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Dossier : 2007-3069(IT)G

 

ENTRE :

DOTEASY TECHNOLOGY INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appel entendu le 3 novembre 2008, à Vancouver (Colombie‑Britannique).

 

Devant : L'honorable juge Valerie Miller

 

Comparutions :

 

Avocats de l'appelante :

Me Douglas H. Mathew

Me Amy L. Chapman

Avocat de l'intimée :

Me Michael Taylor

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l'encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 2003, 2004 et 2005 sont accueillis, avec dépens, et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de juin 2009.

 

 

« V. A. Miller »

Le juge V. A. Miller

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour d'août 2009.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 324

Date : 20090615

Dossier : 2007-3069(IT)G

 

ENTRE :

DOTEASY TECHNOLOGY INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

 

 

Dossier : 2007-3077(IT)G

 

ET ENTRE :

IN2NET NETWORK INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge V. A. Miller

 

[1]              Avant l'audition des présents appels, les parties ont conclu l'accord suivant en ce qui concerne deux questions que l'appelante In2Net Network Inc. (« In2Net ») a soulevées :

 

a)       Pour les années d'imposition 2002 et 2003, In2Net a le droit de déduire des frais afférents à un véhicule automobile s'élevant à 7 031,54 $ et à 10 105,43 $ respectivement.

b)      Au cours de l'année 2002, une créance de 13 187,17 $ est devenue irrécouvrable et In2Net a le droit de la déduire de son revenu en application du sous‑alinéa 20(1)p)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

[2]              En l'espèce, la seule question à trancher est de savoir si les appelantes avaient le droit de déduire des provisions de leur revenu en application de l'alinéa 20(1)m) de la Loi. Pour les années d'imposition 2002 et 2003, In2Net a déduit de son revenu des provisions nettes de 258 674,93 $ et de 82 828,78 $ respectivement. Pour les années d'imposition 2003, 2004 et 2005, Doteasy Technology Inc. (« Doteasy ») a déduit de son revenu des provisions nettes de 2 826 047 $, de 819 370 $ et de 420 642 $ respectivement.

 

[3]              Les appels ont fait l'objet d'un exposé conjoint des faits. Les faits importants peuvent être résumés de la manière suivante :

 

a)       Les appelantes sont des sociétés qui ont été constituées en Colombie‑Britannique. M. Kevin Tang est l'unique actionnaire et administrateur des deux sociétés.

 

b)      L'exercice des deux appelantes se termine le 30 juin.

 

c)       Les appelantes fournissent des services d'hébergement de sites Web et d'enregistrement de noms de domaine (les « services »).

 

d)      Pendant les années en cause, afin de fournir des services d'hébergement de sites Web, les appelantes ont utilisé et entretenu des serveurs informatiques. Elles donnaient à leurs clients de l'espace sur ces serveurs afin qu'ils créent et entretiennent leurs propres sites Web et fichiers Internet. Les clients recevaient également de l'espace sur les serveurs afin de gérer des adresses de courrier électronique associées à leur nom de domaine. Les clients pouvaient ainsi envoyer et recevoir des messages électroniques.

 

e)       Les appelantes concluaient également des contrats avec leurs clients en vertu desquels elles obtenaient et enregistraient les noms de domaine pour le compte de ceux‑ci. Pendant toute la durée de chaque contrat concernant un nom de domaine, les appelantes s'engageaient à maintenir la validité du nom de domaine de leur client en se conformant aux obligations en vigueur mises en place par les autorités compétentes. En outre, les appelantes envoyaient chaque année à leurs clients des messages électroniques contenant de l'information à jour aux fins de leurs dossiers de nom de domaine.

 

f)       Les clients des appelantes s'inscrivaient en ligne pour avoir accès à ces services et ils concluaient des contrats de services pour des durées allant de plusieurs mois à plusieurs années. De nombreux contrats restaient en vigueur après le 30 juin, soit la fin de l'exercice des appelantes.

 

g)       Lors de l'inscription, les appelantes demandaient à leurs clients d'accepter les conditions générales des contrats de services. Ces conditions prévoyaient notamment que les frais payés pour les services n'étaient pas remboursables.

