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Dossier : 2008-2052(EI)

ENTRE :

SIMON BEAUCAIRE,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

 

et

 

ÉRIC LAVOIE,

 

intervenant.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 18 février 2009, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Pierre Archambault

 

Comparutions :

 

Pour l'appelant :

l'appelant lui-même

Avocate de l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

Roberto Ledoux (stagiaire en droit)

Pour l’intervenant :

l’intervenant lui-même

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel de la décision du ministre du Revenu national est rejeté et la décision est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de mai 2009.

 

 

 

Pierre Archambault

Juge Archambault


 

 

 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 142

Date : 20090521

Dossier : 2008-2052(EI)

ENTRE :

SIMON BEAUCAIRE,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

 

et

 

ÉRIC LAVOIE,

 

intervenant.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Archambault

 

[1]              Monsieur Simon Beaucaire interjette appel d’une décision du ministre du Revenu national (ministre) relative à l’admissibilité de son travail comme emploi assurable aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi). Le ministre a déterminé que monsieur Beaucaire n’occupait pas un emploi assurable auprès de monsieur Éric Lavoie (payeur ou monsieur Lavoie) du 1er mars 2007 au 30 septembre 2007 (période pertinente). Selon le ministre, monsieur Beaucaire était lié à monsieur Lavoie par un contrat de service tandis que monsieur Beaucaire soutient qu’il s’agissait d’un contrat de travail.

 

 

[2]              Pour rendre sa décision, le ministre s’est appuyé sur les faits présumés suivants :

5. [ … ]

 

a)         depuis 2002, le payeur était seul propriétaire d’une entreprise qui réalisait des plans d’aménagement de boutiques commerciales principalement[1] pour la société de chaussures Aldo; (admis)

 

b)         l’appelant a été embauché pour préparer les plans des boutiques sur le logiciel informatique Autocad; (admis)

 

c)         au début les deux parties avaient convenu que l’appelant était un travailleur autonome;[2] (nié)

 

d)         par la suite, l’appelant et le payeur ne s’entendaient plus sur le statut de l’appelant à titre de travailleur autonome ou d’employé salarié; (admis)

 

e)         les tâches de l’appelant se divisaient en deux étapes, une première étape consistait à visiter les boutiques, à prendre les mesures, à faire un premier plan à la main, à vérifier l’endroit des « sprinklers », du système de ventilation, des prises électriques, du panneau électrique et des tablettes existantes, la deuxième étape consistait à dessiner les plans des boutiques sur ordinateur; (admis)

 

f)          la première étape s’effectuait principalement dans différentes villes des États‑Unis, la deuxième étape s’effectuait au domicile de l’appelant à Montréal; (admis)

 

g)         l’appelant devait remettre au payeur, le mercredi de la semaine suivante des visites, les plans préparés sur ordinateur; [3] (nié)

 

h)         l’appelant et le payeur avaient convenu du prix de 275 $ par plan de boutique; (admis)

 

i)          l’appelant facturait le payeur pour ses travaux; [4] (nié)

 

j)          le payeur rémunérait l’appelant par chèque selon la facturation présentée; (admis)

 

k)         le payeur organisait les visites des boutiques, il réservait les billets d’avion et les hôtels (admis) après avoir vérifié la disponibilité de l’appelant; [5](nié)

 

l)          les billets d’avion et les frais d’hôtels étaient remboursés au payeur par la société Aldo; [6](ignoré)

 

m)        le nombre de visites étaient généralement de deux ou de trois boutiques par semaine; (admis)

 

n)         l’appelant n’avait aucune instruction à suivre du payeur pour effectuer son travail; (nié)

 

o)         l’appelant n’avait pas d’horaire de travail à respecter pour le payeur; (nié)

 

p)         pour le travail à domicile, l’appelant travaillait selon ses disponibilités; (nié)

 

q)         l’appelant ne bénéficiait pas d’avantage social, ni de vacances, ni de congé de maladie chez le payeur; (admis)

 

r)          il n’existait aucun lien de subordination entre le payeur et l’appelant. (nié)

 

Contexte factuel

 

[3]              Monsieur Lavoie a travaillé pendant plusieurs années comme travailleur autonome pour un monsieur Mathieu Quiviger, un architecte qui réalisait des plans d’aménagement de boutiques, principalement pour la société Aldo. Le travail consistait à se rendre dans des centres commerciaux, tant au Canada qu’aux Etats‑Unis, où Aldo avait l’intention d’établir un magasin, et à préparer un plan architectural sur lequel apparaissait des données mécaniques, notamment celles relatives à l’emplacement des gicleurs, du système de ventilation, des prises électriques, etc. (données mécaniques). De façon à ne pas perturber l’exploitation des commerces existant à l’emplacement envisagé par Aldo, il fallait procéder rapidement. Il était plus efficace d’y aller à deux personnes pour réunir les données pertinentes. Monsieur Quiviger s’occupait de dessiner le plan architectural des lieux alors que monsieur Lavoie recueillait les données mécaniques  sur une esquisse qu’il dessinait en vue de les transposer plus tard sur le plan architectural.

