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Dossier : 2007-2766(GST)I

ENTRE :

ANGELS OF FLIGHT CANADA INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 1er avril 2009, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Gaston Jorré

 

Comparutions :

 

Représentante de l’appelante :

Gail Courneyea

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Justin Kutyan

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          Conformément aux motifs du jugement ci‑joints, l’appel interjeté à l’égard de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA »), dont l’avis est daté du 13 décembre 2005 et porte le numéro 04JP2006094, pour la période du 1er décembre 2002 au 31 mai 2005, est accueilli, avec dépens d’une somme de 600 $, et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que les fournitures en cause étaient des fournitures exonérées de services d’ambulance au sens de l’article 4 de la partie II de l’annexe V de la LTA.


 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de mai 2009.

 

 

« Gaston Jorré »

Juge Jorré

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de juillet 2009.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice

 


 

 

 

Référence : 2009 CCI 279

Date : 20090522

Dossier : 2007-2766(GST)I

ENTRE :

ANGELS OF FLIGHT CANADA INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Jorré

 

Introduction

 

[1]              La question en litige dans la présente affaire est la suivante :

 

          En quoi consistent des services d’ambulance?

 

[2]              Les activités exercées par Angels of Flight Canada Inc., l’appelante, sont exposées dans son profil d’entreprise, lequel est en partie rédigé ainsi[1] :

 

[TRADUCTION]

 

Énoncé de mission

 

Nous formons une équipe de spécialistes du transport des patients qui veille au soin et à la sécurité des patients au moyen de la coordination et de la fourniture de services complets de qualité à l’échelle mondiale.

 

Profil d’entreprise

 

Angels of Flight Canada Inc., société de soins de santé appartenant à des intérêts canadiens et exploitée par des Canadiens, a été une des premières à offrir des services spécialisés d’évacuation sanitaire et de transport, à l’intérieur d’un établissement, de personnes malades ou blessées, à la fois au Canada et dans le monde entier. Angels a innové en améliorant la sécurité et en établissant des normes relatives aux soins aux patients et à la sensibilisation en matière de soins infirmiers dans le secteur ambulancier depuis plus de seize ans. Angels of Flight Canada Inc. est la première société canadienne à offrir les services d’infirmiers et d’infirmières autorisés qui possèdent une formation poussée et se spécialisent en transport aéromédical et terrestre de personnes malades ou blessées.

 

Nos infirmiers et infirmières autorisés chargés du transport possèdent des connaissances approfondies et une vaste expérience en médicine aéronautique, en sécurité aérienne, en survie en milieu sauvage et en consommation d’eau naturelle, en soins intensifs, en trauma, en pédiatrie, en orthopédie, en psychiatrie, en soins palliatifs et en oncologie. Tous les membres de notre personnel de gestion possèdent plus de vingt‑cinq années d’expérience en gestion ou en fourniture directe de soins aux patients. Nos équipes de transport des soins intensifs se composent d’un infirmier ou d’une infirmière autorisé chargé du transport et connaissant la technique spécialisée de réanimation cardio‑respiratoire jumelée à un deuxième infirmier ou à une deuxième infirmière, à un médecin ou à un ambulancier paramédical, selon les besoins du patient.

 

[...]

 

TRANSPORT TERRESTRE

 

Les unités de transport terrestre d’Angels offrent aux patients des services de transport non urgent entre des établissements de soins de santé, entre la résidence du patient et un établissement pour un traitement ou un rendez‑vous, entre un hôpital et la résidence du patient pour le retour à la maison, ainsi que pour les trajets à destination ou en provenance d’un aéroport. Les unités de transport terrestre d’Angels satisfont à l’ensemble des normes canadiennes applicables aux véhicules motorisés et sont dotées d’un personnel composé d’ambulanciers paramédicaux titulaires d’un permis d’exercice provincial ainsi que d’infirmiers et d’infirmières autorisés chargés du transport. Chaque véhicule bénéficie de la climatisation, est muni du matériel nécessaire au transport médical à l’intérieur d’un établissement – oxygène, civières, radios, téléphones cellulaires, fournitures médicales habituelles, matériel pour les voies aériennes et matériel destiné au confort des patients – et dispose de sièges confortables et sûrs pour les accompagnateurs et les membres de la famille.

