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Dossier : 2008-1378(CPP)

ENTRE :

TORONTO TRANSIT COMMISSION,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

[traduction française officielle]

 

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 5 mars 2009, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge suppléant N. Weisman

 

Comparutions :

 

 

Avocats de l’appelante :

Me Matthew G. Williams

Me Kristina Soutar

 

 

Avocat de l’intimé :

Me Laurent Bartleman

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel est rejeté et la décision du ministre du Revenu national est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

 

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 21e jour d’avril 2009.

 

 

 

« N. Weisman »

Juge suppléant Weisman

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour de juin 2009.

 

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 198

Date : 20090421  

Dossier : 2008-1378(CPP)

ENTRE :

TORONTO TRANSIT COMMISSION,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

[traduction française officielle]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Weisman

 

[1]     Nancy Murphy et Herschell Green sont tous deux devenus invalides de façon permanente alors qu’ils étaient des employés de la Toronto Transit Commission (la « TTC ») en application de contrats de louage de services. Heureusement, la TTC avait établi des régimes d’assurance invalidité de longue durée qui garantissaient aux deux employés un pourcentage de leurs revenus de travail lorsqu’ils ont commencé à recevoir leurs prestations d’invalidité mensuelles.

 

[2]     Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a décidé que ces prestations mensuelles constituaient une rémunération payée au titre d’un emploi ouvrant droit à pension, et que l’employeur devait donc verser des contributions en application du Régime de pensions du Canada[1] (le « Régime »). La TTC a interjeté appel de la décision du ministre.

 

[3]     La TTC finance deux régimes d’assurance invalidité, l’un pour ses employés syndiqués, et l’autre pour ses employés non syndiqués. Le régime visant les employés syndiqués prévoit spécifiquement que les prestations d’invalidité sont versées aux employés admissibles à titre d’indemnité pour la perte de revenus futurs. Le régime pour les employés non syndiqués a le même effet, car il permet à la TTC de déduire des prestations d’invalidité toute somme accordée à un employé à titre de dommages‑intérêts pour une perte de revenus futurs et toute prestation d’invalidité reçue en vertu du Régime.

 

[4]     Les guides de politiques de la TTC confirment que pendant que les travailleurs reçoivent des prestations d’invalidité, ils sont en congé pour raisons personnelles et conservent leur statut d’employé. On confère alors à ces travailleurs un statut inactif, et ils peuvent être remplacés de façon temporaire ou permanente, ou encore être réintégrés. Les employés qui ont un statut inactif ne perdent pas leur rang d’ancienneté, leurs prestations d’invalidité sont rajustées au coût de la vie, ils continuent d’être admissibles aux régimes de soins de santé et de soins dentaires et ils conservent leurs privilèges de transport.

 

[5]     Quoique les régimes en question soient financés par la TTC, ils sont administrés par une société d’assurance vie, laquelle agit à titre de mandataire de la TTC plutôt qu’à titre d’assureur. Bien que ce soit la société d’assurance vie qui verse les prestations d’indemnité, celles‑ci lui sont remboursées par la TTC. La TTC conserve son droit de prendre la décision finale dans les litiges portant sur l’admissibilité d’une personne à un régime, sur la couverture et les prestations auxquelles une personne a droit, sur une contestation du calcul des sommes dues et, de façon générale, sur toute question particulière ou ne relevant pas de l’administration courante des régimes.

 

[6]     La TCC a fondé son appel sur les paragraphes 2(1), 6(1) et 9(1) du Régime, qui sont ainsi rédigés :

 

2(1)      Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

[]

 

« emploi » L’accomplissement de services aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage, exprès ou tacite, y compris la période d’occupation d’une fonction.

 

[]

 

« employeur » Personne tenue de verser un traitement, un salaire, ou une autre rémunération pour des services accomplis dans un emploi. Est assimilée à un employeur, dans le cas d’un fonctionnaire, la personne qui lui verse sa rémunération.

