Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Dossier : 2006‑3534(IT)G

 

ENTRE :

SANDRA GALLANT,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appel entendu le 23 septembre 2008 à Fredericton (Nouveau‑Brunswick).

 

Devant : L’honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

 

Me W.S. Reid Chedore

Avocat de l’intimée :

Me David Besler

 

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard des années d’imposition 2001 et 2002 est rejeté avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de mars 2009.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de juin 2009.

 

 

 

François Brunet, Réviseur


 

 

 

Référence : 2009 CCI 91

Date : 20090306

Dossier : 2006‑3534(IT)G

ENTRE :

SANDRA GALLANT,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]              Il s’agit d’un appel interjeté par Sandra Gallant de nouvelles cotisations concernant ses années d’imposition 2001 et 2002. Le ministre du Revenu national a établi ces nouvelles cotisations pour un revenu non déclaré de 114 365 $ en 2001 et de 137 360 $ en 2002.

 

[2]              Durant les deux années d’imposition visées par l’appel, l’appelante exploitait deux foyers de soins spéciaux à Saint‑Jean (Nouveau‑Brunswick) : l’un situé au 86, rue Mecklenburg et appelé « Laura Manor », l’autre situé au 646, rue George et appelé « Park Place ». Pendant toute la période en cause, l’appelante était également propriétaire d’un bien immobilier situé au 45, promenade Cedar Grove à Quispamsis (Nouveau‑Brunswick), et situé à une distance d’environ 25 kilomètres, ou 20 minutes en automobile, de Saint‑Jean (la « maison de Cedar Grove »). L’appelante était également propriétaire d’un certain nombre de logements locatifs situés à Saint‑Jean.

 

[3]              Pendant toute la période en cause, l’appelante détenait un permis, délivré par la province du Nouveau‑Brunswick, concernant l’exploitation des deux foyers de soins spéciaux. Les exploitants de ces foyers assurent des services de soins de longue durée. Lorsqu’une personne ayant besoin de ce genre de services est incapable financièrement d’en payer le coût intégral, les autorités néo-brunswickoises peut les subventionner, en vertu de la Loi sur les foyers de soins et de la Loi sur les services à la famille. L’admissibilité à ces services est subordonnée à des critères qui sont énoncés dans diverses politiques ou directives du ministère des Services familiaux et communautaires de la province. La Directive sur la contribution financière uniformisée des familles (la « Directive ») est fondée sur les principes suivants (pièce A‑1) :

 

·        la famille, plutôt que le simple particulier, est responsable en tout premier lieu du coût total des services non assurés;

·        le gouvernement est le payeur de dernier recours;

·        l’obligation du client de payer des services non assurés l’emporte sur le transfert des richesses entre générations.

 

La Directive comporte d’autres dispositions pertinentes :

 

6. Directive

Il incombe aux Néo‑Brunswickois et aux Néo‑Brunswickoises d’assumer le coût des services de soins de longue durée offerts aux membres de leur famille et d’en assurer la prestation.

En application des programmes de Soins de longue durée et de Soutien à l’intention des personnes handicapées, le gouvernement aide les familles en évaluant le besoin en services et en donnant accès à ces services. Dans certains cas, le gouvernement aide à assumer le coût des services lorsque le client qui nécessite des soins de longue durée n’est pas financièrement en mesure de payer le coût en entier.

La Directive sur la contribution financière uniformisée des familles aux services de soins de longue durée énonce les conditions qui déterminent si un client est admissible à une aide pour les services de soins de longue durée non assurés qui ont été approuvés par le gouvernement.

Voici les éléments pris en compte :

•     Les clients qui selon leur revenu familial sont en mesure de payer les services de soins de longue durée non assurés qu’ils reçoivent doivent contribuer au paiement des services fournis ou, dans certains cas, assumer la totalité du paiement.

•     Les clients dont le revenu est égal ou inférieur à l’aide au revenu sont exemptés de contribuer au paiement des services de soins de longue durée non assurés.

•     Le montant de la contribution du client est fondé sur le revenu familial net (annexe A) et sur la composition familiale.

6.1. Admissibilité à une aide

Un employé du ministère des Services familiaux et communautaires ou du ministère de la Santé doit faire une évaluation pour déterminer l’admissibilité d’une personne aux services de soins de longue durée avant que cette personne puisse faire une demande d’aide gouvernementale. Cette personne doit également résider au Nouveau‑Brunswick et être de citoyenneté canadienne.

