Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossier : 2006-3799(IT)G

 

ENTRE :

STORA ENSO BETEILIGUNGEN GMBH,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[traduction française officielle]

 

________________________________________________________________

 

Appel entendu le 4 mai 2009, à Halifax (Nouvelle‑Écosse).

 

Devant : L'honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Bruce S. Russell, c.r.

 

Avocat de l'intimée :

Me John P. Bodurtha

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

         L'appel interjeté à l'égard de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1999 de l'appelante est accueilli en partie, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

         Les dépens sont accordés à l'appelante.

 

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 26e jour de mai 2009.

 

 

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d'août 2009.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 282

Date : 20090526

Dossier : 2006-3799(IT)G

 

ENTRE :

STORA ENSO BETEILIGUNGEN GMBH,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[traduction française officielle]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Boyle

 

[1]             L'appelante, Stora Enso Beteiligungen GmbH (« SEB »), est une société allemande qui a fait l'objet d'une cotisation pour avoir omis de retenir 15 % du paiement qu'elle avait fait à une société suédoise, McKinsey & Company, Inc. (« McKinsey ») relativement à des services fournis au Canada par cette dernière à Stora Enso Port Hawkesbury Limited (« SEPH »), une société canadienne membre du groupe Stora Enso. SEPH possédait et exploitait une usine de pâtes et papiers en Nouvelle‑Écosse.

 

[2]             La cotisation établie à l'égard de SEB avait été faite en vertu du paragraphe 227(8.4) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »), parce que SEB n'avait pas fait les retenues exigées par l'alinéa 153(1)g) de la Loi et par l'article 105 du Règlement de l'impôt sur le revenu (le « Règlement »). De plus, en application du paragraphe 227(8) de la Loi, une pénalité correspondant à 10 % de la somme qui aurait dû être retenue a été imposée à SEB. La cotisation comportait aussi des intérêts imposés en vertu du paragraphe 227(8.3) de la Loi.

 

[3]             SEB est la société remplaçante et l'ayant cause d'une société membre du groupe Stora Enso, la société Stora Enso Publication Paper Aktiengesellschaft (« SEPPA »), en raison d'une réorganisation de SEPPA effectuée à l'étranger. Pendant toute la période en cause, SEPPA était une société allemande. Cependant, SEPPA a depuis été réorganisée pour devenir une société en commandite. Les parties ne contestent pas que SEB est effectivement responsable de toute somme que SEPPA aurait omis de retenir pendant la période en cause et avant la réorganisation.

 

[4]             SEB, SEPPA et SEPH sont toutes membres du groupe multinational de sociétés Stora Enso. Ces trois sociétés sont toutes liées de par leurs propriétaires communs. Du point de vue opérationnel, SEPH était subordonnée à SEPPA.

 

[5]             SEPH est une société canadienne qui possède et exploite une usine de pâtes et papiers située près de Point Tupper, en Nouvelle‑Écosse (l'« usine »). En 1998, une nouvelle machine de fabrication de papier a été installée dans l'usine, au coût d'environ 800 millions de dollars. L'installation de la nouvelle chaîne de production a commencé en 1996, et la production a débuté vers le milieu d'avril 1998.

 

[6]             La productivité et l'efficacité de la nouvelle machine étaient inférieures aux attentes, tout comme la qualité du papier fabriqué. Pour ces raisons, la rentabilité de l'usine était faible. À l'automne 1998, McKinsey a été engagée pour fournir des conseils au sujet de la rentabilité de la nouvelle chaîne de production et de l'usine dans son ensemble. Les modalités du contrat conclu par McKinsey et SEPPA sont résumées dans la lettre d'offre envoyée par McKinsey à SEPPA.

 

[7]             L'appelante a appelé deux témoins : le directeur financier de SEPH durant les années en cause, et un comptable de SEPH. Ces deux personnes ont fourni des témoignages très clairs et très crédibles qui n'ont pas été contestés de façon importante lors des contre‑interrogatoires. La Couronne n'a appelé aucun témoin, mais elle a consigné comme éléments de preuve des questions posées pendant l'interrogatoire préalable et des engagements qui y avaient été pris. Il est important de souligner que les parties ont déposé un exposé conjoint partiel des faits, dont une copie est annexée aux présents motifs.

