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Dossier : 2007-3417(IT)G

ENTRE :

LES ENTREPRISES RÉJEAN GOYETTE INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appels entendus le 10 décembre 2008, à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Réal Favreau

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

 

Me Rodrigue E. Lévesque

Avocat de l'intimée :

Me Vlad Zolia

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels à l’encontre des nouvelles cotisations datées du 21 juillet 2005 en vertu desquelles le ministre du Revenu national a refusé la déduction d’honoraires de gestion d’un montant de 80 000 $, pour chacune des années d’imposition 2002 et 2003 sont rejetés, avec dépens, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de juin 2009.

 

 

 

« Réal Favreau »

Juge Favreau


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 351

Date : 20090630

Dossier : 2007-3417(IT)G

ENTRE :

LES ENTREPRISES RÉJEAN GOYETTE INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Favreau

 

[1]              Il s’agit d’appels à l’encontre de nouvelles cotisations datées du 21 juillet 2005 en vertu desquelles le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé à l’appelante la déduction d’honoraires de gestion d'un montant de 80 000 $, payés à la société 2744‑2870 Québec Inc. pour chacune de ses années d’imposition 2002 et 2003.

 

[2]              L’appelante exploitait au cours des années d’imposition en litige, une entreprise de construction de maisons résidentielles. L’appelante était une filiale en propriété exclusive de la société 124660 Canada Ltée dont le seul et unique actionnaire était monsieur Réjean Goyette.

 

[3]              La société 2744‑2870 Québec Inc. était également une filiale en propriété exclusive de la société 124660 Canada Inc. et son entreprise consistait à acquérir des terres propres au développement urbain et à développer les terrains pour construction par l’appelante. Au cours des exercices financiers 2002 et 2003, l’appelante a acquis de 2744‑2870 Québec Inc. des terrains pour des sommes respectives de 415 000 $ et de 436 000 $.

 

[4]              Monsieur Réjean Goyette a témoigné à l’audience et il a expliqué que 2744‑2870 Québec Inc. défrayait le coût des travaux habituels de mise en valeur des terrains alors que le coût des travaux inhabituels de mise en valeur était payé par l’appelante. Les travaux inhabituels pouvaient comprendre la canalisation d’un ruisseau en zone inondable, l’installation des services sur des terrains ayant des fonds non solides et l’érection d’un mur de soutien pour empêcher l’érosion des sols. Monsieur Goyette a également expliqué que l’exécution des travaux inhabituels devait préalablement être approuvée par 2744‑2870 Québec Inc. parce que ceux‑ci étaient normalement réalisés avant que le titre de propriété des terrains n’ait été transféré à l’appelante. Le transfert du titre de propriété des terrains à l’appelante survenait normalement lorsque les terrains étaient creusés pour construction.

 

[5]              Monsieur Réjean Goyette effectuait lui‑même la surveillance des travaux de mise en valeur des terrains. En tant que détenteur d’une technique en génie civil, il avait toutes les qualifications nécessaires à cet effet. Monsieur Goyette a dit avoir consacré environ 50 % de son temps aux affaires de la société 2744‑2870 Québec Inc. Il a de plus confirmé ne pas avoir reçu de salaire de 2744‑2870 Québec Inc. en 2002 et 2003 mais avoir reçu un salaire de 87 500 $ de l’appelante au cours de chacune des années 2002 et 2003.

 

Analyse

 

[6]              Les questions en litige consistent à déterminer si les honoraires de gestion de 80 000 $ versés par l’appelante au cours des années d’imposition 2002 et 2003 sont déductibles dans le calcul de son revenu du fait qu’ils ont été engagés dans le but de tirer un revenu de son entreprise et, dans l’affirmative, déterminer si ces honoraires de gestion sont raisonnables dans les circonstances. Le procureur de l’intimée s’appuie notamment sur les dispositions de l’alinéa 18(1)a) et de l’article 67 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) ch. 1 (5e suppl.), telle que modifiée (la « Loi »). Ces dispositions se lisent comme suit :

 

Article 18 : Exceptions d’ordre général

 

Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

 

a) Restriction générale -- les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou du bien;

 

Article 67 : Restriction générale relative aux dépenses

 

Dans le calcul du revenu, aucune déduction ne peut être faite relativement à une dépense à l'égard de laquelle une somme est déductible par ailleurs en vertu de la présente loi, sauf dans la mesure où cette dépense était raisonnable dans les circonstances.

