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Dossier : 2003-25(GST)G

ENTRE :

RONALD STAFFORD,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[traduction française officielle]

 

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 17 septembre 2007, à Fredericton (Nouveau‑Brunswick).

 

 Devant : L’honorable juge E.A. Bowie

 

 Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me John D. Townsend, c.r.

 

Avocat de l’intimée :

Me Cecil S. Woon

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté à l’égard de la cotisation établie en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d’accise, dont l’avis est daté du 15 mai 2001 et porte le numéro 68033, est accueilli, avec dépens, et la cotisation est annulée.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de mai 2009.

 

 

 

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de juin 2009.

 

 

 

François Brunet, réviseur


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 247

Date : 20090504

Dossier : 2003-25(GST)G

ENTRE :

RONALD STAFFORD,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[traduction française officielle]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bowie

 

[1]     L’appelant a interjeté appel d’une cotisation établie en vertu de l’article 323 de la Loi sur la taxe d’accise[1] (la « Loi ») relativement à la dette de taxe de vente harmonisée (la « TVH ») de Stafford Investment Limited (« SIL »). Une cotisation établie le 19 mai 1999 a imposé à SIL le paiement de la taxe nette, des intérêts et des pénalités suivants :

 

Taxe nette :

236 344,09 $

Intérêts nets :

7 372,79 $

Pénalités :

9 651,31 $

 

 

Total :

253 368,19 $

         

Le 5 février 2001, un certificat pour la somme de 303 356,67 $ a été enregistré à la Cour fédérale et un bref d’exécution de ce certificat a été délivré. Il est constant que ce bref a été renvoyé avec un rapport de carence vers le 14 mai 2001. Le 15 mai 2001, une cotisation a été établie à l’égard de l’appelant en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi. Selon cette cotisation, l’appelant était tenu de payer 314 175,17 $. Dans son appel, l’appelant a invoqué un seul moyen : la défense de diligence raisonnable prévue au paragraphe 323(3) de la Loi.

 

[2]     Voici les dispositions pertinentes de l’article 323 de la Loi :

 

323(1) Les administrateurs d’une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l’exige l’article 230.1, un montant au titre d’un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d’une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

 

(2) L’administrateur n’encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

 

            a) un certificat précisant la somme pour laquelle la personne morale est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 316 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme;

 

            b) la personne morale a entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution, ou elle a fait l’objet d’une dissolution, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant le premier en date du début des procédures et de la dissolution;

 

            c) la personne morale a fait une cession, ou une ordonnance de faillite a été rendue contre elle en application de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant la cession ou l’ordonnance.

 

(3) L’administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

(4) Le ministre peut établir une cotisation pour un montant payable par une personne aux termes du présent article. Les articles 296 à 311 s’appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance, dès que le ministre envoie l’avis de cotisation applicable.

 

Faits

 

[3]     Ronald Stafford n’a pas faits d’études très poussées, mais il a néanmoins connu une belle carrière en affaires. Comme il n’avait aucune disposition pour les études, il a quitté la Fredericton High School, seulement deux semaines après avoir commencé sa neuvième année, pour aller travailler au Apple Exchange. Peu de temps après, il a quitté cet emploi‑là pour aller travailler dans le rayon des fruits et légumes d’un supermarché de la chaîne Dominion Stores. Au cours des 30 années suivantes, l’appelant a gravi les échelons de Dominion Stores, passant de gérant du rayon des fruits et légumes à directeur adjoint du magasin de Saint John, pour finalement devenir directeur de magasin à Fredericton. L’ascension professionnelle de l’appelant était due à ses aptitudes relationnelles, car il n'avait pas de facilités sur le plan des chiffres ou de l'expression. Comme l’appelant l’a expliqué lors de son témoignage, il a réussi à faire le travail de gestion parce qu’un chef caissier et un aide‑comptable s’occupaient de l’aspect financier de l’entreprise pendant qu’il s’occupait de l’aspect humain.