 

[]

 

6(1)      Ouvrent droit à pension les emplois suivants :

 

            a) l’emploi au Canada qui n’est pas un emploi excepté;

 

            b) l’emploi au Canada qui relève de Sa Majesté du chef du Canada, et qui n’est pas un emploi excepté;

 

            c) l’emploi assimilé à un emploi ouvrant droit à pension par un règlement pris en vertu de l’article 7.

 

[]

 

9(1)      Tout employeur doit, à l’égard de chaque personne employée par lui dans un emploi ouvrant droit à pension, payer pour l’année au cours de laquelle est payée à l’employé la rémunération au titre d’un emploi ouvrant droit à pension, []

 

[7]     Selon la TTC, sa position est appuyée par le fait que la définition d’« emploi ouvrant droit à pension » au paragraphe 6(1) du Régime est divisé en trois alinéas, qui commencent tous par le mot clé « emploi ». Le paragraphe 2(1) du Régime exige clairement qu’il y ait accomplissement de services aux termes d’un contrat de louage de services pour que l’on puisse conclure à l’existence d’un emploi. De plus, le paragraphe 9(1) du Régime exige qu’il y ait rémunération. La TTC a reconnu que les contrats de louage de services existaient toujours lorsque les deux employés en cause avaient un statut inactif, mais elle a souligné qu’aucun service n’était alors accompli et qu’aucune rémunération n’était payée; les employés étaient plutôt indemnisés pour une perte de revenus et de salaires futurs.

 

[8]     La TTC a aussi invoqué deux décisions à l’appui de sa position, à savoir le renvoi Minister of National Revenue and Visan[2] (« Visan ») et l’arrêt Cité de la Santé de Laval c. Canada[3] (« Cité »). Il faut savoir que ces deux décisions portaient respectivement sur la Loi de 1971 sur l’assurance‑chômage[4] (la « LAC ») et sur la Loi sur l’assurance‑emploi[5] (la « LAE »), mais pas sur le Régime.

 

[9]     Dans Visan, c’est un tiers, une société d’assurance, qui finançait le régime d’assurance‑invalidité de l’employeur, un conseil scolaire. La société d’assurance versait des paiements à un enseignant qui souffrait d’une invalidité et qui ne fournissait aucun service. La section d’appel de la Cour fédérale avait conclu que ces paiements ne constituaient pas une rémunération assurable, car ils n’étaient pas une rémunération, comme l’exigeait le paragraphe 54(1) des Règlements sur l’assurance‑chômage[6], qui était rédigé de la sorte :

 

54(1)    Est exclu des emplois assurables un emploi exercé, pour le compte d’un employeur, par une personne qui, dans une semaine,

 

a) est employée et rémunérée pour moins de vingt heures par son employeur et dont la rémunération est calculée en tout ou en partie, soit suivant le nombre d’heures de travail, soit selon un traitement fixe, ou

 

[]

 

[10]    Comme le terme « rémunéré » n’était pas défini dans LAC, la section d’appel de la Cour fédérale s’est servie d’une définition tirée du dictionnaire, et s’est prononcée de la façon suivante :

 

[22] [] The Shorter Oxford English Dictionary, 3e édition, définit « remunerate » et « remuneration » de la manière suivante:

 

[TRADUCTION] […] 1. trans. Rembourser, récompenser, offrir en retour (services, etc.). 2. Récompenser (une personne); payer (une personne) pour des services rendus ou des travaux effectués […] D’où rémunération, récompense, remboursement; paiement, paye.