 

La société offre également certains services de soins infirmiers non liés au transport des patients.

 

[3]              Les services d’ambulance aérienne et les services de soins infirmiers non liés au transport ne sont pas en litige dans le présent appel. Ce sont plutôt les activités susmentionnées relatives au « transport terrestre » de l’entreprise qui sont en cause.

 

[4]              Il s’agit de savoir si la fourniture de services de transport terrestre est assujettie à la taxe sur les produits et services (la « TPS ») ou si elle constitue une fourniture exonérée.

 

[5]              Plus précisément, la Cour doit se demander s’il s’agit de fournitures exonérées tombant visées par l’article 4 de la partie II de l’annexe V de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA »), dont voici le texte :

 

4. La fourniture de services d’ambulance par une personne dont l’entreprise consiste à fournir de tels services […]

 

[6]              À titre subsidiaire, s’agit‑il de fournitures exonérées visées par l’article 6 de la partie II de l’annexe V de la LTA, disposition portant sur les services de soins?

 

[7]              Le présent appel a été entendu sous le régime de la procédure informelle. L’appelante était représentée par Gail Courneyea (« Mme Courneyea »), présidente et directrice de l’exploitation de l’appelante. Mme Courneyea est infirmière autorisée et infirmière spécialisée en soins intensifs; elle possède une expérience et une formation très impressionnantes dans le domaine du transport de patients. Il était manifeste tout au long de l’audience qu’elle se soucie profondément de ses patients et que cet attachement se reflète dans les activités de l’appelante.

 

[8]              Madame Courneyea a témoigné de même que M. Richard Brady, directeur des services d’enquête du ministère de la Santé et des Soins de longue durée de la province de l’Ontario, et Mme Joanna Palin, chef de l’équipe de vérification de l’Agence du revenu du Canada, à Peterborough.

 

Faits

 

[9]              Les faits ne sont pas réellement contestés.

 

[10]         Dans son témoignage, Mme Courneyea a affirmé que les véhicules achetés par l’appelante sont des ambulances construites par l’un des deux fabricants autorisés d’ambulances. Ces véhicules ressemblent aux ambulances modernes et sont utilisés pour le transport des patients[2].

 

[11]         Elle a ajouté que, à l’exception de certaines différences, les véhicules sont dotés du même matériel et des mêmes fournitures qu’une ambulance.

 

[12]         Comme les véhicules ne répondent pas aux urgences, ils ne disposent pas d’une certaine partie du matériel destiné au secouriste opérationnel. À titre d’exemples, Mme Courneyea a précisé qu’il n’y a pas de pansements oculaires ni de gamme complète de supports pour la nuque dans ces véhicules. On y trouve par ailleurs du matériel et des fournitures supplémentaires dont les ambulances ne sont pas munies ou, à tout le moins, n’étaient pas munies pendant les années en cause. Mme Courneyea a mentionné à titre d’exemples, un glucomètre, le matériel spécialisé de soutien vital cardiaque et des fournitures supplémentaires de prévention des infections (par suite de l’expérience de la crise du SRAS). Une partie de ce matériel ou de ces fournitures supplémentaires se trouve dans les ambulances parce qu’il arrive que des patients y passent sept ou huit heures d’affilée.

 

[13]         La pièce A-7, soit la soumission que l’appelante a présentée à la Lakeridge Health Corporation dans le cadre d’un appel d’offres visant la fourniture de [TRADUCTION] « Services de transport terrestre privé de patients par ambulance – transferts non urgents », énonce en détail les ressources de l’appelante et énumère le matériel et les fournitures qui se trouvent dans les ambulances[3].

 

[14]         L’appelante a obtenu le contrat, et Lakeridge était une cliente importante pendant la période en cause. Le contrat, l’onglet 12 de la pièce R‑1, prévoit notamment ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

Le fournisseur s’engage à vendre et LHC s’engage à acheter les « Services de transport terrestre privé de patients par ambulance – transferts non urgents » qui sont exposés en détail dans le document de soumission RFP no 5251 du fournisseur[4].

