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Dossier : 2003-3783(IT)G

ENTRE :

WABUSH IRON COMPANY LIMITED,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu les 22, 23 et 24 septembre 2008,

à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge B. Paris

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Me Stephane Eljarrat

Me Olivier Fournier

 

Avocats de l’intimée :

Me Pierre Cossette

Me Annick Provencher

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1993, 1994, 1995, 1996, 1997 et 1998 est accueilli en partie, les dépens étant adjugés à l’intimée, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mai 2009.

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de juin 2009.

 

 

François Brunet, réviseur

 


 

 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 239

Date : 20090515

Dossier : 2003-3783(IT)G

ENTRE :

WABUSH IRON COMPANY LIMITED,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Paris

 

[1]              La Cour est saisie d’un appel interjeté de nouvelles cotisations concernant les années d’imposition 1993 à 1998 de l’appelante.

 

[2]              L’appelante est membre d’une coentreprise connue sous le nom de Wabush Mines, qui exploite un gisement de minerai de fer et une usine de concentration à Wabush (Labrador) ainsi qu’une usine de traitement à Pointe Noire (Québec), où le minerai de fer enrichi est transformé en billes.

 

[3]              Aux termes de l’entente de coentreprise, l’appelante recevait sa quote‑part de billes de fer qui étaient produites. De son côté, l’appelante vendait ces billes à ses propres actionnaires.

 

Les questions en litige

 

[4]               La première question à trancher dans le présent appel se rapporte au prix payé par les actionnaires pour les billes. Il faut interpréter l'entente conclue entre l’appelante et ses actionnaires, intitulée : [traduction] « Entente relative aux ventes de billes ». Aux termes de cette entente, le prix des billes était fixé à la juste valeur marchande ou au coût de production des billes, selon le montant qui était le plus élevé.

 

[5]              De 1991 à 1994, le coût de production des billes était supérieur à leur juste valeur marchande, et les actionnaires ont donc versé à l’appelante des montants supérieurs à la juste valeur marchande des billes. En produisant ses déclarations de revenus pour les années 1991 à 1994, l’appelante a indiqué son revenu compte tenu du fait que le prix qu’elle avait obtenu de ses actionnaires pour les billes reflétait la juste valeur marchande des billes et que les montants versés par les actionnaires en sus de la juste valeur marchande étaient des apports de capitaux qui n’avaient pas à être inclus dans son revenu. L’appelante soutient que l’excédent était un apport de capitaux effectué par ses actionnaires en sa faveur en vue de couvrir sa part des frais d’exploitation de la coentreprise.

 

[6]              Le ministre a établi de nouvelles cotisations à l’égard de l’appelante compte tenu du fait que tous les montants versés par les actionnaires aux termes de l’entente relative aux ventes de billes représentaient la contrepartie afférente aux billes et que ces montants devaient être inclus dans le revenu de l’appelante. Le ministre a donc établi les nouvelles cotisations de l’appelante reflétant les augmentations suivantes du revenu que celle‑ci tirait de ses activités :

 

1991 – 12 449 256 $

1992 – 10 307 919 $

1993 –   3 768 693 $

1994 –   1 549 296 $

 

[7]              L’appelante interjette appel des nouvelles cotisations relatives à ses années d’imposition 1993 et 1994 au motif que l’excédent des paiements effectués par ses actionnaires sur la juste valeur marchande des billes n’était pas un revenu.

 

[8]              La seconde question en litige découle du fait que les nouvelles cotisations relatives aux années d’imposition 1991 et 1992 de l’appelante étaient des cotisations néant. Au moment où les nouvelles cotisations ont été établies, l’appelante a demandé, et le ministre a admis, des déductions pour amortissement (les « DPA ») supplémentaires en 1991 et en 1992 afin de compenser l’augmentation du revenu d’entreprise. Par suite des DPA majorées, aucun impôt n’était dû par l’appelante pour ces années-là.

 

[9]              L’appelante soutient maintenant qu'elle a correctement indiqué les recettes tirées des ventes de billes dans ses déclarations initiales et, bien qu’elle ne puisse pas interjeter appel des nouvelles cotisations relatives à ses années d’imposition 1991 et 1992, en fin de compte, elle conteste l’inclusion des recettes additionnelles tirées des ventes de billes dans son revenu au cours de ces années en interjetant appel des nouvelles cotisations relatives à ses années d’imposition 1996 et 1997. L’appelante soutient que les DPA qu’elle a demandées en 1991 et en 1992 en vue de compenser l’augmentation des recettes tirées des ventes de billes devraient être annulées, ce qui donnerait lieu à une augmentation de 22 757 175 $ du solde cumulatif de la fraction non amortie du coût en capital (la « FNACC ») d’ouverture pour les années 1996 et 1997.

 

[10]         À l’audience, la Cour a été informée qu’une question distincte se rapportant à l’année d’imposition 1994 avait été réglée et que l’intimée consentait à une réduction de 6 279 378 $ du revenu de l’appelante pour cette année‑là. L’avocat de l’appelante a également renoncé à toute contestation au sujet des années d’imposition 1995 et 1998, de sorte que seules les nouvelles cotisations relatives aux années d’imposition 1993, 1994, 1996 et 1997 sont encore en litige.

 

Les faits

 

[11]         M. Leo Kipfstuhl, dirigeant à la retraite de Cleveland‑Cliff Inc., la société mère de Cliff Mining, a fait devant la Cour l’historique de Wabush Mines. Cliff Mining est actionnaire de l’appelante, et elle est administratrice de Wabush Mines.

 

[12]         Les actionnaires initiaux de l’appelante étaient Pickands Mather and Company, l’administratrice initiale de la coentreprise, et cinq importantes aciéries intégrées : Acme Steel Company, Inland Steel Company, LTV Steel Company, Pittsburgh Wheeling Steel Company et Societa Finanziaria Siderurgica Finsider per Azioni. Pickands Mather a été achetée par Cleveland‑Cliff en 1987 et elle a changé de nom pour adopter celui de Cliff Mining.

