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Dossier : 2007-2659(IT)G

ENTRE :

EKAMANT CANADA INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 18 mars 2009, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Pierre Archambault

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Martin P. Jutras

Avocat de l’intimée :

Me Alain Gareau

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

        Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu à l'égard des années d'imposition 2000, 2001, 2002 et 2003 sont rejetés, avec dépens, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Magog, Québec, ce 19e jour d’août 2009.

 

 

 

« Pierre Archambault »

Juge Archambault

 

 


 

 

 

Référence : 2009 CCI 408

Date : 20090819

Dossier : 2007-2659(IT)G

ENTRE :

EKAMANT CANADA INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Archambault

[1]              Ekamant Canada Inc. (Ekamant) interjette appel d’une décision du ministre du Revenu national (ministre) qui lui a refusé, à l’égard des années d’imposition 2000 à 2003 (période pertinente) la déduction accordée aux petites entreprises prévue à l’article 125 de la Loi de l’impôt sur le revenu (Loi). Le ministre croit qu’Ekamant ne constituait pas une société privée sous contrôle canadien au sens du paragraphe 125(7) de la Loi. Voici les faits que le ministre a tenus pour acquis pour établir sa cotisation :

 

7.         […]

 

a)      L’appelante, Ekamant Canada Inc., est une société opérante située au Canada. (admis)

b)      Depuis le 18 mars 1996, les actions ordinaires avec droit de vote de l’appelante sont réparties de la manière suivante : (admis)

 

Robert Côté                 25%

 

Bruce Fuchs                 25%

 

Phyllis Fuchs                 25%

 

Herman Fuchs              25%

           

c)      Robert Côté est résident canadien alors que les trois autres actionnaires résident aux États-Unis d’Amérique. (admis)

d)      Les trois actionnaires américains sont membres de la même famille. (admis)

e)      Les trois actionnaires américains détiennent collectivement 75 % des actions votantes de l’appelante. (admis)

f)        Les trois actionnaires américains ont droit collectivement à 75 % des dividendes déclarés. (nié)[1]

g)      Près de la moitié des achats effectués par l’appelante au cours des années en litige sont faits auprès de Ekamant U.S., société appartenant à un des actionnaires américains de l’appelante. (admis)[2]

h)      Robert Côté n’a pas démontré qu’il exerçait, dans les faits, un contrôle sur la société appelante. (nié)

[2]              Seul monsieur Robert Côté a témoigné lors de l’audience. Celui-ci a relaté les circonstances dans lesquelles il est devenu actionnaire d’Ekamant. Cette société a été constituée le 1er avril 1992 (voir pièce A-3) en vertu de la  Loi canadienne sur les sociétés par actions (Loi sur les sociétés). Auparavant, une société suédoise possédait une société canadienne qui exploitait une entreprise de vente de produits abrasifs pour l’industrie du meuble. Apparemment la situation financière de l’entreprise était précaire. Monsieur Herman Fuchs, un agent commercial résidant aux États-Unis et représentant en Amérique du nord de la société suédoise, a décidé de reprendre l’entreprise de la filiale canadienne de celle-ci et a ainsi constitué Ekamant.

[3]              Des négociations ont été entamées avec monsieur Robert Côté pour l’amener à exploiter cette entreprise. Toutefois, cela ne l’intéressait pas de se lancer dans une telle aventure, à moins d’être actionnaire de la société. Finalement, en 1994, une entente sera conclue et monsieur Côté deviendra actionnaire d’Ekamant. Selon monsieur Côté, l’entente intervenue avec monsieur Fuchs prévoyait qu’il pourrait devenir le seul actionnaire d’Ekamant dès que serait acquittée la somme d’environ 600 000 $ due à la société de monsieur Fuchs, Ekamant USA, relativement à des comptes impayés. En plus, monsieur Fuchs aurait avancé environ 100 000 $ à Ekamant. Selon monsieur Côté, Ekamant devait toujours, lors de l’audience, une somme de 55 000 $ à monsieur Fuchs sur le montant de cette avance.