 

[15]         Selon Mme Courneyea, l’appelante exerce les activités suivantes : 98 pour 100 des appels pour les services de transport proviennent des hôpitaux. Les répartiteurs de même que tous les infirmiers et toutes les infirmières sont bien informés et poseront des questions si l’hôpital ne fournit pas les renseignements nécessaires pour leur permettre de déterminer si le niveau de soins approprié a été demandé. À l’occasion, les infirmiers et les infirmières haussent le niveau de soins, mais sans modifier le niveau de service demandé par l’hôpital.

 

[16]         Il y a trois niveaux de service[5] :

 

[TRADUCTION]

 

Niveau un : Service de transfert de base – à destination ou en provenance de maisons de soins infirmiers ou d’hôpitaux pour des rendez‑vous courants – deux équipes.

 

Niveau deux : Deux équipes dont l’un des membres est un infirmier ou une infirmière autorisé fournissant un niveau de service aux patients qui nécessitent des soins infirmiers et de la médication.

 

Niveau trois : Deux équipes dont l’un des membres est un infirmier ou une infirmière autorisé spécialisé en soins intensifs – matériel médical et médicaments nécessaires pour exécuter la technique spécialisée de réanimation cardio‑respiratoire.

 

Les unités de transport terrestre d’Angels offrent aux patients des services de transport non urgent entre des établissements de soins de santé, entre la résidence du patient et un établissement pour un traitement ou un rendez‑vous, entre un hôpital et la résidence du patient pour le retour à la maison, ainsi que pour les trajets à destination ou en provenance d’un aéroport. Les unités de transport terrestre d’Angels satisfont à l’ensemble des normes canadiennes applicables aux véhicules motorisés et sont dotées d’un personnel composé d’ambulanciers paramédicaux titulaires d’un permis d’exercice provincial ainsi que d’infirmiers et d’infirmières autorisés chargés du transport. Chaque véhicule bénéficie de la climatisation, est muni du matériel nécessaire au transport médical à l’intérieur d’un établissement – oxygène, civières, radios, téléphones cellulaires, fournitures médicales habituelles, matériel pour les voies aériennes et matériel destiné au confort des patients – et dispose de sièges confortables et sûrs pour les accompagnateurs et les membres de la famille.

 

Les services de niveau un n’ont que rarement été utilisés pendant la période en cause. Au moins un ambulancier paramédical est présent en tout temps. Pour les services de niveau deux, il y a un infirmier ou une infirmière et, pour ceux de niveau trois, un infirmier ou une infirmière spécialisé en soins intensifs. Lorsqu’un infirmier ou une infirmière est présent, le conducteur peut être un ambulancier paramédical ou un pompier possédant une certaine formation médicale.

 

[17]         Lorsqu’un patient est transféré d’un hôpital à un autre, ou lorsqu’il doit subir un examen ailleurs et être ramené à l’hôpital initial, l’hôpital où l’examen a lieu est responsable des soins infirmiers à prodiguer au patient jusqu’à ce que ce dernier soit pris en charge par l’hôpital qui l’accueille ou, dans le cas d’un examen, jusqu’à ce que le patient retourne à l’hôpital initial. Si l’hôpital initial transfère le patient dans une ambulance ordinaire, il doit envoyer un infirmier ou une infirmière avec le patient.

 

[18]         En faisant appel aux services de l’appelante, l’hôpital initial n’est pas obligé d’envoyer un membre de son propre personnel infirmier et, de plus, le patient bénéficie de la formation et des connaissances spécialisées des infirmiers et infirmières de l’appelante en matière de transport de patients.

 

[19]         Selon Mme Courneyea, les services offerts par l’appelante constituent des soins infirmiers. Les activités de l’appelante sont exercées en conformité avec les lignes directrices de l’Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario[6]. Elle a à un moment donné affirmé que ces services équivalaient à offrir un hôpital sur roues[7].

 

[20]         Par exemple, lorsque des services de niveau deux ou trois sont demandés pour un examen, l’infirmier ou l’infirmière chargé du transport se rendra à la chambre du patient dans l’hôpital initial, vérifiera son dossier, s’assurera que tout est en ordre, accompagnera le patient de sa chambre au véhicule, puis à l’autre établissement, et raccompagnera le patient jusqu’à sa chambre par après. Si le patient, alors qu’il se trouve dans l’autre établissement, a besoin de médicaments sur ordonnance, c’est cet infirmier ou cette infirmière qui les lui administrera.