 

[23]      À mon avis, il ressort de cette définition que le caractère du paiement est déterminé par sa nature. Si on applique ce critère aux sommes versées à l’intimé, il est évident qu’elles ne correspondaient pas à des services rendus mais, dans un sens, se situaient à l’opposé des paiements de ce genre, car elles visaient à dédommager l’intimé, en partie, de la perte des paiements qui auraient été faits pour des services qu’il aurait rendus s’il n’en avait été empêché par son invalidité. []

 

[11]    Dans Cité, les employées en cause, des infirmières enceintes, n’avaient pas effectué de travail lorsqu’elles étaient en congé spécial. En fin de compte, les paiements d’invalidité ont été versés par un tiers assureur, à savoir un régime de prestations du gouvernement provincial. La Cour d’appel fédérale a appliqué l’alinéa 2(1)a) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations[7] (le « RRAPC »), qui est rédigé de la façon suivante :

 

2(1)      Pour l’application de la définition de « rémunération assurable » au paragraphe 2(1) de la Loi et pour l’application du présent règlement, le total de la rémunération d’un assuré provenant de tout emploi assurable correspond à l’ensemble des montants suivants :

 

            a) le montant total, entièrement ou partiellement en espèces, que l’assuré reçoit ou dont il bénéficie et qui lui est versé par l’employeur à l’égard de cet emploi […]

 

[12]    La Cour d’appel fédérale a conclu que le terme « rémunération » renvoyait à la rétribution, au salaire, au revenu ou à l’argent reçu pour le prix d’un service ou d’un travail. La Cour d’appel a conclu que les sommes en cause ne constituaient pas une rémunération assurable pour quatre raisons. Tout d’abord, le régime collectif était un régime législatif d’assurance qui ne faisait pas partie du contrat de travail entre l’employeur et les employées. Deuxièmement, la Cour d’appel a conclu que pour qu’un revenu provenant d’un employeur puisse constituer une rémunération, il devait avoir été payé dans le cadre d’un contrat de travail ou d’emploi. En outre, les sommes étaient juridiquement qualifiées « d’indemnités de remplacement du revenu ». En appliquant Visan, la Cour d’appel a conclu que ces sommes n’étaient pas de la nature d’une rémunération et ne correspondaient pas à des services, mais qu’elles se situaient plutôt à l’opposé des paiements de ce genre. Enfin, la Cour d’appel a conclu que les paiements visaient à indemniser une employée enceinte pour une perte de revenu qu’elle aurait encourue en l’absence d’une indemnité de remplacement du revenu.

 

[13]    Ainsi, bien que ces deux affaires aient porté sur le caractère assurable de paiements reçus par des travailleurs souffrant d’invalidité plutôt que sur la question de savoir s’ils ouvraient droit à pension, les deux décisions sont quand même pertinentes, car les deux lois ainsi que le Régime semblent exiger que des services aient été fournis et qu’une rémunération ait été versée. Dans ces deux décisions, les tribunaux ont conclu que les paiements de prestations ne constituaient pas une rémunération assurable parce qu’aucun service n’avait été fourni, parce que les régimes étaient financés par des tiers assureurs et non par l’employeur et parce que les sommes reçues n’étaient pas de la nature d’une rémunération, mais qu’il s’agissait plutôt d’indemnités d’assurance‑invalidité de longue durée ou d’indemnités de remplacement de revenu.

 

[14]    Le ministre a une position différente, qui est elle aussi appuyée par la jurisprudence. Il a fondé sa position sur les paragraphes 9(1), précité, et 12(1) du Régime, et sur le paragraphe 5(1) et le sous‑alinéa 6(1)f)(ii) de la Loi de l’impôt sur le revenu[8] (la « LIR »), qui sont ainsi rédigés :

 

12(1)    Le montant des traitement et salaire cotisables d’une personne pour une année est le revenu qu’elle retire pour l’année d’un emploi ouvrant droit à pension, calculé en conformité avec la Loi de l’impôt sur le revenu […]

 

[…]

 

5(1)      Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu d’un contribuable, pour une année d’imposition, tiré d’une charge ou d’un emploi est le traitement, le salaire et toute autre rémunération, y compris les gratifications, que le contribuable a reçus au cours de l’année.

