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Dossier : 2007-4577(IT)I

ENTRE :

GINAUD DUPUIS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 6 août 2008, à Québec (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

 

Comparutions :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

 

Avocate de l'intimée :

Me Anne Poirier

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L'appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ») pour l'année d'imposition 2003 est accueilli, selon les motifs du jugement ci-joints, et la nouvelle cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l’appelant a droit à une déduction de 1 430,16 $ pour ses dépenses d’emploi et à une déduction de 3 389,07 $ à titre d’habitant de région éloignée. Les frais de dépôt de 100,00 $ seront remboursés à l’appelant.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour d’avril 2009.

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 220

Date : 20090423

Dossier : 2007-4577(IT)I

ENTRE :

GINAUD DUPUIS,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Tardif

 

[1]              Il s’agit d’un appel relatif à l’année d’imposition 2003.

 

[2]              Les questions en litige consistent à déterminer si :

 

a)     le ministre du Revenu national (le « ministre ») a correctement refusé la déduction de 1 430,16 $ pour autres dépenses d’emploi réclamée par l’appelant pour l’année d’imposition 2003;

 

b)    le ministre a correctement limité à 2 767 $ le montant de la déduction pour les habitants des régions éloignées.

 

[3]              L’appelant a manifestement pris son dossier très au sérieux; son avis d’appel comprend 34 pages, y compris une table des matières.

 

[4]              Bien que l’appelant ait déposé deux recueils de pièces regroupant 44 onglets, auxquels sont venus s’ajouter d’autres documents, la preuve est relativement simple à résumer.

 

[5]              Spécialiste en éducation, l’appelant disposait d’une expertise et d’un savoir intéressants pour la communauté des Cris et Naskapis de Mistissini; en 2003, il a été mis à contribution comme consultant pour la conception d’un projet‑pilote.

 

[6]              À la suite du mandat, le projet qu’il avait conçu a été accepté; dès lors, il s’est vu offrir un contrat de travail pour le mettre en oeuvre. La durée avait d’abord été fixée à deux ans. La durée du premier contrat était déterminée; par la suite l’appelant a eu droit à des renouvellements au point qu’il y a travaillé jusqu’en 2007.

 

[7]              Son contrat prévoyait qu’il pouvait résider sur place avec sa famille; les lieux offraient les services essentiels et habituels, à savoir une cuisinière, un réfrigérateur et quatre chambres à coucher.

 

[8]              Il s’agissait d’une résidence normale, ayant toutes les qualités habituelles, à l’exception toutefois qu’elle était située à un endroit très particulier, soit un territoire où seul le Conseil de bande avait compétence.

 

[9]              L’appelant, sa conjointe et leurs enfants y ont demeuré plusieurs années; pour l’appelant, il ne s’agissait pas là de son domicile ni de sa résidence, étant donné qu’il pouvait se faire expulser en tout temps, mais il y habitait pendant les congés et à la fin des périodes prévues par son contrat de travail.

 

[10]         En d’autres termes, l’appelant a expliqué que le logement qu’il avait occupé avec sa famille était octroyé temporairement par le Conseil de bande et était assujetti a de nombreuses conditions, auxquelles il n’était pas partie contractante; en conséquence, il était susceptible de perdre son droit d’habitation, ou plutôt ce privilège, en tout temps, sans préavis.

 

[11]         L’appelant a expliqué qu’il s’agissait là essentiellement d’une tolérance ou d’un privilège qui pouvait lui être retiré en tout temps. Il lui était légalement impossible d’envisager d’y établir une résidence permanente, en raison de l’empêchement légal découlant du contenu des divers traités intervenus entre les communautés autochtones et les gouvernements.

 

[12]          Ces traités prévoyaient que le territoire relevait de la compétence exclusive de la communauté autochtone; la présence de toute autre personne non autochtone constituait une sorte d’accommodement, un genre de privilège ou de tolérance accordé par le Conseil de bande. Le droit pouvait être révoqué en tout temps; de plus, il s’agissait d’un privilège temporaire et assujetti au bon vouloir du Conseil de bande.

 

[13]         En raison de cette particularité, l’appelant a affirmé qu’il n’y résidait pas, puisque la notion de résidence sous-entendait une certaine continuité ou, tout au moins, un certain contrôle quant à la résidence et une certaine autorité ou un minimum de droits à son égard; en d’autres termes, l’appelant a soutenu que son droit de résidant n’était pas celui d’un locataire, et encore moins d’un propriétaire. En fait, il ne s’agissait pas d’un quelconque droit, mais uniquement d’une tolérance.

 

[14]         Il était en quelque sorte à la merci d’une décision unilatérale du Conseil de bande. Pour l’appelant, la résidence sous-entend, d’une part, l’existence du droit dans sa plénitude et, d’autre part, la liberté et l’autonomie quant à la façon d’en jouir et quant à sa durée.

 

[15]         Bien que, selon l’appelant, il n’était ni domicilié ni résidant à la réserve, il a affirmé qu’il y vivait avec sa famille et vaquait à l’exécution du travail prévu par son contrat. De son côté, sa conjointe y travaillait de manière ponctuelle; elle a d’ailleurs reçu diverses rémunérations confirmées par des feuillets T‑4.

 

[16]         Tant l’appelant que sa conjointe revenaient à l’occasion dans la région de Bellechasse; ils y ont d’ailleurs fait l’acquisition d’une maison, qu’ils considéraient comme leur domicile, une sorte de port d’attache.

 

[17]         L’appelant a également fait la preuve qu’il avait bel et bien maintenu certains liens avec la région de Bellechasse (bail, achat d’un immeuble, assurance, compte en banque, etc.).

 

[18]         À plusieurs reprises, l’appelant a affirmé que si les lieux occupés avaient été à Baie‑Comeau ou à un autre endroit semblable, il n’aurait pas contesté la cotisation, puisqu’il se serait agi d’endroits où il aurait eu le droit, le pouvoir et la capacité de s’établir d’une manière permanente, soit en faisant l’acquisition d’un immeuble, soit en obtenant un bail lui garantissant stabilité et continuité. En d’autres termes, l’appelant a soutenu qu’à partir du moment où il aurait pu avoir la pleine autorité et le pouvoir sur ses faits et gestes quant aux lieux nécessaires pour vivre avec sa famille, il aurait accepté les conséquences fiscales de ses choix ou de ces décisions. La réalité avait cependant été tout autre.

