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Dossier : 2006-1275(IT)G

 

ENTRE :

966838 ONTARIO INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels d'Arthur Lee (2006‑1277(IT)G) et de Solidwear Enterprises Limited (2006‑1278(IT)G), les 28 et 29 octobre 2008, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L'honorable juge C. H. McArthur

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Blair W. M. Bowen

Avocate de l'intimée :

Me Donna Dorosh

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L'appel à l'encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2001, dont l'avis est daté du 28 décembre 2005, est accueilli, sans dépens, et la nouvelle cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelante a le droit de demander la déduction de dépenses d'entreprise de 425 000 $ à titre d'avances consenties à Valleycroft Textiles Inc.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mai 2009.

 

 

« C. H. McArthur »

Le juge McArthur

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de janvier 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Dossier : 2006-1277(IT)G

 

ENTRE :

ARTHUR LEE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de 966838 Ontario Inc. (2006‑1275(IT)G) et de Solidwear Enterprises Limited (2006‑1278(IT)G), les 28 et 29 octobre 2008, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L'honorable juge C. H. McArthur

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Blair W. M. Bowen

Avocate de l'intimée :

Me Donna Dorosh

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L'appel à l'encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2001 est rejeté, sans dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mai 2009.

 

 

« C. H. McArthur »

Le juge McArthur

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de janvier 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Dossier : 2006-1278(IT)G

 

ENTRE :

SOLIDWEAR ENTERPRISES LIMITED,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de 966838 Ontario Inc. (2006‑1275(IT)G) et d'Arthur Lee (2006‑1277(IT)G), les 28 et 29 octobre 2008, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L'honorable juge C. H. McArthur

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Blair W. M. Bowen

Avocate de l'intimée :

Me Donna Dorosh

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L'appel à l'encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2001 est rejeté.

 

          L'intimée a droit à un seul mémoire de frais.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mai 2009.

 

 

« C. H. McArthur »

Le juge McArthur

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de janvier 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 256

Date : 20090515

Dossiers : 2006-1275(IT)G

2006-1277(IT)G

2006-1278(IT)G

 

ENTRE :

 

966838 ONTARIO INC.,

ARTHUR LEE et

SOLIDWEAR ENTERPRISES LIMITED,

appelants,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge McArthur

 

[1]              Dans ces trois appels concernant l'année d'imposition 2001, lesquels ont été entendus sur preuve commune, les appelants cherchent à déduire de leur revenu des avances irrécouvrables qu'ils ont consenties à Valleycroft Textiles Inc. (« VTI ») et dont les montants sont les suivants :

 

(1)

Arthur Lee

1 242 127 $

(2)

Solidwear Enterprises Limited

1 943 471 $

(3)

966838 Ontario Inc.

425 000 $

 

[2]              Chacun des appelants a établi que le solde impayé des avances qu'il avait consenties à VTI était irrécouvrable par suite d'une cession volontaire de faillite effectuée par VTI.

[3]              Il s'agit de savoir si les appelants peuvent déduire, dans le calcul de leur revenu, les avances qu'ils ont consenties.

 

Les faits

 

[4]              Les faits ne sont en général pas contestés, les parties ayant déposé un recueil conjoint de documents et l'exposé conjoint des faits suivant :

 

[TRADUCTION]

 

EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS

 

LES APPELANTS

 

1.         L'appelant Arthur Lee (« M. Lee ») est un particulier qui réside à Toronto (Ontario).

 

2.         L'appelante 966838 Ontario Inc. (« 966838 ») est une société constituée en vertu des lois de l'Ontario; son siège social est situé à Toronto (Ontario).

 

3.         L'appelante Solidwear Enterprises Limited (« Solidwear ») est une société issue d'une fusion en vertu des lois de l'Ontario; son siège social est situé à Toronto (Ontario).

 

LA RELATION EXISTANT ENTRE LES APPELANTS

 

4.         Pendant la période pertinente, M. Lee possédait toutes les actions émises et en circulation de 966838.

 

5.         Pendant la période pertinente, M. Lee contrôlait Solidwear par l'entremise d'une société de portefeuille; il possédait toutes les actions ordinaires et 50 p. 100 des actions spéciales de catégorie A de la société de portefeuille. Les autres actions spéciales de catégorie A de Solidwear étaient détenues par la femme de M. Lee.

 

6.         Monsieur Lee exploitait les entreprises de Solidwear, de 966838 et de Valleycroft Textiles Inc. (« Valleycroft ») depuis les mêmes locaux, en ayant recours à un personnel administratif commun.

 

LES FAITS COMMUNS AUX TROIS APPELS

 

7.         Pendant la période pertinente, M. Lee possédait 85 p. 100 du capital‑actions de Valleycroft, et possédait en outre 10 p. 100 indirectement par l'entremise d'une société de portefeuille.

 

8.         Pendant la période pertinente, Solidwear s'occupait de confection de vêtements et produisait des vêtements de dessus spécialisés ainsi que des tricots.

 

9.         Le 31 janvier 1999 ou vers cette date, Valleycroft Enterprises Inc., société remplacée par Valleycroft, a conclu une entente (l'« entente ») avec John Forsyth Company Inc. / La compagnie John Forsyth inc. (« John Forsyth ») en vue d'acheter les éléments d'actif et l'entreprise de la division Penmans Textile (« Penmans ») de John Forsyth. Penmans exploitait un atelier de teinture et un atelier de tricotage, à Cambridge (Ontario).

 

10.       À la suite de l'acquisition de Penmans, Valleycroft Enterprises Inc. a changé de raison sociale pour adopter celle de Valleycroft Textiles Inc. (appelée ci‑dessus et ci‑après « Valleycroft ») le 24 février 1999.