6.2. Services acquis

Les services acquis comprennent le soutien à domicile et les services fournis par les foyers de soins spéciaux, les résidences communautaires et les foyers de soins agréés par le ministère des Services familiaux et communautaires. Le coût de chaque service fourni sert à calculer le coût total du plan de services pour une famille.

L’aide financière s’applique au tarif gouvernemental approuvé pour les services, comme les taux horaires, les taux quotidiens, les plafonds de coût des services, etc. Aucune aide financière n’est octroyée pour les services qui ne sont pas approuvés par le ministère des Services familiaux et communautaires mais qu’une famille choisit d’acheter.

[…]

6.4. Responsabilité financière

Il incombe à la famille de payer la totalité du coût des services. L’octroi d’une aide peut seulement être autorisé une fois que l’on a fait une évaluation financière et évalué le niveau de contribution de la famille.

La contribution familiale mensuelle demandée pour les services est toujours déduite du coût mensuel des services du fournisseur de services avant que l’aide du gouvernement soit appliquée. Si le client n’utilise pas la totalité des services approuvés au cours d’un mois donné et que sa contribution mensuelle est plus élevée que le coût des services utilisés, il paie alors la totalité du coût des services du mois en question.

On entend par services approuvés les services qui, selon un employé autorisé du ministère des Services familiaux et communautaires, sont approuvés comme étant nécessaires pour répondre aux besoins du client en matière de services et qui se situent dans la gamme des tarifs approuvés par le gouvernement pour le service en question.

[…]

 

 

[4]              Ce sont les autorités néo-brunswickoises qui fixent le barême des services de soins de longue durée, et il dépend du niveau de soins nécessaire. Les foyers de soins spéciaux comme ceux qu’exploite l’appelante ne peuvent accueillir que des pensionnaires de niveau I et de niveau II. En 2001, le barème était de 1 095 $ pour le niveau I et de 2 068,33 $ pour le niveau II. L’aide financière est versée par chèques établis aux noms de l’exploitant du foyer et du bénéficiaire.

 

[5]              Le programme décrit plus tôt a vu le jour en 1995 et porte le nom de « modèle résidentiel ». Comme je l’ai déjà mentionné, ce programme relève de la Loi sur les services à la famille et de la Loi sur les foyers de soins, mais il relève aussi de la Loi sur la santé mentale du Nouveau‑Brunswick et il est géré par le ministère des Services familiaux et communautaires. Un groupe d’experts a été chargé de fixer un barème de paiement acceptable pour les exploitants des foyers, et ce, pour chaque niveau de bénéficiaires. Le groupe a tenu compte des frais liés à la nourriture, au logement et au personnel, ainsi que de l’inflation et des profits. La marge bénéficiaire qui résulte de l’exploitation d’un foyer de soins spéciaux dépend de nombreux facteurs, comme le fait que les exploitants ont une hypothèque à payer ou non ou s’ils vivent avec les bénéficiaires ou pas. Les foyers exploités dans le cadre du programme sont assimilés à des entreprises, de sorte que l’on s’attend à ce qu’ils réalisent un profit, mais le montant de celui-ci dépend de la manière dont chacun d'entre eux est géré.

 

[6]              L’appelante est infirmière, elle compte de nombreuses années d’expérience en hôpital et en foyer de soins. Vers 1986, elle a fait l’acquisition de la maison de Cedar Grove à Quispamsis et y a emménagé avec la personne qui, à l’époque, était son conjoint de fait et leurs enfants respectifs; le couple est aujourd’hui marié. Chacun avait des enfants issus d’un mariage antérieur. La maison est une habitation unifamiliale située au bord d’un lac, et elle a servi principalement de résidence familiale.

 

[7]              Au fil des ans, l’appelante s’est occupée de plus en plus d’aider des personnes dans le besoin et elle a commencé à exploiter des foyers de soins spéciaux. Le foyer Laura Manor a été acheté à la fin des années 1980. Il s’agissait d’une vieille pension de famille, haute de deux étages, qui avait besoin de réparations. Vers 1992, l’appelante a obtenu un permis d'exploitation du rez‑de‑chaussée. Elle a plus tard obtenu un permis pour accueillir quinze pensionnaires ayant besoin de soins spéciaux ou de longue durée. Il s’agissait de personnes souffrant de problèmes mentaux ou ayant besoin de soins palliatifs ou de longue durée; d’autres étaient toxicomanes. Le foyer Park Place pouvait accueillir dix pensionnaires.

 

[8]              Pendant toute la période en cause, l’appelante a géré le foyer Laura Manor et y a travaillé, et elle exécutait l’un des quarts de travail au foyer Park Place; elle travaillait également comme infirmière occasionnelle ou à temps partiel.