 

[4]              Cette relation a durée pendant environ six ans, jusqu’au moment où monsieur Quiviger a annoncé à monsieur Lavoie qu’il préférait diminuer le nombre de voyages qu’impliquait le travail pour Aldo aux États‑Unis. Il faut dire qu’Aldo avait commencé l’implantation d’un réseau important de magasins de chaussures aux États‑Unis au cours de l’année 2006. Une centaine de contrats y avaient été exécutés. Monsieur Quiviger a alors offert à monsieur Lavoie le partage des territoires desservis par Aldo. Il garderait le territoire canadien alors que monsieur Lavoie s’occuperait du territoire américain.

 

[5]              Pour l’aider dans ce travail aux États-Unis, monsieur Lavoie a décidé d’engager un ami, avec qui il serait plus agréable de voyager. Son intention était de procéder de la même façon que lui et monsieur Quiviger avaient procédé, c’est‑à‑dire qu’il sous‑traiterait une partie de ses tâches à un tiers. Au moment des négociations entre monsieur Lavoie et monsieur Beaucaire, ce dernier travaillait pour la société Rogers Communications et y touchait un salaire d’environ 45 000 $. Selon monsieur Lavoie, monsieur Beaucaire n’était pas entièrement satisfait de ce travail. Monsieur Beaucaire a confirmé lors de son témoignage qu’il voulait passer plus de temps avec sa famille.

[6]              Lors des négociations, monsieur Lavoie a précisé à monsieur Beaucaire qu’il serait engagé comme travailleur autonome et ce dernier a accepté cette condition. Il devait être rémunéré 275 $ par plan. Si le travail à accomplir devait être beaucoup plus important que d’habitude, un montant supérieur de rémunération serait versé. Monsieur Beaucaire a reconnu qu’il comprenait que, comme travailleur autonome, il n’avait pas droit à des vacances ni à des avantages sociaux.

 

[7]              Le travail de monsieur Beaucaire se faisait en deux étapes. La première était réalisée sur place, dans les futurs locaux d’Aldo situés aux États-Unis où l’on recueillait les données pertinentes. La deuxième étape se réalisait, une fois qu’il était de retour à Montréal, à sa résidence, où il pouvait transcrire les données pertinentes sur les plans de base confectionnés par monsieur Lavoie.

 

[8]              De façon générale, le mandat était donné par Aldo à monsieur Lavoie à la suite de la vérification de sa disponibilité. Aldo prenait toutes les dispositions nécessaires pour permettre la visite aux États‑Unis de monsieur Lavoie et de l’aide qu’il avait engagé. La réservation des billets d’avion se faisait par l’intermédiaire de l’agence de voyage d’Aldo et les frais étaient facturés directement à Aldo. En ce qui à trait aux autres dépenses de voyage, à savoir les hôtels,  les repas et la voiture de location, ces frais étaient généralement engagés par monsieur Lavoie. À l’occasion, monsieur Beaucaire pouvait en engager, et il se faisait entièrement rembourser par monsieur Lavoie. Par la suite, toutes ces dépenses et celles de monsieur Lavoie étaient remboursées par Aldo. S’ils voyageaient en voiture plutôt qu’en avion pour se rendre dans une ville, par exemple, Boston, monsieur Beaucaire avait droit à une indemnité de 50 $.

 

[9]              De façon générale, on visitait au moins deux magasins par semaine dans des lieux géographiques assez rapprochés. Par exemple, Boston et New York ou encore Los Angeles et San Francisco. Le voyage durait normalement de deux à trois jours. L’entente entre monsieur Lavoie et Aldo prévoyait la remise des plans au cours de la semaine suivante, généralement le mercredi.

 

[10]         La tâche de monsieur Lavoie était la même que celle qu’avait accomplie monsieur Quiviger, soit relever les mesures nécessaires pour permettre la préparation du plan architectural des lieux que devait occuper Aldo. Monsieur Beaucaire remplissait la tâche qu’avait remplie monsieur Lavoie, à savoir la collecte  des données mécaniques. Monsieur Beaucaire devait normalement attendre que monsieur Lavoie ait dessiné les plans des lieux pour y porter les données mécaniques. Selon monsieur Lavoie, ils faisaient chacun de son côté le travail de prise de données sur place. Quand monsieur Beaucaire avait terminé sa tâche, il pouvait quitter l’emplacement du futur magasin Aldo sans attendre que monsieur Lavoie ait terminé son travail.

 

[11]         Pour la réalisation de son travail, monsieur Beaucaire a utilisé certains outils que lui a fournis monsieur Lavoie, notamment un ordinateur, dont le coût était de 850 $ et dans lequel se trouvait le logiciel AutoCad. Quoique monsieur Lavoie ait acquis deux ordinateurs portables pour commencer sur place, aux États-Unis, le travail de transcription des données au moyen du logiciel AutoCad, dans la réalité, monsieur Beaucaire ne pouvait pas transcrire ses données tant que monsieur Lavoie n’avait pas terminé les plans de base. Par conséquent, l’ordinateur qu’on lui avait fourni a été utilisé davantage pour le divertissement que pour l’exécution de son travail. Un autre outil était un laser de 350 $ pour prendre des mesures ainsi qu’un appareil photographique numérique de 250 $. Selon monsieur Lavoie, il n’était pas nécessaire que monsieur Beaucaire utilise ce laser pour son travail. Il aurait aussi bien pu prendre un ruban à mesurer. C’est parce qu’il en avait deux qu’il a pu en fournir un à monsieur Beaucaire. Si j’ai bien compris, l’appareil photographique numérique pouvait servir aux deux travailleurs, messieurs Lavoie et Beaucaire.