 

[…]

 

6(1)      Sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi, ceux des éléments suivants qui sont applicables :

 

[…]

 

            f) Prestations d’assurance contre la maladie, etc. – le total des sommes qu’il a reçues au cours de l’année, à titre d’indemnité payable périodiquement pour la perte totale ou partielle du revenu afférent à une charge ou à un emploi, en vertu de l’un des régimes suivants dans le cadre duquel son employeur a contribué :

 

                        […]

 

                        (ii) un régime d’assurance invalidité,

 

                        […]

 

[15]    Comme le paragraphe 12(1) du Régime incorpore la LIR par renvoi et que le sous‑alinéa 6(1)f)(ii) de la LIR prévoit qu’il faut inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable les sommes reçues en vertu d’un « régime d’assurance invalidité » […] « dans le cadre duquel son employeur a contribué », à première vue, les paiements de prestations d’invalidité faits par la TTC aux deux travailleurs en cause devraient ouvrir droit à pension même si aucun service n’a été fourni.

 

[16]    Le ministre a aussi soutenu que les articles 9 et 12 du Régime doivent être interprétés harmonieusement, afin d’éviter d’arriver à un résultat incongru. Autrement, les sommes reçues pourraient être imposables sans ouvrir droit à pension, et vice versa.

 

[17]    Enfin, le ministre a voulu minimiser l’importance de l’expression « pour une année » se trouvant au paragraphe 12(1) du Régime, afin de répondre à l’argument de la TTC voulant qu’aucun service ne soit fourni durant l’année où l’employé reçoit des prestations d’invalidité. Le ministre a souligné qu’une prime versée durant une année donnée pour récompenser des services fournis durant des années précédentes est pourtant imposable et ouvre néanmoins droit à pension, et ce, même si aucun service n’est fourni durant l’année où la prime est versée. Le ministre a affirmé que, de la même façon, les prestations d’invalidité versées par la TTC constituent une rémunération pour des services préalablement fournis.

 

[18]    Le ministre a cité plusieurs décisions à l’appui de sa position. Malheureusement, seules deux d’entre elles ont trait au Régime. Dans Peters c. M.R.N.[9], la Cour a conclu que des prestations d’invalidité de longue durée versées à un employé par un tiers assureur sur lequel l’employeur n’exerçait aucun contrôle n’ouvraient pas droit à pension, car, pour cela, il aurait fallu qu’un revenu d’emploi ait été versé par un employeur en contrepartie de services fournis en application d’un contrat de louage de services. Dans cette affaire‑là, il n’existait pas de contrat de cette nature entre l’employé et la société d’assurance.

 

[19]    À l’opposé, dans Desender c. M.R.N.[10], la Cour canadienne de l’impôt a conclu que l’appelante occupait un emploi assurable et ouvrant droit à pension pendant qu’elle recevait des prestations d’invalidité parce que son employeur, l’Université de la Saskatchewan, finançait le régime d’assurance invalidité, parce que le contrat de louage de services de l’appelante restait en vigueur et parce que l’appelante conservait tous les droits d’un employé durant cette période. Malheureusement, dans cette affaire‑là, il semble que l’on n’ait pas attiré l’attention de la Cour sur le paragraphe 1(2) du RRAPC, précité, qui est rédigé de la façon suivante :

 

1(2)      Pour l’application de la partie IV de la Loi et pour l’application du présent règlement, « employeur » s’entend notamment d’une personne qui verse ou a versé la rémunération d’un assuré pour des services rendus dans l’exercice d’un emploi assurable.

 

[20]    Cette définition du terme « employeur » ressemble à celle donnée au paragraphe 2(1) du Régime. Les deux définitions exigent qu’une rémunération soit versée pour des services rendus. Il est impossible de savoir si la Cour aurait rendu une décision différente si elle avait tenu compte du paragraphe 1(2) du RRAPC.