 

[13]         Wabush Mines est une coentreprise non constituée en personne morale à laquelle participent l’appelante, The Steel Company of Canada Ltd. (« Stelco ») et Dominion Foundries and Steel Ltd. (« Dofasco »). La coentreprise a été lancée au début des années 1960 en vue d’exploiter de gros gisements de minerai de fer dans la région de Wabush Lake, au Labrador. Avec Stelco et Dofasco, les actionnaires de l’appelante voulaient obtenir des approvisionnements à long terme de fer à un coût raisonnable. Il fallait investir énormément de capitaux pour construire la mine, l’usine de concentration, l’usine de pelletisation et l’infrastructure connexe, et les parties ont décidé d’assurer l’exploitation en tant que coentreprise afin de diviser les risques associés au projet.

 

[14]         L’entente de coentreprise Wabush Mines la plus récente, qui est celle qui nous intéresse, a été conclue le 1er janvier 1967.

 

[15]         Un certain nombre d’autres ententes ont été conclues en même temps que l’entente de coentreprise, notamment : l’entente concernant les participants de Wabush Mines, l’entente relative aux ventes de billes de Wabush Mines, l’entente relative aux dispositions générales de Wabush Mines et un acte d’hypothèque de premier rang et de fiducie accessoire.

 

[16]         Aux termes de l’entente de coentreprise, Wabush Mines devait être exploitée par l’administratrice pour le compte des coentrepreneurs. Chacun des coentrepreneurs étaient obligés de payer leur part des dépenses et ils avaient chacun droit à une quote‑part des billes qui étaient produites et à tout revenu tiré de l’exploitation.

 

[17]         Les coentrepreneurs supportaient les frais de construction, de développement et d’exploitation de Wabush Mines et investissaient les capitaux nécessaires dans les filiales qui étaient associées à Wabush Mines. Ces frais sont énumérés aux articles IV et V de l’entente de coentreprise. Les frais d’exploitation comprenaient tous les frais relatifs à Wabush Mines, y compris les frais accessoires, comme les redevances versées à des tiers, les impôts, le loyer et l’assurance. Les débours se rapportant à la construction et à l’investissement comprenaient tous les frais associés à l’acquisition, au développement et à la construction de Wabush Mines, le coût des biens de remplacement acquis à l’égard de Wabush Mines et certains paiements anticipés minimaux effectués au titre des redevances, ainsi que les investissements à effectuer dans les filiales associées au projet ou à des parties ayant un lien avec Wabush Mines.

 

[18]         Afin de financer sa participation à la coentreprise, l’appelante a émis des obligations au montant de 138 millions de dollars en faveur d’investisseurs institutionnels. Elle a vendu des obligations de série A s’élevant à 112 millions de dollars en 1962 et des obligations de série B s’élevant à 26 millions de dollars en 1964. La Compagnie Trust Royal est intervenue à titre de fiduciaire des détenteurs d’obligations. Les deux séries d’obligations venaient à échéance en 1991.

 

[19]         Afin de garantir le paiement du principal et des intérêts afférents aux obligations, l’appelante a accordé au Trust Royal, en sa qualité de fiduciaire des détenteurs d’obligations, une hypothèque et une charge flottante sur ses biens, et notamment sur sa participation indivise de 58 p. 100 dans les actifs de la coentreprise. Cette entente était intitulée : [traduction] « Acte d’hypothèque de premier rang et de fiducie accessoire et acte de fiducie créant une hypothèque et un gage ».

 

[20]          Le Trust Royal était également désigné à titre de partie à l’entente de coentreprise afin de protéger la sûreté qu’il possédait à l’égard de la participation de l’appelante à la coentreprise. Les droits et pouvoirs du fiduciaire aux termes de l’entente de coentreprise devaient prendre fin au moment du remboursement des obligations.

 

[21]         Aux termes de l’entente relative aux ventes de billes, l’appelante vendait à ses actionnaires sa part des billes produites par Wabush Mines, proportionnellement au nombre de ses actions que ceux‑ci détenaient. L’entente relative aux ventes de billes constatait, entre autres choses, l’obligation de l’appelante de vendre aux actionnaires, et l’obligation des actionnaires d’acheter, sa part des billes produites par la coentreprise et indiquait la méthode de calcul du prix d’achat des billes.

 

[22]         Selon l’article 3 de l’entente relative aux ventes de billes, chaque actionnaire était tenu de verser chaque année à l’appelante, comme prix d’achat des billes qui lui étaient vendues, un montant égal au montant le plus élevé i) de la juste valeur marchande des billes qui lui étaient vendues au cours de l’année; ou ii) de sa part des [traduction] « frais de Wabush Iron » pour l’année. La partie pertinente de l’article 3 est rédigée comme suit :

 

[traduction] 

3. Prix d’achat des billes et paiements y afférents par les actionnaires de Wabush Iron. Chaque actionnaire de Wabush Iron s’engage par les présentes, solidairement et non conjointement ou conjointement et solidairement, à verser chaque année comme prix d’achat des billes qui lui sont vendues en vertu des présentes un montant égal au montant le plus élevé, au cours de l’année, (i) de la juste valeur marchande des billes qui lui sont vendues au cours de l’année (cette juste valeur marchande étant déterminée au moment de la vente des billes; toutefois, si la juste valeur marchande des billes change au cours d’une année, les montants par la suite payables en vertu de la présente clause (i) seront rajustés, de façon que les montants payables par chaque actionnaire de Wabush Iron en vertu de la présente clause (i) au cours de l’année reflètent la juste valeur marchande moyenne au cours de l’année, pondérée en fonction des billes livrées par Wabush Iron à tous les actionnaires de Wabush Iron au cours de chaque période où une juste valeur marchande différente s’applique) et (ii) de la quote‑part de base de l’actionnaire de Wabush Iron des frais de Wabush Iron pour l’année (l’obligation de pareil actionnaire de verser les montants payables en vertu de la présente clause (ii), sous réserve du troisième paragraphe du présent article 3, n’étant pas modifiée par suite de quelque omission de produire ou de livrer des billes au cours de l’année);

 

[23]         Les frais de Wabush Iron étaient tous les frais que l’appelante engageait dans le cadre de la coentreprise, calculés conformément aux principes comptables généralement reconnus, à l’exclusion des montants imputables aux comptes de capital, sauf pour les intérêts afférents aux obligations.

