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Dossier : 2007‑2876(IT)G

 

ENTRE :

GIOVANNI SPRIO,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appels entendus les 10 et 11 mars 2009, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Christopher R. Mostovac

 

 

Avocate de l'intimée :

Me Annick Provencher

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels des cotisations établies en vertu du paragraphe 152(7) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ») selon la méthode de l'avoir net pour déterminer le revenu non déclaré sont accueillis, en ce sens qu'il est tenu compte de la suppression du revenu des montants reconnus par l'intimée (à savoir 30 000 $ (retraits inexpliqués) pour l'année 1998, 65 000 $ (retraits inexpliqués) et la moitié de 2 359 $ (1 179,50 $) (taxes municipales (condominium)) pour l'année 2000, et la moitié de 4 717 $ (2 358,50 $) (taxes municipales (condominium)) pour l'année 2001), ainsi que de la prétendue perte subie à l'égard de la résidence en 2000 (9 553 $), du montant non versé aux avocats en 2000 sur le produit de l'assurance se rattachant à la perte de la Porsche (27 983 $) et des sommes nettes gagnées à la loterie (6 679 $ en 2001 et 49 026 $ en 2002). J'ai de nouveau calculé le revenu non déclaré comme s'élevant à 44 117 $ pour l'année 1996, à 45 580 $ pour l'année 1997, à 17 063 $ pour l'année 1998, à 79 563 $ pour l'année 1999, à 0 $ pour l'année 2000, à 74 353 $ pour l'année 2001 et à 40 407 $ pour l'année 2002. Les pénalités établies en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi sont maintenues à l'égard de ce revenu non déclaré.

 

          Les dépens, déterminés conformément au tarif B des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), sont adjugés à l'intimée.

 

Signé à Montréal (Québec), ce 26e jour de mai 2009.

 

 

« Lucie Lamarre »

Le juge Lamarre

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de juillet 2009.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 275

Date : 20090526

Dossier : 2007‑2876(IT)G

 

ENTRE :

GIOVANNI SPRIO,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Lamarre

 

[1]              Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi de nouvelles cotisations à l'égard de l'appelant en vertu du paragraphe 152(7) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ») en employant la méthode de l'avoir net pour calculer un revenu non déclaré s'élevant en tout à 474 356 $, ainsi que des pénalités s'élevant en tout à 53 459 $, établies conformément au paragraphe 163(2) de la Loi, pour les années d'imposition 1996 à 2002. Le ministre a établi les nouvelles cotisations après la période normale de nouvelle cotisation en vertu du paragraphe 152(4) de la Loi pour les années d'imposition 1996 à 1999. Pour ces quatre années, le ministre doit démontrer que le contribuable a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant ses déclarations ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la Loi.

 

[2]              Dans la décision Venne c. La Reine, no T‑815‑82, 9 avril 1984, 84 D.T.C. 6247, [1984] A.C.F. no 314 (QL) (C.F. 1re inst.), le juge Strayer a défini comme suit l'obligation qui incombe au ministre lorsque celui‑ci invoque le pouvoir qui lui est conféré en vue d'établir une nouvelle cotisation en vertu du sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la Loi :

 

Je suis convaincu qu'il suffit au Ministre, pour invoquer son pouvoir en vertu de l'alinéa 152(4)a)(i) de la Loi, de démontrer la négligence du contribuable, à l'égard d'un ou plusieurs éléments de sa déclaration de revenus au titre d'une année donnée. Cette négligence est établie s'il est démontré que le contribuable n'a pas fait preuve de diligence raisonnable. C'est sûrement là le sens des termes « présentation erronée des faits, par négligence », en particulier avec d'autres motifs comme l'inattention ou l'omission volontaire qui font référence à un degré de négligence plus élevé ou à une mauvaise conduite délibérée. Sauf si ces termes étaient superflus dans cet article, hypothèse que je ne puis accepter, le terme « négligence » impose un critère moins strict de faute, semblable à celui qui est utilisé dans les autres domaines du droit, comme la responsabilité délictuelle. Voir Jet Metal Products Limited c. le ministre du Revenu national (1979) 79 D.T.C. 624, pp. 636‑37 (C.R.I.).

