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Dossier : 2008‑3470(IT)I

ENTRE :

SCOTT PHILLIPS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 18 mars 2009, à Calgary (Alberta)

 

Devant : l’honorable juge G. A. Sheridan

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

 

 

Avocate de l’intimée :

Valerie Meier

 

JUGEMENT

 

Conformément aux motifs du jugement ci‑joints, l’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2006 est accueilli, et la nouvelle cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation pour les motifs suivants :

 

1.       l’appelant a le droit de déduire des frais de location de voiture de 290,55 $;

2.       et des frais de 29,57 $ pour la construction de la rampe.

 

Les droits de dépôt de 100 $ payés par l’appelant lui seront remboursés.

 

 

 

 

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 9 e jour d’avril 2009.

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de septembre 2009.

 

Linda Brisebois, LL.B.


 

 

 

Référence : 2009CCI163

Date : 20090409

Dossier : 2008‑3470(IT)I

ENTRE :

SCOTT PHILLIPS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Sheridan

 

[1]     En 2006, l’appelant, Scott Phillips, a déménagé de l’Ontario à Airdrie en Alberta pour aller occuper un nouvel emploi. Certaines déductions refusées par le ministre du Revenu national au motif qu’elles ne constituent pas des « frais de déménagement » au sens des paragraphes 62(1) et (3) de la Loi de l’impôt sur le revenu sont en cause :

 

1.       5 000 $ pour une commission liée à l’achat d’une nouvelle résidence;

 

2.       290,55 $ pour la location d’une voiture du 6 au 10 mai;

 

3.       29,57 $ pour des matériaux ayant servi à construire une rampe pour débarquer un avion de loisirs d’un fourgon de déménagement.

 

La commission payable à l’agent immobilier

 

[2]     Lorsque l’appelant s’est installé en Alberta en 2006, la province connaissait une période d’expansion immobilière sans précédent. L’appelant s’est trouvé dans un marché favorable aux vendeurs. Le vendeur de l’immeuble qu’il a acheté à Airdrie ne l’avait pas inscrit auprès d’un agent; en conséquence, l’appelant s’est trouvé à payer, de sa poche, des honoraires à son agent immobilier pour des services qui, normalement, auraient été supportés par le vendeur au titre de sa commission à l’agent chargé de la vente.

 

[3]     L’appelant soutient que, dans les circonstances inhabituelles de sa situation, le paragraphe 62(3) de la Loi doit recevoir une interprétation large de manière à permettre la déduction des honoraires qu’il a payés à son agent immobilier. L’alinéa 62(3)f) est la disposition applicable :

 

Frais de déménagement

(3) Pour l’application du paragraphe (1), sont comprises dans les frais de déménagement toutes dépenses engagées au titre :

 

[…]

 

f) lorsque le contribuable ou son époux ou conjoint de fait vend l’ancienne résidence par suite du déménagement, des frais, pour le contribuable, à l’égard des services juridiques relatifs à l’achat de la nouvelle résidence et des impôts, frais, droits et taxes (sauf toute taxe sur les produits et services ou taxe à la valeur ajoutée) applicables au transfert ou à l’enregistrement du droit de propriété de cette résidence;

 

[…]

 

il est toutefois entendu que le terme ne vise pas les frais (autres que les frais visés à l’alinéa f)) engagés par le contribuable pour l’acquisition de sa nouvelle résidence.

 

[4]     Le paragraphe 62(1) prévoit en termes généraux la déduction par le contribuable des « sommes qu’il a payées au titre des frais de déménagement ». Le paragraphe 62(3) définit le terme « frais de déménagement » comme les frais dans lesquels sont comprises toutes dépenses engagées au titre des éléments énumérées dans la disposition; l’emploi du mot « comprises » signifie que la liste n’est pas exhaustive[1]. Cependant, le paragraphe 62(3) in fine écarte expressément de la définition de « frais de déménagement », « les frais (autres que les vrais visés à l’alinéa f)) engagés par le contribuable pour l’acquisition de sa nouvelle résidence ».

 

[5]     Les honoraires de 5 000 $ payés par l’appelant à son agent immobilier ne peuvent être assimilés à des « services juridiques » ou à « des impôts, frais, droits et taxes […] applicables au transfert ou à l’enregistrement du droit de propriété de cette résidence » suivant l’alinéa f: il doit donc s’agir de coûts engagés « pour l’acquisition de sa nouvelle résidence ». À ce titre, ils sont clairement visés par la l’exclusion prévue au paragraphe 62(3) et le ministre a eu raison de les refuser.

 

Les frais de location d’une voiture

 

[6]     L’appelant était propriétaire d’une voiture en Ontario avant son déménagement de 2006. Il a pensé la conduire ou la faire transporter en Alberta. Apprenant que le coût du transport avoisinerait 1 500 $[2], il a trouvé plus judicieux de la vendre et d’en acheter une nouvelle en Alberta. À son arrivée, il a loué une voiture à l’aéroport de Calgary, qu’il a conduite jusqu’à Airdrie pour commencer son nouvel emploi. Il s’est immédiatement mis à la recherche d’une voiture pour remplacer celle qu’il avait vendue en Ontario; cinq jours plus tard, il a acquis et enregistré une voiture Saturn 1994 qu’il a payée 1 200 $[3]. Le coût de la location de la voiture utilisée entretemps a été de 290,55 $[4].