 

LA FAILLITE DE VALLEYCROFT

 

11.       Valleycroft a fait une cession volontaire de faillite le 28 juin 2001.

 

12.       Monsieur Lee, 966838 et Solidwear ont chacun établi que le solde impayé des avances qu'ils avaient respectivement consenties à Valleycroft était devenu irrécouvrable lors de leurs années d'imposition 2001 respectives.

 

L'APPEL INTERJETÉ PAR SOLIDWEAR

 

13.       Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une nouvelle cotisation à l'égard de Solidwear pour son année d'imposition 2001, dont l'avis est daté du 18 mars 2005, et il a refusé la déduction que Solidwear demandait à l'égard des avances de 1 943 471 $ consenties à Valleycroft. Le ministre a conclu que Solidwear avait subi une perte en capital imputable aux avances consenties à Valleycroft.

 

L'APPEL INTERJETÉ PAR M. LEE

 

14.       Les avances consenties à Valleycroft par M. Lee s'élevaient en tout à 1 242 127,37 $, comme suit :

 

Date

No du chèque

Bénéficiaire

Montant

14 déc. 1998

6231

La Banque Toronto‑Dominion

50 000,00 $

1er févr. 1999

97

La Compagnie John Forsyth

154 000,00 $

3 févr. 1999

98

Valleycroft Textiles

150 000,00 $

9 févr. 1999

99

Valleycroft Textiles

100 000,00 $

24 févr. 1999

6

Valleycroft Textiles

100 000,00 $

10 mai 1999

35

Valleycroft Textiles

150 000,00 $

17 juin 1999

40

Valleycroft Textiles

150 000,00 $

17 juin 1999

41

Valleycroft Textiles

127 127,37 $

6 janv. 2000

82

Valleycroft Textiles

261 000,00 $

 

15.       Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de M. Lee en vue de refuser le montant de 1 242 127 $ qui avait été déduit dans le calcul du revenu de M. Lee pour l'année d'imposition 2001. Le ministre a conclu que la déduction relative à Valleycroft était une perte au titre d'un placement d'entreprise conformément à l'alinéa 39(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu et il a admis, dans le cas de M. Lee, une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise correspondante (la « PDTPE ») conformément à l'alinéa 38c) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

 

L'APPEL INTERJETÉ PAR 966838

 

16.       Ontario Garment Finishers (1997) Limited (« OGF ») a fusionné avec Valleycroft le 1er février 2000 et les activités ont été maintenues sous la raison sociale Valleycroft. La dette contractée par OGF envers 966838, qui n'était pas encore remboursée lors de la fusion, est devenue une obligation de Valleycroft. Valleycroft a signé une reconnaissance de dette en faveur de 966838 le 1er février 2000, reconnaissant que 966838 lui avait consenti divers prêts s'élevant en tout à 425 000 $.

 

17.       Par une nouvelle cotisation, dont l'avis est daté du 28 décembre 2005, le ministre a refusé la déduction de 425 000 $ demandée par 966838 pour l'exercice ayant pris fin le 31 août 2001. Le ministre a conclu que 966838 avait subi une perte en capital imputable aux avances consenties à Valleycroft.

 

18.       Les parties peuvent présenter une preuve supplémentaire, à condition que cette preuve ne soit pas contraire aux faits admis ci‑dessus.

 

[5]              L'appelant Arthur Lee s'occupe de confection de vêtements depuis 1985, principalement dans la région de Toronto. Il détient une participation majoritaire dans un certain nombre de sociétés, notamment dans les deux sociétés appelantes, Solidwear Enterprises Limited (« Solidwear ») et 966838 Ontario Inc. (« 966838 »), ainsi que dans VTI.

 

[6]              Pendant la période qui est ici pertinente, Solidwear s'occupait de la confection de vêtements et produisait des vêtements de dessus spécialisés ainsi que des tricots. Monsieur Lee était le président et l'unique administrateur de Solidwear.

 

[7]              Monsieur Lee était également le président et l'unique administrateur de 966838 et de VTI. Selon l'avis d'appel de 966838, 966838 servait principalement à financer diverses entreprises, notamment Solidwear et VTI.

 

[8]              VTI exploitait un atelier de teinture et un atelier de tricotage à Cambridge (Ontario), lesquels avaient été acquis au mois de janvier 1999. La chose devait entraîner la création d'une entreprise de fabrication intégrée, puisque les tissus seraient fournis à Solidwear, éliminant ainsi la nécessité de s'adresser à des fournisseurs étrangers et assurant à Solidwear une source fiable de tissus de grande qualité.

 

[9]              En plus de M. Lee, Morris Sederoff, le contrôleur (comptable) des appelants de 1999 au mois de juin 2001 environ, a également témoigné pour le compte des appelants. Monsieur Sederoff a expliqué que l'acquisition de l'atelier de tricotage exploité par VTI visait à assurer la maîtrise des coûts.

 

[10]         Les avances ici en cause ont été consenties dans diverses circonstances. Monsieur Lee a personnellement avancé 1 242 127,37 $ en tout à VTI au moyen des versements suivants :

 

Date

Montant

14 déc. 1998

50 000,00 $

1er févr. 1999

154 000,00 $

3 févr. 1999

150 000,00 $

9 févr. 1999

100 000,00 $

24 févr. 1999

100 000,00 $

10 mai 1999

150 000,00 $

17 juin 1999

150 000,00 $

17 juin 1999

127 127,37 $

6 janv. 2000

261 000,00 $

 

[11]         Les « avances de M. Lee » étaient simplement inscrites à titre de prêts, et parfois à titre de prêts d'actionnaire, et elles étaient constatées au moyen de billets. Les billets indiquent qu'ils portent intérêt, mais une entente ultérieure indiquait qu'il s'agissait d'une erreur et que les billets ne portaient en fait aucun intérêt.