 

[3]              En outre, dans l'arrêt Molenaar c. Canada, [2004] A.C.F. no 1731 (QL), 2004 CAF 349, la Cour d'appel fédérale a ajouté ce qui suit, aux paragraphes 2 à 4 :

 

2          Le procureur de l'appelant a soumis que pour cette période de 1993 à 1996 qui était prescrite, le ministère devrait avoir le fardeau de prouver que les entrées de fonds ainsi constatées sont du revenu imposable. Autrement dit, afin de circonscrire l'application de la méthode de l'avoir net, il y aurait une présomption en faveur du contribuable que les entrées de fonds non déclarées et inexpliquées proviennent de revenus non imposables.

 

3          Avec respect, une telle présomption rendrait à toute fin pratique inutile et inopérante la méthode de l'avoir net. En outre, elle saperait à la base notre système d'impôt fondé sur des déclarations volontaires puisqu'elle reviendrait à favoriser le contribuable astucieux qui parvient le mieux, le plus efficacement et le plus longtemps à dissimuler et ses revenus et ses omissions de les déclarer.

 

4          À partir du moment où le ministère a établi selon des données fiables un écart, substantiel dans le cas présent, entre les actifs d'un contribuable et ses dépenses et où cet écart demeure inexpliqué et inexplicable, le ministère a assumé son fardeau de preuve. Il appartient alors au contribuable d'identifier la source et d'établir la nature non imposable de ses revenus.

 

[4]              Dans l'arrêt Hsu c. Canada, [2001] A.C.F. no 1174 (QL), 2001 CAF 240, la Cour d'appel fédérale avait déjà dit ce qui suit, au paragraphe 29 :

 

29        Les évaluations de la valeur nette sont une solution de dernier recours communément employée dans les cas où le contribuable refuse de produire une déclaration de revenus, qu'il a produit une déclaration fort inexacte ou qu'il refuse de fournir des documents qui permettraient à Revenu Canada de vérifier le rendement (V. Krishna, The Fundamentals of Canadian Income Tax Law, 5e éd. (Toronto : Carswell, (1995) à la page 1089). La méthode de la valeur nette est fondée sur l'hypothèse selon laquelle une augmentation de la richesse d'un contribuable au cours d'une certaine période peut être imputée au revenu pour cette période à moins que le contribuable ne démontre le contraire (Bigayan, précité, à la page 1619). Cette méthode vise à libérer le ministre de l'obligation ordinaire qui lui incombe de prouver l'existence d'une source imposable de revenu. Le ministre est uniquement tenu de démontrer que la valeur nette du contribuable a augmenté entre deux dates. En d'autres termes, une évaluation de la valeur nette ne se rapporte pas à la détermination de la source ou de la nature de l'augmentation de la richesse du contribuable. Une fois qu'il est démontré qu'il y a eu augmentation, il incombe entièrement au contribuable de séparer son revenu imposable des gains provenant de sources non imposables (Gentile c. La Reine, [1988] 1 C.T.C. 253, à la page 256 (C.F. 1re inst.)).

 

[5]              Par conséquent, pour les années frappées de prescription, le ministre doit d'abord établir que le contribuable a fait une présentation erronée des faits en ne déclarant pas tout son revenu pour chacune de ces années d'imposition. Le ministre doit ensuite démontrer qu'en omettant de déclarer le revenu, le contribuable n'a pas fait preuve d'une diligence raisonnable ou qu'il a été simplement négligent. Le ministre doit démontrer un degré de faute moins élevé qu'une mauvaise conduite délibérée.

 

[6]              Lorsque le contribuable a produit une déclaration qui renferme des inexactitudes graves, ou qu'il refuse de fournir des documents qui permettraient au ministre de vérifier la déclaration, le ministre peut avoir recours à la méthode de l'avoir net pour déterminer le montant du revenu non déclaré.

 

[7]              Une fois que le ministre a établi qu'il existe un écart entre l'avoir net du contribuable à la fin de l'année et son avoir net au début de l'année, plus le montant des dépenses personnelles durant l'année (à l'exclusion toutefois du revenu non imposable et de l'augmentation de la valeur d'actifs existants), la charge de la preuve passe au contribuable, qui doit établir que le résultat net ne devrait pas être considéré comme un revenu tiré d'une source imposable (voir Bigayan c. La Reine, no 97‑2699(IT)G, 10 novembre 1999, 1999 CarswellNat 2288 (C.C.I.), au paragraphe 2).