 

[8]             Selon l'exposé conjoint partiel des faits, McKinsey a été engagée par SEPPA pour fournir des services pour SEPH. De plus, en application du contrat, McKinsey a fourni des services au Canada pour SEPH. À l'alinéa 16d) de sa réponse à l'avis d'appel, la Couronne a soutenu que l'appelante – vraisemblablement SEPPA – avait conclu un contrat [TRADUCTION] « avec McKinsey pour le compte de SEPH ». [Non souligné dans l'original.]

 

[9]             Les parties ont aussi déposé deux recueils conjoints de documents.

 

[10]         McKinsey a envoyé trois factures à SEPPA, lesquelles portaient respectivement sur les mois d'octobre, de novembre et de décembre 1998. En incluant les frais remboursables, ces trois factures totalisaient un montant correspondant à 1 539 402 $. SEPPA a payé les factures de McKinsey dans le cours normal de ses activités. Les factures étaient libellées en couronnes suédoises. Il n'est pas clair si SEPPA a payé les factures de McKinsey en marks allemands, en euros ou en couronnes suédoises. Lorsqu'elle a payé les factures de McKinsey, SEPPA n'a pas fait les retenues exigées par l'article 105 du Règlement.

 

[11]         En janvier 1999, SEPPA a avisé SEPH par écrit que cette dernière allait devoir assumer les frais relatifs aux factures de McKinsey. Le groupe de sociétés Stora Enso utilise un système de compensation de comptes intersociété pour faire en sorte que les dettes et les créances entre les sociétés du groupe soient réglées sur une base nette. Par l'entremise de ce système de compensation, SEPH a remboursé à SEPPA la totalité de la somme de 1 539 402 $ le 12 mars 1999, et ce, en réponse à un avis de compensation final daté du 10 mars 1999. Lorsque SEPH a remboursé les factures de McKinsey à SEPPA, elle a remboursé 100 % de la somme due, sans faire la retenue exigée par l'article 105 du Règlement.

 

[12]         En raison de ce qui semble avoir été une coïncidence, l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC ») était déjà en train de mener une vérification de SEPH relativement à l'obligation de faire des retenues imposée par l'article 105 du Règlement. Le vérificateur de l'ARC a averti SEPH que celle‑ci devait faire les retenues exigées par l'article 105 du Règlement et par l'alinéa 153(1)g) de la Loi relativement aux services fournis par McKinsey. SEPH a alors immédiatement versé 230 910 $ à l'ARC, somme qui correspondait à 15 % du paiement total fait pour les factures de McKinsey. Le 9 avril 1999, SEPH a envoyé un état de compte à SEPPA, dans lequel elle demandait à celle‑ci de lui rembourser une somme de 230 910 $, décrite comme l'impôt de 15 % pour les non‑résidents à l'égard des trois factures de McKinsey. De plus, le personnel comptable de SEPH a reçu la directive de ne pas payer de compte intersociété à SEPPA avant l'entière compensation de la somme de 230 910 $. Le 21 décembre 1999, SEPH a reçu de SEPPA un crédit en espèces pour l'entière somme de 230 910 $. Pour prouver la réception de ce crédit, on a déposé en preuve un extrait du journal de caisse qu'utilise SEPH pour consigner ses transactions bancaires. Le retard de ce remboursement n'a pas été expliqué. Une copie du feuillet T4A‑NR qui avait été présenté à l'ARC a aussi été déposée en preuve, et ce document indique que SEPH était le payeur et que SEPPA était le bénéficiaire.

 

[13]         La preuve ne permet pas de savoir si SEPPA avait demandé à McKinsey de rembourser la retenue de 15 % versée à l'ARC.

 

[14]         En résumé, il n'y avait qu'un seul fournisseur de services non‑résident : McKinsey. Les services fournis par cette dernière avaient été demandés par SEPPA, et c'est SEPPA qui avait organisé le paiement des factures de McKinsey, mais les services avaient été fournis à SEPH. Les services fournis par SEPPA – la mise en oeuvre du contrat et le paiement des factures de McKinsey – n'ont pas été fournis au Canada, et, de toute manière, leur valeur n'aurait représenté qu'une fraction des honoraires de plus de 1,5 million de dollars facturés par McKinsey.