 

h)       Au moment de s'inscrire, les clients devaient payer l'intégralité du prix prévu au contrat, pour toute la durée du contrat.

 

i)        Les contrats de services étaient renouvelés automatiquement. Les appelantes demandaient aux clients souhaitant renouveler leur inscription de payer immédiatement la totalité des frais requis pour toute la durée du contrat, et elles mettaient fin aux services si elles ne recevaient pas ce paiement dans les 45 jours.

 

j)        Les appelantes pouvaient décider, au cas par cas, de rembourser les frais d'hébergement de site Web à certains clients dans les 45 jours suivant leur inscription. Les appelantes ne remboursaient jamais les frais associés à l'enregistrement des noms de domaine.

 

k)       Doteasy offrait parfois des remboursements, sous la forme de notes de crédit, en dehors de la période de 45 jours.

 

l)        Les appelantes offraient des services à la clientèle de façon continue, y compris un soutien aux clients, un soutien technique et la gestion de bande passante.

 

m)      Les appelantes exploitaient leur entreprise à partir de locaux d'une superficie d'environ 10 000 pieds carrés. À elles deux, elles disposaient d'une équipe de 30 employés s'occupant des services à la clientèle, des services relatifs aux noms de domaine, des serveurs et de leur entretien, de la programmation, de la facturation, du réseautage informatique et de la commercialisation.

 

n)       Pour chacune des années d'imposition en cause, chaque appelante a inclus dans le calcul du revenu gagné pendant l'année d'imposition la totalité des frais reçus des clients qui se sont abonnés aux services.

 

o)      Pour chacune des années d'imposition en cause, chaque appelante a déduit de son revenu une provision relative aux services en application de l'alinéa 20(1)m). La provision déduite du calcul du revenu pour une année d'imposition donnée a été incluse dans le calcul du revenu pour l'année suivante, conformément au sous‑alinéa 12(1)e)(i). La déduction de la provision dépend du moment où la déduction est demandée.

 

p)      Les appelantes ont déclaré les provisions en question de la même manière dans leurs états financiers.

 

[4]              Lors de l'audition des présents appels, l'avocat de l'intimée a reconnu que certaines des hypothèses formulées par le ministre du Revenu national (le « ministre ») étaient erronées. Il a admis que les appelantes avaient continué de fournir des services à leurs clients pendant l'année d'imposition suivante lorsque la durée du contrat se poursuivait. Les services fournis au cours de chaque mois couvert par le contrat étaient essentiellement identiques. Les services n'étaient pas complétés pour l'essentiel lors de la première activation de l'abonnement d'un client.

 

[5]              L'intimée a convenu que si les appelantes avaient le droit de déduire des provisions, il était raisonnable qu'elles les calculent de manière linéaire.

 

La position des appelantes

 

[6]              Les appelantes sont d'avis que les montants qu'elles ont reçus pour les services et inclus dans leur revenu étaient des montants visés par l'alinéa 12(1)a) de la Loi. Elles ont ajouté qu'elles avaient le droit de déduire des provisions de leur revenu en application de l'alinéa 20(1)m) étant donné qu'elles satisfaisaient aux conditions prévues par la Loi. Plus exactement, les appelantes ont reçu les montants en question dans le cours de leur activité commerciale pendant chaque année d'imposition et elles devaient fournir certains services aux clients après la fin de chaque année d'imposition.

 

La position de l'intimée

 

[7]              L'intimée est d'avis que les montants reçus par les appelantes pour les services qu'elles n'ont pas rendus pendant l'année d'imposition considérée constituent des paiements anticipés devant être inclus dans le calcul du bénéfice des appelantes, au sens de l'article 9 de la Loi, et qu'il ne s'agit pas de sommes visées par l'alinéa 12(1)a) de la Loi.

 

[8]              L'avocat de l'intimée a expliqué que les principes comptables permettent à une entreprise de considérer qu'un revenu n'a pas été « réalisé » quand elle l'a reçu pour des services qu'elle n'a pas encore rendus. Cette règle est généralement connue sous l'appellation « principe de la réalisation ». Le revenu est reporté à une date ultérieure, au moment où les services sont rendus. En comptabilité, ce report du revenu constitue le « principe du rattachement ».

