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Référence : 2009 CCI 286

Date : 20090610

Dossier : 2007-3209(GST)G

ENTRE :

LES RÉSIDENCES MAJEAU INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

 

Le juge Tardif

 

Le 28 mai 2009, les motifs du jugement que je signais étaient affectés par une erreur. L’expert de l’appelante a pour nom M. Jean-Yvon Brisson et non M. Jocelyn Martin comme je l’ai indiqué aux paragraphes 18, 19, 20, 32, 52 et 62 du jugement. Je m’excuse à l’endroit des parties et apporte les corrections requises, identifiées en caractère gras et souligné.

 

[1]              Il s’agit d’un appel d’une cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d’accise (LTA), et plus précisément en vertu des articles et paragraphes 123(1), 165(1), 191(4), 221, 225, 228, 238, 256.2(3), 280, 296, 299 et 300 de la LTA.

 

[2]              Les questions en litige sont de déterminer la juste valeur marchande (JVM), en août 2004, de la partie d’un immeuble locatif découlant du rajout de 18 logements et, par conséquent, le montant de TPS payable par l’appelante audit mois d’août 2004 lors de la fourniture réputée à elle-même dudit rajout et, en conséquence, le montant du remboursement de TPS pour un immeuble d’habitation locatif neuf auquel l’appelante a droit et, en second lieu, de déterminer si la pénalité imposée l’a été à juste titre.

 

[3]              Pour établir et ratifier la cotisation dont il est fait appel, l’intimée s’est notamment appuyée sur les hypothèses de fait énumérées au paragraphe 29 de la réponse à l’avis d’appel modifiée et qui se lisent comme suit :

 

a.                   les faits admis ci-dessus;

 

b.                  l’appelante est un inscrit aux fins de la Partie IX de la LTA;

 

c.                   l’appelante est propriétaire d’un immeuble d’habitation à logements multiples destiné principalement à des personnes âgées autonomes;

 

d.                  en 2004, l’appelante a fait construire une adjonction à l’immeuble existant, laquelle adjonction comprenait dix-huit (18) logements;

 

e.                   la contrepartie des diverses fournitures acquises par l’appelante pour construire ou faire construire ladite adjonction totalise un montant de 1 295 688 $;

 

f.                    l’appelante a demandé, et obtenu, dans le calcul de sa taxe nette relativement à la construction de ladite adjonction, un montant de 90 624 $ à titre de crédits de taxe sur les intrants (ci-après « CTI »), ce qui représente une contrepartie payée par l’appelante pour des fournitures taxables acquises au montant de 1 295 688 $ (ledit montant de CTI ne fait nullement l’objet de la cotisation en litige);

 

g.                   au cours du mois d’août 2004, alors que ladite adjonction était achevée en grande partie, que l’appelante avait transféré à une personne la possession d’une habitation de l’adjonction aux termes d’un bail en vue de l’occupation de l’habitation à titre résidentiel et que celle-ci a occupé la première une telle habitation, l’appelante a payé, à titre d’acquéreur, et perçu, à titre de fournisseur, la TPS, au montant de 50 155 $, relativement à la fourniture réputée à soi-même de ladite adjonction sur une JVM de ladite adjonction estimée à un montant de 716 500 $, TPS qu’elle a incluse dans le calcul de sa taxe nette pour la période mensuelle d’août 2004 qu’elle a déclarée au Ministre;

 

h.                   ladite estimation de la JVM au mois d’août 2004 de l’adjonction a été effectuée selon la technique du revenu par une personne ne détenant pas le titre d’évaluateur agréé;

 

i.                     en corollaire, l’appelante a, relativement à ladite adjonction, demandé au Ministre le remboursement de TPS pour un immeuble d’habitation locatif neuf au montant de 18 055,80 $, soit 36% de 50 155 $, montant qu’elle a obtenu;