 

[21]    L’arrêt Université Laval c. M.R.N.[11] (« Laval ») porte sur la rémunération assurable, mais sa trame factuelle est très similaire à celle de la présente affaire. Dans Laval, la convention collective conclue entre l’Université Laval et ses employés exigeait que l’Université maintienne en vigueur un régime d’assurance‑salaire et que ce régime soit entièrement payé par l’Université. Les prestations versées en vertu de ce régime équivalaient à un certain pourcentage du traitement normal des employés. L’assureur n’agissait qu’à titre d’administrateur du compte. Les travailleurs en congé restaient des employés de l’Université. En cas d’augmentation salariale, les prestations étaient rajustées en conséquence. Les prestations étaient versées durant les périodes de paye normales des 52 premières semaines d’invalidité. Enfin, les travailleurs ne fournissaient aucun service.

 

[22]    Contrairement à l’approche adoptée par la Cour canadienne de l’impôt dans Desender, dans Laval, la Cour d’appel fédérale a considéré le paragraphe 1(2) du RRAPC, précité, où l’« employeur » est défini comme la personne qui verse une rémunération pour des services rendus. La Cour d’appel a aussi fait référence à l’alinéa 2(1)a) de la partie I du RRAPC, tout comme elle allait le faire plus tard dans Cité, et elle a conclu que les indemnités de remplacement de revenu versées en vertu d’un régime public ne constituaient pas une rémunération assurable parce que, entre autres choses, elles ne servaient pas à rémunérer des services rendus. Toujours dans Laval, l’appelante a insisté sur le fait que les employés en cause n’avaient fourni aucun service, contrairement à l’exigence du paragraphe 1(2). Le ministre a alors répliqué que tant qu’une relation de travail est maintenue, les prestations d’invalidité payées par l’employeur habituel – plutôt que par un assureur – constituent une rémunération assurable, et ce, même si aucun service n’est fourni durant la période d’invalidité.

 

[23]    Lorsqu’elle a donné raison au ministre dans Cité, la Cour d’appel fédérale a fondé sa décision sur trois éléments. Premièrement, la définition d’« employeur » au paragraphe 1(2) du RRAPC utilise l’expression « s’entend notamment » plutôt que simplement « s’entend », ce qui permet de croire qu’il peut y avoir des cas où c’est une personne autre que celle pour qui le travailleur effectue sa prestation de services qui verse la rémunération. Deuxièmement, il est acquis, en jurisprudence, que l’expression « à l’égard de », à l’alinéa 2(1)a) du RRAPC, a un sens particulièrement large. Troisièmement, le paragraphe 2(3) du RRAPC exclut de la « rémunération assurable » divers types de paiements, dont la plupart revoient à des situations où aucun service n’est fourni. Cette disposition ne serait pas nécessaire si la prestation de services était une condition préalable au caractère assurable d’un emploi. Par exemple, l’alinéa 2(3)c) du RRAPC exclut spécifiquement le « montant supplémentaire versé par l’employeur à une personne afin d’augmenter les indemnités d’assurance-salaire versées à celle-ci par une tierce-partie ».

 

[24]    L’arrêt Laval a été expliqué et appliqué dans Banque Nationale du Canada c. M.R.N.[12] (« Banque Nationale »), une affaire où l’employée en congé d’invalidité ne fournissait aucun service mais était toujours assujettie à un contrat de louage de services, où les prestations étaient versées par l’employeur avec l’aide d’un assureur qui ne faisait qu’administrer le régime, et où l’employeur conservait le droit de prendre la décision finale quant au droit de recevoir des prestations. Lorsqu’elle a conclu que les prestations étaient assurables, la Cour d’appel fédérale a formulé de la façon suivante les cinq critères qu’elle avait établis dans Laval :

 

1)         l’expression « à l’égard de » cet emploi qui qualifie la rémunération versée par l’employeur et que l’on retrouve au paragraphe 2(1) du Règlement revêt une acception particulièrement large;

 

2)         une rémunération assurable au sens du Règlement peut exister même en l’absence de prestations de services par l’employé;

 

3)         les indemnités d’assurance‑salaire versées par l’employeur constituent de la rémunération assurable au sens de la Loi et du Règlement alors que celles versées par un tiers-assureur sont exclues de la définition de cette rémunération;