 

[9]              Le foyer Laura Manor était doté d’une cuisine, d’une salle à dîner et de quatre chambres à coucher au rez‑de‑chaussée, de six chambres à coucher et d’un bureau au premier étage et de huit chambres à coucher au second. Au fil des ans, l’appelante a dû passer de plus en plus de temps au foyer Laura Manor et au foyer Park Place pour y donner un coup de main et assurer la gestion de ceux-ci. À l’automne de 1997, son époux et elle ont installé leurs vêtements, leurs livres et d’autres objets personnels dans une chambre située au premier étage du foyer Laura Manor. Il s’agissait d’une pièce relativement grande qu’ils utilisaient à la fois comme lieu de séjour et comme bureau dans lequel les renseignements confidentiels sur les pensionnaires, de même que les médicaments ou les provisions de tabac de ces derniers étaient tenus sous clé.

 

[10]         L’appelante a déclaré qu’au cours des années pertinentes, elle a vécu au foyer Laura Manor en compagnie de son époux. Sa belle‑fille, le petit ami de celle-ci et leur enfant occupaient une chambre, et son beau‑fils en occupait une autre. Celui-ci a terminé ses études secondaires en juin 2001. Il s’est inscrit au Collège communautaire de Saint‑Jean et est devenu préposé agréé pour foyers de soins spéciaux en décembre 2002. L’appelante, son époux et les membres de la famille prenaient tous leurs repas au foyer Laura Manor en compagnie des pensionnaires.

 

[11]         Au cours des années pertinentes, la maison de Cedar Grove a été peu à peu abandonnée et a davantage servi de chalet. La famille tenait la maison en bon état, tondait la pelouse et s’y rendait la fin de semaine, l’hiver comme l’été, pour y faire du patinage et de la natation. La maison a aussi servi à remiser leur mobilier, quelques antiquités que la famille avait achetées et d’autres biens précieux qu’il fallait remiser à distance des pensionnaires du foyer Laura Manor. Aucune nourriture n’était conservée à la maison de Cedar Grove. Un peu de courrier y était encore livré car il était difficile d’empêcher le personnel et les pensionnaires d’ouvrir le courrier de l’appelante, surtout s’il s’agissait de chèques ou d’autres effets importants.

 

[12]         À la fin de 1999, l’appelante a été informée par son comptable de l’existence d’une disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), soit l’alinéa 81(1)h), qui, dans certaines circonstances, exonère d’impôt le revenu du contribuable. En voici le texte :

 

81(1) Sommes à exclure du revenu

 

[…]

 

h) Assistance sociale — la prestation d’assistance sociale, sauf une prestation visée par règlement, qui est habituellement payée à un particulier, à l’exclusion d’une fiducie, dans le cadre d’un programme prévu par une loi fédérale ou provinciale, après examen des ressources, de besoins et du revenu — dans la mesure où il la reçoit, directement ou indirectement, au profit d’un autre particulier, à l’exception de son époux ou conjoint de fait ou d’une personne qui lui est liée ou qui est liée à son époux ou conjoint de fait — si, à la fois :

 

(i) aucune allocation familiale en vertu de la Loi sur les allocations familiales, ou une allocation semblable en vertu d’un texte législatif provincial qui prévoit le versement d’une allocation semblable à celle prévue par cette loi, n’est payable à l’égard de l’autre particulier pour la période pour laquelle la prestation d’assistance sociale est payée,

 

(ii) l’autre particulier habite au lieu principal de résidence du contribuable, ou ce lieu est maintenu pour que ce particulier l’utilise à titre résidentiel tout au long de la période visée au sous‑alinéa (i);

 

[13]         En conséquence, l’appelante a consigné séparément les montants relatifs au revenus du foyer Laura Manor qu’elle recevait des pensionnaires et ceux qu’elle recevait des autorités du Nouveau‑Brunswick, et elle a ventilé les dépenses en conséquence. C’est ainsi que seuls les montants reçus des pensionnaires ont été déclarés à titre de revenu, et de ce revenu a été déduit la part appropriée des dépenses. L’appelante n’a pas déclaré le revenu reçu du programme gouvernemental. Les formulaires T2124 joints aux déclarations de revenus de l’appelante pour 2001 et 2002 indiquent effectivement qu’une part de son revenu est exonérée et cette part est indiquée nette des dépenses connexes.