 

[12]         Une fois de retour à sa résidence à Montréal, monsieur Beaucaire transposait[7] les données mécaniques sur les plans générés par monsieur Lavoie grâce au logiciel AutoCad. Ce logiciel avait été installé sur l'ordinateur appartenant à monsieur Beaucaire. En effet, il trouvait plus commode de travailler sur un ordinateur de bureau que sur un portable. D’ailleurs, monsieur Beaucaire avait éprouvé plusieurs problèmes de fonctionnement du logiciel AutoCad sur le portable. C’est monsieur Lavoie qui lui avait fourni la disquette pour l’installation de ce logiciel appartenant à Aldo. Monsieur Beaucaire était libre d’effectuer son travail au moment qui lui convenait. La seule contrainte était qu’il devait livrer les plans pour le mercredi de la semaine suivante, selon les exigences d’Aldo. Lors de son témoignage, monsieur Beaucaire a reconnu que les échéances qu’on lui imposait étaient tributaires des exigences du client, Aldo. Par contre, il est important de mentionner qu’il n’existait aucune relation contractuelle entre monsieur Beaucaire et Aldo. D’ailleurs, monsieur Beaucaire n’a jamais rencontré les représentants d’Aldo.

 

[13]         Monsieur Beaucaire n’avait aucune formation de technicien en architecture ou en génie. Il détenait un baccalauréat en géographie environnementale. Cependant, comme la Cour a pu le constater elle-même, monsieur Beaucaire était une personne intelligente, « à l’esprit vif » pour utiliser les mots de monsieur Lavoie. Évidemment, ce dernier a dû donner une formation de base à monsieur Beaucaire au tout début. Selon monsieur Lavoie, c’est comme ami qu’il la lui a donnée. Évidemment, il y allait de son intérêt que monsieur Beaucaire soit compétent dans son travail. Ils ont ainsi passé deux avant‑midi non rémunérées à visiter deux magasins Aldo au Québec pour simuler le travail que monsieur Beaucaire devait réaliser aux États-Unis. Monsieur Lavoie a aussi donné une formation de base pour l’utilisation du logiciel AutoCad. Il était disponible pour répondre à toutes questions que pouvait lui poser monsieur Beaucaire concernant l’exécution de sa tâche. Monsieur Beaucaire a indiqué que la réalisation des plans pouvait lui avoir pris de trois heures et demie à quatre heures au début de la période pertinente, alors qu’à la fin cela pouvait ne lui prendre qu’une heure et demie.

 

[14]         Monsieur Lavoie a reconnu qu’il a vérifié, surtout au début, le travail fourni par monsieur Beaucaire. Il vérifiait, par exemple, si ce dernier respectait la convention établie pour ce qui est du choix des couleurs sur les plans générés par AutoCad, en fonction des différents types de données. Par contre, il a indiqué qu’il ne pouvait pas vérifier l’exactitude des données mécaniques de monsieur Beaucaire apparaissant sur les plans puisqu’il n’avait pas les données nécessaires pour le faire. Il se fiait donc au travail effectué par monsieur Beaucaire.

 

[15]         Selon l’analyse des factures présentées par monsieur Beaucaire à monsieur Lavoie (pièce I‑1), il y a eu plusieurs périodes de deux ou trois semaines durant lesquelles les services de monsieur Beaucaire n’ont pas été requis. Pendant ces périodes, monsieur Beaucaire n’avait droit à aucune rémunération.

 

[16]         Lors de son témoignage, monsieur Beaucaire a nié avoir refusé un contrat que lui avait offert monsieur Lavoie. Par contre, il a reconnu en contre-interrogatoire qu’il avait refusé un travail à être réalisé en Alberta. Il a cependant justifié son refus en évoquant un engagement personnel pris après vérification auprès de monsieur Lavoie. Lors de son contre-interrogatoire, monsieur Lavoie a indiqué qu’il avait aussi offert à monsieur Beaucaire un autre contrat au New Jersey et que ce dernier l’avait refusé. Monsieur Lavoie a également offert à monsieur Beaucaire des noms de personnes qu’il pouvait contacter pour obtenir d’autres contrats, mais monsieur Beaucaire les a refusés.

 

 

 

 

Analyse

 

[17]         La question en litige est de savoir si monsieur Beaucaire occupait un emploi assurable aux fins de la Loi. La disposition pertinente est l’alinéa 5(1)a) de la Loi, qui édicte ce qui suit :

5(1)      Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

 

a)         l'emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[Je souligne.]

 

[18]         Cet article définit un emploi assurable comme comprenant l’emploi exercé en vertu d’un contrat de louage de services (ou, pour employer une expression plus moderne, un contrat de travail). Or, la Loi ne définit pas ce qui constitue un tel contrat. Voici ce que prévoit l’article 8.1 de la Loi d’interprétation relativement à une telle circonstance :

 

Propriété et droits civils

 

8.1       Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s’il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d’assurer l’application d’un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s’y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l’application du texte.

 

[Je souligne.]

 

[19]         Les dispositions les plus pertinentes pour déterminer l’existence d’un contrat de travail au Québec et le distinguer du contrat de service sont les articles 2085, 2086, 2098 et 2099 du Code civil du Québec (Code civil ou C.c.Q.) :

 

Contrat de travail

 

2085    Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

 

2086    Le contrat de travail est à durée déterminée ou indéterminée.

Contrat d'entreprise ou de service

 

2098    Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

 

2099    L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

[Je souligne.]