 

[8]              En l'espèce, l'appelant a déclaré en tout un montant de 124 232 $ au titre du revenu pour la période allant de l'année 1996 à l'année 2002 (voir le paragraphe 6 de la réponse à l'avis d'appel), soit environ 20 p. 100 du revenu global qui aurait dû être déclaré selon l'avoir net de l'appelant pour cette période, tel qu'il a été déterminé par l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC »).

 

[9]              En 1999, l'appelant a été arrêté et accusé, sur la foi d'une preuve testimoniale, de complot en vue de l'importation de drogues. Au mois d'août 2003, l'appelant, qui s'était vu infliger une peine d'emprisonnement de quatre ans, a été incarcéré.

 

[10]         Monsieur Yvon Talbot, vérificateur à l'ARC, travaille au sein du service du crime organisé. Au début de l'année 2003, on lui a demandé de faire une vérification à l'égard de l'appelant à la suite de la publication d'un article de journal disant que l'appelant avait fait construire une grosse maison, à Laval (Québec). L'article disait également que l'appelant était associé au trafic de drogues.

 

[11]         Étant donné que le revenu déclaré par l'appelant était relativement faible et que l'appelant n'avait pas de compte bancaire à son nom, M. Talbot a expliqué qu'il s'était vu obligé d'employer la méthode de l'avoir net. On a renvoyé M. Talbot à l'avocat de l'appelant à ce moment‑là. L'appelant et son avocat ont refusé de remplir un questionnaire préparé par l'ARC. Compte tenu des renseignements dont il disposait, M. Talbot savait que l'appelant avait déposé ses chèques dans les comptes bancaires de ses parents jusqu'en 2000, et dans le compte bancaire de son amie en 2000 et au cours des années ultérieures. L'appelant et les membres de la famille de l'appelant n'ont pas autorisé M. Talbot à avoir accès à leurs comptes en banque.

 

[12]         Afin d'établir l'avoir net de l'appelant, M. Talbot a procédé sur une base combinée, en tenant compte de l'actif et du passif du père et de la mère de l'appelant jusqu'en l'an 2000, et de l'actif et du passif de l'amie de l'appelant pour l'année 2000 et pour les années ultérieures. Étant donné que l'appelant refusait de coopérer, M. Talbot a signifié aux banques un avis leur demandant de fournir des renseignements au sujet des comptes bancaires des parents et de l'amie de l'appelant pour la période visée par l'examen.

 

[13]         À la suite de cet avis, les banques ont donné des renseignements au sujet des comptes des parents au mois de mars 1996. Il semble que le solde du compte des parents au 31 décembre 1995 était plus élevé qu'au 1er mars 1996 d'un montant d'environ 1 600 $. Cela pourrait avoir des répercussions sur l'avoir net si les retraits des mois de janvier et de février 1996 étaient également pris en compte. Or, ils ne l'ont pas été. En fait, la preuve (les livrets de banque fournis par l'appelant à l'instruction) révélait que les montants retirés de ces comptes de banque pour cette période de deux mois étaient d'environ 4 500 $.

 

[14]         Si le vérificateur avait disposé de ces renseignements, ces retraits auraient été ajoutés aux dépenses personnelles et la chose aurait pu influer sur l'avoir net en augmentant l'écart au 1er mars 1996 d'un montant d'environ 2 900 $ (4 500 $ moins 1 600 $). Par conséquent, le fait que les renseignements manquaient a été avantageux pour l'appelant au lieu de lui nuire.

 

[15]         En outre, indépendamment de l'argent qui était dans les comptes en banque des parents et des voitures possédées par l'appelant au début de la période visée par l'examen (le 31 décembre 1995), aucun autre actif appartenant à ceux‑ci n'a été pris en compte. À l'instruction, l'avocat de l'appelant a dit qu'au 31 décembre 1995, les parents possédaient des obligations d'épargne et une maison. Monsieur Talbot a dit que les actifs qui appartenaient à l'appelant ou à ses parents au début de la période (le 31 décembre 1995) et qui n'avaient pas fait l'objet de dispositions au cours de la période visée par l'examen, et qui étaient donc encore en leur possession à la fin de la période (le 31 décembre 2002), n'ont pas été pris en compte dans l'avoir net.

