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Dossier : 2008-782(IT)G

ENTRE :

JACQUES BILODEAU,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appels entendus le 11 mai 2009, à Sherbrooke (Québec).

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Richard Généreux

 

Avocat de l'intimée :

Me Alain Gareau

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 2003 et 2004 sont admis, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis que l’appelant a droit à des frais de repas admissibles de 4 000 $ pour l’année 2003 et de 3 125 $ pour l’année 2004. En tout autre aspect, les cotisations sous appel demeurent inchangées, le tout selon les motifs du jugement ci-joints.

 

        Chaque partie assumera ses propres dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19jour de juin 2009.

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


 

 

 

Référence : 2009 CCI 315

Date : 20090619

Dossier : 2008-782(IT)G

ENTRE :

JACQUES BILODEAU,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre

 

[1]              L’appelant en appelle de cotisations établies par le ministre du Revenu national (« ministre ») en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR ») pour les années d’imposition 2003 et 2004. Par ces cotisations, le ministre a refusé un montant de 43 115 $ que l’appelant a réclamé comme déduction, à l’encontre de ses revenus de commissions, à titre de « rendus, rabais et escomptes » pour l’année 2003. Le ministre a refusé cette déduction au motif que le montant en question représentait une commission imposable reçue par l’appelant relativement à deux polices d’assurance-vie auxquelles il a personnellement souscrit. Ce montant est le nœud du présent litige.

 

[2]              Le ministre a aussi refusé certaines dépenses. Sauf les dépenses reliées aux repas, l’appelant ne conteste plus les dépenses refusées. Quant aux dépenses de repas, l’intimée a concédé au début de l’audience, et l’appelant est d’accord, que le montant total des frais de repas donnant lieu à une déduction était de 8 000 $ en 2003 et de 6 250 $ en 2004, dont seulement 50% sont déductibles. Le ministre concède donc que les frais de repas admissibles sont de 4 000 $ pour l’année 2003 et de 3 125 $ pour l’année 2004, aux termes de l’article 67.1 de la LIR. L’appelant s’est aussi vu imposer des pénalités pour production tardive de ses déclarations de revenu, aux termes des paragraphes 162(1) et 162(2) de la LIR. Il conteste uniquement les pénalités imposées aux termes du paragraphe 162(2).

 

[3]              Je reviens maintenant au nœud du litige, soit le montant de 43 115 $ de commissions reçues par l’appelant en 2003. L’appelant est courtier en assurance-vie et il tire ses revenus de commissions de compagnies pour lesquelles il vend des polices d’assurance-vie. Il agit comme conseiller pour la société Force Financière Excel (« Excel »), laquelle joue un rôle d’intermédiaire entre la compagnie d’assurances et le conseiller. L’appelant a droit à une rémunération de base de 65 pour cent des primes exigées du client au cours de la première année sur une police d’assurance. À cela s’ajoute, une commission supplémentaire de 135 pour cent de la rémunération de base, que l’appelant reçoit puisqu’il est dans la liste des meilleurs vendeurs. Cette commission supplémentaire a été négociée entre l’appelant et Excel. C’est la compagnie d’assurances pour laquelle la police d’assurance est vendue qui paie la totalité de la rémunération à l’appelant, sur instruction de Excel.

 

[4]              En 2003, l’appelant a souscrit personnellement à deux polices d’assurance-vie auprès de la compagnie d’assurances Transamerica Vie, dont il était la personne assurée et sa conjointe, Mireille Fortier, bénéficiaire pour l’une des polices (police 750) (Pièce I-2), et sa conjointe la personne assurée et lui-même le bénéficiaire pour l’autre police (police 751) (Pièce I‑3). Le capital assuré pour chacune des deux polices était de 1 000 000 $. Dans les deux cas, il s’agissait de polices d’assurance-vie universelles avec coût d’assurance-garanti. Dans le jargon des assurances, cela signifie que celui qui investit dans une telle police investit une somme plus importante dès le début, laquelle est déposée dans un fonds, dont les revenus s’accumulent libres d’impôt et servent à payer le coût d’assurance sur une période moyenne d’environ 5 à 7 ans, selon le taux de rendement dans le fonds. Le montant investi au départ ne doit pas dépasser un certain seuil pour que le rendement demeure non imposable.[1] Par opposition, une assurance-vie temporaire par groupe d’âge est une police pour laquelle on établit une prime annuelle fixe selon une période d’années déterminée à l’avance, généralement 10 ou 20 ans. C’est ce dernier type d’assurance, l’assurance-vie temporaire, que les gens achètent normalement lorsqu’ils veulent prendre une protection sur leur vie.