 

[14]         La question est donc la suivante : le revenu ou les paiements que l’appelante a reçus des autorités néo-brunswickoises constituaient-ils un revenu exonéré d’impôt au titre de l’alinéa 81(1)h) de la Loi? L’intimée soutient que la nature des paiements ne correspond pas à l’objet de l’alinéa 81(1)h) de la Loi et que cette disposition n'est donc pas applicable. Elle soutient qu’il ne s’agit pas de prestations d’assistance sociale normalement payées dans le cadre d’un programme prévu par une loi fédérale ou provinciale, après examen des ressources, des besoins et du revenu, que le foyer Laura Manor n’était pas, durant les années en cause, le principal lieu de résidence de l’appelante et que les prestations ne peuvent donc pas être considérées comme un revenu exonéré.

 

[15]         À l’appui de sa décision, l’intimée cite la décision rendue par la présente Cour dans l’affaire Saulniers v. Minister of National Revenue, [1997] 2 C.T.C. 3033. Dans cette affaire, la contribuable exploitait à partir d’un foyer résidentiel une entreprise assurant des soins à des personnes âgées et handicapées; les frais mensuels étaient  de 700 $ par personne pour la nourriture et le logement. Parmi les neuf personnes dont elle s'occupait, sept payaient à partir de leurs prestations de la Sécurité de la vieillesse, tandis que les deux autres recevaient des prestations d’assistance sociale. Le ministre a inclus les gains nets de 35 404 $ en 1993 et de 41 975 $ en 1994 à titre de revenu imposable tiré de l’exploitation d’une entreprise. La Cour a conclu que l’exonération prévue à l’alinéa 81(1)h) n’étaient pas applicables pas parce que cette disposition est très restrictive et que, même son sens n'était pas très clair, sa formulation n'exonérait pas d’impôt l'entreprise qui déclarait le revenu susmentionné et n'écartait pas le paragraphe 9(1) de la Loi, qui impose ce type de revenu.

 

[16]         Dans une autre décision de la Cour, soit Anderson v. R., [2001] 4 C.T.C. 2837, le juge O’Connor s'est exprimé sur les deux premières exigences de l’alinéa 81(1)h) aux paragraphes 6, 7, 8 et 9 :

 

Il y a deux exigences distinctes :

 

a)      le paiement doit représenter une prestation d’assistance sociale;

b)      le paiement doit être versé dans le cadre d’un programme prévu par une loi provinciale.

 

Les deux exigences soulèvent la même question : les appelants ont‑ils reçu une allocation journalière parce qu'ils avaient le droit en vertu de la loi d'être payés ou l'indemnité quotidienne constituait‑elle plutôt une contrepartie due en vertu des conditions d'un contrat? L'avocat de l'intimée a laissé savoir que le ministre acceptait, de façon administrative, qu'un organisme à but non lucratif ait essentiellement le même statut que celui du gouvernement. Ainsi, un paiement versé directement par un tel organisme à un parent de foyer d'accueil est comparable à celui versé par un gouvernement, mais le ministre n'a jamais étendu ce traitement aux paiements versés par une entité à but lucratif. On a fait référence aux Nouvelles techniques de l'impôt sur le revenu no 17, du 26 avril 1999. On soutient que le droit d'une personne à une prestation d'assistance sociale ou à un paiement dans le cadre d'un programme est un droit créé par la loi particulière qui prévoit le paiement. Ce paiement n'est pas versé à titre de contrepartie pour un bien ou un service. Les appelants, par contre, n'ont pas un droit prévu par la loi à être payé. Ils n'ont qu'un droit contractuel d'être payés et ce paiement est versé en contrepartie des services rendus.

 

Dans l'affaire Storey Group Homes Ltd. c. Le ministre du Revenu national, C.C.I., n90‑1037(UI), 27 août 1991 (92 DTC 1295), l'appelante était une société qui offrait des services de foyer d'accueil dans des maisons dotées en personnel de parents de foyers collectifs. Les parents remplissaient des fonctions semblables à celles des présents appelants. La société recevait presque tout son revenu de différentes sociétés d'aide à l'enfance. La société a soutenu que l'argent qu'elle recevait des sociétés d'aide à l'enfance constituait des prestations d'assistance sociale et que le montant n'était pas imposable. Malgré le fait que l'intimée ait admis ce point, le juge Bonner, C.C.I., a exprimé de sérieuses réserves quant à savoir si ces paiements constituaient des prestations d'assistance sociale et a refusé de formuler une telle conclusion. Sa conclusion sur l'attribut fiscal des paiements était la suivante :

 

[...] Les montants reçus par l'appelante l'ont été à titre de recettes ordinaires de son entreprise conformément aux contrats la liant aux diverses sociétés d'aide à l'enfance. Ces montants n'ont pas été, à mon avis, reçus à titre de prestations d'assistance sociale. [...]