 

[19]         Il a toutefois reconnu que l’endroit où il habitait avec sa famille à Mistissini constituait l’endroit où lui et sa famille avaient vécu, puisqu’ils y avaient mangé, dormi, et ainsi de suite, pendant des périodes longues et continues. Il a aussi reconnu avoir donné cette adresse quant à son droit aux prestations fiscales pour enfants.

 

[20]         Lors de la préparation de son appel, l’appelant a réuni tout ce qu’il pouvait trouver susceptible de valider son interprétation.

 

[21]         Il a insisté sur le fait que la cotisation aurait été justifiée si sa famille et lui avaient habité Baie‑Comeau ou ailleurs en région éloignée, à l’exception d’un territoire où une communauté autochtone a autorité.

 

[22]         En fait, le seul argument de l’appelant quant au bien‑fondé de son appel est qu’il s’agissait d’un territoire particulier où toute l’autorité était entre les mains d’un Conseil de bande.

 

[23]         L’entente conclue portait sur une période définie et générait des droits et des obligations pour les signataires, notamment quant à la rémunération et à la prestation de travail.

 

[24]         Les faits ont démontré que les parties étaient sans doute satisfaites de la situation, puisqu’elle a duré plusieurs années grâce à la reconduction du contrat de travail.

 

[25]         L’argument voulant que la cotisation aurait été bien fondée n’eût été la résidence permanente à Bellechasse est non recevable. S’il en était ainsi, une personne qui décide de garder sa résidence alors qu’elle réside ailleurs aurait un traitement fiscal différent de celle qui, pour des raisons pratiques ou financières, se départirait de sa résidence.

 

[26]         En l’espèce, la situation est toutefois différente, puisque l’appelant était assujetti à des conditions très particulières quant à sa résidence, sur lesquelles il n’avait ni compétence ni autorité, la résidence de Bellechasse devenant ainsi une sorte de garantie, une sorte de solution de rechange, une sorte de plan B essentiel, ou, tout au moins, une mesure sage et prudente eu égard au fait qu’il aurait pu se voir placé dans une situation très précaire.

 

[27]         De son côté, le ministre, pour établir et ratifier la cotisation, a tenu pour acquis les faits suivants:

 

a) l’appelant a travaillé pour la Commission scolaire Crie du mois d’août 2003 jusqu’en 2006;

 

b) la famille de l’appelant a habité le logement fourni pendant l’année scolaire;

 

c) la somme de 1 430 $ fut reçue par l’appelant en guise d’allocation pour le logement;

 

d) l’appelant s’est vu accorder 50 % des frais de transport réclamés au titre de « déduction pour les habitants des régions éloignées ».

 

[28]         Le ministre a ainsi refusé des déductions, soit l’autre 50 % des frais de transport mais aussi 1 430 $, au motif que ces montants figurent dans la case 14 du feuillet T‑4 à titre d’avantages. Il s’appuie aussi sur l’alinéa 6(1)a) de la Loi pour conclure à l’interdiction de la déduction, ajoutant que le paragraphe 6(6) ne s’applique pas. Pour la même année, l’appelant a aussi demandé la « déduction pour les habitants des régions éloignées » prévue à l’article 110.7 de la Loi. Le ministre semble occulter de son analyse tous les faits reliés aux particularités du territoire habité par l’appelant et sa famille.

 

Dispositions pertinentes

 

Article 6 de la Loi de l’impôt sur le revenu

 

Éléments à inclure à titre de revenu tiré d’une charge ou d’un emploi

 

(1) Sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi, ceux des éléments suivants qui sont applicables : Valeur des avantages

 

Emploi sur un chantier particulier ou en un endroit éloigné

 

(6) Malgré le paragraphe (1), un contribuable n’inclut, dans le calcul de son revenu tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi, aucun montant qu’il a reçu, ou dont il a joui, au titre, dans l’occupation ou en vertu de sa charge ou de son emploi et qui représente la valeur des frais — ou une allocation (n’excédant pas un montant raisonnable) se rapportant aux frais — qu’il a supportés pour :

 

a) sa pension et son logement, pendant une période donnée :

 

(i) soit sur un chantier particulier qui est un endroit où le travail accompli par lui était un travail de nature temporaire, alors qu’il tenait ailleurs et comme lieu principal de résidence, un établissement domestique autonome :

 

(A) d’une part, qui est resté à sa disposition pendant toute la période et qu’il n’a pas loué à une autre personne,

 

(B) d’autre part, où on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il retourne quotidiennement étant donné la distance entre l’établissement et le chantier,

 

(ii) soit à un endroit où on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il établisse et tienne un établissement domestique autonome, étant donné l’éloignement de cet endroit de toute agglomération,

 

si la période au cours de laquelle son travail l’a obligé à s’absenter de son lieu principal de résidence ou à être sur ce chantier ou à cet endroit était d’au moins 36 heures;

 

b) le transport, au titre d’une période visée à l’alinéa a) pendant laquelle il a reçu de son employeur la pension et le logement ou une allocation raisonnable au titre de la pension et du logement, entre :

 

(i) soit son lieu principal de résidence et le chantier particulier visés au sous-alinéa a)(i),

 

(ii) soit l’endroit mentionné au sous-alinéa a)(ii) et un endroit au Canada ou un endroit dans un pays où le contribuable est employé.