 

[15]         De plus, il est manifeste qu'il n'y a eu qu'un seul ensemble de trois factures de McKinsey pour les services rendus au Canada par cette société non‑résidente. C'est SEPH qui avait assumé et payé l'entier coût des factures, car elle avait remboursé 85 % de ce coût à SEPPA et avait versé les 15 % restants à l'ARC à titre de retenue faite en application de l'article 105 du Règlement. Toutefois, la situation est quelque peu compliquée par le fait que SEPPA avait d'abord payé 100 % des montants facturés par McKinsey, sans faire de retenue, et qu'elle a ensuite seulement été remboursée de 85 % de ce montant.

 

[16]         En somme :

 

1)      McKinsey a fourni au Canada des services d'une valeur totale, en incluant les frais remboursables, de 1 539 402 $;

 

2)      McKinsey a complètement été payée pour les services qu'elle avait rendus;

 

3)      l'ARC a reçu 15 % du paiement fait à McKinsey pour les services rendus par cette dernière.

 

[17]         Comme j'en parlerai plus tard, il faut comprendre que l'ARC n'a pas reçu de retenue de 15 % à l'égard de la retenue de 15 % qui lui avait été versée – ce qui est habituellement appelé la majoration de l'obligation de retenue – pour tenir compte du fait que McKinsey avait reçu 100 % du montant qui lui était dû plutôt que 85 % de ce montant.

 

[18]         En établissant la cotisation en cause, la Couronne a cherché à percevoir de SEB – à titre de société remplaçante de SEPPA – une somme correspondant à un autre 15 % du paiement versé par SEPPA à McKinsey pour les services fournis au Canada à SEPH. Le régime de retenues créé par l'alinéa 153(1)g) de la Loi et par l'article 105 du Règlement pour les services fournis au Canada par une personne non‑résidente peut donner naissance à une cascade d'obligations de faire des retenues. Par exemple, un Canadien pourrait conclure un contrat pour qu'une personne non‑résidente lui fournisse des services au Canada. Cette personne‑là pourrait ensuite faire exécuter une partie du travail en sous‑traitance par une autre personne non‑résidente. Dans un tel cas, l'article 105 du Règlement obligerait le Canadien à faire une retenue sur le paiement fait pour les services fournis par la première personne non‑résidente, et cette personne‑là pourrait elle aussi être tenue, en application de l'article 105 du Règlement, de faire des retenues à l'égard des paiements faits à la deuxième personne non‑résidente pour les services fournis par cette dernière au Canada. Cette mécanique pourrait entraîner une multiplication des obligations de faire des retenues, et ce, même si la première personne non‑résidente payait la deuxième personne non‑résidente à partir des paiements nets qu'elle aurait reçus du Canadien. Cependant, ce problème ne serait que temporaire, car les deux personnes non‑résidentes auraient droit à un plein crédit d'impôt à l'égard des retenues faites en application de l'article 105 du Règlement lors de la production de leurs déclarations de revenus au titre de la partie I de la Loi relativement aux services fournis au Canada.

 