 

[5]              En ce qui concerne les polices universelles prises par l’appelant, il a versé des primes de 18 999,96 $ au cours des deux premières années, pour un total de 37 999 92 $ sur la police pour laquelle il était la personne assurée (police 750) (Pièces A-7 et A‑8). Pour la police pour laquelle sa conjointe était la personne assurée (police 751), il a versé des primes de 9 999,96 $ pour la première année et de 9 166,63 $ pour la deuxième année, pour un total de 19 166,59 $ (Pièces A-4 et A-5).

 

[6]              Sur la police 750, la valeur nette totale du fonds (après déductions des coûts d’assurance) au 9 octobre 2004, soit après la première année, s’élevait à 14 268,11 $ (Pièce A-8) et après la deuxième année, à 29 183,09 $ au 9 octobre 2005, (Pièce A‑7). Les frais de rachat au 10 octobre 2004 étaient de 48 000 $ (Pièce A-8, page 3 de 6) et de 64 000 $ au 10 octobre 2005 (Pièce A-7, page 4 de 7). On voit donc que les frais de rachat dépassaient largement la valeur nette du fonds accumulé au cours des deux premières années, indiquant que cette police n’avait aucune valeur de rachat. Au 30 avril 2009 (donc dans la sixième année), la valeur cumulative du fonds s’élevait à 3 388,62 $ et les frais de rachat à 64 000 $ (Pièce A-6, deuxième page).

 

[7]              De façon similaire, pour la police 751, la valeur nette totale du fonds au 9 octobre 2004, s’élevait à 8 002,96 $ et les frais de rachat à la même date à 38 000 $ (Pièce A-5, pages 2 et 3 de 6). La valeur de ce fonds s’établissait au cours de la deuxième année, soit au 9 octobre 2005 à 16 506,58 $ et les frais de rachat à 50 000 $ (Pièce A-4, pages 3 et 4 de 7). Au 30 avril 2009 (dans la sixième année), la valeur cumulative du fonds était rendue à 10 736,21 $ et les frais de rachat à 50 000 $ (Pièce A-6, première page). On voit donc qu’après une période de 6 ans, il n’y avait aucune valeur de rachat sur ces deux polices. Ceci fait donc dire à l’appelant qu’il n’a pas acquis ces deux polices pour fins d’investissement, mais bien pour le bénéfice d’une assurance-vie personnelle, et ce, même si les primes d’assurance se payaient d’elles-mêmes directement du fonds d’assurance sur une période de 6 et 7 ans, sans que l’appelant n’ait à contribuer davantage après la première période de 2 ans.

 

[8]              L’appelant a toutefois mentionné que s’il n’avait pas été courtier en assurance-vie, il n’aurait probablement pas acheté ce type d’assurance. En effet, l’investissement des deux premières années est très élevé pour se procurer une police d’assurance-vie universelle. Il est beaucoup plus abordable de se procurer une assurance-vie temporaire, dont les primes sont payables annuellement sur une période de 10 ou 20 ans. L’appelant a reconnu que c’est le fait de recevoir une commission qu’il considérait non imposable, et ce, dès la première année, qui lui permettait d’absorber le coût élevé de l’assurance universelle. De fait, selon les calculs effectués par l’appelant, il a versé en tout 57 166,51 $ au cours des années 2003 et 2004 pour l’acquisition de ces deux polices. En retour, il a reçu une commission de 43 115 $. Le coût net de son assurance-vie sur ces deux polices, lui revient donc à la différence, soit 14 051,51 $, dans la mesure évidemment où cette commission n’est pas imposable. Par ailleurs, en faisant le choix d’investir dans une police d’assurance-vie universelle, l’appelant devait verser ses primes au cours des deux premières années, faute de quoi il aurait dû rembourser une partie importante de sa commission (Pièce A-3).