 

4)         le mot « verser » que l’on a traduit en anglais par « pay » (payer) a un sens plus large que le mot « payer » qui, lui-même, a reçu de la Cour suprême du Canada une signification large dans Canadian Pacifique Ltée c. P.G. Canada, [1986] 1 R.C.S. 678, à la page 687; et

 

5)         une indemnité est versée par un employeur dans le cadre du contrat de travail lorsqu’apparaissent les indices suivants qui ne sont pas nécessairement exhaustifs : le régime d’assurance-salaire est entièrement payé par l’employeur, le lien d’emploi subsiste pendant l’invalidité, l’indemnité payable est augmentée si le salaire est augmenté durant la période d’invalidité, le versement est effectué par l’employeur lors des périodes normales de paie pendant les 52 premières semaines d’invalidité et par l’assureur par la suite, et enfin l’employeur décide de l’admissibilité aux prestations et signe les chèques.

 

[25]    La LAE et le Régime ne sont pas des régimes d’assistance sociale. Ce sont tous deux des régimes contributifs. L’objet de l’assurance‑emploi n’est pas seulement de fournir un soutien du revenu, mais aussi des services d’aide à l’emploi aux personnes admissibles. Le Régime a été créé pour fournir une aide sociale aux Canadiens qui subissent une perte de revenus en raison d’une retraite, d’une incapacité, ou du décès du conjoint ou du parent qui était l’unique salarié du ménage. Les objets de ces deux lois et les termes choisis par le législateur en les créant sont suffisamment similaires pour que je sois porté à les interpréter aussi harmonieusement que possible, dans la mesure où leurs dispositions n’exigent pas une approche différente.

 

[26]    Comme je l’ai déjà souligné, le paragraphe 12(1) du Régime prévoit que « [l]e montant des traitement et salaire cotisables d’une personne pour une année est le revenu qu’elle retire pour l’année d’un emploi ouvrant droit à pension, calculé en conformité avec la Loi de l’impôt sur le revenu. » De même, l’alinéa 6(1)f) de la LIR indique qu’il faut inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable pour l’application de l’impôt sur le revenu les prestations d’assurance contre la maladie et les sommes reçues en vertu d’un régime d’assurance invalidité dans le cadre duquel l’employeur a contribué. Cela permet à la fois de conclure que les prestations versées en vertu d’un régime d’invalidité auquel l’employeur contribue constituent un revenu ouvrant droit à pension et d’interpréter harmonieusement la LIR et le Régime.

 

[27]    La définition d’« emploi » se trouvant au paragraphe 2(1) du Régime et celle d’« employeur » se trouvant au paragraphe 1(2) du RRAPC sont très similaires. La première définition exige que des services soient accomplis aux termes d’un contrat de louage de services, et la deuxième exige qu’une rémunération soit versée pour des services rendus dans l’exercice d’un emploi assurable.

 

[28]    Comme je l’ai précédemment exposé, dans Laval, la Cour d’appel fédérale a conclu que certaines dispositions de la LAE écartaient l’exigence que des services soient fournis. La question est donc de savoir s’il en va de même pour le Régime.

 

[29]    Je note que la définition d’« emploi » au paragraphe 2(1) du Régime semble exiger à la fois l’existence d’un contrat de louage de services et l’accomplissement de services pour conclure qu’un emploi est assurable au sens de l’article 6 du Régime. Pour ce qui est de l’exigence d’un contrat de louage de services, l’alinéa 7(1)d) du Régime, qui est ainsi rédigé, prévoit certaines exceptions :

 

7(1)      Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements en vue d’assimiler à un emploi ouvrant droit à pension les emplois suivants :

 

            […]

 

            d) l’exécution de services contre rémunération, s’il apparaît au gouverneur en conseil que les conditions afférentes à l’exécution des services et au paiement de la rémunération sont analogues à celles d’un contrat de louage de services, qu’elles constituent ou non un contrat de louage de services;

           

            […]

 

[30]    Par exemple, selon le paragraphe 34(1) du Règlement sur le Régime de pensions du Canada, qui porte sur les agences de placement, une rémunération peut ouvrir droit à pension même si aucun contrat de louage de services ne lie le travailleur à l’agence ou au client de celle‑ci.