 

j.                    suite à une vérification, le Ministre a déterminé, en fonction d’une évaluation effectuée par un évaluateur agréé, selon la méthode du coût de remplacement, que la JVM de ladite adjonction en août 2004 était plutôt au montant de 1 295 688 $, soit la contrepartie payée par l’appelante pour l’ensemble des fournitures qu’elle a acquises pour construire ou faire construire ladite adjonction;

 

k.                  le montant de TPS payable sur ladite JVM, mentionnée au sous‑paragraphe précédent, à l’égard de ladite adjonction est de 90 698,16 $, soit 7% de 1 295 688 $;

 

l.                     l’écart entre le montant de TPS payable ainsi calculé par le Ministre et celui établi par l’appelante qu’elle a incluse dans le calcul de sa taxe nette pour la période de déclaration du mois d’août 2004, est de 40 543,16 $ (90 698,16 $ - 50 155 $);

 

m.                 en corollaire à ce qui précède, le Ministre a établi que l’appelante avait droit à un remboursement de TPS pour un immeuble d’habitation locatif neuf à l’égard de ladite adjonction au montant de 32 651,34 $, soit 36% de 90 698,16 $;

 

n.                   l’écart entre le montant du remboursement de TPS pour un immeuble d’habitation locatif neuf ainsi calculé par le Ministre et celui établi par l’appelante, qu’elle a demandé et obtenu, est de 14 595,54 $ (32 651,34 $ - 18 055,80 $);

 

o.                  le montant net des rajustements apportés à la taxe nette déclarée par l’appelante pour la période visée et des rajustements apportés au remboursement de TPS  pour un immeuble d’habitation locatif neuf demandé par l’appelante est de 25 947,62 $ (40 543,16 $ ‑ 14 595,54 $).

 

[4]              À l’appui de ses prétentions, l’appelante a fait entendre M. Benoit Majeau, ainsi qu’un expert en évaluation, en l’occurrence M. Jean‑Yvon Brisson. M. Benoit Majeau a d’abord expliqué que son grand-père avait, au départ, exploité un grand territoire qui était alors essentiellement agricole.

 

[5]              Plus tard, son père a pris la relève et a changé la vocation de la terre en question. Entrepreneur en construction, il a développé la surface en question en y érigeant plusieurs dizaines d’immeubles résidentiels; il a aussi érigé un complexe regroupant plusieurs logements à l’intention d’une clientèle plutôt âgée offrant une très grande gamme de services relatifs aux soins personnels, à l’entretien, aux repas, au ménage, au conditionnement physique, aux réunions, au soutien médical, etc.

 

[6]              Le premier projet avec le concept tout compris fut érigé en 1987. Il s’agissait d’un complexe de 20 logements, soit de petits logements de 2½ pièces pour personnes autonomes. M. Majeau a indiqué qu’à ce moment, il venait de faire des études en administration, son père étant toujours entrepreneur en construction.

 

[7]              Le projet en question s’étant avéré un grand succès, les dirigeants de l’appelante y ont fait deux rajouts, un de 20 logements et un autre de 13 logements.

 

[8]              En 1997 et 1998, la possibilité de construire un autre projet se présente; comme le site près de l’hôpital est exceptionnel, les intéressés, soit M. Majeau et son père, y érigent un immeuble qui regroupe cette fois 40 logements un peu plus tard, on y ajoute 20 logements, le terrain étant ainsi exploité à son maximum.

 

[9]              Au début des années 2000, la municipalité où est érigé le projet près de l’hôpital manifeste son intérêt pour l’acquisition d’un terrain que la famille possède. Après des négociations, une entente intervient et le terrain convoité par la municipalité est échangé pour un terrain dont la municipalité est propriétaire et qui est contigu à l’immeuble regroupant 60 logements près de l’hôpital et d’un parc.

 

[10]         Après avoir acquis ce nouveau site, l’appelante met de l’avant une troisième phase de 18 logements en 2004, laquelle est complétée en août ou en septembre de la même année.

 

[11]         L’ajout de 18 logements fait en sorte que l’ensemble du projet regroupe désormais 78 logements s’adressant toujours à des personnes plutôt âgées et autonomes.