 

[24]         Les frais de Wabush Iron, qui étaient définis à la page 42 de l’entente relative aux dispositions générales, comprenaient :

 

[traduction] 

- tous les montants payables par l’appelante conformément à l’entente de coentreprise au titre des frais d’exploitation;

 

- tous les frais engagés par l’appelante pour les débours effectués aux fins de la construction aux termes de l’entente de coentreprise;

 

- une provision pour amortissement et épuisement pour chaque mois, égale à l’ensemble de 1/12 du versement annuel au fonds d’amortissement se rapportant aux obligations de série A et de série B;

 

- les intérêts, commissions d’engagement et frais financiers, y compris les intérêts et les commissions se rapportant aux obligations;

 

- les autres coûts, dépenses, dettes et frais de l’appelante se rattachant à la coentreprise.

 

[25]         L’article 3 de l’entente relative aux ventes de billes stipulait également qu’au cas où l’appelante omettait de produire des billes ou de livrer des billes aux actionnaires au cours de l’année, les actionnaires étaient néanmoins obligés de verser leur quote‑part des frais de Wabush Iron pour l’année. M. Kipfstuhl a déclaré qu’il n’y a jamais eu d’année au cours de laquelle la coentreprise n’avait pas produit de billes.

 

[26]         En vertu de l’article 4 de l’entente relative aux ventes de billes, les actionnaires étaient tenus d’effectuer des paiements au titre du principal et des intérêts afférents aux obligations si l’appelante omettait de le faire. Les paiements effectués par les actionnaires en vertu de l’article 4 pouvaient être déduits des paiements que ceux‑ci étaient tenus d’effectuer en faveur de l’appelante en vertu de l’article 3. Selon la preuve, les actionnaires n’ont jamais été obligés d’effectuer des paiements en vertu de l’article 4.

 

[27]         L’article 15 de l’entente relative aux ventes de billes prévoyait que l’entente ne prendrait fin que sur remboursement de toutes les dettes représentées par les obligations.

 

[28]         M. Kipfstuhl a déclaré que l’entente relative aux ventes de billes assurait à l’appelante un financement suffisant de la part de ses actionnaires pour qu’elle puisse respecter les obligations qui lui incombaient aux termes de l’entente de coentreprise et visait à protéger les autres coentrepreneurs, Stelco et Dofasco, ainsi que le Trust Royal. M. Kipfstuhl a déclaré que les détenteurs d’obligations se fondaient sur l’entente relative aux ventes de billes comme garantie du remboursement des obligations.

 

[29]         L’entente concernant les participants a été conclue par les actionnaires de l’appelante ainsi que par Stelco et par Dofasco. Entre autres choses, à l’article V de l’entente, les actionnaires de l’appelante s’engageaient à acheter leur quote‑part respective de la part revenant à l’appelante des billes produites par la coentreprise, à un prix égal à la juste valeur marchande ou à la part respective des actionnaires des frais de Wabush Iron, selon le montant le plus élevé. M. Kipfstuhl a déclaré que cette disposition était incluse dans l’entente concernant les participants afin d’obliger les actionnaires de l’appelante envers Stelco et Dofasco à fournir à l’appelante suffisamment d’argent pour que celle‑ci puisse payer sa part des frais d’exploitation.

 

[30]         L’entente relative aux dispositions générales contenait les définitions des termes figurant dans l’entente de coentreprise, dans l’entente concernant les participants, dans l’entente relative aux ventes de billes et dans d’autres documents connexes; l’entente contenait une clause d'arbitrage; elle imposait des restrictions à l’égard du transfert de parts de la coentreprise et de la création de charges sur les parts de la coentreprise; et elle énonçait les droits et pouvoirs du fiduciaire, le Trust Royal.

 

[31]         Pour chacune des années allant de 1991 à 1994, les frais de Wabush Iron engagés par l’appelante étaient supérieurs à la juste valeur marchande des billes que celle‑ci vendait à ses actionnaires et, conformément à l’entente relative aux ventes de billes, les actionnaires de l’appelante ont versé à celle‑ci des montants s’élevant en tout aux montants des frais de Wabush Iron.

 

[32]         Dans les états financiers qui ont été préparés pour les années ayant pris fin les 31 décembre 1991 à 1994 inclusivement, l’appelante a inscrit tous les montants reçus de ses actionnaires aux termes de l’entente relative aux ventes de billes au titre de recettes tirées de la vente de billes. Aux fins de l’impôt, l’appelante a réduit le revenu indiqué dans ses états financiers en tenant compte du fait que le prix qu’elle avait obtenu pour les billes correspondait à la juste valeur marchande des billes plutôt qu’aux montants qu’elle avait reçus en vertu de l’entente relative aux ventes de billes. Ce rajustement a été effectué chaque année dans l’annexe T2 S1 présentée avec les déclarations, et il avait pour effet de réduire des montants suivants les recettes de ventes et le revenu :

 

1991 –             12 449 256 $

1992 –             10 307 919 $

1993 –   3 768 693 $

1994 –   1 549 296 $

 