 

[21]         Lors de sa rencontre avec le patient, l’infirmier ou l’infirmière pourrait découvrir, par exemple, que celui‑ci a de la fièvre. Même si cette fièvre n’empêche pas le transport, elle pourrait mener l’établissement chargé d’effectuer l’examen à ne pas faire celui‑ci, ce qui entraînerait l’annulation du transfert afin d’éviter un déplacement inutile.

 

[22]         Madame Courneyea a reconnu que l’appelante n’est pas titulaire d’un permis d’exploitation d’un service d’ambulance délivré par le gouvernement de l’Ontario.

 

[23]         Elle a en outre reconnu que l’appelante n’intervenait pas en cas d’urgence. Les patients transportés par l’appelante sont dans un état stable au moment du déplacement, mais il y a toujours un risque que des problèmes surviennent.

 

[24]         Des factures distinctes sont envoyées pour chacun des patients. La plupart des déplacements sont payés par l’hôpital; dans de rare cas, c’est l’assureur qui règle la note.

 

[25]         Elle a convenu qu’à une certaine occasion, une équipe avait accompagné un patient recevant des soins palliatifs à un concert donné par Shania Twain à Ottawa. Toute la famille, y compris deux jeunes enfants, avait assisté au concert, puis rencontré Shania Twain dans les coulisses. Le patient était décédé 36 heures plus tard. Mme Courneyea a reconnu que l’appelante avait fait ce genre de choses à quelques reprises, toujours gratuitement.

 

[26]         La structure tarifaire a été établie de façon à exiger davantage pour les services de niveau deux et trois, dans le cadre desquels un infirmier ou une infirmière est présent, que pour les services de niveau un, où il n’y a pas d’infirmier ou d’infirmière[8].

 

[27]         Monsieur Brady a témoigné au sujet du rôle de son ministère, lequel est chargé de régir les ambulances et de veiller à l’observation des règlements en la matière. Le ministère paye 50 pour 100 des coûts approuvés des ambulances[9].

 

[28]         Il a fait état d’un certain nombre de normes établies par le ministère relativement aux ambulances et aux infirmiers paramédicaux[10].

 

[29]         Bien que les sociétés de transport privées soient autorisées, M. Brady a affirmé qu’il ne s’agissait pas de services d’ambulances parce que ces entreprises ne sont pas titulaires du permis requis.

 

[30]         À une certaine époque, les ambulances effectuaient beaucoup plus de déplacements de patients entre les hôpitaux ou pour des examens mais, en raison de la demande croissante d’ambulances pour les cas d’urgence, on fait de plus en plus appel aux services de transport privés pour les cas non urgents.

 

[31]         Madame Palin a témoigné relativement à la vérification et à la façon dont la taxe sur les extrants était calculée et dont les crédits de taxe sur les intrants (« CTI ») connexes avaient été déterminés et accordés à l’appelante.

 

[32]         Aucune question touchant un montant en litige n’a été soulevée en l’espèce.

 

[33]         Dans son témoignage, Mme Courneyea a en outre affirmé qu’au fil des ans, l’expert‑comptable de l’appelante avait fait état de la possibilité d’exiger la TPS parce que l’appelante souhaitait récupérer les CTI, mais qu’on avait déclaré de vive voix à l’expert‑comptable que l’appelante ne pouvait exiger la TPS. L’appelante a également produit une lettre signée par l’expert‑comptable qui a été écrite après les années en cause[11].

 

[34]         Bien que j’accepte le témoignage de Mme Courneyea voulant que l’appelante ait voulu exiger la TPS, la preuve offre très peu de précisions sur les renseignements exacts qui ont été fournis et sur la réponse exacte qui a été donnée.

 

[35]         Madame Courneyea a aussi allégué dans son témoignage qu’en moyenne, les patients d’un hôpital sont maintenant beaucoup plus malades qu’auparavant parce que les hôpitaux leur accordent un congé plus rapidement.

 

Analyse

 

S’agit-il de services d’ambulance?

 

[36]         La question fondamentale que soulève la présente affaire est en apparence fort simple : en ce qui concerne les fournitures en litige, l’appelante fournit‑elle des « services d’ambulance » et est‑elle une personne dont « l’entreprise consiste à fournir de tels services »?