 

[4]              Malheureusement, l’entente portant sur l’option d’achat n’est que verbale. Aucun témoin n’est venu corroborer les dires de monsieur Côté. Par contre, ce dernier affirme qu’en 2007 Ekamant avait acquitté les sommes dues, à l’égard de factures, à Ekamant USA et qu’il était donc devenu propriétaire de toutes les actions détenues par la famille Fuchs. S’il n’a pas pu acheter les actions d’Ekamant avant 2007, c’est en raison des difficultés financières qu’avait eu à affronter Ekamant au cours des années 1990. Il a fallu beaucoup d’effort pour rentabiliser cette entreprise. Toutefois, aucune preuve documentaire n’a été produite pour confirmer que monsieur Côté détenait toutes ces actions depuis 2007. Le registre des actionnaires produit sous la cote I-1 ne fait pas état de ces transferts à monsieur Côté. Il en est de même pour l’extrait du registre des entreprises, soit le système CIDREQ, en date du 7 juin 2007 (pièce A-3).

[5]              Selon les dires de monsieur Côté, il avait insisté auprès de monsieur Fuchs pour qu’il soit le seul à prendre toutes les décisions concernant l’administration d’Ekamant. C’est lui qui décidait où serait acheté le matériel requis pour l’exploitation de l’entreprise, en particulier, la machinerie importante acquise lorsque Ekamant a commencé à fabriquer ses propres produits. Une seule signature était nécessaire pour les chèques : la sienne ou celle de son épouse, qui travaillait également pour Ekamant, comme contrôleuse. Il n’avait aucun compte à rendre de sa gestion à personne. Monsieur Côté a identifié les trois administrateurs d’Ekamant comme étant, durant la période pertinente, monsieur Denis Levac, monsieur Herman Fuchs et lui. Selon monsieur Côté, il n’y a jamais eu de réunion du conseil d’administration.

[6]              Il faut toutefois juger avec circonspection certaines des réponses fournies  par monsieur Côté puisqu’il s’est trompé à plusieurs reprises en présentant les faits pertinents. Par exemple, il a décrit monsieur Levac comme étant son comptable alors qu’il s’agissait de son avocat. Son comptable était monsieur Dominique Tran. De plus, monsieur Côté a affirmé qu’il n’avait jamais investi un sou dans l’entreprise. Quand je lui ai demandé comment il était devenu actionnaire de la société, il a indiqué qu’il avait souscrit des actions de celle-ci. Or, l’analyse du registre des actionnaires de la société, produit sous la cote I-1, révèle qu’il a acquis certaines de ses actions d’Ekamant de monsieur Herman Fuchs, de l’épouse de celui-ci, madame Mina Lee Fuchs, ainsi que de leurs deux enfants. Quand je lui ai demandé combien il avait payé ses actions, il a répondu seulement une somme symbolique d’un dollar. Or, le registre indique qu’il a versé le 5 avril 1994 une somme de 1 155,70 $ à monsieur Fuchs pour dix actions, de 769,70 $ à madame Phyllis Fuchs pour 6,66 actions, de 769,70 $ à Bruce David Fuchs pour 6,66 actions et de 1 155,70 $ à Mina Lee Fuchs pour 10 actions.

[7]              Au moyen de deux documents intitulés « Irrevocable Power of Attorney » signés le 27 octobre 1994 (pièce A-1), Phyllis Fuchs et Bruce David Fuchs ont mandaté leur père, monsieur Herman Fuchs, pour les représenter dans les affaires d’Ekamant. Voici ce que prévoient ces deux procurations :

 

1.                  The preamble forms an integral part of the present Power of Attorney.

 

2.         The undersigned hereby appoints Herman Fuchs, President of the Company (the "Proxy"), having its place of business at 394 St-Paul Street, Le Gardeur, Province of Quebec, Canada, J5Z 4H8, as Proxy to attend and vote for the undersigned at any special and annual general meeting of the Shareholders to be held in the Province of Quebec and at any adjournment thereof and to vote and otherwise act thereat for and on behalf of the undersigned, as the Proxy will deemed [sic] fit and the undersigned hereby revokes any proxy or power of attorney previously given with reference to the Company.

 

3.         Without limiting the generality of the foregoing, the present power of attorney includes the right to vote for the Election of the Directors of the Company, to appoint Auditors to the Company and to fix their remuneration, to approve the granting of options and to act upon any other questions to be generally submitted to Shareholders.