 

La décision rendue dans l'affaire Saulniers c. Sa Majesté la Reine, [1996] A.C.I. n1298 était fondée également sur une distinction établie entre un montant versé découlant d'un droit et un montant gagné en vertu d'un contrat. La Cour était d'avis que l'alinéa 81(1)h) n'a jamais eu pour objet d'exonérer d'impôt un revenu gagné par une personne qui exploitait une entreprise à profit.

 

En l'espèce, les appelants exploitent une entreprise à profit et, selon la preuve, ils comptent sur leur revenu provenant de ASH pour gagner leur vie. À cet égard, ils ne sont pas bien différents des enseignants, des travailleurs sociaux ou des pompiers. [On pourrait ajouter le clergé, les médecins et les infirmières.] Les personnes exerçant chacune de ces professions rendent des services importants à la société et le font souvent pour des raisons autres que pour faire de l'argent. Néanmoins, chacune de ces personnes est imposée sur ses gains parce que sa profession représente une source de revenu.

 

[17]         En ce qui concerne les ressources, les besoins et le revenu, le juge O’Connor a fait les observations suivantes au paragraphe 10 de sa décision :

 

En vertu de l'alinéa 81(1)h), pour être exclus du calcul du revenu, les paiements en question doivent avoir été effectués après examen des ressources, des besoins et du revenu. Ainsi, une personne n'a le droit de recevoir le paiement que si ses ressources, ses besoins et son revenu entrent dans le cadre des paramètres établis par la loi. En l'espèce, ni le droit des appelants à être payés ni le montant du paiement ne dépendaient des ressources, des besoins ou du revenu. Au contraire, les appelants avaient un droit contractuel de recevoir une allocation journalière particulière, quels que soient leurs ressources, leurs besoins ou leur revenu ou ceux des enfants placés sous la charge de ASH.

 

[18]         L’appelante détient un permis des autorités néo-brunswickoises pour exploiter un foyer de soins spéciaux accueillant des bénéficiaires de niveau I et de niveau II et pour facturer selon le barême qui est fixé par la province pour chaque niveau. Dans le cadre de sa stratégie de soins de longue durée, les autorités néo-brunswickoises aident les familles en évaluant leurs besoins en services et en leur donnant accès à ces derniers. La Directive (pièce A‑1) dispose toutefois qu’il incombe aux Néo‑Brunswickois et aux Néo‑Brunswickoises de fournir des services de soins de longue durée aux membres de leur famille et d’en assumer le coût. Lorsqu’un membre de la famille est considéré par la province comme admissible aux services de soins de longue durée et qu'il n’a pas les moyens d’en assumer le coût, il peut demander une aide financière gouvernementale. Une évaluation financière est ensuite effectuée afin que soit fixé le montant de l’aide financière qui sera accordée pour les services que fournit un foyer de soins de longue durée autorisé par permis. L’octroi d’une aide financière par la province est une mesure discrétionnaire, et elle sert à payer les services de soins de longue durée dont le bénéficiaire a besoin.

 

[19]         Le fait que l’aide financière soit payable à la fois au requérant et au fournisseur des services des soins de longue durée (comme c’est le cas en l’espèce) ne transforme pas le paiement en une prestation d’assistance sociale que reçoit le fournisseur (en l’occurrence l’appelante) au profit du requérant. Les services de soins de longue durée sont fournis aux bénéficiaires, qu’ils reçoivent une aide ou non, en échange du paiement du tarif fixé par la province, et les services sont de nature purement contractuelle. L’appelante est prestataire de services de soins de longue durée, et les bénéficiaires achètent ces services selon les barèmes que fixent les autorités provinciales. Le fait que certains bénéficiaires soient admissibles à une aide financière n'a aucune incidence sur la nature contractuelle des services en question, pas plus qu’il ne transforme l’aide financière en une prestation d’assistance sociale versée à l’exploitant du foyer pour le compte du bénéficiaire.

 

[20]         Le barème est fixé par les autorités provinciales, mais c’est l’appelante qui paie, indépendamment de la provenance des fonds. À mon avis, l’alinéa 81(1)h) n’est pas applicable en l'espèce, et les paiements ne constituent pas un revenu exonéré.

 

[21]         Cette conclusion suffit pour trancher l’appel. La preuve concernant la question de savoir si le foyer Laura Manor était le lieu de résidence principal de l’appelante en 2001 et en 2002 est fastidieuse, mais je vais néanmoins analyser cette question.