 

Article 110.7

 

Habitants des régions visées par règlement

 

110.7 (1) Le contribuable, étant un particulier, qui, tout au long d’une période (appelée « période admissible » au présent article) d’au moins six mois consécutifs commençant ou se terminant au cours d’une année d’imposition, réside dans une ou plusieurs régions — chacune étant, pour l’année, une zone nordique visée par règlement ou une zone intermédiaire visée par règlement — et qui en fait la demande pour l’année sur formulaire prescrit peut déduire les montants suivants dans le calcul de son revenu imposable pour l’année :

 

a) le total des montants représentant chacun le produit de la multiplication du pourcentage déterminé applicable à la région pour l’année où le contribuable y réside par le montant que le contribuable reçoit, ou la valeur d’un avantage qu’il reçoit ou dont il a joui, au cours de l’année en rapport avec l’emploi qu’il exerce dans la région auprès d’une personne avec laquelle il n’a aucun lien de dépendance, au titre des frais de déplacement engagés par le contribuable ou par un autre particulier qui est membre de sa maisonnée pendant la partie de l’année au cours de laquelle le contribuable réside dans la région, dans la mesure où, à la fois :

 

(i) ce montant ou cette valeur répond aux conditions suivantes :

 

(A) il ne dépasse pas le montant prescrit à l’égard du contribuable pour la période de l’année au cours de laquelle il réside dans la région,

 

(B) il est inclus, et n’est pas par ailleurs déduit, dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année ou pour une autre année d’imposition,

 

(C) il n’est pas inclus dans le calcul d’une déduction en application du paragraphe 118.2(1) pour l’année ou pour une autre année d’imposition,

 

(ii) les frais de déplacement concernent des voyages effectués au cours de l’année par le contribuable ou par un autre particulier qui est membre de sa maisonnée pendant la partie de l’année au cours de laquelle le contribuable réside dans la région;

(iii) ni le contribuable, ni un membre de sa maisonnée n’a, à aucun moment, droit à un remboursement ou à une forme d’aide (sauf un remboursement ou une aide dont le montant est inclus dans le calcul du revenu du contribuable ou du membre) relativement aux frais de déplacement auxquels le sous-alinéa (ii) s’applique;

b) le moins élevé des montants suivants :

(i) 20 % du revenu du contribuable pour l’année,

(ii) le total des montants représentant chacun le produit de la multiplication du pourcentage déterminé applicable à la région pour l’année où le contribuable y réside par le total des montants suivants :

(A) le produit de 7,50 $ par le nombre de jours de l’année compris dans la période admissible où le contribuable réside dans la région,

(B) le produit de 7,50 $ par le nombre de jours de l’année compris dans la partie de la période admissible tout au long de laquelle le contribuable tient et habite un établissement domestique autonome dans la région (sauf les jours déjà comptés dans le calcul de la déduction que demande, en application du présent alinéa, une autre personne qui habite alors cet établissement).

 

Pourcentage déterminé

 

(2) Pour l’application du paragraphe (1), le pourcentage déterminé applicable à une région pour une année d’imposition s’établit comme suit :

 

a) si la région est une zone nordique visée par règlement pour l’année, 100 %;

 

b) si la région est une zone intermédiaire visée par règlement pour l’année, 50 %. (Nos italiques)

 

Restriction

 

(3) Le total calculé selon l’alinéa (1)a) à l’égard d’un contribuable relativement aux frais de déplacement engagés au cours d’une année d’imposition au titre d’un particulier ne peut viser plus de deux voyages effectués par le particulier au cours de l’année, autres que des voyages effectués afin d’obtenir des services médicaux qui ne sont pas dispensés dans la localité où le contribuable réside.

 

Allocation pour pension et logement

 

(4) Le total déterminé selon le sous-alinéa (1)b)(ii) pour un contribuable pour une année d’imposition relativement à une région ne peut dépasser l’excédent du total déterminé par ailleurs selon ce sous-alinéa pour l’année relativement à la région sur la valeur de la pension et du logement du contribuable dans la région (ailleurs que sur un chantier visé à l’alinéa 67.1(2)e)), ou l’allocation pour les frais qu’il supporte à cet égard, qui, à la fois :

 

a) sans le sous-alinéa 6(6)a)(i), serait incluse dans le calcul de son revenu pour l’année;

 

b) peut raisonnablement être considérée comme attribuable à la partie de la période admissible comprise dans l’année et pendant laquelle il tient un établissement domestique autonome comme lieu principal de résidence dans une région qui n’est, pour l’année, ni une zone nordique visée par règlement, ni une zone intermédiaire visée par règlement.

 

Résidence unique

 

(5) Le particulier qui, un jour donné, réside dans plusieurs régions visées au paragraphe (1) est réputé, pour l’application de ce paragraphe, ne résider que dans une seule de ces régions ce jour-là.

 

[29]         Il est important de situer le territoire en cause, soit la région de Mistissini. L’appelant vivait-il avec sa famille dans une zone nordique ou intermédiaire? Pour répondre à cette question, il faut consulter les alinéas 7303.1(1)e) et 7303.1(2)f) du Règlement de l’impôt sur le revenu.

 

[30]         En vertu de ces dispositions, la zone habitée par l’appelant était soit nordique, soit intermédiaire; cette détermination est importante puisqu’elle permet d’attribuer le pourcentage approprié, soit 100 % ou 50 % respectivement, à la déduction disponible aux habitants des régions en question. L’alinéa 7303.1(1)e) établit la délimitation.

 

7303.1

 

 (1) Pour l’application de l’article 110.7 de la Loi, sont des zones nordiques pour une année d’imposition :

 

            […]

 

e) la partie du Québec sise :

 

(i) soit au nord de 51°05’ de latitude N.,

 

(ii) soit au nord du golfe du Saint-Laurent et à l’est de 63°00’ de longitude O.;

 

[31]         La zone intermédiaire est délimitée à l’alinéa 7303.1(2)f) :

 

(2) Pour l’application de l’article 110.7 de la Loi, sont des zones intermédiaires pour une année d’imposition les îles de la Reine-Charlotte, l’île d’Anticosti, les îles de la Madeleine et l’île de Sable, ainsi que les régions suivantes qui ne font pas partie d’une zone nordique visée au paragraphe (1) pour l’année :

 

[…]

 

f) la partie du Québec sise :

 

(i) soit au nord de 50°35’ de latitude N. et à l’ouest de 79°00’ de longitude O.,

 

(ii) soit au nord de 49°00’ de latitude N., à l’est de 79°00’ de longitude O. et à l’ouest de 74°00’ de longitude O.,

 

(iii) soit au nord de 50°00’ de latitude N., à l’est de 74°00’ de longitude O. et à l’ouest de 70°00’ de longitude O.,

 

(iv) soit au nord de 50°45’ de latitude N., à l’est de 70°00’ de longitude O. et à l’ouest de 65°30’ de longitude O.,

 

(v) soit au nord du golfe du Saint-Laurent, à l’est de 65°30’ de longitude O. et à l’ouest de 63°00’ de longitude O.

