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Dossier : 2007-4441(IT)G

 

ENTRE :

BERNICE A. CAMPBELL,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

 

Appel entendu à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 14 avril 2009.

 

Devant : L’honorable juge Diane Campbell

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

M. Bruce S. Russell, c.r.

Avocate de l’intimée :

Me Devon E. Peavoy

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, relativement à l'avis de cotisation numéro 41563 daté du 16 novembre 2006, est rejeté avec dépens, conformément aux motifs de jugement ci-joints.

 


Signé à Summerside (Île-du-Prince-Édouard), ce 9e jour de septembre 2009.

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de mars 2010.

 

 

 

François Brunet, réviseur


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 431

Date : 20090909

Dossier : 2007-4441(IT)G

 

ENTRE :

BERNICE A. CAMPBELL,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Campbell

 

[1]              Une cotisation de 24 341,00 $ a été établie à l’égard de l’appelante conformément à l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») et à l’article 20 de la Income Tax Act de la Nouvelle-Écosse (la « Loi de la N.-É. ») relativement à un transfert de bien effectué par son époux, Gerald Campbell, le 8 octobre 2002.

 

[2]              Initialement, l’appelante a soutenu que la cession du bien n’était pas un transfert au sens de l’article 160 de la Loi, puisque la disposition ne donnait pas lieu à un changement de titre bénéficiaire. Toutefois, l’appelante a admis qu’il y avait eu, en fait, transfert au regard de la jurisprudence La Reine c. Livingston, 2008 DTC 6233, mais elle a soutenu que Gerald Campbell n’avait qu’un titre juridique de valeur nulle à transférer. Par conséquent, pour décider si l’appelante est tenue de payer 24 341,00 $ relativement à ce transfert de bien, il faut rechercher au préalable si l’époux de l’appelante avait un intérêt bénéficiaire dans le bien lorsqu’il l’a transféré à l’appelante en 2002.

 

[3]              Après leur mariage en 1979, l’appelante et Gerald Campbell ont déménagé en Alberta. En 1989, ils sont revenus en Nouvelle-Écosse et ils ont fini par acheter, le 25 janvier 1993, une propriété condominiale (le « condo ») à Halifax. Le titre du condo a été enregistré aux noms des deux époux, en qualité de tenants conjoints. L’appelante a déclaré qu’elle avait pris l’initiative de l’achat et qu’elle avait reçu en cadeau de sa mère le versement initial de 10 000 $. La mère de l’appelante a confirmé qu’elle lui avait offert en cadeau non seulement le versement initial de 10 000 $, mais aussi une somme additionnelle de 1 000 $ pour couvrir les frais juridiques. Une hypothèque a été constituée par la Société Hypothécaire Scotia sur la propriété le 25 janvier 1993. Ladite hypothèque a été renégociée le 25 décembre 2000, et les deux parties sont demeurées codébiteurs hypothécaires jusqu’au 8 octobre 2002.

 

[4]              L’appelante a déclaré qu’elle avait initialement versé tous les paiements hypothécaires exigés à l’égard du condo à partir d’un compte bancaire qu’elle détenait conjointement avec Gerald Campbell. M. Campbell n’avait aucun pouvoir de signature à l’égard de ce compte depuis 2001. Au dire de l’appelante, elle a non seulement versé tous les paiements hypothécaires, mais également payé tous les autres frais liés à ladite propriété. M. Campbell travaille de manière irrégulière dans  l’industrie de la construction, tandis que l’appelante occupe un poste à temps plein, à titre de secrétaire de direction, au ministère des Services communautaires de la Nouvelle-Écosse. L’appelante a bien déclaré que son mari versait des sommes variant entre 100,00 $ et 600,00 une ou deux fois par mois, s’occupait des enfants (bien que la mère de l’appelante, Pearl Engram, s’occupait de la majeure partie du gardiennage pour l’appelante), effectuait certaines tâches ménagères et payait quelques épiceries et la facture d’électricité. M. Campbell a reconnu que, bien que sachant que son nom figurait sur l’hypothèque, il n’a versé aucun paiement hypothécaire et qu’il ne savait pas exactement comment les paiements étaient effectués. Toutefois, il a confirmé que l’appelante avait souscrit à une police d’assurance‑vie sur deux têtes à l’égard de la dite hypothèque jusqu’en 2002, tandis que l’appelante a prétendu dans son témoignage qu’elle n’était pas au courant de l’existence de cette assurance jusqu’à ce qu’un document produit à cet égard (pièce R‑1, onglet 10) vienne lui rafraîchir la mémoire.

 

[5]              À compter du moment où il a été acheté en janvier 1993 jusqu’à l’heure actuelle, le condo a été occupé par l’appelante, M. Campbell et leur fille, en tant que domicile familial, sauf pendant des périodes de difficultés conjugales durant lesquelles le conjoint de l’appelante a quitté le domicile familial. Selon la preuve produite, M. Campbell a quitté le domicile pendant environ cinq ou six mois au début de janvier 1993. Il est revenu au domicile car il ne pouvait plus payer un loyer, et il continue d’habiter dans le condo parce que « ... c’est mieux que dormir dans la rue » (transcription, page 110).

