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Dossier : 2005-830(IT)G

 

ENTRE :

RONALD BALLANTYNE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[traduction française officielle]

 

________________________________________________________________

 

Appels entendus les 16, 17 et 18 mars 2009, à Winnipeg (Manitoba).

 

Devant : L'honorable juge Wyman W. Webb

 

Comparutions :

 

Avocats de l'appelant :

Me R. Ivan Holloway

Me Shawn Scarcello

 

Avocats de l'intimée :

Me Gérald L. Chartier

Me Melissa Danish

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l'égard des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 2001 et 2002 de l'appelant sont rejetés, avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de juin 2009.

 

 

« Wyman W. Webb »

Le juge Webb

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour d'octobre 2009.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 325

Date : 20090616

Dossier : 2005-830(IT)G

 

ENTRE :

RONALD BALLANTYNE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[traduction française officielle]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Webb

 

[1]     L'appelant est un Indien au sens de l'article 2 de la Loi sur les Indiens. En l'espèce, la question est de savoir si le revenu tiré par l'appelant de son entreprise de pêche en 2001 et en 2002 est exempté de taxation en application du paragraphe 87(1) de la Loi sur les Indiens. Dans l'affirmative, l'appelant n'était pas tenu de l'inclure dans le calcul de son revenu aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu et ce, en application de l'alinéa 81(1)a) de cette loi.

 

[2]     À la fin de la première journée d'audience, les avocats de l'appelant et de l'intimée ont déposé trois différents exposés conjoints des faits. Les faits dont les parties ont convenu sont exposés à l'annexe « A » des présents motifs. Les références aux pièces déposées n'ont pas été incluses.

 

[3]     Dans son avis d'appel, l'appelant affirme avoir interjeté appel au motif que son revenu était exempté de taxation en application de l'article 87 de la Loi sur les Indiens. L'appelant a aussi soutenu que le Traité numéro 5 lui confère le droit de pratiquer la pêche commerciale, et que l'imposition de son revenu de pêche viole les droits qui lui sont garantis par ce traité. Au début de l'audience, l'avocat de l'appelant a annoncé que son client avait abandonné son argument voulant que son revenu de pêche était exempté de taxation en application du Traité numéro 5, et qu'il fondait maintenant son appel sur un seul argument, à savoir que son revenu était exempté de taxation en application de l'article 87 de la Loi sur les Indiens. L'avocat de l'appelant a expliqué que cette décision avait été prise plusieurs mois avant l'audience, mais que l'avis d'appel n'avait pas été modifié pour supprimer les références à l'argument fondé sur le Traité numéro 5. Avant le début de l'audience, l'avis d'appel a été modifié afin de supprimer les références à cet argument. Ainsi, le seul argument soulevé par l'appelant est que son revenu était exempté de taxation en application de l'article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[4]     Les paragraphes 87(1) et 87(2) de la Loi sur les Indiens sont rédigés de la façon suivante :

 

87(1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l'article 83 et de l'article 5 de la Loi sur la gestion financière et statistique des premières nations, les biens suivants sont exemptés de taxation :

 

a) le droit d'un Indien ou d'une bande sur une réserve ou des terres cédées;

 

b) les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve.

 

(2) Nul Indien ou bande n'est assujetti à une taxation concernant la propriété, l'occupation, la possession ou l'usage d'un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l'un de ces biens.

 

[5]     L'appelant a soutenu que les biens meubles en cause sont les revenus qu'il a tirés de la pêche et non pas le poisson qu'il a vendu. Dans Williams c. La Reine, [1992] 1 R.C.S. 877, le juge Gonthier s'est prononcé de la sorte au sujet de l'application de l'article 87 de la Loi sur les Indiens aux prestations d'assurance‑chômage :

 

L'article 56 de la Loi de l'impôt sur le revenu porte sur l'imposition du revenu tiré de prestations d'assurance‑chômage. Cet article précise que les prestations d'assurance‑chômage qui sont « reçue[s] par le contribuable dans l'année » doivent être incluses dans le calcul du revenu de ce contribuable. Selon les parties, ce qui est imposé est une dette de la Couronne envers le contribuable au titre de l'assurance‑chômage à laquelle ce dernier est admissible. Ce n'est pas tout à fait le cas puisqu'il y a assujettissement à l'impôt non pas au moment où la dette prend naissance (à supposer que ce soit vraiment une dette), mais plutôt au moment où le montant est reçu par le contribuable. Toutefois, il est exact que l'imposition vise non pas l'argent entre les mains du contribuable, mais bien la réception par celui‑ci de l'argent en question. En conséquence, dans le cas des prestations d'assurance‑chômage, c'est le contribuable qui assume les conséquences fiscales à l'égard de l'opération, c'est‑à‑dire la réception des prestations.

 

L'arrêt de notre Cour Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, établit que la réception d'un revenu provenant d'un salaire constitue un bien personnel aux fins de l'exemption fiscale prévue par la Loi sur les Indiens. Je ne puis voir aucune différence à cet égard entre le revenu provenant d'un salaire et celui provenant de prestations d'assurance‑chômage; j'estime donc que la réception d'un revenu provenant de prestations d'assurance‑chômage constitue également un bien personnel aux fins de la Loi sur les Indiens.

 

L'arrêt Nowegijick établit également que l'inclusion d'un bien personnel dans le calcul du revenu d'un contribuable donne lieu à un impôt à l'égard de ce bien personnel au sens de la Loi sur les Indiens, bien qu'il s'agisse d'un impôt personnel plutôt que d'un impôt direct sur les biens.

 

[6]     L'article 9 de la Loi de l'impôt sur le revenu est la disposition qui prévoit que le revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise est le bénéfice qu'il en tire. Par conséquent, l'incidence fiscale relative à une entreprise est supportée par ce contribuable à l'égard des bénéfices que celui‑ci a tirés de l'entreprise. Dans le cas d'une entreprise de pêche, ce n'est pas le poisson lui‑même qui est visé, mais les bénéfices réalisés par la vente du poisson[1]. La vente du poisson, à elle seule, n'entraîne pas nécessairement l'application de l'impôt sur le revenu. Par exemple, si une entreprise est exploitée et du poisson vendu pendant une année donnée, mais qu'aucun bénéfice n'est réalisé, la Loi de l'impôt sur le revenu n'imposera aucune obligation fiscale à l'égard de l'entreprise pour cette année‑là. Il semble donc, à mon avis, que le bien en cause pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu n'est pas le poisson vendu, mais plutôt le bénéfice tiré par l'appelant de son entreprise de pêche, car l'obligation fiscale, sous réserve de l'application de la Loi sur les Indiens, est fondée sur le bénéfice réalisé. En l'espèce, la question est de savoir si le bénéfice tiré par l'appelant de son entreprise de pêche constitue un bien meuble situé sur une réserve.

 

[7]     Dans Williams, précité, le juge Gonthier a décrit de la sorte le critère des facteurs de rattachement qui permet de savoir si des biens meubles sont situés sur une réserve :

 

La méthode qui tient le mieux compte de ces préoccupations est celle qui analyse la situation sous le rapport des catégories de biens et des types d'imposition. Par exemple, la pertinence des facteurs de rattachement peut varier selon qu'il s'agit de prestations d'assurance‑chômage, de revenu d'emploi ou de prestations de pension. Il faut d'abord identifier les divers facteurs de rattachement qui peuvent être pertinents. On doit ensuite analyser ces facteurs pour déterminer le poids à leur accorder afin d'identifier l'emplacement du bien, en tenant compte de trois choses : (1) l'objet de l'exemption prévue dans la Loi sur les Indiens, (2) le genre de bien en cause et (3) la nature de l'imposition de ce bien. Il s'agit donc de déterminer, relativement à chaque facteur de rattachement, le poids qui devrait lui être accordé pour décider si l'imposition en cause de ce type de bien représenterait une atteinte aux droits de l'Indien à titre d'Indien sur une réserve.

 

[8]     Dans Folster c. La Reine, [1997] 3 C.F. 269, le juge Linden, après avoir fait référence au critère des facteurs de rattachement énoncé dans Williams, a fait le commentaire suivant :

 

[16]      [...] Ce nouveau critère n'a pas été conçu pour accorder le bénéfice de l'exemption d'impôt à tous les Indiens. Il ne visait pas non plus à exempter tous les Indiens qui résident sur une réserve. En proposant qu'il convient de se fonder sur une gamme de facteurs qui peuvent être pertinents pour déterminer le situs d'un bien, le juge Gonthier a plutôt cherché à garantir que l'exemption d'impôt réalise l'objet qu'elle est censée réaliser, c'est-à-dire préserver les biens détenus par des Indiens en tant qu'Indiens sur des réserves afin que leur mode de vie traditionnel ne soit pas menacé.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[9]     Dans Recalma c. La Reine, no A‑571‑96, 27 mars 1998, [1998] 2 C.T.C. 403, 98 D.T.C. 6238, le juge Linden s'est prononcé de la sorte au sujet des facteurs de rattachement :

 

[10]      Il est bien évident que les différents facteurs pourront avoir une importance différente dans chaque cas. Ce qui est extrêmement important, surtout en l'espèce, c'est le type de revenus que l'on veut assujettir à l'impôt. Lorsque le revenu est tiré d'un emploi ou qu'il s'agit d'un salaire, le lieu de résidence du contribuable, le type de travail effectué, l'endroit où le travail a été effectué et la nature de l'avantage qu'en tire la réserve ont une très grande importance (voir Folster, précité). Lorsque le revenu provient de prestations d'assurance-chômage, le facteur le plus important est de savoir où le travail ouvrant droit aux prestations a été effectué (voir Williams, précité). Lorsqu'il s'agit d'un revenu d'entreprise, le facteur primordial sera l'endroit où le travail a été effectué et où se trouve la source du revenu (voir Southwind c. La Reine, le 14 janvier 1998, dossier A‑760‑95 (C.A.F.)).

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[10]    En l'espèce, ce sont des revenus d'entreprise qui sont en cause. Le passage suivant est tiré de la décision du juge Linden dans Southwind c. La Reine, no A‑760‑95, 14 janvier 1998, [1998] 1 C.T.C. 265, 98 D.T.C. 6084 :

 

[12]      Me Bourgard a proposé, à juste titre, au nom de la Couronne, un ensemble plus complexe de facteurs à prendre en compte pour décider si le revenu de l'entreprise était situé sur la réserve. Il a suggéré que la Cour examine (1) le lieu où se déroulaient les activités de l'entreprise, (2) le lieu où se situaient les clients (débiteurs) de l'entreprise, (3) le lieu où sont prises les décisions touchant l'entreprise, (4) le type d'entreprise et la nature du travail, (5) le lieu du paiement, (6) la mesure dans laquelle l'entreprise participait au commerce général, (7) le lieu de l'établissement stable de l'entreprise et le lieu où étaient conservés les livres et registres, et (8) la résidence du propriétaire de l'entreprise.