 

[22]         La fille de l’appelante et deux des enfants de l’époux de l’appelante ont confirmé que cette dernière, son époux et deux enfants ont tous vécu au foyer Laura Manor durant les années d’imposition applicables. Brian Gallant (le beau‑fils de l’appelante) était étudiant et il a vécu au foyer Laura Manor en 2001 et en 2002. Il a aussi travaillé à cet endroit à l’époque où il était étudiant et il y travaille encore. Il considérait le foyer Laura Manor comme le domicile de ses parents. Ceux‑ci y avaient une grande chambre à coucher, et tous leurs vêtements s’y trouvaient. Ils prenaient leurs repas au foyer et passaient la nuit à cet endroit. Brian Gallant n’a jamais vécu dans la maison de Cedar Grove, mais il a convenu que l’appelante et son époux ont vécu là pendant un certain temps. Au cours des années 2001 et 2002, l’appelante et son époux n'allaient pas très souvent à la maison de Cedar Grove, et quand ils le faisaient, c’était simplement pour vérifier si tout était en ordre. Lui‑même s’y rendait parfois l’été, pour aller nager. Quand il recevait des amis, c’était au foyer Laura Manor, et c’est là aussi qu’il recevait ses appels téléphoniques. Son père le conduisait à l’école tous les jours.

 

[23]         Jonathan Gallant est lui aussi le beau‑fils de l’appelante. Il ne vivait pas au foyer Laura Manor en 2001 et en 2002. Il avait son propre logement dans l’un des immeubles à appartements de l’appelante et il en était le concierge. Il s’occupait aussi des travaux d’entretien et de réparation aux foyers Laura Manor et Park Place et il tondait le gazon à la maison de Cedar Grove. Il était de quart la nuit et faisait régulièrement des travaux d’entretien au foyer Laura Manor; il a confirmé que son père et l’appelante vivaient au foyer Laura Manor dans la grande chambre à coucher et que tous deux y passaient la nuit, sauf quand l’appelante travaillait de nuit. Il a confirmé que la maison de Cedar Grove avait été au départ leur maison mais qu’ils y avaient passé fort peu de temps en 2001 et 2002 et que, lorsqu’ils s’y rendaient, c’était pour y faire des travaux d’entretien.

 

[24]         Kimberly Ernst est la fille de l’appelante. Sa mère, a‑t‑elle dit, est un bourreau de travail. En 2001 et en 2002, Kimberly passait beaucoup de temps au foyer Laura Manor pour y travailler, mais aussi pour tenir compagnie à sa demi‑sœur. Elle a qualifié le foyer Laura Manor d'entreprise familiale dans laquelle les membres de la famille travaillaient, et elle a ajouté qu’ils considéraient cet endroit comme le domicile familial. Lorsque sa mère partait en vacances, Kimberley s’installait au foyer Laura Manor dans la chambre de sa mère, au premier étage. Tous les effets personnels de cette dernière s’y trouvaient, comme des vêtements, des bigoudis, des photographies, des dossiers, un poste de télévision et un ordinateur. Le linge de sa mère était lavé au foyer Laura Manor. C’est là aussi que les membres de la famille se réunissaient à Noël. En 2001, Kimberly tenait la comptabilité, s’occupait de la paye et convertissait celle‑ci électroniquement. Elle tenait compte des revenus et des dépenses, car sa mère avait un horaire très chargé.

 

[25]         À l’époque où Kimberly était en 5e année, la famille vivait à la maison de Cedar Grove et tous leurs biens s’y trouvaient; cela a duré jusqu’à l’achat du foyer Laura Manor. Elle est partie pour Moncton pendant un an à la fin des années 1990 et, à son retour, elle s’est installée dans un appartement situé à un coin de rue du foyer. En 2001 et en 2002, c’étaient des voisins de la maison de Cedar Grove qui veillaient sur les lieux, car la meilleure amie de Kimberly vivait juste à côté. La maison de Cedar Grove servait de lieu d'entreposage et la famille ne s’y rendait que pour aller nager de temps à autre. Seules les affaires confidentielles étaient menées à la maison de Cedar Grove et une partie du courrier y était livrée, là aussi pour des raisons de confidentialité. Ce courrier était ramassé une fois par semaine.