[19]         Cependant, en l'espèce, la Couronne ne devrait pas chercher à imposer plusieurs obligations de faire des retenues à l'égard d'un seul paiement fait pour les mêmes services fournis par un seul fournisseur de services, McKinsey. L'ARC n'est pas en droit de recevoir plusieurs retenues complètes, versées en application de l'article 105 du Règlement, à l'égard de l'ensemble de services fournis par McKinsey. McKinsey est le seul fournisseur à avoir fourni des services au Canada. Aucun autre non‑résident n'a fourni l'un des services en cause. La présente affaire ne porte pas sur plusieurs fournisseurs de services qui ont chacun l'obligation de faire des retenues. Il s'agit plutôt d'un cas où plusieurs paiements ont été faits à des non‑résidents relativement aux services fournis par McKinsey, un seul fournisseur de services non‑résident. Après avoir reçu une retenue de 15 % d'une des sociétés du groupe Stora Enso qui avait payé les services de McKinsey, l'ARC ne peut pas demander le versement d'une autre retenue au titre de l'article 105 du Règlement à une autre société du groupe qui avait fait partie de la chaîne de paiements. SEPH n'a pas payé SEPPA pour des services que celle‑ci lui avait fournis au Canada, elle a payé SEPPA pour les services fournis par McKinsey. De même, le paiement fait par SEPPA à McKinsey avait trait aux mêmes services. La situation en cause est nettement et fonctionnellement différente de celle d'un fournisseur de services non‑résident qui fait appel à un sous‑traitant pour fournir une partie ou la totalité des services demandés. La présente affaire ressemble davantage à la situation d'un employeur qui est tenu de payer ses employés et de faire des retenues au titre de l'article 105 du Règlement, et qui fait appel à une société de paye pour rémunérer ses employés et verser les retenues à l'ARC. Lorsque l'employeur fournit des sommes à une société de paye pour que celle-ci verse aux employés leur salaire net et verse les retenues à l'ARC, on pourrait aussi dire – pour reprendre le libellé de l'article 105 du Règlement – que l'employeur paye la société de paye « à l'égard » des services fournis par les employés. Toutefois, il faut aussi se demander si les paiements sont faits à la société de paye « pour » les services, comme l'exige la loi. En fait, les paiements ainsi faits par un employeur à une société de paye constituent des remboursements ou des avances, et non pas des paiements pour d'autres services. La position de la Couronne, voulant que SEPPA ait dû faire et verser une retenue de 15 % supplémentaire à l'ARC, est illogique, car SEPH avait déjà fait et versé une retenue de 15 % à l'égard des paiements faits à McKinsey pour les mêmes services.

 

[20]         Ma conclusion voulant que l'ARC ne puisse pas percevoir plus d'une retenue, au titre de l'article 105 du Règlement, à l'égard d'un même paiement fait à une personne non‑résidente pour les mêmes services fournis concorde avec la décision rendue par la Cour dans Weyerhaeuser Company Limited c. La Reine, 2007 CCI 65, 2007 D.T.C. 392. Dans cette affaire‑là, après avoir mené une analyse textuelle, contextuelle et téléologique de l'alinéa 153(1)g) de la Loi et de l'article 105 du Règlement, le juge Bowie a conclu que le but de l'obligation de retenue est d'assurer que, si le bénéficiaire non‑résident d'un paiement est, une fois que tous les faits sont connus (c'est‑à‑dire une fois que les déclarations de revenus canadiennes annuelles sont produites), tenu de payer de l'impôt sur le revenu au Canada, des fonds seront disponibles, sous la forme des 15 % retenus et versés, pour satisfaire à cette obligation (voir les paragraphes 6 et 7 de Weyerhaeuser). Dans cette affaire‑là, le juge Bowie avait conclu que même si les frais remboursables engagés par une personne non‑résidente en fournissant des services avaient pu l'être « à l'égard » des services, les frais n'étaient pas assujettis à l'obligation de faire une retenue visée au paragraphe 153(1) de la Loi et à l'article 105 du Règlement, car les frais n'avaient pas été engagés « pour » les services. Selon le juge Bowie, la conclusion inverse aurait permis à l'ARC d'obtenir davantage que les 15 % des paiements ayant la nature d'un revenu qui peuvent être imposés en fin de compte au Canada.

 

[21]         L'intimée a voulu appuyer sa position sur la décision Ogden Palladium Services (Canada) Inc. c. La Reine, 2001 D.T.C. 345, no 98‑563(IT)G, 12 mars 2001. Toutefois, la présente affaire n'en est pas une où un Canadien affirme qu'il n'était pas tenu de faire des retenues sur les paiements versés à l'égard des services fournis par un non‑résident parce que celui‑ci n'est pas susceptible, en fin de compte, d'avoir une obligation fiscale. L'analyse de cet aspect de l'affaire dans Ogden Palladium n'est donc ni pertinente ni utile en l'espèce. Dans la mesure où, dans Ogden Palladium, un parallèle a été fait entre le mot « pour » – utilisé à l'alinéa 153(1)g) de la Loi – et l'expression « à l'égard de » – employée à l'article 105 du Règlement –, il faut maintenant tenir compte de l'analyse plus poussée qui a été faite dans Weyerhaeuser, analyse que je fais mienne.