 

[9]              Monsieur Bertrand Fortier, V.P. Finance pour Excel, a confirmé que les polices universelles comme celles acquises par l’appelant, ne peuvent avoir de valeur de rachat avant que tous les frais (commissions, frais de rachat et d’émission) soient remboursés à même le fonds. En général, une telle police acquiert une valeur de rachat après une période de 10 ans. À ce moment, la valeur de rachat correspond aux primes versées moins le coût d’assurance net pur. De plus, les primes investies au départ par celui qui acquiert ce genre de police s’étalent sur les deux premières années. Ensuite, en théorie, le détenteur d’une telle police peut bénéficier de l’assurance-vie attachée à cette police pour une période moyenne de 5 ans, sans avoir à y investir de primes supplémentaires. Dans le cas de l’appelant et de sa conjointe, la police sur laquelle l’appelant est la personne assurée vient à échéance cette année, à moins qu’il ne décide de verser des primes annuelles dans le futur pour conserver son assurance-vie, ce que l’appelant a dit ne pas vouloir faire car cela n’était pas avantageux. Sa police acquise en 2003 aura donc été en vigueur sur une période de 6 ans. Quant à la police où sa conjointe est la personne assurée, le fonds a encore suffisamment d’argent pour une autre année, ce qui fait que sa police d’assurance-vie aura été en vigueur pour une période de 7 ans.

 

[10]         En complétant les déclarations de revenu pour l’appelant, monsieur Fortier a inclus le montant de la commission au montant de 43 115 $ que l’appelant a reçue de la compagnie Transamerica Vie, relativement à ces deux polices d’assurance-vie. Il a toutefois déduit une somme du même montant, considérant cette somme comme un rabais d’assurance. Il semble que dans l’industrie de l’assurance, on considère les commissions reçues à l’achat de polices d’assurance-vie personnelles, comme une somme exonérée d’impôt. Cette politique s’appuie sur le Bulletin d’interprétation IT‑470R, établi par l’Agence du Revenu du Canada (« ARC ») daté du 8 avril 1988 et révisé, en date du 11 août 1999. Ce Bulletin consacré aux avantages sociaux des employés s’appliquerait tout autant pour les contribuables travaillant à leur propre compte, les travailleurs autonomes (voir décision en impôt, document no. 2000‑0017597 (F) du 31 juillet 2000, (Pièce I-12)). Les passages pertinents du Bulletin d’interprétation IT-470R (Pièce I-11) se lisent comme suit :

 

Publications GouvCan --- Bulletins d’interprétation, IT-470R – Avantages sociaux des employés (Consolidé)

 

[…]

 

Résumé

 

Le présent bulletin porte sur divers genres d’« avantages sociaux » et indique si leur valeur doit être comprise dans le revenu. La partie A du présent bulletin traite des montants à inclure dans le revenu, tandis que la partie B traite des montants à ne pas inclure dans le revenu.

 

Discussion et interprétation

 

Introduction

 

1. L’information fournie dans le présent bulletin se rapporte aux cas où il existe une relation d’employeur-employé et ne s’applique pas nécessairement si l’employé est également un actionnaire ou un parent du propriétaire de l’entreprise.

 

2. Sauf indication contraire dans la Loi, les contribuables sont, en général, imposables sur la valeur de tous les avantages qu’ils reçoivent en vertu de leur emploi. Les « avantages sociaux » les plus répandus sont examinés ci-dessous et sont classés soit parmi les avantages imposables soit parmi les privilèges non imposables. Dans le second groupe, il peut fort bien exister un point au-delà duquel le concept de « privilège » ne vaut plus, c’est-à-dire où l’avantage revenant à l’employé ne présente plus un caractère fortuit ou traditionnel par rapport à l’emploi, mais devient une forme déguisée de rémunération supplémentaire. Dans de telles circonstances, l’« avantage social » est considéré comme étant un avantage imposable.

 

3. Lorsque la valeur d’un avantage imposable doit être incluse dans le revenu, l’employeur doit la déterminer ou en faire une estimation raisonnable et l’inscrire dans la case de la formule T4 Supplémentaire intitulée « Revenus d’emploi avant retenues » ainsi que dans la case appropriée de la section intitulée « Avantages imposables ».

 

[…]

 

Partie B – Montants à ne pas inclure dans le revenu

 

Remises sur les marchandises et commissions sur les ventes.

 

27. Lorsqu’un employeur accorde à ses employés un rabais à l’achat de sa marchandise, les avantages que peut retirer un employé de l’exercice d’un tel privilège ne sont pas considérés comme étant des avantages imposables. Cependant, cette règle ne vaut pas dans le cas d’un arrangement extraordinaire conclu avec un employé donné ou un groupe choisi d’employés, ni dans le cas d’un arrangement qui permet à l’employé d’acheter des marchandises (autres que les marchandises désuètes ou défraîchies) à un prix inférieur à leur prix coûtant pour l’employeur. Cela ne s’applique pas non plus à un arrangement réciproque conclu entre deux ou plusieurs employeurs qui s’engagent à laisser les employés de l’un se prévaloir d’un tel privilège auprès de l’autre qui n’est pas leur employeur. Une commission touchée par un employé préposé aux ventes sur des marchandises qu’il achète pour son usage personnel n’est pas imposable. De même, lorsqu’un vendeur d’assurance-vie acquiert une police d’assurance-vie et qu’il touche une commission sur cette police, celle-ci n’est pas imposable pourvu que le vendeur soit propriétaire de la police et qu’il soit tenu de verser les primes exigées à l’égard de cette police.