 

[6]              Le 8 octobre 2002, M. Campbell a signé un acte de garantie (pièce A‑1, onglet 2), cédant son droit sur la propriété à l’appelante en contrepartie d’un dollar « parce que nous étions sur le point de nous séparer et qu’elle avait investi tout l’argent au départ... » (transcription, page 110).

 

[7]              Au 8 octobre 2002, la juste valeur marchande (« JVM ») de la propriété s’élevait à 106 000,00 $ au moins, sous réserve d’une solde hypothécaire de 57 316,83 $ auprès de la Société Hypothécaire Scotia. Au moment du transfert, la JVM de 50 % de la valeur nette de la propriété totalisait 24 341,58 $.

 

[8]              L’appelante a rempli les déclarations de revenus de M. Campbell jusqu’en 2000. Lors du contre-interrogatoire, M. Campbell a admis avoir probablement fait l’objet d’une cotisation d’impôt, la première fois, autour de février 2001. Le total de toutes les sommes qu’il était tenu de payer pour les années d’imposition 1999, 2000, 2001 et 2002 s’élevait à 45 287,51 $ au moins.

 

La thèse de l'appelante

 

[9]              L’appelante fait valoir que depuis l’achat de la propriété, son mari n’avait qu’un seul droit sur le condo, soit le titre en common law, et qu’il n’avait pas de droit bénéficiaire ou droit de rachat à cet égard. L’appelante a déclaré qu’elle avait toujours assumé l’entière responsabilité de la propriété, y compris le versement initial et les paiements hypothécaires subséquents. Aucune cotisation ne doit être établie en application de l’article 160, étant donné que ce n’est qu’un titre en common law sur la propriété que Gerald Campbell a cédé à l’appelante au moyen d’un acte de garantie en 2002. Comme aucune partie de la valeur n’a été cédée à l’appelante et parce que l’appelante a toujours détenu l’intégralité du droit bénéficiaire sur la propriété, la JVM de l’intérêt de Gerald Campbell n’a pas excédé la JVM de l’unique dollar donné en contrepartie par l’appelante.

 

La thèse de l’intimée

 

[10]         L’intimée fait valoir que le mari de l’appelante a eu à la fois un droit en common law et un droit bénéficiaire sur le condo à toutes les époques pertinentes. Étant donné qu’ils sont unis par les liens du mariage, ils y avaient un lien de dépendance. Lorsque la propriété a été transférée à l’appelante en 2002, Gerald Campbell avait une dette fiscale, en application de la Loi, à l’égard de la JVM de la propriété au moment du transfert excédant la contrepartie donnée par l’appelante. Par conséquent, l’appelante doit au fisc 24 341,00 $, conformément à l’article 160.

 

Dispositions invoquées

 

[11]         Les parties invoquent les articles 160 et 251, ainsi que le paragraphe 248(1) de la Loi, de même que l’article 20 de la Loi de la N.-É. et les articles 3, 6 et 8 de la Matrimonial Property Act. Selon les parties pertinentes de l'article 160 :

 

160(1) Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :
 
a) son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;
 
b) une personne qui était âgée de moins de 18 ans;
 
c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,
 
les règles suivantes s’appliquent :
 
d) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d’une partie de l’impôt de l’auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d’imposition égale à l’excédent de l’impôt pour l’année sur ce que cet impôt aurait été sans l’application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l’article 74 de la Loi de l’impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts révisés du Canada de 1952, à l’égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l’égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens; 
 
e) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants : 
 
(i)                  l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,
 
(ii)                le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années; 
 
aucune disposition du présent paragraphe n’est toutefois réputée limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

 

[12]         L'article 251 dispose :

 

251(1)  Pour l'application de la présente loi :

 

a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

 

[...]

 

Définition de « personnes liées ».

 

251(2) Pour l’application de la présente loi, sont des « personnes liées » ou des personnes liées entre elles :  

 

a) des particuliers unis par les liens du sang, du mariage, de l'union de fait ou de l'adoption;

 

[...]

 

[13]         Le paragraphe 248(1) donne la définition suivante du terme « biens »:

 

« biens » Biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède : 
 
a) les droits de quelque nature qu'ils soient, les actions ou parts;
 
b) à moins d'une intention contraire évidente, l'argent;
 
c) les avoirs forestiers;
 
d) les travaux en cours d'une entreprise qui est une profession libérale.

 

[14]         Les paragraphes 3(1) et 6(1) et l’article 8 de la Matrimonial Property Act disposent :

 

[traduction]

« foyer conjugal »

 

3(1) Dans la présente Loi, « foyer conjugal » s’entend de l’habitation ou du bien immobilier occupé par une personne et le(la) conjoint(e) de cette personne en tant domicile familial et dans lequel l’un ou l’autre ou tous les deux ont un intérêt de propriété autre qu’un intérêt à bail.