 

[22]         La preuve a montré que SEPPA avait complètement payé les factures de McKinsey. Rien ne me permet de savoir si SEPPA a cherché à recouvrer auprès de McKinsey les retenues qu'elle avait remboursées à SEPH. De toute manière, le paragraphe 153(1) de la Loi établit clairement que les retenues versées à l'ARC par SEPH l'avaient été au titre de l'impôt de McKinsey et non pas au titre de l'impôt de SEPPA. Le paragraphe 153(1) de la Loi oblige clairement le payeur à « remettre cette somme au receveur général au titre de l'impôt du bénéficiaire ou du dépositaire pour l'année ». À la lecture du paragraphe 153(1) et de l'alinéa 153(1)g) de la Loi et de l'article 105 du Règlement, il serait illogique de conclure que le bénéficiaire pour le compte duquel un montant versé est retenu par l'ARC est un intermédiaire dans la chaîne de paiement plutôt qu'un fournisseur de services non‑résident.

 

[23]         Selon le paragraphe 153(1) de la Loi, les retenues faites en application de l'article 105 du Règlement doivent être versées à l'ARC au moment fixé par règlement, à savoir le 15e jour du mois suivant le mois où le paiement a été fait. En l'espèce, SEPH a payé SEPPA pour les factures de McKinsey le 12 mars 1999, et la retenue a été versée au receveur général au plus tard le 9 avril 1999, soit avant l'expiration du délai qu'avait SEPH pour verser la retenue faite à l'égard du paiement qu'elle avait fait à SEPPA. Cependant, il est vrai que, pour se conformer à l'alinéa 153(1)g) de la Loi et à l'article 105 du Règlement, SEPPA aurait dû retenir et verser à l'ARC 15 % du montant qu'elle avait payé précédemment à McKinsey pour les services fournis par celle-ci. Si SEPPA avait agi de la sorte, SEPH aurait pu rembourser à SEPPA 100 % du paiement net que celle‑ci avait fait à McKinsey et de la retenue que SEPPA avait versée à l'ARC sans devoir retenir de montant supplémentaire. Comme SEPPA n'avait pas fait de retenue, elle risquait, si SEPH n'avait pas versé la retenue exigée à l'ARC, de voir l'ARC prendre des mesures à son endroit pour recouvrer les sommes manquantes. Toutefois, comme l'ARC a reçu, accepté et conservé les retenues versées par SEPH, elle ne peut pas exiger que SEPPA lui verse elle aussi des retenues à l'égard des mêmes services.

 

[24]         L'intimée est préoccupée par le fait que dans son feuillet T4A‑NR, SEPH a indiqué que le bénéficiaire était SEPPA, et non pas McKinsey. En règle générale, le fait qu'un feuillet d'information soit rempli correctement ou non n'a pas de conséquences fiscales. Du point de vue de SEPH, c'est SEPPA qui était le bénéficiaire. Du point de vue de SEPPA, SEPPA était le bénéficiaire des montants payés par SEPH et le payeur des montants versés à McKinsey. SEPH était seulement payeur et McKinsey était seulement bénéficiaire, mais SEPPA était à la fois payeur et bénéficiaire dans la chaîne de paiement. Je ne suis pas prêt à conclure que SEPH a eu tort d'indiquer que SEPPA était le bénéficiaire des paiements, mais, de toute façon, cela n'a aucune importance dans la présente affaire.

 

[25]         Il reste un problème : le fait que ni SEPH ni SEPPA n'ont versé la totalité des retenues exigées. McKinsey avait facturé et reçu un montant de 1 539 402 $. SEPPA a ensuite versé 15 % de ce montant‑là, soit 230 910 $, à l'ARC. Cependant, comme les retenues en cause avaient été versées à l'ARC au titre de l'impôt de McKinsey, il s'agit en fait d'un paiement additionnel à McKinsey pour les services fournis, et ce paiement supplémentaire doit lui aussi faire l'objet de retenues. En application de l'article 105 du Règlement, le véritable montant qui aurait dû être versé à l'ARC à titre de retenue est le résultat du calcul suivant : 15 % du quotient de 1 539 402 $ divisé par 0,85, ce qui donne 271 659 $. La différence est donc de 40 749 $. Ce montant n'a pas encore été versé par SEPH ou par SEPPA à l'égard des services fournis par McKinsey. Les paragraphes 153(1) et 227(8) de la Loi permettent à l'ARC de recouvrer ce montant de SEPPA. Ainsi, la partie de la cotisation en cause qui impose à SEPPA le versement du montant de 40 749 $ est valide. Cette partie de la cotisation n'entraîne pas de double comptage, de cascade ou de multiplication de l'obligation de faire des retenues. L'ARC a droit à ce montant.