 

4.         The present power of attorney also confers authority for the above named to vote at his discretion with respect to amendments of [sic] variations to matters identified in any notice of meeting of [sic] other matters which may properly come before any meeting or any adjournment thereof.

                                                                                                         

                                                                                      [Je souligne.]

[8]              Le 31 mars 1997, monsieur Herman Fuchs signait la procuration suivante (intitulée « Proxy ») en faveur de monsieur Côté :

 

WHEREAS the undersigned is a duly registered holder of shares of the Company.

 

WHEREAS the undersigned is an American resident.

 

WHEREAS the undersigned consents to the present proxy in view of permitting that decisions be taken by a Canadian resident in order to improve management decisions, since the Company has its main business in the province of Quebec, Canada. Therefore, the undersigned acknowledges:

 

1.         The preamble forms an integral part of the present proxy.

 

2.         The undersigned hereby appoints Robert Côté, Director of the Company, having its place of business at 394 St-Paul Street, Le Gardeur, Province of Quebec, Canada, J5Z 4H8, as proxy to attend and vote for the undersigned at any Special and Annual General Meeting of the Shareholders to be held in the province of Quebec and at any adjournment thereof and to vote and otherwise act thereat for and on behalf of the undersigned as the proxy will deem fit and the undersigned hereby revokes any proxy previously given with reference to the Company.

 

3.         Without limiting the generality of the foregoing, the present proxy includes the right to vote for the Election of the Directors of the Company, to appoint Auditors to the Company and to fix their remuneration, to approve the granting of options and to act upon any other questions to be generally submitted to Shareholders.

 

4.         The present proxy also confers authority for the above named to vote at his discretion with respect to amendments or variations to matters identified in any notice of meeting or other matters which may properly come before any meeting or any adjournment thereof.

                                                                                               

                                                                                                [Je souligne.]

[9]              Pour établir qu’il était le seul à pouvoir administrer Ekamant, monsieur Côté a produit une entente en date du 26 octobre 2006 (pièce A-2). Il s’agit d’une entente (entente 2006) entre les quatre actionnaires d’Ekamant et Ekamant. En vertu de cette entente, on mettait fin à une entente antérieure (entente 1994) en date du 27 octobre 1994. Même si l’entente 2006 disait que l’entente1994 y était annexée, celle-ci n’a pas été produite en preuve. En outre, il est mentionné dans l’entente 2006 que « since the first Shareholders Agreement new agreements and rules have been put in place regarding the administration of the Corporation, which the parties herein wish to formalize in writing ». L’entente 2006 décrit le capital-actions d’Ekamant comme étant constitué d’un nombre illimité d’actions de catégorie A, dont 166,66 étaient émises et en circulation (paragraphe 2 de l’entente). Ces actions étaient distribuées de la façon suivante : Bruce David Fuchs 41,67, Herman Fuchs 41,66, Phyllis Gail Fuchs 41,68 et monsieur Robert Côté 41,65. Voici ce qu’énonce le paragraphe 3 de l’entente :

 

3.         The Shareholders agree to vote their respective shareholdings so that:

 

a.                         subject to the Canada Business Corporations Act and as long as RC is a shareholder, RC will be designated as a director and as President of the Corporation;

 

b.                        Bruce David Fuchs and Phyllis Gail Fuchs confirm that they have executed in favor of Herman Fuchs an irrevocable power of attorney by which Herman Fuchs represents them as shareholders of the Corporation and represents them as director and officer of the Corporation and without limiting the generality of the foregoing will take any and all decisions for them with respect to the Corporation’s activities and the application of the present Shareholder’s agreement;

 

c.                         Bruce David Fuchs, Phyllis Gail Fuchs and Herman Fuchs confirm, that as long as subparagraph 3a) hereinabove does apply, Robert Côté will take any and all decisions with respect to the Corporation’s activities and the application of the present Shareholders Agreement;

 

d.                        In addition, Herman Fuchs confirms the application of the terms contained in the proxy, he gave to Robert Côté on March 31, 1997 said proxy having its full force and effect, unamended (except for the address of the Corporation) as of the said date;

 

                                                                                       [Je souligne.]