[Je souligne.]

 

[11]         Dans son rapport sur une opposition (Pièce A‑9), l’agente des appels, madame Nathalie Lemieux, a mentionné que la décision de la vérificatrice (décédée au moment de l’opposition) de refuser de réduire les revenus de commissions d’un montant de 43 115 $ pour des rendus, rabais et escomptes avait été prise au motif que les polices d’assurance-vie n’avaient pas été acquises par l’appelant dans le but de se procurer une protection personnelle mais à des fins d’investissement.

 

[12]         Madame Lemieux s’exprime ainsi dans son rapport : (Pièce A-9, aux pages 2 et 3 de 5)

 

[…]

 

Selon le rapport de vérification, cette déduction a été refusée parce que les polices d’assurances vie n’ont pas été acquises dans le but de se procurer une protection personnelle mais à des fins d’investissement. Par conséquent, la commission reçue est imposable (voir « Conference for Advanced Life Underwriting » de mai 2000 et la « décision en impôt »).

 

Selon le document no 2004-006699117, les primes versées par le propriétaire de la police sont utilisées par la compagnie à des fins d’investissement. L’investissement s’accumule dans la valeur de rachat de la police ce qui permet au propriétaire d’obtenir des avances sur police sur cette valeur de rachat.

 

Selon le IT-470R « Avantages sociaux des employés » lorsqu’un vendeur d’assurance-vie acquiert une police d’assurance-vie et qu’il touche une commission sur cette police, celle-ci n’est pas imposable pourvue que le vendeur soit propriétaire de la police et qu’il soit tenu de verser les primes exigées à l’égard de cette police. Dans ce cas-ci, M. Bilodeau est propriétaire de la police en question et il a versé des primes à cet égard. À première vue, les commissions ne devraient pas être imposables mais ce n’est pas le cas. Il y a une précision à ce sujet qui a été apporté dans l’opinion 2000-017597. Voici ce que dit cette opinion :

 

« Ainsi, bien que toute commission reçue est généralement imposable, la position de l’Agence est à l’effet que lorsqu’un vendeur d’assurance-vie achète une police d’assurance-vie pour des fins personnelles, la commission reçue de son employeur n’est pas imposable. De plus, l’Agence applique cette position à un travailleur autonome.

 

Lors de la Conference for Advanced Life Underwriting en mai dernier, l’Agence a émis certaines précisions à l’égard de sa position énoncée au paragraphe 27 du IT‑470R. Notamment, elle a mentionné que les commentaires de ce bulletin ne visaient pas les commissions reçues sur l’achat de tous les types de polices d’assurance-vie. Elle a également spécifié que, lorsqu’un vendeur d’assurances fait l’acquisition d’une police d’assurance-vie pour des fins d’investissement ou d’entreprise, la commission qu’il reçoit est imposable.

 

Il n’a jamais été prévu que l’expression « police d’assurance-vie »  utilisée dans le bulletin d’interprétation IT-470R soit celle du paragraphe 138(12) de la Loi. En fait, on visait spécifiquement une police d’assurance-vie acquise dans le but de procurer une protection personnelle.

 

Par conséquent, les commissions reçues par un vendeur d’assurance-vie suite à l’acquisition d’un contrat de rentes ou d’une police à fonds réservé à titre d’investissement sont imposables pour celui-ci »

 

Comme j’avais les copies des polices d’assurance-vie du client, j’ai remarqué que ce dernier avait opté pour le plan « Avantage Prospérité ». J’ai donc vérifié en quoi consistait ce plan sur Internet. Selon les renseignements que j’ai obtenus, cette police d’assurance vie universelle contient un élément placement. De plus, en accumulant des fonds dans cette police d’assurance vie universelle, le client peut décider comment la prime est investie et peut effectuer des retraits en espèce. L’« Avantage Prospérité » combine la croissance de placement à long terme à imposition différée à une protection financière immédiate d’assurance vie compète. Ce produit répond bien aux besoins des particuliers qui recherchent une large gamme d’options d’intérêt, une bonification liée au rendement de placement et plus.

