conduite volontaire. Si cela devait être le critère, la disposition visée de la Loi aurait tout simplement eu à qualifier la décision de ne pas déclarer un gain d'avoir été prise « sciemment ». Les actions « qui correspondent » à des actions réalisées intentionnellement sont celles pour lesquelles on peut présumer une intention, comme les actions qui démontrent « une indifférence au respect de la Loi ». Dans les faits de l'espèce, l'absence de déclaration des gains constitue une indifférence intéressée à la conformité à la loi équivalant à une faute lourde. L'absence de mention de gains d'une telle ampleur à son propre comptable —auquel on fait confiance pour obtenir l'abri fiscal approprié pour les revenus d'emploi générés par un bien et pour les pertes d'entreprise — alors que les faits de l'espèce ont révélé que l'appelant est indigne de confiance, correspond autant à une action intentionnelle que je puisse l'imaginer. Le fardeau de la preuve ne consiste pas à prouver au‑delà du doute raisonnable l'intention coupable de se soustraire au paiement de l'impôt, mais à prouver selon la prépondérance des probabilités une telle indifférence à l'égard de la diligence appropriée et raisonnable dans le contexte d'un système d'autocotisation qui contredit et insulte le sens commun. Qui plus est, je remarque que la preuve, en l'espèce, qui suggère une tentative de camoufler la carence initiale de l'appelant à faire une déclaration ne fait que renforcer la position de l'intimée.

 

[44]         Le juge Hershfield n'a pas explicitement précisé si le contribuable, lorsqu'il a omis de déclarer le gain en capital, avait la possibilité de réaliser un gain financier dans cette affaire. Cependant, au paragraphe 9 de cette décision, le juge Hershfield fait mention de la réalisation d'un « gain d'environ 160 000 $ ». Comme le bien dans cette affaire était un bien locatif, un gain de cette importance excédait la déduction pour gain en capital, quelle qu'elle soit, dont le contribuable aurait pu se prévaloir. L'avantage financier qu'aurait pu obtenir le contribuable aurait été de se soustraire au paiement de l'impôt sur la partie du gain en capital imposable excédant la déduction pour gains en capital qu'il pouvait demander suivant l'article 110.6 de la Loi en 1993 (soit l'année au cours de laquelle le contribuable avait disposé du bien locatif).

 

[45]         Dans la présente affaire, l'appelant n'a pas tenté de camoufler son omission de déclarer le gain en capital et il a même retenu les services d'un expert‑comptable en 2004 pour corriger ses éventuelles erreurs touchant la production de ses déclarations. Son expert‑comptable a tenté de procéder à une divulgation volontaire de l'omission de produire une déclaration au début de 2004, mais cette divulgation a été rejetée par l'Agence du revenu du Canada.

 

[46]         Dans la décision Carlson c. La Reine, no 95‑1748(IT)G, 10 novembre 1997, [1998] 2 C.T.C. 2476, 98 D.T.C. 1373, le juge Hamlyn s'est exprimé en ces termes lorsqu'il a conclu que les dispositions du paragraphe 110.6(6) de la Loi ne s'appliquaient pas dans cette affaire :

 

33        J'ai conclu que l'appelant était un témoin honnête et digne de foi qui croyait par erreur qu'il n'avait pas à déclarer la disposition des actions parce qu'il avait conclu, sur la foi des conseils qu'il avait reçus de ses anciens associés, que le gain en capital serait exonéré d'impôt et qu'il n'était pas nécessaire de le déclarer.

 

34        De toute évidence, l'appelant ne comprenait pas pourquoi il faut faire une déclaration, ce qui est fondamental dans le système fiscal de déclaration personnelle qui s'applique aux contribuables de ce pays. Il a préparé sa propre déclaration, mais à part le conseil qu'il a reçu, il n'a pas cherché à consulter le guide d'impôt de Revenu Canada en ce qui concerne la façon dont le gain aurait dû être traité. Cependant, j'ai conclu qu'il avait reçu certains conseils, quoique mauvais ou incomplets.

 

35        Je conclus malgré tout, en me fondant sur la preuve, que l'appelant n'essayait pas de tromper Revenu Canada. Sa conviction était erronée, mais sincère et, considéré sous cet angle, le fait de ne pas déclarer de gain n'avait pour lui aucune conséquence financière. Cependant, cela était également une conception erronée parce que, du point de vue de Revenu Canada, l'appelant pouvait encore se prévaloir de la déduction accrue pour gains en capital. Ce gain financier n'existerait que si l'appelant tentait d'utiliser cette déduction accrue pour gains en capital non utilisée dans l'avenir. Cependant, il ressort du témoignage de l'appelant et de mon appréciation de son témoignage, que telle n'était pas son intention et, même à l'heure actuelle, telle n'est pas son intention, étant donné la conclusion à laquelle son témoignage m'a amené.