 

[12]         Les « avances de Solidwear » ont été consenties dans des circonstances différentes. La Banque Royale du Canada a initialement financé VTI directement, en 1999, mais à la mi‑juin 2000, elle a exigé que Solidwear soit principalement responsable des dettes de VTI, parce que Solidwear avait une meilleure situation financière. Les appelants ont avec raison qualifié ces dispositions de prêts de la Banque Royale en faveur de Solidwear, qui permettaient à Solidwear de financer les activités de VTI.

 

[13]         À la suite de ces nouvelles dispositions, VTI a émis deux billets à Solidwear, s'élevant en tout à 962 403 $, soit un montant qui semble correspondre au crédit que la Banque Royale avait initialement avancé à VTI. Ces billets prévoyaient le paiement d'intérêts selon le taux pour les prêts commerciaux fixé par la Banque Royale, majoré de 1,25 p. 100 l'an et de 2 p. 100 l'an respectivement. Comme il en a été fait mention, le montant impayé que Solidwear a avancé à VTI s'élevait en tout à 1 943 471 $.

 

[14]         Monsieur Lee a témoigné que les avances de Solidwear visaient à maintenir la viabilité de VTI, assurant ainsi à Solidwear un approvisionnement continu en tissus. Il a ajouté qu'à titre d'entreprise nouvellement créée, VTI avait besoin d'un fonds de roulement et qu'elle avait utilisé l'argent pour exploiter son entreprise.

 

[15]         Les créances irrécouvrables de 966838 (les « avances de 966838 »), s'élevant en tout à 425 000 $, ont initialement été consenties par 966838 à Ontario Garment Finishers (1997) Ltd. (« OGF »), une ancienne filiale de VTI. La société 966838 a avancé des fonds à OGF pour la même raison que celle pour laquelle Solidwear avait avancé de l'argent à VTI, à savoir afin d'assurer le financement d'une société liée et de créer une entreprise de fabrication intégrée, Solidwear étant au coeur de l'entreprise. L'obligation de rembourser les avances de 966838 est uniquement devenue une obligation de VTI à la suite de la fusion de VTI et d'OGF. Ces avances ont donné lieu à un prêt remboursable sur demande en faveur de VTI, portant intérêt au taux préférentiel majoré de 2 p. 100 l'an.

 

[16]         VTI a fourni des tissus à Solidwear pendant plus de deux ans avant de faire une cession volontaire de faillite le 28 juin 2001. Conformément à l'intention de créer une entreprise de fabrication intégrée, Solidwear répondait à presque tous ses besoins en achetant les tissus de VTI, le montant y afférent s'élevant en tout à plus de 7 000 000 $ au cours de la période pertinente. VTI a fait une cession volontaire de faillite le 28 juin 2001, après que le gouvernement fédéral eut supprimé les droits de douane sur les tissus importés, de sorte que VTI ne pouvait plus faire concurrence aux importations moins coûteuses.

 

[17]         Les appelants ont cherché à déduire certains montants de leur revenu d'entreprise à l'égard des avances irrécouvrables. Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de chaque appelant et a refusé les déductions demandées. Le ministre a conclu que les avances irrécouvrables avaient entraîné des pertes en capital pour Solidwear et pour 966838, mais il a permis à M. Lee de déduire une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise conformément à l'alinéa 38c) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

Les positions prises par les parties

 

[18]         La position principale prise par les appelants est fondée sur la façon dont ils ont dépeint la relation globale qui existait entre eux et VTI à titre d'entreprise de fabrication intégrée. Les appelants disent que les avances de Solidwear constituent des coûts d'approvisionnement en tissus visant à assurer une source d'approvisionnement contrôlable et fiable, et constituent donc des coûts visant à permettre de tirer un revenu de l'entreprise de Solidwear. Selon l'avocat des appelants, les avances consenties par M. Lee et par 966838 visaient à assurer le soutien et l'essor de l'entreprise de confection de vêtements et, cela étant, elles ont été consenties conjointement avec les avances de Solidwear et faisaient partie intégrante de l'ensemble des activités commerciales de Solidwear. L'avocat a soutenu que toutes ces avances, une fois devenues irrécouvrables, constituaient des pertes subies dans le cours normal des activités de l'entreprise et qu'elles étaient à juste titre déductibles dans le calcul du bénéfice conformément aux principes généraux du calcul du revenu prévus au paragraphe 9(1) de la Loi.

 

[19]         Subsidiairement, les appelants ont affirmé avoir droit à une déduction à l'égard des avances irrécouvrables en vertu du sous‑alinéa 20(1)p)(ii) de la Loi, puisque les pertes se rapportaient à une entreprise de prêt d'argent.

 

[20]         Selon la position prise par l'intimée, les avances que les appelants ont consenties à VTI sont à juste titre qualifiées de pertes en capital, dont la déduction du revenu est expressément prohibée à l'alinéa 18(1)b) de la Loi. À l'appui, l'intimée a fait valoir que les appelants considéraient la création et le maintien de l'approvisionnement en tissus par l'entremise de VTI comme un investissement à long terme en vertu du plan d'entreprise de M. Lee. L'intimée ajoute que les fonds avancés par M. Lee, directement ou indirectement, par l'entremise d'autres sociétés contrôlées par celui‑ci, visaient à protéger les sommes importantes qu'il avait engagées dans VTI.