 

 

[7]              Il a été mis en preuve que l’appelante avait versé à la société 2744‑2870 Québec Inc. des honoraires de gestion au montant de 60 000 $ relativement à l’exercice financier terminé le 31 août 2000 et au montant de 80 000 $ relativement aux exercices financiers terminés le 31 août 2001, le 31 août 2002 et le 31 août 2003. Cette pratique a été abandonnée à compter du 1er septembre 2003. La société 2744‑2870 Québec Inc. a appliqué les honoraires de gestion reçus de l’appelante à l’encontre de ses pertes autres que des pertes en capital encourues au cours des années d’imposition antérieures. Au début de l’exercice financier 2002, l’appelante avait un solde de pertes autres que des pertes en capital d’un montant de 462 181 $ tandis qu’en fin d’année, le solde desdites pertes avait été diminué à 208 612 $. À la fin de l’exercice financier 2003, le solde des pertes autres que des pertes en capital de l’appelante était de zéro. À la lumière de ces données, il semble évident que le versement des honoraires de gestion par l’appelante avait pour objectif d’utiliser des revenus de l’appelante afin de les appliquer à l’encontre des pertes de 2744‑2870 Québec Inc. Cette planification n’est pas répréhensible en soi pourvu qu’une véritable contrepartie ait été fournie par la société à qui les honoraires en gestion ont été versés, que le montant des honoraires de gestion corresponde à la juste valeur marchande des services obtenus compte tenu du fait que les sociétés en cause étaient des sociétés liées et enfin pourvu que la documentation soit adéquate.

 

[8]              Concernant la documentation relative au versement des honoraires de gestion par l’appelante, la preuve a révélé qu’il n’y avait aucune convention entre l’appelante et 2744‑2870 Québec Inc. prévoyant la fourniture de services et le paiement d’honoraires de gestion. Aucune résolution corporative autorisant la prestation de services et le paiement d’honoraires de gestion n’a été présentée en preuve à l’audience. La seule preuve documentaire présentée prouvant la fourniture de services et le paiement des honoraires de gestion était deux factures de 2744‑2870 Québec Inc. respectivement datées du 31 août 2002 et du 31 août 2003, soit le dernier jour de l’exercice financier des compagnies concernées. Ces factures ne sont pas très probantes parce qu’elles ne fournissent aucune information concernant la nature des services rendus, le nombre d’heures consacrées aux services rendus à l’appelante et les personnes ayant rendu les services. La description de la facture datée du 31 août 2002 est la suivante :

 

« Honoraires de Gestion pour l’année fiscale 2002 (du 01/09/01 au 31/08/02) »

 

tandis que celle du 31 août 2003 est la suivante :

 

« Honoraires de Gestion pour l’année fiscale 2003 (du 01/09/2002 au 31/08/2003) ».

 

Le montant des honoraires de gestion apparaissant sur chacune de ces factures est de 80 000 $ plus les taxes applicables.

 

[9]              En réponse à un engagement pris lors de l’interrogatoire au préalable de monsieur Réjean Goyette, l’appelante a produit les factures relatives aux travaux inhabituels qui ont été sous la supervision de ce dernier au cours des exercices financiers 2002 et 2003 et pour lesquels des honoraires de gestion de 80 000 $ par année ont été facturés à l’appelante. L’analyse de ces factures a démontré que, pour 2002, il y avait 71 factures totalisant 54 818,12 $ (avant taxes) alors que, pour 2003, il y avait 48 factures totalisant 55 737,04 $ (avant taxes). Il ressort de cette analyse que le montant des honoraires facturé à l’appelante, soit 80 000 $ par année, excédait largement le coût des travaux inhabituels supervisés par monsieur Goyette. Aux états financiers de l’appelante, le coût des travaux inhabituels était d’abord imputé au compte « stocks de maisons » et était subséquemment ventilé au poste « coût de construction » ou « autres frais directs » lors de la vente des maisons.

 

[10]         Lors de son témoignage, monsieur Réjean Goyette a affirmé que le montant des honoraires de gestion facturé à l’appelante était en fonction du temps qu’il consacrait aux activités de supervision des travaux inhabituels, soit 50 % de son temps. Cet élément du témoignage de monsieur Goyette est en contradiction avec les représentations faites par les vérificateurs de l’appelante au stade des oppositions. Le 2 février 2007, les vérificateurs de l’appelante ont soumis une cédule tirée du dossier de 2744‑2870 Québec Inc. pour l’année 2002 laquelle démontrait que la détermination du montant des honoraires de gestion avait été faite en fonction du coût de construction des maisons par l’appelante au cours de l’année, soit 2 % de 4 077 729 $. Il est pour le moins étrange que le montant des honoraires de gestion ait été établi en fonction de facteurs différents, soit le coût de construction des maisons versus le temps consacré par monsieur Goyette aux activités de supervision des travaux inhabituels.