 

[7]     Le ministre a refusé la déduction pour la location de la voiture. L’appelant prétend qu’il n’aurait pas fait cette dépense s’il n’avait pas déménagé en Alberta. S’il avait conduit ou fait transporter le véhicule jusqu’en Alberta, il aurait pu en déduire les coûts afférents, lesquels auraient été dans les deux cas beaucoup plus élevés que les 290,55 $ pour la location. Il a plutôt choisi l’option la plus prudente sur le plan financier et, à son arrivée à l’aéroport de Calgary, il a entrepris sans délai d’acquérir un véhicule de remplacement.

 

[8]     L’avocate de l’intimée a fait valoir qu’une telle dépense ne constitue pas des « frais de déménagement », puisque le paragraphe 62(3) ne prévoit pas expressément  les coûts de location d’une voiture; une telle dépense ne correspond pas non plus au sens ordinaire de « frais de déménagement ».

 

[9]     Pour déterminer si le coût déduit par le contribuable satisfait au sens ordinaire de « frais de déménagement », le critère consiste à savoir si ce coût est « […] une conséquence directe du changement de résidence imposée par le changement d’emploi »[5]. N’eût été son déménagement de l’Ontario en Alberta,  l’appelant n’aurait pas eu à déplacer sa voiture en Alberta; plutôt que la faire transporter ou la conduire en Alberta, l’appelant a décidé très judicieusement de la remplacer. On ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il acquière un véhicule de remplacement à Airdrie, à quelque 31 kilomètres au Nord de Calgary, sans disposer d’un moyen de transport entretemps. Dès son arrivée en Alberta, il a entrepris de remplacer son ancien véhicule, ce qu’il a réussi à faire cinq jours plus tard. Dans de telles circonstances, les frais de 290,55 $ de location de voiture constituent des coûts raisonnables découlant directement du déménagement et sont donc déductibles.

 

La dépense relative à la rampe

 

[10]    L’appelant est propriétaire d’un avion de loisirs à deux places assez petit, selon son témoignage, pour avoir pu être construit dans sa salle de séjour. Les ailes  sont amovibles de manière à en faciliter le transport ou l’entreposage. Lors de son déménagement de l’Ontario, l’appelant a fait transporter l’avion par camion en Alberta. En Ontario, ses amis ont pu l’aider à soulever l’avion dans le camion de déménagement; en Alberta, étant seul, il ne pouvait compter que sur lui‑même. Ingénieux, l’appelant s’est rendu au parc à bois débités et a dépensé 29,57 $ pour acheter du bois, afin de construire une rampe et de lui permettre de débarquer ainsi l’avion du camion de déménagement et de le ranger dans son garage. Il l’y a entreposé (sans ses ailes) jusqu’à ce qu’il prenne d’autres dispositions à l’aéroport d’Airdrie.

 

[11]    Le ministre a refusé la déduction de 29,57 $ au motif qu’elle ne satisfait pas à la définition prévue à l’alinéa 62(3)b) :

 

Frais de déménagement

(3) Pour l’application du paragraphe (1), sont comprises dans les frais de déménagement toutes dépenses engagées au titre :

 

[…]

 

b) des frais de transport et d’entreposage des meubles du contribuable qui doivent être transportés de son ancienne résidence à sa nouvelle résidence;

 

[…]

 

[12]    L’appelant fait valoir que le coût des matériaux de la rampe doit être déductible, car, sans la rampe, il n’aurait pas pu parachever le transport de l’avion, de l’Ontario en Alberta. À l’appui de cette prétention, il a renvoyé la Cour au bulletin d’interprétation IT-178R3 qui donne parmi d’autres exemples de frais de déménagement admissibles les coûts afférents au transport d’objets tels que bateaux et remorques.

 

[13]    L’intimée a fait valoir que le coût de 29,57 $ ne peut être déduit conformément à la loi, car il ne s’agit pas des frais « de transport et d’entreposage » pour l’avion et que, par ailleurs, l’avion de l’appelant ne constitue pas un « meuble » au sens de l’alinéa 62(3)b). L’avocate de l’intimée a renvoyé la cour à la décision Yaeger v. Minister of National Revenue[6] dans laquelle était examinée la question de savoir si les coûts de la garde et du transport d’un cheval et d’une remorque, de l’Angleterre au Canada, pouvaient être déduits conformément au paragraphe 62(3). Concluant qu’il n’était pas raisonnable d’assimiler un cheval et une remorque à des « meubles »,  le juge en chef Couture a rejeté l’appel. Sa décision était en partie fondée sur la version française de l’alinéa 62(3)b), où le mot « meubles » (lequel se traduit par « furniture ») est employé pour rendre « household effects » [(employé dans la version anglaise)], et sur la proposition relative qui ajoute une explication à ce terme « […] qui doivent être transportés de son ancienne résidence dans sa nouvelle résidence ». La cour a conclu que [TRADUCTION] « […] personne n’utilise dans l’usage quotidien le mot “furniture” [meuble] pour parler d’animaux »[7]. En outre, le juge en chef Couture a traduit « transportés de son ancienne résidence dans sa nouvelle résidence »[8] comme si ces mots signifiaient [traduction] « transportés à  l’intérieur de la nouvelle résidence »; sur la foi de cette traduction, la cour a statué qu’une remorque ne pouvant être mise « à l’intérieur » d’une nouvelle résidence, elle n’était pas non plus visée par la disposition. [Non souligné dans l’original.]