 

L’appelant a-t-il occupé un emploi sur un chantier particulier ou en un endroit éloigné et s’agissait-il d’un travail temporaire? 

 

[32]         Le ministre a refusé la déduction de 1 430 $ au motif que l’alinéa 6(6)a) ne s’applique pas; cet alinéa se lit comme suit :

 

(6) Malgré le paragraphe (1), un contribuable n’inclut, dans le calcul de son revenu tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi, aucun montant qu’il a reçu, ou dont il a joui, au titre, dans l’occupation ou en vertu de sa charge ou de son emploi et qui représente la valeur des frais — ou une allocation (n’excédant pas un montant raisonnable) se rapportant aux frais — qu’il a supportés pour :

 

a) sa pension et son logement, pendant une période donnée :

 

(i) soit sur un chantier particulier qui est un endroit où le travail accompli par lui était un travail de nature temporaire, alors qu’il tenait ailleurs et comme lieu principal de résidence, un établissement domestique autonome :

 

(A) d’une part, qui est resté à sa disposition pendant toute la période et qu’il n’a pas loué à une autre personne,

 

(B) d’autre part, où on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il retourne quotidiennement étant donné la distance entre l’établissement et le chantier,

 

(ii) soit à un endroit où on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il établisse et tienne un établissement domestique autonome, étant donné l’éloignement de cet endroit de toute agglomération,

 

si la période au cours de laquelle son travail l’a obligé à s’absenter de son lieu principal de résidence ou à être sur ce chantier ou à cet endroit était d’au moins 36 heures;

 

[33]         Le ministre soutient tout d’abord que le sous-alinéa (i) ne s’applique pas, étant donné que l’endroit du travail n’est pas un chantier particulier et, de plus, que le travail n’est pas de nature temporaire. Les termes « chantier particulier » et « endroit éloigné » ne sont pas définis par la Loi.

 

[34]         De façon générale, le logement, les repas et les dépenses de cette nature et essentielles à la vie quotidienne sont des dépenses de nature personnelle et, de ce fait, leur remboursement devrait être inclus dans le revenu à titre d’avantage imposable en vertu de l’alinéa 6(1)a) de la Loi.

 

[35]         Par contre, le paragraphe 6(6) de la Loi prévoit une exception lorsqu’on est en présence d’un chantier particulier. Pour que cette exception s'applique, le travail accompli par le contribuable doit être de nature temporaire.

 

[36]         Déterminer si un emploi est de nature temporaire est essentiellement une question de fait. Lorsque l’appréciation vise une période courte, dont le début et la fin sont connus, l’exercice est relativement facile à faire. Par contre, lorsqu’il s’agit d’analyser une situation qui s’est perpétuée au fil des ans, ou lorsqu’une courte durée a été reconduite, l’exercice est beaucoup plus délicat.

 

[37]         En réalité, tout est temporaire, y compris la vie. Temporaire au sens fiscal signifie ponctuel, de courte durée, dont le début et la fin sont connus. Pour ce qui est d’un emploi, il s’agit là d’une notion fort complexe, notamment pour les raisons suivantes.

 

[38]         En effet, il n’est pas rare de voir des emplois qui devaient être permanents durer en fait quelques mois et, inversement, des emplois qui devaient être courts devenir permanents.

 

[39]         L’appelant a expliqué le contexte et les circonstances particulières à l’origine de sa venue en territoire autochtone et les détails liés aux diverses reconductions. Le paragraphe 6(6) exige que l’emploi soit ou bien sur un chantier particulier et de nature temporaire, ou bien dans un endroit éloigné.

 

[40]         Si ces exigences sont satisfaites, l’avantage raisonnable reçu en vertu de l’emploi ne sera pas inclus dans le revenu. Le juge Dussault a entrepris l’analyse du terme « chantier particulier » dans l’arrêt Guilbert en 1991 :

 

La Loi est complexe certes et elle contient de nombreuses définitions. Cependant, l'on ne peut présumer, en l'absence d'une définition statutaire spéciale, que les mots usuels utilisés par le législateur doivent avoir un sens différent de celui reconnu de façon générale et consigné dans les dictionnaires courants. Or un "chantier" est un "chantier" et ce mot ne peut désigner n'importe quel lieu de travail. Les locaux du journal Le Soleil ne sont pas, à mon humble avis, un chantier ni un "chantier particulier" au sens qu'a voulu lui donner le législateur. Par analogie on peut se référer à la décision dans l'affaire Graham L. Harle, M.L.A., and Calvin E. Lee, M.L.A., v. M.N.R., 76 DTC 1151, citée par le procureur de l'intimé et dans laquelle on a refusé de reconnaître que l'édifice d'une assemblée nationale d'une province était "a special worksite" ou en français "un chantier particulier".[1]

 

[41]         Le juge Prociuk, en concluant qu’il ne s’agissait pas d’un chantier particulier, prononça ce qui suit dans Graham Harle :

 

D’un point de vue historique, les paragraphes de l’article 6 qui ont cites constituent véritablement un élargissement du champs d’application de l’ancien paragraphe (2) de l’article 5 qui se rattache maintenant non seulement à des chantiers de construction mais à d’autres chantiers particuliers situés dans des régions éloignées où le travail de l’ouvrier est temporaire ou dans lesquelles il est impossible de bénéficier sur le chantier ou à proximité de celui-ci des commodités ordinaires de la vie.[2]

 

[42]         La définition de chantier, dans le dictionnaire Le Robert, se lit comme suit :

 

4. Lieu où sont entassés des matériaux – Atelier, entrepôt. Chantier de construction ; de démolition. Travailler sur un chantier. Il ne quittait guère le chantier. – Pierre, cit. 14. Les ouvriers d’un chantier. Chantier d’exploitation, d’abattage d’une mine.