[10]         Il faut ajouter que cette entente a été préparée par les professionnels d’Ekamant après le début de la vérification du ministre, le tout tel qu’il ressort de la lettre envoyée par monsieur Côté à l’Agence du revenu du Canada le 26 janvier 2005 (pièce I-2). Dans cette lettre, monsieur Côté confirme qu’il contrôle Ekamant malgré la façon dont les actions du capital-actions sont réparties.

 

Position d’Ekamant

[11]         Le procureur d’Ekamant soutient que monsieur Côté contrôlait de droit Ekamant en raison du droit qu’il avait d’acquérir les actions détenues par les trois autres actionnaires, à savoir les membres de la famille Fuchs, et en raison du sous‑alinéa  251(5)b)(i) de la Loi. Voici ce que dispose ce sous-alinéa :

 

(5)        Pour l’application du paragraphe (2) et de la définition de « société privée sous contrôle canadien » au paragraphe 125(7) :

            […]

b)      la personne qui, à un moment donné, en vertu d’un contrat, en equity ou autrement, a un droit, immédiat ou futur, conditionnel ou non :

i)        à des actions du capital-actions d’une société ou de les acquérir ou d’en contrôler les droits de vote, est réputée occuper la même position relativement au contrôle de la société que si elle était propriétaire des actions à ce moment, sauf si le droit ne peut être exercé à ce moment du fait que son exercice est conditionnel au décès, à la faillite ou à l’invalidité permanente d’un particulier.

                                                                                               

                                                                                                [Je souligne.]

 

Selon le procureur, le fait que monsieur Côté contrôlait de droit Ekamant empêchait l’existence d’un autre groupe qui pouvait contrôler cette société. Selon lui, Ekamant n’était comprise dans aucune des exceptions prévues dans la définition de société privée sous contrôle canadien au paragraphe 125(7) de la Loi.

[12]         En outre, le procureur d’Ekamant soutient que la preuve a révélé amplement que le groupe américain n’avait pas le contrôle de fait d’Ekamant compte tenu du rôle joué par monsieur Côté dans l’administration de la société ainsi que des pouvoirs qu’il détenait aux termes de la procuration donnée par monsieur Herman Fuchs en mars 1997. Selon le procureur, lorsque monsieur Fuchs a donné cette procuration à monsieur Côté, il agissait aussi au nom de ses deux enfants en raison des procurations qu’il détenait depuis 1994.

[13]         Selon le procureur d’Ekamant, les trois membres de la famille Fuchs ne pouvaient contrôler Ekamant en raison de l’effet de l’ensemble des procurations signées par ces membres de la famille, soit, tout d’abord celles des deux enfants en faveur de leur père et, par la suite, celle du père en faveur de monsieur Côté. Selon le procureur, l’effet de toutes ces ententes est semblable à celui d’une convention unanime des actionnaires visée au paragraphe 146(1) de la Loi sur les sociétés. Voici ce que dispose ce paragraphe :

 

Est valide, si elle est par ailleurs licite, la convention écrite conclue par tous les actionnaires d’une société soit entre eux, soit avec des tiers, qui restreint, en tout ou en partie, les pouvoirs des administrateurs de gérer les activités commerciales et les affaires internes de la société ou d’en surveiller la gestion.

                                                                                               

                                                                                                [Je souligne.]

[14]         Par conséquent, comme le contrôle effectif des affaires d’Ekamant avait été modifié, que le conseil d’administration n’exerçait plus ce contrôle, mais que c’était monsieur Côté qui le faisait, la société n’était pas contrôlée par des résidents américains. Le procureur a cité notamment le paragraphe 36 de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire de Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795. Voici ce que le juge Iacobucci écrivait aux paragraphes 36 et 37 :

 

Ainsi, le contrôle de jure est devenu la norme canadienne, et le critère généralement admis à cet égard consiste à se demander si la partie qui détient le contrôle a, en vertu des actions qu’elle possède, la capacité d’élire la majorité des membres du conseil d’administration. Toutefois, il faut reconnaître, au départ, que ce critère est vraiment une tentative de vérifier qui exerce un contrôle effectif sur les affaires et les destinées de la société. Autrement dit, bien que les administrateurs aient généralement, en vertu de la loi qui régit la société, le droit explicite de gérer la société, l’actionnaire majoritaire exerce indirectement ce contrôle en raison de sa capacité d’élire le conseil d’administration. […]

 

Vue sous cet angle, il devient évident que l’application formaliste d’un critère comme celui énoncé dans Buckerfield’s, qui ne tient pas compte suffisamment de la raison d’être de ce critère, peut mener à un résultat malheureusement artificiel.