 

[26]         Zarina Szezendor vit en face du foyer Laura Manor, et elle est une amie de l’un des enfants. Elle a passé un certain temps au foyer Laura Manor à titre d’employée jusqu’en 1999 et elle a souvent rendu visite à son amie au fil des ans. Elle pense que l’appelante vivait au foyer Laura Manor dans la grande chambre à coucher du premier étage et qu’elle y a passé la nuit pendant toute la période en cause. Elle n’a jamais entendu parler de la maison de Cedar Grove et n’était pas au courant que l’appelante pouvait être propriétaire d’une autre maison. Elle avait effectivement remarqué que du courrier était livré au foyer Laura Manor.

 

[27]         Bruce Arsenault est un ami de la famille, et il vit à trois coins de rue du foyer Laura Manor. Il se rendait là régulièrement et pour diverses raisons, comme jouer le rôle du Père Noël à Noël. Il est un ami de l’époux de l’appelante et il passait du temps avec lui à regarder la télévision et à faire quelques travaux autour de la maison. En 2001 et en 2002, l’appelante et son époux vivaient au foyer Laura Manor et occupaient la chambre du premier étage, où ils passaient la nuit. Il a confirmé cela en disant que c’était là où les deux se trouvaient quand il s’en allait et que c’était là où les deux se trouvaient le lendemain matin quand il revenait. Il connaissait bien la maison de Cedar Grove et y était allé à trois ou quatre reprises. La maison était considérée comme un endroit où aller l’été et où faire des barbecues; ils y allaient aussi pour les travaux d’entretien réguliers. Il n’y avait pas de nourriture dans le réfrigérateur et l’endroit avait l’air inhabité et sentait le refermé.

 

[28]         William McIllwraith vit non loin de la maison de Cedar Grove, à trois maisons de là et de l’autre côté de la rue. De chez lui, il peut voir le numéro 45, Cedar Grove. Il connaît l’appelante et son époux depuis plus de vingt ans. Ces deux derniers y ont emménagé avec leurs trois enfants et ont fréquenté les réunions et les fêtes du quartier. À la fin des années 1990 ou au début des années 2000, la famille a déménagé au foyer Laura Manor, à Saint‑Jean (Nouveau‑Brunswick). La plupart des voisins leur ont dit qu’ils gâchaient leur vie. En 2001, en 2002 et même après cela, ils n’ont plus vécu au 45, Cedar Grove. Ils s’y présentaient de temps à autre, durant l’été. L’entrée n’était souvent pas déneigée l’hiver et la pelouse n’était pas tondue aussi souvent qu’auparavant. La maison n’était jamais éclairée le soir, et seule une lampe, à l’entrée avant, restait allumée. S’il avait besoin de les appeler, il téléphonait au foyer Laura Manor. C’est également à cet endroit qu’il leur rendait visite. L’époux de l’appelante venait chercher le courrier à la maison de Cedar Grove et s’arrêtait parfois pour prendre un café.

 

[29]         Bonnie Snodgrass est une ancienne employée qui a commencé à travailler au foyer Laura Manor en 1998 ou 1999, à titre de préposée aux soins spéciaux. Elle n’était pas sûre de la date exacte à laquelle elle avait quitté le foyer Laura Manor et a déclaré ne pas y avoir travaillé en 2001 et en 2002; elle a plus tard dit qu’elle était peut‑être partie dans les premiers mois de l’année 2001. Elle a reconnu que l’appelante et son époux se rendaient au 45, Cedar Grove, mais sans savoir à quelle fréquence, sinon pour dire qu’ils s’y rendaient quand ils avaient un moment de répit. Elle n’a pas pu dire si, avant 2001, l’appelante passait la nuit au foyer Laura Manor, pas plus qu’elle ne savait si le lavage de l’appelante était fait à cet endroit.

 

[30]         La vérification de l’ARC a eu lieu en août 2003. Tanya McKinney est la vérificatrice qui a fait ce travail. Elle a rendu visite à l’appelante au foyer Laura Manor et, lorsqu’elle est entrée dans les lieux, une pensionnaire âgée a accueilli l’appelante en disant qu’elle ne l’avait pas vue depuis un certain temps. Cette personne âgée n’a pas été citée à témoigner. La vérificatrice a pu voir la chambre qu’occupait l’appelante. Elle a dit n’y avoir vu aucun signe que l’appelante y habitait peut‑être. L’époux de l’appelante vivait au 45, Cedar Grove à ce moment‑là, et c’était parce qu’il était malade. La vérificatrice s’est également rendue au 45, Cedar Grove en compagnie de l’appelante, car c’était à cet endroit qu’elle conservait ses antiquités. Elle a remarqué que l’appelante vivait très à l’aise.