 

[43]         À l’appui de ses prétentions, le ministre réfère au Bulletin d’interprétation IT‑91R4  et dit:

 

Le sous-alinéa 6(6)a)(ii) stipule qu’on ne peut raisonnablement s’attendre d’un contribuable dans un « endroit éloigné » qu’il établisse et tienne un établissement domestique autonome, étant donné l’éloignement de cet endroit de toute agglomération, si la période au cours de laquelle son travail l’a obligé à s’absenter de son lieu principal de résidence ou à être sur ce chantier ou à cet endroit était d’au moins 36 heures.

 

[44]         Le juge Tremblay, dans l’affaire Dubé, n°98-454(IT)I, 27 août 1998, a donné raison aux témoignages et le contrat d’emploi lui permirent de tirer la conclusion factuelle que les divers emplacements où l’appelant exécutait ses tâches constituaient des endroits éloignés aux fins de la LIR.

 

Le fait que l’appelant travaillait dans une zone intermédiaire selon l’article 110.7 de la Loi et l’article 7303.1 du Règlement ne permet pas de conclure que l’endroit est éloigné aux fins du paragraphe 6(6). Ce dernier décrit un endroit éloigné comme étant si loin de toute agglomération qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’une personne entretienne un établissement domestique autonome.

 

« Établissement domestique autonome »

 

[45]         La définition d’« établissement domestique autonome » se trouve au paragraphe 248(1) de la Loi et se lit comme suit :

 

Habitation, appartement ou autre logement de ce genre dans lequel, en règle générale, une personne prend ses repas et couche.

 

[46]         Cette définition comprend un endroit où la personne retourne à la fin de la journée pour se nourrir et se reposer. L’expression crée donc une sorte de catégorie particulière d’hébergement. À cet égard, la preuve présentée semble justifier la conclusion que l’appelant avait bel et bien élu un tel « établissement ».

 

[47]         Ce fait est-il en soi fatal à l’application du paragraphe 6(6)? Bien que cet article suppose qu’on ne peut raisonnablement s’attendre à ce que l’appelant s’installe à cet endroit, le fait qu’il ait choisi de le faire ne rend pas nécessairement l’exception au paragraphe 6(6) inopérante.

 

[48]         Le ministre soutient que l’établissement d’un domicile crée une « présomption raisonnable » que l’exception d’inclusion comprise au paragraphe 6(6) ne s’applique pas.

 

[49]         Le ministre s’appuie sur le Bulletin d’interprétation IT-91R4 pour justifier son interprétation. L’intimée ajoute que c’est l’employeur qui a fourni la résidence et, par la suite, inclus cet avantage dans le feuillet T‑4 de l’appelant.

 

[50]         Le domicile mis à la disposition de l’appelant par son employeur représente un avantage lié à l’emploi de l’appelant, il doit donc recevoir le même traitement fiscal que celui retenu comme fondement de la cotisation. Le litige repose donc essentiellement sur la question de l’éloignement de Mistissini d’une agglomération et la nature temporaire de l’emploi.

 

Nature temporaire

 

[51]         Le ministre prétend, dans son Bulletin d’interprétation IT-91R4, qu’un travail de moins de 2 ans ne sera pas considéré comme un travail permanent. Le contrat d’emploi dans l’arrêt Dubé n’offrait aucune garantie de renouvellement. De plus, le juge Tremblay s’est fondé sur les paragraphes 5 et 6 du Bulletin d’interprétation IT-91R4 pour conclure que c’est le travail de l’employé, et non la durée du projet global de l’employeur, qui sera utile pour décider si le travail est temporaire, ce bulletin précise ce qui suit :

 

Travail de nature temporaire

 

5.         Les mots « le travail accompli par lui était un travail de nature temporaire » qu’on trouve au sous-alinéa 6(6)a)(i) (voir le point 4a) ci-dessus) s’appliquent à la durée du travail accompli par l’employé en question et non à la durée prévue du projet dans son ensemble. Par exemple, un projet peut durer dix ans, alors que le travail de l’employé dans ce projet ne dure que quelques mois.

 

6.         La Loi de l'impôt sur le revenu ne définit pas le terme « temporaire ». Toutefois, en règle générale, on considère que le travail est de nature temporaire si on peut raisonnablement s'attendre à ce que ce travail ne constitue pas un emploi continu de plus de deux ans. Pour déterminer la durée prévue de l'emploi, il faut se fonder sur des faits connus au début de l'emploi. À cet égard, il faut considérer tout particulièrement les facteurs suivants :

 

- la nature du travail que doit accomplir l'employé (certains genres de travaux sont, de par leur nature, des engagements à court terme, comme les travaux de réparation ou les métiers qui n'entrent en jeu que pendant une certaine phase d'un projet);

 

- la durée totale estimée d'un projet, ou d'une phase particulière d'un projet, pour lequel l'employé est engagé pour accomplir le travail;

 

- la période convenue pour laquelle l'employé a été engagé selon le contrat de travail ou d'autres modalités d'emploi.

 

[52]         En abordant la preuve relative à la durée du contrat, il importe de garder à l’esprit qu’on avait conclu dans l’affaire Dubé que le travail était de nature temporaire malgré le fait que l’appelant avait travaillé sur divers chantiers pendant 8 ans, toujours pour le même employeur.

 

[53]         L’absence de garantie du renouvellement du contrat avait été fatale à la position du ministre.

 

[54]         Dans l’affaire Rozumiak, le juge Beaubier a dû traiter d’un contrat qui fut renouvelé une fois signé. Il décida que les intentions des parties au moment de la signature du contrat initial déterminaient la nature temporaire de celui-ci :

 

10     Le contrat entre l'appelant et l'APV n'avait pas été établi pour une période d'emploi d'une durée indéterminée. De plus, l'APV et M. Rozumiak voyaient tous deux le travail de M. Rozumiak comme étant temporaire, un essai dans le but de sonder le terrain. M. Rozumiak n'avait jamais signé un tel contrat auparavant, et l'APV n'avait pas de bureau aux États-Unis. Le contrat a été modifié, en 2004, pour qu'il puisse être en vigueur une année de plus, jusqu'à ce que le visa de M. Rozumiak soit périmé, et c'est à la fin de cette période que le bureau a fermé pour cause d'échec. Toutefois, en 2002, aucune des deux parties n'avait prévu que les choses se passeraient ainsi.

