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Dossier : 2008‑1769(IT)I

ENTRE :

 

LARISSA MIKHAILOVA,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 28 janvier 2009, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Wyman W. Webb

 

Comparutions :

Représentant de l’appelante :

Ken Gratton

Avocate de l’intimée:

Étudiante en droit :

Me Jenny P. Mboutsiadis

Stella Luk

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel de la nouvelle cotisation concernant la dette de l’appelante au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour 2003 est accueilli et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, étant entendu que le revenu additionnel de l’appelante pour 2003 devrait être de 35 000 $ et non de 50 000 $.

 

L’appel de la nouvelle cotisation concernant la dette de l’appelante au titre de la Loi pour 2004 est accueilli, avec dépens, et cette nouvelle cotisation est annulée.

 

Il est par ailleurs ordonné de rembourser à l’appelante le droit de dépôt de 100 $.

 

       Signé à Toronto (Ontario), ce 26e jour de février 2009.

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour d’avril 2009

 

David Aubry, LL.B.

Réviseur

 

 


 

Référence : 2009CC120

Date : 20090226

Dossier : 2008‑1769(IT)I

ENTRE :

 

LARISSA MIKHAILOVA,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Webb

[1]              L’appelante a été l’objet d’une nouvelle cotisation visant à inclure une somme additionnelle de 50 000 $ dans son revenu pour 2003, ainsi qu’une somme identique dans son revenu pour 2004. La question en litige dans le présent appel consiste à savoir si ces sommes devraient être incluses ou  non dans son revenu pour ces années‑là.

 

[2]              L’appelante était l’actionnaire unique d’une société à numéro (la « société ») qui exploitait ses activités sous la raison sociale Back to Work Rehabilitation Center, à Hamilton (Ontario). Cette société exploitait une clinique de physiothérapie. Avant sa constitution en société, l’entreprise était exploitée en tant que société de personnes.

 

[3]              Un examinateur des fiducies au service de l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») a témoigné à l’audience. Il a indiqué que l’ARC avait reçu une plainte d’une personne qui travaillait à la clinique à l’époque où celle‑ci était exploitée en tant que société de personnes. Cette personne s’était plainte qu’aucune retenue à la source n’avait été prélevée sur son chèque de paie. L’examinateur des fiducies a fait savoir qu’il avait eu de la difficulté à obtenir les livres de paie de la société de personnes.

 

[4]              À la suite du transfert des activités à la société, cette dernière a été choisie en vue d’un examen de son compte de paye, le motif étant qu’aucun versement n’était fait relativement au compte de paie de la société. L’examen a été confié au même examinateur des fiducies qui s’était chargé de la plainte formulée à l’époque où l’entreprise était exploitée en tant que société de personnes. L’examinateur a fait plusieurs appels à la clinique et a laissé des messages, mais personne n’a retourné ses appels. Il a passé en revue les déclarations de revenus de la société. Pour l’année financière prenant fin le 31 juillet 2003, la société avait déclaré des frais d’administration et de gestion de 50 000 $ et, pour celle prenant fin le 31 juillet 2004, des salaires de la direction de 45 000 $.

 

[5]              Comme l’examinateur des fiducies n’obtenait aucune réponse de la société au sujet de ses demandes de renseignements sur le compte de paie, il a décidé d’établir une cotisation arbitraire et de délivrer des feuillets T4 pour 2003 et 2004, d’un montant de 50 000 $ dans chaque cas, et chacun au nom de l’appelante. Cette dernière soutient qu’elle n’a pas touché ces montants.

 

[6]              Au début de l’audience, l’intimée a présenté une requête visant à faire modifier la réponse en vue d’inclure la présomption selon laquelle l’appelante avait touché 50 000 $ de la société en 2003 et 50 000 $ en 2004. Le représentant de l’appelante ne s’est pas opposé à cette requête. Étant donné que l’intimée avait délivré les feuillets T4 et que les employés n’étaient tenus que de déclarer le revenu sur les montants reçus (ce qui serait indiqué sur un feuillet T4), il semble évident que l’intimée a dû présumer que l’appelante avait reçu ces montants dans ces années‑là et que l’omission de cette présomption était un simple oubli. La réponse a donc été modifiée par l’inclusion de cette présomption.