 

[13]      Conformément à la conclusion tirée par le juge de la Cour de l'impôt, et après avoir pris en compte tous ces facteurs, je suis d'avis que le revenu de l'entreprise de l'appelant n'est pas visé par l'alinéa 87(1)b) parce qu'il ne s'agit pas d'un bien situé sur une réserve. Certes, il faut accorder du poids au fait que l'appelant réside sur la réserve, accomplit du travail administratif chez lui sur la réserve et entrepose les dossiers de l'entreprise ainsi que son matériel dont il est propriétaire sur la réserve lorsqu'il ne l'utilise pas, mais l'appelant participe selon moi à une entreprise qui ne fait pas partie intégrante de la vie sur la réserve, mais à une entreprise qui fait partie du « commerce général ».

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[11]    Quoique « la mesure dans laquelle l'entreprise participait au commerce général » ait été énumérée comme un des facteurs au paragraphe 12 de Southwind, au paragraphe 13 de ce même arrêt, ce facteur a été présenté comme une conclusion et il a été opposé au facteur de l'entreprise qui fait « partie intégrante de la vie sur la réserve ». Dans Recalma, précité, le juge Linden a fait l'affirmation suivante :

 

[9]        En évaluant les différents facteurs pertinents, la Cour doit décider de l'endroit où il est « le plus logique » de situer les biens meubles afin d'éviter de porter « atteinte à un bien détenu par un Indien en tant qu'Indien » dans le but de protéger le mode de vie traditionnel des autochtones. Dans l'évaluation des différents facteurs pertinents, il est également important de déterminer si l'activité qui a généré le revenu était « étroitement liée » à la réserve, c'est-à-dire si elle faisait « partie intégrante » de la vie dans la réserve, ou s'il est plus approprié de la considérer comme une activité accomplie sur « le marché ordinaire » (voir Canada c. Folster, [1997] 3 C.F. 269 (C.A.F.)). Il convient de préciser que le concept « du marché ordinaire » n'est pas un critère ayant pour but de déterminer si les biens sont situés dans une réserve; il s'agit simplement d'un élément qui aide à l'évaluation des divers facteurs à l'étude. Ce n'est absolument pas un critère déterminant. L'exercice de raisonnement primordial est de décider, en tenant compte de l'ensemble des facteurs de rattachement et en gardant à l'esprit l'objet de l'article, de l'endroit où sont situés les biens, c'est-à-dire si le revenu gagné fait « partie intégrante de la vie de la réserve », s'il est « étroitement lié » à cette vie, et s'il devrait être protégé pour empêcher de porter atteinte aux biens détenus par les Indiens en tant qu'Indiens.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[12]    Dans R. c. Shilling, [2001] 4 C.F. 364, la Cour d'appel fédérale s'est prononcée de la façon suivante :

 

[65]      Toutefois, dans le contexte de la détermination de l'emplacement de biens incorporels pour l'application de l'article 87, il faut mettre en contraste les expressions « sur le marché » et « partie intégrante d'une réserve » : Folster, précité, au paragraphe 14. [...]

 

[13]    Le passage suivant est tiré de la décision du juge Evans dans Horn c. La Reine, 2008 CAF 352 :

 

[10]      Néanmoins, nous sommes d'accord avec les appelantes pour dire que la réponse à la question de savoir si un revenu d'emploi est gagné sur le « marché ordinaire » est une conclusion qui dépend d'un examen des facteurs de rattachement et qui ne constitue pas en soi un élément déterminant pour établir que le revenu d'emploi n'est pas situé sur une réserve : Recalma c. Canada (1998), 158 D.L.R. (4th) 59 (C.A. F.), par. 9.

 

[14]    Les commentaires de la Cour d'appel fédérale à propos de la question de savoir si des revenus ont été obtenus dans le cours du commerce général s'appliquent peu importe que les revenus en question soient des revenus d'entreprise ou des revenus d'emploi, car, dans les deux cas, la question est de savoir si ces revenus constituent des biens meubles situés sur une réserve. Par conséquent, la question de savoir si les revenus d'entreprise de l'appelant ont été obtenus dans le cours du commerce général ne doit pas être analysée comme s'il s'agissait d'un facteur de rattachement; il faut plutôt se demander si l'analyse des facteurs de rattachement permet de conclure que les revenus d'entreprise de l'appelant ont été obtenus dans le cours du commerce général. De plus, comme il faut opposer le critère du « commerce général » à celui de la « partie intégrante de la vie sur la réserve », je suis d'avis que, pour l'application de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, une activité ne peut pas à la fois être menée dans le cours du « commerce général » et faire « partie intégrante de la vie sur la réserve ».

 

[15]    Dans Southwind, précité, la Cour d'appel fédérale a conclu qu'il faut tenir compte des facteurs de rattachement suivants pour décider si un revenu d'entreprise est situé sur une réserve :

 

(l)      le lieu où se déroulaient les activités de l'entreprise;

 

(2)     le lieu où se situaient les clients (débiteurs) de l'entreprise;

 

(3)     le lieu où sont prises les décisions touchant l'entreprise;

 

(4)     le type d'entreprise et la nature du travail;

 

(5)     le lieu du paiement;

 

(6)     la mesure dans laquelle l'entreprise participait au commerce général (comme je l'ai déjà expliqué, bien que cet élément ait été considéré comme un facteur de rattachement, la question est de savoir si l'analyse des facteurs de rattachement permet de conclure que l'entreprise de l'appelant participait au commerce général);

 

(7)     le lieu de l'établissement stable de l'entreprise et le lieu où étaient conservés les livres et registres;

 

(8)     la résidence du propriétaire de l'entreprise.

 

Le lieu où se déroulaient les activités de l'entreprise; le type d'entreprise et la nature du travail

 

[16]    La réserve de Grand Rapids, où l'appelant réside depuis sa naissance, est située sur la rive nord‑ouest du lac Winnipeg, près de l'embouchure de la rivière Saskatchewan. L'appelant pêche à deux endroits différents sur le lac Winnipeg. Pour se rendre au premier endroit, il met son bateau à l'eau derrière sa résidence. Pour se rendre au deuxième endroit (la baie Gull), l'appelant remorque son bateau avec sa camionnette et se rend à environ 45 milles de la réserve de Grand Rapids. En ligne droite, la région de la baie Gull se trouve à environ 15 milles de la réserve de Grand Rapids.

 

[17]    Selon ses calculs, l'appelant partageait à peu près également le temps qu'il passait à pêcher entre la baie Gull et l'endroit situé près de la réserve de Grand Rapids. L'appelant a reconnu qu'aucune partie du lac Winnipeg ne faisait partie de la réserve. Ainsi, lorsque l'appelant était sur l'eau, il n'était pas sur la réserve.

 

[18]    La saison de pêche débute généralement vers le 1er juin et dure six semaines. L'appelant détenait un quota de pêche qui limitait la quantité de poisson qu'il pouvait pêcher. Pour réduire ses frais, l'appelant essayait habituellement d'atteindre son quota le plus rapidement possible. D'ordinaire, l'appelant atteignait son quota et cessait de pêcher avant la fin de juin.

 

[19]    Durant la saison de pêche, l'appelant et son aide faisaient une ou deux sorties de pêche par jour. La première sortie commençait vers 5 h et se terminait vers 11 h. Avant de sortir, l'appelant passait environ une heure à se préparer, ou deux heures – en incluant le temps de déplacement – s'il se rendait pêcher à la baie Gull. À leur retour, l'appelant et son aide tranchaient la tête des poissons et les éviscéraient. Quoique l'appelant ait dit qu'il lui arrivait de vider le poisson dans le bateau, il a expliqué que cela était rare, et je prête foi à son témoignage à ce sujet.

 

[20]    Lorsque l'appelant pêchait dans la baie Gull, soit il vidait le poisson sur la rive (hors de la réserve), soit il transportait le poisson à la Grand Rapids Fishermen's Co‑op (la coopérative des pêcheurs de Grand Rapids, ci‑après la « coopérative »), qui se trouve sur la réserve de Grand Rapids, où le poisson était alors vidé. Je prête foi au témoignage de l'appelant voulant que le poisson était habituellement vidé à la coopérative. L'appelant a estimé que, pendant la saison de pêche, il passait environ deux heures par jour à vider le poisson et à faire d'autres travaux sur la terre ferme.

 

[21]    Par conséquent, si l'appelant ne faisait qu'une sortie de pêche pendant la journée, il passait environ trois heures à travailler sur la terre ferme (pour préparer son bateau et vider le poisson à son retour) et six heures sur l'eau. S'il se rendait à la baie Gull, il passait plus de temps à travailler sur la terre ferme, mais comme la baie Gull se trouve à 45 milles de la réserve de Grand Rapids, ce temps supplémentaire servait à ses déplacements entre la réserve et la baie Gull.

 

[22]    Lorsqu'il était sur l'eau, l'appelant fixait ses filets (habituellement entre six et dix filets) et les remontait.

 

[23]    Les jours où le poisson foisonnait, l'appelant faisait une deuxième sortie de pêche en soirée. Il partait alors vers 19 h et revenait vers 23 h. Cette sortie de quatre heures avait aussi lieu à l'extérieur de la réserve, car l'appelant allait sur le lac Winnipeg.

 

[24]    Une partie de l'entretien de l'équipement de pêche de l'appelant était faite sur la réserve, et le reste était fait dans la ville de Grand Rapids (hors réserve). L'appelant faisait ses opérations bancaires à la coopérative de crédit située sur la réserve.

 

[25]    Ainsi, l'appelant menait ses activités commerciales à la fois sur la réserve et à l'extérieur de la réserve. Comme l'appelant exploitait son entreprise pour son propre compte, il ne comptabilisait pas ses heures de travail. Il est très difficile de calculer le nombre d'heures qu'il a passé chaque année à travailler sur la réserve – pour préparer ses sorties de pêche, faire l'entretien de son équipement, nettoyer le bateau et les plateaux et vider le poisson – et à l'extérieur de la réserve – pour fixer et remonter les filets, vider le poisson à la baie Gull, organiser l'entretien fait à l'extérieur de la réserve et, parfois, acheter des fournitures à l'extérieur de la réserve. La majorité du temps consacré par l'appelant à son entreprise lors des journées où il pêchait était passé à l'extérieur de la réserve, soit sur le lac Winnipeg, soit à la baie Gull. Lorsque l'appelant pêchait sur le lac Winnipeg, il passait six heures sur le lac s'il ne faisait qu'une sortie, et dix heures s'il en faisait deux. Les journées où l'appelant pêchait, il passait environ trois heures à travailler sur la terre ferme. À mon avis, la tâche la plus importante dans l'exploitation d'une entreprise de pêche est la prise du poisson, ce qui, en l'espèce, était fait à l'extérieur de la réserve.

 

[26]    L'avocat de l'appelant a insisté sur l'importance du passage suivant, tiré de la décision du juge Bowie dans Bell c. La Reine, no 95‑1267(IT)G, 29 juin 1998, 98 D.T.C. 1857, [1998] 4 C.T.C. 2526, [1999] 1 C.T.C. 2086 :

 

[39]      En soi, le fait que le travail soit accompli ailleurs que dans la Réserve ne détermine rien. En fait, le travail pouvait seulement être fait ailleurs que dans la Réserve, car c'est là où le poisson se trouve. [...]