 

[4]     Au début des années 1970, l’appelant a été engagé par un certain M. Randall pour travailler comme spécialiste des fruits et légumes pour sa société, Atlantic Wholesalers (« Atlantic »). En 1978, l’appelant était devenu associé d’Atlantic, et il payait le prix d’achat de sa participation de 25 % dans Atlantic à même sa part des profits. Pendant les sept années suivantes, l’appelant a dirigé un magasin situé à Sussex. Lorsque M. Randall a pris sa retraite en 1985, l’appelant lui a acheté la participation de 75 % qu’il détenait dans la société, et, au même moment, il a trouvé un nouvel associé à qui il a vendu sa participation originale de 25 %. Le nouvel associé s’occupait des aspects financier et administratif de l’entreprise et l’appelant continuait à s’occuper de l’aspect humain.

 

[5]     En 1989, l’appelant a pris sa retraite de l’entreprise exploitée par Atlantic. Il a vendu sa participation dans Atlantic à un nouvel associé pour environ 1 million de dollars. Après avoir reçu des conseils, l’appelant a créé SIL, un moyen de placement qui devait servir à la gestion des produits de la vente de sa participation dans Atlantic et au financement de sa retraite. L’appelant et son épouse étaient les administrateurs de SIL. Entre 1989 et 1997, SIL a investi dans diverses entreprises et faits divers placements passifs.

 

[6]     C’est à ce moment‑là que le jeune frère de l’appelant, Terrance Stafford, est entré en scène. Terrance Stafford, de quatre ans le cadet de l’appelant, a été assez proche de celui-ci pendant la majeure partie de leur vie. Terrance Stafford a occupé un bon nombre d’emplois dans sa vie, mais il n’a jamais particulièrement bien réussi professionnellement. Il a de l’expérience comme aide‑comptable, et, de 1995 à 1997, il a été contrôleur pour Maritime Tobacco Ltd. (« MTL »), un petit fabriquant de cigarettes. Au printemps 1997, Terrance Stafford a demandé à l’appelant de lui rendre un service.

 

[7]     Terrance Stafford a dit à son frère qu’il avait la possibilité d’entrer dans l’industrie du tabac en devenant grossiste pour MTL, mais que pour ce faire, il devait pouvoir agir par l’entremise d’une société déjà active dans la province et capable de déposer une caution de 100 000 $. Terrance Stafford était incapable de satisfaire à ces exigences et il a donc demandé à son frère la permission d’utiliser SIL à cette fin‑là. Après réflexion, l’appelant et son épouse ont décidé d’accéder à la requête de Terrance. Ainsi, SIL allait dès lors avoir une division du tabac qui agirait à titre de grossiste pour MTL et dont Terrance allait être le directeur général. Un compte bancaire distinct a été ouvert pour la division du tabac.

 

[8]     L’appelant a témoigné qu’à partir de mai 1997, lui et son frère déjeunaient ensemble toutes les deux ou trois semaines pour discuter de la division du tabac et de questions financières. Lors de ces rencontres, l’appelant posait systématiquement des questions à son frère au sujet de la santé financière de la division du tabac, et, plus particulièrement, sur le solde du compte bancaire de la division du tabac et pour savoir si les comptes créditeurs et les versements de taxe sur le tabac du Nouveau‑Brunswick et de TVH étaient tous à jour. Ces rencontres se tenaient régulièrement entre 1997 et 1998, et, à ces mêmes questions, Terrance répondait toujours que les versements avaient tous été faits et que le solde du compte bancaire était suffisant.