[33]         M. Kipfstuhl a déclaré que le fait d’inscrire, dans les états financiers, les montants reçus par l’appelante aux termes de l’entente relative aux ventes de billes au titre des recettes plutôt qu’à titre d’avances consenties par les actionnaires n’influait pas sur le résultat net des états financiers. Si les montants avaient été inscrits à titre d’avances consenties par les actionnaires plutôt qu’au titre de recettes, le solde de fermeture du passif et des capitaux propres de l’appelante, dans le bilan, n’aurait pas changé. M. Kipfstuhl a déclaré que l’appelante employait cette méthode comptable depuis bien des années et qu’il s’agissait d’une méthode appropriée étant donné que les seules parties qui se fondaient sur les états financiers étaient les actionnaires et les détenteurs d’obligations. M. Kipfstuhl a également signalé que la lettre d’envoi du vérificateur qui accompagnait les états financiers de 1991 à 1994 contenait un avertissement, à savoir qu’étant donné que la totalité de la part de la production de Wabush Mines revenant à l’appelante était vendue aux actionnaires de l’appelante, [traduction] « il [était] possible que les dispositions de ces opérations de vente ne soient pas les mêmes que celles qui s’appliqueraient à des opérations conclues entre des personnes n’ayant entre elles aucun lien ».

 

[34]         De l’avis de M. Kipfstuhl, les montants que l’appelante recevait de ses actionnaires aux termes de l’entente relative aux ventes de billes représentaient en partie la contrepartie des billes et en partie un apport de capitaux que les actionnaires effectuaient en faveur de l’appelante en vue de couvrir la part des frais d’exploitation de la coentreprise payables par l’appelante. M. Kipfstuhl a déclaré qu’en plus de porter sur la vente des billes aux actionnaires, l’entente relative aux ventes de billes visait à fournir une garantie supplémentaire aux détenteurs d’obligations, compte tenu de la nature spéciale et de l’emplacement éloigné des actifs de l’appelante. M. Kipfstuhl a déclaré que l’entente relative aux ventes de billes protégeait les détenteurs d’obligations et les autres coentrepreneurs de Wabush Mines en garantissant que l’appelante aurait toujours suffisamment de fonds pour satisfaire aux obligations qui lui incombaient aux termes de l’entente de coentreprise et à l’égard des obligations. Il a déclaré que le fait que le Trust Royal avait été désigné à titre de partie à l’entente relative aux ventes de billes montrait que l’entente devait fournir une garantie aux détenteurs d’obligations.

 

[35]         M. Kipfstuhl a également mentionné la faillite de deux actionnaires de l’appelante et les effets que la chose avait eus sur l’exploitation de la coentreprise. LTV et Wheeling Pittsburg ont fait faillite en 1985 et en 1986 respectivement, et elles ont cessé d’effectuer des paiements à l’appelante. Les coentrepreneurs ont convenu de poursuivre les activités de Wabush Mines, de Stelco et de Dofasco, et les actionnaires de l’appelante ont acquis la part de production et ont supporté les frais d’exploitation des faillis, à l’exclusion de la part des frais associés aux obligations qui incombait aux faillis.

 

[36]         Les participations relatives de l’appelante, de Stelco et de Dofasco dans la coentreprise ont été rajustées par suite des faillites, et les actions que LTV et Wheeling Pittsburg détenaient dans l’appelante ont été transférées aux autres actionnaires en 1994. Le produit reçu par l’appelante par suite du règlement des faillites a été utilisé pour rembourser en partie les obligations. De plus, apparemment par suite de la réorganisation découlant des faillites, les obligations ont été remboursées au complet en l’an 2000 seulement.

 

[37]         Il ressort également de la preuve montrait également qu’en 2000, en 2001 et en 2002, les actionnaires de l’appelante avaient versé à l’appelante des montants supérieurs à la juste valeur marchande des billes qu’ils avaient acquises de l’appelante. Dans ses états financiers, l’appelante a inclus le montant intégral dans son revenu, alors qu’aux fins de l’impôt, elle a déclaré les ventes de billes à leur juste valeur marchande.

 

La thèse de l’appelante

 

[38]         L’appelante soutient que, selon l’interprétation qu’il convient de donner à l’entente relative aux ventes de billes, le prix payé par les actionnaires pour les billes correspondait à la juste valeur marchande des billes, et les montants que les actionnaires avaient versés en sus de la juste valeur marchande, en 1991, en 1992, en 1993 et en 1994, étaient des avances de capitaux destinés au financement de la part de l’appelante des activités de la coentreprise.

 

[39]         L’appelante soutient que l’entente relative aux ventes de billes visait à lui fournir un flux de revenu sûr provenant des actionnaires, de façon qu’elle puisse payer sa part des frais de la coentreprise et respecter les engagements qu’elle avait pris à l’égard des obligations, et que c’étaient les prêteurs qui avaient exigé la conclusion de l’entente.

 

[40]         L’entente relative aux ventes de billes stipulait que les paiements étaient imputables au prix d’achat des billes, mais, selon l’avocat de l'appelante, ce texte n’indiquait pas la véritable nature juridique des paiements. Cela étant, les termes que les parties avaient employés pour décrire les paiements ne peuvent pas l’emporter sur la nature juridique et sur l’effet des paiements. À l’appui de cette position, l’avocat s’est référé à l’arrêt Dominion Taxicab Assn. v. M.N.R., 54 DTC 1020 (C.S.C.).