 

[27]    Je conviens que le fait que l'appelant prenait le poisson sur le lac Winnipeg n'est pas, à lui seul, déterminant. Par exemple, si l'appelant avait fait toutes ses prises sur le lac Winnipeg et avait vendu tout son poisson à des particuliers qui résidaient sur la réserve pour leur consommation personnelle, le résultat aurait pu être différent de celui de la présente affaire.

 

Le lieu où se situaient les clients

 

[28]    L'appelant vendait son poisson à un seul client : la coopérative, qui agissait à titre de mandataire de l'Office de commercialisation du poisson d'eau douce (l'« Office »). L'appelant soutient que la coopérative était son client, alors que l'intimée affirme que c'était plutôt l'Office.

 

[29]    L'Office achetait du poisson pris au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta, dans les Territoires du Nord‑Ouest et dans une partie du Nord‑Ouest de l'Ontario. Il achetait le poisson pris dans le lac Winnipeg par l'entremise de divers mandataires et coopératives. Certains de ces agents et coopératives étaient situés sur des réserves – la coopérative en cause était installée sur la réserve de Grand Rapids – et d'autres ne l'étaient pas. L'Office traitait de la même manière avec tous les pêcheurs, peu importe qu'ils soient Indiens (aux termes de l'article 2 de la Loi sur les Indiens), comme l'appelant, ou non.

 

[30]    La convention conclue par l'Office et la coopérative le 17 juin 2002 a été déposée en preuve. Bien que cette convention soit datée du 17 juin 2002, comme les parties ont convenu du fait que la coopérative achetait le poisson à titre de mandataire de l'Office pendant les deux années en litige, je présume qu'une convention similaire était en vigueur en 2001 et au début de 2002. L'article 3.01 de la convention est rédigé de la sorte :

 

[TRADUCTION]

 

3.01     Le mandataire achètera, pour le compte de l'Office, tout le poisson pêché légalement par un pêcheur que celui‑ci offre de vendre au mandataire [...]

 

[31]    L'article 5.03 de la convention stipule que :

 

[TRADUCTION]

 

5.03     Tous les fonds fournis par l'Office au mandataire pour que ce dernier paye les pêcheurs seront détenus en fiducie par le mandataire, pour le compte de l'Office, jusqu'à ce que les pêcheurs soient payés.

 

[32]    Ainsi, il est clair que la coopérative achetait le poisson pour le compte de l'Office, qu'elle ne pouvait pas vendre le poisson ainsi acheté à d'autres – car elle achetait, pour le compte de l'Office, tout le poisson légalement pêché qui lui était offert – et que les fonds fournis par l'Office à la coopérative étaient détenus en fiducie pour les pêcheurs jusqu'à ce que ceux‑ci soient payés.

 

[33]    Le passage suivant est tiré de l'ouvrage Bowstead and Reynolds on Agency, 17e édition, à la page 459 :

 

[TRADUCTION]

 

Sauf indication contraire, le mandataire qui conclut un contrat en prétendant agir pour le seul compte d'un mandant déclaré – que celui‑ci soit nommé ou non – n'est pas responsable de ce contrat envers le tiers, et il ne peut pas poursuivre ce tiers à l'égard du contrat.

 

« La règle générale quant au mandataire ne fait aucun doute : lorsqu'un mandataire conclut un contrat pour le compte d'un mandant, ce contrat lie le mandant et non pas le mandataire. De prime abord, en common law, le mandant est la seule de ces deux personnes qui peut poursuivre et être poursuivie. »

 

[34]    En l'espèce, il est clair que le mandant avait été déclaré. L'exposé conjoint des faits contient le passage suivant :

 

[TRADUCTION]

 

La coopérative achète du poisson en tant que mandataire de l'Office de commercialisation du poisson d'eau douce (l'« Office »). Toutes les prises de poisson de l'appelant sont achetées par la coopérative, qui agit pour le compte de l'Office.

 

[35]    Le témoignage de l'appelant a démontré sans contredit que ce dernier savait que la coopérative achetait le poisson à titre de mandataire de l'Office. Le passage suivant est tiré du témoignage de l'appelant :

 

[TRADUCTION]

 

Q :       Où livrez-vous le poisson que vous pêchez?

 

R :        À la coopérative des pêcheurs de Grand Rapids.

 

Q :       Savez‑vous où est envoyé le poisson livré à la coopérative?

 

R :        À l'Office de commercialisation du poisson d'eau douce.

 

Q :       Quand vous parlez de l'Office, le poisson est‑il envoyé à une installation précise de cette organisation?

 

R :        Oui, ici à Winnipeg, à Transcona.

 

Q :       Par qui êtes‑vous payé?

 

R :        Par la coopérative des pêcheurs de Grand Rapids.

 

[...]

 

Durant son contre‑interrogatoire, l'appelant s'est exprimé de la sorte :

 

[TRADUCTION]

 

Q :       Bon, une fois que vous avez livré le poisson à la coopérative, quand vous arrivez avec le bateau, que vous le déchargez, que le poisson est examiné et que le mauvais poisson est rejeté et que le bon poisson est trié, et ainsi de suite, et que vous recevez le rapport quotidien de prises, nous nous entendons pour dire que le poisson est transporté par camion jusqu'à Winnipeg, à l'usine de l'Office située à Transcona, n'est‑ce pas?

 

R :        Exact.

 

Q :       Donc, la coopérative achète votre poisson pour le compte de l'Office?

 

R :        Oui, la coopérative est un mandataire de l'Office.

 

Q :       Donc, la coopérative n'achète pas le poisson pour en faire quelque chose? Elle l'achète seulement dans un seul but – je veux dire, elle l'achète expressément pour l'Office? Serait‑il faux d'affirmer que la coopérative achète le poisson pour le compte de l'Office?

 

R :        Non.

 

Q :       Et l'Office fournit des fonds à la coopérative, qui se sert de ces fonds‑là pour vous payer en tant que pêcheur –

 

R :        Oui.

 

Q :       – c'est bien ça?

 

R :        C'est ça.

 

[...]

 

Q :       Alors, pendant les années en question, vous n'avez pas vendu vos prises de poisson à d'autres personnes que l'Office, n'est‑ce pas?

 

R :        Je vendais mon poisson à Grand Rapids, pas directement à l'Office. Je vendais mes prises au mandataire, la coopérative des pêcheurs de Grand Rapids.

 

Q :       D'accord, vous l'avez vendu – je veux dire, vous l'avez livré à la coopérative?

 

R :        Oui.

 

Q :       À la coopérative, la coopérative des pêcheurs de Grand Rapids?

 

R :        Oui.

 

Q :       Laquelle achetait le poisson pour le compte de l'Office, n'est‑ce pas?

 

R :        Exact.

 

Q :       Donc, aucune de vos prises, sauf – toutes vos prises étaient vendues à la coopérative, qui les achetait pour le compte de l'Office pendant ces années‑là, c'est bien ça?

 

R :        Oui.

 

Q :       Alors, pendant les années en cause, vous n'avez jamais vendu du poisson – de vos prises à des personnes qui habitaient la réserve?

 

R :        Non.

 

[36]    Les réponses données par l'appelant révèlent nettement qu'il savait que la coopérative agissait à titre de mandataire de l'Office. De plus, l'appelant est administrateur de l'Office depuis quelques années. Il avait aussi été administrateur de la coopérative. L'appelant recevait chaque semaine un relevé récapitulatif de ses prises. Le nom de l'Office était clairement indiqué sur ces relevés. Il n'y a aucun doute que l'Office avait été déclaré comme mandant. Je suis donc d'avis que c'est l'Office qui était le client de l'appelant.

 

[37]    Tout le poisson acheté par l'Office à Grand Rapids était expédié à Winnipeg par la coopérative. L'Office revendait ensuite le poisson à des clients au Canada, aux États-Unis et ailleurs dans le monde.

 

[38]    L'appelant a aussi soutenu que, comme l'Office (une société constituée par la Loi sur la commercialisation du poisson d'eau douce, L.R.C. 1985, ch. F‑13) est un mandataire de Sa Majesté du chef du Canada en application de l'article 14 de cette loi, il faut le traiter comme un organisme de la Couronne et considérer que le situs de l'Office est l'ensemble du Canada, et ce, conformément à l'arrêt Williams de la Cour suprême du Canada, précité. Cependant, je crois qu'il est important de tenir compte du contexte dans lequel le juge Gonthier de la Cour suprême a fait ses commentaires. Dans Williams, la question était de savoir si les prestations d'assurance‑chômage étaient exemptées de taxation en application de l'article 87 de la Loi sur les Indiens. Le juge Gonthier a formulé les observations suivantes au sujet de l'établissement du situs d'un organisme de la Couronne :

 

A – Le critère du situs des prestations d'assurance‑chômage

 

Les prestations d'assurance‑chômage constituent une assurance de remplacement de revenu, dont le montant est versé à une personne en chômage, à certaines conditions. Bien qu'on les qualifie souvent de « prestations » d'assurance‑chômage, le régime est fondé sur les cotisations des employeurs et des employés. Ces cotisations sont elles‑mêmes déductibles tant pour l'employeur que pour l'employé.

 

Il existe plusieurs facteurs de rattachement susceptibles d'être pertinents pour déterminer le lieu de la réception de prestations d'assurance‑chômage. On a proposé les suivants : la résidence du débiteur, la résidence de la personne qui reçoit les prestations, l'endroit où celles‑ci sont versées et l'emplacement du revenu d'emploi ayant donné droit aux prestations. On est naturellement porté à appliquer le critère traditionnel, savoir la résidence du débiteur. En l'espèce, le débiteur est la Couronne fédérale, par l'intermédiaire de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada. En se fondant sur l'art. 11 de la Loi sur le ministère et sur la Commission de l'emploi et de l'immigration, S.C. 1976‑77, ch. 54 (maintenant L.R.C. (1985), ch. E‑5, art. 17), qui prévoit que le siège de la Commission est situé dans la région de la Capitale nationale, la Commission prétend que la résidence du débiteur, en l'espèce, est Ottawa.

 

Cependant, l'établissement du situs d'un organisme de la Couronne à un endroit particulier du Canada présente des difficultés de nature conceptuelle. Dans la plupart des cas, il n'est pas nécessaire d'établir le situs de la Couronne. En droit international privé, le situs est utile pour régler les questions de compétence et celles du choix du droit applicable. En ce qui concerne la Couronne, ces questions ne se posent pas car elle est omniprésente au Canada et peut être poursuivie partout au pays. Les prestations d'assurance‑chômage sont aussi disponibles partout au Canada, à tout Canadien qui y est admissible. En conséquence, les objets qui sous‑tendent la détermination du situs d'un citoyen ordinaire ne s'appliquent pas à la Couronne et, notamment, à la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada en ce qui concerne la réception des prestations d'assurance‑chômage.