 

[9]              L'avocat de l'intimée a déclaré que la Loi n'intégrait que dans une certaine mesure les principes de la réalisation et du rattachement. Quand on interprète les dispositions de la Loi, les principes qui s'appliquent en matière de droit fiscal ont préséance sur les principes comptables. Un de ces principes de droit fiscal prévoit que la détermination du « bénéfice » du contribuable, au sens de l'article 9, est une question de droit et que les principes comptables doivent s'effacer devant les principes juridiques quand ces derniers fournissent une image plus fidèle du revenu du contribuable[1].

 

[10]         L'avocat de l'intimée a fait valoir que les appelantes avaient un droit inconditionnel aux paiements anticipés. Après avoir mis en place les services, les appelantes n'avaient pas à remplir d'autres conditions pour avoir droit aux sommes versées par leurs clients. L'avocat de l'intimée a prétendu que vu que les paiements anticipés n'étaient pas remboursables, ils avaient la nature d'un revenu[2] et que les paiements anticipés étaient gagnés aux fins de l'impôt.

 

[11]         Les alinéas 12(1)a) et 20(1)m) de la Loi permettent de déduire des provisions uniquement à l'égard des montants qui ne sont pas gagnés aux fins de l'impôt, mais que la Loi considère néanmoins comme des revenus. Les sommes qui ont la nature d'un revenu sont incluses dans le revenu suivant l'article 9 pour le calcul des bénéfices des contribuables et aucun de ces montants n'est déductible à titre de provision.

 

Analyse et conclusion

 

[12]         L'argument de la Couronne repose essentiellement sur l'interprétation des décisions Robertson Ltd. et Ikea Ltd. c. Canada[3]. L'avocat de l'intimée s'est appuyé sur la décision Robertson Ltd. pour affirmer qu'étant donné que les paiements anticipés avaient la « nature d'un revenu », ils étaient gagnés et devaient être ajoutés au revenu dès qu'ils étaient reçus.

 

[13]         Je suis d'avis que la décision Robertson Ltd. n'appuie pas le principe selon lequel un montant est gagné s'il a la « nature d'un revenu ». À la page 660 de son jugement, le juge Thorson a déclaré que les montants reçus pendant une année d'imposition peuvent avoir la « nature d'un revenu », peu importe qu'ils soient des revenus gagnés ou non :

 

[TRADUCTION]

 

Il semble tout aussi évident que si un revenu est reçu pendant une année d'imposition donnée, il est imposable pour cette même année, et ce, même s'il n'a pas encore été gagné; il s'ensuit que l'appelante ne pouvait pas déduire de montants de son revenu en se réclamant du fait qu'elle n'avait pas gagné ledit revenu pendant l'année en cause.

 

[14]         Il faut garder à l'esprit le fait que l'arrêt Robertson Ltd. a été rendu sous le régime de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu, qui ne contenait pas l'alinéa 12(1)a) ni quelque disposition comparable visant expressément les montants non gagnés[4].

 

[15]         L'avocat de l'intimée a aussi prétendu que l'arrêt Ikea Ltd. c. Canada[5], rendu par la Cour suprême du Canada, appuyait sa position voulant que le revenu soit gagné quand il revêt la « nature d'un revenu ».

 

[16]         S'exprimant au nom de la Cour suprême dans l'arrêt Ikea Ltd., le juge Iacobucci s'est ainsi exprimé :

 

[37]           Mis ensemble, ces passages ont pour effet de confirmer ce qui, en droit fiscal, est maintenant connu sous le nom de « principe de réalisation », qui tient compte du fait qu'une somme peut avoir la nature d'un revenu même si elle n'est pas effectivement reçue par le contribuable mais seulement « réalisée » conformément à la méthode de la comptabilité d'exercice. En bout de ligne, l'effet de ce principe est clair : les sommes reçues ou réalisées par un contribuable – libres de conditions ou restrictions assortissant leur utilisation – sont imposables dans l'année où elles sont réalisées, sous réserve de toute disposition contraire de la Loi ou d'une autre règle de droit. Le PIL reçu par Ikea en l'espèce correspond parfaitement à cette description. L'accord relatif au paiement d'incitation à la location stipulait clairement, d'une part, que la seule condition de réception du paiement était la prise en charge par Ikea des obligations que lui faisait le bail, et, d'autre part, que le paiement serait fait dans les sept jours suivant le début de l'exploitation par Ikea de son entreprise dans les locaux, conformément au bail. Par conséquent, le droit d'Ikea au paiement est devenu absolu à ce moment‑là. Il n'y avait aucune autre condition ayant pour effet de reporter la réalisation ou la réception du paiement à une autre année d'imposition, et celui-ci a été reçu au complet par Ikea en 1986. Je conclus donc que toute la somme était imposable cette année‑là.