 

[21]         De l'avis de l'intimée, les avances consenties à VTI n'ont pas principalement été consenties afin d'augmenter à court terme la rentabilité de l'entreprise des appelants, mais en vue de fournir un fonds de roulement à VTI, une société qui devait continuer à fournir des tissus à Solidwear pendant bien des années, comme l'espéraient les appelants. De cette façon, les avances devaient, selon l'intimée, permettre d'obtenir un avantage durable. L'intimée a en outre soutenu qu'il ne serait pas approprié de considérer les appelants comme une unité commerciale intégrée, si la chose avait pour effet d'omettre de tenir compte de leur existence juridique distincte aux fins de l'impôt.

 

[22]         L'intimée a ajouté qu'aucun des appelants ne s'occupait de prêt d'argent, et que la déduction prévue au sous‑alinéa 20(1)p)(ii) ne peut donc pas être effectuée.

 

Analyse

 

[23]         Comme le juge Iacobucci l'a dit dans l'arrêt Canderel ltée c. La Reine, [1998] 1 R.C.S. 147, au paragraphe 29, il convient de commencer l'examen de la question du bénéfice par le paragraphe 9(1) de la Loi, qui prévoit ce qui suit :

 

9(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.

 

[24]         Bien qu'il ne soit pas défini dans la Loi, il est accepté que le mot « bénéfice » signifie un résultat net, qui présuppose la déduction des dépenses d'entreprise. Aux paragraphes 51 et 52 de l'arrêt Canderel, le juge Iacobucci a expliqué que dans la détermination du bénéfice, le contribuable est libre d'adopter toute méthode qui n'est pas incompatible avec : a) les dispositions de la Loi; b) les principes dégagés de la jurisprudence ou les « règles de droit » établis; c) les principes commerciaux et comptables reconnus.

 

[25]         La Loi prévoit ce qui suit à l'alinéa 18(1)b) :

 

18(1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

 

[...]

 

b) une dépense en capital, une perte en capital ou un remplacement de capital, un paiement à titre de capital ou une provision pour amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente partie;

 

[26]         Avant d'examiner la question du revenu ou du capital, je traiterai de l'argument subsidiaire que les appelants ont avancé en vertu du sous‑alinéa 20(1)p)(ii). Cette disposition permet expressément des déductions du revenu à l'égard des prêts ou des titres de crédit irrécouvrables dans certaines circonstances.

 

[27]         Pour que le contribuable puisse se prévaloir de la déduction prévue à la division 20(1)p)(ii)(A), il doit établir :

 

16        [...]

 

a)         que les créances devant être déduites découlent de prêts;

 

b)         que le cours normal des affaires du contribuable inclut le prêt d'argent;

 

c)         que les prêts donnant lieu aux créances irrécouvrables ont été consentis dans le cours normal des affaires du contribuable consistant à prêter de l'argent;

 

d)         que les prêts donnant lieu aux créances irrécouvrables sont devenus irrécouvrables au cours de l'année[1].

 

[28]         Dans la décision Loman Warehousing Ltd. c. La Reine, no 98‑201(IT)G, 9 juin 1999 (C.C.I.), conf. par no A‑368‑99, 4 octobre 2000 (C.A.F.), le juge Bowman a donné les explications suivantes au paragraphe 25 :

 

25        L'expression « son activité d'entreprise habituelle consiste en tout ou en partie à prêter de l'argent » nécessite que l'on détermine exactement ce qu'est l'« activité d'entreprise habituelle » du contribuable. En l'espèce, l'activité d'entreprise habituelle de l'appelante est l'entreposage et non le prêt d'argent à d'autres compagnies du groupe. Il faut donner un sens au terme « habituelle ». Il suppose que l'entreprise de prêt d'argent est l'une des sources de revenu de la compagnie dans le cours ordinaire de ses activités commerciales. Il suppose également que le prêt d'argent peut être caractérisé comme une entreprise. [...]

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[29]         On ne saurait dire que l'activité d'entreprise habituelle de Solidwear comprenait le prêt d'argent. L'activité d'entreprise habituelle de Solidwear consistait à confectionner des vêtements de dessus et des tricots. On n'a présenté aucun élément de preuve permettant de conclure plus facilement que le prêt d'argent était l'une des sources de revenu de Solidwear, dans le cours ordinaire de ses activités commerciales.

 

[30]         Les décisions que les appelants ont invoquées à l'appui de la thèse selon laquelle Solidwear a droit à des déductions en vertu du sous‑alinéa 20(1)p)(ii) peuvent faire l'objet de distinctions eu égard à leurs faits. Dans les décisions Wesco Property Developments Ltd. c. M.R.N., no 86‑1861(IT), 19 septembre 1989 (C.C.I.), et Discovery Research Systems Limited c. La Reine, no 91‑1303(IT)G, 7 février 1994 (C.C.I.), le lien entre les activités de prêt et les activités d'entreprise habituelles de la contribuable était clairement évident. Or, ce n'est pas ici le cas pour Solidwear. En outre, Solidwear n'aurait pas consenti d'avances n'eût été les mesures prises par la Banque Royale. Les avances de Solidwear ne faisaient pas partie de ses activités d'entreprise habituelles, et aucune déduction ne peut être effectuée en vertu de la division 20(1)p)(ii)(A).

 

[31]         J'ai également conclu que les avances de M. Lee n'ont pas été consenties dans le cours normal d'activités de prêt d'argent. Contrairement à Solidwear, M. Lee était un actionnaire de VTI. Dans l'arrêt Chaffey c. M.R.N., no A‑254‑74, 24 février 1978 (C.A.F.), le juge Le Dain a dit ce qui suit :

 

[...] À mon avis, les avances d'actionnaires ne peuvent être assimilées à une entreprise consistant à prêter de l'argent; elles constituent une manière particulière de placer un capital dans une compagnie. Les prêts consentis par la société n'avaient pas pour objectif principal de rendre service à des personnes en retour d'un revenu versé sous forme d'intérêts; ces prêts étaient simplement une façon de financer des projets mis sur pied dans le but de réaliser des bénéfices par d'autres moyens.