 

[37]         À première vue, la réponse semble affirmative. L’appelante utilise les mêmes véhicules et dispose en grande partie du même matériel que celui utilisé dans les ambulances qui répondent aux appels reçus par le service 911. L’appelante fournit en outre les services d’infirmiers et d’infirmières ou, dans certains cas, d’ambulanciers paramédicaux qui accompagnent les patients pendant toute la durée de leur déplacement.

 

[38]         La principale différence entre les services en cause et ceux offerts par les ambulances répondant aux appels reçus par le service 911 réside dans le fait que l’appelante n’intervient pas en cas d’urgence. Elle transporte des patients dont l’état est stable, à tout le moins au moment de leur départ de l’hôpital, lors de déplacements entre un hôpital et un établissement où des examens sont prévus ou, dans certaines situations, entre un hôpital et un autre. Il y a toujours un risque que l’état du patient change au cours du déplacement.

 

[39]         Les ambulances qui répondent aux appels reçus par le service 911 se chargent aussi du même genre de transport de patient que l’appelante mais, au moins en Ontario, de plus en plus rarement en raison de la demande croissante pour le transport d’urgence.

 

[40]         La LTA ne définit ni le terme « ambulance » ni l’expression « services d’ambulance ».

 

[41]         Selon les définitions usuelles données dans les dictionnaires, il ne fait aucun doute que l’appelante utilise des véhicules qui sont visés par la définition du terme « ambulance », et que, par conséquent, elle fournit des « services d’ambulance » et son « entreprise consiste à fournir de tels services ». Par exemple, le Canadian Oxford Dictionary[12] définit ainsi le terme « ambulance » :

 

[TRADUCTION]

 

véhicule spécialement aménagé pour le transport des malades ou des blessés à destination et en provenance d’un hôpital, particulièrement en cas d’urgence.

 

[42]         L’intimée fait valoir que, même si le sens usuel donné dans le dictionnaire ou le sens ordinaire de ce terme constitue un point de départ utile, l’approche actuelle en matière d’interprétation législative oblige en outre la Cour à adopter une méthode contextuelle et téléologique[13]. Je suis d’accord.

 

[43]         Je ne vois pas exactement en quoi cela aide l’intimée. Les « services d’ambulance » sont visés par l’annexe V, laquelle intéresse les fournitures exonérées, et par la partie II de cette annexe, qui porte sur les services de santé. La partie II vise un éventail plutôt large de fournitures liées à la santé effectuées par des hôpitaux et d’autres établissements de santé (définis) ainsi que par des médecins, des dentistes, des infirmiers ou des infirmières et d’autres personnes. Au contraire, le contexte général de la partie II, même si celle‑ci comporte un certain nombre de restrictions précises, paraît favoriser le recours au sens ordinaire du terme ou aux définitions de dictionnaire ainsi que la conclusion selon laquelle les fournitures en litige tombent sous le coup de l’article 4 de la partie II.

 

[44]         L’intimée avance aussi que l’on doit, pour trouver le sens contextuel, prendre en considération la législation provinciale en matière de soins de santé compte tenu du fait que ces soins sont, pour l’essentiel, régis par les autorités provinciales[14]. À l’appui de cet argument, l’intimée invoque plusieurs décisions[15], y compris l’arrêt Will‑Kare de la Cour suprême du Canada, les arrêts Dale et Kalef de la Cour d’appel fédérale et la décision North Shore Health Region de la présente cour. Toutes ces décisions permettent d’affirmer, d’une part, que la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») ne s’applique pas en vase clos et, de l’autre, qu’elle tient compte du sens juridique des termes en dehors de son régime législatif et non seulement de leur sens ordinaire ou populaire.

 

[45]         Dans l’arrêt Will-Kare, la majorité des juges ont conclu que, comme l’expression « marchandises à vendre » est bien définie dans la loi, le terme « vente » doit être interprété conformément au droit commercial commun[16].

 

[46]         Dans l’arrêt Kalef, la Cour d’appel fédérale a estimé qu’il fallait examiner la loi constitutive de la société pour décider quand un particulier cesse d’agir comme administrateur[17].