                                                                                               

                                                                                      [Je souligne.]

[15]         En raison de l’existence des ententes semblables à une convention unanime des actionnaires, les trois membres de la famille Fuchs ne pouvaient pas contrôler Ekamant, et ce, même si on applique l’alinéa b) de la définition de société privée sous contrôle canadien.

 

Position de l’intimée

[16]         Le procureur de l’intimée soutient que les trois actionnaires américains contrôlaient Ekamant selon l’alinéa a) de la définition de société privée sous contrôle canadien au paragraphe 125(7) de la Loi et conteste l’interprétation de son confrère quant à la nature des trois procurations. Selon le procureur de l’intimée, il ne s’agit pas d’une convention unanime des actionnaires visée au paragraphe 146(1) de la Loi sur les sociétés. Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une convention unanime des actionnaires puisqu’il s’agit de trois procurations distinctes. En outre, l’effet de ces procurations n’est pas de soustraire au contrôle du conseil d’administration les affaires d’Ekamant. Enfin, l’entente du 26 octobre 2006 est postérieure à la période pertinente.

[17]         Après un moment d’hésitation, le procureur de l’intimée a contesté également la thèse de son confrère selon laquelle il ne peut exister en même temps deux groupes distincts de personnes qui contrôlent une société.

[18]         Il a soutenu aussi que les trois membres de la famille Fuchs formaient un groupe lié (par des liens de parenté) et que, suivant la décision Silicon Graphics Ltd. c. Canada, [2003] 1C.F. 447, [2002] 3 C.T.C. 527, ces trois individus sont en mesure d’exercer un contrôle sur Ekamant. Voici ce que le juge Sexton de la Cour d’appel fédérale écrivait au paragraphe 36 de cette décision :

 

Me fondant sur ces décisions, je souscris à l’argument de l’appelante selon lequel la simple possession d’une majorité mathématique d’actions par un ensemble d’actionnaires pris au hasard dans une société à grand nombre d’actionnaires ayant certains éléments communs identificateurs (p. ex. le lieu de résidence) mais sans un lien commun ne constitue pas un contrôle de droit ainsi que le terme a été défini par la jurisprudence. Je souscris également à l’argument de l’appelante selon lequel pour que plus d’une personne soit en position d’exercer un contrôle, il est nécessaire qu’il y ait un lien suffisant entre les actionnaires. Ce lien pourrait inclure, notamment, une entente de vote, une entente pour agir de concert ou des liens commerciaux ou familiaux.

                                                                                               

                                                                                                [Je souligne.]

 

Par conséquent, selon le procureur de l’intimée, il n’est pas nécessaire d’avoir recours à l’alinéa b) de la définition de société privée sous contrôle canadien au paragraphe 125(7) de la Loi. Par contre, si la Cour devait conclure que l’alinéa a) de cette définition n’était pas applicable, elle devrait maintenir la cotisation en raison de l’exclusion prévue à l’alinéa b) de la définition.

 

Analyse

[19]         Le point de départ pour résoudre le litige soumis à la Cour en l’espèce est la définition de société privée sous contrôle canadien au paragraphe 125(7) de la Loi :

 

« société privée sous contrôle canadien » Société privée qui est une société canadienne, à l’exception des sociétés suivantes :

 

a)         la société contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, par une ou plusieurs personnes non-résidentes, par une ou plusieurs sociétés publiques (sauf une société à capital de risque visée par règlement), par une ou plusieurs sociétés visées à l’alinéa c) ou par une combinaison de ces personnes ou sociétés;

 

b)                  si chaque action du capital-actions d’une société appartenant à une personne non-résidente, à une société publique (sauf une société à capital de risque visée par règlement) ou à une société visée à l’alinéa c) appartenait à une personne donnée, la société qui serait contrôlée par cette dernière;

c)                  la société dont une catégorie d’actions du capital-actions est cotée à une bourse de valeurs visée par règlement.