 

[31]         La vérificatrice a examiné la comptabilité de l’appelante et a relevé un certain nombre d’anomalies, comme des dépenses déclarées deux fois ou parfois plus, ou des billets déclarés comme une dépense mais qui avaient peut‑être été utilisés pour des membres de la famille. La vérificatrice a soupçonné qu’il y avait peut‑être eu aussi d’autres anomalies, mais elle n’a pas pu trouver une preuve fiable qui confirmait ses soupçons. Ce qu’elle a vu lors de sa visite à la maison de Cedar Grove l’a amenée, à juste titre, à croire que l’appelante résidait peut‑être à cette adresse‑là et qu’elle commettait peut‑être une fraude.

 

[32]         Le dossier de l’appelante a été envoyé à l’unité des enquêtes en vue d’éventuelles accusations pénales, mais aucune accusation n’a été portée à quelque moment que ce soit contre elle. En mars 2004, un enquêteur de l’ARC s’est rendu en automobile jusqu’aux différentes maisons et a pris des photographies. Il est passé devant le 45, Cedar Grove à quelques reprises au printemps de 2004 et a constaté que des voitures y étaient garées, mais c’était surtout la fin de semaine; il n’a pas pu dire s’il s’agissait toujours des mêmes véhicules. Il a toutefois confirmé que le comptable de l’appelante était celui qui avait informé celle-ci de l’existence de l’article 81 de la Loi et de son application dans la présente affaire.

 

[33]         Enfin, il ressort de la preuve qu’au cours des deux années d’imposition en question, l’appelante a obtenu un crédit d’impôt applicable aux résidences pour la maison de Cedar Grove plutôt que pour le foyer Laura Manor, et que l’assurance concernant la maison de Cedar Grove n’a pas été changée par rapport aux années précédant 2001 et 2002; toutefois, on ne sait pas quel type d’assurance couvre réellement la maison de Cedar Grove.

 

[34]         Il ne fait aucun doute qu’en ce qui concerne ce dernier point la position de l’appelante est contradictoire, et la preuve n’indique pas clairement pourquoi, à part le fait de tirer avantage de la situation, l’appelante n’a pas informé les autorités néo-brunswickoises que la maison de Cedar Grove n’était plus son lieu de résidence principal en 2001 et 2002. Aux fins de l’alinéa 81(1)h) de la Loi, la détermination du lieu de résidence principal d’une personne fait l'objet d'une analyse dans le numéro 31, daté du 23 juin 2004, d’un document intitulé « Nouvelles techniques – Impôt sur le revenu »; en voici le texte :

 

Le Bénéficiaire doit habiter au « lieu principal de résidence » du Particulier, ou ce lieu doit être maintenu pour que le Bénéficiaire l’utilise à titre résidentiel tout au long de la période pour laquelle le paiement est fait.

 

Le « lieu principal de résidence » d’un Particulier est l’endroit où il vit régulièrement, normalement ou habituellement. À notre avis, l’endroit où le Particulier dort normalement est un facteur important lorsque vient le temps de procéder à cette détermination. D’autres facteurs importants comprennent l’endroit où se trouvent les possessions du Particulier, l’endroit où le Particulier reçoit son courrier et l’endroit où réside la famille immédiate du Particulier, y compris son époux ou épouse ou son conjoint de fait et ses enfants.

 

On ne rencontre pas l’exigence du « lieu principal de résidence » lorsque le Particulier et le Bénéficiaire ne partagent pas les espaces communs d’une résidence. Ces espaces communs comprennent la cuisine, la salle de séjour, la salle à dîner, la salle familiale et les entrées de la résidence […]

 

[35]         J’ai reproduit un sommaire du témoignage de tous les témoins qui ont été appelés à s’exprimer sur cette question et, malgré quelques contradictions et quelques différences relevées dans les diverses versions, je conclus que le témoignage de William McIllwraith est digne de foi car il est le seul témoin indépendant à avoir corroboré la position de l’appelante, à savoir qu’au cours des deux années en question la maison de Cedar Grove n’était plus le lieu de résidence principal de l’appelante. Celle-ci a donc établi ce fait selon la prépondérance des probabilités.

 

[36]         L’appel est rejeté avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de mars 2009.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de juin 2009.

 

 

 

François Brunet, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 91

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2006‑3534(IT)G

 

INTITULÉ :                                       Sandra Gallant et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Fredericton (Nouveau‑Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 23 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 6 mars 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me W.S. Reid Chedore

Avocat de l’intimée :

Me David Besler

 

AVOCATS INSCRITS AU
DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                      Me W.S. Reid Chedore

 

                          Cabinet :                  Mosher Chedore

                                                          Saint‑Jean (Nouveau‑Brunswick)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.