 

[47]         Dans l’arrêt Dale, ce même tribunal a conclu que, pour trancher la question de savoir si une opération sera reconnue aux fins de l’impôt, il faut examiner le droit commun du ressort où l’opération est effectuée pour décider de l’effet juridique de celle‑ci[18].

 

[48]         Dans les arrêts Will-Kare, Kalef et Dale, il ne fait aucun doute que les tribunaux ont décidé qu’il était de l’intention du législateur de s’appuyer sur les notions juridiques existantes. En l’absence de dispositions précises dans la législation fiscale, sur quel autre régime juridique que le droit commun pourrait‑on se fonder?

 

[49]         La situation en l’espèce est fort différente de celle en cause dans ces trois affaires, et je ne vois pas comment ces dernières permettent de conclure qu’il était de l’intention du législateur que le terme « services d’ambulance » soit défini par la législation provinciale. En réalité, le régime de la partie II de l’annexe V laisse croire le contraire puisque que le législateur a explicitement choisi de renvoyer au droit provincial dans certains cas.

 

[50]         À titre d’exemple, selon l’article 1, le terme « médecin » s’entend d’une « [p]ersonne autorisée par la législation provinciale à exercer la profession de médecin ou de dentiste ». De même, à l’alinéa b) de la définition du terme « praticien » donnée à l’article 1, on fait expressément mention de l’obligation d’être titulaire d’un permis dans la province pertinente. On aurait pu s’attendre du législateur, s’il avait eu l’intention de restreindre la portée de l’article 4 de la partie II de l’annexe V, qu’il mentionne précisément les personnes autorisées à exploiter des services d’ambulance sous le régime des lois provinciales ou territoriales.

 

[51]         L’intimée a invoqué en outre la décision North Shore de la présente cour. Dans cette affaire, M. le juge Bowie était notamment saisi de la question de savoir si un établissement connu sous le nom de « Kiwanis Care Centre » était un « hôpital public » ou non. À la lumière des faits qui lui avaient été présentés, il avait conclu que l’établissement ne fournissait pas aux patients des soins médicaux très spécialisés et qu’il leur offrait plutôt divers degrés d’aide pour qu’ils puissent vivre de façon autonome, avec les services d’infirmières pour la prise de médicaments et une assistance médicale d’ordre général.

 

[52]         Dans la décision North Shore, l’appelante faisait notamment valoir que la Cour devait tenir compte des définitions des dictionnaires, lesquels donnaient un sens large au terme « hôpital ». L’intimée a renvoyé au passage suivant de cette décision :

 

24        À mon avis, les définitions données dans les dictionnaires sont peu utiles en l’espèce. Sous réserve de quelques exceptions qui ne sont pas pertinentes dans la présente affaire, il appartient aux provinces de régir les hôpitaux et, en Colombie‑Britannique comme ailleurs, il existe un certain nombre de textes législatifs à cette fin. Le plus important est la Hospital Act […].

 

L’intimée a ajouté que, dans cette décision, la Cour avait conclu que le Kiwanis Care Centre n’exploitait pas un hôpital selon les lois de la Colombie‑Britannique avant de statuer sur ce point en ces termes :

 

29        En ce qui touche cet aspect de l’affaire, je conclus donc que le Centre n’est pas un hôpital selon le droit général de la Colombie‑Britannique. À mon avis, cette conclusion est compatible avec le sens ordinaire du terme « hôpital », tel qu’il est actuellement employé au Canada. […]

 

[53]         La Loi sur les ambulances de l’Ontario définit les termes « ambulance » et « service d’ambulance » de la façon suivante :

 

1.  (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

[…]

 

« ambulance » Véhicule utilisé ou destiné à être utilisé pour transporter des personnes qui, selon le cas :

 

a) ont souffert d’un trauma ou de l’apparition brutale d’une maladie dont l’un ou l’autre pourrait mettre leur vie, une de leurs fonctions ou un de leurs membres en danger;

 

b) de l’avis d’un médecin ou d’un fournisseur de soins de santé désigné par un médecin, ont un état de santé instable et ont besoin, lorsqu’elles sont transportées, des soins d’un médecin, d’une infirmière ou d’un infirmier, d’un autre fournisseur de soins de santé, d’un ambulancier ou d’un auxiliaire médical, et de l’utilisation d’une civière. (« ambulance »)

 

« service d’ambulance » Sous réserve du paragraphe (2), s’entend d’un service qui est offert au public pour le transport des personnes par ambulance. (« ambulance service »)

 

[54]         L’article 8 de la Loi sur les ambulances prévoit que nulle personne ne doit exploiter un service d’ambulance à moins d’être titulaire d’un certificat délivré par le gouvernement de l’Ontario.