 

[26]         Pour ce qui est des pénalités de 10 % imposées pour le défaut de retenir et de verser les montants exigés, aucun élément de preuve n'a été présenté pour démontrer que SEPPA avait fait preuve de diligence raisonnable pour éviter de ne pas manquer à son obligation de verser la retenue majorée, c'est‑à‑dire la somme de 40 749 $. La pénalité imposée à SEPPA par l'ARC relativement à ce plus faible montant de retenue majorée est valide et doit être payée. Il semble que SEPPA n'ait aucunement pensé à son obligation de faire des retenues sur les paiements à McKinsey, ou qu'elle ait choisi de ne faire aucune retenue, et encore moins une retenue majorée. De même, il semble que ni SEPH ni SEPPA n'aient considéré la nécessité de majorer la retenue de 15 % versée à l'ARC avant que je ne soulève la question à l'audience. La preuve ne permet pas de penser que SEPPA avait recouvré de McKinsey la retenue de 15 % versée à l'ARC, ou que SEPPA avait même cherché à le faire. Évidemment, si SEPPA avait recouvré la retenue de 15 % de McKinsey, l'obligation subséquente de faire une retenue majorée aurait dès lors disparu.

 

[27]         Il reste une seule question à trancher dans la présente affaire. En effet, quand SEPH a calculé la retenue de 15 % qu'elle a versée à l'ARC en fonction du montant total qu'elle avait payé à McKinsey, elle a inclus les sommes qui avaient été ajoutées dans les factures de McKinsey au titre de frais remboursables. L'appelante soutient, en se fondant sur Weyerhaeuser, que pour les raisons exposées précédemment, les frais remboursables ne sont pas visés par l'obligation de faire des retenues établie par l'article 105 du Règlement. En l'espèce, si les sommes qualifiées de frais remboursables étaient déduites du paiement total fait à McKinsey, la retenue versée à l'ARC par SEPH dépasserait 15 % du paiement fait à McKinsey, mais serait néanmoins inférieure à la retenue majorée qui devait être versée. Dans Weyerhaeuser, il semble que les frais remboursables avaient bel et bien été, comme leur nom l'indique, des remboursements faits par Weyerhaeuser à l'égard de frais qui avaient véritablement été engagés par les fournisseurs de services non‑résidents pendant la fourniture des services en question. En l'espèce, il semble que les frais remboursables n'aient pas été traités de la même manière par McKinsey. Dans la lettre d'offre par laquelle elle a proposé ses services, McKinsey avait précisé que [TRADUCTION] « de plus, nous vous facturerons, au fur et à mesure, les frais remboursables engagés pour les déplacements, l'hébergement, la location de voitures, le téléphone, etc. Bien que nous tâchions d'engager ces frais de façon prudente et raisonnable, ils représentent néanmoins habituellement 10 % des honoraires facturés ». Toutefois, les trois factures de McKinsey semblent clairement montrer que McKinsey se contentait de facturer une somme supplémentaire, au titre de « frais remboursables », qui correspondait à exactement 10 % des honoraires facturés mensuellement pour les services. Cela me donne à penser que la somme supplémentaire de 10 % constituait davantage un prix global déguisé en une majoration faite au titre de frais remboursables. Rien ne me permet de croire que cette somme supplémentaire représentait des frais remboursables véritablement engagés, ou même que McKinsey avait choisi de limiter les frais remboursables facturés à 10 % pour respecter le contenu de la lettre d'offre ou pour avoir de bonnes relations avec son client. Je ne suis pas convaincu que la règle de Weyerhaeuser – c'est‑à‑dire l'exclusion des remboursements de frais remboursables réels – doive être étendue pour s'appliquer à une situation comme celle de la présente affaire.

 

[28]         En conclusion, l'appel de SEB est accueilli en partie, et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux présents motifs du jugement, à savoir que SEB doit payer 40 749 $ à titre de retenue majorée non versée et que la pénalité doit être réduite en conséquence. Les dépens pour le présent appel sont accordés à l'appelante.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 26e jour de mai 2009.