 

36        Il est vrai que l'omission concerne un montant élevé. L'omission de déclarer ce montant est un indice de négligence, j'en conviens, mais je ne puis conclure que l'appelant était indifférent au respect de la loi. Il croyait observer la loi.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[47]         Le juge Hamlyn fait mention d'une tentative de tromper et de l'absence de conséquence financière. En l'espèce, j'arrive à la conclusion que l'appelant n'essayait pas de tromper l'Agence du revenu du Canada et qu'il n'a obtenu aucun gain financier puisqu'il n'était propriétaire d'aucun autre bien admissible.

 

[48]         Dans la décision Succession Paul Lévesque c. La Reine, no 94‑1792(IT)I, 21 mars 1995, le juge Lamarre Proulx estime aussi que l'existence d'un intérêt financier constitue un élément important au regard du paragraphe 110.6(6) de la Loi :

 

Dans l'analyse de cette question, il me faut dire que cette absence de connaissance de la Loi est étonnante et porte au doute. Par ailleurs, la preuve n'a pas révélé quelqu'intérêt fiscal de la part du contribuable, à cacher au Ministre, cette disposition de ses actions à son fils. Il me semble donc, dans ces circonstances, qu'il faille accepter que le contribuable a agi de la façon dont il l'a fait, par ignorance, de cette fiction de la loi qui veut que lors d'une donation d'un bien à son enfant, il y a disposition présumée de ce bien à sa juste valeur marchande et que le produit de cette disposition doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable.

 

L'ignorance ou le défaut de s'informer adéquatement pourrait, dans certaines circonstances, être un élément suffisant pour constituer une faute lourde, dans les cas surtout où il y a un intérêt économique à demeurer dans l'ignorance. Ici, l'élément qui fait pencher la balance en faveur de l'acceptation de la position du contribuable est qu'il n'y avait aucun intérêt économique à cette omission ou à ce défaut de s'informer adéquatement.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[49]         Dans la décision Foisy c. La Reine, no 98‑2859(IT)G, 2 mai 2000, [2001] 1 C.T.C. 2606, 2000 D.T.C. 2225, le juge Lamarre Proulx était saisie d'une affaire où un expert‑comptable (lequel était à la fois comptable agréé et comptable en management accrédité et avait déjà correctement déclaré des gains en capital) avait omis de déclarer un gain en capital d'environ 185 410 $. La Cour devait se demander s'il y avait lieu d'appliquer les dispositions du paragraphe 110.6(6) de la Loi et de rejeter la déduction pour gains en capital parce que le contribuable n'avait pas déclaré le gain en capital dans sa déclaration de revenus.

 

[50]         Le juge Lamarre Proulx a tenu les propos suivants dans la décision Foisy :

 

25        Comme on vient de le lire, la sanction de ne pas avoir déclaré un gain en capital est terrible. Non seulement le particulier perd‑il l'exonération pour le gain en capital non déclaré et doit‑il inclure dans son revenu la partie taxable du gain en capital pour l'année en question, mais il perd à tout jamais une exonération à laquelle il est censé avoir droit au cours de sa vie entière. Dans les circonstances de l'article 110.6, il faut, à mon avis, que les termes sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde signifient plus que l'intention de ne pas déclarer le gain en capital. S'il n'y avait l'exonération prévue au paragraphe 110.6(2) de la Loi, la preuve de l'intention de ne pas déclarer le gain en capital suffirait pour déterminer qu'il y a faute lourde puisque cette non déclaration aurait pour but l'évasion fiscale. Mais dans le cas particulier où une exonération est accordée à un gain en capital, la non déclaration du gain en capital doit être faite dans des circonstances où il y a une intention d'évasion fiscale, une intention malicieuse de ne pas se conformer aux exigences de la Loi ou une intention de tromper le Ministre.

 

[…]

 

30        L'agent du Ministre a donné comme une des raisons de la décision d'appliquer le paragraphe 110.6(6) de la Loi ainsi que le paragraphe 163(2) de la Loi que l'appelant savait qu'il devait déclarer des gains en capital puisqu'il en avait déjà déclaré. Il m'est difficile de voir le lien entre ce fait et l'intention malicieuse de tromper le Ministre. J'y vois plutôt, ainsi que l'a fait valoir l'avocate de l'appelant, une preuve du comportement correct de l'appelant en regard de la Loi.