 

[9]     Le comptable de l’appelant a établi des états financiers à la fin de l’exercice se terminant le 30 septembre 1997. La division du tabac avait essuyé une petite perte – 3 500 $ – durant cet exercice‑là. L’appelant a dit qu’il ne s’en était pas inquiété parce qu’il savait qu’il n’était pas rare qu’une entreprise subisse des pertes durant la période de démarrage. À la fin de l’exercice 1998, la division du tabac avait réalisé un petit bénéfice. Le 4 janvier 1999, l’appelant a appris que son frère avait abusé de sa confiance. Ce jour‑là, il a reçu la visite de deux vérificateurs du ministère des Finances du Nouveau‑Brunswick. Ceux‑ci ont présenté à l’appelant les résultats de la vérification qu’ils avaient effectuée à l’égard de SIL. Selon cette vérification, SIL devait payer un arriéré de taxe sur le tabac s’élevant à 517 332,93 $. Après avoir appris cette nouvelle et réalisé que son frère lui avait menti, l’appelant a pris les rênes de la division du tabac. Il s’est rendu compte que la division détenait d’importantes créances, et, après avoir perçu ces créances et vendu certains titres, il a pu régler la dette fiscale sur le tabac de SIL en mars 1999.

 

[10]    À ce moment‑là, l’appelant avait décidé de ne plus exploiter d’entreprise dans l’industrie du tabac; il allait soit fermer la division du tabac, soit la vendre. Un acheteur potentiel a signifié son intérêt, mais avant que l’appelant ait pu négocier le prix de vente, une autre tuile lui est tombée sur la tête : une vérification sur la TVH. La cotisation résultant de cette vérification‑là est datée du 19 mai 1999, et a imposé à SIL le paiement de taxe, de pénalités et d’intérêts totalisant 253 368,19 $. À cause de cette nouvelle infortune, l’appelant n’avait plus le choix: il devait vendre SIL, ce qu’il a fait le 2 juin 1999. Il a conclu cette vente en se fondant sur les conseils de son comptable et de son avocat, auxquels il faisait entièrement confiance pour les questions financières et juridiques.

 

[11]    C’est l’avocat de l’appelant qui a fait le montage de la vente de SIL. L’acheteur était une société à numéro, 1354987 Ontario Inc., dont les actions appartenaient à un certain M. Kokorudz. Avant la conclusion de la vente le 2 juin 1999, SIL a déclaré un dividende en nature constitué de quatre hypothèques dont le solde débiteur totalisait alors 221 349 $. Ce dividende était spécifiquement prévu et autorisé par la clause 1.01 de l’accord de vente, qui se lit comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

            L’acheteur consent à ce que la société déclare un dividende en nature payable au vendeur avant que les actions ordinaires et les actions privilégiées de la société ne soient vendues à l’acheteur conformément aux présentes. L’acheteur consent aussi à ce que la société paye ce dividende en cédant au vendeur les dettes suivantes, qui sont dues par la société, et tous les titres détenus par la société relativement à ces dettes :

 

Créanciers

Montant de la dette

a) Nathan Gordon Nagle

    Carolyn Anne Nagle

29 118,89 $

 

b) Donald Horsman

    Jeannene Horsman

24 704,30 $

 

c) William E. Smith

    Janet M. Smith

80 126,33 $

 

d) H & P Sands Holdings Ltd.

87 400,00 $

 

Total :

231 349,52 $

 

            L’acheteur fera en sorte que la société prenne les mesures nécessaires et fournisse les documents raisonnablement nécessaires pour transférer au vendeur les dettes en question et les titres s’y rattachant.

 

[12]    La clause 4.01 de l’accord de vente précisait que l’acheteur était tenu de faire en sorte qu’après la conclusion de la vente, SIL paye ses dettes de TVH établies par la cotisation.

 

[TRADUCTION]

 

            L’acheteur fera en sorte que la société paye dans les délais impartis la dette de TVH que lui a imposée la cotisation, environ 254 000 $, à la suite de la récente vérification menée par l’Agence du revenu du Canada. L’acheteur et la société seront solidairement responsables d’indemniser le vendeur pour toute obligation qui pourrait lui être imposée à l’égard de la dette de TVH, de même qu’à l’égard de toute autre dette, responsabilité ou obligation de la société. Les indemnités prévues aux présentes vaudront toujours après la conclusion de la vente.