 

                   [Je souligne.]

[20]         Le paragraphe 256(5.1) de la loi définit comme suit l’expression « contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit » :

 

Contrôle de fait

 

Pour l’application de la présente loi, lorsque l’expression « contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, » est utilisée, une société est considérée comme ainsi contrôlée par une autre société, une personne ou un groupe de personnes – appelé « entité dominante » au présent paragraphe – à un moment donné si, à ce moment, l’entité dominante a une influence directe ou indirecte dont l’exercice entraînerait le contrôle de fait de la société. Toutefois, si cette influence découle d’un contrat de concession, d’une licence, d’un bail, d’un contrat de commercialisation, d’approvisionnement ou de gestion ou d’une convention semblable – la société et l’entité dominante n’ayant entre elles aucun lien de dépendancedont l’objet principal consiste à déterminer les liens qui unissent la société et l’entité dominante en ce qui concerne la façon de mener une entreprise exploitée par la société, celle-ci n’est pas considérée comme contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, par l’entité dominante du seul fait qu’une telle convention existe.

                                                                                     

                                                                                                [Je souligne.]

[21]         Je me suis exprimé ainsi sur la portée de la notion de contrôle utilisée dans ces dispositions dans l’affaire Transport M.L. Couture Inc.et al. c. La Reine, 2003 DTC 134[3] :

 

[26] … Avant l'adoption du paragraphe 256(5.1), applicable aux années d'imposition débutant après 1988, la Loi ne définissait pas ce que constituait le contrôle d'une société. Les tribunaux ont décidé que contrôle signifie contrôle de jure, à savoir le fait de posséder suffisamment d'actions pour donner une majorité de voix lors de l'élection des administrateurs d'une société. L'arrêt classique est celui rendu par le président Jackett de la Cour de l'échiquier du Canada dans l'affaire Buckerfield's Limited et al. v. M.N.R., 64 DTC 5301. Voici ce qu'il écrivait à la page 5303:

 

Many approaches might conceivably be adopted in applying the word "control" in a statute such as the Income Tax Act to a corporation. It might, for example, refer to control by "management", where management and the Board of Directors are separate, or it might refer to control by the Board of Directors. The kind of control exercised by management officials or the Board of Directors is, however, clearly not intended by section 39 when it contemplates control of one corporation by another as well as control of a corporation by individuals (see subsection (6) of section 39). The word "control" might conceivably refer to de facto control by one or more shareholders whether or not they hold a majority of shares. I am of the view, however, that, in section 39 of the Income Tax Act, the word "controlled" contemplates the right of control that rests in ownership of such a number of shares as carries with it the right to a majority of the votes in the election of the Board of Directors. See British American Tobacco Co. v. I.R.C., [1943] 1 A. E. R. 13, where Viscount Simon L. C., at page 15, says:

 

The owners of the majority of the voting power in a company are the persons who are in effective control of its affairs and fortunes.

                                                                                               

                                                                                                            [Je souligne.]

 

[27] Cette interprétation a été confirmée par la Cour suprême du Canada dans M.N.R. v. Dworkin Furs (Pembroke) Ltd. et al., 67 DTC 5035, et plus récemment dans Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795, [1998] A.C.S. no 41 et 98 DTC 6334 (angl.). Cette notion de contrôle reconnue par les tribunaux rejetait toute notion de contrôle de facto. Selon le juge Iacobucci dans Duha Printers, au paragraphe 58: "La notion de facto a été rejetée parce qu'elle oblige à vérifier qui exerce le contrôle de fait, ce qui peut conduire à une multitude d'indices susceptibles d'exister outre ces sources." De plus, il disait au paragraphe 52: "Si la distinction entre le contrôle de jure et le contrôle de facto doit être éliminée à ce moment-ci, il devrait appartenir au Parlement, et non aux tribunaux, de le faire."