 

[55]         L’intimée a aussi allégué qu’une personne ne peut fournir des services d’ambulance que si elle est titulaire du certificat requis.

 

[56]         Je ne puis souscrire à cette dernière assertion comme elle est formulée. Que l’appelante fournisse ou non des « services d’ambulance » ne dépend pas de la question de savoir si un certificat a été délivré par le gouvernement ontarien, mais bien de celle de savoir si cette expression, telle qu’elle est employée dans la LTA, a la même signification dans la Loi sur les ambulances.

 

[57]         Lorsque j’ai initialement examiné la première partie de la définition du terme « ambulance » figurant à l’alinéa 1(1)a) de la Loi sur les ambulances reproduit plus haut, j’ai pensé que l’appelante semblait être visée par celle‑ci. Toutefois, après un examen plus approfondi de l’ensemble de la définition, y compris la deuxième partie à caractère subsidiaire, je suis arrivé à la conclusion que l’alinéa 1(1)a) exige un certain degré d’imminence du trauma ou l’apparition brutale d’une maladie, ce que ne comportent pas les activités de l’appelante, étant donné que cette dernière transporte des patients dont l’état est stable – à tout le moins au moment du départ.

 

[58]         Dans la présente affaire, l’appelante utilise le même genre de véhicules que ceux visés par la Loi sur les ambulances; elle transporte pour l’essentiel le même genre de matériel, à quelques différences près; elle fait appel à des infirmiers et à des infirmières hautement spécialisés et, rarement, à un ambulancier paramédical sans infirmier ou infirmière; enfin, elle transporte des patients que les ambulances visées par un permis délivré par la province transportent aussi dans des situations non urgentes analogues[19]. Le législateur avait‑il l’intention d’exclure les services de l’appelante simplement parce qu’elle ne répond pas aux appels d’urgence?

 

[59]         Quel est l’effet de la décision North Shore[20]? Bien qu’il soit manifeste que la Cour a accordé un poids considérable au droit provincial, elle n’a pas, à mon avis, conclu que, dans le domaine des soins de santé, les définitions provinciales des termes en la matière ont toujours un effet déterminant sur le sens des mots utilisés dans la partie II de l’annexe V de la LTA. C’est ce qui ressort clairement du passage suivant de cette décision :

 

29  […] À mon avis, cette conclusion est compatible avec le sens ordinaire du terme « hôpital », tel qu’il est actuellement employé au Canada. […][21]

 

Évidemment, lorsqu’il est expressément fait mention du droit provincial, celui‑ci sera déterminant dans la mesure prévue.

 

[60]         Selon moi, il ressort de la décision North Shore et de la jurisprudence qu’il faut accorder beaucoup d’importance aux lois provinciales. Toutefois, l’expression « services d’ambulance » employée dans la partie II de l’annexe V de la LTA n’est pas définie par le droit provincial.

 

[61]         Il est donc opportun en l’espèce d’examiner la nature des exigences auxquelles le droit provincial assujettit les ambulances au chapitre des véhicules, du matériel et des fournitures dont ceux‑ci sont dotés ainsi que de la formation du personnel. Il s’agit d’éléments qui sont tous pertinents au regard de la signification actuelle des termes « ambulance » et « services d’ambulance ».

 

[62]         L’intimée craignait que le fait de s’écarter du droit provincial puisse élargir indûment le sens de l’expression « services d’ambulance ». J’estime que cette préoccupation est injustifiée. Par exemple, le fait qu’un infirmier ou une infirmière accompagne un patient sous perfusion intraveineuse, dans une automobile ordinaire ou une fourgonnette ordinaire munie d’une civière et d’un matériel rudimentaire, ne constituerait pas la fourniture de services d’ambulance.