 

Cela ne signifie pas nécessairement que l'emplacement matériel de la Couronne est sans importance pour ce qui est des objets sous‑jacents de l'exemption fiscale prévue par la Loi sur les Indiens. Toutefois, cela laisse supposer que l'importance de la Couronne comme source des paiements visés en l'espèce réside peut‑être davantage dans la nature spéciale de la politique d'ordre public à la base des paiements, plutôt que dans le situs de la Couronne, en supposant qu'il soit possible de le déterminer. Par conséquent, la résidence du débiteur est un facteur de rattachement dont l'importance est limitée dans le contexte des prestations d'assurance‑chômage. Pour des raisons semblables, l'endroit où les prestations sont versées est d'une importance limitée dans ce contexte.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[39]    À mon avis, les observations du juge Gonthier dans Williams quant au situs d'un organisme de la Couronne ne peuvent pas être appliquées de la même manière à l'Office. Comme l'a souligné le juge Gonthier : « En droit international privé, le situs est utile pour régler les questions de compétence et celles du choix du droit applicable. » L'article 14 de la Loi sur la commercialisation du poisson d'eau douce est ainsi rédigé :

 

14. L'Office est, pour l'application de la présente loi, mandataire de Sa Majesté du chef du Canada.

 

[40]    La définition suivante est tirée de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F‑11 :

 

83(1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.

 

[...]

 

« société mandataire » Société d'État ayant la qualité de mandataire de Sa Majesté par déclaration expresse en vertu d'une autre loi fédérale.

 

[41]    L'article 98 de la Loi sur la gestion des finances publiques, précitée, est rédigé de la sorte :

 

98. À l'égard des droits et obligations qu'elle assume au nom de Sa Majesté ou au sien, une société mandataire peut ester en justice sous son propre nom devant les tribunaux qui seraient compétents si elle n'était pas mandataire de Sa Majesté.

 

[42]    Comme les tribunaux devant lesquels l'Office peut ester en justice sont ceux qui auraient compétence si l'Office n'était pas mandataire de Sa Majesté, les questions de compétence et celles du choix du droit applicable ne seraient pas tranchées de la même manière pour l'Office que pour la Couronne fédérale, agissant par l'intermédiaire de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada.

 

[43]    Comme l'a souligné le juge Gonthier dans Williams :

 

Cela ne signifie pas nécessairement que l'emplacement matériel de la Couronne est sans importance pour ce qui est des objets sous‑jacents de l'exemption fiscale prévue par la Loi sur les Indiens. [...]

 

[44]    En l'espèce, je crois que l'emplacement matériel de la Couronne a de l'importance. L'appelant exploite une entreprise dont l'activité commerciale est la vente d'un produit, le poisson. L'emplacement matériel de l'Office, Winnipeg, a de l'importance, car le produit vendu par l'appelant est transporté à l'extérieur de la réserve jusqu'à l'emplacement matériel de l'Office, à Winnipeg.

 

[45]    Dans Bell c. La Reine, no A‑527‑98, 18 mai 2000, [2000] 3 C.T.C. 181, 2000 D.T.C. 6365, le juge Létourneau a fait l'observation suivante :

 

[50]      [...] Comme la Chambre des lords l'a dit dans le jugement Unit Construction Co. Ltd. c. Bullock, [1960] A.C. 351, à la page 366, lord Radcliffe, et à la page 372, lord Cohen : [TRADUCTION] « une compagnie réside, aux fins de l'impôt sur le revenu, là où son entreprise réelle est exploitée [...] et l'entreprise réelle est exploitée là où la gestion et le contrôle centraux sont réellement assurés »; voir également Pet Milk Canada Ltd. c. Olympia and York Developments, (1974), 4 O.R. (2d) 640 (Prot. Ont.).

 

[46]    Comme l'explique l'exposé conjoint des faits, le siège de l'Office est fixé à Winnipeg, conformément à la Loi sur la commercialisation du poisson d'eau douce. L'exposé conjoint des faits révèle aussi que le conseil d'administration de l'Office se réunit six fois par exercice, à Winnipeg. Selon moi, pour décider du lieu de résidence de l'Office, il faut savoir où « la gestion et le contrôle centraux sont réellement assurés »[2]. Comme la gestion et le contrôle centraux de l'Office sont réellement assurés à Winnipeg, je conclus que l'Office réside à Winnipeg et, donc, à l'extérieur de la réserve.

 

[47]    L'observation suivante a été faite par le juge La Forest dans Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, à la page 131 :

 

Il est également important de souligner la conséquence de la conclusion que je viens de tirer. Le fait que la loi contemporaine, comme sa contrepartie historique, prenne tant de soin pour souligner que les exemptions de taxe et de saisie ne s'appliquent que dans le cas des biens personnels situés sur des réserves démontre que l'objet de la Loi n'est pas de remédier à la situation économiquement défavorable des Indiens en leur assurant le pouvoir d'acquérir, de posséder et d'aliéner des biens sur le marché à des conditions différentes de celles applicables à leurs concitoyens. Un examen des décisions portant sur ces articles confirme que les Indiens qui acquièrent et aliènent des biens situés à l'extérieur des terres réservées à leur usage le font aux mêmes conditions que tous les autres Canadiens.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[48]    Dans Folster, précité, le juge Linden a fait la remarque suivante :

 

Le juge La Forest a qualifié l'objet de la disposition créant l'exemption d'impôt essentiellement d'effort pour préserver le mode de vie traditionnel des collectivités indiennes en protégeant les biens que les Indiens possèdent en tant qu'Indiens sur une réserve. L'article 87 ne visait toutefois pas à remédier à la situation désavantageuse des Indiens sur le plan économique. Bien qu'il s'agisse d'un but louable, il n'appartient pas aux tribunaux d'essayer de l'atteindre en étirant les limites de l'exemption fiscale plus que ne le permet une interprétation de la loi fondée sur l'objet. Par conséquent, lorsqu'un autochtone décide d'entrer sur ce qu'on appelle le « marché » canadien, il n'y a aucun texte législatif qui l'exempte du paiement d'un impôt sur son revenu d'emploi, d'où l'exigence voulant que le bien meuble soit « situé sur une réserve ». La règle du situs fixe une limite interne à la portée de la disposition créant l'exemption fiscale en rattachant l'admissibilité à l'exemption à un bien détenu par un Indien sur une réserve. Par conséquent, comme je l'explique plus loin, lorsque les fonctions de l'emploi d'un Indien font partie intégrante d'une réserve, il existe une raison légitime d'appliquer la disposition créant l'exemption d'impôt au revenu provenant de l'exercice de ces fonctions.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[49]    Le passage suivant est tiré de la décision du juge Linden dans Southwind c. La Reine, précité :

 

[14]      Selon l'opinion exprimée par la Cour suprême dans l'affaire Mitchell, lorsqu'un Indien participe au « commerce général », il doit être assujetti aux mêmes conditions que les autres Canadiens auxquels il fait concurrence. Bien que la signification de cette expression ne soit pas claire du tout, il ne fait aucun doute qu'elle vise à distinguer les activités commerciales des Autochtones qui traitent avec des personnes situées principalement à l'extérieur de la réserve, plutôt que sur la réserve. Elle a pour but d'isoler les activités commerciales dont profite un Autochtone en particulier plutôt que l'ensemble de sa communauté, bien qu'il soit évidemment reconnu, comme l'a affirmé Me Nadjiwan, que la collectivité tire profit du fait qu'une personne assure la subsistance de sa famille.

 

[...]

 

[17]      En conclusion, soulignons que l'article 87 n'exonère pas tous les Autochtones résidant sur une réserve de l'impôt sur le revenu. Le processus appliqué pour déterminer le statut fiscal du revenu gagné par les Autochtones sur des réserves est devenu assez complexe et dépend d'une analyse subtile d'une série de facteurs. Certains croiront déceler certaines incohérences dans le traitement de différentes situations, mais chacune est tranchée selon les faits qui lui sont propres. Nous ne pouvons qu'évaluer ces facteurs et tracer des limites de notre mieux entre, d'une part, le revenu de l'entreprise et le revenu de l'emploi qui sont situés sur une réserve et font partie intégrante de la vie communautaire et, d'autre part, le revenu tiré principalement d'activités commerciales générales lorsqu'une personne travaille avec des personnes à l'extérieur de la réserve ou traite avec elles.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[50]    Je crois qu'il est important de souligner que, dans la présente affaire, les revenus en cause ont été tirés de la vente de biens, de poissons, plutôt que de la fourniture de services, comme c'est le cas dans plusieurs décisions portant sur le revenu d'emploi. Compte tenu des observations du juge La Forest et du juge Linden exposées ci‑dessus, je suis d'avis qu'il est important d'établir si, en vendant son poisson, l'appelant faisait affaire avec des personnes résidant sur la réserve ou avec des personnes résidant hors réserve. Je crois qu'en l'espèce, il faut accorder une grande importance au fait que l'appelant vendait toutes ses prises à l'Office, qui résidait à l'extérieur de la réserve. Le fait que l'appelant achetait de la glace, de l'essence et d'autres fournitures à la coopérative ne change en rien l'identité de la personne qui achetait le poisson de l'appelant.

 

Le lieu où sont prises les décisions touchant l'entreprise

 

[51]    En l'espèce, les décisions touchant l'entreprise étaient prises à la fois sur la réserve et hors réserve. Évidemment, lorsque l'appelant se trouvait sur le lac Winnipeg, le choix de l'emplacement de ses filets – décision vraisemblablement fort importante pour une entreprise de pêche – était fait hors réserve.

 

Le lieu du paiement

 

[52]    L'appelant était payé en deux étapes. D'abord, les pêcheurs (dont l'appelant) recevaient 85 % de la valeur marchande estimée du poisson qu'ils vendaient. Chaque semaine, l'appelant recevait, par chèque, un montant calculé en fonction de 85 % de la valeur marchande estimée du poisson et de la quantité livrée à la coopérative. Pour payer l'appelant, la coopérative se servait des fonds que l'Office lui fournissait. Comme je l'ai souligné précédemment, en vertu de la convention conclue avec l'Office, la coopérative reconnaissait détenir ces fonds‑là en fiducie pour l'appelant. Après la fin de la saison de pêche, la véritable valeur marchande du poisson était calculée, et l'appelant recevait un paiement final directement de l'Office. L'Office faisait affaire avec l'appelant de la même manière qu'avec tous les autres pêcheurs, peu importe que ceux‑ci soient Indiens (aux termes de l'article 2 de la Loi sur les Indiens) ou non.

 

Le lieu de l'établissement stable de l'entreprise et le lieu où étaient conservés les livres et registres

 

[53]    C'est la résidence de l'appelant, située sur la réserve, qui était le lieu de l'établissement stable de l'entreprise et le lieu où étaient conservés les livres et registres de celle‑ci. Entre les saisons de pêche, l'appelant entreposait son bateau et son équipement à sa résidence.

 

La résidence du propriétaire de l'entreprise

 

[54]    La résidence de l'appelant est située sur la réserve.

 

La conclusion compte tenu des facteurs de rattachement

 

[55]    L'analyse des facteurs de rattachement exposés précédemment m'amène à conclure que l'entreprise dont l'appelant tirait ses revenus participait au commerce général. Comme l'a souligné la Cour d'appel fédérale dans Recalma et Southwind, il faut accorder une grande importance à l'endroit où le travail a été effectué et à celui où se trouve la source du revenu. En l'espèce, l'appelant pêchait le poisson à l'extérieur de la réserve; pendant la saison de pêche, il passait la plus grande part de son temps de travail pour l'entreprise à l'extérieur de la réserve; il vendait tout le poisson pêché à l'Office, qui est situé à l'extérieur de la réserve et qui transportait le poisson à l'extérieur de la réserve le plus rapidement possible. L'appelant ne vendait aucune de ses prises sur la réserve. Il semble que le produit qui était vendu, le poisson, passait très peu de temps sur la réserve.

