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Dossier : 2006-722(IT)G

 

ENTRE :

COLLINS & AIKMAN PRODUCTS CO.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de

Collins & Aikman Canada Inc. (2006-723(IT)G) et de Collins & Aikman Holdings Canada Inc. (2006-724(IT)G), les 7 et 8 octobre 2008,

à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Me Clifford L. Rand

Me Susan Thomson

 

Avocats de l’intimée :

Me Franco Calabrese

Me Jenny Mboutsiadis

Me Sandra K.S. Tsui

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

       L’appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1994 et 1995 et la détermination concernant l’année d’imposition qui a pris fin le 31 janvier 1994 sont accueillis en entier, avec dépens; les cotisations et la détermination sont renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvel examen, nouvelles cotisations et nouvelle détermination conformément aux présents motifs.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de juin 2009.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour d’août 2009

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


 

 

 

 

Dossier : 2006-723(IT)G

 

ENTRE :

COLLINS & AIKMAN CANADA INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de

Collins & Aikman Products Co. (2006-722(IT)G) et de Collins & Aikman Holdings Canada Inc. (2006-724(IT)G), les 7 et 8 octobre 2008,

à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Me Clifford L. Rand

Me Susan Thomson

 

Avocats de l’intimée :

Me Franco Calabrese

Me Jenny Mboutsiadis

Me Sandra K.S. Tsui

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

       L’appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1994 et 1995 est accueilli en entier, avec dépens, et les cotisations sont renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations conformément aux présents motifs.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de juin 2009.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour d’août 2009

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


 

 

 

 

Dossier : 2006-724(IT)G

 

ENTRE :

COLLINS & AIKMAN HOLDINGS CANADA INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de

Collins & Aikman Products Co. (2006-722(IT)G) et de Collins & Aikman Canada Inc. (2006-723(IT)G), les 7 et 8 octobre 2008,

à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Me Clifford L. Rand

Me Susan Thomson

 

Avocats de l’intimée :

Me Franco Calabrese

Me Jenny Mboutsiadis

Me Sandra K.S. Tsui

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

       L’appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1994 et 1995 et la détermination concernant l’année d’imposition qui a pris fin le 28 janvier 1995 sont accueillis en entier, avec dépens; les cotisations et la détermination sont renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvel examen, nouvelles cotisations et nouvelle détermination conformément aux présents motifs.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de juin 2009.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour d’août 2009

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

Référence : 2009 CCI 299

Date : 20090603

Dossiers : 2006-722(IT)G

2006-723(IT)G

2006-724(IT)G

ENTRE :

COLLINS & AIKMAN PRODUCTS CO.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

 

ET ENTRE :

COLLINS & AIKMAN CANADA INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

 

ET ENTRE :

COLLINS & AIKMAN HOLDINGS CANADA INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Boyle

 

[1]              Dans les présentes affaires, il s’agit uniquement de savoir si la règle générale anti‑évitement (la « RGAE ») s’applique à une réorganisation de la structure des avoirs canadiens du groupe Collins & Aikman décrit ci‑dessous, suivie de dividendes versés par les sociétés en exploitation canadiennes et transmis à la principale société de portefeuille canadienne ainsi que de remboursements de capital de la principale société de portefeuille canadienne à son actionnaire non résident. Implicitement, cela veut dire que les opérations contestées étaient par ailleurs comptabilisées conformément aux exigences de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») interprétées indépendamment de l’article 245 et de la RGAE.

 

[2]              L’audience s’est déroulée d’une façon passablement simple. Aucune des parties n’a cité de témoins. Les parties s’étaient entendues sur un exposé conjoint partiel des faits, dont une copie est jointe aux présents motifs. Les parties ont déposé un recueil conjoint de documents comportant quelque 134 documents; toutefois, on m’a renvoyé à quelques documents seulement. La Couronne a également versé au dossier des extraits des transcriptions des interrogatoires préalables du représentant des contribuables.

 

[3]              Les contribuables ont reconnu que les opérations contestées ont entraîné un « avantage fiscal » pour l’application du paragraphe 245(1). Les contribuables ont en outre reconnu que, compte tenu de l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans La Reine c. MacKay et al., 2008 CAF 105, 2008 DTC 6238, les opérations contestées faisaient toutes partie d’une série d’opérations qui étaient visées par la définition de l’expression « opération d’évitement », au paragraphe 245(3).

 

[4]              Par conséquent, il s’agit ici uniquement de savoir si la réorganisation et la recapitalisation subséquente des sociétés Collins & Aikman entraînent, directement ou indirectement, un abus dans l’application des dispositions de la Loi pour l’application du paragraphe 245(4).

 

I. Les faits

 

[5]              Le groupe Collins & Aikman est un fabricant étranger multinational de pièces pour voitures exerçant un grand nombre d’activités au Canada. La recapitalisation du groupe Collins & Aikman qui a suivi la réorganisation des participations canadiennes du groupe prévoyait des distributions sous forme de remboursements de capital des membres canadiens du groupe jusqu’à ses actionnaires non résidents.

 

A. Avant la réorganisation

 

[6]              Avant la réorganisation, les sociétés canadiennes du groupe étaient WCA Canada Inc. (« WCA ») et Borg Textiles Inc. (« Borg »). WCA appartenait à Collins & Aikman Holdings Ltd. (« CAHL »). CAHL était une société constituée au Canada en 1929 qui a été une société en exploitation canadienne jusqu’en 1961. En 1961, CAHL a cessé d’être un résident canadien et les activités canadiennes ont été transférées à WCA. Borg a été acquise un peu plus tard; elle appartenait exclusivement à WCA. Toutes les actions de CAHL appartenaient à Collins & Aikman Products Co. (« Products »), une société américaine.

 

[7]              Les parties pertinentes de l’organigramme indiquaient que Products, une société américaine, était l’unique actionnaire de CAHL, une société constituée au Canada, mais ne résidant ni au Canada ni aux États‑Unis. CAHL détenait de son côté toutes les actions de WCA, une société canadienne, qui de son côté possédait toutes les actions de Borg, une autre société canadienne.

 

[8]              Avant la réorganisation, le capital déclaré et capital versé (ou « CV ») des actions de CAHL, et leur prix de base rajusté, pour Products, était d’environ 475 000 $.

 

B. La réorganisation

 

[9]              À la fin de l’année 1993 et au début de l’année 1994, la réorganisation ci‑après décrite a été effectuée.

 

[10]         Une nouvelle société canadienne, Collins & Aikman Holdings Canada Inc. (« Holdings ») a été constituée. Environ un mois plus tard, Products a transféré à Holdings ses actions de CAHL et elle a reçu la seule et unique action ordinaire de Holdings en contrepartie. La juste valeur marchande des actions de CAHL à ce moment‑là était de 167 millions de dollars. Ce montant a été ajouté au compte de capital déclaré établi pour l’action de Holdings. Ce même montant, de 167 millions de dollars, représentait également le coût de l’action de Holdings pour Products et le coût des actions de CAHL pour Holdings. Il ne s’agissait pas d’un transfert libre d’impôt ou d’une autre opération sans incidence fiscale; toutefois, Products n’a pas été imposée au Canada sur le gain qu’elle a réalisé parce que les actions de CAHL n’étaient pas des biens canadiens imposables étant donné que CAHL n’était pas une société résidant au Canada.

 

[11]         Le mois suivant, CAHL, qui avait initialement été constituée en vertu de la Loi des compagnies (Canada), et qui avait été prorogée, en 1980, en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA »), a été maintenue en vertu de la Loi sur les sociétés par actions (Ontario) (la « LSAO »). Plusieurs jours plus tard, CAHL, WCA et Borg ont toutes été fusionnées sous le nom de Collins & Aikman Canada Inc. (« C&A »).

 

[12]         Après cette réorganisation, Products, la société mère américaine[1], possédait toutes les actions de Holdings, la nouvelle société de portefeuille canadienne, qui de son côté possédait toutes les actions de C&A, la société en exploitation canadienne issue de la fusion.

 

[13]         Je ne sais pas quels étaient les attributs fiscaux américains pour Products à l’égard de son transfert des actions de CAHL en faveur de Holdings ni s’il y avait des attributs fiscaux pour CAHL ou pour Products par suite de cette réorganisation imposée par le pays de résidence de CAHL. Toutefois, aucun de ces attributs fiscaux étrangers ne serait directement pertinent quant à la question de savoir s’il y a eu abus dans l’application des dispositions de la Loi canadienne dans la présente affaire.

 

[14]         À un moment donné au cours de la réorganisation, CAHL est devenue un résident canadien. Cela s’est peut‑être produit lorsque Products a transféré les actions de CAHL à Holdings étant donné qu’il semble que la convention unanime des actionnaires, qui empêchait la majorité des administrateurs canadiens de CAHL d’exercer un contrôle, ait été résiliée. Si tel n’est pas le cas, CAHL est devenue une société résidant au Canada lorsqu’elle a fusionné avec C&A le mois suivant.

 

[15]         Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, bien avant la réorganisation, en 1961, CAHL avait vendu à WCA ses actifs d’exploitation canadiens. WCA a payé le prix d’achat, du moins en partie, au moyen d’un billet portant intérêt. Pendant que le billet était en circulation, WCA a déduit les paiements d’intérêt y afférents dans le calcul de son revenu pour les besoins de l’impôt canadien, et CAHL a payé l’impôt canadien retenu des non‑résidents prévu à la partie XIII sur ces intérêts, au taux légal de 25 %, sans avoir droit à une réduction en vertu d’une convention fiscale. Par conséquent, les paiements d’intérêt de WCA effectués en faveur de CAHL réduisaient le montant de l’impôt canadien de WCA à son taux effectif et assujettissaient CAHL à la retenue d’impôt canadien des non‑résidents au taux inférieur de 25 % y afférent. À supposer que tout impôt payable par CAHL à son pays de résidence sur le revenu en intérêts, déduction faite de toute dépense s’y rattachant, soit inférieur à la différence entre le taux canadien effectif applicable à WCA et le taux canadien de retenue de 25 % sur le montant brut des intérêts, l’interposition continue de CAHL à titre d’actionnaire des sociétés en exploitation canadiennes était efficace, sur le plan fiscal, pour le groupe Collins & Aikman.

 

[16]         Au mois de septembre 1991, CAHL avait réorganisé son capital; dans le cadre de cette réorganisation, CAHL devait verser un dividende à Products, lequel était en partie payé au moyen de la cession du billet de WCA en faveur de Products. Il n’a pas été supposé ni plaidé que cette réorganisation du capital de CAHL, en 1991, faisait partie de la série d’opérations. Une fois que le billet de WCA avait cessé d’être détenu par CAHL et qu’il était détenu par Products, l’efficacité fiscale résultant du fait que WCA appartenait à un résident d’un pays qui n’était pas partie à une convention fiscale, comme CAHL, a perdu son efficacité, au point de vue fiscal, tout en laissant un coût fiscal élevé, et ce, parce que les dividendes payables par une société canadienne à un actionnaire non résident d’un pays qui n’est pas partie à une convention fiscale seraient assujettis à une retenue d’impôt canadien de non‑résident de 25 % sur les dividendes, alors que, si les sociétés canadiennes du groupe de sociétés Collins & Aikman appartenaient directement à un résident américain comme Products, ce taux serait ramené à 5 % en vertu de la convention fiscale Canada‑États‑Unis.

 

[17]         Ce n’est qu’après que le billet de WCA eut été dû à Products plutôt qu’à CAHL que le groupe Collins & Aikman a demandé à ses conseillers professionnels indépendants de songer à des façons de réorganiser sa structure d’entreprise quant aux avoirs canadiens du groupe. La suppression des coûts fiscaux restants découlant du fait que WCA appartenait à une société ne résidant pas dans un pays qui était partie à une convention fiscale était au moins l’un des objectifs de la réorganisation.

 

C. Les montants distribués aux fins de la recapitalisation

 

[18]         Des distributions ont été effectuées comme suit aux fins de la recapitalisation.

 

[19]         Il y a eu un refinancement général important des activités américaines et canadiennes du groupe Collins & Aikman. En ce qui concerne la composante canadienne, C&A devait fondamentalement verser à Holdings un montant de 104 millions de dollars au titre de dividendes, Holdings ramenant de son côté son capital versé de 167 millions de dollars à 63 millions de dollars lorsqu’elle a versé 104 millions de dollars à sa société mère, Products, à titre de remboursement de capital. Cela s’est produit en deux étapes. Environ six mois après la réorganisation, C&A a déclaré un dividende de 58 millions de dollars en faveur de Holdings et Holdings a réduit le capital déclaré pour les besoins de la société et le capital versé, pour les besoins de l’impôt, de l’action de Holdings appartenant à Products d’un montant de 58 millions de dollars. C&A avait emprunté de l’argent en vue de payer ce dividende en vertu d’un nouveau service bancaire offert au groupe Collins & Aikman. Six mois plus tard, C&A a versé un dividende de 46 millions de dollars à Holdings, que cette dernière a promptement utilisé pour réduire encore une fois d’un montant identique le capital déclaré et capital versé de l’action de Holdings appartenant à Products. C&A avait financé ce dividende à l’aide de remboursements effectués par Products et par une filiale de Products de montants dus à C&A.