 

[7]              Dans l’arrêt Hickman Motors Ltd. c. Sa Majesté la Reine, [1997] A.C.S. n62, la juge L’Heureux‑Dubé, de la Cour suprême du Canada, a fait les commentaires suivants au sujet du fardeau qu’a la partie appelante de « démolir » les présomptions du ministre :

 

92        Il est bien établi en droit que, dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités : Dobieco Ltd. c. Minister of National Revenue, [1966] R.C.S. 95, et que, à l’intérieur de cette norme, différents degrés de preuve peuvent être exigés, selon le sujet en cause, pour que soit acquittée la charge de la preuve : Continental Insurance Co. c. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164; Pallan c. M.R.N., 90 D.T.C. 1102 (C.C.I.), à la p. 1106. En établissant des cotisations, le ministre se fonde sur des présomptions: (Bayridge Estates Ltd. c. M.N.R., 59 D.T.C. 1098 (C. de l’É.), à la p. 1101), et la charge initiale de « démolir » les présomptions formulées par le ministre dans sa cotisation est imposée au contribuable (Johnston c. Minister of National Revenue, [1948] R.C.S. 486; Kennedy c. M.R.N., 73 D.T.C. 5359 (C.A.F.), à la p. 5361).  Le fardeau initial consiste seulement à «démolir» les présomptions exactes qu’a utilisées le ministre, mais rien de plus : First Fund Genesis Corp. c. La Reine, 90 D.T.C. 6337 (C.F. 1re inst.), à la p. 6340.

 

93        L’appelant s’acquitte de cette charge initiale de « démolir » l’exactitude des présomptions du ministre lorsqu’il présente au moins une preuve prima facie : Kamin c. M.R.N., 93 D.T.C. 62 (C.C.I.); Goodwin c. M.R.N., 82 D.T.C. 1679 (C.R.I.).  En l’espèce, l’appelante a produit une preuve qui respecte non seulement la norme prima facie, mais, selon moi, une norme encore plus sévère.  À mon avis, l’appelante a « démoli » les présomptions suivantes : a) la présomption de l’existence de « deux entreprises », en produisant une preuve claire de l’existence d’une seule entreprise; b) la présomption qu’il n’y a « aucun revenu », en produisant une preuve claire de l’existence d’un revenu. Il est établi en droit qu’une preuve non contestée ni contredite « démolit » les présomptions du ministre : voir par exemple MacIsaac c. M.R.N., 74 D.T.C. 6380 (C.A.F.), à la p. 6381; Zink c. M.R.N., 87 D.T.C. 652 (C.C.I.).  Comme je l’ai déjà dit, aucune partie de la preuve produite par l’appelante en l’espèce n’a été contestée ni contredite. Par conséquent, à mon avis, l’appelante a « démoli » les présomptions sur l’existence de « deux entreprises » et sur le fait qu’il n’y a « aucun revenu ».

 

94        Lorsque l’appelant a « démoli » les présomptions du ministre, le « fardeau de la preuve [. . .] passe [. . .] au ministre qui doit réfuter la preuve prima facie » faite par l’appelant et prouver les présomptions : Magilb Development Corp. c. La Reine, 87 D.T.C. 5012 (C.F. 1re inst.), à la p. 5018. Ainsi, dans la présente affaire, la charge est passée au ministre, qui doit prouver ses présomptions suivant lesquelles il existe « deux entreprises » et il n’y a « aucun revenu ».

 

95        Lorsque le fardeau est passé au ministre et que celui‑ci ne produit absolument aucune preuve, le contribuable est fondé à obtenir gain de cause : voir par exemple MacIsaac, précité, où la Cour d’appel fédérale a infirmé le jugement de la Division de première instance (à la p. 6381) pour le motif que le «témoignage n’a été ni contesté ni contredit, et aucune objection ne lui a été opposée». Voir aussi Waxstein c. M.R.N., 80 D.T.C. 1348 (C.R.I.); Roselawn Investments Ltd. c. M.R.N., 80 D.T.C. 1271 (C.R.I.).  Se reporter également à Zink, précité, à la p. 653, où, même si la preuve « échappait à la logique et présentait de graves lacunes de fond et de chronologie », l’appel du contribuable a été accueilli parce que le ministre n’a présenté aucune preuve quant à la source de revenu. Dans la présente affaire, je remarque que la preuve ne contient aucune « lacune » de ce genre. Par conséquent, puisque le ministre n’a produit absolument aucune preuve et que personne n’a soulevé le moindre doute quant à la crédibilité, l’appelante est fondée à obtenir gain de cause.