 

 

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d'août 2009.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


ANNEXE

 

[TRADUCTION]

 

2006-3799(IT)G

 

COUR CANADIENNE DE L'IMPÔT

 

ENTRE :

STORA ENSO BETEILIGUNGEN GMBH,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Exposé conjoint partiel des faits

 

1.         L'appelante, Stora Enso Beteiligungen GmbH (« SEB »), est une société constituée sous le régime des lois de la République fédérale d'Allemagne. Tout au long de la période pertinente, SEB, qui est établie en Allemagne, n'était pas résidente du Canada.

 

2.         Pour toute la période pertinente précédant le 31 décembre 2000, SEB a été la société mère de Stora Enso Publication Paper Aktiengesellschaft (« SEPPA »). Tout au long de la période pertinente, SEPPA était une société constituée sous le régime des lois de la République fédérale d'Allemagne, était établie en Allemagne et n'était pas résidente du Canada.

 

3.         SEB a interjeté appel de la cotisation d'impôt sur le revenu s'élevant à 366 738,32 $ qui avait été établie à son égard le 26 mars 2004 par le ministre du Revenu national (le « ministre »). Ce montant était constitué de 230 910 $ en impôt, de 23 091 $ en pénalités et de 112 737 $ à titre d'intérêts, calculés en date du 26 mars 2004.

 

4.         Tout au long de la période pertinente, Stora Enso Port Hawkesbury Limited (« SEPH ») était une société constituée sous le régime des lois de la Nouvelle‑Écosse et était résidente du Canada. SEPH possédait et exploitait une usine de pâtes et papiers située près de Point Tupper, en Nouvelle‑Écosse (l'« usine de Port Hawkesbury »).

 

5.         Tout au long de la période pertinente, SEB, SEPH et SEPPA étaient liées de par leurs propriétaires communs.

 

6.         En 1998, l'usine de Port Hawkesbury était en période de transition et faisait face à d'importantes difficultés commerciales. Pour surmonter ces difficultés, des représentants de SEPH (Jack Hartery), de SEPPA (Horst Thaler) et de McKinsey (J.L. Jonas) se sont rencontrés au début de septembre 1998. Il est fait état de cette rencontre dans une lettre, datée du 14 septembre 1998, envoyée par M. Jonas (de McKinsey) à M. Thaler (de SEPPA). Une copie conforme de cette lettre se trouve à l'onglet 9 du recueil des pièces conjoint.

 

7.         Peu après la rencontre tenue en septembre 1998, McKinsey a été engagée par SEPPA pour fournir des services à SEPH, notamment pour faire un examen commercial de l'usine de Port Hawkesbury de SEPH et pour fournir des conseils quant à diverses questions liées aux activités de SEPH, y compris sur l'efficacité de certaines machines de fabrication de papier de l'usine de Port Hawkesbury et sur la commercialisation des produits de cette usine. La lettre de M. Jonas datée du 14 septembre 1998 expose les modalités générales du contrat conclu avec McKinsey.

 

8.         Tout au long de la période pertinente, McKinsey n'était pas résidente du Canada. En application du contrat, McKinsey a fourni des services à SEPH au Canada. Plus précisément, pendant la période allant de septembre à décembre 1998, des consultants de McKinsey se sont rendus à l'usine de Port Hawkesbury et ont analysé l'efficacité de certaines machines de fabrication de papier pour ensuite donner des conseils à ce sujet.

 

9.         Pour le travail fait à l'usine de Port Hawkesbury, McKinsey a envoyé à SEPPA trois factures, datées respectivement du 31 octobre 1998, du 30 novembre 1998 et du 31 décembre 1998, qui totalisaient 8 283 660 couronnes suédoises (les « factures de McKinsey »). Des copies conformes des factures de McKinsey se trouvent à l'onglet 5 du recueil des pièces conjoint.

 

10.       Conformément aux modalités du contrat, les factures de McKinsey incluaient un montant pour les honoraires et un montant pour les [TRADUCTION] « frais remboursables ». Converties en dollars canadiens au taux de change en vigueur le 12 mars 1999, les factures de McKinsey totalisaient 1 539 402 $, soit 1 399 456 $ pour les honoraires et 139 945 $ pour les « frais remboursables ».