 

[13]         L’avocat de l’appelant s’appuie principalement sur le Bulletin d’interprétation IT‑470R pour soutenir que l’intimée a erronément refusé la déduction du montant de 43 115 $. Il dit que les deux polices ne peuvent être utilisées comme levier d’investissement ou devenir rachetables qu’à compter de la onzième année d’existence. Il soutient que ces polices n’ont donc pas été acquises dans un but d’investissement mais bien simplement pour se procurer une protection d’assurance‑vie personnelle. Dans ce contexte, les dispositions du Bulletin d’interprétation devraient s’appliquer pour rendre non-imposable la commission que l’appelant a reçue lors de l’acquisition de ses deux polices d’assurance-vie.

 

[14]         À mon avis, la commission reçue au montant de 43 115 $ est un revenu imposable aux termes du paragraphe 9(1) de la LIR. Il s’agit là d’un revenu que l’appelant tire de son entreprise. En effet, l’appelant a reçu cette somme dans le cadre de l’exercice de sa profession de courtier en assurance-vie. S’il n’avait pas été courtier, il n’aurait pas reçu cette commission. Il a lui-même expliqué que l’avantage pour lui d’acquérir deux polices d’assurance-vie universelles était le fait qu’il était courtier, car ceci lui permettait de recevoir une commission qui réduisait de façon substantielle le coût des primes associées à ce type de police d’assurance‑vie. Que ces deux polices aient été acquises par lui pour des fins personnelles, comme il le soutient, ne change pas le fait qu’il ait tiré la commission en litige dans le cadre de son activité professionnelle de courtier. C’est précisément parce qu’il était courtier professionnel qu’il a eu droit à cette commission.

 

[15]         En ce qui concerne le Bulletin d’interprétation IT-470R, ce dernier ne peut se substituer à la LIR. Ce bulletin ne constitue que l’opinion du ministre, et ne peut lier ni ce dernier, ni le contribuable, ni les tribunaux. Il est vrai toutefois que l’on accepte de considérer un bulletin d’interprétation comme un facteur important dans l’interprétation de la LIR, s’il y a un doute sur le sens de cette législation (voir Vaillancourt c. Sous‑ministre Ministre du Revenu national, 1991 CarswellNat 795 au paragraphe 21, [1991] 3 C.F. 663).

 

[16]         Dans le cas présent, il n’y a aucun doute dans mon esprit que la commission  reçue par l’appelant est un revenu tiré de sa profession, et imposable aux termes du paragraphe 9(1) de la LIR.

 

[17]         Le Bulletin d’interprétation IT-470R vient ici donner le traitement réservé dans certains cas par l’ARC à une catégorie de contribuables dans certaines circonstances. Malgré le fait qu’une commission reçue sur une vente soit de par sa nature imposable, l’ARC considère certaines de ces commissions comme un privilège accordé au vendeur qui le reçoit. Ainsi, tout comme un employeur peut accorder à son employé un rabais à l’achat de sa marchandise, l’ARC considère qu’une compagnie d’assurances peut accorder un rabais à l’un de ses vendeurs s’il acquiert une police d’assurance-vie personnelle auprès d’elle. Dans de tels cas, l’ARC considère ce rabais comme un privilège relié à l’emploi ou à la profession, et accepte de considérer ces avantages non-imposables. Ceci ne reflète toutefois qu’une politique administrative de l’ARC et, à ce que je sache, ne tire aucunement sa source de la LIR. En effet, on ne retrouve pas de dispositions dans la LIR, exonérant d’impôt ce genre de privilèges.

 

[18]         Ainsi, à mon avis, dans la mesure où l’ARC change sa politique administrative, ou considère qu’un cas en particulier ne remplit pas les conditions requises à la bonne générosité du fisc, le contribuable ne peut venir devant cette Cour pour forcer l’ARC à se conformer à son bulletin d’interprétation, surtout si ce dernier accorde un répit fiscal non-conforme à la législation fiscale. Le contribuable aurait peut-être un recours en dommages et intérêts devant un tribunal de droit commun, à l’encontre du gouvernement fédéral, mais un tel recours n’est pas possible devant la Cour canadienne de l’impôt qui a pour mandat de déterminer si une cotisation est valide aux termes de la LIR. Ceci étant dit, je souligne qu’au paragraphe 2 du bulletin IT‑470R, l’ARC précise que si l’avantage revenant à l’employé ne présente plus un cas fortuit ou traditionnel par rapport à l’emploi, mais devient une forme déguisée de rémunération supplémentaire, le dit avantage demeure imposable.