 

[56]    Dans Bell c. La Reine, précité, la Cour d'appel fédérale a conclu que les revenus de pêche (qui, dans cette affaire‑là, incluaient notamment les revenus de la personne qui était le président, l'unique actionnaire et le seul administrateur de la société qui employait les autres appelants) n'étaient pas exemptés de taxation. Le juge Létourneau a fait le commentaire suivant :

 

[39]      Les appelants invoquent, en tant que facteur de rattachement additionnel, le bien-être de la communauté autochtone et la vie dans une réserve. Selon cet argument, la capacité des appelants de pêcher et de subvenir à leurs besoins et aux besoins de leurs familles au moyen d'une activité qui est une activité autochtone traditionnelle leur permet de poursuivre leur mode de vie autochtone traditionnel dans la société contemporaine. Ils se fondent à cet égard sur le passage suivant de la décision que notre collègue le juge Linden a rendue dans l'affaire Folster, à la page 5323 :

 

À mon sens, quand le bien personnel en cause est un revenu d'emploi, il est logique de tenir compte du but principal et des fonctions de l'emploi sous-jacent dans le but précis de déterminer si l'emploi était exercé au profit des Indiens sur des réserves.

 

[Souligné par le juge Létourneau.]

 

[40]      J'aimerais souligner au départ que l'idée de bien-être invoquée par les appelants n'est pas un facteur de rattachement indépendant et autonome, mais qu'il s'agit plutôt d'une norme permettant d'apprécier le facteur relatif à la « nature de l'emploi ». Dans l'affaire Folster, l'appelante travaillait dans un hôpital qui desservait la communauté d'une réserve. Il est clair que, dans ce cas-là, l'hôpital fournissait des services aux gens de la réserve et que c'est le genre d'avantage directement lié à l'emploi, et résultant de l'emploi, que notre cour a retenu comme critère permettant d'apprécier le facteur relatif à l'« emploi ». Dans la décision McNab c. Canada, [1992] 2 C.T.C. 2547, à la page 2551, la Cour de l'impôt a conclu que la demanderesse travaillait pour un employeur dont l'unique mission consistait à améliorer les conditions de vie des Indiens dans les réserves. Le fait que les Indiens dans une réserve bénéficiaient du travail même qui était effectué était un élément commun à ces deux emplois. Dans la décision Amos et al. c. La Reine, 99 DTC 5333, notre cour a conclu que l'emploi de membres de la bande constituait un avantage pour la réserve parce qu'il existait entre la bande et la compagnie qui louait les terres de la bande une entente expresse prévoyant que ces terres louées dont l'utilisation faisait partie intégrante de l'exploitation de l'usine de pâte à papier de la compagnie seraient utilisées en vue de fournir de l'emploi aux membres de la bande. Notre cour a conclu que « les emplois en question étaient directement liés à la réalisation par la bande et ses membres de leurs droits fonciers sur les terres de la réserve », ibid., à la page 5335. En l'espèce, il n'existe aucune entente de ce genre, et comme il en a déjà été fait mention, les appelants ne représentent qu'une petite partie de l'ensemble des effectifs de la compagnie.

 

[41]      Il est certain que le fait que les appelants touchaient un salaire et qu'ils le rapportaient dans la réserve constituait un avantage économique pour la réserve, mais de toute évidence, ce ne sont pas des avantages de cette nature que cette cour a reconnus dans les arrêts Folster et Recalma, supra. De fait, comme cette cour l'a dit dans l'arrêt Southwind c. La Reine, 98 DTC 6084, à la page 6087 (C.A.F.), l'expression « commerce général » « a pour but d'isoler les activités commerciales dont profite un Autochtone en particulier plutôt que l'ensemble de sa communauté, bien qu'il soit évidemment reconnu [...] que la collectivité tire profit du fait qu'une personne assure la subsistance de sa famille ». Autrement, tout emploi exercé en dehors de la réserve, même en l'absence de tout lien, serait considéré comme ayant un effet bénéfique sur la vie dans la réserve et donnerait donc lieu à une exonération d'impôt. Tel n'est pas le but de l'article 87 de la Loi qui, comme le juge La Forest l'a dit dans l'arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, aux pages 130 et 131, ne vise pas à conférer un avantage économique général aux Indiens, mais vise plutôt à protéger les Indiens contre les tentatives que les non autochtones font pour les déposséder des biens qu'ils ont à titre d'Indiens, c'est‑à‑dire leur territoire et les chatels qui y sont situés.

 

[42]      Comme le juge de la Cour de l'impôt sur le revenu, je crois que les appelants « participe[nt] à une entreprise qui ne fait pas partie intégrante de la vie sur la réserve », mais à une entreprise qui fait partie du « commerce général » : Southwind c. La Reine, supra, à la page 6087 (C.A.F.). Je suis d'accord avec l'avocat de l'intimée pour dire que les appelants ne peuvent pas se soustraire au « commerce général » en affirmant simplement qu'en gagnant leur vie pour leur famille, ils assurent le bien-être de la communauté autochtone.

 

[43]      Les appelants soutiennent également que leur emploi confère plus qu'un avantage économique à la communauté autochtone : leur emploi permet aux membres de la bande de se livrer à leur mode de vie traditionnel, quoique dans un contexte moderne. À cet égard, le juge de la Cour de l'impôt a conclu, à la page 16 de sa décision, qu'« aucune preuve n'indique que l'activité de pêche de la compagnie donnant lieu aux revenus des appelants a un rapport étroit avec la Réserve ou un rapport historique, social ou culturel avec la Bande ou la Réserve ». En d'autres termes, rien ne montre que l'activité de pêche commerciale de la compagnie, par opposition à la pêche alimentaire annuelle à laquelle les appelants participaient au profit de la bande, était une activité étroitement liée à la bande ou à la réserve. Les appelants n'ont pas démontré que cette conclusion de fait est erronée. En l'absence d'un fondement factuel approprié à l'appui de l'allégation des appelants, nous devons faire des conjectures; or, ni les conjectures ni les suppositions bien intentionnées ne sauraient remplacer des éléments de preuve réels et probants.

 

[44]      En outre, en isolant comme facteur de rattachement le maintien et l'amélioration de la vie autochtone dans la réserve comme moyen de subvenir à leurs besoins, les appelants supposent et soutiennent que l'alinéa 87(1)b) de la Loi a un second objectif : l'exonération d'impôt qui y est prévue vise à assurer aux Indiens le droit de bénéficier des avantages qu'offrent leurs modes de vie traditionnels comme la chasse et la pêche. Ils affirment que les membres des premières nations pratiquaient le commerce et que, par conséquent, dans un contexte moderne, l'activité de pêche traditionnelle des Indiens, d'où ils tirent le revenu nécessaire pour poursuivre une carrière qui est conforme à leur identité autochtone, exige que cette activité soit accomplie sur le marché. Ils devraient donc avoir droit à l'avantage qu'offre une exonération d'impôt lorsqu'ils pratiquent la pêche commerciale.

 

[45]      À mon avis, on peut répondre brièvement à la prétention des appelants en disant qu'elle est contraire aux décisions que la Cour suprême du Canada a rendues dans les affaires Williams et Mitchell, supra, où la Cour a statué que les Indiens qui acquièrent, détiennent et aliènent des biens « sur le marché » doivent le faire aux mêmes conditions que leurs concitoyens. Heureusement ou malheureusement, dans notre société et dans le contexte modernes, le revenu tiré de la pêche commerciale faisant partie du marché est imposable. On ne doit pas attribuer à l'article 87 de la Loi une portée étendue en lui imputant un objectif trop général : voir Union of New Brunswick Indians et Tomah c. N.‑B. (Min. des Finances), (1998), 227 N.R. 92, à la page 115 (C.S.C.); voir également R. c. Lewis, [1996] 1 R.C.S. 921, où l'expression « dans la réserve » a été interprétée d'une façon stricte puisque la Cour a statué que cela ne voulait pas dire « adjacent à la réserve », mais à l'intérieur des limites de la réserve, et a ajouté que cette expression devrait être interprétée de la même façon partout où elle est utilisée dans la Loi.

 

[46]      En fin de compte, je suis convaincu, comme l'était le juge de la Cour de l'impôt, que les biens des appelants, tirés de la pêche commerciale effectuée avec une compagnie privée sur le marché, n'avaient, comme l'a dit le juge La Forest dans l'arrêt Mitchell, supra, à la page 137, aucun « lien direct et discernable avec l'occupation d'une réserve ».

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[57]    Comme l'a souligné le juge Sheridan dans Dumont c. La Reine, 2005 CCI 790 (conf. par la Cour d'appel fédérale, 2008 CAF 32) :

 

[7]        [...] Le commerce de la pêche relève des collectivités indiennes et non indiennes. [...]

 

La preuve historique

 

[58]    Lors de l'audition de l'affaire Bell, précitée, devant la Cour d'appel fédérale, les appelants ont voulu déposer en preuve des documents historiques supplémentaires relativement à leurs traditions de pêche. Le juge Létourneau a fait les observations suivantes au sujet de cette requête :

 

[26]      En fait, les appelants ont soutenu à l'audience, en réponse à une question que les juges leur avaient posée, que les documents étaient soumis afin d'établir qu'ils étaient membres d'une bande indienne de la côte qui pêchait par tradition. Ils ont concédé que les documents ne pouvaient toutefois pas établir que leur bande se livrait traditionnellement à la pêche commerciale et que, de toute façon, les documents en question n'étaient pas déposés à cette fin. Dans la mesure où les documents sont déposés aux fins énoncées, ils sont inutiles parce que le juge de la Cour de l'impôt a reconnu la tradition de pêche comme mode de vie parmi les Indiens de la côte. C'est ce qui ressort clairement du passage suivant de sa décision, à la page 17, lorsqu'il traite des activités de pêche alimentaire de la compagnie :

 

La pêche alimentaire a sans aucun doute ses racines dans les traditions des Indiens de la côte [...]

 

Toutefois, le juge avait des difficultés en ce qui concerne le fait qu'aucun élément de preuve ne montrait que la pêche commerciale était une tradition.

 

[...]

 

[29]      Le fait que les documents qui nous ont été soumis ne sont pas nécessaires suffit pour disposer de la requête. Toutefois, ce n'est pas tout. Ces documents sont également inutiles pour les motifs suivants :

 

[...]