 

[63]         Cependant, lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, d’un véhicule du même genre que ceux utilisés pour les appels reçus par le service 911, qui est très bien équipé et qui a à son bord des spécialistes très bien formés, les services sont assimilables à des « services d’ambulance » au sens de la partie II de l’annexe V[22].

 

Services de soins infirmiers

 

[64]         Même si je n’ai aucun doute que l’appelante fournit des services de soins infirmiers pour le transport d’une vaste majorité de patients, il est inutile, compte tenu de ma conclusion sur la question relative aux « services d’ambulance », que je me demande si les services de transport terrestre[23] décrits plus haut constituent des services de soins infirmiers.

 

Conclusion

 

[65]         En conséquence, l’appel interjeté à l’égard de la cotisation visant la période du 1er décembre 2002 au 31 mai 2005 est accueilli, avec dépens d’une somme de 600 $, et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que les fournitures en cause étaient des fournitures exonérées.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de mai 2009.

 

 

« Gaston Jorré »

Juge Jorré

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de juillet 2009.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice

 


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 279

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2007-2766(GST)I

 

INTITULÉ :                                       Angels of Flight Canada Inc. c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 1er avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Gaston Jorré

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 22 mai 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Représentante de l’appelante :

Gail Courneyea

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Justin Kutyan

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                     

 

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]       Recueil de documents de l’intimée, pages 1 et 2.

[2]       Voir la photographie de la pièce R-1, onglet 1, page 4. La société était propriétaire de quelques autres véhicules ne servant pas au transport de patients.

[3]       Voir la pièce A-7, en particulier ce qui touche au matériel, aux fournitures et à la formation du personnel, pages 28, 29, 33 à 36, 51, 62, 84, 85, 102 et 120. Pour des raisons pratiques, le greffier a numéroté les pages de cette pièce.

[4]       Le document de soumission RFP no 5251 consiste en la pièce A‑7.

[5]       Voir la pièce R-1, onglet 1, page 4.

[6]       Voir les pièces A-1 à A-5, en particulier A-4.

[7]       On pourrait autrement qualifier ces services de services de soins infirmiers mobiles.

[8]       Voir la pièce A-7, page 119.

[9]       Si j’ai bien compris, l’autorité compétente en matière de santé assume le reste des coûts.

[10]     Voir la pièce R-1, onglets 7 à 11, et les pièces R-2 à R-6.

[11]     Voir la pièce A-8.

[12]     Deuxième édition, 2004, page 41.

[13]     Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715, paragraphes 21 à 24.

[14]     Dans ses observations écrites, l’intimée a affirmé que ces soins étaient exclusivement régis par les provinces. Bien que cela soit en grande partie vrai, ce n’est pas entièrement exact. Pour les besoins de la présente affaire, toutefois, cette assertion est une approximation suffisante.

[15]     Will-Kare Paving & Contracting Ltd. c. Canada, 2000 CSC 36, [2000] 1 R.C.S. 915; Dale c. Canada, [1997] 3 C.F. 235 (CAF); The Queen v. Kalef, 96 DTC 6132 (CAF); North Shore Health Region c. La Reine, 2006 CCI 585; et North Shore Health Region c. Canada, 2008 CAF 2.

[16]     Voir les paragraphes 31 à 37 de l’arrêt Will-Kare.

[17]     Voir le paragraphe 10 de l’arrêt Kalef.

[18]     Voir les paragraphes 12 et 13 de l’arrêt Dale.

[19]     Lorsque ces ambulances visées par un permis sont disponibles pour les transports non urgents.

[20]     La décision North Shore de la Cour canadienne de l’impôt a été infirmée par la Cour d’appel fédérale pour d’autres raisons. La Cour d’appel n’a pas examiné ce point particulier.

[21]     Le paragraphe 24 de la décision North Shore ne peut être lu isolément de son contexte.

[22]     L’intimée a produit une liste des lois régissant les services d’ambulance en vigueur dans les dix provinces. L’examen de ces lois montre qu’il n’y a pas d’uniformité en la matière : dans plusieurs provinces, autres que l’Ontario, les services de transport terrestre comme ceux offerts par l’appelante semblent tomber sous le coup de la législation régissant les services d’ambulance tandis que, dans d’autres provinces, ce ne semble pas être le cas.

[23]     Voir le paragraphe 2 plus haut.

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