 

[16]         De fait, les actifs possédés au début et à la fin de la période ne sont pas utiles lorsqu'il s'agit de déterminer l'existence d'un revenu au cours de cette période. Le même raisonnement s'applique à l'amie de l'appelant. L'actif et le passif de l'amie de l'appelant ont été pris en compte dans l'avoir net à compter de l'année 2000. Les actifs qui appartenaient à l'amie au 31 décembre 1999 et qui n'avaient pas fait l'objet de dispositions à la fin de la période n'ont pas été pris en compte. Si les parents ou l'amie possédaient des obligations d'épargne ou quelque autre bien qui avait été encaissé ou qui avait fait l'objet d'une disposition au cours de la période visée par l'examen, il n'en a pas été fait mention à M. Talbot lors de la vérification. Aucun autre renseignement n'a été fourni à l'instruction à ce sujet. En ce qui concerne l'amie de l'appelant, l'argent que celle‑ci avait dans ses comptes en banque au 31 décembre 1999 a été pris en compte (un montant de 8 509 $ a été ajouté pour l'année 2000 dans l'annexe 1 accompagnant l'état de l'avoir net et un montant de 8 503 $ a été déduit dans les rajustements, à la deuxième page de l'état de l'avoir net).

 

[17]         Monsieur Talbot a également ajouté aux actifs un montant de 50 005 $ pour l'année 1999 au titre d'une créance. Ce montant a été fourni par le père de l'appelant à titre de cautionnement pour son fils en attendant l'audition des accusations de complot en vue de l'importation de drogues. Ce montant a été remboursé en 2003, c'est‑à‑dire après la période visée par l'examen. Par conséquent, la chose a eu pour effet d'augmenter le revenu de l'appelant pour l'année 1999, mais le remboursement, en 2003, ne pouvait pas s'appliquer afin d'annuler rétroactivement cette augmentation pendant la période visée par l'examen.

 

[18]         Les voitures et les motocyclettes constituaient une partie importante des actifs mentionnés dans l'état de l'avoir net. La plupart ont été transférées à la mère de l'appelant au cours de la période visée par l'examen, sans qu'il en coûte quoi que ce soit à celle‑ci. Étant donné que M. Talbot a procédé à une détermination de l'avoir net combiné, le transfert à la mère n'a pas eu de répercussions. Les voitures et les motocyclettes qui appartenaient à l'appelant avant la période visée par l'examen ont été incluses dans les actifs parce qu'elles avaient fait l'objet de dispositions au cours de cette période. Monsieur Talbot a déterminé la valeur à l'aide des contrats de vente ou du guide de la valeur des véhicules d'occasion intitulé « Red Book ». Lorsque les véhicules ont fait l'objet de dispositions, ils ont été enlevés des actifs, ce qui avait pour effet de diminuer l'avoir net. Dans le cas de la Harley de l'an 1992, un rajustement a été effectué en ajoutant de nouveau dans les actifs le produit de la vente de cette motocyclette, vendue en 1998, parce qu'aucun produit n'avait été déposé dans un compte en banque. Toutefois, en ce qui concerne deux motocyclettes que la mère de l'appelant avait achetées avant l'an 2000 (la Harley de l'an 1997 et la Harley de l'an 1998), M. Talbot a réduit les actifs en enlevant les deux motocyclettes au cours de l'année de la vente, mais il n'a pas ajouté de nouveau le produit dans les rajustements parce que les ventes avaient eu lieu après l'an 2000 et il n'a pas tenu compte de l'argent qui était passé par les comptes bancaires des parents de l'appelant après l'an 2000. Par conséquent, ces deux opérations ont été prises en compte dans l'avoir net de l'appelant, et ce, à son profit. Toutefois, M. Talbot a ajouté de nouveau dans les actifs les légères pertes subies à l'égard de chaque véhicule qui avait été vendu.