 

[11]         Une autre particularité de ce dossier est que la personne ayant rendu les services était à la fois président et administrateur des deux sociétés impliquées. Aucun élément de preuve n’a été présenté à l’audience susceptible de préciser le mandat de monsieur Goyette et la partie pour qui il travaillait lors de la surveillance des travaux inhabituels. Monsieur Goyette recevait une rémunération de la part de l’appelante seulement et les travaux inhabituels étaient payés par l’appelante mais étaient réalisés sur des terrains qui appartenaient à 2744‑2870 Québec Inc. Il me semble que le coût des activités de surveillance des travaux inhabituels aurait dû être traité de la même façon que le coût des travaux inhabituels eux‑mêmes, i.e. être payé directement par l’appelante. Dans les faits, c’est vraisemblablement ce qui s’est produit si on considère que monsieur Goyette a reçu une rémunération de 87 500 $ annuellement de la part de l’appelante. Ce raisonnement amènerait à conclure que la déduction des honoraires de gestion équivaudrait à une double déduction d’une seule et même dépense payée deux fois.

 

[12]         La société 2744‑2870 Québec Inc. n’exploitait pas, au cours des années en litige, une entreprise offrant des services de gestion. Selon les états financiers de cette société, cette dernière n’avait pas de frais d’exploitation et pas de frais courant en relation avec les activités de surveillance des travaux inhabituels. Au cours des années 2002 et 2003, la société 2744‑2870 Québec Inc. ne comptait que trois employés, soit la conjointe et les deux filles de monsieur Réjean Goyette, et leur rémunération totalisait 20 000 $ par année.

 

[13]         Il a également été mis en preuve que l’appelante n’avait pas versé d’honoraires de gestion aux autres sociétés du groupe qui développaient elles aussi des terrains au cours des années 2000 à 2004, soit 9094‑6708 Québec Inc. et 88933 Canada Inc.

 

[14]         À la lumière de ce qui précède, j’arrive à la conclusion que l’appelante n’a pas démontré, selon la prépondérance de la preuve, qu’elle avait encouru la dépense d’honoraires de gestion dans le but de gagner du revenu. Le paiement des honoraires de gestion m’apparaît plutôt être un stratagème de planification fiscale visant à prendre avantage des pertes autres que des pertes en capital de 2744‑2870 Québec Inc. avant qu’elles n’expirent.

 

[15]         La preuve déposée ne permet pas de conclure avec un degré suffisant de certitude que l’appelante a effectivement reçu une contrepartie véritable pour les 80 000 $ versés annuellement à titre d’honoraires de gestion. Si on considère que les activités de surveillance des travaux inhabituels sont accessoires aux travaux inhabituels, il aurait été normal que l’appelante paie les dépenses associées aux activités de surveillance au même titre que le coût des travaux inhabituels.

 

[16]         L’absence d'une entente écrite ou verbale précisant les modalités des services à rendre à l’appelante, le coût de ces services et l’absence des formalités requises pour créer des obligations légales véritables entre les sociétés impliquées m’amène à croire que les honoraires de gestion ont été versés par l’appelante sans qu’elle ait une obligation légale de le faire, ce qui aurait pour conséquence d’en empêcher la déduction dans le calcul du revenu de l’appelante. Le fait que les travaux inhabituels devaient être approuvés ou autorisés par 2744‑2870 Québec Inc. n’avait pas pour effet de créer une obligation légale de la part de cette dernière de payer le coût des activités de surveillance.

 

[17]         Pour ces motifs, les appels sont rejetés avec dépens et il n’est pas nécessaire de considérer la raisonnabilité de la dépense encourue par l’appelante à titre d’honoraires de gestion.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de juin 2009.

 

 

 

« Réal Favreau »

Juge Favreau

 


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 351

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-3417(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              LES ENTREPRISES RÉJEAN GOYETTE INC. ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 10 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Réal Favreau

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 30 juin 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

 

Me Rodrigue E. Lévesque

Avocat de l'intimée :

Me Vlad Zolia

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                            Me Rodrigue E. Lévesque

                 Cabinet :                           Lévesque Gravel et Associés

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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