 

[12]         Les loyers comprennent une longue liste de bénéfices dont repas, salon de coiffure, services de santé, nettoyage, garage, salle de réunion, concierge, etc.

 

[13]         M. Majeau a expliqué que l’agrandissement qui est à l’origine de la cotisation dont il est fait appel a été intégré entièrement à l’immeuble qui regroupait déjà 60 logements.

 

[14]         Il a expliqué que le rajout avait entraîné une augmentation des dépenses, notamment parce que la salle à manger était devenue trop petite pour servir tous les nouveaux locataires des 18 logements.

 

[15]         Pour contourner le problème, la direction a allongé la durée du service de manière à étaler l’achalandage sur une plus longue période.

 

[16]         Pour la gestion et l’entretien, la direction a dû soit embaucher de nouveaux employés, soit offrir un poste à temps complet à des personnes qui, jusque-là, occupaient un poste à temps partiel. Selon M. Majeau, le rajout a entraîné les dépenses suivantes :

 

- LISTE DES FRAIS D’OPÉRATION -

 

Dépenses :

 

Nourriture                    14.25%                        42 000 $

Salaires                        27.14%                        80 000 $

Administration                                                  18 000 $

Entretien et fournitures                          24 000 $

Électricité chauffage et combustion                    22 000 $

Services aux résidents                                       15 000 $

Activités                                                             4 000 $

Taxes                                                               17 500 $

Assurances                                                         4 500 $

Autres                                                               8 000 $

 

Total :                                                             235 000 $

 

[17]         M. Majeau a également expliqué avoir dû faire face à certaines contraintes lors de la construction, notamment pour se conformer aux règlements municipaux, mais aussi à la réglementation quant aux immeubles publics relativement au nombre d’étages, le projet ayant deux étages. Il a également fait mention de l’homogénéité, de l’esthétique et de l’environnement.

 

[18]         Il a expliqué avoir procédé de la même manière que lors des phases précédentes pour l’évaluation en retenant les services du père de quelqu’un qu’il connaissait très bien, introduisant ainsi le témoignage de M. Jean-Yvon Brisson.

 

[19]         L’expert Brisson s’est référé à l’affaire Susan Martha Qureshi, 2006 CCI 485, [2006] G.S.T.C. 121, pour soutenir son argument que la JVM était une valeur qui ne correspondait pas nécessairement aux coûts de réalisation d’un projet; en d’autres termes, il s’appuie sur cette décision pour discréditer l’approche des coûts ou du coût de remplacement.

 

[20]         Le rapport de M. Brisson était très succinct. Plusieurs questions ont été suivies de réponses incomplètes ou même confuses, l’expert rappelant que sa mémoire faisait défaut et qu’il ne pouvait plus consulter les documents qui auraient pu permettre une réponse, étant donné l’écoulement du temps depuis leur préparation.

 

[21]         Puisque le travail d’évaluation avait été effectué plusieurs années auparavant, il était peut-être normal que certains éléments ou aspects soient un peu moins documentés au niveau des explications. Par contre, le seul écoulement du temps et le fait que le travail exécuté ait été à l’époque assez superficiel n’a pas pour effet de valider pour autant la qualité du travail exécuté lors de l’évaluation.

 

[22]         Dans son expertise, M. Brisson a fait référence aux diverses méthodes disponibles. Dans un premier temps, il a traité de la technique de parité et y a consacré une seule page, soit la page 9 de son rapport.

 

[23]         Dans un deuxième temps, il a considéré la technique du coût et y a consacré 3 pages, soit les pages 10, 11 et 12; il a conclu, après une application plutôt sommaire, à partir de données hypothétiques favorisant manifestement une JVM peu élevée, que cette même valeur est de l’ordre de 971 600 $.

 

[24]         Finalement, il retient la technique du revenu et y consacre 6 pages. Les revenus et dépenses constituent évidemment les composantes essentielles et fondamentales de cette technique.

 

[25]         Pour ce qui est des revenus, il était relativement facile de les établir; quant aux dépenses, il s’agissait-là d’une dimension tout aussi importante. Malgré cette importance, les données utilisées n’ont pas fait l’objet d’une analyse très sophistiquée.