 

96        Dans la présente affaire, sans qu’aucune preuve ne leur ait été présentée, le juge de première instance et la Cour d’appel ont tous deux voulu transformer les présomptions non fondées et non vérifiées en « conclusions de fait », commettant ainsi des erreurs de droit sur la charge de la preuve. Mon collègue le juge Iacobucci exerce de la retenue à l’égard de ces soi‑disant « conclusions concordantes » des cours d’instance inférieure, mais, bien que je sois tout à fait d’accord de façon générale avec le principe de retenue judiciaire, dans la présente affaire, deux décisions incorrectes ne sauraient en faire une bonne. Même si nous sommes en présence de « conclusions concordantes », la preuve non contestée et non contredite réfute positivement les présomptions du ministre : MacIsaac, précité. Comme le juge Rip de la Cour canadienne de l’impôt l’a noté dans Gelber c. M.R.N., 91 D.T.C. 1030, à la p. 1033, « [le ministre] n’est pas l’arbitre de ce qui est fondé ou non en matière de droit fiscal ». Le juge Brulé de la Cour canadienne de l’impôt dans Kamin, précité, a observé à la p. 64 :

 

[…] le ministre devrait pouvoir réfuter cette preuve [prima facie] et présenter des arguments à l’appui de ses présomptions.

 

[…]

 

Le ministre n’a pas carte blanche pour établir les présomptions qui lui conviennent. À l’interrogatoire principal, on s’attend qu’il puisse produire des preuves plus concrètes que de simples présomptions pour réfuter les arguments de l’appelant. [Souligné par la juge L’heureux‑Dubé.]

 

[8]              Deux comptables ont témoigné pour l’appelante : Edward Hiutin (CGA) a établi les états financiers de la société pour l’année prenant fin le 31 juillet 2003, et Rita Zelikman (CA) a établi les états financiers de la société pour les années prenant fin le 31 juillet 2004 et le 31 juillet 2005.

 

[9]              Selon Edward Hiutin, une inscription a été faite à la fin de l’année, soit le 31 juillet 2003, pour faire état de frais de gestion à payer de 50 000 $ pour cette année‑là. Ces frais ont été déduits du calcul du revenu de la société pour l’année et portés au crédit du compte des prêts aux actionnaires.

 

[10]         Edward Hiutin avait inscrit une note manuscrite indiquant que, selon les instructions de l’appelante, la somme de 29 975 $ devait être attribuée à l’appelante et le solde réparti entre deux autres personnes, Alexander Mikhailova et Ivan Terziev. Cependant, le montant à attribuer à chacune de ces deux autres personnes n’était pas précisé. Alexander Mikhailova est le fils de l’appelante, et Ivan Terziev est une personne avec laquelle l’appelante travaillait.

 

[11]         Edward Hiutin a clairement dit qu’il a établi la déclaration de revenus de l’appelante pour 2003 et qu’il a déclaré les 29 975 $ dans le revenu de cette dernière pour cette année‑là. Il a ajouté ce qui suit concernant la somme de 50 000 $ que la société a déclarée en tant que frais de gestion pour son année financière prenant fin le 31 juillet 2003 :

 

[traduction]

R : […] C’étaient des frais de gestion, essentiellement l’élimination de bénéfices de la société et le paiement de frais de gestion à attribuer, d’accord? – à des personnes qui s’occupaient des activités de gestion. À ce moment‑là, conformément aux instructions de Larissa Mikhailova, j’ai attribué à celle‑ci la somme de 29 975 $ en frais de gestion pour qu’elle les déclare sur son formulaire T1 2003, que j’ai établi aussi, et je le lui ai remis pour qu’elle l’envoie à Revenu Canada à ce moment‑là.

 

Les deux autres – et le solde, elle a dit qu’elle allait l’attribuer parce que je ne me suis pas chargé des impôts sur le revenu des autres personnes. Elle a dit qu’elle voulait l’attribuer, etc.

 

Donc, tout ce que je peux dire, c’est que les 29 975 $ ont été inclus dans son T1 personnel pour 2003, son impôt sur le revenu personnel, et que j’ai moi‑même établi. Le solde, j’ignore comment il a été déclaré ou attribué.