 

[19]         Le seul véhicule qui semble réellement être en litige, en ce qui concerne l'appelant, est la Porsche 912 (1967) qui a été volée en 1999. Monsieur Talbot a réduit les actifs du montant versé par la société d'assurance à celui qui agissait à ce moment‑là comme avocat de l'appelant. Le montant s'élevait à 30 783 $. Toutefois, M. Talbot a ajouté de nouveau ce montant en 2000 au titre d'un rajustement, sous la rubrique « Sommes utilisées pour le vol de la Porsche 1967 (payé à Lebovics, Cytrynbaum, ...) » (deuxième page de l'état de l'avoir net). Monsieur Talbot a témoigné ne pas savoir si ce montant avait été versé à l'appelant ou à la mère de celui‑ci.

 

[20]         Il semble qu'un montant de 30 783 $ ait été versé aux avocats, mais un montant de 27 983 $ a été déposé dans le compte bancaire de la mère de l'appelant au mois de janvier 2001 (pièce R‑1, onglet 28, page 5). Il semble donc que seule la différence entre le montant versé par l'assureur (30 783 $) et le montant déposé dans le compte bancaire de la mère (27 983 $), à savoir 2 800 $, aurait été versée à l'avocat. Par conséquent, l'appelant aurait raison de dire que le rajustement effectué pour l'année 2000 à l'égard du montant versé aux avocats pour la Porsche devrait s'élever à 2 800 $ plutôt qu'à 30 783 $. Cela réduirait l'avoir net d'un montant de 27 983 $ pour l'année 2000. Toutefois, le montant qui était dans le compte bancaire de la mère devrait être majoré d'un montant de 27 983 $ pour l'année 2001, étant donné que ce montant a été déposé dans le compte bancaire de cette dernière. La chose aurait pour effet d'augmenter l'avoir net d'un montant de 27 983 $ pour l'année 2001, ce qui ne peut pas être fait à ce stade. L'ARC ne peut pas tirer parti de l'appel de la cotisation puisqu'elle ne peut pas interjeter appel de sa propre cotisation[1]. En outre, pour l'année 2001, M. Talbot n'a pas inclus dans l'avoir net les montants qui étaient dans le compte de la mère étant donné que l'appelant ne vivait plus chez ses parents à ce moment‑là.

 

[21]         Quant aux dépenses personnelles, l'appelant semble contester le montant des taxes municipales. Monsieur Talbot a ajouté ce montant en se fondant sur les renseignements figurant dans la facture de la ville (pièce R‑1, onglet 23). Selon un document de la ville de Montréal, les impôts ont été payés (pièce R‑1, onglet 47). L'appelant affirme que le paiement y afférent pourrait faire partie des montants retirés des comptes bancaires, lesquels ont également été inclus dans les dépenses personnelles. L'appelant affirme qu'il pourrait donc y avoir double comptabilisation de ces montants.

 

[22]         Monsieur Talbot a nié cette assertion. Premièrement, il a affirmé ne pas avoir constaté de retraits des comptes en banque pour le paiement des taxes municipales. Deuxièmement, les retraits pour les dépenses personnelles se rapportent tous à de petits retraits non identifiés (pièce R‑1, onglet 15). Monsieur Talbot a déclaré que, selon la facture, les taxes municipales ont été payées, et le paiement ne semble pas provenir des retraits ajoutés aux dépenses personnelles. Par conséquent, selon M. Talbot, il ne semble pas y avoir eu double comptabilisation à cet égard, et je souscris à cet avis.

 

[23]         L'appelant a contesté un autre élément : un montant de 9 553 $ pour l'an 2000, qui a été ajouté à l'avoir net, au moyen des rajustements effectués sous la rubrique « Perte sur vente de la résidence 3956, Du Commissaire (Annexe V) » (deuxième page de l'état de l'avoir net). Dans l'annexe V, M. Talbot note que la maison située au 3956, Du Commissaire (la maison à Laval) a été vendue 200 000 $ au mois de mai 2000. Monsieur Talbot a calculé que la maison avait coûté en tout 209 553 $, de sorte qu'une perte de 9 553 $ avait été subie au moment de la vente. À l'instruction, M. Talbot a expliqué qu'il ne croyait pas que l'appelant eût subi une perte lorsque la maison avait été vendue. Il a affirmé que la valeur de la maison était beaucoup plus élevée à ce moment‑là. Selon le service de l'évaluation de la ville de Laval, la résidence valait 338 300 $ en 2003 (pièce R‑1, onglet 57).