 

À la date de la conclusion de la vente, la dette de TVH de SIL s’élevait à 109 623 $. Ce jour‑là, le solde du compte bancaire de la division du tabac de SIL était de 186 126,94 $. Conformément aux conseils de son avocat, l’appelant a signé les documents requis pour la clôture de la vente dans les bureaux de son avocat à Saint John, puis il s’est rendu à Sussex et a transféré le pouvoir de signature pour le compte bancaire de SIL à l’acheteur. Au moment de la vente, la cotisation de TVH était frappée d'appel, et l’acheteur s’était engagé à payer la cotisation à même le compte bancaire de SIL et à poursuivre l’appel. Cependant, l’acheteur n’en a rien fait. La cotisation de TVH n’a jamais été payée et l’appel a été abandonné. Cela a abouti à l’établissement de la cotisation en vertu de l’article 323 de la Loi qui fait l’objet du présent appel.

 

[13]    Peu de temps après la vente de SIL, Terrance Stafford a été accusé de fraude relativement à ses activités auprès de MTL. Après avoir négocié un plaidoyer de culpabilité, il a été condamné à dix mois de résidence surveillée. Terrance Stafford a sincèrement admis que lorsqu’il était contrôleur de MTL, lui et le président de cette entreprise avaient fait de fausses factures et falsifié des livres comptables. Il a avoué qu’après avoir quitté MTL pour aller diriger la division du tabac de SIL, il avait poursuivi ses agissements criminels. Terrance Stafford a admis que les dettes considérables révélées par les vérifications relatives à la taxe sur le tabac et à la TVH étaient entièrement attribuables à de fausses factures qu’il avait faites au nom de SIL, de sorte que SIL avait payé MTL pour des produits du tabac qu’elle n’avait jamais reçus. Terrance Stafford n’a jamais informé son frère de sa conduite frauduleuse avant que la vérification de TVH ait été terminée et que les résultats aient été présentés à l’appelant.

 

Analyse

 

[14]    Dans l'arrêt Soper c. Canada[2], la Cour d’appel fédérale a fait l’examen de certains principes qui régissent l’application du paragraphe 323(3) de la Loi. Cette jurisprudence, a été suivie depuis par la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Canada c. McKinnon[3] et Hartrell v. The Queen[4]. La norme de prudence à laquelle sont tenus les administrateurs n’est pas aussi exigeante que celle à laquelle sont tenus les fiduciaires. Manifestement, l’appelant était un administrateur interne, mais cela ne veut pas dire qu’il était garant de la société. Au paragraphe 22 de l'arrêt Soper, le juge Robertson a dit que la norme de prudence qui s’applique à l’administrateur est celle de la conduite dont on pourrait s’attendre d’« une personne ayant ses connaissances et son expérience ». L’appelant compte plusieurs années d’expérience en affaires, mais je prête entièrement foi à son témoignage voulant qu’il avait de la difficulté à comprendre les documents financiers. Les succès de l’appelant en affaires étaient attribuables à sa capacité de traiter avec les clients plutôt qu’à un talent pour la finance. Quand il était directeur de magasin pour Dominion Stores et ensuite associé d’Atlantic, il comptait sur des aides‑comptables et des comptables pour s’occuper de l’aspect financier de l’entreprise. Après avoir pris sa retraite, l’appelant a continué de participer de façon modeste aux activités de certaines entreprises, par l’entremise de SIL, mais il a toujours fait confiance à d’autres personnes pour l’aspect financier de ses activités.