 

[26]         Je suis d’ailleurs convaincu que l’expert s’en est remis à l’appelante pour les obtenir et cela, sans questionnement.

 

[27]         Comment ses dépenses ont-elles été établies? À quoi correspondent ces dépenses? Quel est le coût moyen des dépenses versus les unités de logement, etc. Ce sont là autant de questions dont les réponses auraient permis de valider l’exactitude des dépenses retenues d’autant plus que les dépenses constituaient un volet fondamental de cette approche, qui aux dires de l’expert, était la seule valide et fiable.

 

[28]         Le bref témoignage de l’expert, vague et imprécis et non validé par des éléments fiables ou prouvés, notamment quant aux dépenses prises en compte comme composantes ayant un effet déterminant sur l’évaluation retenue, ne peut pas constituer une référence valable pour conclure que la JVM de 716 500 $ est raisonnable.

 

[29]         Les réponses vagues, l’absence de fondements fiables, l’inconfort de l’évaluateur devant certaines questions, son approche superficielle, le peu de minutie et de préoccupation à asseoir ses conclusions sur des assises valables et crédibles semblent laisser croire que l’expert a favorisé délibérément l’intérêt de l’appelante au détriment d’une démarche sérieuse et professionnelle. Pour ces raisons, je conclus que l’expertise soumise par l’appelante n’est d’aucune utilité pour établir la JVM dans le dossier.

 

[30]         L’appelante a toutefois raison d’affirmer que dans certaines situations particulières, les coûts de construction d’un immeuble n’ont rien à voir avec la JVM. Pour justifier ma compréhension de la décision Qureshi, je retiens notamment les passages suivants :

 

[6] . . . Toutefois, le coût d’un bien est révélateur de sa JVM lorsqu’il [sic] coût correspond au prix auquel le bien est acheté dans le cadre d’une vente de pleine concurrence. Le coût de construction ou de reconstruction d’un bien n’est pas une méthode fiable à utiliser pour déterminer la JVM lorsque des données sur le marché sont disponibles, comme c’est le cas en l’espèce.

 

 

[10] . . . Le coût ou le coût de remplacement n’indique pas la JVM lorsqu’il est question d’une maison qui est construite selon les spécifications du propriétaire.

 

Analyse

 

[31]         Bien qu’il puisse exister plusieurs définitions de la JVM, il en existe une qui fait la quasi-unanimité; elle consiste à définir la JVM selon ce que l’acheteur raisonnable sans intérêt particulier est prêt à payer pour un immeuble au vendeur qui, de son côté, n’a pas de raison particulière de vendre autre que celle de toucher une contrepartie raisonnable, en tenant compte de la période, du site, etc.

 

[32]         M. Brisson a fait valoir que les coûts de construction n’avaient strictement rien à voir avec la JVM. Le législateur n’a d’ailleurs pas retenu la méthode du coût pour la détermination de l’assiette devant nécessairement servir au calcul des taxes en matière de TPS. Par contre, il ne l’a pas non plus exclue.

 

[33]         Il a prévu qu’il fallait s’en remettre à la JVM. Il est très facile de comprendre le caractère raisonnable de cette approche et d’y souscrire. En effet, les coûts ou les montants déboursés pour la construction d’un immeuble sont certes une indication pouvant s’avérer utile, voire déterminante dans certaines situations. Par contre, il existe plusieurs situations où les coûts de construction peuvent largement dépasser la JVM, d’où l’intérêt de l’approche sage retenue par le législateur quant à la JVM, fondement de la cotisation.

 

[34]         Ainsi, la JVM d’un immeuble résidentiel, ou même commercial, construit avec un très grand luxe dans un quartier abandonné n’ayant aucune chance de faire l’objet d’améliorations serait manifestement inférieure au coût de construction.

 

[35]         Inversement, un immeuble modeste dans un quartier huppé pourrait avoir une JVM de beaucoup supérieure au coût de construction.