 

[28] Or, c'est ce que le Parlement a fait en adoptant le paragraphe 256(5.1) de la Loi en 1988. Aux fins de la règle des sociétés associées notamment, les notions de contrôle de jure et de contrôle de facto doivent donc être utilisées maintenant. De plus, le sous-alinéa 256(1.2)b)(ii) de la Loi prévoit expressément qu'une société peut être contrôlée par une personne même si une autre personne contrôle aussi ou est réputée contrôler aussi la société.[]

 

                                                                                      [Je souligne.]

[22]         Au paragraphe 85 de l'arrêt Duha Printers, le juge Iacobucci a résumé ainsi les règles permettant de décider s'il y a contrôle de jure:

 

(1)   […]

(2)   Le critère général du contrôle de jure a été énoncé dans l'arrêt Buckerfield's, précité: il s'agit de décider si l'actionnaire majoritaire exerce un « contrôle effectif » sur « les affaires et les destinées » de la société, contrôle qui ressort de la « propriété d'un nombre d'actions conférant la majorité des voix pour l'élection du conseil d'administration ».

(3)   Pour décider s'il y a « contrôle effectif », il faut prendre en considération ce qui suit:

a)      la loi qui régit la société;

b)      le registre des actionnaires de la société;

c)      toute restriction, particulière ou exceptionnelle, imposée soit au pouvoir de l'actionnaire majoritaire de contrôler l'élection du conseil, soit au pouvoir du conseil de gérer l'entreprise et les affaires internes de la société, qui ressort de l'un ou l'autre des documents suivants:

(i)         des actes constitutifs de la société;

(ii)       d'une convention unanime des actionnaires.

(4)   Les documents autres que le registre des actionnaires, les actes constitutifs et les conventions unanimes des actionnaires ne doivent généralement pas être pris en considération à cette fin.

[23]         L’argument de l’avocat d’Ekamant selon lequel la présomption créée par l’alinéa 251(5)b) détermine qui contrôle Ekamant est mal fondé parce que cette fiction légale n’est pas pertinente, dans les circonstances de ces appels, aux fins de l’application de la définition de société privée sous contrôle canadien se trouvant au paragraphe 125(7) de la Loi pour déterminer si les trois actionnaires américains contrôlaient Ekamant durant la période pertinente. En quelque sorte, il peut exister de façon simultanée deux  personnes ou groupes de personnes distincts qui sont en position de contrôle relativement à une société : ceux déterminés en fonction de la réalité et ceux déterminés en fonction de la fiction légale. La fiction créée par l’alinéa 251(5)b) de la Loi ne dit pas que les détenteurs réels des actions qui sont l’objet du droit d’option sont réputés ne plus être les propriétaires de ces actions ou qu’ils sont réputés ne plus contrôler la société. Tel est le point de vue adopté par le président Jackett de la Cour de l’Échiquier à l’annexe de ses motifs dans Viking Food Products Ltd. v. Minister of National Revenue, 67 DTC 5067, à la page 5073[4] :

 

[…]

 

That subsection applies, when the question arises as to whether the owner of a "right" controlled the corporation and it directs that he should be deemed to have had the same position in relation to control of the corporation "as if" he owned "the shares". When the question arises as to whether the real owner of the shares controlled the corporation, there is no occasion to apply the deeming provision in subsection (5d). There is no possible justification for reading the provision as deeming the existence of two sets of shares in place of the one set that actually existed.

                                                                                                            [Je souligne.]

 