 

[20]         Lorsqu'on analyse ces dispositions du Code civil, il en ressort clairement qu'il y a trois conditions essentielles quant à l'existence d'un contrat de travail : i) une prestation de travail fournie par le salarié; ii) une rémunération pour ce travail payée par l'employeur; iii) un lien de subordination. Ce qui distingue nettement le contrat de travail du contrat de service, c'est l'existence du lien de subordination, c'est‑à‑dire le fait pour l'employeur d'avoir un pouvoir de direction ou de contrôle sur le travailleur.

 

[21]         Dans la doctrine, les auteurs se sont interrogés sur la notion de « pouvoir de direction ou de contrôle » et son revers, le « lien de subordination ». Voici ce qu'écrit Robert P. Gagnon[8] :

 

c)     La subordination

 

90 — Facteur distinctif — L'élément de qualification du contrat de travail le plus significatif est celui de la subordination du salarié à la personne pour laquelle il travaille. C'est cet élément qui permet de distinguer le contrat de travail d'autres contrats à titre onéreux qui impliquent également une prestation de travail au bénéfice d'une autre personne, moyennant un prix, comme le contrat d'entreprise ou de service régi par les articles 2098 et suivants C.c.Q. Ainsi, alors que l'entrepreneur ou le prestataire de services conserve, selon l'article 2099 C.c.Q., « le libre choix des moyens d'exécution du contrat » et qu'il n'existe entre lui et son client « aucun lien de subordination quant à son exécution », il est caractéristique du contrat de travail, sous réserve de ses termes, que le salarié exécute personnellement le travail convenu sous la direction de l'employeur et dans le cadre établi par ce dernier.

 

[...]

 

92 — Notion — Historiquement, le droit civil a d'abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d'application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l'exécution de ses fonctions (art. 1504 C.c.B.‑C.; art. 1463 C.c.Q.). Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l'employeur sur l'exécution du travail de l'employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s'est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l'employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l'exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu'on reconnaîtra alors comme l'employeur, de déterminer le travail à exécuter, d'encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s'intégrer dans le cadre de fonctionnement d'une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d'un certain nombre d'indices d'encadrement, d'ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d'activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, etc. Le travail à domicile n'exclut pas une telle intégration à l'entreprise.

 

[Je souligne.]

 

[22]         Soulignons que ce qui est la marque d'un contrat de travail, ce n'est pas le fait que la direction ou le contrôle a été exercé effectivement par l'employeur  (la notion stricte ou classique), mais le fait qu'il avait le pouvoir de l'exercer (la notion élargie). Dans Gallant c. M.R.N., [1986] A.C.F. no 330 (QL), le juge Pratte de la Cour d'appel fédérale affirme :

 

[...] Ce qui est la marque du louage de services, ce n'est pas le contrôle que l'employeur exerce effectivement sur son employé, c'est plutôt le pouvoir que possède l'employeur de contrôler la façon dont l'employé exécute ses fonctions. [...]

 

[Je souligne.]

 

[23]         Il faut également ajouter ces commentaires du ministre de la Justice du Québec au sujet de l’article 2085 C.c.Q., qui accompagnaient le projet du Code civil et que j’ai rapportés aux pages 2:26 et 2 :27 d’un article (mon article) que j’ai écrit et qui est intitulé « Contrat de travail : Pourquoi Wiebe Door Services Ltd. ne s'applique pas au Québec et par quoi on doit le remplacer » [9]:

 

L’article reprend la règle édictée à l’article 1665a) C.C.B.C. La définition contenue dans cet article nouveau permet de cerner avec plus de précision la différence entre le contrat de travail et le contrat d’entreprise ou de service. La ligne de démarcation parfois ténue entre ces contrats a suscité des difficultés tant en doctrine qu’en jurisprudence.

 

Cette définition indique le caractère essentiellement temporaire du contrat de travail, consacrant ainsi le premier alinéa de l’article 1667 C.C.B.‑C., et met en relief l’attribut principal du contrat de travail : le lien de préposition caractérisé par le pouvoir de contrôle, autre que le contrôle économique, de l’employeur sur le salarié, tant dans la fin recherchée que dans les moyens utilisés. Il importe peu que ce contrôle soit ou non effectivement exercé par son titulaire; il importe peu également que le travail soit matériel ou intellectuel.

[Je souligne.]

 

[24]         Au Québec, contrairement à la situation en common law, la question centrale est de savoir s'il existe un lien de subordination, à savoir un pouvoir de contrôle ou de direction. Un tribunal n'a pas d'autre choix que de conclure à l'existence ou à l'absence du lien de subordination pour pouvoir conclure qu'un contrat constitue un contrat de travail ou bien un contrat de service. C'est l’approche que le juge Létourneau de la Cour d'appel fédérale a adoptée dans l'affaire D & J Driveway[10], où il a conclu à l'absence d'un contrat de travail en se fondant sur les dispositions du Code civil et, en particulier, en constatant l'absence d'un lien de subordination, lequel il a décrit comme « la caractéristique essentielle du contrat de travail »[11].