 

[20]         Selon la position prise par les contribuables, la réorganisation a été effectuée en vue de permettre des remboursements de capital libres d’impôt dans l’avenir, mais lors de la réorganisation, il n’existait aucune intention de distribuer des montants particuliers ou de procéder à des distributions à des moments précis dans l’avenir. La preuve à laquelle on m’a renvoyé est conforme à cette position et je conclus qu’il en est ainsi. Je remarque que la note de service interne d’une page du mois de janvier 1993 du service de la trésorerie portant sur la réorganisation canadienne indique l’intention de payer un dividende; l’auteur de cette note demande quel est le montant maximal de dividende ou de prêt qui pourrait être payé le 1er février 1993 et il soulève la possibilité d’un prêt intersociétés dans le cas où la réorganisation canadienne ne serait pas achevée le 1er février.

 

[21]         Étant donné que Holdings n’avait pas de compte bancaire, le montant du remboursement de capital de Holdings en faveur de Products a dans chaque cas été viré par voie électronique du compte bancaire de C&A directement au compte bancaire de Products. Il n’a pas été contesté que C&A agissait à titre de mandataire de Holdings à cet égard et que les instructions et les comptes rendus financiers étaient satisfaisants. Par conséquent, cela est uniquement pertinent pour ce qui est de la question de savoir si C&A sera tenue responsable d’avoir omis d’effectuer les retenues, en vertu des dispositions relatives à la responsabilité du mandataire payeur du paragraphe 215(6), dans le cas où la RGAE s’applique en vue de permettre de requalifier les remboursements de capital à titre de dividendes.

 

II. Les cotisations fondées sur la RGAE

 

[22]         En l’espèce, le ministre du Revenu national (le « ministre ») n’a pas directement requalifié les conséquences fiscales des opérations contestées compte tenu du paragraphe 245(2) de la RGAE. Au lieu de qualifier autrement les opérations, le ministre a fait des déterminations en vertu du paragraphe 152(1.11) et il a ramené le capital versé de l’action de Holdings que Products détenait et le prix de base rajusté (le « PBR ») de cette action, pour Products, de 167 millions de dollars à environ 475 000 $, soit le CV et le PBR, pour Products, avant la réorganisation des actions de CAHL que cette dernière détenait. Une détermination similaire, en vertu du paragraphe 152(1.11), a été faite par le ministre à l’égard de Holdings, le CV de l’action de Holdings et le coût, pour Holdings, des actions que celle‑ci détenait dans C&A étant ramenés de 167 millions de dollars à environ 475 000 $. Environ dix jours plus tard, le ministre a établi une cotisation à l’égard de Products pour la retenue d’impôt canadien des non‑résidents prévue à la partie XIII sur les dividendes réputés, en ajoutant la différence entre les 104 millions de dollars qui avaient été versés à celle‑ci et les 475 000 $ représentant, selon la détermination, le capital versé de ses actions de CAHL. En même temps, le ministre a établi à l’égard de Holdings, en vertu des paragraphes 215(1) et 215(6), une cotisation fondée sur l’omission d’avoir retenu et versé l’impôt de la partie XIII sur les dividendes réputés, et il a établi des pénalités par suite de l’omission d’effectuer les retenues. Le ministre a également établi à l’égard de C&A une cotisation fondée sur l’omission d’avoir effectué des retenues en vertu des paragraphes 215(2) et 215(6) à l’égard des dividendes réputés lorsqu’elle agissait à titre de mandataire payeur de Holdings en effectuant le paiement, et il a établi des pénalités par suite de l’omission d’effectuer les retenues.

 

[23]         Avant l’audition des présents appels, le ministre a accepté d’annuler les pénalités établies contre Holdings et contre C&A par suite de l’omission d’avoir retenu et versé l’impôt de la partie XIII.

 

[24]         Je ne comprends pas pourquoi le ministre a fait des déterminations relatives à la RGAE fondées sur le paragraphe 152(1.11) dans la présente affaire, tout en établissant ensuite des cotisations ordinaires en vertu de la partie XIII à l’égard de Products, de Holdings et de C&A, en se fondant sur l’effet rétroactif des déterminations. Il semble que le ministre aurait pu simplement établir une cotisation à l’égard de Products pour la retenue d’impôt de non‑résident compte tenu d’une requalification fondée sur la RGAE de l’article 245, les montants distribués étant considérés comme étant principalement des dividendes, sans d’abord faire pareille détermination. Par la suite, les obligations de Holdings et de C&A pour ce qui est de l’impôt de la partie XIII de Products découleraient des paragraphes 215(1), 215(2) et 215(6). Si la RGAE s’applique en vue de permettre de qualifier autrement le montant versé à un non‑résident comme étant quelque chose qui donne lieu à un impôt de la partie XIII payable par le non‑résident, le payeur canadien et le mandataire payeur peuvent faire l’objet d’une cotisation en vertu de l’article 215 sans qu’il soit nécessaire, semble‑t‑il, de se fonder sur la RGAE.

 

[25]         La décision du ministre de faire les déterminations en vertu du paragraphe 152(1.11) a donné lieu à une certaine incertitude, et ce, parce qu’il existe des restrictions expresses à l’article 152 au sujet de l’effet rétroactif des déterminations. Plus précisément, le paragraphe 152(1.12) prévoit qu’une détermination fondée sur le paragraphe (1.11) ne peut pas être faite si le montant déterminé n’est pris en compte que pour calculer, en application de la loi, le revenu, l’impôt ou un autre montant payable par le contribuable pour une année d’imposition antérieure. Cette disposition prévoit clairement qu’un montant ne peut pas être déterminé s’il est uniquement pertinent lorsqu’il s’agit d’imposer rétroactivement un attribut fiscal au contribuable. En pareil cas, le ministre peut établir directement des cotisations ordinaires fondées sur l’article 245.

 

[26]         Selon la position prise par le ministre en l’espèce, la détermination du montant du capital versé de l’action de Holdings n’est pas pertinente uniquement aux fins du calcul des impôts payables au cours d’années antérieures à cette détermination. Le ministre soutient que le montant de 475 000 $ qui, selon ce qu’il a déterminé, constitue le CV de l’action de Holdings n’est pas uniquement pertinent en ce qui concerne les montants distribués au titre du capital en 1994 étant donné qu’avant la détermination du montant du CV, le CV de l’action de Holdings était de 167 millions de dollars à la suite de la réorganisation et qu’il a uniquement été ramené à 63 millions de dollars sur paiement du remboursement de capital de 104 millions de dollars. Immédiatement avant ces déterminations, le CV était donc de 63 millions de dollars, montant qui, en l’absence de déterminations, aurait pu être remboursé à Products autrement qu’au moyen d’un dividende en sa faveur sur l’action que celle‑ci détenait dans Holdings. La position prise par le ministre est qu’en déterminant le montant du CV comme s’élevant à 475 000 $, cette détermination du CV était également pertinente sur une base prospective parce que son effet était d’empêcher le remboursement de capital d’un autre montant de 62,5 millions de dollars du CV.

 

[27]         L’argument contraire est que le montant déterminé, soit 475 000 $, était uniquement pertinent pour les années antérieures étant donné que ce montant, déterminé comme étant le montant du CV, avait été entièrement remboursé au cours d’années antérieures.

 

[28]         J’éprouve certains doutes au sujet du bien‑fondé de la position prise par le ministre. Si cette position n’est pas exacte, les déterminations relatives à la RGAE fondées sur le paragraphe 152(1.11) ne sont pas valides, par suite du paragraphe 152(1.12). Étant donné que les cotisations elles‑mêmes ne sont pas fondées sur la RGAE, mais plutôt fondées sur des déterminations faites en vertu du paragraphe 152(1.11) plusieurs jours avant la date des cotisations, il semble que les cotisations doivent être annulées dans ce cas‑ci. Toutefois, étant donné que, dans la présente affaire, j’ai conclu, comme il en sera ci‑dessous fait mention, que la réorganisation et les montants distribués au titre du capital n’entraînent pas un abus dans l’application des dispositions de la Loi, je n’ai pas à trancher cette question préliminaire ennuyeuse concernant le paragraphe 152(1.11). Instinctivement, il semble qu’il faille éviter des déterminations rétroactives, de la même façon que les dispositions législatives fiscales rétroactives, sauf dans les cas où le législateur a clairement et d’une façon non ambiguë exprimé son intention d’établir un impôt ou de permettre l’établissement rétroactif d’un impôt.

 

III. Les actes de procédure

 

[29]         Fort peu de temps avant l’audition des présents appels, la Couronne a demandé à déposer des réponses modifiées. Cette requête a été entendue au début de l’instruction. Les contribuables ont finalement consenti au dépôt des réponses modifiées.

 

[30]         Entre autres choses, les réponses modifiées (i) augmentaient le nombre d’opérations faisant partie de la série d’opérations, (ii) changeaient la disposition de la Loi dont l’application avait censément donné lieu à un abus, et (iii) ajoutaient un grand nombre de dispositions se rapportant à des distributions qui auraient censément fait partie de l’économie de la Loi lue dans son ensemble.

 

[31]         L’hypothèse initiale du ministre, laquelle n’a pas été modifiée avec raison, était que l’application du paragraphe 128.2(1) portant sur les fusions transfrontalières avait donné lieu à un abus par suite des opérations et que les opérations constituaient un abus compte tenu des dispositions de la Loi lue dans son ensemble. À l’audience, le ministre a reconnu que le paragraphe 128.2(1) était la mauvaise disposition et que, de toute façon, cette disposition ne se serait pas appliquée ou n’aurait pas dû s’appliquer, et ce, peu importe la façon dont la réorganisation avait été structurée ou effectuée. Selon les actes de procédure modifiés, le paragraphe 84(4) est la disposition dont l’application a donné lieu à un abus en raison des opérations. En outre, dans les réponses modifiées, il est plaidé que les opérations constituent un abus dans l’application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble, y compris l’article 54 en ce qui concerne le « prix de base rajusté », les articles 84, 84.1, 87 et 89, en ce qui concerne le « capital versé », les articles 128.1 et 212.1, les paragraphes 15(1), 39(1), 51(3), 52(8), 85(2.1), 85.1(2.1), 86(2.1), 87(1), l’article 112, les paragraphes 115(1), 215(2), 215(6) et 250(4), ainsi que les alinéas 3b) et 38a).

 

[32]         Les opérations ont été conclues en 1994, les déterminations ont été faites et les cotisations ont été établies en l’an 2000, les avis d’opposition ont été déposés en 2001 et la ratification des cotisations et des déterminations par le ministre a eu lieu en 2005. Les avis d’appel et les réponses initiales ont été déposés en 2006. Ce n’est qu’au mois de septembre 2008, et fort peu de temps avant l’instruction, au début du mois d’octobre, que le ministre a avisé les contribuables que la disposition jusqu’alors invoquée dont l’application aurait censément donné lieu à un abus était la mauvaise et qu’une nouvelle disposition était invoquée à cet égard.

 

[33]         Les contribuables ont consenti à ce que la Couronne présente une requête visant le dépôt des réponses modifiées, à condition que certains documents produits dans le cadre de la requête fassent également partie de la preuve à l’audience et à condition que le ministre reconnaisse qu’en ce qui concerne le dossier de l’instruction, la Couronne n’avait pas consulté le Comité de la RGAE de l’Agence du revenu du Canada au sujet de la position prise dans les réponses modifiées, à savoir qu’il y avait eu abus dans l’application d’une disposition tout à fait différente de la Loi. Dans ces conditions, j’accorde peu ou pas de poids ni aucune pertinence ou importance au fait que la Couronne n’est pas retournée consulter le comité RGAE sur cet aspect fort important des déterminations, des cotisations et des appels. Je suppose que cela a été avancé pour dénaturer les faits entourant la cotisation et la force de la position prise par le ministre. Si tel est le cas, cela est peut‑être superflu étant donné que, de toute façon, le ministre a changé de cap bien après avoir franchi la moitié du chemin en déposant les réponses modifiées. Dans ces conditions, ce fait n’influe aucunement sur mon analyse de la question de savoir si la réorganisation et les montants distribués au titre du capital constituent un abus dans l’application d’une disposition de la Loi ou de la Loi lue dans son ensemble. Toutefois, il est peut‑être légitime pour les contribuables en général, et pour les contribuables qui ont fait l’objet de nouvelles cotisations en vertu de la RGAE et pour les conseillers professionnels de ces derniers, de contester la façon dont le gouvernement du Canada prépare en fait sa cause si son avocat ne collabore pas avec les membres du comité RGAE du ministère des Finances ou avec d’autres membres de la Direction de la politique de l’impôt du ministère des Finances, duquel relève en pratique l’économie de la Loi. Les contribuables du Canada en général pourraient s’inquiéter de ce que, si pareilles voies de communication ne sont pas pleinement ouvertes et s’il n’en est pas systématiquement tiré parti, le gouvernement puisse perdre des causes portant sur la RGAE qu’il devrait gagner. Dans la même veine, les contribuables qui font l’objet de cotisations fondées sur la RGAE et leurs avocats peuvent s’inquiéter de ce que le gouvernement fasse entendre des causes portant sur la RGAE et qu’il les perde, alors que la Couronne aurait dû fermer le dossier avant l’instruction. Ces remarques ne constituent aucunement un reproche à l’égard de l’avocat de la Couronne qui s’occupe de la présente affaire. Les avocats doivent se fonder sur les faits et l’historique de l’affaire tels qu’ils sont portés à leur connaissance et, en pratique, malgré la Loi sur le ministère de la Justice, ils doivent s’en tenir aux instructions et aux méthodes de fonctionnement de leurs clients.