 

[24]         Je crois comprendre qu'étant donné qu'il ne croyait pas qu'une perte avait réellement été subie lors de la vente de la maison, M. Talbot a ajouté cette prétendue perte à la valeur nette. À mon avis, ce montant devrait être radié. Monsieur Talbot avait déjà ajouté aux dépenses personnelles tous les montants retirés du compte bancaire qui avaient été utilisés pour la construction de la maison. Monsieur Talbot a reconnu que le contrat de vente stipulait un prix de 200 000 $. Il a rencontré l'acheteur, qui n'a pas mentionné avoir payé un prix plus élevé. Monsieur Talbot ne disposait d'aucune preuve que le contribuable avait en fait dépensé plus d'argent pour la maison. La valeur qui a été fournie par M. Talbot se rapportait à l'année 2003, alors que la maison a été vendue en 2000. Je conclus que M. Talbot n'avait pas raison d'ajouter le montant de la perte à l'avoir net.

 

[25]         Quant aux « retraits inexpliqués » dans les rajustements (deuxième page de l'état de l'avoir net), l'avocate de l'intimée a informé la Cour, au début de l'instruction, que les montants de 30 000 $ pour l'année 1998 et de 65 000 $ pour l'année 2000 étaient reconnus, ce qui réduirait l'avoir net des mêmes montants.

 

[26]         Enfin, à l'instruction, M. Talbot a reconnu que les montants de 2 359 $ pour l'année 2000 et de 4 717 $ pour l'année 2001, sous la rubrique « taxes municipales (condo) », dans les dépenses personnelles, devraient être réduits de moitié, parce qu'ils se rapportaient aux taxes sur le condominium que l'amie et la mère de l'appelant avaient acheté en 2000. Étant donné qu'il n'a pas tenu compte des dépenses personnelles de la mère pour l'année 2000 et pour les années ultérieures, M. Talbot a reconnu que la part de la mère devrait être radiée.

 

[27]         L'appelant a également contesté la méthode de l'avoir net combiné en tant que telle. Il a invoqué la décision rendue par la Cour dans l'affaire Francisco c. La Reine, no 2001‑2406(IT)I, 15 janvier 2003, 2002 CarswellNat 3887 (C.C.I.), où le juge Bowie a conclu qu'une cotisation selon l'avoir net établie en combinant l'actif et le passif de deux contribuables différents aux fins du calcul du montant approximatif de leurs revenus combinés n'était pas valide. Le juge Bowie a dit ce qui suit aux paragraphes 15 et 17 :

 

15.       À mon avis, la méthodologie qui consiste à établir une cotisation fondée sur l'avoir net combiné pour le revenu non déclaré de deux contribuables et à ensuite attribuer une portion à chacun d'eux, de sorte qu'ils soient ainsi obligés de fournir individuellement une preuve à l'encontre du montant de la cotisation établie à leur égard, n'est pas valide. [...]

 

[...]

 

17.       [...] En d'autres termes, en combinant le processus d'évaluation fondée sur l'avoir net, le ministre a attribué la moitié du montant de la diminution de l'avoir net de Mme Francisco à M. Kittar. Il est évident que, indépendamment de la possibilité d'un problème d'attribution à la fin du processus, la méthode qui consiste à combiner les biens et les pertes de deux contribuables afin de calculer leurs revenus combinés estimés ne peut jamais être valide puisque cela équivaudrait à présumer à tort qu'ils partagent tout changement dans les biens et dans les pertes de l'un ou l'autre d'entre eux au cours de la période de cotisation. Il ressort clairement, sans même que l'appelante ait à présenter quelque élément de preuve, que les cotisations établies selon cette méthode sont tout simplement invalides. [...]

 

[28]         Aux paragraphes 8 et 9, le juge Bowie avait dit ceci :

 