 

11     Pour ces motifs, la Cour conclut que le travail que l'appelant accomplissait était de nature temporaire lorsque le contrat initial a été signé. Son travail était de sonder le marché. Il était un homme d'expérience qui était originaire de Vancouver et qui avait le savoir nécessaire pour sonder le marché pour le compte de l'APV. Le contrat pouvait être résilié par l'une des deux parties moyennant un préavis de trois mois. …[3]

 

[55]         L’intimée soutient que le fait que le contrat ait été renouvelé à quelques reprises entre août 2003 et juin 2006 fait en sorte qu’il ne s’agissait pas d’un emploi temporaire. Il faut pourtant étudier le contrat, comme le juge Tremblay l’a fait dans Dubé, afin de discerner le vrai caractère du contrat. La réponse pourra forcément dépendre de la présence ou de l’absence d’une garantie inhérente de renouvellement.

 

[56]         Pour ce qui est du mot « temporaire », Le Robert le définit ainsi :

 

◊ Qui ne dure ou ne doit durer qu’un temps limité. — Court, discontinu, éphémère, momentané, passager, provisoire.

 

◊  Qui n’exerce ses activités que pour un temps.

 

[57]         Le juge Dussault, en décidant l’affaire Leduc, adopta l’analyse du juge Robertson dans l’affaire Phillips, [1994] 2 C.F. 680, où ce dernier tenta de cerner les objectifs de l’article 6.

 

[58]         L'argument est tiré de la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Phillips, précitée, où le juge Robertson fait état de sa perception du but du législateur dans les termes suivants, aux pages 700 et 701 :

 

[…] De toute évidence, l'article 6 de la Loi cherche à restreindre l'évitement fiscal dans le cas de l'octroi d'indemnités monétaires ou autre, non incluses dans le traitement ou salaire.

 

Un autre objectif important et dominant de l'article 6 est d'assurer que [TRADUCTION] « les employés qui reçoivent une indemnité en espèces soient sur un pied d'égalité avec ceux dont l'indemnité en espèces ne représente qu'une partie de ce qui est reçu » [...] Deux employés qui accomplissent le même travail pour le même employeur devraient recevoir le même traitement fiscal pour ce qui est de leur emploi.

 

[59]         La logique suivie par le juge Bowman (tel qu’il était) dans l’affaire Pezzelato contribue à la compréhension de la distinction entre un avantage et un revenu :

 

13     Cette question a été l’objet de nombreux litiges devant notre cour et devant des tribunaux supérieurs. Avant de traiter de la jurisprudence, je voudrais examiner le problème simplement comme une question de principe et de bon sens. Nonobstant la portée de sa formulation, l’article 6 ne vise pas à créer un concept artificiel de revenu d’emploi. Il vise plutôt à reconnaître les multiples façons de rétribuer un employé pour ses services et à les assujettir à l’impôt. Il ne vise pas à étendre le sens ordinaire du mot avantage (benefit) à des choses qui ne sont nullement des avantages. Autrement dit, la large portée de l’article 6 concerne la manière dont l’avantage est conféré et non la définition du terme avantage. Ce point de vue est plus facile à illustrer d’exemples qu’à énoncer. Si, pour inciter un employé à déménager d’une ville agréable du sud de l’Ontario (par exemple, Guelph), où le coût de la vie est peu élevé, dans une métropole stressante et dispendieuse comme Toronto, un employeur augmente le salaire de l’employé de 50 p. 100, personne ne contesterait que l’augmentation est un revenu, bien qu’elle vise en partie à indemniser l’employé pour l’accroissement du coût de la vie et la diminution de la qualité de vie. Par contre, si l’employeur fait venir l’employé à Toronto pour un mois et lui paie le séjour à l’hôtel (ou lui fournit un appartement qui appartient à la compagnie), ainsi que les repas, personne ne dirait qu’il s’agit d’un avantage imposable. De même, si un employeur fait déménager un employé d’une ville dans une autre, le remboursement des frais de déménagement n’est pas imposable.

 

14     Il est facile de repérer les deux extrêmes, mais les cas dont les tribunaux sont saisis avec une fréquence croissante se situent non pas aux extrêmes, mais quelque part entre les deux. Les tribunaux doivent déterminer de quel côté de la ligne chaque cas se situe.[4]

 

[60]         Le juge Bowman fait un intéressant survol de la jurisprudence; il constate qu’elle n’est pas uniforme; il répète cependant qu’un avantage devra être assimilé au revenu si la prime ou le bien reçu par l’individu accroît sa situation financière. Lorsque le montant payé par l’employeur ne fait que remplacer une perte ou rembourser une dépense subie à la suite d’un déménagement imposé, la somme ne sera pas considérée comme un avantage.

 

[61]         Un avantage imposable sera reconnu par le fait qu’il améliore la situation économique du contribuable, qu’il l’enrichit, en d’autres termes.

 

[62]         En relevant la discordance entre les jugements rendus autant par la Cour canadienne de l’impôt que par la Cour d’appel fédérale, le juge Bowman remarqua que certains d’entre eux furent fondés sur la logique et le bon sens, mais pas nécessairement sur l’analyse juridique.

 

26        … Toutefois, une réaction viscérale, peu importe à quel point elle peut constituer la prémisse inexprimée sur laquelle se fondent parfois les décisions judiciaires, ne saurait remplacer une analyse juridique. Toute tentative pour énoncer une proposition juridique qui englobe les quatre jugements et n’entre en conflit avec aucun d’eux est vouée à l’échec. Cela dit, je tenterai ici d’avancer une telle proposition, quoiqu’elle soit évidemment imparfaite : lorsqu’un employé subit une perte ou engage une dépense en raison de son emploi, un remboursement de l’employeur au titre de cette perte ou dépense n’est pas un avantage imposable si l’employé, après le remboursement, n’est pas économiquement en meilleur posture qu’il l’aurait été s’il n’avait pas subi la perte ou engagé la dépense ayant donné lieu au remboursement (Splane et Ransom). Par contre, si l’employé, par suite du versement, est économiquement en meilleure posture qu’il l’aurait été s’il n’avait pas subi la perte ou engagé la dépense, le versement constitue un avantage imposable (Phillips et Blanchard).