 

[32]      Troisièmement, les documents ne sont pas utiles parce qu'il n'est pas contesté que la pêche commerciale à laquelle se livraient les appelants et la compagnie pour laquelle ceux‑ci travaillaient a eu lieu en dehors de la réserve et que rien ne nous permet de déterminer, en nous fondant sur ces seuls documents, si l'activité de pêche commerciale en question a été exercée dans les territoires de pêche mentionnés dans certains de ces documents. Quoi qu'il en soit, même si c'était le cas, ce fait ne peut rien changer à la nature de la pêche de laquelle les appelants tiraient leur revenu.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[59]    En l'espèce, l'appelant et l'intimée ont tous deux déposé en preuve des rapports d'experts portant sur l'histoire de la pêche dans la région de Grand Rapids. Dans les observations écrites déposées par son avocat, l'appelant a fait les affirmations suivantes :

 

[TRADUCTION]

 

[...] la preuve historique a de l'importance pour les raisons suivantes :

 

1.         elle a trait à la question de savoir si l'entreprise de l'appelant « fait partie intégrante de la vie sur la réserve »;

 

2.         elle a trait à la question de savoir si l'entreprise de l'appelant profite à l'ensemble de sa communauté ou à lui seul;

 

3.         elle a trait à la question de savoir, lors de l'analyse fondée sur l'objet visé par la loi, si les biens en cause sont « détenus par un Indien en tant qu'Indien ».

 

[60]    Dans son rapport, l'experte de l'intimée a présenté la conclusion suivante :

 

[TRADUCTION]

 

Dans la région de Grand Rapids, la pêche commerciale n'est pas apparue avant les années 1880, soit après la signature du Traité numéro 5, en 1875.

 

[61]    Dans son rapport, l'experte de l'appelant a fait l'affirmation suivante :

 

[TRADUCTION]

 

La pêche commerciale, quoiqu'elle n'ait qu'un lointain rapport avec la pêche pratiquée avec des lances et des filets par les premières peuplades, leur a permis de subvenir à leurs besoins au 21e siècle, comme ils le faisaient depuis des millénaires.

 

[62]    Les documents sur lesquels l'experte de l'appelant a fondé son analyse restent vagues quant à l'existence de la pêche commerciale avant la création de la réserve de Grand Rapids et la signature du Traité numéro 5 en 1875. À l'évidence, les auteurs des divers documents datant de cette époque ne cherchaient pas à faire une analyse détaillée de la question de savoir si les personnes dont les descendants allaient finalement habiter la réserve de Grand Rapids faisaient la pêche commerciale. Compte tenu de la situation géographique de la réserve, il semble évident que la pêche était une activité importante pour les personnes qui y habitaient, mais la question de savoir si la pêche commerciale y était pratiquée avant 1875 est différente.

 

[63]    La plupart des références relatives à l'existence de la pêche dans la région avant les années 1880 sont seulement des mentions d'activités de pêche ou du fait que des personnes y résidant vivaient bien de la pêche – ce qui pourrait simplement vouloir dire qu'elles mangeaient le poisson qu'elles prenaient. Pendant son interrogatoire, l'experte de l'appelant, Mme McCarthy, a fait les commentaires suivants au sujet d'une des sources sur lesquelles elle s'était fondée pour rédiger son rapport :

 

[TRADUCTION]

 

Q :       [...] Pouvez‑vous nous dire – vous affirmez que le poisson et les produits du poisson auraient pu être vendus le long de la rivière Saskatchewan au moment des premiers contacts. Sur quoi vous fondez-vous pour faire cette affirmation?

 

R :        Je me suis fondée, mais je tiens à souligner que lorsque je parle de vente, je ne veux pas dire qu'ils étaient payés en espèces. Il n'y avait pas d'argent. Ils faisaient du troc.

 

Mais, il était habituel que, dans les postes de traite de la Compagnie de la Baie d'Hudson, et j'ai lu un très grand nombre de journaux personnels, qui sont très ennuyeux, mais le poisson était un aliment de base dans les postes du Nord, comme le bison l'était dans les plaines, leur importance relative était la même, et la Compagnie de la Baie d'Hudson et la Compagnie du Nord‑Ouest établissaient leurs postes de traite là où le poisson était abondant, car c'est de cela dont ils se nourrissaient.

 

Ceux qui transportaient les marchandises étaient habituellement pressés de franchir les portages, et, à cette étape‑là, ils s'étaient sans doute nourris seulement de pemmican et d'aliments séchés depuis un bon bout de temps. Tout simplement – je crois que la vente de poisson aurait été une activité évidente pour ceux qui en avaient des surplus, surtout de l'huile d'esturgeon, qui représente un apport alimentaire considérable, et le poisson frais aurait constitué un apport considérable dans l'alimentation des voyageurs, cela leur aurait permis de varier leur alimentation.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[64]    Cependant, cela ne constitue pas une preuve de l'existence de la pêche commerciale. Il s'agit simplement d'une hypothèse de Mme McCarthy au sujet de ce qui pourrait être arrivé.

 

[65]    L'échange suivant, qui a eu lieu pendant le contre‑interrogatoire de Mme McCarthy, portait sur un autre document :

 

[TRADUCTION]

 

Q :       Donc, au bas de la page, vous dites – vous écrivez :

 

« Ceux qui vivaient à Grand Rapids vendaient aussi du poisson et de l'huile aux voyageurs et aux convois de bateaux qui passaient par là. Ils ne le faisaient pas toujours volontairement. Selon Émile Petitot, un prêtre des Oblats de Marie Immaculée, lorsque le convoi de bateaux de la Compagnie de la Baie d'Hudson sur lequel il voyageait en 1862 est arrivé en vue, les femmes cries se sont enfuies dans les bois pour y cacher leur esturgeon. Pendant ce temps, les hommes cris tentaient de distraire les bateliers métis en offrant de leur vendre des perches pour les aider à franchir les rapides. Toutefois, les bateliers ont accéléré la cadence, accosté et pris le poisson, et ce, malgré les protestations des Cris, qui affirmaient être pauvres et ne pas avoir de poisson à vendre. »

 

Je veux dire – est‑ce sur cela que vous vous êtes fondée pour conclure qu'il leur arrivait de vendre leur surplus de poisson?

 

R :        Oui, oui.

 

Q :       Mais, en fait, ce document révèle plutôt que le poisson a été pris sans le consentement des Indiens, n'est‑ce pas?

 

R :        Pas exactement, car ils ont protesté en disant qu'ils n'avaient pas de poisson à vendre. J'ai donc déduit qu'ils avaient l'habitude de vendre ou de faire le troc du poisson, mais que la pêche avait été mauvaise cette année‑là, et que les bateliers métis, qui étaient habitués d'obtenir du poisson, l'avaient quand même pris.

 

[66]    Encore une fois, la conclusion de Mme McCarthy voulant que les Indiens vendaient du poisson est fondée sur de la spéculation, et non pas sur des preuves. Cette fois‑ci, elle s'est fondée sur la déclaration négative portant qu'ils n'avaient aucun poisson à vendre.

 

[67]    L'échange suivant a aussi eu lieu entre l'avocat de l'appelant et Mme McCarthy :

 

[TRADUCTION]

 

Q :       Qu'en est‑il de, que savons-nous de – y a-t‑il eu – à un moment donné, la nature des activités de pêche dans la région a changé, n'est‑ce pas? Je parle de la fin du 19e siècle.

 

R :        Eh bien, oui, la pêche commerciale y était pratiquée dans les années 1880, au milieu de cette décennie‑là.

 

[68]    Dans les observations écrites déposées pour l'appelant, l'avocat de celui‑ci a fait l'affirmation suivante :

 

[TRADUCTION]

 

La nature des activités en cause est celle de la pêche, qui est pratiquée par les Indiens de la région de Grand Rapids, sous diverses formes, depuis au moins 250 ans. La pêche commerciale, peu importe comment on la définit, est pratiquée par les membres de la bande de Grand Rapids depuis au moins 120 ans. À la lumière des rapports de Mme McCarthy et de M. Lovisek, et des témoignages d'Albert Ross et de Ronald Ballantyne, force est de conclure que la pêche commerciale a été pratiquée par la bande de Grand Rapids, de façon plus ou moins ininterrompue, depuis les années 1880 et qu'elle a toujours eu de l'importance pour la bande depuis ce moment‑là.

 

[69]    Je prête foi à la conclusion de l'experte de l'intimée, présentée dans son rapport, voulant que la pêche commerciale ne soit pas apparue dans la région de Grand Rapids avant les années 1880. D'ailleurs, comme le montre le passage précédent, l'appelant partage cette conclusion. Cela s'est produit après la création de la réserve de Grand Rapids, en 1875. Pour conclure qu'une activité fait partie intégrante de la vie sur la réserve, en vue de décider si les revenus de l'appelant étaient situés sur la réserve, on ne peut se fonder sur une activité qui a commencé après la création de la réserve.

 

[70]    Si on adoptait l'approche proposée par l'appelant, c'est‑à‑dire que toute activité commencée après la création d'une réserve viendrait à faire « partie intégrante de la vie sur la réserve » après avoir été pratiquée durant une longue période, il faudrait alors conclure qu'une activité commencée aujourd'hui – dont les bénéfices seraient donc taxables – cesserait d'être taxable après un certain nombre d'années. Cette approche pose un problème évident : combien d'années faudrait‑il pour qu'une activité vienne à faire « partie intégrante de la vie sur la réserve »? De toute manière, je suis d'avis que le législateur n'avait pas l'intention d'appliquer l'exemption de taxation prévue à l'article 87 de la Loi sur les Indiens aux activités commencées après la création d'une réserve – qui seraient donc taxables – de façon à en faire des activités exemptées de taxation par le seul passage du temps.

 

[71]    Pour ce qui est de la question de savoir « si l'entreprise de l'appelant profite à l'ensemble de sa communauté ou à lui seul », je ne vois pas en quoi la preuve historique est pertinente. Il faut trancher cette question‑là en analysant les activités de l'appelant, et non pas les activités de personnes qui ont vécu et travaillé dans un lointain passé.

 

[72]    À l'égard de cette question, l'appelant a présenté des éléments de preuve montrant qu'il dépense son argent dans des entreprises situées sur la réserve. Dans Bell, précité, le juge Létourneau a fait les observations suivantes :

 

[41]      Il est certain que le fait que les appelants touchaient un salaire et qu'ils le rapportaient dans la réserve constituait un avantage économique pour la réserve, mais de toute évidence, ce ne sont pas des avantages de cette nature que cette cour a reconnus dans les arrêts Folster et Recalma, supra. De fait, comme cette cour l'a dit dans l'arrêt Southwind c. La Reine, 98 DTC 6084, à la page 6087 (C.A.F.), l'expression « commerce général » « a pour but d'isoler les activités commerciales dont profite un Autochtone en particulier plutôt que l'ensemble de sa communauté, bien qu'il soit évidemment reconnu [...] que la collectivité tire profit du fait qu'une personne assure la subsistance de sa famille ». [...]

 

[73]    Comme l'a souligné la Cour d'appel fédérale dans Bell, précité, le fait que l'appelant dépensait de l'argent sur la réserve ne constitue pas le genre d'avantage qui permet aux revenus de l'appelant d'être exemptés de taxation.