 

          […]

 

Q.        Avez‑vous établi la déclaration d’impôt d’Ivan?

 

R.         Non. Non, non, non. Je l’ai déjà dit, je viens de le dire il y a deux minutes, j’ai établi le T1 de Larissa Mikhailova, et je le lui ai remis pour qu’elle le signe et l’envoie à Revenu Canada. Les deux autres, elle a dit qu’ils allaient – vous savez, elle allait leur faire savoir et ils allaient le déclarer, etc. Je ne sais pas ce qui est arrivé au solde.

 

Q.        Vous ne savez vraiment pas de quelle façon la somme de 5 000 $ a été déclarée?

 

R.         Non. Je n’ai pas établi les T3, non. Et je ne sais pas qui les a produits.

 

[12]         Une copie de la déclaration de revenus de l’appelante pour 2003 a été déposée en tant que pièce. Les seuls montants inclus dans son revenu pour 2003 étaient, toutefois, 15 878,41 $ d’autres revenus d’emploi et 19,90 $ de revenu de location net. Les feuillets T4A joints à la déclaration de revenus de l’appelante pour 2003 montrent que la somme de 878,41 $ n’était pas un revenu de la société, ce qui ne laisse que 15 000 $ comme montant susceptible d’être un revenu de la société. L’appelante a déclaré que le solde de 15 000 $ était le montant qui pouvait être un revenu de la société. La seule explication que l’appelante a donnée au sujet de la différence entre le montant qu’Edward Hiutin a dit avoir été inscrit dans sa déclaration de revenus pour 2003 et la somme de 15 000 $ qu’elle avait effectivement déclarée est la suivante :

 

[traduction]

Q.        M. Hiutin a dit qu’il vous avait attribué la somme de 29 975 $, mais vous ne déclarez que 15 000 $.

 

R.         Oui, parce que nous étions également, les trois d’entre nous étions également actifs dans l’entreprise et nous avons divisé – nous avons réparti le montant entre nous trois.

 

Q.        Je vois. Donc, si nous totalisons le revenu déclaré par Larissa, Alex et Ivan, cela donnera 50 000 $?

 

R.         Je suppose que oui.

 

[13]         Si la somme de 50 000 $ avait été divisée en parts égales entre l’appelante, Alexander Mikhailova et Ivan Terziev, cela signifie que chacun aurait eu un revenu de 16 667 $, et non pas de 15 000 $. Cela n’explique pas pourquoi l’appelante n’a déclaré que 15 000 $ en 2003. Sa réponse : « Je suppose que oui » à la question directe de savoir si le montant total déclaré par l’appelante, Alexander Mikhailova et Ivan Terziev donnerait en tout 50 000 $, laisse planer un certain doute sur les montants qu’Alexander Mikhailova et Ivan Terziev ont déclarés.

 

[14]         Rita Zelikman est la comptable qui a établi les états financiers de la société pour les années prenant fin les 31 juillet 2004 et 2005. C’est elle aussi qui a établi pour la société un état du compte des prêts aux actionnaires montrant les débits et les crédits portés à ce compte pour la période du 1er août 2003 au 31 juillet 2004. L’état présente un solde d’ouverture de 0 $. L’état du compte des prêts aux actionnaires établi par Edward Hiutin montre un solde, en date du juillet 2003, de ‑83 457,74 $ (ce qui dénoterait que la société devait cette somme à l’appelante au 31 juillet 2003). Aucune explication n’a été donnée à propos de cette différence entre le solde d’ouverture de ‑83 457,74 $ établi par Edward Hiutin en date du 31 juillet 2003 et le solde d’ouverture de 0 $ établi par Rita Zelikman en date du 1er août 2003.

 

[15]         Selon l’état du compte des prêts aux actionnaires établi par Rita Zelikman, le solde, en date du 31 juillet 2004, était de ‑5 438,87 $. Toutefois, les états financiers que cette dernière a établis montrent que les avances d’actionnaires, au 31 juillet 2004, s’élevaient à 50 128 $. Aucune explication n’a été donnée à propos de cette différence entre l’état du compte des prêts aux actionnaires (qui présente un solde de ‑5 438,87 $ au 31 juillet 2004) et le bilan (où figurent des avances d’actionnaires de 5 128 $ au 31 juillet 2004).