 

[31]    De façon similaire, l’exigence prévue au paragraphe 2(1) du Régime, selon laquelle des services doivent être accomplis pour qu’il y ait « emploi », n’est pas absolue. Comme je l’ai déjà expliqué, le paragraphe 12(1) du Régime incorpore la LIR par renvoi. Le sous‑alinéa 6(1)f)(ii) de la LIR rend imposable, et fait donc qu’elle ouvre droit à pension, toute somme reçue en vertu d’un régime d’assurance invalidité dans le cadre duquel l’employeur a contribué, et ce, même si, évidemment, aucun service n’a été fourni.

 

[32]    De plus, tant dans Laval que dans Banque Nationale, une distinction a été faite entre les cas où les prestations sont payées par l’employeur et celles où les prestations sont payées par un tiers assureur.

 

[33]    J’ai conclu que les prestations versées par la TTC, en vertu de son régime d’assurance invalidité de longue durée, à Herschell Green et à Nancy Murphy à titre d’indemnité pour une perte de revenus futurs, pendant que les contrats de louage de services de ces employés étaient encore en vigueur, constituent une rémunération ouvrant droit à pension pour l’application du Régime.

 

[34]    En l’espèce, c’est l’appelante qui a le fardeau de réfuter les hypothèses énoncées au paragraphe 9 de la réponse à l’avis d’appel du ministre. Elle ne s’est pas déchargée de ce fardeau. En fait, l’alinéa 9s) de la réponse a été éclairci en faveur du ministre. C’est la TTC qui prend la décision finale dans les litiges portant sur l’admissibilité au régime, la couverture, les sommes dues et [TRADUCTION] « de façon générale, sur toute question particulière ou ne relevant pas de l’administration courante d[u] régime ».

 

[35]    J’ai examiné l’ensemble des faits exposés par les avocats des deux parties,  je n’ai découvert aucun fait nouveau, et rien ne me permet de croire que les faits sur lesquels le ministre s’était fondé sont faux ou qu’ils ont été mal compris ou mal utilisés pour établir les cotisations en cause. Les conclusions du ministre sont raisonnables objectivement. Par conséquent, l’appel est rejeté et les décisions du ministre sont confirmées.

 

 

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 21e jour d’avril 2009.

 

 

 

« N. Weisman »

Juge suppléant Weisman

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour de juin 2009.

 

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.



RÉFÉRENCE :

2009 CCI 198

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2008‑1378(CPP)

 

INTITULÉ :

Toronto Transit Commission et

Le ministre du Revenu national

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge suppléant N. Weisman

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 21 avril 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

Me Matthew G. Williams

Me Kristina Soutar

 

Avocat de l’intimé :

Me Laurent Bartleman

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Nom :

Me Matthew G. Williams

Me Kristina Soutar

 

Cabinet :

Thorsteinssons LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour l’intimé :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] L.R.C. (1985), ch. C-8, dans sa version modifiée.

[2] (1983), 144 D.L.R. (3d) 310 (C.A.F.)

[3] [2004] A.C.F. no 531 (C.A.F.)

[4] S.C. 1970-71-72, ch. 48.

[5] L.C. 1996, ch. 23.

[6] C.R.C., ch. 1576 (1978).

[7] DORS/97-33.

[8] L.R.C. (1985), ch.1 (5e supplément), dans sa version modifiée.

[9] [2006] A.C.I. no 552.

[10] [1999] A.C.I. no 901 (CCI).

[11] [2002] A.C.F. no 660 (C.A.F.)

[12] [2003] A.C.F. no 862 (C.A.F.)

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