 

[...]

 

[40]      [...] La contrepartie pour le PIL n'est pas le paiement futur du loyer, mais plutôt la prise en charge immédiate des obligations contractuelles. Dans un tel cas, sauf stipulation contraire de l'accord relatif au paiement d'incitation à la location, et en l'absence de texte de loi ou d'arrêt à l'effet contraire, le principe de réalisation s'impose comme celui qui donnera une image plus fidèle du revenu du contribuable.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[17]         Dans l'arrêt Ikea Ltd., les paiements d'incitation étaient imposables dans l'année où ils avaient été réalisés parce que ni la Loi ni aucune règle de droit ne prévoyait de disposition contraire et que les paiements n'étaient pas liés à des obligations ou dépenses futures. En l'espèce, les paiements anticipés sont effectués au titre de services qui seront rendus à l'avenir et la Loi empêche l'imposition des paiements anticipés dans l'année où ils ont été reçus. Par conséquent, le fait que les appelantes aient le droit absolu de se servir ou de disposer des montants n'a pas d'importance, puisque les paiements anticipés sont visés par l'alinéa 12(1)a) et que l'alinéa 20(1)m) autorise les déductions pour provision.

 

[18]         Les dispositions de la Loi qui s'appliquent ici sont les suivantes :

 

12(1) Sommes à inclure dans le revenu – Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien, au cours d'une année d'imposition, celles des sommes suivantes qui sont applicables :

 

aServices à rendre – les sommes reçues au cours de l'année par le contribuable dans le cours des activités d'une entreprise :

 

(i) soit qui sont au titre de services non rendus ou de marchandises non livrées avant la fin de l'année ou qui, pour toute autre raison, peuvent être considérées comme n'ayant pas été gagnées durant cette année ou une année antérieure,

 

[...]

 

20(1) Déductions admises dans le calcul du revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien – Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

 

[...]

 

mProvision relative à certaines marchandises et à certains services – sous réserve du paragraphe (6), lorsque des sommes visées à l'alinéa 12(1)a) ont été incluses dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise, pour l'année ou une année antérieure, une somme raisonnable à titre de provision dans le cas :

 

[...]

 

(ii) de services qui, selon ce qu'il est raisonnable de prévoir, devront être rendus après la fin de l'année,

 

[19]         Pour pouvoir déduire un montant à titre de provision pour les paiements anticipés en vertu de l'alinéa 20(1)m), les appelantes doivent satisfaire à deux conditions. Les paiements anticipés doivent répondre à la définition de l'alinéa 12(1)a) de la Loi et ils doivent être inclus dans le calcul du revenu tiré d'une entreprise des appelantes pour l'année ou pour une année antérieure. Ces deux conditions ont été remplies.

 

[20]         Les paiements anticipés sont visés par l'alinéa 12(1)a) étant donné que les appelantes les ont reçus dans le cours de leurs activités commerciales pendant les années en cause et qu'ils ont été versés pour des services qui n'ont pas été rendus avant la fin de l'année d'imposition.

 

[21]         L'avocat de l'intimée a soutenu que lorsqu'on analyse les alinéas 12(1)a) et 20(1)m) à la lumière de l'économie de la Loi, il est clair que ces dispositions visent à permettre de déduire des provisions uniquement pour les montants non gagnés que la Loi inclut néanmoins dans le revenu. Afin d'appuyer cette conclusion, l'avocat de l'intimée a renvoyé aux derniers mots du sous‑alinéa 12(1)a)(i) : « ou qui, pour toute autre raison, peuvent être considérées comme n'ayant pas été gagnées durant cette année ou une année antérieure ».