 

[15]    Dans l'arrêt Soper, la Cour d’appel fédérale a aussi reconnu qu’en l’absence de motifs de soupçons, l'administrateur ne manque pas au devoir de prudence que lui impose le paragraphe 323(3) de la Loi du seul fait qu’il a délégué aux dirigeants de la société la responsabilité de la perception et du versement de la TVH. L’appelant savait que son frère Terrance avait acquis de l’expérience dans l’industrie du tabac durant les années où il avait travaillé pour MTL, et que Terrance avait une expertise spécifique en matière de finances. L’appelant savait assurément que son frère, à titre de contrôleur de MTL, avait été responsable des finances de cette société‑là. L’appelant n’avait aucune raison de croire que son frère n’avait pas rempli ses obligations de façon exemplaire. Ce n’est qu’après que la vérification eut révélé que SIL avait manqué à ses obligations fiscales que Terrance Stafford a avoué ses malversations, et il était déjà trop tard, car le mal était déjà fait relativement à la taxe sur le tabac et à la TVH.

 

[16]    Bien évidemment, la délégation de responsabilités doit être accompagnée d’une surveillance appropriée. En l’espèce, la question fondamentale est de savoir si la surveillance de l’appelant à l’égard de la division du tabac a été suffisante. L’appelant ne connaissait rien à l’industrie du tabac et il n’avait aucune expérience dans ce domaine‑là. En fait, il n’avait jamais eu l’intention de se lancer dans ce domaine. L'appelant a crée la division du tabac dans le seul but rendre service à son frère, qui semblait avoir une occasion qu’il ne pouvait saisir qu’avec l’aide de l’appelant. Il semble que l’appelant connaissait ses obligations. Je prête entièrement foi au témoignage de l’appelant voulant qu’il déjeunait avec son frère toutes les deux ou trois semaines. Le fait que l’appelant tenait ces rencontres et qu’il posait régulièrement les questions qu’il a posées m’a tout à fait convaincu qu’il a fait de son mieux pour respecter ses obligations. Comme l’appelant était l’unique actionnaire de SIL, nul doute qu’il voulait que la division du tabac connaisse du succès et qu'elle n’essuie pas de pertes qui auraient nuit aux autres activités et placements de SIL. La question essentielle est de savoir si les rencontres entre l’appelant et son frère ont répondu aux obligations de l’appelant. Pour répondre à cette question‑là, il faut rechercher si l’appelant aurait pu prendre d’autres mesures outre celles qu’il a prises.

 

[17]    La Cour a déjà examiné le rôle des relations familiales sur la responsabilité des administrateurs au regard de la Loi de l’impôt sur le revenu et de la Loi dans un certain nombre de décisions, mais, en fin de compte, la mesure dans laquelle il est justifié qu’un administrateur fasse confiance à un employé de sa société – qu’il existe ou non un lien de parenté – est une question de fait et chaque cas est un cas d'espèce. En l’espèce, l’appelant a témoigné qu’il avait été très proche de son frère Terrance. Rien dans la preuve ne tend à indiquer que la conduite passée de Terrance aurait dû pousser l’appelant à ne pas faire confiance à son frère en tant que directeur de la division du tabac, tant pour mener les activités de celle-ci honnêtement que pour répondre honnêtement aux questions de l’appelant lors de leurs rencontres portant sur les finances de la division du tabac.

 

[18]    Me Woon soutient que si l’appelant avait voulu faire preuve de diligence, il aurait examiné les comptes et les relevés bancaires de la division du tabac, il aurait posé des questions à Mme Dunn, l’aide‑comptable, et il aurait vérifié auprès des autorités fiscales la véracité des dires de son frère, selon lequel les versements de taxe avaient tous été faits. Toutefois, dans les circonstances, cela n’aurait pas permis à l’appelant de connaître le véritable état des choses, car son frère Terrance falsifiait les documents comptables. Même en ne tenant pas compte de la très faible capacité de l’appelant de comprendre les états financiers et les autres documents financiers, aucune de ces démarches n’aurait été utile, car les comptes et registres de la division du tabac ne reflétaient pas la réalité. Seule une vérification juricomptable poussée aurait permis à l'appelant de découvrir la vérité. Selon moi, on ne saurait soutenir que le paragraphe 323(3) de la Loi exige que l’administrateur qui a délégué à son frère des fonctions de gestion doive, en l’absence de motifs de soupçons, tenir régulièrement des vérifications juricomptables de l’entreprise. À mon avis, la personne qui, dans des circonstances normales, prête foi aux dires de son frère n’agit pas de façon imprudente.