 

IV. La législation applicable

 

[34]         La RGAE est énoncée à l’article 245 de la Loi. Étant donné que les contribuables ont reconnu les aspects de l’article 245 se rattachant à la question de l’avantage fiscal et des opérations d’évitement, il s’agit en l’espèce de savoir si les opérations contestées sont exclues de l’application de la RGAE parce qu’elles ne constituent pas un abus au sens du paragraphe 245(4), qui est libellé comme suit :

 


245(4) Le paragraphe (2) ne s’applique qu’à l’opération dont il est raisonnable de considérer, selon le cas :

 

a)  qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, s’il n’était pas tenu compte du présent article, un abus dans l’application des dispositions d’un ou de plusieurs des textes suivants :

 

(i) la présente loi,

 

(ii) le Règlement de l’impôt sur le revenu,

 

(iii) les Règles concernant l’application de l’impôt sur le revenu,

 

(iv) un traité fiscal

 

(v) tout autre texte législatif qui est utile soit pour le calcul d’un impôt ou de toute autre somme exigible ou remboursable sous le régime de la présente loi, soit pour la détermination de toute somme à prendre en compte dans ce calcul;

 

b)  qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, un abus dans l’application de ces dispositions compte non tenu du présent article lues dans leur ensemble.

 

[35]         Ce n’est que si les opérations contestées sont assujetties à l’application de la RGAE parce qu’elles constituent le type d’abus visé au paragraphe 245(4) qu’il faut décider du bien‑fondé de la détermination par le ministre des attributs fiscaux et des montants appropriés pour l’application des paragraphes 245(2) et (5) ainsi que 152(1.11). Puisque j’ai conclu que les opérations contestées sont valides par application du paragraphe 245(4) parce qu’elles ne constituent pas le type d’abus visé par cette disposition telle qu’elle a été interprétée par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, 2005 DTC 5523, et Lipson c. Canada, 2009 CSC 1, 2009 DTC 5015, je ne reproduirai pas les dispositions portant sur la requalification.

 

[36]         Malgré le libellé du paragraphe 245(4) concernant l’abus, la Cour suprême du Canada a préconisé l’emploi par la Cour d’une méthode d’interprétation unifiée lorsqu’il s’agit de décider si une série d’opérations a entraîné un évitement fiscal abusif. Cette méthode a été énoncée comme suit dans l’arrêt Trustco Canada :

 


44                L’interprétation contextuelle et téléologique des dispositions de la Loi invoquées par le contribuable et l’application des dispositions interprétées correctement aux faits d’une affaire donnée sont au cœur de l’analyse fondée sur le par. 245(4). Il faut d’abord interpréter les dispositions générant l’avantage fiscal pour en déterminer l’objet et l’esprit. Il faut ensuite déterminer si l’opération est conforme à cet objet ou si elle le contrecarre. L’analyse globale porte donc sur une question mixte de fait et de droit. L’interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de dispositions particulières de la Loi de l’impôt sur le revenu est essentiellement une question de droit, mais l’application de ces dispositions aux faits d’une affaire dépend nécessairement des faits.

 

45        Cette analyse aboutit à une conclusion d’évitement fiscal abusif dans le cas où le contribuable se fonde sur des dispositions particulières de la Loi de l’impôt sur le revenu pour obtenir un résultat que ces dispositions visent à empêcher. Ainsi, il y a évitement fiscal abusif lorsqu’une opération va à l’encontre de la raison d’être des dispositions invoquées. Un mécanisme qui contourne l’application de certaines dispositions, comme des règles anti‑évitement particulières, d’une manière contraire à l’objet ou à l’esprit de ces dispositions peut également donner lieu à un abus. Par contre, l’existence d’un abus n’est pas établie lorsqu’il est raisonnable de conclure qu’une opération d’évitement au sens du par. 245(3) était conforme à l’objet ou à l’esprit des dispositions conférant l’avantage fiscal.

 

46        Une fois que les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu sont interprétées correctement, la question de fait à laquelle doit répondre le juge de la Cour de l’impôt est de savoir si, en supprimant l’avantage fiscal, le ministre a établi l’existence d’un évitement fiscal abusif au sens du par. 245(4). Pourvu que le juge de la Cour de l’impôt se soit fondé sur une interprétation correcte des dispositions de la Loi et sur des conclusions étayées par la preuve, les tribunaux d’appel ne doivent pas intervenir en l’absence d’erreur manifeste et dominante.

 

47        La première partie de l’examen fondé sur le par. 245(4) exige que le tribunal aille au‑delà du simple texte des dispositions et adopte une méthode d’interprétation contextuelle et téléologique en vue de dégager un sens qui s’harmonise avec le libellé, l’objet et l’esprit des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu. Cela n’a rien de nouveau. Même lorsque le sens de certaines dispositions peut paraître non ambigu à première vue, le contexte et l’objet de la loi peuvent révéler ou dissiper des ambiguïtés latentes. [traduction] « Après tout, le libellé ne peut jamais être interprété indépendamment de son contexte, et l’objectif législatif fait partie de ce contexte. Il semblerait alors que la prise en compte de l’objectif législatif permette non seulement de dissiper les ambiguïtés manifestes, mais aussi de relever, à l’occasion, des ambiguïtés dans un libellé apparemment clair. » Voir P. W. Hogg et J. E. Magee, Principles of Canadian Income Tax Law (4e éd. 2002), p. 563. Pour relever et dissiper toute ambiguïté latente du sens des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, les tribunaux doivent adopter une méthode d’interprétation législative textuelle, contextuelle et téléologique unifiée.

 

[...]

49        Dans tous les cas où l’applicabilité du par. 245(4) est en cause, la question centrale est de savoir si, compte tenu du texte, du contexte et de l’objet des dispositions invoquées par le contribuable, l’opération contrecarre l’objet ou l’esprit de ces dispositions. Les points suivants sont dignes de mention :

 

 

            (1)  Bien que les notes explicatives emploient les mots « exploiter, [. . .] détourner ou [. . .] frustrer », il semble que ces trois termes soient synonymes et que le mot « frustrer » au sens de « contrecarrer » permet le mieux d’en saisir le sens.

 

            (2)  Les notes explicatives indiquent que la RGAÉ est censée s’appliquer lorsque, selon une interprétation littérale des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’objet et l’esprit de ces dernières seraient contrecarrés.

 

            (3)  Les notes explicatives précisent que la RGAÉ doit être appliquée à la lumière des faits de l’affaire en cause dans le contexte de l’agencement de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

            (4)  Les notes explicatives indiquent également que les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu visent les opérations ayant une raison d’être économique.

 

50        Comme nous l’avons vu, le législateur cherchait à prévenir l’évitement fiscal abusif tout en maintenant l’uniformité, la prévisibilité et l’équité en matière de droit fiscal, et la RGAÉ ne permet de supprimer un avantage fiscal que dans les cas où l’opération en cause est manifestement abusive.

 

51                Aux termes du par. 245(4) de la Loi, l’interprétation des dispositions générant l’avantage fiscal doit se faire compte tenu de la Loi « lue dans son ensemble ». Cela signifie que les dispositions en cause doivent être interprétées dans leur contexte législatif, conjointement avec les autres dispositions connexes pertinentes, à la lumière des objectifs dont ces dispositions et le régime législatif qu’elles établissent favorisent la réalisation. À cet égard, il ne faut pas oublier que la RGAÉ fait elle‑même partie de la Loi.

 

[...]

 

55        En résumé, le par. 245(4) prescrit un examen en deux étapes. La première étape consiste à déterminer l’objet ou l’esprit des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qui sont invoquées pour obtenir l’avantage fiscal, eu égard à l’économie de la Loi, aux dispositions pertinentes et aux moyens extrinsèques admissibles. La deuxième étape consiste à examiner le contexte factuel de l’affaire pour déterminer si l’opération d’évitement contrecarrait l’objet ou l’esprit des dispositions en cause.

 

56        Selon les notes explicatives, les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu visent les opérations ayant une raison d’être économique. Bien que l’expression « raison d’être économique » puisse se prêter à différentes interprétations, cet énoncé reconnaît que les dispositions de la Loi visaient les opérations conformes à l’objet et à l’esprit des dispositions invoquées pour obtenir l’avantage fiscal. Les tribunaux ne doivent pas fermer les yeux sur les faits qui sous‑tendent une affaire et devenir obsédés par le respect du sens littéral du libellé des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu. Au contraire, ils doivent dans tous les cas interpréter les dispositions dans le contexte qui leur est propre et en tenant compte des objectifs dont elles sont censées favoriser la réalisation.

 

57        Les tribunaux doivent se garder de conclure trop hâtivement que l’opération d’évitement résulte d’un évitement fiscal abusif du seul fait que l’objet non fiscal n’est pas manifeste. Même si les notes explicatives emploient l’expression « raison d’être économique », le par. 245(4) ne considère pas qu’une opération donne lieu à un évitement fiscal abusif du seul fait que l’objet économique ou commercial n’est pas manifeste. Comme nous l’avons vu, la RGAÉ n’était pas censée bannir tous les avantages fiscaux; le législateur voulait que beaucoup d’entre eux subsistent. La question centrale est de savoir si l’opération était conforme à l’objet des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qui sont invoquées par le contribuable, lorsque ces dispositions sont interprétées correctement à la lumière de leur contexte. Il y a évitement fiscal abusif si les opérations contrecarrent ces objets.

 

[...]

 

59        De même, les tribunaux ont parfois analysé des opérations sous l’angle de leur « manque de raison d’être » ou de la nécessité de les « requalifier ». Ces termes n’ont toutefois aucun sens en dehors de l’interprétation correcte des dispositions particulières de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’analyse fondée sur le par. 245(4) oblige à examiner attentivement les faits pour décider si l’attribution d’un avantage fiscal serait conforme à l’objet ou à l’esprit des dispositions invoquées par le contribuable, selon une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de ces dispositions. Ce n’est qu’après avoir d’abord interprété correctement les dispositions en cause pour en déterminer la portée, puis examiné tous les facteurs pertinents, que l’on peut tirer une conclusion appropriée quant à l’existence d’un évitement fiscal abusif au sens du par. 245(4).

 

[...]

 

61        Une interprétation correcte du libellé des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu ainsi que le contexte factuel pertinent d’une affaire donnée permettent d’établir un équilibre entre la nécessité de prévenir l’évitement fiscal abusif et celle de maintenir la certitude, la prévisibilité et l’équité en droit fiscal afin que les contribuables puissent organiser leurs affaires en conséquence. Le législateur souhaite que les contribuables profitent pleinement des dispositions de la Loi qui confèrent des avantages fiscaux. Il n’a pas voulu que la RGAÉ mine ce précepte fondamental du droit fiscal.

 

62        La RGAÉ ne permet de supprimer un avantage fiscal que si l’on décide qu’il n’était pas raisonnable de considérer que l’avantage fiscal était conforme à l’objet ou à l’esprit des dispositions invoquées par le contribuable. La formulation négative du par. 245(4) indique que l’analyse part du principe qu’un avantage fiscal qui serait conféré par le texte même de la Loi n’est pas abusif. Cela signifie qu’une conclusion d’abus n’est justifiée que lorsqu’il n’est pas raisonnable de conclure le contraire, c’est‑à‑dire que l’opération d’évitement était conforme à l’objet ou à l’esprit des dispositions de la Loi invoquées par le contribuable. Autrement dit, l’opération doit être manifestement abusive. La RGAÉ ne permet pas de supprimer un avantage fiscal s’il est raisonnable de considérer que les opérations étaient conformes à l’objet ou à l’esprit des dispositions de la Loi, selon une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de ces dispositions.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[37]         Dans l’arrêt Lipson, la majorité des juges de la Cour suprême décrivent les paragraphes 44 et 45 comme étant l’élément crucial de la méthode adoptée par la Cour à l’égard de la RGAE dans l’arrêt Trustco Canada. La majorité des juges ont résumé le paragraphe 44 comme suit :

 

40        Suivant le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Trustco Canada, une opération d’évitement peut entraîner un abus dans l’application de la Loi de trois façons : a) elle donne lieu à un résultat que les dispositions invoquées visent à empêcher, b) elle va à l’encontre de la raison d’être de ces dispositions ou c) elle contourne l’application de certaines dispositions de manière à contrecarrer leur objet ou leur esprit (Trustco Canada, par. 45).