 

[16]         Dans la décision VanNieuwkerk c. The Queen, 2003 CCI 670, [2004] 1 C.T.C. 2577, le juge en chef adjoint Bowman (plus tard juge en chef) a déclaré ce qui suit :

 

[6]        La confusion vient en partie des livres comptables qui indiquent soit qu'aucun transfert n'a eu lieu, soit qu'un transfert s'est produit le 31 décembre 1998 ou le 1er janvier 1998, selon la version consultée. Cette cour a eu maintes fois l'occasion de dire que les écritures comptables ne créent pas la réalité. Elles ne font que refléter la réalité. Il doit y avoir une réalité sous‑jacente pouvant exister indépendamment des écritures comptables. J'accepte l'explication de M. Goeres selon laquelle les écritures de correction, telles les écritures de la transaction dans cette affaire, et les déductions pour amortissement apparaissent toutes dans le grand livre général du 31 décembre. Cela ne fait que démontrer comment les livres comptables sont peu fiables pour déterminer la date où une transaction a eu lieu.

 

[17]         À cause des différences marquantes que l’on relève dans les livres comptables, il est bien difficile de déterminer la réalité sous‑jacente dans cette affaire.

 

[18]         Des copies des déclarations de revenus de 2004 concernant Alexander Mikhailova et Ivan Terziev ont été déposées en tant que pièces, mais pas des copies de leurs déclarations de revenus pour 2003. Rita Zelikman n’avait pas établi les déclarations de revenus d’Alexander Mikhailova et d’Ivan Terziev pour 2003, pas plus qu’Edward Hiutin. Par conséquent, aucun des deux comptables n’a pu faire de commentaires sur les chiffres qu’Alexander Mikhailova et Ivan Terziev avaient inscrits dans leurs déclarations de revenus de 2003. Ni Alexander Mikhailova ni Ivan Terziev n’ont témoigné à l’audience, et rien n’a été dit pour expliquer pourquoi ni l’un ni l’autre n’ont témoigné ou pourquoi on ne disposait pas de copies de leurs déclarations de revenus pour 2003, mais uniquement de copies de leurs déclarations pour 2004. Cela amène à se demander ce qui a été inclus, ou non, dans leurs déclarations de revenus pour 2003.

 

[19]         Dans l’ouvrage intitulé Law of Evidence in Canada, deuxième édition, de Sopinka, Lederman et Bryant, voici ce qu’on peut lire à la p. 297 :

 

[traduction]

Dans les affaires civiles, il est possible de tirer une déduction défavorable lorsque, en l'absence d'explication, une partie à un litige ne témoigne pas ou omet de fournir une preuve par affidavit dans le cadre d'une demande ou omet de convoquer un témoin qui a connaissance des faits en litige et devrait être disposé à aider cette partie.

 

[20]         Étant donné qu’Alexander Mikhailova est le fils de l’appelante et qu’Ivan Terziev est une personne qui a travaillé avec cette dernière et qui a vécu à son domicile pendant un certain temps, on pourrait présumer que ces personnes seraient disposées à aider l’appelante si elles le pouvaient. En outre, Rita Zelikman a déclaré qu’Ivan Terziev avait communiqué avec elle pour demander une copie de sa déclaration de revenus de 2004 (c’est‑à‑dire la copie qui a été déposée à l’audience); il était donc certainement disposé à aider relativement aux montants payés en 2004.

 

[21]         Étant donné que l’appelante a soutenu depuis le début que la somme de 50 000 $ pour 2003 (et de 45 000 $ pour 2004) avait été payée à elle‑même, à Alexander Mikhailova et à Ivan Terziev et qu’elle a déposé les déclarations de revenus de 2004 d’Alexander Mikhailova et d’Ivan Terziev pour montrer que chacun d’eux avait déclaré leur part des montants relatifs à 2004, il me semble que l’on devrait tirer une déduction défavorable du fait que ni Alexander Mikhailova ni Ivan Terziev n’ont témoigné et que l’appelante n’a pas tenté par ailleurs de produire leurs déclarations de revenus pour 2003.