 

[32]         Le fait qu'une personne soit un actionnaire n'empêche pas nécessairement de conclure à l'existence d'une entreprise de prêt d'argent; toutefois, le contribuable sera obligé de soumettre une preuve claire montrant que les avances faisaient partie de ses activités d'entreprise habituelles et qu'il ne s'agissait pas simplement de financer la société. Lors de l'interrogatoire principal, M. Lee a déclaré que les prêts étaient en fait consentis en vue d'aider VTI, son entreprise, à réussir. En outre, de toute évidence, les avances de M. Lee n'avaient pas pour objectif principal de rendre service à des personnes en retour d'un revenu versé sous forme d'intérêts, puisque les prêts ne portaient pas intérêt.

 

[33]         Contrairement aux conclusions que j'ai ci‑dessus tirées au sujet de M. Lee et de Solidwear, je conclus que les activités d'entreprise habituelles de 966838 comprennaient le prêt d'argent et que les avances que 966838 a consenties à VTI l'ont été dans le cours normal des activités de son entreprise. Comme il en a ci‑dessus été fait mention, ces avances étaient garanties par un prêt remboursable par VTI sur demande et portant intérêt au taux préférentiel majoré de 2 p. 100 l'an.

 

[34]         Le ministre a supposé que 966838 s'occupait d'investir des capitaux dans des sociétés liées, tout en continuant à maintenir que 966838 ne s'occupait pas de prêt d'argent. À mon avis, pour l'application de la division 20(1)p)(ii)(A), il importe peu de savoir s'il est possible de considérer l'entreprise d'un contribuable comme visant à investir des capitaux, à condition que dans le cours ordinaire de ses activités commerciales, le contribuable se soit livré à des activités de prêt d'argent. Les états financiers de 966838 pour la période pertinente montrent un revenu en intérêts fort élevé et indiquent que les prêts constituaient ses principaux éléments d'actif. Parmi les autres prêts portant intérêt consentis par 966838, il y avait un prêt de 25 000 $ consenti à Golf Mania Inc. en 1997, portant intérêt au taux de 10 p. 100 l'an, et un prêt de 350 000 $ remboursable sur demande consenti en 1997 à 1243314 Ontario Ltd., lequel portait intérêt au taux préférentiel majoré de 2 p. 100 l'an. Il semble que presque toutes les activités commerciales de 966838 consistaient à prêter de l'argent. Cela n'est pas surprenant vu la position prise par les appelants, à savoir que 966838 avait été constituée en personne morale afin de fournir du financement. Par conséquent, les prêts consentis par 966838 sont déductibles en vertu de la division 20(1)p)(ii)(A).

 

[35]         L'avocate de l'intimée s'est référée à la décision Orban v. M.N.R., 54 D.T.C. 148. Cette décision et les autres décisions mentionnées donnent à entendre que, pour être admissible à titre de prêteur, le contribuable doit annoncer publiquement sa volonté de prêter de l'argent [TRADUCTION] « à quiconque » et qu'il ne suffit pas de simplement prêter de l'argent à quelques reprises à des taux d'intérêt rémunérateurs. Aucune exigence de ce genre n'est prévue dans la division 20(1)p)(ii)(A). Les exigences, selon l'interprétation que je leur donne, sont, en premier lieu, que les activités d'entreprise habituelles du contribuable comprennent des activités de prêt d'argent et, en second lieu, que le prêt soit consenti ou acquis dans le cours normal des activités de l'entreprise. Or, 966838 a satisfait à ces exigences.

 

[36]         J'examinerai maintenant le principal argument que les appelants ont invoqué au sujet des avances de M. Lee et de Solidwear, à savoir qu'ils ont droit à une déduction conformément aux principes généraux du calcul du revenu prévus au paragraphe 9(1) de la Loi.

 

[37]         J'ai déjà conclu, en ce qui concerne l'argument fondé sur l'article 20, que les avances de M. Lee et les avances de Solidwear n'ont pas été consenties dans le cours normal d'activités de prêt d'argent. Les remarques suivantes que le juge Pigeon a faites dans l'arrêt Canada (M.N.R.) v. Freud, [1969] R.C.S. 75, à la page 82, constituent donc un point de départ utile :

 

[TRADUCTION]

 

Il est bien entendu qu'un prêt consenti par une personne qui n'exerce pas le métier de prêteur est habituellement considéré comme un placement. Ce n'est que lorsqu'il existe des circonstances exceptionnelles ou inhabituelles qu'une telle opération peut être assimilée à de la spéculation. [...]

 

[38]         Les pertes attribuables aux prêts consentis ou aux garanties données aux fins de la fourniture d'un fonds de roulement donnent lieu à des pertes en capital et non à des pertes d'entreprise. Ainsi, dans l'arrêt Stewart & Morrison Ltd. c. M.R.N., [1974] R.C.S. 477, la contribuable avait constitué une filiale, elle avait fourni les capitaux nécessaires et elle avait garanti un prêt bancaire afin de permettre à sa filiale d'exploiter son entreprise. Le juge Judson a conclu ce qui suit, à la page 479 :

 

[...] La compagnie mère fournissait un fonds de roulement à sa filiale au moyen de prêts. Ces derniers constituaient le seul fonds de roulement que la filiale américaine ait jamais eu à l'exception de la somme de $ 1,000 que Stewart & Morrison Limited avait investie pour l'acquisition de tout le capital‑actions émis de sa filiale. Cet investissement a été perdu, ce qui constituait une perte en capital pour Stewart & Morrison Limited. C'est avec raison qu'il a été conclu que l'art. 12(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu interdisait la déduction de ces pertes.