 

23        … Dans cette mesure, il était économiquement plus avancé qu’il l’était lorsqu’il vivait à Moncton. Je vois très peu de différence entre cette situation et l’exemple précité d’un employeur qui augmente le salaire d’un employé pour l’inciter à déménager de Guelph à Toronto.[5]

 

[63]         Dans l’affaire Beaulieu, sur la question de la nature temporaire ou permanente d’un emploi, je m’exprimais comme suit :

 

31     En d'autres termes, la preuve a établi que l'appelant occupait un emploi stratégique avec une expertise tout à fait indispensable; il s'agissait d'un employé essentiel pour la bonne marche de l'entreprise[6].

 

[…]

 

43     L'appelant n'a pas travaillé pour plusieurs employeurs, à diverses périodes entrecoupées de périodes sans travail. En l'espèce, il en était tout autrement; en effet, l'appelant travaillait régulièrement et était mis à pied de manière très exceptionnelle. Il travaillait toujours pour le même employeur ou pour un groupe parent ou affilié.

 

[…]

 

45     Dans les faits, contrairement aux divers opérateurs dont la durée du travail était essentiellement fonction de l'utilisation des machineries, l'appelant bénéficiait d'un statut particulier; d'abord au niveau de certains avantages, mais aussi au niveau de la continuité en ce qu'il était directement associé et impliqué aux activités créatrices de travail.

 

[…]

 

48     De manière théorique, l'appelant n'avait aucune garantie contractuelle ou formelle quant à la durée de son emploi. Par contre, eu égard aux conditions dont il bénéficiait (auto, carte de crédit, remboursement des dépenses, indemnités diverses) il n'était pas sans savoir que son employeur mettait tout en oeuvre, ne négligeait absolument rien pour lui assurer la stabilité et continuité. D'ailleurs, si les arguments de l'appelant étaient valables, la très grande majorité des emplois seraient des emplois de nature temporaire.

 

49     Très rares sont ceux et celles qui peuvent prétendre avoir la sécurité absolue d'emploi. Tous les emplois sont tributaires de la situation économique de l'entreprise qui les embauche. L'appelant n'avait certes pas de sécurité d'emploi, son travail n'était pas pour autant et automatiquement un travail de nature temporaire, comparable à celui d'un opérateur de machinerie; son statut était plutôt comparable à celui des personnes assumant les responsabilités administratives de l'entreprise. N'était-il pas un des principaux artisans pour la plupart des soumissions, lesquelles étaient le fondement même de l'existence de l'entreprise?

 

Agglomération

 

[64]         Le Petit Robert définit « agglomération » comme suit :

 

◊ Fait de s’agglomérer naturellement.

 

◊ Union, association intime.

 

◊ Concentration d’habitations, ville ou village.

 

◊ Ensemble constitué par une ville et ses faubourgs ou sa banlieue.

 

[65]         Selon le Bulletin d’interprétation IT-91R4, certains facteurs devraient servir à établir s’il existe un « éloignement » entre le lieu où les tâches sont effectuées et « toute agglomération ».

 

[66]         L’appelant soutient qu’il existait effectivement une telle agglomération, mais il ajoute un critère culturel à celle-ci, de sorte que pour être considérée comme une agglomération, la communauté doit permettre l’intégration, en ce sans qu’il doit être possible d’y créer ou établir des liens.

 

[67]         Cet aspect culturel ne figure pas dans la disposition, ni dans le Bulletin d’interprétation IT‑91R4. La proximité d’une agglomération sert plutôt à subvenir aux besoins essentiels par l’entremise de magasins d’aliments de base, de magasins de vêtements (et non d’un comptoir de commande), d’habitations et d’accès aux services médicaux et à l’enseignement.

 

[68]         Bien que Le Petit Robert ne fasse pas allusion à un élément culturel nécessaire à une agglomération, comme le propose M. Dupuis, Le Grand Robert incorpore cet élément, en quelque sorte, dans sa définition d’« agglomération » :

 

◊ Union, association intime : entassement (d’individus, d’animaux). Groupement, réunion. Des agglomérations d’animaux. Banc, bande, colonie, compagnie, essaim, harde, harpaille, meute, peloton, ruche, troupe, troupeau, vol. Une agglomération de peuplades, de peuples, d’hommes.

La nation française est plus hétérogène qu’aucune autre nation d’Europe; c’est en vérité une agglomération internationale de peuples. (Ch. Seignobos, Hist. sincère de la nation française.)

 

◊ Concentration (d’habitations), formant une unité – bourg, bourgade, ensemble, hameau, localité, village, ville. Une petite agglomération de fermes, de maisons. […]

 

Ensemble constitué par une ville et ses faubourgs ou sa banlieue. L’agglomération lyonnaise. Il s’est installé dans l’agglomération parisienne.

 

[69]         Il existe donc une certaine facette que l’on peut qualifier de culturelle dans cette deuxième définition, l’emploi du mot « hétérogène » sous-entend une certaine cohérence quant à l’agglomération.

 

[70]         L’appelant se fonde sur la Loi sur les Cris et Naskapis du Québec pour établir qu’il ne pouvait travailler à cet endroit que pendant la période prescrite par le contrat, et qu’élire résidence sur une réserve crie n’est pas permis hors des périodes circonscrites par le contrat.

 

Titulaires du droit de résidence

 

103.(1) Ont le droit de résider sur les terres de catégorie IA ou IA-N attribuées à la bande :

 

a) les membres de la bande;

 

b) les conjoints des membres, au sens de l’article 174;

 

c) la famille au premier degré des personnes visées à l’alinéa a) ou b).

 

Élargissement du droit de résidence

 

(2) En sus des personnes visées au paragraphe (1), peuvent résider sur les terres de catégorie IA ou IA-N attribuées à la bande :

 

a) les personnes à qui la bande a donné, soit simplement par écrit, soit par règlement administratif, une autorisation à cet effet;

 

b) les personnes qui ont une autorisation à cet effet aux termes d’une concession visée à la partie VIII;

 

c) l’administrateur nommé en application de l’article 100;

 

d) sous réserve du paragraphe (3), les personnes qui exercent des fonctions publiques ou administratives agréées par la bande ou se livrent à des études scientifiques ainsi agréées.