 

[19]         En conséquence, que les polices aient été acquises par l’appelant pour des fins personnelles, ou pour obtenir un rendement libre d’impôt, ne change rien à mon avis à l’imposabilité de la commission qu’il a reçue dans le cadre de l’exercice de sa profession.

 

[20]         L’avocat de l’appelant a soumis en argument alternatif que si la commission était imposable, les primes que l’appelant a versées pour l’acquisition de ces deux polices devaient être déductibles. Il soumet que ces primes ont été versées en partie du moins, pour retirer son revenu imposable de commission. Il s’appuie, entre autres, sur le fait que si l’appelant n’avait pas payé ces primes au cours des deux premières années, il n’aurait pas eu droit à sa commission.

 

[21]         Je ne souscris pas à cet argument. Les primes payées par l’appelant pour l’achat de ces deux polices d’assurance-vie, l’ont été précisément pour acquérir une protection sur sa vie et celle de sa conjointe à des fins personnelles. Si l’un des deux décède, l’autre aura droit à un produit d’assurance de 1 000 000 $ immédiatement après le décès. Il est vrai qu’en versant les primes sur une période de deux ans, l’appelant s’assurait de recevoir une commission. Mais le but recherché était non pas de tirer un bénéfice net imposable, mais plutôt de venir réduire de façon substantielle le coût d’assurance des deux polices acquises pour des fins personnelles.

 

[22]         À preuve, le montant des primes versées dépasse largement le montant de la commission reçue à l’égard de ces deux polices. En déterminant si une dépense a été faite en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien, afin qu’elle soit déductible aux termes de l’alinéa 18(1)a) de la LIR, il faut tenir compte de l’objet visé par cette dépense, d’un point de vue pratique et commercial. Je me réfère entre autres à l’arrêt Symes c. Canada, 1993 CarswellNat 1387, [1993] 4 R.C.S. 695. Dans l’analyse de l’alinéa 18(1)a) de la LIR, le juge Iacobucci s’exprimait ainsi aux paragraphes 66 et 67 :

 

66        […] on ne peut pas nier que le libellé actuel de l’alinéa 18(1)a) suffit à justifier le point de vue que le Parlement a procédé à la modification de l’ancien article pour élargir les déductions au titre des dépenses d’entreprise. Le professeur Brooks est de cet avis et dit que la seule véritable question en vertu de l’alinéa 18(1)a) est la suivante : [Traduction] « la dépense a-t-elle été engagée à une fin personnelle ou à une fin commerciale? » (loc. cit., à la p. 253). D’autres commentateurs proposent d’autres critères qui empruntent plus ou moins directement au libellé de l’alinéa 18(1)a). Par exemple, on parle d’un critère de [Traduction] « l’objet prédominant » (C.F.L. Young, « Case Comment on Symes v. The Queen », [1991] Brit. Tax Rev. 105, à la p. 105), ou d’un critère qui exige simplement un but de production de revenu : Krishna, The Fundamentals of Canadian Income Tax, op. cit., aux pp. 365 et 366; E.C. Harris, Canadian Income Taxation (4e éd. 1986), aux pp. 191 et 192.

 

67        Tous ces critères renvoient dans une certaine mesure à l’objet d’une dépense. Pour déterminer s’il convient d’adopter un critère fondé sur l’objet, je souhaite prendre note de la décision du juge Wilson dans l’arrêt Mattabi Mines Ltd. C. Ontario (Ministre du Revenu), [1988] 2 R.C.S. 175. Dans cette affaire, le juge Wilson a examiné une disposition fiscale assez semblable à l’alinéa 18(1)a) ainsi que la jurisprudence s’y rapportant et a tiré la conclusion suivante (à la p. 189) :

 

Tout ce qui importe, c’est que les dépenses aient été engagées légitimement dans le cours ordinaire des affaires et dans le but qu’il en découle ultérieurement un revenu imposable pour la compagnie.