 

[74]    Pour ce qui est de savoir, « lors de l'analyse fondée sur l'objet visé par la loi, si les biens en cause sont détenus par un Indien en tant qu'Indien », le juge Linden, dans Folster, précité, a fait la remarque suivante après avoir fait référence au critère des facteurs de rattachement établi dans Williams :

 

Ce nouveau critère n'a pas été conçu pour accorder le bénéfice de l'exemption d'impôt à tous les Indiens. Il ne visait pas non plus à exempter tous les Indiens qui résident sur une réserve. En proposant qu'il convient de se fonder sur une gamme de facteurs qui peuvent être pertinents pour déterminer le situs d'un bien, le juge Gonthier a plutôt cherché à garantir que l'exemption d'impôt réalise l'objet qu'elle est censée réaliser, c'est-à-dire préserver les biens détenus par des Indiens en tant qu'Indiens sur des réserves afin que leur mode de vie traditionnel ne soit pas menacé.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[75]    À mon avis, le mode de vie traditionnel d'un groupe d'Indiens n'inclut pas des activités commencées après la création de leur réserve. Par conséquent, un mode de vie basé sur la pêche commerciale, qui n'a pas commencé avant les années 1880, ne constituerait pas un mode de vie traditionnel selon le sens donné à cette expression par le juge Linden dans Folster.

 

[76]    Je tiens aussi à souligner qu'en l'espèce, la question en litige n'est pas de savoir si l'appelant avait le droit de prendre du poisson, mais bien de savoir si les revenus qu'il a tirés de la pêche sont exemptés de taxation. Personne n'a contesté le droit de l'appelant de pêcher le poisson qu'il avait vendu à l'Office.

 

[77]    En l'espèce, je ne crois pas que la preuve historique portant sur la pratique de la pêche commerciale dans la réserve de Grand Rapids constitue un facteur de rattachement ou que cette preuve ait une incidence sur un des facteurs de rattachement. L'appelant pêchait à l'extérieur de la réserve; pendant la saison de pêche, il passait la plus grande part de son temps de travail pour l'entreprise à l'extérieur de la réserve; il vendait tout le poisson pêché à l'Office, qui est situé à l'extérieur de la réserve et qui transportait le poisson à l'extérieur de la réserve le plus rapidement possible. L'appelant ne vendait aucune de ses prises sur la réserve. J'ai conclu que les activités de pêche de l'appelant faisaient qu'il participait au commerce général, et que les revenus que l'appelant en tirait ne sont pas visés par l'exemption de taxation prévue à l'article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[78]    Par conséquent, les appels sont rejetés, avec dépens.

 

Signé à Ottawa (Ontario), ce 16e jour de juin 2009.

 

 

« Wyman W. Webb »

Le juge Webb

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour d'octobre 2009.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


Annexe « A »

 

[TRADUCTION]

 

Les parties conviennent des faits suivants :

 

1.       L'appelant est un Indien au sens de l'article 2 de la Loi sur les Indiens, et il est membre de la Première nation de Grand Rapids, laquelle est signataire du Traité numéro 5.

 

2.       La réserve de Grand Rapids est située sur la rive sud de la rivière Saskatchewan, au confluent de cette rivière et du lac Winnipeg. La ville de Grand Rapids se trouve de l'autre côté de la rivière.

 

3.       Selon les dossiers du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, la réserve de Grand Rapids comptait 702 membres de la bande de Grand Rapids le 31 décembre 2001. Selon un recensement fait en 2001, la ville de Grand Rapids comptait 355 habitants.

 

4.       Durant les années d'imposition en cause, l'appelant résidait sur la réserve indienne de Grand Rapids. Depuis 1976, l'appelant a habité la réserve de façon ininterrompue, au 218, chemin River.

 

5.       L'appelant réside sur la réserve depuis sa naissance.

 

6.       L'appelant est un pêcheur travaillant à son compte depuis 1976.

 

7.       Pendant les années d'imposition en cause, l'appelant a mené toutes ses activités de pêche sur le lac Winnipeg.

 

8.       La réserve est adjacente au lac Winnipeg.

 

9.       Les endroits où l'appelant pêche se trouvent à l'extérieur de la réserve; il s'agit des secteurs désignés comme X1 sur la pièce 4 et X2 sur la pièce 5. Pendant les années en cause, l'appelant alternait entre ces deux endroits pour pêcher.

 

10.     L'appelant pêche durant la saison de pêche estivale, qui débute le 1er juin et prend fin pendant la troisième semaine de juillet.

 

11.     La saison de pêche automnale débute pendant la première semaine de septembre et se termine pendant la troisième semaine d'octobre.

 

12.     Pendant les années d'imposition en cause, l'appelant n'a pas pêché pendant la saison de pêche hivernale.

 

13.     L'appelant est membre de la Grand Rapids Fishermen's Co‑op (la coopérative des pêcheurs de Grand Rapids; ci‑après, la « coopérative »).

 

14.     La coopérative est située sur la réserve.

 

15.     La coopérative appartient à ses membres, qui sont environ 104. Quelque 99 des membres de la coopérative sont des Indiens visés par un traité.

 

16.     Cinq membres de la coopérative sont d'ascendance autochtone mixte et habitent la ville de Grand Rapids.

 

17.     La coopérative fournit de l'essence, de l'huile, des filets et d'autre équipement de pêche, et ce, à crédit ou au prix coûtant.

 

18.     Les livres et registres de la coopérative sont conservés sur la réserve.

 

19.     La coopérative a ses propres employés, qui travaillent sur la réserve, notamment un aide‑comptable et des trieurs de poisson.

 

20.     La coopérative achète du poisson en tant que mandataire de l'Office de commercialisation du poisson d'eau douce (l'« Office »). Toutes les prises de poisson de l'appelant sont achetées par la coopérative, qui agit pour le compte de l'Office.

 

21.     La coopérative envoie toutes les prises de poisson achetées à l'appelant au siège de l'Office, à Winnipeg.

 

22.     L'appelant ne vend aucune de ses prises de poisson directement à des résidants de la réserve.

 

23.     L'appelant utilise parfois un camp de pêche situé au sud de Long Point (situé au point X3 de la pièce 5).

 

24.     L'appelant entrepose son équipement et ses fournitures de pêche à sa résidence, qui se trouve sur la réserve.

 

25.     L'appelant conservait sur la réserve les livres et registres relatifs à ses activités de pêche.

 

26.     L'appelant faisait la préparation et l'entretien de ses bateaux, de ses filets et de ses moteurs sur la réserve, et ce, avant, pendant et après la saison de pêche.

 

27.     Pour l'année d'imposition 2001, l'appelant a reçu ou gagné des revenus d'entreprise, soit des revenus d'un travail indépendant de pêche, de 13 164 $.

 

28.     Pour l'année d'imposition 2002, l'appelant a reçu ou gagné des revenus d'entreprise, soit des revenus d'un travail indépendant de pêche, de 18 238 $.

 

29.     L'appelant fait ses opérations bancaires à la coopérative de crédit Median située sur la réserve.

 

30.     L'appelant dépose les chèques qu'il reçoit de la coopérative pour ses prises de poisson à la coopérative de crédit Median située sur la réserve.

 

31.     L'appelant est propriétaire de deux quotas de pêche qui lui donnent le droit de pêcher une certaine quantité d'une espèce de poisson dans une zone précise. Ces quotas appartiennent à l'appelant.

 

32.     La Grand Rapids Fishermen's Co‑operative Ltd. a été constituée en personne morale le 1er juin 1962, c'est‑à‑dire avant la constitution de l'Office en 1969. Les règlements de la coopérative sont exposés dans le document conjoint 41. Les états financiers de la coopérative pour 2000 et 2001 constituent respectivement les documents conjoints 34 et 35. Les actes constitutifs de la coopérative forment collectivement les documents conjoints 36 à 40.

 

L'Office de commercialisation du poisson d'eau douce

 

33.     L'Office de commercialisation du poisson d'eau douce (l'« Office ») a été constitué en 1969 par la Loi sur la commercialisation du poisson d'eau douce, L.R. 1985, ch. F‑13. L'Office a pour mission l'achat et la commercialisation du poisson ainsi que de ses produits et sous-produits, au Canada ou à l'étranger. L'Office a pour tâche d'acheter tout le poisson pris légalement qui lui est offert et de stabiliser le prix du poisson pour les pêcheurs.

 

34.     L'Office est une société d'État mandataire de Sa Majesté, financièrement autonome et sans but lucratif.

 

35.     L'Office est responsable de l'achat, de la transformation et de la commercialisation du poisson d'eau douce pris au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta, dans les Territoires du Nord‑Ouest et dans une partie du Nord‑Ouest de l'Ontario.

 

36.     La mission et les pouvoirs de l'Office sont établis aux articles 7 et 8 de la Loi sur la commercialisation du poisson d'eau douce.

 

37.     En vertu du paragraphe 20(1) de la Loi sur la commercialisation du poisson d'eau douce, l'Office a, au Manitoba, le droit exclusif de procéder à l'achat et à la commercialisation du poisson pêché commercialement pour l'exportation et le marché interprovincial.

 

38.     La Loi sur la commercialisation du poisson d'eau douce donne aussi à l'Office la responsabilité d'acheter tout le poisson qui lui est offert et qui a été pêché légalement au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta, dans les Territoires du Nord‑Ouest et dans une partie du Nord‑Ouest de l'Ontario. Toutefois, les pêcheurs peuvent choisir de vendre leur poisson directement au consommateur.

 

39.     Selon le paragraphe 22(1) de la Loi sur la commercialisation du poisson d'eau douce, l'Office est aussi chargé de commercialiser rationnellement le poisson, d'accroître le revenu des pêcheurs et d'ouvrir les marchés internationaux au poisson et d'en accroître le commerce.

 

40.     L'Office achète le poisson pris dans le lac Winnipeg par l'entremise d'un certain nombre de mandataires privés et de coopératives situés autour du lac Winnipeg.

 

41.     La plus grande part du poisson reçu par l'Office provient du lac Winnipeg.

 

42.     L'Office fait affaire avec 31 mandataires privés et trois sociétés qui s'occupent du tri et de l'achat du poisson à 56 points de livraison.

 

43.     Les relations de l'Office avec les mandataires privés et les coopératives sont régies par des conventions de mandat écrites.

 

44.     La Grand Rapids Fishermen's Co‑op est une coopérative ou une association de pêcheurs qui est établie sur la réserve de Grand Rapids.

 

45.     La relation entre la coopérative et l'Office est régie par une convention de mandat (voir la pièce A‑1, onglet 21).

 

46.     La convention conclue par l'Office et la coopérative est le seul instrument qui gouverne les rapports entre les parties.

 

47.     En vertu de la convention, la coopérative a reçu de l'Office le mandat d'acheter le poisson à Grand Rapids. La coopérative n'est mandataire d'aucun autre acheteur de poisson.

 

48.     L'Office achète tout le poisson vendu à la coopérative.

 

Les paiements

 

49.     La Loi sur la commercialisation du poisson d'eau douce permet à l'Office d'établir un système par lequel les pêcheurs reçoivent des paiements initiaux et finaux en application d'un système de « mise en commun » selon lequel les recettes et les frais sont « mis en commun », suivant l'espèce du poisson, pour déterminer les paiements finaux.

 

50.     En général, le prix initial pour chaque espèce de poisson est fixé en estimant sa valeur marchande, en soustrayant les frais de transformation et d'exploitation et en faisant une retenue pour un fonds de prévoyance.