 

[14]    Comme aucun animal n’est en cause en l’espèce, il ne reste plus qu’à examiner si la conclusion de la cour relativement à la remorque peut s’appliquer à l’avion. Je suis d’avis que non. Malgré les mots employés dans la version française de l’alinéa 62(3)b), en anglais, le sens ordinaire de « household effects » est plus large que si on avait simplement employé « furniture ». De plus, dans la version anglaise de l’alinéa 62(3)b), il est précisé « transporting […] to the new residence » [dont l’équivalent dans la version française est :  transportés […] à sa nouvelle résidence »] ce qui ne signifie pas nécessairement que tous les objets ménagers sont transportés à l’intérieur de la nouvelle maison.

 

[15]    J’accepte la description de l’avion par l’appelant : un petit avion ludique qu’il utilise pour ses loisirs personnels et qui est conçu avec des ailes amovibles pour faciliter son transport et son entreposage. L’avion ne diffère nullement, par sa catégorie, d’autres véhicules de loisirs comme les canots à moteur, les motoneiges ou les vélos, qui sont tous normalement considérés comme appartenant à la catégorie des meubles au sens du paragraphe 62(3). Cette interprétation concorde avec l’exemple du transport et de l’entreposage d’un bateau et d’une remorque cité dans IT‑178R3. De plus, « nouvelle résidence » doit s’entendre dans un sens large de manière à comprendre la maison et les lieux reliés comme le garage ou les remises de jardin.

 

[16]    Se pose ensuite la question de savoir si le coût de la rampe utilisée pour débarquer l’avion faisait partie des coûts de transport et d’entreposage. L’avocate de l’intimée a soutenu que, comme la rampe pouvait être conservée par l’appelant une fois le débarquement de l’avion terminé, il n’était pas raisonnable d’en relier le coût au déménagement. J’accorde, toutefois, la préférence à la qualification qu’en propose l’appelant selon laquelle la rampe est analogue aux boîtes de carton utilisées lors d’un déménagement. Leur coût constituerait certainement des frais de déménagement; le fait qu’elles puissent être réutilisées une fois vidées de leurs contenus ne les rend pas moins déductibles au sens de l’alinéa 62(3)b). Sans la rampe, l’appelant aurait été incapable de parachever le transport [de l’avion] jusqu’à sa nouvelle résidence, c’est‑à‑dire d’accomplir la dernière phase du voyage, du camion jusque dans le garage. La construction de la rampe faisait partie intégrante de l’opération permettant de transporter l’avion, et le coût de 29,57 $ faisait partie du coût total du transport. Le coût de la rampe est donc déductible.

 

[17]    L’appelant demande également d’être dispensé de payer l’intérêt exigé relativement aux montants refusés. Comme l’avocate de l’intimée le fait valoir à juste titre, la Cour canadienne de l’impôt n’a pas compétence pour accorder une telle dispense.

 

[18]    L’appel est accueilli et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l’appelant a droit aux déductions de 290,55 $ pour les frais de location d’une voiture et de 29,57 $ pour les coûts de construction de la rampe.

 

 

 

 

 

          Signé à Ottawa, Canada, 9e jour d’avril 2009.

 

 

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de septembre 2009.

 

Linda Brisebois, LL.B.

 


RÉFÉRENCE :                                  2009CCI163

 

N DU DOSSIER DE LA COUR :    2008-3470(IT)I

 

INTITULÉ :                                       Scott Phillips et sa Majesté La Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE:                    Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 18 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge G. A. Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 9 avril 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

 

 

Avocate de l’intimée :

Valerie Meier

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                     

                                                         

                          Cabinet :                 

                                                         

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Séguin c. Canada, 1997 CarswellNat 2392 (C.A.F.); [1998] 2 C.T.C. 13 (C.A.F.).

 

[2] Pièce A-5.

 

[3] Pièce A-2.

 

[4] Pièce A-1.

 

[5] Arrêt Séguin, précité, au paragraphe 10.

[6] [1986] 1 C.T.C. 2282 (C.C.I.).

 

[7] Yaeger, précité, à la page 2287.

 

[8] Yaeger, précité, au paragraphe 36.

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