 

[25]         À la décision D & J Driveway, j’ajouterai celle rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire 9041‑6868 Québec Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), [2005] A.C.F. no 1720 (QL), 2005 CAF 334 (Tambeau). Voici ce que le juge Décary écrit aux paragraphes 2 et 3[12] :

2          En ce qui a trait à la nature du contrat, le juge en est arrivé à la bonne solution, mais il y est parvenu, à mon humble avis, de la mauvaise manière. Nulle part, en effet, ne traite-t-il des dispositions du Code civil du Québec, se contentant, à la fin de son analyse de la preuve, de référer aux règles de common law énoncées dans les arrêts Wiebe Door Services Ltd. c. Canada (Ministère du Revenu national), [1986] 3 C.F. 553 (C.A.F.) et 671122 Ontario Ltd. Sagaz c. Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983. Cette méprise, je m'empresse de le souligner, n'est pas nouvelle et trouve son explication dans un flottement jurisprudentiel auquel le temps est venu de mettre un terme.

 

3          L'entrée en vigueur du Code civil du Québec en 1994, puis l'adoption par le Parlement du Canada de la Loi d'harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil (c. 2001, ch. 4) et l'adjonction par cette Loi de l'article 8.1 à la Loi d'interprétation (L.R.C., ch. I‑21) ont redonné au droit civil du Québec, en matière fédérale, ses lettres de noblesse que les tribunaux avaient eu parfois tendance à ignorer. Il suffit, à cet égard, de consulter l'arrêt de cette Cour, dans St-Hilaire c. Canada, [2004] 4 C.F. 289 (C.A.F.) et l'article du juge Pierre Archambault, de la Cour canadienne de l'impôt, intitulé « Contrat de travail : pourquoi Wiebe Door Services Ltd ne s’applique pas au Québec et par quoi on doit le remplacer » et publié récemment dans le Deuxième recueil d'études en fiscalité (2005) de la collection L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien, pour se convaincre que le concept de « contrat de louage de services », à l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi, doit être analysé à la lumière du droit civil québécois lorsque le droit provincial applicable est celui du Québec.

 

[Je souligne.]

 

[26]         Tel qu’il est mentionné ci-dessus, la ligne de démarcation entre un contrat de travail et un contrat de service peut être ténue. Il m’apparaît important, comme point de départ, de constater comment les parties ont elles-mêmes qualifié la nature de leurs rapports contractuels. Ici la preuve de l’intention des parties est claire. Elle révèle que les parties désiraient conclure un contrat de service. En effet, en mentionnant à monsieur Beaucaire qu’il serait un « travailleur autonome », monsieur Lavoie manifestait son intention de créer une relation dans le cadre de laquelle les services rendus par monsieur Beaucaire le seraient « en toute autonomie », à savoir qu’il aurait le libre choix des moyens d’exécution. Même si monsieur Beaucaire a indiqué qu’il ne comprenait pas trop la portée de la notion de travailleur autonome, il a reconnu qu’elle comportait une notion d’autonomie. Les tribunaux ont reconnu l’importance que revêt l’intention des parties dans la qualification de la relation contractuelle qui existe entre elles. Par exemple, dans l’affaire Livreur Plus Inc. c. Canada ( M.R.N.), [2004] A.C.F. no 267 (QL), le juge Létourneau écrit au paragraphe 17 :

 

17        La stipulation des parties quant à la nature de leurs relations contractuelles n'est pas nécessairement déterminante et la Cour peut en arriver à une détermination contraire sur la foi de la preuve qui lui est soumise : D&J Driveway Inc. c. Le ministre du Revenu national, [2003] A.C.F. no 1784, 2003 CAF 453. Mais en l'absence d'une preuve non équivoque au contraire, la Cour doit dûment prendre en compte l'intention déclarée des parties : Mayne Nickless Transport Inc. c. Le ministre du Revenu national, [1999] A.C.I. no 132, 97-1416-UI, 26 février 1999 (C.C.I.). Car en définitive, il s'agit de déterminer la véritable nature des relations entre les parties. Aussi, leur intention sincèrement exprimée demeure-t-elle un élément important à considérer dans la recherche de cette relation globale réelle que les parties entretiennent entre elles dans un monde du travail en pleine évolution : voir Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396 (C.A.F.); Procureur général du Canada c. Les Productions Bibi et Zoé Inc., [2004] A.C.F. no 238, 2004 C.A.F. 54.

[Je souligne.]

 

[27]         La question qui se pose ici est donc de savoir s’il existe une preuve non équivoque du contraire qui pourrait amener la Cour à conclure que les parties se sont trompées sur la nature véritable de leur relation contractuelle. Comme je l’écrivais dans la décision Banque Financière Inc. c. Le ministre du Revenu national et Carlo Massicolli, 2008 CCI 624, au paragraphe 59 :

 

[ … ]

Il revient à la Cour de s’assurer que la conduite des parties lors de l’exécution du contrat était conforme à l’intention exprimée par elles lorsqu’elles ont convenu de former le contrat29. La Cour doit s’assurer notamment que toutes les conditions essentielles à l’existence d’un contrat de travail ont  été réunies. Ici, la condition qui peut poser problème est celle relative à l’existence d’un lien de subordination. Comme l’a souligné l'avocat de la FBN dans sa plaidoirie ‑ Code civil, jurisprudence et doctrine à l’appui ‑, le critère qui permet, au Québec, de distinguer entre un contrat de travail et un contrat de service ou d’entreprise est celui de l’existence d’un lien de subordination.