 

[22]         Je conviens avec les avocats des appelantes que la position de l'intimée ne tient pas compte des mots qui précèdent ceux cités dans le paragraphe précédent. Si je me fie à l'ensemble du sous‑alinéa 12(1)a)(i), j'interprète la disposition comme renvoyant aux montants reçus pour des services non rendus ou des marchandises non livrées avant la fin de l'année, ces sommes n'étant pas considérées comme ayant été gagnées pendant l'année. Étant donné que les services n'ont pas été rendus avant la fin de l'année, les montants reçus pour ces services pendant l'année en question ne sont pas considérés comme ayant été gagnés. Richard G. Tremblay l'a expliqué de la manière suivante dans son article intitulé « The Meaning of Earned Income in Subparagraph 12(1)(a)(i): Burrard Yarrows Corp. (Versatile Pacific Shipyards Inc.) » :

 

[TRADUCTION]

 

Premièrement, nous soutenons que du point de vue grammatical, l'alinéa 12(1)a) signifie que le simple fait qu'un montant ait été reçu dans le cours d'activités commerciales au titre de services qui n'ont pas été rendus ou de marchandises qui n'ont pas été livrées permet de se prévaloir de la disposition et de déduire une provision, conformément à l'alinéa 20(1)m). L'expression « pour toute autre raison » employée au sous‑alinéa 12(1)a)(i) indique que le simple fait que les services n'aient pas été rendus ou que les marchandises n'aient pas été livrées suffit pour que le législateur considère que le revenu n'a pas été gagné[6].

 

[23]         L'emploi des expressions « pour toute autre raison » et « peuvent être » au sous‑alinéa 12(1)a)(i) laisse entendre que si des sommes ont été versées pour des services qui n'ont pas été rendus avant la fin de l'année, alors la Loi considère lesdites sommes comme « n'ayant pas été gagnées durant cette année ».

 

[24]         L'intimée a également fait valoir que puisque les clients des appelantes n'ont pas le droit d'être remboursés, les paiements anticipés sont gagnés pendant l'année où ils sont reçus; ils sont inclus dans le calcul du bénéfice suivant l'article 9 et, par conséquent, ils ne sont pas visés par l'alinéa 12(1)a).

 

[25]         C'est l'argument qui a été avancé devant le juge Rip, maintenant juge en chef, dans la décision Ellis Vision Inc. c. Sa Majesté la Reine[7]. Le juge Rip l'a rejeté en ces termes :

 

[45]      Même si les sommes que l'appelante a perçues pour ses années d'imposition 1996 et 1997 auprès des télédiffuseurs en vertu des accords de concession de licence ont pu être incluses dans le calcul des bénéfices de l'appelante pour ces années en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi, je ne vois aucune interdiction dans la Loi qui empêcherait l'appelante de se prévaloir des dispositions que prévoit l'alinéa 20(1)m) et de réclamer une provision.

 

[46]      Toutes les sommes reçues ou à recevoir par un contribuable pour une année d'imposition dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise doivent être incluses dans le revenu du contribuable pour cette année d'imposition. Toutefois, l'alinéa 20(1)m), parmi les autres dispositions de la Loi, reconnaît qu'un contribuable peut avoir été payé à l'avance une somme qui doit ou devait être incluse dans le calcul de son revenu pour cette année ou une année antérieure. Dans de telles circonstances, le bénéficiaire peut être admissible à la déduction d'une somme raisonnable à titre de provision.

 