 

Limitation du nombre d’étrangers

 

(3) La bande peut interdire aux personnes visées à l’alinéa (2)d) de résider sur les terres de catégorie IA ou IA-N qui lui sont attribuées dans le cas où leur nombre risquerait de modifier notablement la composition démographique de la communauté.

 

[71]         L’appelant s’appuie sur le fait qu’il était impossible de s’établir au sein d’une agglomération près de son lieu de travail et aussi sur la possibilité de se voir refuser le droit d’y résider.

 

[72]         Au sujet de la continuité d’un emploi en ce qui concerne les enseignants, la Cour d’appel fédérale énonça ceci en décidant Oliver :

 

30     La Cour a constamment répété dans ses arrêts que, lorsque leurs contrats se terminent à la fin de juin et qu'ils sont réengagés pour l'année scolaire suivante, les enseignants n'ont pas droit à l'assurance-emploi pour les mois de juillet et d'août. Voir Bishop c. Canada (Commission de l'assurance-emploi), 2002 CAF 276; Canada (Procureur général) c. Partridge (1999), 245 N.R. 163 (C.A.F.); Gauthier c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1995] A.C.F. no 1350 (C.A.); et Canada (Procureur général) c. Hann, [1997] A.C.F. no 974 (C.A.). La seule exception est l'arrêt Ying c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 1615 (C.A.).

 

31     En l'espèce, les demandeurs reçoivent exactement le même salaire que leurs collègues enseignants permanents. Ils prétendent pourtant qu'ils sont admissibles au bénéfice des prestations d'assurance-emploi pour les mois de juillet et d'août. Ils ont tous été réengagés avant ou peu après la fin juin pour l'année scolaire suivante. Selon la jurisprudence dominante de la Cour, leurs demandes de prestations d'assurance-emploi devraient être refusées[7].

 

Le juge Malone fut dissident :

 

37     Dans l'arrêt Dick c. Canada (Commission d'assurance-chômage), [1980] 2 R.C.S. 243 (l'arrêt Dick), la Cour suprême du Canada a reconnu que le salaire d'un enseignant versé en douze paiements mensuels pour les dix mois d'enseignement se rapporte au travail effectué pendant ces dix mois et non aux mois de vacances de juillet et d'août. Cet arrêt a reconnu que, selon leurs contrats, certains enseignants connaîtront chaque année une interruption de la rémunération pendant la période de congé de l'année scolaire. D'après cet arrêt, certains enseignants seraient donc admissibles à recevoir des prestations d'assurance-emploi pendant les mois de congé de l'été.

 

38     À la suite de l'arrêt Dick, l'article 46.1, maintenant le paragraphe 33(2) du Règlement, a été édicté pour empêcher le « cumul de salaire et d'assurance » par les enseignants qui ne risquent pas véritablement d'être en chômage après la période de congé. La seule exception présentant un intérêt en l'espèce est prévue à l'alinéa 33(2)a) : un enseignant aura droit aux prestations pendant la période de congé si « son contrat de travail dans l'enseignement a pris fin ». L'expression « a pris fin » n'est définie ni dans la Loi ni dans le Règlement.

 

[73]         À la lumière de la prépondérance de la preuve, il appert que l’appelant occupait un poste temporaire à Mistissini; en vertu du paragraphe 103(3) de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec, il se trouvait, en 2003, à un endroit éloigné de toute agglomération. L’agglomération qu’est Mistissini ne semble pas comporter le caractère hétérogène que le dictionnaire Robert prévoit.

 

[74]         L’appelant a beaucoup insisté sur le fait que les lieux qui lui servaient d’habitation étaient sur un territoire particulier où il n’avait aucun droit, la gestion étant sous la compétence absolue du Conseil de bande.

 

[75]         Cette réalité m’apparaît constituer un élément, sinon le fondement, de l’aspect particulier. En effet, lorsqu’une personne accepte de se déplacer vers un endroit suffisamment éloigné qui rend déraisonnable un retour quotidien à la résidence qu’elle occupait avant d’obtenir le travail, elle doit prendre une décision quant à un endroit stable, pratique et raisonnable où elle doit dormir, au risque de se voir refuser les dépenses remboursées sur une période temporaire et transitoire.

 

[76]         Toute personne devant faire un tel choix doit prendre une décision fondée sur le contrôle de tous les éléments requis. En l’espèce, il en est tout autrement, puisque l’appelant ne pouvait pas et n’aurait pas pu faire un tel choix, rendu impossible à cause des règles particulières qui prévalent quant à la gestion du territoire.

 

[77]         À la lumière de tous les faits établis par la preuve, la prépondérance est que l’appelant a travaillé, lors de la période en litige, sur un chantier particulier et qu’il s’agissait d’un travail dont la durée était temporaire. Pour ces raisons, l’appel est accueilli.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour d’avril 2009.

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 220

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-4577(IT)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              GINAUD DUPUIS et SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 6 août 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Alain Tardif

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 23 avril 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

 

Avocate de l'intimée :

Me Anne Poirier

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                           

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1] Guilbert (A.) v. Minister of National Revenue, 1991 CarswellNat 473, [1991] 1 C.T.C. 2705, 91 D.T.C. 737, 91 D.T.C. 740.

[2] Graham L. Harle, M.L.A., and Calvin E. Lee, M.L.A. v. the Minister of National Revenue, 76 DTC 1151.

[3] Rozumiak v. R., 2005 CarswellNat 6662, [2006] 2 C.T.C. 2172, 2005 TCC 811, 2005 CCI 811 (procédure informelle).

[4] Pezzelato (F.) v. Canada, 1995 CarswellNat 606, [1995] 2 C.T.C. 2890, 9 C.C.P.B. 128, 96 D.T.C. 1285.

[5] Ibid.

[6] Beaulieu c. R., 2002 CarswellNat 77, [2003] 3 C.T.C. 2766, procédure informelle.

[7] Oliver c. Canada, 2003 CAF 98, 225 D.L.R. (4th) 307, [2003] 4 C.F. 47.

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