 

[23]         La juge L’Heureux-Dubé abondait dans le même sens aux paragraphes 191 et 192 :

 

191      Conformément au paragraphe 9(1) de la Loi, que j’ai aussi déjà reproduit, le revenu tiré par un contribuable d’une entreprise pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année. Le terme « bénéfice » n’est pas défini dans la Loi, mais on lui a donné le sens de bénéfice net. La détermination du « bénéfice » se rattache à la question de savoir si une dépense constitue une véritable dépense d’entreprise devant être incluse dans le calcul du gain net (Daley c. Minister of National Revenue, [1950] R.C. de l’É. 516). Dans le calcul du bénéfice net, la question cruciale est de savoir si une déduction est interdite parce que la dépense n’a pas été engagée en vue de tirer un revenu comme l’exige l’alinéa 18(1)a), ou parce que la dépense est de nature personnelle conformément à l’alinéa 18(1)h). À l’instar du juge Iacobucci, je crois que, pour répondre à cette question, il faut essentiellement explorer l’interaction de l’article 9, qui autorise les déductions, et des alinéas 18(1)a) et h), qui interdisent certaines des déductions possibles.

 

192      Ces deux importants critères ressortent de l’analyse que fait le juge Cullen de la jurisprudence pour déterminer si une dépense peut être déduite du revenu de l’entreprise. Il a statué : (1) qu’elle doit être conforme aux principes commerciaux ordinaires et à la pratique courante des affaires, compte tenu des circonstances de chaque cas, et (2) qu’elle doit avoir été faite ou engagée en vue de tirer un revenu de l’entreprise ou de faire produire un revenu à l’entreprise. Ce critère a été appliqué par notre Cour dans l’arrêt Mattabi Mines Ltd. c. Ontario (Ministre du Revenu), [1988] 2 R.C.S. 175, dans lequel le juge Wilson affirme (à la p. 189) :

 

Tout ce qui importe, c’est que les dépenses aient été engagées légitimement dans le cours ordinaire des affaires et dans le but qu’il en découle ultérieurement un revenu imposable pour la compagnie. [Je souligne.]

 

Le juge de première instance et mon collègue le juge Iacobucci ont tous deux adopté cette conception large, dont l’objet principal est de mettre l’accent sur un contribuable donné et sur les dépenses que celui-ci fait légitimement dans le cours de ses affaires.

 

[24]         Par ailleurs, dans l’arrêt Stewart v. R., 2002 CSC 46, 2002 CarswellNat 1071, la Cour suprême du Canada disait que pour qu’une activité soit qualifiée de commerciale par nature, le contribuable doit avoir l’intention subjective de réaliser un profit. La Cour ajoutait que cela obligeait le contribuable à établir que son intention prédominante était de tirer profit de l’activité (paragraphe 54).

 

[25]         Ici, bien que l’appelant tire son revenu professionnel de la vente de polices d’assurance-vie, l’achat de polices d’assurance à des fins personnelles n’a pas été faite avec l’intention prédominante de tirer profit de son activité professionnelle. Au contraire, l’intention prédominante était de retirer une commission qui était inférieure aux primes versées pour l’achat de ces deux polices. On ne peut donc parler d’une dépense faite dans le but de réaliser un bénéfice net. De plus, il est clair selon la preuve que la seule raison pour laquelle l’appelant a acheté ce type de polices d’assurance-vie, était qu’il comptait recevoir une commission à l’achat, non imposable, qui viendrait réduire le montant de son coût d’assurance. L’intention de l’appelant n’était nullement de tirer un revenu de commission imposable. L’appelant a même dit que s’il avait su que cette commission était imposable, il n’aurait jamais acquis ces deux polices, et par conséquent n’aurait pas payé les primes pour lesquelles il demande maintenant une déduction, aux termes de l’alinéa 18(1)a) de la LIR.

 

[26]         En conséquence, les primes versées ne sont pas des dépenses faites dans le but de tirer un revenu imposable de sa profession, mais bien dans l’unique but de se procurer une assurance-vie personnelle à un coût réduit par l’octroi du montant de la commission. Je considère donc que les primes versées ne sont pas déductibles à l’encontre de son revenu de profession.

 

[27]         Finalement, je dois traiter des pénalités imposées aux termes du paragraphe 162(2) de la LIR. Cette disposition législative se lit comme suit :

 

162(2) Récidive. La personne qui ne produit pas de déclaration de revenu pour une année d’imposition selon les modalités et dans le délai prévus au paragraphe 150(1) après avoir été mise en demeure de le faire conformément au paragraphe 150(2) et qui, avant le moment du défaut, devait payer une pénalité en application du présent paragraphe ou du paragraphe (1) pour défaut de production d’une déclaration de revenu ou une des trois années d’imposition précédentes est passible d’une pénalité égale au total des montants suivants :

 

a) 10 % de l’impôt payable pour l’année en vertu de la présente partie qui était impayé à la date où, au plus tard, la déclaration devait être produite;

 

b)  le produit de 2 % de cet impôt impayé par le nombre de mois entiers, jusqu’à concurrence de 20, compris dans la période commençant à la date où, au plus tard, la déclaration devait être produite et se terminant le jour où la déclaration est effectivement produite.