8.         Il est courant de dire que la méthode de l'évaluation de l'avoir net n'est utilisée qu'en dernier recours. Elle est utilisée lorsque d'autres approches plus traditionnelles ne peuvent être utilisées en raison d'un manque de renseignements fiables. Cette méthode est utilisée plus fréquemment dans les cas où le contribuable exploite une entreprise qui effectue de nombreuses opérations au comptant et lorsque les registres d'entreprise sont incomplets, inexistants ou peu fiables. En l'espèce, l'appelante exploitait une entreprise qui n'avait effectué pratiquement aucune opération au comptant. Les registres de l'entreprise n'étaient pas incomplets, bien que j'accepte le témoignage de Mme DeGregorio que, en raison de l'état des registres d'Aurora, il était difficile de conclure que tous les montants versés à titre de rémunération avaient été correctement comptabilisés. Les répartiteurs ont dû apporter des rajustements importants aux deux comptes de prêt de l'appelante et de M. Kittar avant d'entreprendre le processus d'évaluation de l'avoir net. Néanmoins, ils ont été en mesure d'effectuer ces rajustements et je ne vois pas du tout pourquoi le ministre a cru nécessaire d'utiliser la méthode d'évaluation de l'avoir net en l'espèce. Le ministre peut, bien sûr, utiliser la méthode d'évaluation de l'avoir net lorsqu'il le juge approprié (voir le paragraphe 152(7) de la Loi).

 

9.         Cette méthode d'évaluation a été qualifiée d'instrument imprécis, et il ne fait aucun doute que le ministre a utilisé un instrument très imprécis dans le cas de l'appelante. Les répartiteurs ont choisi de calculer l'avoir net de l'appelante et de M. Kittar sur une base combinée. Mme DeGregorio a affirmé que cette méthode avait été utilisée car ils demeuraient ensemble et partageaient les dépenses du ménage. Plutôt que d'effectuer deux calculs de leurs revenus sur une base individuelle, en attribuant une partie des frais de subsistance à chacun d'eux, les évaluations ont été faites en combinant les biens et les pertes de M. Kittar et de l'appelante à la fin de chaque période, et en utilisant le changement dans leur valeur nette combinée, ainsi que leurs frais de subsistance combinés, afin d'établir une estimation de leurs revenus combinés pour chacune des années en question. [...]

 

[29]         L'appelant a contesté le recours à la méthode de l'avoir net (au lieu de l'utilisation des dépôts dans leur ensemble aux fins de la détermination de son revenu) et le recours à l'avoir net combiné. Monsieur Talbot a expliqué que la méthode des dépôts n'avait pas été utilisée parce qu'il ne savait pas si toutes les transactions avaient été enregistrées. En ce qui concerne l'avoir net combiné, l'appelant déposait ses chèques dans les comptes bancaires de ses parents et de son amie et il avait accès à ces comptes. Jusqu'à l'an 2000, l'appelant vivait chez ses parents, et à compter de l'an 2000, il vivait avec son amie. Il était donc logique de combiner les actifs et les passifs.

 

[30]         Je suis d'accord avec l'intimée pour dire que la méthode de l'avoir net combiné était appropriée eu égard aux circonstances. Après que la décision eut été rendue dans l'affaire Francisco, il y a eu des affaires dans lesquelles la méthode de l'avoir net combiné a été utilisée et acceptée par les tribunaux et confirmée par la Cour d'appel fédérale ou par la Cour d'appel du Québec (voir Morneau c. Canada, [2003] A.C.F. no 1828 (QL), 2003 CAF 472, et Québec c. Chenel, [2005] R.J.Q. 2292, [2005] J.Q. no 13110 (QL), 2005 QCCA 794). Dans l'arrêt Chenel, la Cour d'appel du Québec a dit ce qui suit au paragraphe 38 :

 

38.       Le ministère peut aussi, à mon avis, utiliser la méthode dite de l'avoir net combiné lorsqu'il y a des indices qu'un contribuable utilise l'unité familiale pour camoufler l'ampleur de ses revenus. Il est évident que le ministère devra faire montre de grande prudence et qu'il ne pourra consolider, pour fins de calcul, les revenus de deux époux ou conjoints de fait que lorsqu'il y a confusion manifeste des patrimoines et des passifs et dépenses.

 

[31]         En l'espèce, l'appelant utilisait indifféremment les comptes de ses parents ou de son amie pour effectuer ses transactions. Il a utilisé l'un des comptes de ses parents pour payer tous les frais de construction de la nouvelle maison, à Laval. L'appelant a transféré presque tous ses véhicules à sa mère sans contrepartie. L'ARC pouvait certes à juste titre utiliser la méthode de l'avoir net combiné, compte tenu du revenu fort peu élevé que l'appelant déclarait et de son mode de vie extravagant.