 

[38]         Dans l’arrêt Lipson, au paragraphe 27, la majorité des juges ont ajouté le mot « essentiel » après les mots « leur objet », en résumant le paragraphe 44 de l’arrêt Trustco Canada.

 

[39]         En l’espèce, il incombe entièrement au ministre de convaincre la Cour du bien‑fondé de sa position. Comme l’a dit la Cour suprême dans l’arrêt Trustco Canada, un contribuable, dans un appel portant sur la RGAE, assumera initialement l’obligation d’établir les faits en réfutant ou en contestant les hypothèses factuelles du ministre, en contestant l’existence d’un avantage fiscal, ou en démontrant que l’opération visait principalement un objet non fiscal véritable. Dans la présente affaire, les parties se sont entendues sur les faits et les contribuables ont reconnu les aspects de la RGAE se rattachant à l’avantage fiscal et aux opérations d’évitement. Cela étant, il s’agit uniquement de savoir si l’avantage fiscal dont les contribuables bénéficiaient par suite des opérations d’évitement constituait un évitement fiscal abusif.

 

[40]         Quant à la question de la charge de la preuve ou de la persuasion, la Cour suprême du Canada a d’abord cité, dans l’arrêt Trustco Canada, le paragraphe 68 des motifs rendus par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire OSFC Holdings Ltd. c. Canada, 2001 CAF 260, 2001 DTC 5471, à savoir que :

 

dans une perspective pratique, le ministre doit [...] énoncer la politique générale en mentionnant les dispositions de la Loi ou les moyens extrinsèques sur lesquels il s’appuie.

 

Au paragraphe 65, la Cour suprême a ajouté ce qui suit :

 

En pratique, c’est le dernier énoncé qui est important. Une fois qu’il a démontré qu’il respecte le libellé d’une disposition, le contribuable ne devrait pas avoir à prouver qu’il n’a pas, de ce fait, contrevenu à l’objet ou à l’esprit de la disposition. Il appartient au ministre qui tente d’invoquer la RGAÉ de décrire l’objet ou l’esprit des dispositions qui auraient été contournées, selon une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique des dispositions de la Loi. Le ministre est mieux placé que le contribuable pour présenter des observations sur l’intention du législateur dans le but d’interpréter les dispositions de façon harmonieuse avec le régime législatif général qui s’applique à l’opération en cause.

 

[41]         Il importe de noter que le critère à appliquer en matière d’évitement fiscal abusif n’est pas de savoir si, eu égard à la situation particulière d’un contribuable, un sentiment d’équité apparente ou un sens commun justifiable donne à entendre que des opérations telles que celles qui sont ici en cause doivent être imposées de la même façon que toute autre opération permettant d’atteindre la plupart des mêmes résultats ou tous les mêmes résultats, si ce n’était de l’objectif additionnel du contribuable de réduire le plus possible les impôts grâce aux opérations. Ce n’est pas ce que prévoit l’article 245 ni la façon dont cette disposition a été interprétée. Le critère à appliquer n’est pas non plus de savoir si la Loi aurait dû être rédigée de façon à englober des opérations particulières.

 

[42]         Les conditions applicables, en ce qui concerne une détermination d’évitement fiscal abusif au paragraphe 245(4), selon le paragraphe 45 de l’arrêt Trustco Canada et le paragraphe 40 de l’arrêt Lipson, exigent que la Couronne démontre l’existence d’une disposition ou de dispositions énonçant l’économie de la Loi ou faisant partie de l’économie de la Loi, en ce qui concerne l’imposition de montants ou d’opérations semblables à ceux qui sont ici en cause, et dont l’application a donné lieu à un abus de la part des contribuables en ce qui concerne la série d’opérations. Il faut démontrer qu’un tel abus découle (i) de l’application de la disposition ou des dispositions sur lesquelles les contribuables se sont fondés ou qu’ils ont appliquées pour arriver au résultat que les dispositions en question visent à empêcher, ou (ii) du fait que les contribuables se fondent sur les dispositions en question ou appliquent ces dispositions en vue d’annuler leur raison d’être, ou encore (iii) du fait que les contribuables ont contourné l’application de certaines dispositions, comme des règles anti‑évitement précises, d’une façon qui contrecarre leur objet et leur esprit.

 

V. Positions des parties

 

A. Le ministre

 

[43]         Étant donné que la charge de la preuve incombe à la Couronne, je traiterai en premier lieu de la position prise par cette dernière.

 

[44]         En fait, la Couronne soutient que les contribuables ont commis un abus dans l’application du paragraphe 84(4), qui précise que les montants versés par une société à un actionnaire à l’égard d’un remboursement de capital en sus du capital versé des actions en question sont réputés constituer un dividende pour l’application de la Loi, y compris en ce qui concerne la retenue d’impôt des non‑résidents de la partie XIII.

 

[45]         Le paragraphe 84(4) figure à la sous‑section h de la partie I, section B, intitulée : « Les sociétés résidant au Canada et leurs actionnaires »; il prévoit ce qui suit :

 

84(4) Lorsqu’une société résidant au Canada a réduit, à un moment donné après le 31 mars 1977, le capital versé à l’égard de toute catégorie d’actions de son capital‑actions autrement que par le rachat, l’acquisition ou l’annulation de toute action de cette catégorie ou par une opération visée au paragraphe (2) ou (4.1) :

 

a) la société est réputée avoir payé au moment donné sur les actions de cette catégorie un dividende égal à l’excédent éventuel de la somme qu’elle a payée pour la réduction du capital versé sur le montant qui a été soustrait du capital versé à l’égard de cette catégorie d’actions de la société;

 

b) chacune des personnes qui détenaient au moment donné une ou plusieurs des actions émises est réputée avoir à ce moment reçu un dividende égal à la fraction de l’excédent visé à l’alinéa a) représentée par le rapport existant entre le nombre des actions de cette catégorie que détenait cette personne immédiatement avant ce moment et le nombre des actions émises de cette catégorie en circulation immédiatement avant ce moment.

 

[46]         Selon la position prise par la Couronne, la Loi prévoit un régime évident en ce qui concerne les montants distribués par une société, dont le paragraphe 84(4) fait partie, lequel part de la prémisse selon laquelle les montants que les sociétés distribuent à leurs actionnaires sont à inclure dans le revenu dans le cas des résidents ou sont assujettis à une retenue d’impôt dans le cas des non‑résidents.

 

[47]         Le ministre signale les nombreuses dispositions mentionnées ci‑dessus au paragraphe 31, lesquelles confirment, selon lui, ce régime, à savoir que les montants distribués par les sociétés doivent être imposés, sauf disposition expresse contraire.

 

[48]         L’intimée explique ensuite que le paragraphe 84(4) prévoit expressément le contraire pour les remboursements de capital, en excluant du revenu les montants distribués au titre d’un remboursement de capital qui n’excèdent pas le capital versé des actions aux fins de l’impôt. Toutefois, elle fait valoir que cela ne devrait pas s’appliquer aux augmentations du CV inappropriées ou factices. L’intimée maintient qu’en l’espèce, les appelantes ont contourné le paragraphe 84(4) au moyen d’un dépouillement abusif par dividendes.

 

[49]         La Couronne n’a pas présenté d’éléments extrinsèques portant sur l’intention du législateur à l’appui de la façon dont elle conçoit l’économie de la Loi.

 

B. Les contribuables

 

[50]         La position des contribuables, que je paraphrase et que je reformule peut‑être quelque peu, est en fait la suivante.

 

[51]         Une application claire et nette des dispositions précises de la Loi portant sur la détermination du capital versé de l’action de Holdings et du coût de cette action pour Products, ainsi que du coût pour Holdings des actions que celle-ci détient dans CAHL, a comme résultat clair et non ambigu d’établir ces attributs fiscaux et ces comptes à 167 millions de dollars.

 

[52]         Dans la même veine, le paragraphe 84(4) prévoit d’une façon claire et non ambiguë que Holdings avait le droit d’effectuer un remboursement de capital libre d’impôt en faveur de ses actionnaires, d’un montant pouvant atteindre 167 millions de dollars.

 

[53]         Essentiellement, les montants distribués par la société peuvent prendre deux formes, à savoir des dividendes et des remboursements de capital. (Les dividendes se répartissent en fait en dividendes imposables et en dividendes en capital. L’article 83 prévoit, d’une façon générale, que les dividendes en capital de sociétés privées sont libres d’impôt. À part ce principe général, les dividendes en capital ne sont pas visés par la portée nécessaire de la présente analyse).

 

[54]         L’économie de la Loi, en ce qui concerne l’imposition des montants distribués par une société en vertu de la partie I de la Loi applicable aux résidents canadiens, est que les dividendes imposables sont, au départ, à inclure dans le revenu en vertu de l’article 82, de nombreuses déductions et de nombreux rajustements étant par la suite effectués, en particulier en ce qui concerne la déduction des dividendes intersociétés prévue à l’article 112 dans le cas des sociétés actionnaires, et le crédit d’impôt à l’investissement et les dispositions de majoration figurant à l’alinéa 82(1)b) et à l’article 121, qui s’appliquent aux actionnaires particuliers. Le libellé des alinéas 12(1)i), j) et k) montre également clairement que ce sont les montants mentionnés dans la disposition particulière de la Loi qui sont à inclure dans le revenu au titre de dividendes reçus d’une société.

 

[55]         En ce qui concerne les distributions effectuées par une société au moyen de remboursements de capital, l’économie de la Loi indique au départ, à l’article 84, que seuls les montants distribués en sus du capital versé des actions sont à inclure dans le revenu. Cette approche initiale est assujettie à des rajustements supplémentaires, principalement au moyen de rajustements apportés aux montants du capital versé dans certaines circonstances, y compris certaines dispositions anti‑évitement précises telles que l’article 84.1 dans le cas des résidents et l’article 212.1 dans le cas des non‑résidents.

 

[56]         Une telle approche est au départ fondée sur une disposition précise de la Loi à l’égard des dividendes et sur une disposition précise de la Loi à l’égard des remboursements du capital versé. Selon le ministre, l’économie de la Loi est au départ fondée sur ce qui est, aux dires de la Couronne, une prémisse implicite selon laquelle tous les montants distribués par une société doivent être imposés. En fait, l’hypothèse de départ de la Couronne n’est pas fondée sur la Loi, mais sur une prémisse non énoncée et non étayée selon laquelle les montants distribués par une société doivent être imposés, à moins qu’une exception ne soit établie. Selon la position prise par la Couronne, les régimes législatifs applicables aux dividendes, aux articles 82 et 112 et ainsi de suite, et les régimes qui s’appliquent aux distributions de capital, à l’article 84 et ainsi de suite, constituent des exceptions à la règle générale non énoncée.

 

[57]         Dans le cas des non‑résidents, la partie XIII de la Loi n’indique pas de régime, en ce qui concerne l’approche applicable à l’imposition des montants distribués par une société, en sus (i) du paragraphe 212(2), qui prévoit que les dividendes, y compris les dividendes réputés qui peuvent résulter de remboursements de capital en vertu du paragraphe 84(4), doivent être assujettis à l’impôt retenu des non‑résidents, et (ii) de la règle anti‑évitement précise, à l’article 212.1, qui s’applique aux dépouillements de surplus (dividendes) qui y sont décrits, laquelle est à peu près semblable à l’approche adoptée à l’article 84.1 à l’égard des dépouillements de surplus (dividendes) par des contribuables résidant au Canada.

 

[58]         Une fois que le billet de WCA a cessé d’être dû à CAHL par WCA, il a fallu procéder à une réorganisation en vue d’éliminer l’inefficacité fiscale restante susmentionnée. En décidant de la façon d’effectuer la réorganisation nécessaire, le groupe Collins & Aikman a légitimement envisagé de réduire le plus possible l’impôt en décidant de la meilleure façon d’éliminer l’interposition d’une société non résidente d’un ressort qui n’était pas partie à une convention fiscale entre les sociétés canadiennes du groupe Collins & Aikman et leur société mère américaine ultime (Products and Collins & Aikman Corporation). Il était tout à fait légitime d’agir ainsi, conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Inland Revenue Commissioner v. Duke of Westminster, [1936] A.C. 1 (C.L.), et cela ressemble à la situation dans laquelle se trouvait le contribuable dans l’affaire Geransky v. The Queen, 2001 DTC 243.