________________

29 Pour une discussion de cette démarche, voir mon article aux pages 2:63 et suivantes.

 

[28]         D’autres passages importants de la décision de Livreur Plus Inc. sont, à mon avis, applicables ici :

 

19        Ceci dit, il ne faut pas, au plan du contrôle, confondre le contrôle du résultat ou de la qualité des travaux avec le contrôle de leur exécution par l'ouvrier chargé de les réaliser : Vulcain Alarme Inc. c. Le ministre du Revenu national, [1999] A.C.F. no 749, A-376-98, 11 mai 1999, paragraphe 10, (C.A.F.); D&J Driveway Inc. c. Le ministre du Revenu national, précité, au paragraphe 9. Comme le disait notre collègue le juge Décary dans l'affaire Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), précitée, suivie dans l'arrêt Jaillet c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2002] A.C.F. no 1454, 2002 FCA 394, "rares sont les donneurs d'ouvrage qui ne s'assurent pas que le travail est exécuté en conformité avec leurs exigences et aux lieux convenus. Le contrôle du résultat ne doit pas être confondu avec le contrôle du travailleur".

 

20        Je suis d'accord avec les prétentions de la demanderesse. Un sous-entrepreneur n'est pas une personne libre de toute contrainte qui travaille à son gré, selon ses inclinations et sans la moindre préoccupation pour ses collègues co-contractants et les tiers. Ce n'est pas un dilettante à l'attitude cavalière, voire irrespectueuse, capricieuse ou irresponsable. Il oeuvre dans un cadre défini, mais il le fait avec autonomie et à l'extérieur de celui de l'entreprise de l'entrepreneur général. Le contrat de sous-traitance revêt souvent un caractère léonin dicté par les obligations de l'entrepreneur général : il est à prendre ou à laisser. Mais sa nature n'en est pas altérée pour autant. Et l'entrepreneur général ne perd pas son droit de regard sur le résultat et la qualité des travaux puisqu'il en assume la seule et entière responsabilité vis-à-vis ses clients.

 

[…]

 

24        La procureure du défendeur a invoqué un certain nombre de faits au soutien de sa prétention que la demanderesse exerçait un contrôle tel sur ses deux travailleurs qu'on ne peut faire autrement que conclure à l'existence d'un lien de subordination entre les parties. Elle a beaucoup insisté, dans un premier temps, sur le fait que les livreurs étaient soumis à des heures de disponibilité obligatoires, qu'ils oeuvraient chacun dans un territoire défini et qu'ils ne pouvaient modifier l'horaire de travail sans l'autorisation de la demanderesse.

 

25        Avec respect, je ne crois pas que ces trois premiers éléments soient déterminants dans la recherche de la qualification de la relation globale entre les parties ou soient suffisants pour changer la nature de celle qu'elles ont exprimée au contrat. La raison en est bien simple. La demanderesse a, au terme de son contrat d'entreprise, assumé des obligations spécifiques dans le temps et dans l'espace envers ses clientes, les pharmacies. Tel qu'il appert du contrat régissant leurs relations, des heures et des endroits précis de collectes et de livraisons de médicaments étaient convenus entre la demanderesse et les pharmacies. Ce sont en partie ces obligations que l'on retrouve dans le contrat de sous-traitance avec les livreurs. Or, la spécificité des tâches et la disponibilité pour les exécuter ne sont pas l'apanage et le propre d'un contrat de travail. Un contracteur qui retient les services de sous-traitants pour effectuer tout ou partie des tâches qu'il s'est engagé envers ses clients à accomplir conformément à un échéancier va identifier et délimiter ce qu'ils ont à réaliser et s'assurer de leurs disponibilités pour le faire : Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), précité; Vulcain Alarme Inc. c. Le ministre du Revenu national, précité, au paragraphe 4. Autrement, il faudrait, sur cette base, conclure que la demanderesse elle-même est une employée des pharmacies puisqu'elle doit être disponible pour les servir aux heures et selon l'échéancier acceptés.

 

[Je souligne.]

 

[29]         À mon avis, il existait un contrat de service entre Aldo et monsieur Lavoie. Ce dernier avait assumé, envers ce client, des obligations spécifiques dans le temps et quant au travail à accomplir. Il devait se présenter dans certains locaux aux États-Unis où Aldo avait l’intention d’établir des magasins et il devait produire des plans décrivant les lieux et contenant des données mécaniques. Un délai était prévu pour fournir ces plans. Pour l’exécution d’une partie de ce contrat de service, monsieur Lavoie avait engagé comme sous-traitant monsieur Beaucaire. Cette partie consistait dans la collecte des données mécaniques et leur reproduction sur des plans dessinés à l’aide du logiciel AutoCad. À mon avis, monsieur Lavoie n’avait pas un droit de contrôle et de direction sur le travail effectué par monsieur Beaucaire. On n’a pas non plus apporté de preuve établissant qu’un tel droit a été exercé par monsieur Lavoie. Le contrôle qui a été exercé portait sur le résultat et sur la qualité des travaux fournis par monsieur Beaucaire.