 

31        Pour que je sois convaincue de l'intention malicieuse ou de la faute lourde de l'appelant, il aurait fallu me démontrer l'intérêt de l'appelant à cacher le gain en capital ou me faire la preuve d'une conduite habituellement négligente ou fautive. Par exemple, si l'on m'avait fait la démonstration que l'appelant était sur le point de franchir le plafond de l'exemption de 500 000 $ ou que les actions admissibles de petite entreprise s'acquéraient couramment, je pourrais comprendre que l'appelant avait un intérêt coupable à cacher l'information au Ministre. (Au contraire, la preuve a révélé que l'appelant avait acquis des actions de sociétés publiques avec le produit de disposition des actions qui ont donné lieu au gain en capital et non des actions admissibles de petite entreprise.) Si l'on m'avait fait la preuve que d'habitude l'appelant essayait de tromper le Ministre dans ses déclarations de revenu, je pourrais voir dans la conduite du contribuable l'intention malicieuse de tromper.

 

32        Je suis d'avis que la preuve n'a pas révélé de la part de l'appelant, lors de la commission de l'acte fautif soit la non déclaration du gain en capital, une intention de tromper le Ministre ni celle de s'esquiver de quelque obligation à l'égard de l'impôt à payer ni non plus de circonstances équivalant à faute lourde. Il y a eu une certaine négligence de la part de l'appelant, négligence qui, en considération des motifs pour lesquels et des circonstances dans lesquelles elle a eu lieu, n'a pas la gravité requise par le paragraphe 110.6(6) de la Loi. En conséquence, il n'y a pas non plus d'application du paragraphe 163(2) de la Loi.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[51]         Dans la présente affaire aussi, la preuve permet de croire que l'appelant avait antérieurement déclaré des gains en capital de façon appropriée et qu'il avait, dans une année donnée, antérieurement demandé une déduction pour gains en capital. Cependant, l'opération de 1998 différait des opérations antérieures. Au cours de celles‑ci, l'appelant avait vendu des actions au comptant tandis que, lors des opérations effectuées en 1998, il avait vendu des actions de Lakefield Research Limited en contrepartie d'actions de sa propre société de portefeuille. Lorsque les lettres initiales ont été rédigées, la juste valeur marchande des actions de Lakefield Research Limited n'avait pas encore été établie. Si la déclaration antérieure appropriée de gains en capital ne suffisait pas à justifier l'application du paragraphe 110.6(6) de la Loi à l'égard d'un expert‑comptable, j'estime alors qu'elle ne peut la justifier à l'égard d'un métallurgiste.

 

[52]         Aucun élément de preuve en l'espèce n'établit que l'appelant avait une quelconque intention de tromper le ministre ou de se soustraire à l'impôt, ou une quelconque intention malveillante de ne pas respecter les dispositions de la Loi. L'appelant n'avait rien à gagner en ne déclarant pas le gain en capital. Pour que l'appelant ne déclare pas le gain en capital dans des circonstances équivalant à faute lourde, il aurait fallu que sa conduite soit assimilable à une omission volontaire de déclarer le gain en capital dans une tentative de tromper l'Agence du revenu du Canada pour obtenir un avantage financier.

 

[53]         En conséquence, comme aucun élément de preuve établissant une telle conduite coupable de la part de l'appelant n'a été présenté en l'espèce, ce dernier n'a pas omis, dans des circonstances équivalant à faute lourde, de déclarer le gain en capital découlant de la disposition des actions de Lakefield Research Limited dans sa déclaration de revenus pour 1998.

 

[54]         L'appel est donc accueilli avec dépens et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que les dispositions du paragraphe 110.6(6) de la Loi ne s'appliquent pas à la déduction pour gains en capital faite dans le calcul du revenu imposable gagné par l'appelant en 1998 et que l'appelant peut déduire, dans le calcul de son revenu imposable pour 1998, la somme de 155 443 $ en application du paragraphe 110.6(2.1) de la Loi.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 26e jour de février 2009.

 

 

« Wyman W. Webb »

Le juge Webb

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de juin 2009.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2009CCI121

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2007-2883(IT)G

 

INTITULÉ :                                       Michael Ounpuu et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATES DE L'AUDIENCE :               Les 26 et 27 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge Wyman W. Webb

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 26 février 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Russell D. Laishley

Avocat de l'intimée :

Me Justin Kutyan

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelant :

 

                   Nom :           Russell D. Laishley

 

                   Cabinet :      LeDrew Laishley Reed LLP

 

          Pour l'intimée :       John H. Sims, c.r.

                                       Sous-procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

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