 

[41]         Il est soutenu que, l’intention des parties, en ce qui concerne les paiements que les actionnaires effectuaient en faveur de l’appelante, doit être examinée au regard de l’ensemble des ententes se rapportant à la coentreprise que toutes les parties, et notamment le fiduciaire, avaient conclues. Les parties voulaient assurer le financement de la coentreprise et faire en sorte que l’appelante soit en mesure de respecter les engagements qu’elle avait pris à l’égard des obligations émises en faveur des investisseurs institutionnels. On l’a fait en incluant les engagements pris par l’appelante à l’égard des obligations dans les frais de Wabush Iron dont les actionnaires étaient redevables aux termes de l’entente relative aux ventes de billes, ce qui indique l’intention de consentir des avances de capitaux à l’appelante, dans la mesure où les frais de Wabush Iron excédaient la juste valeur marchande des billes.

 

[42]         Il est en outre soutenu que l’exigence, dans l’entente relative aux ventes de billes, selon laquelle les actionnaires devaient payer leur part respective des frais de Wabush Iron même si aucune bille n’était produite allait à l’encontre de l’idée selon laquelle l’entente était un contrat de vente des billes. Il est soutenu qu’il était impossible que les rédacteurs de l’entente aient voulu que la stipulation relative au paiement figurant dans l’entente vise simplement à fixer un prix d’achat pour les billes puisque l’obligation d’effectuer des paiements en faveur de l’appelante existait même dans le cas où aucune bille n’était produite. L’entente relative aux ventes de billes aurait principalement visé le financement de la participation de l’appelante dans la coentreprise.

 

[43]         En outre, Il est soutenu que les droits conférés au fiduciaire aux termes de l’entente relative aux ventes de billes sont incompatibles avec la qualification de l’entente comme un contrat de vente de billes. Selon l’article 7 de l’entente, les engagements prévus par l’entente furent pris en vue d’encourager l’achat des obligations, et les engagements des actionnaires et de l’appelante aux termes de l’entente étaient également des engagements envers le fiduciaire. L’entente ne pouvait pas être résiliée tant que les obligations n’étaient pas remboursées au complet. Par conséquent, l'intention des parties était que l’entente soit un moyen de financer l’appelante et la part des activités de la coentreprise dont l’appelante était responsable plutôt qu’un contrat de vente de billes. L’entente garantissait que les actionnaires seraient tenus de couvrir les frais de l’appelante, indépendamment de la juste valeur marchande des billes ou même peu importe que des billes soient produites.

 

[44]         L’appelante soutient que le fait que lorsque les deux actionnaires de l’appelante ont fait faillite, les actionnaires solvables aient pris en charge la part des frais de Wabush Iron de l’appelante dont les faillis étaient responsables, concorde avec son interprétation de l’entente relative aux ventes de billes. Cette conduite montre que l’appelante et ses actionnaires agissaient de concert en vue de faire en sorte que l’appelante ait suffisamment de fonds pour payer sa part des frais d’exploitation de la coentreprise.

 

[45]         On signale a également que le prix d’achat des billes était réduit si les actionnaires payaient le principal ou les intérêts afférents aux obligations directement aux détenteurs d’obligations en vertu de l’article 4 de l’entente.

 

[46]         On soutient que le fait que les rentrées d’argent étaient assimilées à des recettes, dans les états financiers, n’était pas déterminant parce que la nature juridique des paiements est une question de droit. Quoi qu’il en soit, les montants ont été inscrits dans les comptes d’avances des actionnaires et n’influaient pas sur le résultat net des états financiers.

 

[47]         Quant à la question de savoir si l’appelante pouvait contester les nouvelles cotisations relatives aux années 1991 et 1992, on soutient qu’il était loisible à l’appelante de demander réparation à l’égard de ces nouvelles cotisations au cours des années où les rajustements apportés aux années 1991 et 1992 avaient des répercussions sur le revenu imposable de l’appelante, afin de corriger ce qui est qualifié de [traduction] « demandes excessives » de DPA. On soutient que la Cour pouvait ordonner au ministre de réviser le solde d’ouverture de la FNACC pour les années qui n’étaient pas frappées de prescription. On invoque la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Clibetre Exploration Ltd. c. La Reine, 2003 CAF 16, et la décision Aallcann Wood Suppliers Inc. v. The Queen, 94 DTC 1475 de la Cour. Il s’est également référé à la politique administrative de l’ARC énoncée dans la circulaire d’information IC84‑1, portant sur la révision des demandes de DPA. Le paragraphe 10 de la circulaire est rédigé comme suit :

 

Révisions demandées à l’égard d’années non imposables

 

10. Lorsqu’un contribuable demande une révision d’une déduction pour amortissement dans une année d’imposition pour laquelle a été émis un avis stipulant qu’aucun impôt n’est payable [...], une telle demande sera agréée, à condition qu’elle n’entraîne aucun changement dans la cotisation d’impôt pour l’année ou toute autre année, y compris une année frappée de prescription, pour laquelle le délai de production d’un avis d’opposition a expiré. [...]

 

La thèse de l’intimée

 

[48]         L’intimée soutient que le montant que l’appelante recevait chaque année de ses actionnaires en vertu de l’article 3 de l’entente relative aux ventes de billes était le prix des billes et que l’appelante transférait les billes aux actionnaires en contrepartie des paiements. Par conséquent, les paiements effectués par les actionnaires constituaient un revenu pour l’appelante.

 

[49]         L'intimée soutient que tous les montants payés par les actionnaires pouvaient uniquement être des paiements se rattachant aux billes parce que les actionnaires n’avaient aucune autre obligation d’effectuer des paiements en faveur de l’appelante.

 

[50]         On soutient que même si le prix des billes était déterminé en partie par rapport à la part des frais d’exploitation de la coentreprise dont l’appelante était responsable, cela en soi ne fait pas des sommes versées des paiements ou des avances de  capitaux de la part des actionnaires. Il est également soutenu que l’appelante demande en fin de compte à la Cour de requalifier l’opération en se fondant sur sa substance économique.