 

[30]         Il est vrai que monsieur Beaucaire n’avait pas au début les connaissances et l’expérience nécessaires pour exécuter le mandat qu’on lui confiait. Il est tout à fait normal que monsieur Lavoie l’ait aidé, par ses conseils, à acquérir ces connaissances et cette expérience. Il est normal également que monsieur Lavoie ait vérifié le travail fourni par monsieur Beaucaire pour s’assurer de sa qualité. D’ailleurs, cette vérification portait principalement sur des questions esthétiques, à savoir la couleur des données reproduites sur les plans produits à l’aide du logiciel AutoCad. Comme c’était le cas des livreurs dans  Livreur Plus Inc., si monsieur Beaucaire ne désirait pas accepter un mandat, il lui était loisible de le refuser. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait à au moins deux occasions.

 

[31]         Les commentaires suivants du juge Letourneau dans la décision Livreur Plus Inc., au paragraphe 41, sont aussi pertinents dans la présente affaire :

 

41        Les livreurs n'avaient pas de bureaux ou de locaux chez la demanderesse. Ils n'avaient pas à passer chez la demanderesse pour effectuer leur travail de livraison : ibidem, page 81. Ce sont là, avec la faculté de refuser ou d'accepter des offres de services, des facteurs que cette Cour a retenus comme indices d'un contrat d'entreprise ou de services plutôt que de travail : voir D&J Driveway Inc. c. Le ministre du Revenu national, précité, paragraphe 11.

 

[32]         J’avais adopté une approche semblable dans l’affaire Sauvageau Pontiac Buick GMC Ltée c. Canada (ministre du Revenu national), [1996] A.C.I. no 1383 (QL) citée dans D & J Driveway :

 

16        Ici, je ne crois pas qu'il existait de lien de subordination entre M. Bédard et Sauvageau Pontiac durant la période pertinente. Tout d'abord, M. Bédard n'était pas tenu d'être disponible à la place d'affaires de Sauvageau Pontiac. De plus, il était entièrement libre d'accepter ou de refuser la livraison d'une voiture. Sauvageau Pontiac ne pouvait pas exercer de contrôle sur les activités de M. Bédard. S'il refusait une offre de livraison pour quelque raison que ce soit, tout ce que Sauvageau Pontiac pouvait faire était de s'adresser à un autre de ses conducteurs-commissionnaires. La tâche prévue au contrat entre M. Bédard et Sauvageau Pontiac était très spécifique et limitée en étendue. Son travail consistait soit à conduire la voiture de la place d'affaires de Sauvageau Pontiac à la résidence du client, soit d'en prendre livraison chez le client pour la ramener à la place d'affaires de Sauvageau Pontiac. Le service fourni par M. Bédard est très similaire à celui fourni par les entreprises de livraison de colis, sauf que le colis, ici, est la voiture.

 

[Je souligne.]

 

[33]         Comme dans les affaires D & J Driveway, Livreur Plus et Sauvageau Pontiac Buick GMC Ltée, le travail que devait fournir monsieur Beaucaire était assez simple et spécifique : réunir des données mécaniques et les reproduire sur un plan généré par un logiciel. La faculté de refuser ou d’accepter « des offres de services » est un des facteurs qui ont été retenus par la jurisprudence comme indices d’un contrat de service plutôt que de travail.

 

[34]         Le fait que monsieur Beaucaire pouvait quitter les magasins après avoir terminé son travail, sans avoir à rester pour aider monsieur Lavoie dans l’accomplissement de ses tâches constitue un autre indice important de l’absence de lien de subordination. L’objet du contrat était d’exécuter une tâche spécifique et, dès qu’elle était accomplie, monsieur Beaucaire était libre de faire ce qu’il voulait. Si ce dernier avait été engagé comme salarié, monsieur Lavoie lui aurait certainement demandé de l’aider à terminer son propre travail.

 

[35]         À mon avis, un autre indice attestant de l’existence d’un contrat de service plutôt que d’un contrat de travail est le fait que monsieur Beaucaire ne travaillait que lorsqu’il recevait un contrat spécifique. Lorsqu’il n’y avait pas de travail, il n’avait aucun service à rendre et, bien évidemment, il n’était pas rémunéré. Dans un tel contexte, il est tout a fait plausible que monsieur Lavoie n’ait eu aucun droit de contrôle ou de direction sur le travail de monsieur Beaucaire. Par conséquent, n’ayant aucune preuve révélant que la conduite des parties n’était pas conforme à leur intention, la seule conclusion que l’on peut tirer ici est que monsieur Beaucaire a fourni ses services en vertu d’un contrat de service et non pas d’un contrat de travail. Par conséquent, monsieur Beaucaire n’occupait pas un emploi assurable durant la période pertinente.

 

[36]         Pour tous ces motifs, l’appel de monsieur Beaucaire est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de mai 2009.

 

 

 

 

Pierre Archambault

Juge Archambault

 

 


 

 

 

RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 142

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-2052(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              SIMON BEAUCAIRE c. M.R.N.

                                                          et ÉRIC LAVOIE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 18 février 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       l'honorable juge Pierre Archambault

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 21 mai 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

l'appelant lui-même

Avocate de l'intimé :

Me Marie-Claude Landry

Roberto Ledoux (stagiaire en droit)

Pour l’intervenant:

l'intervenant lui-même

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                           

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           Au début de l'audience, monsieur Beaucaire a admis l'alinéa 5a) sauf pour le mot « principalement ». Au cours de l'audience, il a précisé qu'il croyait que le mot « principalement » s'appliquait à lui et non pas à l'entreprise. Par conséquent, il reconnaît que le payeur rendait ses services principalement à Aldo.