[24]         Comme le soutient à bon droit l’avocat de l’intimée, les trois membres de la famille Fuchs contrôlaient ensemble Ekamant durant la période pertinente puisqu’ils possédaient suffisamment d'actions pour donner une majorité de voix lors de l'élection des administrateurs. Le lien de parenté entre eux justifiait l’inférence qu’ils agissaient de concert dans ces circonstances, où personne n’était en mesure d’exercer seul un droit de contrôle. Le fait que les deux enfants Fuchs aient donné une procuration à leur père justifie la conclusion de fait que les trois membres de cette famille agissaient de concert. C’était toujours le conseil d’administration qui avait le « contrôle effectif » sur « les affaires et les destinées » d’Ekamant. Il n’existe aucune convention unanime des actionnaires ni d’acte constitutif de la société qui suspend l’application de la règle générale selon laquelle les sociétés sont contrôlées par leur conseil d’administration. Le seul document invoqué par l’avocat de monsieur Côté est la procuration (proxy) donnée par Herman Fuchs en faveur de monsieur Côté. Non seulement il s’agit d’une procuration qui n’est pas irrévocable, mais il s’agit aussi d’un type de document qui, selon le juge Iacobucci, « ne [doit] généralement pas être pris en considération ». Même si on combinait la procuration de Herman Fuchs, avec les deux procurations des enfants Fuchs, il manquerait, pour que ces documents puissent être considérés comme une convention unanime des actionnaires au sens de la Loi sur les sociétés,[5] à tout le moins l’intervention de monsieur Côté. Seuls les trois membres de la famille Fuchs ont signé ces documents. En outre, la procuration (proxy) de monsieur Herman Fuchs ne vise pas à restreindre les pouvoirs des administrateurs de gérer les activités commerciales et les affaires internes de la société ou d'en surveiller la gestion. Finalement, l’entente 2006 n’était pas en vigueur durant la période pertinente et n’est d’aucune utilité aux fins de ces appels. Par conséquent, Ekamant n’était pas une société privée sous contrôle canadien durant la période pertinente en raison de l’exclusion de l’alinéa a) de la définition de société privée sous contrôle canadien au paragraphe 125(7) de la Loi.

[25]         À mon avis, si cela n’était pas suffisant, il y aurait également l’exclusion énoncée à l’alinéa b) de la même définition qui permettrait de conclure qu’Ekamant n’était pas une société privée sous contrôle canadien durant la période pertinente. Comme il n’y a pas ici de suspension de la règle selon laquelle c’est le conseil d’administration qui contrôle les affaires et les destinées d’une entreprise, la « personne donnée » visée à l’alinéa b) détiendrait un nombre de votes suffisant pour contrôler Ekamant.

 

[26]         Pour tous ces motifs, l’appel d’Ekamant est rejeté, avec dépens.

 

 

Signé à Magog, Québec, ce 19e jour d’août 2009.

 

 

 

 

« Pierre Archambault »

Juge Archambault


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 408

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-2659(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              EKAMANT CANADA INC. C. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 18 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge Pierre Archambault

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 19e août 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Martin P. Jutras

Avocat de l’intimée :

Me Alain Gareau

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante :

 

                     Nom :                            Me Martin P. Jutras

 

                 Cabinet :                           Kaufman Laramée

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] On semble avoir nié ce paragraphe en raison du fait qu’il n’y a pas eu de dividende déclaré par Ekamant durant la période pertinente. En fait, selon monsieur Robert Côté, Ekamant n’a jamais déclaré de dividende.

 

[2] Selon monsieur Côté, qui a témoigné pour Ekamant, les achats effectués auprès d’Ekamant USA représentant de 40 à 60% du total.

[3]  Ce passage est évoqué par le juge Noël de la Cour d’appel fédérale dans la décision sur l’appel interjeté contre ma décision (9044-2807 Québec Inc. c . La Reine 2004 DTC 6141, par. 14).

[4]  Une approche semblable a été adoptée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vina-Rug (Canada) Limited v. Minister of National Revenue, 68 DTC 5021, où le juge Abbott écrivait à la page 5023 :

 

Applying these principles, once it is established that a group of shareholders owns a majority of the voting shares of a company, and the same group a majority of the voting shares of a second company, that fact is sufficient, in my opinion, to constitute the two companies associated within the provisions of section 39 of the Income Tax Act. Moreover, in determining de jure control more than one group of persons can be aptly described as a "group of persons" within the meaning of section 39(4)(b). In my view, it is immaterial whether or not other combinations of shareholders may own a majority of voting shares in either company, provided each combination is in a position to control at least a majority of votes to be cast at a general meeting of shareholders.

 

                                                                                                             [Je souligne]

 

Voir également R. Couzin, « Some Reflections on Corporate Control » (2005) vol. 53, no 2 Can.Tax J. 305, à la p.317.

[5] Cela était d’ailleurs un des problèmes aussi dans l’affaire Sedona Networks Corporation  c. La Reine 2006 CarswellNat 5692, 2006 DTC 2486 (angl.), par. 25.

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