 

VI. Analyse

 

A. L’économie de la Loi telle qu’elle s’applique aux distributions effectuées par une société

 

[59]         Essentiellement, la partie la plus importante de la présente analyse consiste à déterminer l’économie de la Loi telle qu’elle s’applique aux distributions effectuées par une société. L’économie de la Loi, comme le maintient la Couronne, vise‑t‑elle à inclure dans le revenu les montants distribués par une société, sauf dispositions précises contraires de la Loi dans des circonstances particulières ou dans une mesure particulière? Ou l’économie de la Loi, dont fait partie le paragraphe 84(4), prévoit‑elle (i) que les dividendes versés par des sociétés sont inclus dans le revenu, sauf dans les circonstances ou dans la mesure où la Loi prévoit le contraire, et (ii) que les montants distribués aux actionnaires par des sociétés autrement qu’au moyen de dividendes sont inclus dans le revenu uniquement dans la mesure où ils sont supérieurs au capital versé par les actionnaires à l’égard des actions, sous réserve de règles précises prévoyant le contraire dans certaines circonstances ou dans une certaine mesure?

 

[60]         La différence entre ces deux points de vue contradictoires est la suivante : la Couronne part d’une prémisse non énoncée, non exprimée par le libellé de la Loi, selon laquelle les montants distribués par une société constituent un revenu. La Couronne considère ensuite la théorie opposée, qui est au départ fondée ou basée sur des dispositions précises de la Loi, comme des exceptions à l’hypothèse de départ générale qu’elle adopte. Dans un cas comme dans l’autre, le paragraphe 84(4) fait partie de l’économie de la Loi pour ce qui est de l’imposition des montants distribués par les sociétés.

 

[61]         Je vais entreprendre l’analyse en ayant à l’esprit les remarques suivantes que la Cour suprême du Canada a faites dans l’arrêt Trustco Canada :

 

41        Les tribunaux ne peuvent chercher une politique prépondérante de la Loi qui n’est pas fondée sur une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique unifiée des dispositions en cause. Premièrement, une telle recherche est incompatible avec le rôle du juge qui effectue un contrôle. La Loi de l’impôt sur le revenu est un recueil de dispositions très détaillées et souvent complexes. Demander aux tribunaux de chercher une politique globale quelconque pour ensuite se servir de cette politique pour passer outre au libellé des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu reviendrait à confier indûment à l’appareil judiciaire l’établissement de politiques fiscales, et à demander aux juges d’accomplir une tâche à laquelle ils ne sont pas habitués et qu’ils ne sont pas en mesure d’accomplir. Le législateur a‑t‑il voulu que les juges établissent des politiques fiscales non fondées sur les dispositions de la Loi et qu’ils s’en servent pour passer outre aux dispositions précises de la Loi? Malgré les problèmes d’interprétation que pose la RGAÉ, nous ne voyons aucune raison de conclure que le législateur a voulu s’écarter à ce point des normes de justice et d’interprétation.

 

42                Deuxièmement, la recherche d’une politique prépondérante de la Loi de l’impôt sur le revenu qui n’est pas fondée sur une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique des dispositions invoquées pour obtenir l’avantage fiscal irait à l’encontre de la politique globale du législateur voulant que le droit fiscal soit certain, prévisible et équitable afin que le contribuable puisse organiser intelligemment ses affaires. Bien qu’en édictant la RGAÉ, le législateur ait eu pour objectif général de maintenir les mécanismes de réduction maximale légitime de l’impôt, tout en interdisant l’évitement fiscal abusif, il faut également considérer qu’il recherche l’uniformité, la prévisibilité et l’équité en matière de droit fiscal. Ces trois derniers objectifs seraient contrecarrés si le ministre et les tribunaux, ou l’un ou l’autre de ceux‑ci, passaient outre aux dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu sans se fonder sur une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de ces dispositions.

 

[62]         Je n’accepte pas le point de vue de la Couronne. Lorsqu’on examine les dispositions législatives portant sur les distributions effectuées par les sociétés, il n’est pas clairement nécessaire de prendre du recul par rapport à la Loi dans son ensemble, de partir d’une prémisse non énoncée, et de considérer ensuite la Loi comme énonçant uniquement les exceptions. Les articles 82, 112 et 121, ainsi que le paragraphe 84(4), indiquent au départ la façon dont les dividendes de sociétés et les autres montants distribués par les sociétés respectivement doivent être inclus dans le revenu. La sous‑section h de la Loi est rédigée en tant que régime, et non comme une série d’exceptions.

 

[63]         C’est principalement l’hypothèse de départ adoptée par la Couronne, quant à ce qui est, selon elle, l’économie de la Loi, qui diffère du régime opposé. En particulier, je ne suis pas porté à favoriser un tel écart par rapport à l’approche axée sur les dispositions de la Loi, lorsque la Couronne se fonde entièrement sur les dispositions de la Loi et ne se réfère à aucun élément extrinsèque dans l’examen contextuel du régime de la Loi qui s’applique à l’imposition des montants distribués par les sociétés ou dans l’examen contextuel du paragraphe 84(4).

 

[64]         C’est en me fondant sur cette interprétation de l’économie de la Loi que j’entreprendrai mon interprétation et mon analyse textuelles, contextuelles et téléologiques du rôle du paragraphe 84(4) avant de déterminer si les opérations contestées constituent un évitement fiscal abusif.

 

B. L’examen contextuel du paragraphe 84(4)

 

[65]         Le régime contextuel de la Loi qui s’applique aux montants distribués par une société qui ne sont pas des dividendes a comme point de départ l’article 84, la prémisse étant que les montants distribués en sus du capital versé pour les besoins de l’impôt calculé conformément aux dispositions précises de la Loi sont réputés constituer des dividendes et seront imposés comme tels entre les mains des résidents canadiens et des non‑résidents. Je rejette le régime contextuel préconisé par la Couronne, selon lequel le paragraphe 84(4) doit être interprété dans le contexte d’un régime voulant que les montants distribués constituent un revenu, le paragraphe 84(4) excluant le capital versé de cette prémisse. Cette prémisse de départ n’apparaît pas dans la législation; on ne m’a renvoyé à aucun élément extrinsèque à l’appui, indépendamment des dispositions de la Loi, et il s’agit d’une hypothèse de départ inutile et quelque peu redondante. Une analyse contextuelle devrait, dans la plus grande mesure possible, suivre l’agencement de la Loi de l’impôt sur le revenu elle‑même, à moins que des éléments extrinsèques, le stare decisis ou d’autres considérations ne donnent à entendre le contraire.

 

C. L’examen textuel

 

[66]         Le paragraphe 84(4) prévoit uniquement que les montants distribués par les sociétés en sus du capital versé de leurs actions sont considérés comme un revenu entre les mains des actionnaires qui reçoivent ces montants. En d’autres termes, les montants distribués sont libres d’impôt jusqu’à concurrence du montant du CV disponible pour les besoins de l’impôt et ils sont imposés à titre de dividendes dans la mesure où ils sont supérieurs au CV pour les besoins de l’impôt. Compte tenu des autres dispositions pertinentes de la Loi qui font partie de l’approche adoptée à l’égard de l’imposition des montants distribués par les sociétés, cette règle générale est assujettie à des dispositions anti‑évitement précises, dont aucune n’a été évitée en l’espèce. Ces dispositions anti‑évitement précises prennent souvent la forme de réductions ciblées ou de réductions du capital versé ou encore d’augmentations ou de majorations précises du capital versé, augmentant ou réduisant expressément le capital versé d’un montant approprié. Cela est communément fait afin de réduire les augmentations illégitimes ou factices du capital versé ou la comptabilisation multiple du capital versé par plus d’une société.

 

[67]         Conformément au reste de la Loi, le paragraphe 84(4) considère les sociétés individuelles faisant partie d’un groupe de sociétés comme étant des personnes juridiques distinctes et des contribuables distincts.

 

D. L’examen téléologique

 

[68]         L’objet du paragraphe 84(4) est clair et précis : de la même façon qu’il veut imposer les dividendes versés à l’aide des bénéfices nets après impôt d’une société, le Canada veut imposer à titre de revenu d’autres montants que les sociétés distribuent à leurs actionnaires, dans la mesure où ces montants sont supérieurs au capital versé des actions.

 

[69]         Le capital versé est un élément nécessaire important de l’approche adoptée dans la Loi à l’égard de l’imposition des montants distribués par les sociétés et il est expressément défini, d’une façon extensive, dans la Loi.

 

[70]         En résumé, le capital versé représente le montant que les actionnaires ont investi dans la société. Dans le cas où un actionnaire achète les actions d’un autre actionnaire, le prix d’achat est pertinent uniquement pour ce qui est du coût pour l’acheteur et du produit pour le vendeur, mais il n’augmente pas le capital versé des actions ou n’influe pas sur le capital versé des actions étant donné que l’opération de vente n’a pas entraîné l’investissement de fonds dans la société elle‑même. Comme il en a déjà été fait mention, le calcul du CV pour les besoins de l’impôt fait l’objet de majorations ou de réductions lorsqu’il convient de le faire selon ce qui est établi par la politique fiscale canadienne et par le législateur.

 

[71]         Donc, pour dire les choses simplement, l’objet du paragraphe 84(4) est d’imposer les montants, autres que les dividendes, qu’une société particulière verse à ses actionnaires, dans la mesure où le montant distribué excède le montant du capital investi dans cette société par ses actionnaires.

 

[72]         Il ne faut pas confondre la détermination de l’objet des dispositions ou des passages pertinents de la Loi et des points de vue abstraits au sujet de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas ou des théories arbitraires au sujet de ce que la loi devrait être ou devrait accomplir. Ces points de vue et ces théories sont inutiles dans une analyse législative téléologique et contextuelle et peuvent même être nuisibles, à moins d’être fondés sur la législation codifiée telle qu’elle existe réellement. L’objet du régime légiféré devrait ressortir d’une façon manifeste des dispositions de la Loi, corroborées par tout élément extrinsèque pertinent admissible. L’idée qu’une personne se fait de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas ou de ce qu’une bonne politique fiscale devrait prévoir ou ne devrait pas permettre n’est pas un élément extrinsèque admissible à ces fins.

 

E. L’économie de la Loi et le dépouillement du surplus

 

[73]         Une autre idée qui pourrait être avancée dans le cadre d’une analyse contextuelle en vue d’étayer les déterminations fondées sur la RGAE est de savoir si l’économie de la Loi interdit le dépouillement par dividendes ou le dépouillement du surplus, les dividendes ainsi reçus devant être imposés à titre de revenu.

 

[74]         Dans la première décision portant sur la RGAE qui a été rendue en vertu de la Loi, McNichol et al. v. The Queen, 97 DTC 111 (C.C.I.), il a été conclu à l’existence d’un tel régime. La deuxième affaire de RGAE se rapportait également au dépouillement du surplus par dividendes; la décision y afférente a été rendue par l’ancien juge en chef Bowman qui, dans la décision RMM Canadian Enterprises Inc. et al. v. The Queen, 97 DTC 302 (C.C.I.), a également reconnu, dans une remarque incidente, l’existence de pareil régime.

 

[75]         Dans la décision RMM Canadian Entreprises, le juge en chef Bowman a dit ce qui suit (page 313) :

 

Je me contenterais d'ajouter que la Loi, considérée dans son ensemble, prévoit que la répartition du surplus d'entreprise entre les actionnaires doit être imposée à titre de paiement de dividendes.  Une opération qui est par ailleurs dépourvue de tout objectif commercial, et dont le but réel est de dépouiller le surplus de l'entreprise et d'éviter les conséquences ordinaires de pareille répartition, constitue un abus de la Loi dans son ensemble.

 

[76]         Malgré ces premiers succès initiaux, il n’a pas été clairement reconnu, dans certaines décisions subséquentes, que telle était l’économie de la Loi. De fait, dans la décision Evans c. la Reine, 2005 CCI 684, 2005 DTC 1762, rendue après qu’un jugement eut été rendu dans l’affaire Trustco, le juge en chef Bowman a en bonne partie rejeté la décision à laquelle il était arrivé dans l’affaire RMM Canadian Enterprises, lorsqu’il a dit ce qui suit :

 

30        Le seul fondement que je pourrais invoquer pour confirmer l’application de l’article 245 par le ministre serait de découvrir un principe déterminant du droit fiscal canadien exigeant que la répartition du revenu des sociétés aux actionnaires soit imposée à titre de dividendes, et que, dans le cas où elle ne le serait pas, le ministre soit autorisé à ne pas tenir compte d’une demi‑douzaine d’articles précis de la Loi. Selon les décisions de la Cour suprême du Canada, c’est précisément ce que nous ne pouvons pas faire.

 

[...]