 

[36]         Ainsi, le site, le marché, la conjoncture, le nombre d’acheteurs possibles, la rareté, l’abondance, les particularités, la conception, l’esthétique, etc., sont autant d’éléments ou de facteurs qui peuvent influencer la JVM.

 

[37]         Les coûts de construction, quant à eux, peuvent ainsi varier selon la qualité et le prix des matériaux, auxquels s’ajoute l’efficacité ou la productivité des constructeurs. Les variables sont cependant beaucoup moins nombreuses et généralement plus universelles et standard. D’ailleurs, les normes de référence les plus connues et respectées prévoient la nécessité d’effectuer certaines pondérations eu égard aux circonstances et au contexte particulier.

 

[38]         Toute personne assujettie à cette disposition de la Loi doit procéder à l’évaluation de la fourniture pour en déterminer la JVM. Un tel exercice sous-entend un travail sérieux et crédible reposant sur des explications et des assises tout aussi sérieuses, fiables et raisonnables.

 

[39]         En l’espèce, le fait de déterminer la JVM à partir des coûts constitue une façon de faire fort acceptable et cela, pour un certain nombre de raisons.

 

[40]         Je relève notamment les qualités exceptionnelles des promoteurs, l’un étant un entrepreneur détenant une longue expérience, dont une partie dans le genre de construction qui fait l’objet de l’appel, et l’autre ayant une formation en administration mais aussi une expérience pratique très pertinente, et cela, dans un contexte favorable, en ce sens que les promoteurs possédaient une excellente expertise dans ce genre de construction et la clientèle desservie, tant pour ce qui est de la construction que de la gestion.

 

[41]         Il est important de rappeler qu’une des méthodes pour déterminer la JVM est la méthode économique, c’est-à-dire les revenus moins les dépenses prévues, en tenant compte du coût et de l’état de l’immeuble.

 

[42]         La demande pour le genre de logements construits était très forte, au point qu’il y avait une liste d’attente. Ainsi, il n’est pas exagéré d’affirmer qu’il s’agissait d’un projet où il n’existait à peu près aucune inconnue. Au contraire, le projet, sur un site exceptionnel, bénéficiait d’un grand intérêt, aux dires mêmes de l’un des promoteurs.

 

[43]         À ces facteurs s’ajoutaient d’autres facettes soutenant la réalisation du projet. De façon générale, un tel rajout aurait pour effet de réduire certaines dépenses de gestion; en d’autres termes, il était réaliste de prévoir des économies d’échelle.

 

[44]         D’ailleurs, la preuve a effleuré seulement cet aspect. M. Majeau a expliqué que la salle à manger était devenue trop petite. Pour corriger le problème, les heures de service ont été allongées à moindre coût que l’agrandissement de la salle à manger ou l’aménagement d’une nouvelle salle dans le nouvel édifice.

 

[45]         Chose certaine, les promoteurs ne se sont pas engagés dans cette aventure sans un plan très détaillé et complet quant aux coûts et revenus prévus avec des attentes fort précises quant à la rentabilité.

 

[46]         Bien plus, il s’agissait, de toute évidence d’un projet idéal faisant l’envie de tout promoteur, notamment à cause des facteurs suivants : site exceptionnel et unique, connaissance approfondie des besoins, des attentes, des coûts, de l’intérêt, de la demande, etc.

 

[47]         Est-il important de rappeler que les gestionnaires avaient la maîtrise totale de tous les ingrédients pour ce projet au point d’en maximiser la valeur.

 

[48]         La preuve, dont le fardeau incombait à l’appelante, n’a pas justifié ni expliqué comment, en quoi et pourquoi la JVM était sensiblement inférieure au coût de construction. D’autre part, la JVM a été établie d’une manière très superficielle, pour ne pas dire d’une manière assez complaisante.

 

[49]         En effet, d’une façon générale, l’approche de M. Brisson a été très simpliste. Il a fait état des trois méthodes possibles soit la parité, le coût de remplacement et la valeur économique. Il a écarté la méthode de la parité sous prétexte qu’il n’existait pas de données comparables dans la région en cette matière fort particulière et spécialisée.