 

[51]         Il est également soutenu que le fait que les montants étaient uniformément assimilés à des recettes dans les états financiers de l’appelante montre que l’appelante elle‑même reconnaissait que les paiements étaient effectués à titre de contrepartie des billes. Les états financiers contredisent également la thèse de l’appelante selon laquelle les montants payés par les actionnaires en sus de la juste valeur marchande étaient des apports de capitaux étant donné que les montants n’étaient pas inscrits en tant qu’apports de capitaux dans ces états financiers. En outre, rien n’indique que l’appelante était tenue de rembourser les montants en question à ses actionnaires. Les documents se rapportant à la faillite de LTV et de Wheeling Pittsburg ne montrent pas que les actionnaires avaient demandé à l’appelante les montants qu’ils avaient versés pour les billes en sus de la juste valeur marchande.

 

[52]         Il est également soutenu que l’appelante n’a pas démontré que les paiements en sus de la juste valeur marchande des billes visaient principalement à assurer le remboursement des engagements pris par l’appelante à l’égard des obligations. Il est soutenu qu'il ressort de la preuve que même après que la dette obligatoire eut été remboursée au complet, les actionnaires et l’appelante ont continué à se conformer aux stipulations de l’entente relative aux ventes de billes en ce qui concerne le prix des billes et qu’en 2001 et en 2002, les actionnaires ont versé à l’appelante leur quote‑part des frais de Wabush Iron qui était en sus de la juste valeur marchande des billes. Cela montre que l’article 3 de l’entente relative aux ventes de billes visait à fixer le prix de vente des billes et non à protéger les détenteurs d’obligations ou à exiger un apport de capitaux de la part des actionnaires.

 

[53]         De plus, l’obligation des actionnaires de verser un montant correspondant au coût des billes ou à la juste valeur marchande des billes, selon le montant qui était le plus élevé, était également stipulée dans l’entente concernant les participants, à laquelle le fiduciaire n’était pas partie. Cela confirme que l’exigence de payer plus que la juste valeur marchande lorsque cette valeur était inférieure au coût de production ne visait pas uniquement à protéger les détenteurs d’obligations.

 

[54]         L’intimée soutient que, même si les montants versés par les actionnaires en sus de la juste valeur marchande des billes ne devaient pas faire partie du prix d’achat des billes, cela ne changerait rien à la détermination du revenu que l’appelante tirait de l’entreprise. Les rentrées d’argent seraient des recettes ou un remboursement des frais d’exploitation de l’appelante, ce qui permettrait de conclure que les montants ont été reçus au titre du revenu plutôt qu’au titre du capital. (Ikea Ltd. c. La Reine, [1998] 1 R.C.S. 196, Johnson and Sons (Arborg) Ltd., v. M.N.R., 82 DTC 1041, Radio Engineering Products Limited v. Minister of National Revenue, 73 DTC 5071 et No. 734 v. M.N.R., 61 DTC 418.)

 

[55]         Quant à la seconde question, l’intimée soutient que l’appelante n’a pas droit à une révision de son solde d’ouverture de la FNACC pour ses années d’imposition 1996 et 1997 en vue d’annuler la DPA demandée pour ses années d’imposition 1991 et 1992, et ce, même si sa thèse est retenue quant à la première question. Il est soutenu que le ministre doit déterminer le solde d’ouverture de la FNACC pour chaque catégorie de biens amortissables conformément à la Loi. Vu la définition de l’expression « fraction non amortie du coût en capital » au paragraphe 13(21) de la Loi, la FNACC doit être réduite de toutes les DPA auparavant accordées au contribuable dans la catégorie en question. En l’espèce, l’appelante a demandé et a obtenu une DPA pour les années 1991 et 1992 et ces montants doivent être pris en compte dans le calcul du solde d’ouverture de la FNACC pour les années ultérieures. Si les montants étaient exclus du calcul de la FNACC, l’appelante bénéficierait une seconde fois d’une DPA.

 

[56]         On fait valoir qu’une révision des soldes de la FNACC est différente des révisions que la jurisprudence a autorisées à l’égard d’autres soldes d’impôt ayant fait l’objet de reports prospectifs depuis des années frappées de prescription. Ainsi, dans la décision Papiers Cascades Cabano Inc. c. La Reine, 2005 CCI 396, la Cour a autorisé le ministre à réviser le solde des crédits d’impôt à l’investissement reporté depuis des années frappées de prescription, mais parce que la Cour avait conclu qu’au cours de ces années, une erreur avait été commise dans le calcul des crédits d’impôt à l’investissement. En l’espèce, il est soutenu que l’appelante n’avait pas démontré qu’une erreur a été commise dans les demandes de DPA qui avaient été faites en 1991 et 1992, de sorte que rien ne permet la révision du solde de la FNACC en 1996 et en 1997. L’appelante a demandé la DPA et elle a été à juste titre autorisée à réduire son revenu imposable en 1991 et en 1992. L’appelante n’a pas contesté l’inclusion des recettes additionnelles tirées des ventes de billes effectuées ces années‑là.

 

L’Analyse

 

[57]         La première question dont la Cour est saisie a trait à l’interprétation de l’entente relative aux ventes de billes, et en particulier de l’article 3 de l’entente.

 

[58]         L’entente prévoit, à l’article 19, qu’elle est régie par les lois de l’État de New York et qu’elle doit être interprétée conformément à ces lois, mais aucun élément de preuve n’a été soumis au sujet du droit applicable dans l’État de New York en matière d’interprétation de contrats. Cela étant, le droit de ce ressort est présumé être le même que celui qui s’applique dans le for où l’appel a pris naissance. Dans l’arrêt Backman c. La Reine, [2000] 1 C.F. 555, la Cour d’appel fédérale a fait les observations suivantes au paragraphe 38 :

 

Lorsque c’est la loi étrangère qui s’applique dans une affaire, il s’agit d’une question de fait qui doit être expressément plaidée et établie à la satisfaction de la Cour. Le professeur J.‑G. Castel a résumé les conséquences de l’omission d’une partie de faire la preuve du droit étranger :

 

[traduction]

Si le droit étranger n’est pas plaidé et établi ou s’il est établi d’une façon insuffisante, il est présumé être le même que celui du tribunal saisi. Cela semble comprendre les lois ainsi que le droit établi au moyen de décisions judiciaires.