 

[39]         En ce qui concerne les avances de M. Lee, il importe de noter que M. Lee était un actionnaire de VTI. Dans l'arrêt Easton c. Canada, [1998] 2 C.F. 44 (C.A.F.), le juge Robertson a expliqué qu'en général, une avance consentie par un actionnaire à une société ou au nom d'une société sera considérée comme un prêt consenti afin de fournir un fonds de roulement à la société. Le juge a expliqué les conséquences du non‑remboursement du prêt au paragraphe 16 :

 

16        [...] Dans le cas où le prêt n'est pas remboursé, la perte est réputée être une perte en capital pour l'une ou l'autre des deux raisons suivantes. Le contribuable a consenti le prêt soit pour en retirer un revenu continu, ce qui est typique d'un investissement, soit pour permettre à la société d'exploiter son entreprise de manière à procurer à l'actionnaire un avantage durable sous forme de dividendes ou grâce à une augmentation de la valeur des actions. Comme la loi présume que l'acquisition a été faite dans le but de faire un placement, il ne semble que trop raisonnable de supposer que la perte découlant d'une avance ou d'une dépense faite par un actionnaire est également une perte en capital. Les mêmes considérations s'appliquent aux garanties données par les actionnaires à l'occasion de prêts consentis à des sociétés. [...]

 

Au paragraphe 17, le juge a ajouté qu'il existe deux exceptions reconnues au principe général voulant que des pertes découlant de pareils prêts soient des pertes en capital :

 

17        [...] Premièrement, il se peut que le contribuable soit en mesure de démontrer que le prêt a été consenti dans le cours normal des activités de son entreprise. L'exemple classique est celui du contribuable/actionnaire qui est dans l'entreprise de prêt d'argent ou d'octroi de garanties. Cette exception s'applique toutefois aussi aux situations dans lesquelles l'avance ou la dépense a été faite dans un but productif de revenu lié à la propre entreprise du contribuable et non à celle de la société dont le contribuable est actionnaire. [...]

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[40]         Il a été reconnu que la première exception ne s'applique pas. Les appelants ont concentré leurs efforts sur la seconde exception, qui est ci‑dessus soulignée. Comme le juge Robertson l'a expliqué, cette exception s'applique aux situations dans lesquelles l'avance ou la dépense a été faite dans un but productif de revenu lié à l'entreprise du contribuable lui‑même et non à celle de la société dont le contribuable est actionnaire.

 

[41]         L'intimée, avec raison, a pris la position selon laquelle il n'est pas approprié de considérer les appelants comme une entité commerciale intégrée si, ce faisant, on fait abstraction de leur existence juridique distincte aux fins de l'impôt. Solidwear, VTI et M. Lee sont, bien sûr, des personnes distinctes aux fins de l'impôt, et ce, même si les appelants ont qualifié les dispositions commerciales qu'ils avaient prises entre eux comme constituant une entreprise intégrée.

 

[42]         On ne saurait faire abstraction de l'existence d'une société au profit du contribuable lorsque ce dernier a lui‑même utilisé cette structure parce que cela comportait pour lui des avantages à ce moment‑là. Dans l'arrêt Kosmopoulos c. Constitution Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 2, de la Cour suprême du Canada, le juge Wilson a dit ce qui suit, aux paragraphes 12 et 13 :

 

12        En règle générale, une société est une entité juridique distincte de ses actionnaires : Salomon v. Salomon & Co., [1897] A.C. 22 (H.L.). [...]

 

Le juge a ajouté ce qui suit :

 

13        Il y a un argument convaincant selon lequel [TRADUCTION] « quiconque choisit de profiter des avantages qu'offre la constitution en société doit aussi en supporter les inconvénients, de sorte que, si jamais on doit faire abstraction de la personnalité morale, ce ne doit être que dans l'intérêt de tiers à qui, sans cela, ce choix porterait préjudice » : [L.C.B. Gower, Modern Company Law, 4e éd., 1979], à la p. 138. Un avocat compétent a conseillé à M. Kosmopoulos de constituer son entreprise en société afin de protéger ses biens personnels et rien dans la preuve n'indique que sa décision de profiter des avantages qu'offre la constitution en société n'était pas sincère. Ayant opté pour les avantages de la constitution en société, il ne devrait pas lui être permis de se soustraire à ses désavantages. Il ne devrait pas lui être loisible de « jouer sur les deux tableaux » en même temps.

 

[43]         Ce raisonnement va à l'encontre de l'argument de M. Lee, qui affirme avoir personnellement droit à une déduction d'entreprise, étant donné que ce n'était pas lui qui exploitait l'entreprise de confection de vêtements, mais plutôt Solidwear et VTI. Le témoignage de M. Lee montre que les prêts n'ont pas été consentis afin de lui permettre de gagner personnellement un revenu d'entreprise, mais pour que ses sociétés puissent le faire. Je conclus que les avances consenties par M. Lee l'ont été en vue de fournir à VTI un fonds de roulement suffisant lui permettant d'exploiter son entreprise, de sorte que M. Lee obtenait un avantage durable dans le contexte plus général de son entreprise de confection de vêtements. Par conséquent, les avances consenties par M. Lee ne sont pas visées par la seconde exception énoncée dans l'arrêt Easton, étant donné qu'elles ont été consenties pour que les sociétés de M. Lee produisent un revenu. Ce sont ces sociétés, et non M. Lee, qui possédaient et qui exploitaient l'entreprise de fabrication. Les pertes résultant des avances de M. Lee sont donc des pertes en capital.

 

[44]         Quant aux avances de Solidwear, je reconnais qu'elles ont été consenties afin de fournir un fonds de roulement à VTI et d'assurer à Solidwear un approvisionnement continu en tissus. C'était la façon la plus rentable d'exploiter l'entreprise de confection de vêtements.