[47]      Je ne suis pas d'accord avec la position de l'intimée selon laquelle si le revenu d'un contribuable tiré d'une entreprise constitue le bénéfice qu'il en tire aux termes du paragraphe 9(1), alors il est exclu des sommes qui peuvent être incluses dans le calcul du revenu et qui sont visées à l'alinéa 12(1)a). Les sommes incluses dans le revenu pour l'application du paragraphe 9(1) peuvent être visées à l'alinéa 12(1)a), notamment des sommes au titre de services non rendus ou de marchandises non livrées avant la fin de l'année ou encore, au titre de loyer ou d'autres sommes relatives à la possession ou à l'usage de biens meubles qui ont été payées à l'avance. Quant à l'alinéa 20(1)m), il prévoit une somme raisonnable à titre de provision lorsque les sommes « visées » à l'alinéa 12(1)a) ont été incluses dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise, pour cette année ou une année antérieure, et que des loyers ou d'autres sommes ont été payés à l'avance ou dans le cas de services qui, selon ce qu'il est raisonnable de prévoir, devront être rendus après la fin de l'année. Je suis d'accord avec les avocats de l'appelante : le terme « described » qu'emploie l'alinéa 20(1)m) de la version anglaise de la Loi dit bien ce qu'il dit. Le terme de la version française de la Loi est « visées », ce qui, dans le contexte de l'alinéa 20(1)m), est l'équivalent des expressions anglaises « referred to » ou « directed at ». Les « sommes visées à l'alinéa 12(1)a) » ne désignent pas uniquement les sommes qui ont été incluses dans le revenu « en vertu de » l'alinéa 12(1)a); elles désignent également les sommes qui peuvent être incluses dans le revenu en vertu de l'alinéa 12(1)a) ainsi que les sommes qui peuvent être incluses dans un revenu au titre de bénéfice tiré d'une entreprise conformément au paragraphe 9(1).

 

[26]         Toutefois, l'avocat de l'intimée a ajouté que son interprétation des alinéas 12(1)a) et 20(1)m) était étayée par la décision rendue par la Cour fédérale dans l'affaire Burrard Yarrows Corporation c. La Reine[8]. Il semble que le juge Rip n'en a pas tenu compte.

 

[27]         Dans la décision Burrard Yarrows, le contribuable était un constructeur naval qui avait conclu un contrat de construction de deux brise‑glaces avec le gouvernement du Canada, et un autre avec B. C. Ferry Corporation pour deux traversiers. Les prix d'achat devaient être versés par paiements proportionnels. Dans le cas du gouvernement du Canada, ces paiements proportionnels devaient être calculés en fonction des dépenses engagées par le contribuable tandis que, dans le cas de la B. C. Ferry Corporation, ces paiements devaient être faits à l'achèvement de diverses étapes précises de la construction. Selon le contrat relatif aux brise‑glaces, la propriété de tous les matériaux, des pièces et du travail fini visés était transférée à la Couronne fédérale au fur et à mesure des paiements proportionnels. Selon le contrat relatif aux traversiers, la propriété des navires de même que de la machinerie, de l'équipement et des matériaux était transférée à l'acheteur à partir du moment où ils étaient destinés à servir à ces navires. Le contribuable a demandé une déduction d'inventaires conformément à l'alinéa 20(1)gg). Il a aussi inclus dans ses revenus les paiements proportionnels qu'il a reçus pendant l'année et il a ensuite déduit le même montant à titre de provision conformément à l'alinéa 20(1)m).

 

[28]         En concluant que la société Burrard Yarrows n'avait pas le droit de déduire une provision à l'égard des paiements proportionnels, le juge Joyal a déclaré :

 

Je suis d'accord avec le procureur de la défenderesse que le sous‑alinéa 12(1)a)(i) incorpore au revenu seulement les montants reçus par le contribuable dans l'année et qui doivent être considérés comme n'étant pas encore gagnés.

 

[29]         Je suis d'avis qu'il s'agit des motifs déterminants de la décision Burrard Yarrows dans la mesure où il est question des provisions visées par l'alinéa 20(1)m). Ces motifs appuient le postulat voulant que, selon les faits de l'affaire, il n'y avait aucun montant non gagné. Aucun montant n'était visé par l'alinéa 12(1)a). Cela ressort clairement de la conclusion tirée par le juge Joyal à l'égard de la déduction d'inventaires. Il s'est exprimé en ces termes :

 

En l'espèce, il n'y a aucun doute que la propriété des navires et des matériaux qui devaient les composer était censée être transférée aux acheteurs lors du paiement du premier versement puis au fur et à mesure de la construction. J'en viens à cette conclusion après avoir examiné les clauses précitées du contrat. Il en résulte que la propriété des navires avait déjà été transférée.