 

[22]         Il y a aussi d’autres facteurs qui sont pertinents à l’égard du montant applicable à 2003. Chaque fois que l’on a interrogé l’appelante sur un montant quelconque que la société avait payé à elle‑même ou aux autres personnes, elle a systématiquement déclaré qu’elle ne comprenait pas les chiffres et qu’il fallait poser à sa comptable les questions relatives aux montants qui avaient été payés. Sa comptable, Rita Zelikman, avait établi l’état du compte des prêts aux actionnaires pour la période du 1er août 2003 au 31 juillet 2004. Il y a deux écritures qui valent la peine d’être signalées : une écriture de débit, datée du 19 août 2003, qui indique que la somme de 30 000 $ a été payée à l’appelante, et une écriture de débit additionnelle datée du 24 septembre 2003, indiquant que l’appelante a reçu 20 000 $. Ces deux débits dénotent que des paiements totalisant 50 000 $ ont été faits à l’appelante peu après l’année prenant fin le 31 juillet 2003, et toujours dans l’année civile 2003. En outre, la somme de 30 000 $ ne représente que 25 $ de plus que le montant de 29 975 $ (et il s’agit du montant arrondi à 100 $ près) qui, selon Edward Hiutin, devait être attribué à l’appelante.

 

[23]         Étant donné qu’il n’existe aucune preuve au sujet des montants qu’Alexander Mikhailova ou Ivan Terziev ont indiqués dans leurs déclarations de revenus de 2003, qu’Edward Hiutin a clairement dit que le montant à attribuer à l’appelante sur les frais de gestion de 50 000 $ pour 2003 s’élevait à 29 975 $ et que ce montant a été inclus dans la déclaration de revenus de l’appelante pour 2003, que l’appelante a déclaré de façon contradictoire que la somme de 50 000 $ devait être répartie en parts égales entre les trois personnes (ce qui voudrait dire 16 667 $ chacun) mais qu’elle n’a indiqué que 15 000 $ dans sa déclaration de revenus, et que l’état du compte des prêts aux actionnaires montre que la somme de 30 000 $ a été payée à l’appelante en août 2003 et que 20 000 $ lui ont été payés en septembre 2003, je conclus que l’appelante n’a pas « démoli » les présomptions de l’intimée, à savoir qu’elle a reçu la somme de 50 000 $ en 2003. Cependant, étant donné que l’appelante a bel et bien déclaré 15 000 $ dans sa déclaration de revenus de 2003, le montant qu’il convient d’ajouter à son revenu pour 2003 devrait être de 35 000 $.

 

[24]         Rita Zelikman a témoigné que la somme de 45 000 $ que la société a déduite en tant que salaires de direction dans son exercice prenant fin le 31 juillet 2004 a été répartie en parts égales entre l’appelante, son fils Alexander Mikhailova et Ivan Terziev. Les déclarations de revenus de 2004 de ces trois personnes ‑ l’appelante, Alexander Mikhailova et Ivan Terziev ‑ ont été déposées en tant que pièces. C’est Rita Zelikman qui a établi ces déclarations. Pour ce qui est d’Alexander Mikhailova et d’Ivan Terziev, les 15 000 $ qui leur ont été attribués ont été déclarés à titre de revenu brut d’entreprise. La somme attribuée à l’appelante a aussi été incluse dans sa déclaration de revenus dans le cadre de son revenu brut d’entreprise.

 

[25]         J’accepte le témoignage de Rita Zelikman et je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les 45 000 $ de salaires de direction que la société a déduits pour  2004 ont été inclus dans le revenu de l’appelante, d’Alexander Mikhailova et d’Ivan Terziev pour 2004 (15 000 $ chacun) et que, de ce fait, aucun montant additionnel n’aurait dû être inclus dans le revenu de l’appelante pour 2004. En l’espèce, aucune preuve contradictoire n’a été déposée par l’intimée et l’hypothèse selon laquelle la somme de 50 000 $ a été payée à l’appelante en 2004 n’était rien de plus que cela – une hypothèse. Elle était fondée sur une déduction de 45 000 $ réclamée par la société et, par conséquent, le montant qui, a‑t‑il été présumé, avait été payé représentait 5 000 $ de plus que la déduction réclamée.

 

[26]         Le représentant de l’appelante avait fait valoir que les montants n’avaient pas été payés à cette dernière parce qu’ils avaient simplement été inscrits dans le compte des prêts aux actionnaires à titre de crédit. Son argument était le suivant : étant donné que la société devait à l’appelante la somme de 50 128 $ au 31 juillet 2004 et la somme de 89 980 $ au 31 juillet 2005, le simple fait d’avoir ajouté d’autres sommes à cette dette ne voulait pas dire que l’appelante avait été payée. La société a mis fin à ses activités et n’a vraisemblablement pas les moyens de rembourser l’appelante.