 

[32]         L'appelant a également contesté le fait que la totalité du revenu non déclaré avait fait l'objet d'une cotisation entre ses mains au lieu d'être partagé avec ses parents ou avec son frère, qui vivait également avec la famille. Le revenu déclaré combiné des parents était d'environ 26 000 $ pour chaque année. Monsieur Talbot a expliqué que la seule source possible de revenu pour les parents était leur revenu de pension. Une fois que l'intimée a démontré un écart, il incombe à l'appelant de démontrer que le montant de l'écart ne devrait pas être imposable entre ses mains. Dans ce cas‑ci, l'appelant n'a pas produit de preuve montrant que ses parents avaient d'autres sources de revenu ou que le revenu non déclaré devait être en partie attribué à son frère. Par conséquent, l'ARC a inclus à juste titre le montant de cet écart dans le revenu de l'appelant, qui pouvait facilement, compte tenu de sa participation au complot en vue de l'importation de drogues, avoir tiré un revenu d'activités illicites y afférentes.

 

[33]         Enfin, l'appelant a soutenu que l'écart était attribuable aux sommes qu'il avait gagnées à la loterie. Il a produit certains billets de paris sportifs ainsi que des chèques qu'il avait reçus de Loto‑Québec pour les années 2001 et 2002 (pièce R‑1, onglet 80). J'ai additionné les montants des billets gagnants et leur coût. Le total des chèques reçus en 2001 était de 7 709 $ et les billets gagnants avaient coûté en tout 1 030 $. En 2002, l'appelant a reçu en tout un montant de 59 118 $ et les billets gagnants ont coûté 10 092 $. Par conséquent, le bénéfice net tiré de ses paris sportifs était de 6 679 $ en 2001 et de 49 026 $ en 2002. Je suis convaincue que ces montants nets sont des rentrées d'argent non imposables provenant de billets de loterie.

 

[34]         Quant aux pénalités, elles sont justifiées en ce qui concerne le reste du revenu non déclaré. Le ministre a établi, en premier lieu, que l'appelant avait fait une présentation erronée des faits par négligence pour les années frappées de prescription et, en outre, qu'il avait commis une faute lourde en ne déclarant pas tout son revenu pour chacune des années visées par l'examen, le cas échéant.

 

[35]         Les appels sont accueillis, en ce sens qu'il est tenu compte de la suppression du revenu des montants reconnus par l'intimée (à savoir 30 000 $ (retraits inexpliqués) pour l'année 1998, 65 000 $ (retraits inexpliqués) et la moitié de 2 359 $ (1 179,50 $) (taxes municipales (condominium)) pour l'année 2000, et la moitié de 4 717 $ (2 358,50 $) (taxes municipales (condominium)) pour l'année 2001), ainsi que de la prétendue perte subie à l'égard de la résidence en 2000 (9 553 $), du montant non versé aux avocats en 2000 sur le produit de l'assurance se rattachant à la perte de la Porsche (27 983 $) et des sommes nettes gagnées à la loterie (6 679 $ en 2001 et 49 026 $ en 2002). J'ai de nouveau calculé le revenu non déclaré comme s'élevant à 44 117 $ pour l'année 1996, à 45 580 $ pour l'année 1997, à 17 063 $ pour l'année 1998, à 79 563 $ pour l'année 1999, à 0 $ pour l'année 2000, à 74 353 $ pour l'année 2001 et à 40 407 $ pour l'année 2002. Les pénalités établies en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi sont maintenues à l'égard de ce revenu non déclaré.

 

Signé à Montréal (Québec), ce 26e jour de mai 2009.

 

 

« Lucie Lamarre »

Le juge Lamarre

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de juillet 2009.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 275

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2007‑2876(IT)G

 

INTITULÉ :                                       GIOVANNI SPRIO c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Les 10 et 11 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 26 mai 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Christopher R. Mostovac

Avocate de l'intimée :

Me Annick Provencher

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelant :

 

                   Nom:           Christopher R. Mostovac

 

                   Cabinet:

 

          Pour l'intimée :       John H. Sims, c.r.

                                       Sous-procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

 



[1]           Voir Abed c. La Reine, no A‑16‑78, 3 février 1982, 1982 CarswellNat 167 (C.A.F.), au paragraphe 24; Cross c. La Reine, 2007 CarswellNat 2838, 2007 CCI 532, paragraphe 24.

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