 

34        Les avocats allèguent que les faits de la présente affaire sont similaires aux faits dans l'affaire McNichol c. La Reine, 97 DTC 111, à l'égard de laquelle le juge Bonner a rendu une décision, et aux faits dans l’affaire RMM Canadian Enterprises Inc. c. La Reine, 97 DTC 302, une décision que j’ai moi‑même rendue. Il s'agit de litiges mettant en jeu la règle générale anti‑évitement, et nous ne bénéficiions pas des directives de la Cour suprême du Canada que nous avons de nos jours. Si nous avions bénéficié des points de vue de la Cour suprême du Canada, notre analyse aurait pu être passablement différente. Le principal fondement de ma décision dans le dossier RMM Canadian Enterprises Inc, c’était le paragraphe 84(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Il faut se rappeler que ce que les appelants tentaient de contourner dans les affaires RMM et McNichol, c’était les dispositions du paragraphe 84(2). Ce n’est pas le cas dans l’affaire qui nous occupe. La société 117679 poursuivait ses activités et, dans les faits, elle versait des dividendes. Le cas n’est pas analogue aux affaires RMM et McNichol. Quoi qu’il en soit, le renvoi à ces deux affaires précoces ne permet pas, à mon avis, à la Couronne de s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe selon la Cour suprême du Canada.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[77]         Dans la même veine, dans la décision Copthorne Holdings Ltd. c. The Queen, 2007 DTC 1230, la juge Campbell a dit ce qui suit au paragraphe 73 :

 

La Loi renferme de nombreuses dispositions qui visent à empêcher le dépouillement du surplus, mais l’analyse fondée sur le paragraphe 245(4) doit être fermement axée sur une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique unifiée des dispositions pertinentes. Cela étant, il ne convient pas de se fonder sur une politique générale empêchant le dépouillement du surplus pour établir un évitement fiscal abusif.

 

[78]         Dans le même ordre d’idées, la juge Lamarre a dit ce qui suit au paragraphe 56 de la décision McMullen v. The Queen, 2007 DTC 286 :

 

En conclusion, l’intimée n’a pas réussi à me convaincre ou n’a pas présenté de preuve établissant qu’il y a eu abus de la Loi, si elle est lue dans son ensemble, ou que la politique de la Loi, si elle est lue dans son ensemble, vise nécessairement à imposer entre les mains des actionnaires les sommes distribuées par les sociétés au titre de dividendes. Quoi qu’il en soit, comme la Cour suprême du Canada l’a dit, « [s]’il n’est pas certain qu’il y a eu évitement fiscal abusif, il faut laisser le bénéfice du doute au contribuable » [...]

 

[79]         Les remarques du juge en chef Bowman, de la juge Campbell et de la juge Lamarre s’appliquent également en l’espèce.

 

F. Les opérations contrecarraient‑elles l’objet ou l’esprit du paragraphe 84(4) et des autres dispositions en question?

 

[80]         Je passerai maintenant à la seconde étape, à savoir si la réorganisation de Collins & Aikman et les distributions constituaient un évitement fiscal abusif.

 

[81]         Les opérations ne s’appuyaient pas sur quelque disposition précise de la Loi afin d’accomplir ce que cette disposition visait à empêcher.

 

[82]         Les opérations n’allaient pas à l’encontre de la raison d’être ou de l’objet de l’une ou l’autre des dispositions précises applicables ou invoquées.

 

[83]         En l’espèce, il s’agit en réalité de savoir si les opérations contestées, qui contournaient l’application du paragraphe 84(4), ont donné lieu à un abus, d’une manière qui contrecarre l’objet ou l’esprit du paragraphe 84(4) et l’économie générale de la Loi, telle qu’elle s’applique à l’imposition des montants distribués par les sociétés.

 

[84]         Avant que la série d’opérations soit conclue, CAHL était un non‑résident qui n’était pas assujetti au régime fiscal canadien, sauf que, comme tous les non‑résidents, elle était assujettie à l’impôt retenu des non‑résidents sur tout revenu tiré d’un bien de provenance canadienne, comme les dividendes ou les intérêts reçus de Canadiens. Avant la réorganisation, CAHL valait 167 millions de dollars et son actionnaire, Products, aurait pu vendre CAHL afin de réaliser ses placements canadiens sans qu’un impôt canadien soit payable, et ce, parce que les actions de CAHL ne constituaient pas des biens canadiens imposables, selon la définition précise figurant dans la Loi qui indique les actifs qui ont un lien suffisant avec le Canada pour être considérés comme donnant lieu à des gains qui devraient être imposés au Canada lorsque ces gains sont réalisés par un non‑résident par suite de la vente de ces actifs.

 

[85]         La réalisation possible de gains libres d’impôt par suite de la vente de CAHL par Products ne dépendait pas de la résidence de CAHL dans un pays qui n’était pas partie à une convention fiscale; le Canada n’aurait pas imposé le gain si CAHL avait été résidente des États‑Unis. Cela ne dépendait pas de l’existence d’une convention fiscale; la Loi elle‑même ne cherche généralement pas à imposer les gains sur les actions de sociétés qui ne résident pas au Canada, et ce, même si ces sociétés ont peut‑être par le passé été constituées au Canada et même si leurs filiales en exploitation sont des résidents canadiens. Si Products avait réalisé les actions qu’elle détenait dans CAHL pour la somme de 167 millions de dollars, il n’y aurait pas eu d’impôt canadien payable et Products aurait pu investir la somme dans une société de portefeuille canadienne qui, de son côté, aurait pu acquérir un certain nombre de sociétés canadiennes en exploitation, comportant n’importe quelles caractéristiques fiscales imaginables et des comptes comme des comptes de CV. La Loi ne viserait pas à déterminer de nouveau ces comptes d’impôt ni à refuser un CV transfrontalier ou un prix de base de 167 millions de dollars.

 

[86]         La véritable raison pour laquelle le plan de réorganisation de Collins & Aikman fonctionnait en vertu de la Loi (sauf pour l’application possible de la RGAE) est que CAHL était une société de portefeuille non canadienne pour les sociétés canadiennes en exploitation et que CAHL pouvait faire l’objet d’une disposition, moyennant le versement de sommes en espèces ou au moyen d’une réorganisation, en faveur d’un tiers ou d’une personne liée, sans déclencher l’impôt canadien. Un tel gain serait uniquement imposable conformément aux lois fiscales du pays de résidence de CAHL et de celui de son actionnaire ou de ses actionnaires. Cela est entièrement conforme à l’économie de la Loi. Comme la Cour d’appel fédérale l’a dit dans l’arrêt Canada c. MIL (Investments) S.A., 2007 CAF 236, 2007 DTC 5437, « le point que soulève la DGAE est l’incidence de la fiscalité canadienne, non la renonciation du fisc [d’un autre pays] à des recettes publiques ».

 

[87]         Il y aurait plusieurs façons d’éliminer l’inefficacité fiscale qui restait en ce qui concerne le billet de WCA. CAHL pourrait transférer ses sociétés en exploitation à une société de portefeuille canadienne et remettre les actions de cette société à Products. Étant donné que CAHL est elle‑même une société de portefeuille, il y avait une autre solution : Products aurait pu abandonner CAHL à une société de portefeuille canadienne et faire en sorte que CAHL soit liquidée ou devienne un résident canadien. Étant donné les circonstances particulières afférentes au statut de non‑résident de CAHL, et puisque CAHL était déjà la société de portefeuille pour les sociétés canadiennes Collins & Aikman, il y avait une troisième solution : CAHL pouvait elle‑même devenir un résident canadien. Il y aurait indubitablement d’autres solutions également.

 

[88]         La détention par des non‑résidents de sociétés en exploitation canadiennes par l’entremise d’une société de portefeuille canadienne est une procédure d’exploitation passablement normale. Il est juste de dire que le contraire serait l’exception. Il s’agit d’une connaissance de base.

 

[89]         Le groupe Collins & Aikman a demandé des conseils professionnels sur la façon d’accomplir sa réorganisation et, ce faisant, il a envisagé la structure la plus appropriée pour s’assurer que des impôts canadiens ne soient pas par inadvertance ou inutilement déclenchés et qu’ils soient réduits au minimum dans l’avenir. Les contribuables reconnaissent que l’objectif principal, lorsque l’on a choisi d’accomplir la chose en transférant CAHL de Products à Holdings, était de bénéficier du CV transfrontalier élevé qui pouvait être utilisé afin de rembourser des fonds à Products en tant que capital libre d’impôt.

 

[90]         Le transfert de CAHL à Holdings avait pour effet d’assujettir CAHL à l’impôt canadien sur son revenu, impôt auquel elle n’était pas auparavant assujettie. Le transfert avait également pour effet d’assujettir les actionnaires de CAHL à l’impôt canadien sur les gains en capital futurs réalisés à l’égard de leur placement canadien (à moins qu’une convention fiscale que le Canada déciderait de conclure dans le cadre de l’approche adoptée à l’égard de l’imposition de non‑résidents sur un revenu de source canadienne ne prévoie le contraire).

 

[91]         La Loi renferme des règles concernant la façon de devenir une société résidant au Canada et d’être assujetti à l’impôt canadien. Ainsi, l’article 128.1 traite expressément des sociétés non résidentes qui deviennent des résidents canadiens, et les paragraphes 128.1(1), (2) et (3) prévoient des rajustements précis du CV. Dans la même veine, la Loi comporte des règles pour les non‑résidents qui possèdent des sociétés canadiennes. Ces règles sont assujetties à des changements intentionnels dans le réseau conventionnel international du Canada. Il n’a pas été soutenu que ces règles n’avaient pas été pleinement respectées. La Couronne n’a pas fait valoir que l’application de ces dispositions avait de quelque façon donné lieu à un abus. (Dans ses réponses modifiées, la Couronne a abandonné sa position précise, à savoir qu’il y avait eu abus dans l’application de l’article 128.2.) En ce qui concerne l’article 128.1, la Couronne a soutenu que cette disposition indique une intention de restreindre l’importation de CV étrangers préexistants. La chose est accomplie au moyen d’une réduction du CV par ailleurs déterminé par le passé pour la société étrangère immigrante. Toutefois, en l’espèce, l’intimée ne conteste pas le CV préexistant de la société immigrante, CAHL, ni de quelque autre société.

 

[92]         Le fait que CAHL était une société constituée au Canada qui ne résidait pas au Canada ne semble pas entrer en ligne de compte. Il semble que la même opération aurait pu être effectuée si CAHL avait été une société ordinaire non résidente constituée à l’étranger. Le fait qu’elle avait été constituée au Canada a probablement facilité son maintien en vertu de la LSAO et de la LCSA.

 

[93]         Dans le même ordre d’idées, le fait que CAHL a fusionné avec WCA et Borg ne semble pas entrer en ligne de compte. L’argent distribué aurait pu être transmis en franchise d’impôt d’une société canadienne à l’autre jusqu’à la principale société canadienne, Holdings, et être ensuite versé de la même manière à la société mère non résidente, Products, et sous réserve des mêmes conséquences fiscales canadiennes en vertu de la Loi. Le CV de chacune des sociétés canadiennes n’aurait pas été particulièrement pertinent. Cette fusion semble avoir simplement été une restructuration d’ordre administratif des sociétés canadiennes en une seule société de portefeuille à la place de Holdings et de CAHL et en une seule société en exploitation à la place de WCA et de Borg.

 

[94]         Lorsque Products a transféré ses actions de CAHL à Holdings dans le cadre de la réorganisation, la juste valeur marchande des actions de CAHL était de 167 millions de dollars. Par suite de ce transfert,

 

(i)          le produit de disposition des actions de CAHL, pour Products, était de 167 millions de dollars;

(ii)        le coût de l’action de Holdings que Products a reçue était de 167 millions de dollars;

(iii)      Holdings a ajouté un montant de 167 millions de dollars à son compte de capital déclaré;

(iv)      le capital versé de l’action de Holdings était de 167 millions de dollars;

(v)        le coût des actions de CAHL pour Holdings était de 167 millions de dollars.

 

[95]         Chacun de ces résultats est approprié et, selon moi, aucun d’eux n’est abusif. Chaque étape de la réorganisation était appropriée et, selon moi, aucune n’était abusive. Aucune des étapes de l’opération de réorganisation n’était conclue dans le vide ou n’était factice. Les opérations ne contrecarraient ou ne contournaient aucune politique ou disposition précise.

 

[96]         À cet égard, les opérations en l’espèce diffèrent de celles que la Cour et la Cour d’appel fédérale ont examinées dans Copthorne Holdings Ltd v. Canada, 2007 DTC 1230, confirmée par 2009 CAF 163. Dans cette affaire, les tribunaux ont pu identifier une disposition précise de la Loi -- la définition du « capital versé » -- qui, compte tenu de l’effet réciproque de cette disposition et des dispositions relatives au capital déclaré de la Business Corporations Act (Alberta), visait à éliminer le compte en double du CV lors d’une fusion, disposition qui avait intentionnellement été contournée ou évitée au moyen de l’ajout d’une étape, dans une série d’opérations effectuées par le contribuable, y compris une fusion. En l’espèce, le transfert de CAHL à Holdings par Products n’a pas été effectué en vue d’éviter une disposition de la Loi qui rejetterait par ailleurs l’admissibilité à titre de CV du montant payé à une société par un non‑résident en contrepartie de ses actions.