 

[45]         L'avocat des appelants a soutenu que les avances de Solidwear ont été consenties afin de tirer un revenu conformément à l'alinéa 18(1)a). Je ne souscris pas à l'avis selon lequel, si des avances ont été consenties afin de tirer un revenu d'une entreprise, les pertes associées à ces avances sont nécessairement imputables au revenu. Comme le juge Abbott l'a expliqué dans l'arrêt British Columbia Electric Railway Co. v. Canada (M.N.R.), [1958] R.C.S. 133, de la Cour suprême du Canada, étant donné que les entreprises commerciales cherchent principalement, selon toute probabilité, à faire un bénéfice, les dépenses imputables au revenu et les dépenses imputables au capital sont toutes deux, si on les considère en prenant du recul, visées par le libellé de l'alinéa 18(1)a). En fin de compte, ces dépenses ont dans les deux cas été faites « en vue de tirer un revenu ». Par conséquent, la détermination de la question de savoir si une dépense est effectuée dans le but ultime de tirer un revenu ne permet pas pour autant de la qualifier de dépense imputable au revenu ou de dépense imputable au capital. À cet égard, les remarques que le juge Strayer a faites dans la décision Morflot Freightliners Limited c. La Reine, no T‑1048‑87, 23 mars 1989 (C.F. 1re inst.), sont pertinentes. Le juge a donné les explications suivantes :

 

[...] Normalement, les versements d'une société mère à une filiale servant au financement des activités de cette dernière sont tenus pour des paiements à titre de capital. [...]

 

On a souvent dit, dans des affaires comme celle-ci, qu'il faut considérer la situation par rapport à la pratique commerciale pour déterminer dans quelle intention l'argent a été versé. [...] J'estime que le point critique en l'espèce est la distinction à faire entre la conservation d'un actif durable d'une part, et, d'autre part, l'engagement de dépenses dans le but de tirer un profit direct et plus immédiat de ventes ou, dans ce cas, de commissions. [...] Même si, comme en l'espèce, la continuité de la filiale avait une incidence importante sur le succès de la société mère et, qu'en ce sens, on pouvait dire qu'elle avait un lien avec la production d'un revenu par l'entreprise de la demanderesse, il n'en reste pas moins que les fonds avancés à la filiale étaient destinés à procurer un avantage de nature durable, ce qui en faisait une dépense de capital. [...]

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[46]         Les faits ici en cause ressemblent à ceux qui existaient dans l'affaire Stewart & Morrison Ltd. Dans cette affaire‑là, comme en l'espèce, une société liée avait besoin de capitaux pour exercer ses activités. La société exploitait une entreprise en son nom propre, mais elle était dirigée par la société mère, d'une façon semblable à la direction exercée par M. Lee sur VTI, sur Solidwear et sur 966838. Comme dans l'affaire Stewart & Morrison Ltd., le financement de la société liée a été organisé par l'entité dominante.

 

[47]          Les avances de Solidwear, de M. Lee et de 966838 constituaient la principale source de financement permettant à VTI d'exercer ses activités. Du point de vue de Solidwear, le financement de VTI avait pour but d'obtenir l'avantage durable que comportait une source continue d'approvisionnement en tissus. Les tribunaux ont toujours conclu que lorsqu'une dépense est effectuée afin d'obtenir un actif ou un avantage durable, il s'agit d'une dépense en capital (voir Gifford c. Canada, [2004] 1 R.C.S. 411).

 

[48]         L'avocat des appelants a soutenu que l'avantage envisagé n'a duré que jusqu'à la fin de l'exercice 2001 par suite de la faillite de VTI, de sorte qu'il ne pouvait pas être considéré comme un actif ou comme un avantage de nature durable. Cela est peut‑être vrai, mais c'est le but visé au moment où l'avance a été consentie qui est pertinent, et non la question de savoir si l'actif ou l'avantage qui a été acquis a été en fait durable : voir Gifford c. Canada, paragraphe 22. À coup sûr, les avances consenties et les pertes subies par Solidwear sont de la nature du capital.

 

[49]         L'avocat des appelants a insisté sur le fait que les pertes associées aux avances de Solidwear sont déductibles, selon la théorie de la déductibilité des pertes qui font [TRADUCTION] « partie intégrante des activités de l'entreprise ». Solidwear a pu considérer VTI comme une source importante de tissus, mais il ne faut pas perdre de vue le fait que, pendant la période pertinente, elle était une personne morale distincte. Monsieur Lee ne peut pas souffler le chaud et le froid, en considérant les sociétés comme des entités distinctes ou en faisant abstraction de la personnalité morale selon ses besoins à un moment donné.

 

[50]         La règle portant sur les pertes qui font [TRADUCTION] « partie intégrante des activités de l'entreprise » semble avoir pris naissance dans la décision Associated Investors of Canada Ltd. v. Canada (M.N.R.), [1967] 2 R.C.É. 96, mais il est facilement possible de faire une distinction entre cette affaire et la présente espèce. Dans l'affaire Associated Investors, l'appelante employait des vendeurs rémunérés à la commission, mais ceux‑ci bénéficiaient d'avances. La différence entre les commissions exigibles et les avances était inscrite à titre de créance dans les registres de l'appelante. L'appelante avait décidé de radier ces créances. Le ministre a refusé de permettre une déduction dans le calcul du revenu pour le motif que les avances étaient des opérations imputables au capital.