 

[50]         Or, il s’agit d’un domaine effectivement très particulier, mais où il existe aussi un très grand nombre de projets semblables à de nombreux endroits au Québec. La clientèle pour ce genre de services est nombreuse et présente sur tout le territoire du Québec, les références ou données comparables sont donc considérables et nombreuses et ce, depuis plusieurs années.

 

[51]         Je comprends que la valeur d’une donnée de comparaison dépende de sa proximité et de sa ressemblance à l’immeuble qui fait l’objet d’une évaluation. Par contre, rien n’empêche le recours à cette approche en utilisant des immeubles comparables d’autres régions. D’ailleurs, il existe des façons de comparer les immeubles qui, à première vue, ne sont pas pertinents.

 

[52]         M. Brisson a aussi écarté la méthode du coût. Il a fait référence au guide Marshall. Il a simplement répété que Marshall était l’autorité ultime en la matière au point d’être un incontournable classique. Il aurait été cependant utile, sinon essentiel d’expliquer pourquoi il avait retenu un tel prix unitaire, étant donné que la qualité de la construction a une incidence directe et très importante sur ce taux.

 

[53]         Il a très rapidement conclu qu’il avait ou aurait dû apporter certains rajouts et certains retraits pour la désuétude de l’état physique, l’aspect fonctionnel et la nature économique. Il a exclu cette approche du revers de la main, tout en convenant que cette approche lui commandait d’établir la JVM à un montant de 971 600 $. Or, si cette méthode avait été retenue et appliquée d’une manière raisonnable en tenant compte des véritables éléments et non pas à partir de données fictives ou hypothétiques, la conclusion aurait été fort différente, mais d’une façon manifestement pas souhaitée par l’appelante, ce qu’il fait qu’elle a été écartée rapidement par l’expert.

 

[54]         Or, la preuve a révélé qu’il s’agissait d’une construction dont la qualité des matériaux était très supérieure, la qualité de construction était élevée. Quant à la désuétude, je rappelle qu’il s’agissait d’un immeuble flambant neuf construit par un entrepreneur ayant des compétences et de l’expérience en la matière sur ce genre de construction étant donné qu’il en avait déjà construit plusieurs dans les années précédentes.

 

[55]         Finalement, quant à l’approche retenue, à savoir la méthode économique, je rappelle qu’il existait une liste d’attente et que les promoteurs connaissaient fort bien le marché en termes de besoins, d’attentes, popularité etc. Il s’agit là d’un facteur peut-être non déterminant mais très certainement pertinent. Cette facette a été totalement occultée.

 

[56]         Non seulement le travail de l’expert de l’appelante a été superficiel et manifestement incomplet; très souvent, il n’a pas été en mesure de répondre clairement aux questions pourtant importantes et fort pertinentes. Il a ainsi répété à plusieurs reprises qu’il ne s’en souvenait pas à cause de son âge, mais aussi parce que l’écoulement du temps avait fait son œuvre.

 

[57]         Dans sa plaidoirie, le procureur de l’intimée a fait état de pourparler de règlement, laissant ainsi entendre une certaine ouverture pour diminuer la JVM ayant servi de fondement à la cotisation. De son côté, l’appelante a indiqué que la cour n’était pas liée par les conclusions retenues par les parties. Or, le dossier a été présenté d’une manière telle que toute réduction à la JVM retenue et établie à partir des coûts serait essentiellement arbitraire.

 

[58]         Dans ce dossier, l’approche arbitraire non seulement ne favorise aucunement une diminution de la JVM retenue, elle justifierait plutôt une augmentation. En effet, je ne connais pas d’entrepreneur en construction qui accepterait de vendre une nouvelle construction à son prix coûtant.

 

[59]         Je ne vois aucune raison ni aucun motif de tenter un exercice avec des données essentiellement arbitraires qui produirait nécessairement un résultat tout aussi arbitraire. L’évaluation retenue comme fondement de la cotisation a le mérite d’être objective, raisonnable et fiable.