 

[97]         Au cours de l’argumentation, la Couronne a mis l’accent sur le fait qu’aucuns nouveaux fonds n’avaient été investis dans les sociétés canadiennes du groupe Collins & Aikman, de façon à justifier une augmentation du capital versé transfrontalier de 475 000 $ à 167 millions de dollars. La réponse à cette observation est simple. La Loi ne se limite jamais clairement à des opérations en argent. Elle tient toujours uniformément compte de la valeur en argent ou de la valeur équivalente, et ce, que ce soit dans le contexte d’avantages accordés aux employés et aux actionnaires, de montants attribués aux actionnaires, d’échanges d’actions ou du transfert libre d’impôt d’actifs dans des sociétés. La valeur en argent et toute valeur équivalente ne sont pas simplement incorporées dans le calcul du revenu, dans la Loi, mais il faut également les comptabiliser dans d’autres comptes établis pour les besoins de l’impôt, comme le coût et le capital versé. La définition du mot « montant » au paragraphe 248(1) le montre fort clairement.

 

[98]         Cela ne veut pas dire pour autant que de simples opérations sur papier survivront nécessairement à une contestation fondée sur la RGAE. Toutefois, dans ce cas‑ci, la réorganisation comportait des conséquences fiscales canadiennes réelles. Comme il en a déjà été fait mention, CAHL est devenue un contribuable canadien assujetti à l’impôt sur le revenu en vertu de la Loi, comme tout autre résident canadien. Autrefois, ce n’était pas le cas. Dans la même veine, l’actionnaire de CAHL, Products, une société américaine, a acquis des biens canadiens imposables assujettis au régime canadien des gains en capital à l’égard des actions qu’elle détenait indirectement dans CAHL dans l’avenir. Les dividendes que Products a reçus de Holdings (et indirectement de CAHL) seraient maintenant assujettis à l’impôt canadien retenu des non‑résidents prévu à la partie XIII. Le régime de la Loi établissant l’imposition des gains tirés de biens canadiens imposables par des non‑résidents, tel qu’il a été modifié par la convention fiscale que le Canada a conclue avec les États‑Unis, n’était pas non plus antérieurement pertinent en ce qui concerne la détention par Products des actions de CAHL.

 

[99]         La Loi canadienne énonce le régime d’imposition applicable aux résidents canadiens. Ce régime comporte des dispositions précises qui s’appliquent lorsqu’une société non résidente devient une société résidente, comme dans le cas de l’article 128.1 qui a été brièvement examiné ci‑dessus. Ces dispositions ont été rédigées lorsque les responsables de l’élaboration de la politique fiscale canadienne se sont expressément penchés sur la question même de ce qui devait arriver aux comptes canadiens pour les besoins de l’impôt d’une société qui devient résidente du Canada. Aucune de ces dispositions précises ne s’applique; sinon, il ne serait pas nécessaire de tenir compte de la RGAE.

 

[100]     Ces dernières remarques valent également pour le régime canadien d’imposition qui s’applique aux non‑résidents qui acquièrent un bien canadien imposable et à l’imposition de leurs gains, indépendamment de la façon dont le bien canadien imposable a été acquis, y compris le cas où le bien devient un bien canadien imposable par suite de quelque chose que la société émettrice fait, par exemple en achetant des biens immeubles canadiens ou des avoirs miniers canadiens ou en devenant un résident canadien.

 

[101]     Je pourrais également dire la même chose en ce qui concerne la modification des régimes fiscaux canadiens négociés et reconnus par le Canada dans les conventions fiscales auxquelles il est partie, et peut‑être avec encore plus de force.

 

[102]     Enfin, il en va de même pour les dispositions de la Loi qui traitent des opérations conclues par des personnes ayant entre elles un lien de dépendance, notamment celles qui portent sur des évaluations, sur le produit de disposition, sur le prix de base rajusté, sur le calcul du capital versé et sur la constatation ou le report de gains.

 

[103]     Les considérations les plus importantes, l’uniformité, l’équité et la prévisibilité, seraient fortement sapées si la RGAE devait être appliquée à la légère et confirmée compte tenu du fait qu’il n’y avait pas de nouveaux fonds, dans des circonstances où il y avait manifestement une valeur réelle ou une valeur en argent.

 

[104]     La réorganisation du groupe Collins & Aikman (qui ne constitue qu’une partie de la série contestée d’opérations, la seconde se rapportant aux distributions) est en soi un exemple clair des circonstances dans lesquelles il ne serait pas approprié de considérer les opérations comme un évitement fiscal abusif. Le Canada a adopté un régime interne prévoyant que, si une personne devient résident canadien, certaines choses précises influent sur ses comptes canadiens, pour les besoins de l’impôt. Dans la même veine, notre législation interne prévoit que, si une personne détient des biens canadiens imposables, le coût de ces biens, pour elle, sera déterminé d’une façon précise. Le Canada a convenu avec ses cosignataires de conventions fiscales que, si un résident d’un des pays en cause devient assujetti au régime fiscal canadien, d’autres considérations fiscales canadiennes précises s’appliqueront. Aucune distinction n’est faite, dans ces dispositions législatives canadiennes précises ou dans ces dispositions conventionnelles précises, entre de nouveaux fonds et la valeur. Je ne puis tout simplement pas voir le bien‑fondé de la position prise par la Couronne, lorsqu’elle affirme que cela contribue à faire de la réorganisation une série d’opérations qui constituent un évitement abusif de l’impôt canadien.

 

[105]     Bien que la question n’ait pas été expressément débattue, on peut se demander si l’application de la règle précise relative au dépouillement par dividendes figurant à l’article 212.1 a été évitée dans ce cas‑ci et si cet évitement peut être considéré comme abusif. L’article 212.1, comme la disposition correspondante, l’article 84.1, qui s’applique aux résidents, vise uniquement les transferts de sociétés canadiennes. Les conséquences fiscales de la réorganisation de Collins & Aikman auraient été fort différentes si l’article 212.1 s’appliquait au transfert des actions de CAHL de Products à Holdings. De fait, selon toute vraisemblance, une telle mesure n’aurait jamais été prise si CAHL avait été une société canadienne immédiatement avant la réorganisation. En d’autres termes, le succès du plan que l’on a choisi dépendait de la non‑application de l’article 212.1. Toutefois, je ne puis conclure que son application a été évitée dans le cadre de la série d’opérations, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, la raison technique est qu’il n’a pas été plaidé que la perte de la résidence canadienne par CAHL, en 1961, faisait partie de la série d’opérations, et selon toute vraisemblance il ne serait de toute façon pas possible de conclure qu’elle faisait partie de la série d’opérations. Et ce qui est encore plus important, du point de vue fondé sur le sens commun de la prévisibilité, de l’uniformité et de l’équité, CAHL a cessé d’être une société canadienne en 1961, bien avant que l’article 212.1 soit rédigé – et même bien avant la publication du rapport de la Commission Carter des années 1960, qui a donné lieu à une révision complète du système d’imposition canadien des sociétés au début des années 1970.

 

[106]     L’un des arguments particulièrement techniques des contribuables est qu’ils ne pouvaient pas avoir commis un abus dans l’application du paragraphe 84(4) étant donné qu’ils n’ont pas utilisé cette disposition et qu’ils n’y ont pas eu recours. Les contribuables maintiennent en fait que le paragraphe 84(4) ne s’appliquait pas parce que Holdings n’avait pas distribué de montants en sus de son capital versé. À l’appui de la thèse selon laquelle une disposition de la Loi ne peut pas donner lieu à un abus si elle n’est pas utilisée, les contribuables invoquent la décision rendue par la Cour, laquelle a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada c. Jabin Investments Ltd., 2002 CAF 520, 2003 DTC 5027.

 

[107]     Il n’est pas clair, à mes yeux, qu’un tel argument, qui traite séparément de l’abus dans l’application d’une disposition de la Loi et d’un abus dans l’application de la Loi lue dans son ensemble, est encore valable depuis que la Cour suprême du Canada a rendu son arrêt dans l’affaire Trustco. Dans cet arrêt, la Cour suprême préconise une approche unifiée qui combine quelque peu les dispositions du paragraphe 245(4), pour m’obliger à déterminer si la série contestée d’opérations en l’espèce a donné lieu à un abus dans l’application du paragraphe 84(4) lu dans le contexte de l’économie générale de la Loi, dont le paragraphe 84(4) fait partie.

 

[108]     Quoi qu’il en soit, je ne souscris pas à la prémisse des contribuables lorsqu’ils affirment que le paragraphe 84(4) ne s’applique pas, compte tenu de ses termes. Il s’agit peut‑être d’une question de sémantique, mais dans la législation fiscale en particulier, les mots que l’on choisit sont importants. Le paragraphe 84(4) s’applique chaque fois qu’une société rembourse du capital. Le début de cette disposition est libellé comme suit : « Lorsqu’une société résidant au Canada a réduit, à un moment donné [...] le capital versé à l’égard de toute catégorie d’actions de son capital‑actions [...] » Ces mots montrent clairement que l’application du paragraphe 84(4) est enclenchée et que cette disposition doit s’appliquer. Je suis d’accord pour dire (en l’absence de déterminations fondées sur la RGAE) que l’effet de l’application du paragraphe 84(4) est de ne pas présumer qu’un montant constitue un dividende eu égard aux circonstances. Cela ne veut pas pour autant dire que cette disposition ne s’appliquait pas aux opérations. Même si l’argument invoqué par les contribuables en ce qui concerne l’arrêt Jabin Investments est encore valable malgré l’approche préconisée dans l’arrêt Trustco à l’égard de l’interprétation du paragraphe 245(4), j’établirais un parallèle entre le fait que le paragraphe 84(4) s’appliquait à toute étape de la série d’opérations où il était utilisé, de sorte que son application peut avoir donné lieu à un abus.

 

[109]     En résumé, les raisons pour lesquelles la réorganisation et les opérations de recapitalisation du groupe Collins & Aikman permettaient, en l’absence de la RGAE, des remboursements de capital libres d’impôt par Holdings en faveur de Products sont les suivantes : (i) l’article 212.1 s’applique uniquement aux non‑résidents à l’égard de leurs sociétés canadiennes; or, CAHL n’était pas une société canadienne; (ii) Products pouvait disposer de ses actions de CAHL sans entraîner un impôt canadien sur les gains en capital parce que les actions de CAHL n’étaient pas des biens canadiens imposables étant donné que CAHL n’était pas un résident canadien; et (iii) il se peut que l’impôt payable dans le pays de résidence de CAHL ait été minime ou nul parce qu’il s’agissait d’un pays à faible imposition ou d’un pays dans lequel il n’y avait pas d’impôt. Ce sont peut‑être là les raisons pour lesquelles le plan que l’on a choisi était si efficace sur le plan fiscal, mais aucune de ces raisons ne comportait le degré de facticité, de hardiesse, de vacuité ou d’audace nécessaire pour être considérée comme une échappatoire ou un truc au sens commun du terme, ni comme un évitement fiscal abusif pour reprendre les termes de la Loi et de la RGAE. Comme le juge Paris l’a dit dans la décision Landrus c. La Reine, 2008 CCI 274, 2008 DTC 3583, le ministre a essayé d’utiliser la RGAE en vue de combler ce qu’il considère comme une lacune possible laissée par le législateur; il s’agit d’une utilisation inappropriée de la RGAE.

 

[110]     Pour les motifs susmentionnés, les appels des contribuables sont accueillis au complet, avec dépens, et les cotisations et déterminations sont renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvel examen, nouvelles cotisations et nouvelle détermination compte tenu du fait que la règle générale anti‑évitement figurant à l’article 245 ne s’applique pas à la réorganisation ou à la recapitalisation.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de juin 2009.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour d’août 2009

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


ANNEXE

 

COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT

 

Dossier : 2006-723(IT)G

ENTRE :

 

COLLINS & AIKMAN CANADA INC.,

appelante,

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

Dossier : 2006-724(IT)G

ENTRE :

 

COLLINS & AIKMAN HOLDINGS CANADA INC.,

appelante,

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

Dossier : 2006-722(IT)G

ENTRE :

 

COLLINS & AIKMAN PRODUCTS CO.,

appelante,

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

EXPOSÉ CONJOINT PARTIEL DES FAITS

 

________________________________________________________________

 

Les parties aux présentes, par l’entremise de leurs avocats respectifs, admettent, pour les besoins des présents appels seulement, l’exactitude des faits suivants; toutefois, elles pourront présenter, à l’instruction, des éléments de preuve supplémentaires, à condition que ces éléments ne soient pas incompatibles avec la présente entente.