 

[59]         Le présent appel a été entendu au Québec, de sorte que l’interprétation doit être faite conformément aux articles 1425 à 1432 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 (le « C.C.Q. »). Les textes suivants sont pertinents en l’espèce :

 

1425.  Dans l’interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés.

 

1426.  On tient compte, dans l’interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue, ainsi que des usages.

 

[60]         Selon Pineau et Gaudet, Théorie des obligations, 4e édition, page 400, le principe énoncé à l’article 1425 ne donne lieu à aucune difficulté lorsque les termes utilisés par les parties sont ambigus ou que, de toute évidence, ils ne correspondent pas à l’intention commune des parties. Toutefois, les auteurs ajoutent ce qui suit :

 

[...] dans la mesure où les termes du contrat ne sont pas ambigus, on doit évidemment présumer qu’ils sont le fidèle reflet de l’intention véritable des parties. Aussi, dans la mesure où les termes utilisés par les parties ne soulèvent pas de difficultés d’interprétation, le juge devra les appliquer sans chercher à les transgresser sous prétexte d’interprétation, à moins qu’on ne réussisse à mettre légalement en preuve des éléments donnant lieu de croire que, malgré l’absence d’ambiguïté des termes utilisés, ceux‑ci trahissent – plutôt qu’ils ne traduisent – l’intention véritable des parties. [...]

 

[61]         L’appelante maintient que, malgré le libellé clair de l’article 3, les parties voulaient que tout montant payé en sus de la juste valeur marchande des billes constitue un apport ou une avance de capitaux plutôt qu'un paiement se rattachant aux billes. L’appelante soutient que les termes employés pour décrire les paiements étaient juridiquement inexacts et qu’ils ne sont donc pas déterminants. Il est soutenu que l’intention véritable des parties, en ce qui concerne les paiements, ressort de la nature du contrat et des circonstances dans lesquelles le contrat a été conclu, et que cette intention indique la nature juridique des paiements en question.

 

[62]         À mon avis, le libellé de l’article 3 de l’entente relative aux ventes de billes, tout en étant compliqué, n’est pas ambigu lorsqu’il est question du prix d’achat des billes. Selon cette clause, chaque actionnaire de Wabush Iron s’engage [traduction] « à verser chaque année comme prix d’achat des billes qui lui sont vendues en vertu [de l’entente] » un montant égal au montant le plus élevé de la juste valeur marchande des billes ou de la quote‑part des frais de Wabush Iron que l’actionnaire doit payer. Apparemment, l'intention des parties était que leur relation, aux fins du transfert des billes, soit celle qui existe entre un vendeur et un acheteur et que le prix d’achat soit le montant intégral qu’elles avaient précisé. Il a été donné suite à cette intention au moyen du transfert des billes aux actionnaires et du paiement des montants calculés conformément à l’article 3.

 

[63]         La preuve que l’appelante a produite au sujet du contexte dans lequel l’entente relative aux ventes de billes a pris naissance et des autres ententes conclues en même temps par les parties ne montre pas que l’intention des parties était autre que ce qui, selon moi, est clairement énoncé à l’article 3.

 

[64]         Je reconnais que l’un des facteurs qui ont donné lieu à la conclusion de l’entente relative aux ventes de billes était d’assurer le financement des activités de l’appelante afin de protéger les détenteurs d’obligations. Toutefois, les parties ont choisi, pour atteindre ce but, de stipuler un prix d’achat garanti pour les billes. Selon l’article 3, les parties faisaient en sorte que l’appelante soit en mesure de financer sa part de la coentreprise en fixant, pour les billes, un prix d’achat au moins égal à la part des frais d’exploitation de la coentreprise que l’appelante devait payer, y compris les frais de service de la dette. Il est vrai que si les actionnaires ne s’étaient pas entendus sur ces conditions, à l’égard de l’achat des billes, l’appelante aurait été obligée d’obtenir des capitaux d’exploitation supplémentaires au cours des années où sa part des frais d’exploitation de la coentreprise était supérieure à ses recettes et aux bénéfices non répartis, mais cela ne permet pas pour autant de conclure que les paiements que les actionnaires ont effectués en sus de la juste valeur marchande étaient des apports de capitaux. L’effet économique des paiements n’est pas déterminant quant à leur nature juridique, et l'on ne peut avoir recours à pour faire requalifier les rapports juridiques véritables établis par le contribuable. (Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, paragraphe 39).

 

[65]         Les parties étaient libres d’organiser leurs affaires comme elles le voulaient et leur choix, en ce qui concerne la nature de leur relation, pour ce qui est du transfert des billes, doit déterminer l'impact fiscal de ces opérations pour chaque partie. (Friedberg c. Canada, [1991] A.C.F. no 1255).

 

[66]         Il est vrai que, comme l’appelante le signale, les actionnaires auraient été tenus de payer leur part respective des frais de Wabush Iron même s’ils ne recevaient pas de billes de l’appelante. L’appelante soutient que la disposition relative au paiement, même si aucune bille n’était transférée aux actionnaires, démontre que l’article 3 de l’entente devait faire plus que simplement fixer le prix d’achat des billes.

 

[67]         Je conviens qu’il est possible que tout montant qui pouvait devenir payable au cours d’une année où aucune bille n’était produite ne soit pas considéré comme se rapportant à l’achat de billes, mais je ne crois pas que cela veuille nécessairement dire que les paiements étaient incompatibles avec une relation vendeur‑acheteur ou que ces paiements pouvaient uniquement constituer un apport de capitaux de la part des actionnaires en leur qualité d’actionnaires.