 

[60]         Rien dans la preuve soumise ne permet d’écarter ou de discréditer la méthode du coût, qui manifestement était sans reproches eu égard à l’expertise, aux connaissances et à l’expérience des promoteurs. En effet, je crois même que les coûts auraient pu être de loin supérieurs si le projet avait été exécuté à la suite d’un appel d’offre dirigé par une personne dont la seule qualité aurait été de vouloir implanter une entreprise dans ce genre d’activité économique.

 

[61]         Quant à la pénalité, elle doit être confirmée; et ce, bien que la preuve a établi que l’appelante avait retenu les services d’un évaluateur pour établir la JVM de l’immeuble.

 

[62]         Le travail effectué par M. Brisson doit être totalement écarté, étant donné le peu de rigueur avec lequel il a été exécuté, il est donc impossible de le corriger en y apportant certains rajustements.

 

[63]         Il s’agit d’un dossier fort particulier en ce que les dirigeants de l’appelante étaient des personnes ayant des compétences et des connaissances très pointues.

 

[64]         La notion JVM n’est pas quelque chose de complexe en ce qu’il est facile de comprendre et savoir ce qu’il faut faire pour établir la JVM et ce, particulièrement lorsqu’on possède les connaissances et l’expérience des dirigeants de l’appelante; ils avaient l’expertise, les compétences et toutes les qualités pour savoir très bien que la JVM attribuée était tout à fait déraisonnable eu égard aux déboursés effectués pour la construction et cela, bien que je ne remettre en aucune façon en question le fait que le coût de construction ou le coût de remplacement peut très bien être fort différent de la JVM.

 

[65]         En l’espèce, le contexte, les faits pertinents, la qualité de la fourniture, la demande et le grand intérêt pour ce genre d’habitations font qu’il s’agissait d’un dossier où la JVM était de toute évidence supérieure aux coûts de construction et cela, les promoteurs le savaient ou devaient le savoir compte tenu de leur expérience et leur expertise dans ce domaine particulier.

 

[66]         L’appelante a mandaté un évaluateur que ses dirigeants connaissaient bien et sur lequel ils avaient de toute évidence un ascendant important; la piètre qualité du travail d’évaluation a validé la thèse voulant que l’expert dont les services furent retenus a essentiellement fait un exercice dont l’objectif était de justifier une JVM bien en deçà des coûts de construction.

 

[67]         La JVM retenue m’apparaît avoir été établie sinon dictée par l’appelante; ses dirigeants y ont été étroitement associés à la détermination de la JVM. Étant donné leur expertise, leurs compétences et leurs qualifications, il m’apparaît tout à fait inapproprié de retenir la diligence raisonnable quant à leur façon de faire dans le cheminement de ce dossier pour éviter la pénalité.

 

[68]         Le fait que le législateur ait expressément prévu que la JVM pouvait être différente du coût de remplacement et des coûts de construction ne légitime pas pour autant un travail incomplet, inadéquat, voire non-conforme aux règles de l’art.

 

[69]         En l’espèce, la JVM établie par la demanderesse ne correspondait pas à la véritable JVM. Le fait que la Loi n’accorde pas une importance déterminante aux coûts pour l’établissement de la JVM ne constitue pas une excuse légitime pour valider une JVM déraisonnable.

 

[70]         Le cheminement suivi a été manifestement effectué dans le but de valider la conclusion de l’appelante à l’effet que la JVM était inférieure aux déboursés effectués pour la construction, d’autant plus que la Loi prévoit que la JVM peut être différente de celle ayant trait à sa réalisation.

 

[71]         Pour toutes ces raisons, l’appel est rejeté, le tout avec dépens en faveur de l’intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de juin 2009.

 

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 286

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-3209(GST)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              LES RÉSIDENCES MAJEAU INC. ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 9 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Alain Tardif

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 10 juin 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Serge Fournier

Avocat de l'intimée :

Me Benoît Denis

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                            Me Serge Fournier

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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