 

A.  LES ENTITÉS

 

1.   Les présents appels se rapportent à un certain nombre d’opérations conclues par les sociétés ci‑après désignées, qui font toutes partie du même groupe multinational de sociétés (le « groupe ») :

 

      a)   Wickes Companies Inc., qui est par la suite devenue Collins & Aikman Corporation (« Wickes »);

 

      b)   Collins & Aikman Products Co., autrefois appelée Collins & Aikman Corporation (« Products »);

 

      c)   Collins & Aikman Holdings Ltd. (« CAHL »);

 

      d)   Collins & Aikman Holdings Canada Inc. (« Holdings »);

 

      e)   WCA Canada Inc. (« WCA »);

 

      f)    Borg Textiles Inc. (« Borg »);

 

      g)   Collins & Aikman Canada Inc. (« C&A »)

 

2.   Immédiatement avant la réorganisation décrite au paragraphe 14 ci‑dessous, le statut de ces sociétés et les relations existant entre elles étaient les suivants :

 

      a)   Wickes était un non‑résident du Canada au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi ») et elle était l’unique actionnaire de Products;

 

      b)   Products était un non‑résident du Canada au sens de la Loi et elle était l’unique actionnaire de CAHL;

 

      c)   CAHL a été constituée en personne morale au Canada en 1929, mais, après 1961, elle ne résidait pas au Canada pour l’application de la Loi. CAHL était l’unique actionnaire de WCA;

 

      d)   WCA résidait au Canada pour l’application de la Loi et elle était l’unique actionnaire de Borg;

 

      e)   Bord résidait au Canada pour l’application de la Loi;

 

      f)    Holdings et C&A n’existaient pas encore.

 

B.   LES APPELANTES

 

3.   Les appelantes sont C&A, Holdings et Products.

 

4.   C&A et Holdings sont des sociétés qui ont été constituées ou fusionnées au Canada; elles résident au Canada pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi »). Holdings n’est pas une société publique pour l’application de la Loi. Products est une société constituée en personne morale aux États‑Unis; elle ne réside pas au Canada pour l’application de la Loi.

 

C.  CAHL

 

5.   CAHL a été constituée, en 1929, en vertu de la Loi des compagnies (Canada).

 

6.   Entre le 27 février 1961 et la fin de l’année 1993 ou le début de l’année 1994, CAHL était une société qui ne résidait pas au Canada pour l’application de la Loi. Du 11 décembre 1980 jusqu’à sa fusion avec WCA et Borg, le 30 janvier 1994, (décrite au paragraphe 14 ci‑dessous), la majorité des administrateurs ou tous les administrateurs de CAHL étaient des résidents canadiens. Jusqu’au 3 décembre 1993, les pouvoirs des administrateurs de CAHL, en ce qui concerne la gestion de l’entreprise et des affaires de la société, étaient limités au moyen d’une convention unanime des actionnaires et, jusqu’à cette date, l’entreprise et les affaires de CAHL étaient gérées par des membres non résidents du groupe.

 

7.   De 1929 à 1961, CAHL exploitait une entreprise au Canada. Le 27 février 1961, CAHL a vendu tous ses actifs à sa filiale à cent pour cent, WCA, et elle a reçu un billet portant intérêt à recevoir (le « billet ») à titre de contrepartie. Par la suite, CAHL n’a pas exercé d’activités au Canada, et ses seuls actifs étaient les actions de WCA et le billet. Le 11 décembre 1980, CAHL a été prorogée en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA »).

 

8.   WCA a déduit les paiements d’intérêt afférents au billet dans le calcul de son revenu pour les besoins de l’impôt. CAHL a payé l’impôt de la partie XIII retenu sur les paiements qu’elle recevait ou qu’elle était réputée recevoir de WCA au titre des intérêts au taux légal de 25 % étant donné qu’elle n’avait pas le droit de se prévaloir des conventions fiscales bilatérales auxquelles le Canada était partie.

 

9.   Au mois de septembre 1991, CAHL a racheté ses actions privilégiées en circulation au prix d’environ 4 300 000 $; elle a réduit le capital déclaré de ses actions ordinaires d’environ 291 000 $ et elle a versé un dividende d’environ 8 500 000 $ sur ses actions ordinaires en cédant le billet à Products, lequel, avec les intérêts courus, s’élevait en tout à 13 091 000 $. Par suite de cette opération, (i) le seul actif restant de CAHL était constitué des actions de WCA; (ii) le capital déclaré et capital versé des actions de CAHL s’élevait à 475 176 $; (iii) le prix de base rajusté des actions de CAHL, pour Products, était d’environ 475 176 $.

 

D. LA RÉORGANISATION

 

10. Une fois conclues les opérations décrites au paragraphe précédent, les avantages fiscaux qui résultaient antérieurement du statut de non‑résident de CAHL ont été éliminés, mais les inconvénients découlant de ce statut sont demeurés les mêmes, y compris le taux élevé d’impôt canadien retenu applicable aux dividendes que WCA versait à CAHL.

 

11. À la fin de l’année 1991 ou au début de l’année 1992, le groupe a demandé à ses conseillers de songer à des façons de réorganiser la structure d’entreprise du groupe quant à ses avoirs canadiens.

 

12. Au début de l’année 1992, la haute direction du groupe a examiné et approuvé un projet de plan de réorganisation de la structure d’entreprise du groupe quant à ses avoirs canadiens.

 

13. La mise en œuvre de la réorganisation a été retardée pour un certain nombre de raisons liées aux activités de Wickes et à des questions d’évaluation. La réorganisation a finalement été mise en œuvre comme suit :

 

      a)   Le 1er novembre 1993, Holdings a été constituée en vertu de la LCSA. Holdings résidait au Canada pour l’application de la Loi;

 

      b)   Le 3 décembre 1993, Products a transféré à Holdings toutes les actions qu’elle détenait dans CAHL en contrepartie d’une action ordinaire de Holdings (l’« action de Holdings »). Products n’était pas assujettie à l’impôt au Canada à l’égard du gain en capital découlant de cette disposition parce que les actions de CAHL n’étaient pas des actions d’une société résidant au Canada;

 

      c)   Un montant égal à la juste valeur marchande des actions de CAHL, qui s’élevait à 167 millions de dollars, a été ajouté au compte de capital déclaré établi pour l’action de Holdings. Le coût de l’action de Holdings, pour Products, pour l’application de la Loi, était également de 167 millions de dollars, soit la juste valeur marchande des actions de CAHL que Products avait transférées à Holdings en échange de l’action de Holdings;

 

      d)   Dans le même ordre d’idées, le coût pour Holdings des actions de CAHL qu’elle avait acquises de Products était de 167 millions de dollars, soit la juste valeur marchande de l’action de Holdings émise par Holdings pour les actions de CAHL;

 

      e)   Le 26 janvier 1994, CAHL a été maintenue en vertu de la Loi sur les sociétés par actions (Ontario);

 

      f)    Le 30 janvier 1994, CAHL a fusionné avec WCA et Borg pour former C&A.

 

E.   LA STRUCTURE D’ENTREPRISE DU GROUPE APRÈS LA RÉORGANISATION

 

14. Après la réorganisation, la structure d’entreprise du groupe était la suivante :

 

      a)   Wickes n’était pas touchée par la réorganisation et elle a continué à être la société mère de Products;

 

      b)   Products était l’unique actionnaire de la nouvelle société de portefeuille Holdings résidant au Canada. Le capital déclaré et capital versé de l’action de Holdings était de 167 millions de dollars, et le prix de base rajusté de cette action, pour Products, était de 167 millions de dollars;

 

      c)   Holdings était l’unique actionnaire de la nouvelle société en exploitation résidant au Canada, C&A, issue de la fusion de CAHL, de Borg et de WCA. Le prix de base rajusté, pour Holdings, des actions de C&A était de 167 millions de dollars.

 

F.   DIVIDENDES ET REMBOURSEMENT DE CAPITAL

 

15. Le groupe a procédé au refinancement de ses activités canadiennes et américaines. À cet égard, les opérations suivantes ont été conclues en 1994 et en 1995 en tant que partie intégrante de la composante canadienne du refinancement du groupe :

 

      a)   Le 12 juillet 1994 ou vers cette date, C&A a emprunté 45 millions de dollars américains (correspondant alors à environ 58 millions de dollars canadiens) en vertu d’une convention de crédit datée du 22 juin 1994 conclue entre C&A, Products, Wickes, Continental Bank, N.A., Nationsbank, N.A., Chemical Bank et les prêteurs désignés dans l’entente;

 

      b)   Le 12 juillet 1994 également, C&A a déclaré un dividende de 58 002 000 $ en faveur de Holdings, et Holdings a réduit le capital déclaré (et le capital versé) de l’action de Holdings détenue par Products d’un montant de 58 002 000 $. Les fonds ont été virés par voie électronique du compte bancaire de C&A directement au compte bancaire de Products (étant donné que Holdings n’avait pas de compte bancaire) et Holdings a inscrit cette opération dans son grand livre;

 

      c)   Le 25 janvier 1995 ou vers cette date, C&A a reçu des remboursements des montants dus de Products et d’une filiale, de 23 324 310 $US et de 9 176 943 $US respectivement, soit en tout 32 501 253 $US;

 

      d)   Le 26 janvier 1995 ou vers cette date, C&A a déclaré en faveur de Holdings un dividende de 46 267 230 $ (correspondant alors à environ 32 700 000 $US);

 

      e)   Le 27 janvier 1995 ou vers cette date, Holdings a réduit le capital déclaré (et le capital versé) de l’action de Holdings détenue par Products d’un montant de 46 267 230 $. Encore une fois, les fonds ont été virés par voie électronique du compte bancaire de C&A directement au compte bancaire de Products (étant donné que Holdings n’avait pas de compte bancaire) et Holdings a inscrit cette opération dans son grand livre.

 

16. Aucun impôt n’a été payé ou retenu et versé au receveur général sur le montant d’environ 104,3 millions de dollars versé à Products à titre de remboursement de capital.

 

17. Le capital déclaré et capital versé restant de l’action de Holdings, une fois effectuées les réductions du capital dont il a ci‑dessus été fait mention, était de 62 730 770 $.

 

G. LES DÉTERMINATIONS ET LES COTISATIONS DU MINISTRE

 

18. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a appliqué la règle générale anti‑évitement (la « RGAE ») figurant à l’article 245 de la Loi et :

 

      a)   il a fait une détermination en vertu du paragraphe 152(1.11) de la Loi, dont l’avis est daté du 15 novembre 2000, en réduisant le capital versé et le prix de base rajusté, pour Products, de l’action de Holdings détenue par Products de 167 000 000 à 475 176 $;

 

      b)   il a fait une détermination en vertu du paragraphe 152(1.11) de la Loi, dont l’avis est daté du 15 novembre 2000, en réduisant le prix de base rajusté, pour Holdings, des actions de C&A détenues par Holdings de 167 000 000 à 475 715 $;

 

      c)   il a établi comme suit, à l’égard de Products, de Holdings et de C&A, des cotisations dont les avis sont datés du 24 novembre 2000, à l’égard de l’impôt de la partie XIII sur les montants versés à Products en sus de 475 176 $ :

 

            i)         Products a fait l’objet d’une cotisation conformément au paragraphe 212(2) de la Loi à l’égard de la réduction du capital par Holdings, en sus de 475 176 $;

 

            ii)        Holdings a fait l’objet d’une cotisation conformément aux paragraphes 215(1) et 215(6) de la Loi pour ne pas avoir retenu et versé l’impôt de la partie XIII à l’égard de sa distribution de fonds en faveur de Products. Des pénalités ont également été établies à l’encontre de Holdings à l’égard de l’impôt de la partie XIII conformément au paragraphe 227(8) de la Loi;

 

            iii)       C&A a fait l’objet d’une cotisation conformément aux paragraphes 215(2) et 215(6) de la Loi pour ne pas avoir retenu et versé l’impôt de la partie XIII à l’égard de sa distribution de fonds en faveur de Products pour le compte de Holdings. Des pénalités ont également été établies à l’encontre de C&A à l’égard de l’impôt de la partie XIII conformément au paragraphe 227(8) de la Loi.

 

19. Le ministre a depuis lors accepté d’annuler la cotisation relative aux pénalités en vertu du paragraphe 227(8) à l’encontre de Holdings et de C&A.

 

20. Au mois de février 2001, les appelantes se sont opposées aux cotisations et aux déterminations et, au mois de décembre 2005, le ministre a ratifié les cotisations et les déterminations.

 

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 299

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2006-722(IT)G, 2006-723(IT)G, 2006‑724(IT)G

 

INTITULÉ :                                       Collins & Aikman Products Co.

                                                          c. Sa Majesté la Reine, Collins & Aikman Canada Inc. c. Sa Majesté la Reine et Collins & Aikman Holdings Canada Inc. c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 7 et 8 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 3 juin 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats des appelantes :

Me Clifford L. Rand

Me Susan Thomson

Avocats de l’intimée :

Me Franco Calabrese

Me Jenny Mboutsiadis

Me Sandra K.S. Tsui

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour les appelantes :

 

                   Nom :                             Clifford L. Rand

 

                   Cabinet :                         Stikeman Elliot s.r.l.

                                                          Toronto (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Products était de son côté détenue par Wickes Companies Inc., qui est maintenant connue sous le nom de Collins & Aikman Corporation. Étant donné que Wickes est une société américaine qui a toujours possédé Products, cela n’est pas pertinent en ce qui concerne les opérations de réorganisation.

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