 

[27]         Cependant, en l’espèce, cet argument n’est pas fondé. Comme il a été dit plus tôt, l’appel est accueil pour 2004 sans même prendre cet argument en considération. Ainsi, la seule pertinence que cet argument peut avoir, si pertinence il y a, a trait à l’année 2003. Le solde d’ouverture en date du 1er août 2003, selon l’état du compte des prêts aux actionnaires que Rita Zelikman a établi, était de zéro. Si l’on reporte à ce compte le solde de ‑ 83 457,74 $ en date du 31 juillet 2003, selon l’état du compte des prêts aux actionnaires établi par Edward Hiutin, le compte comporte toujours un solde débiteur au 31 décembre 2003, car le solde de ce compte au 31 décembre 2003 (déterminé par Rita Zelikman, qui a commencé par un solde de zéro en date du 1er août 2003) était de 132 157,32 $. Cela voudrait dire que la somme de 50 000 $ qui a été portée au crédit du compte par Edward Hiutin en date du 31 juillet 2003 a été versée avant le 31 décembre 2003. La somme de 50 000 $ n’a pas simplement augmenté la dette de la société envers l’appelante – elle a en fait été versée.

 

[28]         Le revenu que l’appelante a reçu de la société a été déclaré en tant que revenu brut d’entreprise en 2004 (ainsi qu’en tant qu’autres revenus d’emploi en 2003). La question qui m’est soumise consiste à savoir s’il faut inclure les montants additionnels dans son revenu. L’appel a trait à une nouvelle cotisation qui établit la dette de l’appelante en vertu de la Loi. Étant donné que le taux d’imposition qui s’applique au revenu tiré d’un emploi serait le même que celui qui s’appliquerait au revenu tiré d’une entreprise, il importe peu en l’espèce de savoir si le revenu était tiré d’un emploi ou d’une entreprise. Si le litige avait trait aux montants déclarés en tant que dépenses, la distinction aurait dans ce cas été importante, car l’article 8 de la Loi restreint les types de dépenses que les employés sont autorisés à déduire, et le paragraphe 8(2) de la Loi dispose qu’un employé ne peut se prévaloir d’une déduction que si elle est autorisée par l’article 8. Il me semble toutefois que, lorsqu’une personne fournit des services à sa propre entreprise, elle le fait à titre d’employé et non pas à titre d’entrepreneur indépendant[1].

 

[29]         Par conséquent, l’appel de la nouvelle cotisation concernant la dette de l’appelante au titre de la Loi pour 2003 est accueilli, et l’affaire est renvoyée au
ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, étant entendu que le revenu additionnel de l’appelante pour 2003 devrait être de 35 000 $ et non de 50 000 $. L’appel relatif à la nouvelle cotisation concernant la dette de l’appelante en application de la Loi pour 2004 est accueilli, avec dépens, et cette nouvelle cotisation est annulée.

 

       Signé à Toronto (Ontario), ce 26e jour de février 2009.

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb

 

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour d’avril 2009

 

David Aubry, LL.B.

Réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2009CC120

 

NO DE DOSSIER DE LA COUR :      2008‑1769(IT)I

 

INTITULÉ :                                       Larissa Mikhailowa et Sa Majesté La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 28 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Wyman W. Webb

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 26 février 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

Ken Gratton

Avocate de l’intimée :

Étudiante en droit :

Me Jenny P. Mboutsiadis

Stella Luk

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                     

 

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Il y a aussi la question de savoir si l’appelante ou la comptable de cette dernière ont songé à l’application de la TPS. En 2004, l’appelante a déclaré un revenu brut d’entreprise de 34 390 $ qui, s’il s’agissait d’un revenu d’entreprise, aurait signifié que l’appelante n’aurait plus été un « petit fournisseur » pour l’application de la Loi sur la taxe d’accise.

 

Il convient également de signaler que, selon le paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, sont compris parmi les employés les cadres ou fonctionnaires; de ce fait, si l’appelante était un cadre de la société, elle était une employée pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

En outre, si l’appelante avait été un entrepreneur indépendant, la question aurait consisté à savoir si le montant était payable à elle et non pas s’il lui avait été payé car, à titre d’entrepreneur indépendant, elle déclarerait son revenu selon la méthode de la comptabilité d’exercice.

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