 

[51]         Dans la décision Associated Investors, le juge Jackett ne semblait pas considérer l'explication au sujet de la [TRADUCTION] « partie intégrante des activités de l'entreprise » comme une dérogation aux principes établis régissant la classification des dépenses au titre du revenu ou du capital. Le juge a expressément conclu que les avances n'entraînaient pas l'acquisition d'un actif ou d'un avantage de nature durable (voir le paragraphe 17). L'accent était encore mis sur le but visé lors de la dépense. Étant donné la conclusion selon laquelle les avances de Solidwear visaient à créer un avantage de nature durable, soit une source fiable de tissus, la décision Associated Investors n'aide pas les appelants.

 

[52]         L'avocat des appelants m'a également renvoyé aux décisions Canada c. F.H. Jones Tobacco Sales Co., [1973] C.F. 825 (C.F. 1re inst.), Canada c. Lavigueur, no T‑839‑73, 14 novembre 1973 (C.F. 1re inst.), et Panda Realty Limited c. M.R.N., no 81‑862, 11 mars 1986 (C.C.I.). L'élément commun dans ces affaires était que l'objet et le but principaux des avances de fonds ou de la fourniture d'une garantie étaient la préservation d'un flux de revenu. Ainsi, les avances de fonds ou la fourniture d'une garantie pouvaient être considérées comme directement liées à la production d'un revenu. Un tel motif de la part du contribuable permet de faire une distinction entre ces décisions et d'autres, telles que Cathelle Inc. c. La Reine, 2005 CCI 360, ou Stewart & Morrison Ltd., dans lesquelles il a été conclu que le but primordial des avances ou de la garantie était la fourniture d'un fonds de roulement. Comme je l'ai ci‑dessus expliqué, les avances de Solidwear font partie de cette seconde catégorie.

 

[53]         Les appelants ont également invoqué la décision Williams Gold Refining Co. of Canada c. La Reine, no 96‑4709(IT)G, 14 janvier 2000 (C.C.I.), dont les faits sont semblables à ceux de la présente espèce. Dans cette affaire‑là, la société appelante avait affirmé avoir droit à des déductions se rattachant à des montants irrécouvrables de plus de 628 000 $ qu'une société liée, W.G.R. Hollowforms Ltd., lui devait. Les objectifs de la création de la société liée étaient doubles : en premier lieu, améliorer la rentabilité de l'appelante en consacrant à la nouvelle entreprise une partie des locaux qu'elle occupait et une partie du temps de ses employés; en second lieu, créer un marché supplémentaire pour les produits fabriqués par l'appelante.

 

[54]         Comme en l'espèce, l'une des questions qui se posait dans la décision Williams Gold Refining était de savoir si les montants en question pouvaient être déduits selon les principes ordinaires régissant le calcul du bénéfice. Après avoir mentionné les décisions Stewart & Morrison Ltd. et Morflot Freightliners Limited, le juge Bowie a conclu que les prêts consentis par Williams Gold ne visaient pas à financer une nouvelle entreprise commerciale, mais à accroître la rentabilité de l'appelante tant en élargissant le marché pour ses produits qu'en réduisant les coûts indirects. Le juge a dit ce qui suit au paragraphe 20 :

 

20        M. Dimberio a témoigné qu'il avait créé Hollowforms dans le but d'accroître la rentabilité de l'appelante tant en élargissant le marché pour ses produits qu'en réduisant ses frais généraux. Il n'a pas été contre‑interrogé sur cet aspect de son témoignage, que j'accepte. Un examen des bilans de Hollowforms de tous les exercices de la période en cause [...] vient confirmer la conclusion selon laquelle les prêts en question ne constituaient pas simplement une autre façon de financer l'entreprise de Hollowforms. Au cours de toute cette période, elle avait un capital libéré de 100 200 $, qui consistait en deux actions privilégiées émises de 50 000 $ chacune et en 200 actions ordinaires émises de 1 $ chacune. Tout au long de la période, le bilan faisait état également de prêts d'actionnaires de plus de 80 000 $.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[55]         Puisqu'il a été conclu que les avances de Solidwear visaient à fournir un fonds de roulement à VTI, il est possible de faire une distinction à l'égard de la décision Williams Gold Refining et cette décision n'aide pas les appelants. J'aimerais uniquement ajouter que, compte tenu des décisions British Columbia Electric Railway Co. et Stewart & Morrison Ltd., il faut considérer avec prudence les principes sur la déductibilité des pertes énoncés dans la décision F.H. Jones Tobacco et les décisions qui en découlent et ne pas les considérer comme des échappatoires permettant de déduire du revenu les pertes découlant d'activités de financement.

 

[56]         Les appels concernant les avances de M. Lee et les avances de Solidwear sont donc rejetés. L'appel concernant les avances de 966838 est accueilli, de sorte que 966838 a droit à une déduction en vertu de la division 20(1)p)(ii)(A). Un seul mémoire de frais est adjugé à l'intimée, qui a en grande partie eu gain de cause.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mai 2009.

 

 

« C. H. McArthur »

Le juge McArthur

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de janvier 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 256

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2006‑1275(IT)G, 2006‑1277(IT)G et 2006‑1278(IT)G

 

INTITULÉ :                                       966838 ONTARIO INC., ARTHUR LEE et SOLIDWEAR ENTERPRISES LIMITED c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Les 28 et 29 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge C. H. McArthur

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 15 mai 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat des appelants :

Me Blair W. M. Bowen

Avocate de l'intimée :

Me Donna Dorosh

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour les appelants :

 

                   Nom :           Blair W. M. Bowen

 

                   Cabinet :      Fogler Rubinoff LLP

                                       Toronto (Ontario)

 

          Pour l'intimée :       John H. Sims, c.r.

                                       Sous-procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

 



[1]           Bird c. La Reine, no 97‑1870(IT)G, 28 mars 2000 (C.C.I.), au par. 16.

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