 

[68]         Pour apprécier la nature de cette obligation, il importe de se rappeler que lorsque l’entente a initialement été conclue, les actionnaires voulaient obtenir un approvisionnement à long terme de billes de l’appelante. Dans ces conditions, il n’aurait pas été déraisonnable, pour les actionnaires, en leur qualité d’acheteurs comptant sur cet approvisionnement, de vouloir assurer la viabilité à long terme des activités de l’appelante, et le fait pour les actionnaires d’accepter de couvrir les frais de l’appelante si la production était interrompue n’allait donc pas à l’encontre de leurs intérêts en leur qualité d’acheteurs. Cette obligation n’est pas incompatible avec une relation vendeur‑acheteur; cette stipulation de l’entente relative aux ventes de billes ne démontre donc pas, à mon avis, que les actionnaires voulaient traiter avec l’appelante en leur qualité d’actionnaires plutôt qu’à titre d’acheteurs.

 

[69]         Compte tenu de la preuve, je ne puis conclure que l’intention des parties était que l’excédent payé par les actionnaires, en sus de la juste valeur marchande des billes, soit payable par les actionnaires en leur qualité d’actionnaires à titre d’apport de capitaux. L’appelante n’a pas démontré que la source de l’obligation d’effectuer les paiements était autre que celle qui était stipulée à l’article 3 de l’entente relative aux ventes de billes. Selon l’interprétation qu’il convient de donner à cette stipulation, les paiements en question faisaient partie du prix de vente des billes.

 

[70]         Je tiens également à ajouter que, puisque j’ai conclu que les paiements étaient effectués par les actionnaires en faveur de l’appelante en raison de la relation vendeur‑acheteur existant entre eux, ces paiements constituent pour l’appelante un revenu plutôt que des rentrées de capital, et ce, même si ces paiements visaient à couvrir toute différence entre les recettes de l’appelante et sa part des frais d’exploitation de la coentreprise. L’appelante a reçu les montants en question dans le cadre de ses activités commerciales ordinaires et les actionnaires les ont versés à titre de clients de l’appelante. Dans ces conditions, les paiements constituent un revenu pour l’appelante. Sur ce point, je tiens à mentionner la décision rendue par la Cour dans l’affaire Hall v. The Minister of National Revenue, 90 DTC 1431, où il s’agissait de savoir si une subvention que le contribuable avait reçue de l’État pour faire la culture des bleuets était imputable au capital ou si elle était plutôt imputable au revenu. Le juge Rip (tel était alors son titre) a conclu que le montant en question était imputable au capital; voici les observations qu’il a faites à la page 1435 :

 

C'est le but de la subvention qui est le facteur le plus important pour déterminer si cette subvention est reçue au titre de compte de capital ou de recettes. Une subvention visant à aider le fonctionnement d’une entreprise est reçue au titre de recettes; une subvention visant à créer ou à étendre la structure d’une entreprise est reçue au titre de compte de capital.

 

[71]         Cela est conforme à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Ikea Limited c. La Reine, précitée, où il a été conclu qu’un paiement d’incitation à la location était pour le contribuable un revenu parce que le montant avait été reçu dans le cadre de ses activités commerciales ordinaires. Au paragraphe 33, la Cour suprême a fait les observations suivantes :

 

Selon moi, le juge Bowman a eu entièrement raison de conclure que le PIL reçu par Ikea relevait du compte de produits et aurait dû être inclus dans le revenu aux fins de l’impôt. Le paiement a clairement été reçu dans le cadre d’activités commerciales ordinaires et, dans les faits, il était inextricablement lié à ces activités. Compte tenu de la preuve, on ne peut sérieusement prétendre que ce paiement avait un rapport avec une fin de nature capitale. Si Ikea l’avait désiré, elle aurait pu demander que le PIL soit fait expressément aux fins des agencements ou pour payer un autre coût en capital. Cependant, elle ne l’a pas demandé, et le paiement a, dans les faits, été effectué libre de toute condition ou stipulation assortissant son utilisation. En conséquence, que le PIL ait représenté une réduction du loyer ou un paiement fait en contrepartie de la prise en charge par Ikea de ses diverses obligations aux termes du bail, il ne peut manifestement pas être considéré comme une rentrée de capital et il aurait dû être inclus dans le revenu d’Ikea. Toutefois, il reste à déterminer au cours de quelle année d’imposition il aurait dû être inclus.

 

[72]         En l’espèce, les paiements effectués par les actionnaires visaient à aider l’appelante dans des activités commerciales et sont donc imputables aux recettes.

 

[73]         Pour les motifs susmentionnés, je conclus que les montants en question ont été à juste titre inclus dans le revenu de l’appelante.

 

[74]         Étant donné la décision à laquelle je suis arrivé au sujet de la première question, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de la nouvelle détermination des soldes d’ouverture de la FNACC pour les années d’imposition 1996 et 1997 de l’appelante.

 

[75]         L’appel est accueilli en partie compte tenu de la concession de l’intimée, dont il est fait mention au paragraphe 10 des présents motifs, et les dépens sont adjugés à l’intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mai 2009.

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de juin 2009.

 

 

François Brunet, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 239

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2003-3783(IT)G

 

INTITULÉ :                                       WABUSH IRON COMPANY LIMITED

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 22 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge B. Paris

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 15 mai 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

Me Stephane Eljarrat 

Me Olivier Fournier

 

Avocats de l’intimée :

Me Pierre Cossette

Me Annick Provencher

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                      Stephane Eljarrat

                                                          Olivier Fournier

 

                          Cabinet :                  Davies Ward Phillips & Vineberg LLP

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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