 

[30]         Toutefois, le juge Joyal a déclaré ce qui suit :

 

[...] De plus, la possibilité de réclamer une déduction pour provision en vertu de l'alinéa 20(1)m) repose entièrement sur l'incorporation au revenu du contribuable d'une somme décrite à l'alinéa 12(1)a). Donc, pour déterminer s'il est possible de réclamer une déduction pour provision selon l'alinéa 20(1)m) par rapport aux paiements proportionnels en question, il faut déterminer s'ils ont été incorporés au revenu en application du sous‑alinéa 12(1)a)(i), ce qui d'autre part impose de déterminer quand ils ont été « gagnés » ou, autrement dit, quand ils sont devenus un revenu. [Non souligné dans l'original.]

 

[...]

 

En l'espèce, la demanderesse, rendue à chacune des étapes de la construction, avait un droit absolu aux paiements proportionnels qui avaient été convenus. Son droit à ces sommes n'était sujet à aucune « restriction contractuelle ou autre quant à sa disposition, son usage ou sa jouissance ». Le contrat ne contenait même pas de disposition exigeant le remboursement des paiements proportionnels advenant le défaut de la demanderesse. Par conséquent, je considère que les paiements proportionnels pouvaient être qualifiés de revenus au moment de leur transmission et qu'ils étaient donc des sommes gagnées. Il s'ensuit que le sous‑alinéa 12(1)a)(i) ne s'applique pas pour faire de ces paiements des revenus et que, de plus, le Ministre avait raison de refuser la réclamation de la demanderesse pour une provision en vertu de l'alinéa 20(1)m). La demanderesse doit ajouter les paiements proportionnels à son revenu pour l'année où elle les reçoit.

 

[31]         Je suis d'avis qu'il s'agit d'une remarque incidente et qu'elle est erronée. Elle ne tient pas compte du fait qu'on peut clairement conclure que le rédacteur de l'alinéa 12(1)a) considérait que les montants reçus pour des services non rendus ou des marchandises non livrées étaient des montants non gagnés.

 

[32]         En confirmant la décision Burrard Yarrows, la Cour d'appel fédérale a seulement déclaré qu'elle souscrivait aux motifs du juge de première instance.

 

[33]         En l'espèce, on ne peut établir de distinction entre les faits importants ainsi que les observations qui m'ont été présentées et ceux de l'affaire Ellis Vision. Dans la décision Ellis Vision, le juge Rip, maintenant juge en chef, a conclu qu'il était possible de se prévaloir des provisions décrites à l'alinéa 20(1)m), et ce, même si le montant pouvait être inclus dans le calcul du revenu en vertu de l'article 9, du moment qu'il s'agissait d'un montant visé par l'alinéa 12(1)a). Je pense que la décision Ellis Vision a réglé cette question.

 

[34]         Pour l'ensemble de ces motifs, les appels sont accueillis, avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de juin 2009.

 

 

« V. A. Miller »

Le juge V. A. Miller

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour d'août 2009.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 324

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2007-3069(IT)G

 

INTITULÉ :                                       Doteasy Technology Inc. et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 3 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge Valerie Miller

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 15 juin 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelante :

Me Douglas H. Mathew

Me Amy L. Chapman

Avocat de l'intimée :

Me Michael Taylor

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelante :

 

                   Noms :        Me Douglas H. Mathew

                                       Me Amy L. Chapman

                  

                   Cabinet :      Thorsteinssons LLP

 

          Pour l'intimée :       John H. Sims, c.r.

                                       Sous‑procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

 



[1] Canderel ltée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, [1998] 2 C.T.C. 35, paragraphes 29 à 42.

 

[2] Robertson Ltd. v. Minister of National Revenue, [1944] R.C.É. 170, 2 D.T.C. 655.

 

[3] [1998] 1 R.C.S. 196.

 

[4] Frankovic, Joseph, « The Taxation of Prepaid Income » (2002), 50 C.T.J. 1239, page 1285.

 

[5] [1998] 1 R.C.S. 196.

 

[6] (1989), vol. 2, n° 27, Canadian Current Tax, C127-32, page C131.

 

[7] 2003 CCI 912.

 

[8] no T‑637‑84, 22 août 1986, [1986] 2 C.T.C. 313 (C.F. 1re inst.).

 

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