 

51.     Les pêcheurs reçoivent leurs paiements initiaux, par chèques, de la coopérative, qui se sert de fonds versés en fiducie dans son compte bancaire par l'Office.

 

52.     Pour les activités de la coopérative et de l'Office, la semaine prend fin le samedi. La coopérative envoie alors à l'Office de l'information au sujet des paiements qui seront faits aux pêcheurs. Les fonds de l'Office sont transférés au compte bancaire de la coopérative le mercredi.

 

53.     Les pêcheurs sont payés chaque semaine à même les fonds transférés à la coopérative par l'Office. La coopérative imprime, signe et remet les chèques aux pêcheurs sur la réserve. Les pêcheurs vont chercher leurs chèques à la coopérative.

 

Les paiements finaux

 

54.     Au début de chaque exercice, l'Office fait une estimation de la valeur marchande qu'aura le poisson durant l'année suivante.

 

55.     Pendant la saison de pêche, l'Office verse aux pêcheurs 85 % de la valeur marchande estimée du poisson qu'ils lui remettent.

 

56.     À la fin de l'exercice, la véritable valeur marchande du poisson est calculée et l'Office verse aux pêcheurs un paiement final correspondant à la différence entre ce qu'ils avaient déjà reçu (85 % de la valeur marchande estimée du poisson) et la véritable valeur marchande du poisson.

 

57.     Par exemple, si la valeur marchande du doré jaune avait été estimée à 10 $ la livre, les pêcheurs auraient reçu des paiements réguliers de 8,50 $ la livre. Si, à la fin de l'exercice, la véritable valeur marchande du doré jaune était de 9,50 $, les pêcheurs recevraient un chèque de rajustement équivalant à 1 $ pour chaque livre de doré jaune vendu à l'Office pendant l'exercice.

 

58.     Les paiements de rajustement sont faits à la fin de chaque exercice, en novembre, au moyen de chèques imprimés au siège de l'Office, à Winnipeg.

 

59.     Le paiement final est fait directement aux pêcheurs par l'Office.

 

60.     Une fois les paiements finaux déterminés, tous les revenus restant pour l'exercice sont conservés par l'Office à titre de bénéfices non répartis.

 

L'Office et la coopérative

 

61.     Le tri, la pesée, la mise sur glace, la séparation par espèces et le comptage du poisson sont tous faits à la coopérative.

 

62.     La coopérative fournit aussi de l'essence, de l'huile et des filets aux pêcheurs, qui payent leurs achats au moyen d'un système de crédits et de débits.

 

63.     L'Office paye à la coopérative 0,33 $ pour chaque kilogramme de poisson qu'elle lui livre. Ce montant sert à couvrir le salaire versé aux employés pour l'emballage, la pesée et le tri du poisson, et pour les services administratifs nécessaires au fonctionnement de la coopérative.

 

64.     La totalité des fonds utilisés par la coopérative pour payer les pêcheurs qui lui vendent leur poisson est fournie par l'Office.

 

65.     La totalité des revenus d'un travail indépendant de pêche gagnés par l'appelant pour les années d'imposition 2001 et 2002 lui a été versée par l'Office, par l'entremise de son mandataire, la coopérative.

 

66.     Les employés de la coopérative sont rémunérés par celle‑ci.

 

67.     Aucun des employés de l'Office ne travaille à la coopérative. La coopérative emploie de trois à six personnes, selon la saison.

 

68.     David Hourie est un employé de la coopérative. Avec l'aide d'autres employés de la coopérative, il trie le poisson. Monsieur Hourie reçoit entre 5 et 6 cents par kilogramme de poisson trié. Il est un Indien visé par un traité et habite la réserve de Grand Rapids.

 

69.     Pour trier le poisson, il faut examiner chaque poisson et décider s'il est « bon » ou « mauvais ». Les mauvais poissons sont rejetés, et les bons poissons sont ensuite classés en fonction de leur taille et de leur espèce. Les rapports quotidiens de prises sont ensuite remplis.

 

70.     Le rapport quotidien de prises est un document officiel, rempli par la coopérative, qui fait état de la quantité et des espèces de poisson acheté et de son prix d'achat.

 

71.     L'Office fixe les prix payés pour le poisson en fonction de la taille et de l'espèce du poisson (voir la pièce A‑1, onglet 19).

 

72.     Une entreprise de camionnage, Gardewine North, transporte tout le poisson de la coopérative jusqu'à l'Office, à Winnipeg.

 

73.     Une fois livré à l'Office, le poisson est tranché en filets, congelé entier ou haché.

 

74.     À l'Office, les différentes espèces de poissons sont séparées en diverses catégories à des fins de commercialisation.

 

La commercialisation du poisson

 

75.     L'Office commercialise le poisson pour le marché interprovincial et pour l'exportation.

 

76.     Environ 80 % du poisson vendu par l'Office est exporté.

 

77.     La plus grande part du poisson commercialisé par l'Office est exportée aux États‑Unis.

 

78.     L'Office est le principal fournisseur de corégone en Finlande, de caviar de corégone en Suède et en Finlande, et de brochet en France.

 

79.     L'Office a une division interne de vente et de commercialisation du poisson.

 

80.     L'Office commercialise le poisson de deux façons : soit en vendant le poisson directement à une chaîne d'alimentation importante (par exemple, Costco), soit en ayant recours à des intermédiaires.

 

81.     Aux États-Unis, l'Office a des intermédiaires à Chicago, à New York, au Michigan, en Ohio, au Minnesota, au Dakota du Nord et au Wisconsin.

 

82.     Sur le marché international, l'Office entre en concurrence avec d'autres fournisseurs de poisson. Le poisson offert par l'Office fait concurrence à d'autres poissons d'eau douce, aux poissons de mer et aux autres sources de protéines. Les principaux compétiteurs de l'Office sur le marché canadien se trouvent dans la région des Grands Lacs, et comprennent notamment la Presteve Fish Company et la Great Lakes Fishing Company. Les produits de l'Office doivent aussi rivaliser avec d'autres poissons comme le saumon de Norvège et la morue d'Islande, de même qu'avec les autres sources de protéines comme le boeuf et le poulet.

 

83.     En 2003, l'Office a engagé Probe Research Inc. pour mener une enquête par questionnaire auprès des pêcheurs qui vendent leur poisson à l'Office. Environ 3 500 exemplaires du questionnaire ont été envoyés à autant de pêcheurs de l'Ouest du Canada et d'une petite partie de l'Ontario. Le questionnaire, qui comprenait plus de 100 questions, devait permettre de mieux comprendre la nature et les caractéristiques sociodémographiques de pêcheurs qui vendent leur poisson à l'Office. La participation à cette enquête était volontaire, et 800 des 3 500 questionnaires ont été remplis et renvoyés par des pêcheurs.

 

L'âme dirigeante

 

84.     Conformément à l'article 13 de la Loi sur la commercialisation du poisson d'eau douce, le siège de l'Office est fixé à Winnipeg, au Manitoba.

 

85.     Au Manitoba, l'Office a des bureaux à Selkirk, à Riverton et à Le Pas. L'Office a aussi des bureaux en Saskatchewan et en Alberta.

 

86.     L'Office est dirigé par un conseil d'administration composé de onze administrateurs, dont un président et un président du conseil. Actuellement, six des administrateurs de l'Office sont autochtones. L'appelant est administrateur de l'Office, et ce, depuis au moins quatre ans et demi.

 

87.     Tous les administrateurs de l'Office sont nommés par le gouverneur en conseil, et les cinq administrateurs qui représentent chacun une province sont nommés sur la recommandation du lieutenant‑gouverneur en conseil de leur province.

 

88.     Le conseil d'administration se réunit six fois par exercice, à Winnipeg, au Manitoba.

 

89.     La quantité et les espèces de poisson qui peuvent être pêchées commercialement sont fixées par un système de quotas de pêche.

 

90.     Pour le lac Winnipeg, chaque pêcheur titulaire d'un permis peut, selon son lieu de résidence, obtenir un maximum de quatre à six quotas. Un quota est un intérêt de propriété d'un pêcheur dans un droit de pêcher une certaine quantité d'une ou de plusieurs espèces de poisson, dans une zone et au cours d'une saison particulières, à des fins commerciales (voir l'article 32 de la Loi sur la pêche du Manitoba). Un quota constitue un intérêt de propriété dans un droit de pêcher trois espèces de poisson. Les pêcheurs de Grand Rapids peuvent détenir jusqu'à quatre quotas.

 

91.     Le ministère de la Gestion des ressources hydriques du Manitoba est responsable de la gestion du système de quotas.

 

92.     Le lac Winnipeg est divisé en zones de pêche. Ces zones sont délimitées par des lignes liant divers accidents géographiques, et elles sont désignées par des lettres (A, B, C, etc.). Un pêcheur commercial résidant à Grand Rapids peut, en vertu de son quota, pêcher dans les zones B, C ou G pendant l'été, dans les zones E ou H pendant l'automne et dans les zones F ou C pendant l'hiver. Ces zones comprennent les endroits où un détenteur de quota résidant à Grand Rapids peut faire la pêche commerciale. L'emplacement de ces zones est indiqué sur la carte ci-jointe.

 

93.     L'exigence relative au lieu de résidence pour obtenir un quota vise à favoriser une large distribution des retombées économiques dans les collectivités situées autour du lac Winnipeg, particulièrement dans les collectivités éloignées.

 

94.     Le droit au quota dépend du lieu de résidence. Toutefois, une fois qu'un pêcheur a acquis un quota pour un endroit donné, il n'est pas obligé de continuer à vivre à cet endroit pour conserver son quota.

 

95.     Les quotas sont transférables et, sous réserve des règlements, ils peuvent être vendus et achetés par des pêcheurs. Les quotas peuvent aussi être mis en gage (voir le paragraphe 34(2) de la Loi sur la pêche du Manitoba).

 

96.     Les quotas peuvent avoir une grande valeur; ils peuvent être vendus pour des dizaines de milliers de dollars. Actuellement, un pêcheur résidant à Grand Rapids pourrait obtenir jusqu'à environ 150 000 $ pour l'ensemble de ses quotas.

 

97.     Il est interdit à quiconque pratique la pêche commerciale de pêcher avec un filet dans un lac à moins de 1,5 km de l'embouchure d'un cours d'eau, sans y être autorisé en vertu d'un permis (voir l'article 51 du Règlement de pêche du Manitoba de 1987, DORS/87‑509).

 



RÉFÉRENCE :

2009 CCI 325

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2005-830(IT)G

 

INTITULÉ :

Ronald Ballantyne et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATES DE L'AUDIENCE :

Les 16, 17 et 18 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge Wyman W. Webb

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 16 juin 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelant :

Me R. Ivan Holloway

Me Shawn Scarcello

 

Avocats de l'intimée :

Me Gérald L. Chartier

Me Melissa Danish

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l'appelant :

 

Nom :

R. Ivan Holloway

Shawn Scarcello

 

Cabinet :

D'arcy & Deacon LLP

 

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] En vertu de l'article 28 de la Loi de l'impôt sur le revenu, le contribuable qui exploite une entreprise agricole ou une entreprise de pêche peut choisir de calculer son revenu selon la méthode de comptabilité de caisse.

[2] Non souligné dans l'original.

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