[2]           Même si monsieur Beaucaire a mentionné au début de l'audience qu'il niait cet alinéa, il a reconnu lors de son témoignage que le payeur et lui avaient convenu qu'il était engagé à titre de travailleur autonome et qu'il avait accepté cette situation jusqu'au moment où monsieur Lavoie a mis fin à leur contrat au début octobre 2007 (voir pièce A‑1). Se trouvant sans revenus et ayant à subvenir aux besoins d'une petite famille, et après avoir pris conseil auprès de certains amis, il a contesté son statut de travailleur autonome. Il s'est adressé à la Commission des normes du travail du Québec. La première fois que monsieur Lavoie a appris que monsieur Beaucaire n’acceptait plus son statut de travailleur autonome c’est lorsqu’il a reçu une mise en demeure en novembre 2007.

[3]           Même si monsieur Beaucaire a nié cet alinéa, la preuve confirme, de façon générale, qu’il devait remettre les plans préparés sur ordinateur le mercredi de la semaine suivante.

[4]           La preuve a révélé que monsieur Beaucaire a facturé au payeur ses services, tel que le révèle la pièce I-1. Aucun montant de TPS ou de TVQ n'apparaît sur les factures. Monsieur Beaucaire s'était informé auprès des autorités fiscales et avait appris qu'il n'était pas nécessaire  d'être inscrit lorsque le chiffre d'affaires est inférieur à 30 000 $. Selon la preuve, monsieur Beaucaire s'attendait à réaliser environ 27 500 $ pour une année de services.

[5]           La preuve a révélé que monsieur Beaucaire travaillait dans un bar le dimanche soir et qu'il n'était généralement pas disponible le lundi matin. Selon monsieur Beaucaire, si monsieur Lavoie avait eu besoin de lui un lundi matin, il se serait rendu disponible. Le payeur, lors de son témoignage, a indiqué qu'il tenait compte de la disponibilité de monsieur Beaucaire dans la planification de ses voyages de travail. En fait, le payeur communiquait avec monsieur Beaucaire la semaine précédant une visite planifiée aux États-Unis et il lui demandait alors qu’elle était sa disponibilité.

[6]           La preuve a révélé que tous les frais de déplacement étaient remboursés à monsieur Lavoie par Aldo.

 

 

[7]           Monsieur Beaucaire a affirmé avoir travaillé quatre ou cinq fois dans le bureau de monsieur Lavoie. Ce dernier a rétorqué qu’il ne l’avait jamais vu travailler dans son bureau puisqu’il n’y avait pas de place pour monsieur Beaucaire à son bureau. Monsieur Beaucaire a alors reconnu qu'il ne l'avait fait que pendant des absences de monsieur Lavoie.

[8]           Robert P. Gagnon, Le droit du travail du Québec, 5e éd., Cowansville (Qc), Les Éditions Yvon Blais Inc., 2003.

[9]           Deuxième recueil d'études en fiscalité (2005) de la collection L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien, Montréal, Association de planification fiscale et financière et ministère de la Justice du Canada.

[10]          D & J Driveway Inc. c. Canada (M.R.N.), [2003] A.C.F. no 1784 (QL), 2003 CAF 453. Voir également Charbonneau c. Canada, [1996] A.C.F. no 1337 (QL) (C.A.F.); Sauvé c. Canada (M.R.N.), [1995] A.C.F. no 1378 (QL) (C.A.F.); Lagacé c. Canada (M.R.N.), [1994] A.C.F. no 885 (QL) (C.A.F.), confirmant [1991] T.C.J. No. 945 (QL). Il faut toutefois mentionner que, dans les arrêts D & J Driveway et Charbonneau, la Cour d'appel n'a pas écarté explicitement l'application de Wiebe Door, mais a conclu à l'existence d'un contrat de service en se fondant sur l'absence du lien de subordination, suivant ainsi les règles du Code civil.

[11]          Par. 16 de la décision.

[12]          Il faut mentionner que les juges Pelletier et Létourneau ont manifesté leur adhésion à cette décision du juge Décary. Par contre, dans une décision subséquente, Combined  Insurance Company of America c. M.N.R. et Mélanie Drapeau, 2007 CAF 60, écrite par le juge Nadon, à laquelle, d'ailleurs, les juges Pelletier et Létourneau ont souscrit, on se réfère à nouveau à la décision Wiebe Door. Toutefois, il n'est aucunement fait référence dans l'arrêt Combined Insurance à la décision Tambeau et il n'y est pas dit que l'interprétation adoptée par le juge Décary ne faisait plus loi au Québec. La demande d'autorisation d'en appeler de l’arrêt Combined Insurance à la Cour suprême du Canada a été rejetée le 25 octobre 2007. Le juge Létourneau a eu l'occasion de revenir sur cette question dans une récente décision, Grimard c. Sa Majesté la Reine, 2009 CAF 47. Au paragraphe 37, il écrit : « […] la notion de contrôle est, en vertu du droit civil québécois, plus qu'un simple critère comme en common law. Elle est une caractéristique essentielle du contrat de travail […] ». Il a cité alors à l'appui de ses dires la décision Tambeau.

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