 

[19]    Je ne peux éviter de faire des observations sur deux des hypothèses sur lesquelles le ministre s’est fondé pour établir la cotisation. Il s’agit des alinéas 13v) et 13w) de la réponse à l’avis d’appel :

 

[TRADUCTION]

 

v)         le 1er juin 1999, l’appelant a fait en sorte que la société lui paye un dividende de 221 349,52 $ au lieu de payer la dette de TPS de la société;

 

w)        l’appelant n’a pas fait en sorte que la société paye sa dette de TPS avant de vendre la société pour 100 000 $ le 1er juin 1999;

 

Ces hypothèses donnent à penser que, selon le ministre, l’appelant avait l’intention de liquider les actifs de SIL à son profit sans respecter les obligations fiscales de SIL. Rien ne pourrait être plus faux. Après avoir fait confiance à son frère pour ensuite être trahi par celui‑ci, l’appelant a agi honorablement durant une période désastreuse. Lorsque la dette relative à la taxe sur le tabac envers la province du Nouveau‑Brunswick a été révélée, l’appelant a vendu des actifs – qui devaient servir à financer sa retraite – pour payer cette taxe, les pénalités et les intérêts dus par SIL. Lorsque la dette de TVH de SIL a été découverte quelques mois plus tard, l’appelant a vendu SIL afin de la régler. La vente de SIL a été montée de façon à ce que le solde du compte bancaire de SIL soit suffisant, après la vente, pour que l’acheteur puisse payer la dette de TVH, comme il s’était engagé à le faire. Après la vente de SIL, l’appelant n’a conservé que les hypothèques constituant le dividende dont font état les hypothèses du ministre et une contrepartie de 100 000 $. Je n’ai aucune raison de ne pas croire le témoignage de l’appelant selon lequel il avait suivi les conseils de son avocat durant la vente, et ce, même s’il est difficile de comprendre pourquoi un avocat conseillerait à son client d’agir de la sorte. Si SIL avait payé sa dette de TVH juste avant la conclusion de la vente, ou si l’acheteur avait respecté la clause 4.01 de l’accord de vente, aucune cotisation n’aurait été établie à l’égard de l’appelant. Malheureusement, l’appelant a remis le solde du compte bancaire de SIL à l’acheteur en même temps que les actions de la société, et il a fait confiance à l’acheteur en croyant que celui‑ci allait respecter ses obligations. Au contraire, l’acheteur a agi malhonnêtement. Cela ne veut cependant pas dire que l’appelant ne s'est pas soucié du paiement de la dette de TVH ou qu’il a agi imprudemment en suivant les conseils de son avocat.

 

[20]    Malgré les judicieuses observations faites par Me Woon à l’appui de la cotisation, je conclus que le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable prévu au paragraphe 323(3) de la Loi invoqué par l'appelant doit être retenu. Par conséquent, la cotisation doit être annulée. Les dépens sont adjugés à l’appelant.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de mai 2009.

 

 

 

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de juin 2009.

 

 

 

François Brunet, réviseur



RÉFÉRENCE :

2009 CCI 247

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2003‑25(GST)G

 

INTITULÉ :

Ronald Stafford et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Fredericton (Nouveau‑Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 septembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge E.A. Bowie

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 4 mai 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me John D. Townsend, c.r.

 

Avocat de l’intimée :

Me Cecil S. Woon

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

Nom :

Me John D. Townsend, c.r.

 

Cabinet :

Cox & Palmer

 

Pour l’intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] L.R.C. (1985), ch. E‑15, dans sa version modifiée.

[2] [1998] 1 C.F. 124.

[3] [2001] 2 C.F. 203.

[4] [2008] 3 C.T.C. 24.

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