[Je souligne.]

 

[28]         L’appelant reconnaît ne pas avoir produit ses déclarations de revenu pour les années 2003 et 2004 dans le délai prévu au paragraphe 150(1) de la LIR, mais soutient que le ministre ne l’a pas mis en demeure de le faire et qu’en conséquence il ne peut être assujetti à la pénalité prévue au paragraphe 162(2) de la LIR.

 

[29]         Madame Lemieux a mis en preuve les documents intitulés « OPTION C » (Pièce I‑8) sur lesquels on retrouve les dates de production des déclarations de revenu de l’appelant pour les années d’imposition 2000 à 2004 inclusivement. On y retrouve également la date de la demande de production par le ministre, qui pour les années 2001 à 2004 démontrent que la déclaration de revenu a été produite après la demande de production par le ministre.

 

[30]         Madame Lemieux a expliqué que l’ARC envoie d’abord une lettre au contribuable (code TX11) et ensuite, si la déclaration de revenu n’est toujours pas produite, on envoie une deuxième lettre, par courrier recommandé, qui est la lettre officielle de demande de production (code TX14D) à laquelle on fait référence dans le document « OPTION C », produit sous la Pièce I-8.

 

[31]         L’avocat de l’appelant dit que l’intimée n’a pas de preuve qu’un tel document a été envoyé à l’appelant. Madame Lemieux a retracé les contacts téléphoniques entre l’ARC et l’appelant dans les dossiers de l’ARC. Pour la déclaration de revenu 2003, la date où la lettre TX14D (lettre officielle) aurait été envoyée selon l’option C est le 11 janvier 2005. Dans cette lettre type, on donne 30 jours à un contribuable pour produire sa déclaration de revenu (Pièce I‑10). Or, le 9 février 2005, l’appelant a communiqué avec l’ARC pour demander un délai supplémentaire, ce qui laisse supposer qu’il a bel et bien reçu la mise en demeure (lettre TX14D). Ce délai lui a été accordé. Le 16 mars 2005, l’appelant a à nouveau communiqué avec l’ARC pour obtenir un nouveau délai et le 11 avril 2005, il a produit sa déclaration de revenu pour l’année 2003.

 

[32]         Pour l’année 2004, madame Lemieux n’avait pas le détail de communications téléphoniques avec l’appelant, mais l’option C indique que la demande officielle de production de la déclaration de revenu a été envoyée le 15 février 2006 et la déclaration a été produite le 10 avril 2006, soit un peu plus de 30 jours après la demande de production.

 

[33]         Je considère donc que l’intimée a fait une preuve suffisante démontrant que le ministre avait mis en demeure l’appelant de produire ses déclarations de revenu pour les années 2003 et 2004. Les pénalités imposées en vertu du paragraphe 162(2) de la LIR sont donc maintenues.

 

Décision

 

[34]         Les appels sont admis et les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis que l’appelant a droit à des frais de repas admissibles de 4 000 $ pour l’année 2003 et de 3 125 $ pour l’année 2004. En tout autre aspect, les cotisations demeurent inchangées.

 

[35]         Quant aux dépens, je n’en accorde pas puisque je reconnais que l’ARC induit les contribuables en erreur en prenant une position administrative qu’elle semble appliquer, de façon discrétionnaire. Les politiques internes allant à l’encontre des bulletins d’interprétation devraient être rendues publiques afin d’éviter toute confusion.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de juin 2009.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 315

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-782(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              JACQUES BILODEAU ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Sherbrooke (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 11 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 19 juin 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l'appelant :

Richard Généreux

 

Avocat de l'intimée :

Me Alain Gareau

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                           

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Les avocats des parties ont tous deux mentionné que ce traitement fiscal était possible en application du paragraphe 138(12) de la LIR, sans toutefois mettre d’emphase sur la façon exacte de calculer l’exonération fiscale. Aussi, je n’approfondirai pas davantage sur la possibilité d’accumuler des intérêts à l’abri de l’impôt dans un fonds d’assurance.

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