 

11.       Des copies conformes de deux communications internes du groupe Stora se trouvent respectivement aux onglets 10 et 11 du recueil de pièces conjoint. La première est une télécopie, datée du 13 novembre 1998, envoyée par Horst Thaler (de SEPPA) à Ingvar Petersson, de la [TRADUCTION] « haute gestion du groupe » Stora. La deuxième est une télécopie, datée du 16 novembre 1998, envoyée à M. Thaler par M. Petersson, par l'entremise de Karin Hagy.

 

12.       SEPPA a payé les factures de McKinsey. Au moyen d'une télécopie datée du 26 janvier 1999, SEPPA, par l'entremise de M. Thaler, a transmis les factures de McKinsey à Jack Hartery (de SEPH), ordonnant à SEPH de rembourser à SEPPA, sans faire de majoration interne, les sommes que celle‑ci avait payées à l'égard des factures de McKinsey. Une copie conforme de cette télécopie se trouve à l'onglet 3 du recueil de pièces conjoint.

 

13.       Vers le 10 mars 1999, Stora Finance AB a envoyé à SEPH un [TRADUCTION] « avis de compensation final » qui faisait notamment état d'un paiement en devises canadiennes de 1 539 401,90 $ au « bénéficiaire », SEPPA. Une copie conforme de cet avis se trouve à l'onglet 4 du recueil de pièces conjoint.

 

14.       Par la suite, SEPH a versé 230 910 $ au receveur général, soit un montant correspondant à 15 % du montant total qu'elle avait payé à SEPPA. Un vérificateur de l'Agence du revenu du Canada a avisé SEPH qu'elle devait faire ce versement pour se conformer à l'article 105 du Règlement de l'impôt sur le revenu du Canada.

 

15.       Le 9 avril 1999, SEPH a envoyé une facture à SEPPA à l'égard du versement de 230 910 $, sans majoration interne. Une copie conforme de la facture envoyée par SEPH à SEPPA pour le versement de 230 910 $ se trouve à l'onglet 5 du recueil de pièces conjoint.

 

16.       Le 26 mars 2004, le ministre a établi une cotisation à l'égard de SEB (pour le compte de SEPPA, ce que les parties ne contestent pas) selon laquelle SEB était tenue de payer 230 910 $ au titre de l'impôt sur le revenu (en application du paragraphe 227(8.4) de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada (la « Loi »)), 23 091 $ à titre de pénalités (en application du paragraphe 227(8) de la Loi) et 112 737 $ à titre d'intérêts calculés en date du 26 mars 2004 (en application du paragraphe 227(8.3) de la Loi).

 

FAIT à Halifax (Nouvelle‑Écosse), ce 4e jour de mai 2009.

 

(signé)

Bruce S. Russell, c.r.

McInnes Cooper

Lawyers / Avocats

Purdy's Wharf Tower II

1969, rue Upper Water, bureau 1300

C.P. 730

Halifax (Nouvelle‑Écosse) B3J 2V1

Téléphone : (902) 425‑6500

Télécopieur : (902) 425‑6350

 

Avocat de la demanderesse

 

FAIT à Halifax (Nouvelle‑Écosse), ce 4e jour de mai 2009.

 

(signé)

John P. Bodurtha

Avocat‑conseil, Services du droit fiscal

Ministère de la Justice (Canada)

Bureau régional de l'Atlantique

Tour Duke

5251, rue Duke, bureau 1400

Halifax (Nouvelle‑Écosse) B3J 1P3

Téléphone : (902) 426-8116

Télécopieur : (902) 426‑8802

 

Avocat de la défenderesse

 

DESTINATAIRE :      Greffier

                                   Cour fédérale



RÉFÉRENCE :

2009 CCI 282

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2006-3799(IT)G

 

INTITULÉ :

Stora Enso Beteiligungen GmbH et

Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 4 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 26 mai 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Bruce S. Russell, c.r.

 

Avocat de l'intimée :

Me John P. Bodurtha

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l'appelante :

 

Nom :         

Bruce S. Russell, c.r.

Daniel F. Wallace

 

Cabinet :

McInnes Cooper,

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.