[...]

 

Droit égal de possession du foyer conjugal

 

6(1) Les conjoints ont un droit égal en ce qui concerne la possession d’un foyer conjugal.

[...]

 

Aliénation du foyer conjugal

 

8(1) Un conjoint ne peut aliéner ou grever d’une charge le foyer conjugal que dans les cas suivants :

 

a)      l’autre conjoint y consent en signant l’instrument de disposition ou la charge, lesquels ne doivent pas être détenus de façon déraisonnable;

 

b)      L’autre conjoint a renoncé, par un accord de séparation ou un contrat de mariage, à tous les droits que lui reconnaît la présente partie;

 

c)   L’aliénation ou la charge hypothécaire est autorisée par une ordonnance de la cour, ou une ordonnance a libéré le bien de l’application de la présente partie à titre de foyer conjugal;

 

d)      Le bien n’est pas désigné foyer conjugal et un acte désignant un autre bien comme foyer conjugal du conjoint a été enregistré et non annulé.

 

Aliénation contraire au paragraphe (1)

 

(2) Lorsqu’un conjoint aliène ou grève un intérêt sur un foyer conjugal en contravention avec le paragraphe (1), l’opération peut être annulée sur requête à la cour, sauf si le titulaire du droit ou du grèvement au moment de la requête l’a acquis pour une contrepartie valable, de bonne foi et sans connaissance du fait que le bien était un foyer conjugal.

 

 

[15]         L’article 20 de la Loi de la N.-É. dispose :

 

[traduction]

 

Revenus non gagnés dans la province

 

20 Est déductible de l’impôt payable en vertu de la présente partie par un particulier pour une année d’imposition donnée le montant déterminé par la formule

 

A × B

 

 

A est le pourcentage provincial;

 

B est le montant que le particulier peut déduire pour l’année d’imposition en vertu de l’article 120.2 de la loi fédérale aux fins du calcul de l’impôt payable par le particulier en vertu de la partie I de la loi fédérale.

 

Analyse

 

[16]         Bien que souvent qualifié de disposition draconienne, l’article 160 de la Loi est un important outil de recouvrement de l’impôt. Ce texte a pour objet d'empêcher les contribuables d'échapper au fisc en transférant des biens à certains particuliers ou à d'autres personnes avec qui ils ont un lien de dépendance et d’éviter, de ce fait, une dette fiscale tout en tirant possiblement profit de l’actif. En l’espèce, le ministre invoque l’article 160 : même si le débiteur fiscal, Gerald Campbell, a cédé un actif à son épouse, l’appelante, celui-ci peut faire l’objet d’une procédure de  recouvrement d’impôt. Si la thèse du ministre est retenue, l’appelante est responsable de la dette fiscale exigible durant l’année du transfert ou toute année précédente dans la mesure où la JVM de la propriété transférée à l’appelante excède la contrepartie reçue. Il convient toutefois de souligner qu’il n’est pas nécessaire que l’auteur du transfert ait eu, au moment du transfert, l’intention de se soustraire à son obligation fiscale [Montreuil et al. c. La Reine, 95 DTC 138].

 

 

[17]         Dans la décision Wannan c. La Reine, 2003 DTC 5715, la Cour d’appel fédérale a fait les observations suivantes au paragraphe 3 :

 

[3] [...] Il n'existe pas de défense de diligence raisonnable à l'encontre de l'application de l'article 160. Cet article peut s'appliquer au cessionnaire de biens qui n'a pas l'intention d'aider le débiteur fiscal primaire à se soustraire à l'impôt. Il peut même s'appliquer au cessionnaire qui n'a pas connaissance de la situation fiscale du débiteur fiscal primaire. Cependant, l'article 160 a été validement promulgué comme partie des lois du Canada. Si la Couronne entend se fonder sur l'article 160 dans un cas donné, elle doit être autorisée à le faire pour autant que les conditions prévues soient remplies.

 

[18]         Quatre conditions doivent être réunies pour que l’article 160 puisse être appliqué. Selon la jurisprudence Livingston (voir les paragraphes 17 à 19) ; les voici :

 

[17] Étant donné la signification claire des termes du paragraphe 160(1), les critères dont dépend le déclenchement de son application se révèlent évidents :

 

1)         L'auteur du transfert doit être tenu de payer des impôts en vertu de la Loi au moment de ce transfert.

 

2)         Il doit y avoir eu transfert direct ou indirect de biens au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon.

 

3)         Le bénéficiaire du transfert doit être :

 

i.          soit l’époux ou conjoint de fait de l’auteur du transfert au moment de celui-ci, ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

 

ii.          soit une personne qui était âgée de moins de 18 ans au moment du transfert;

 

iii.         soit une personne avec laquelle l’auteur du transfert avait un lien de dépendance.

 

4)         La juste valeur marchande des biens transférés doit excéder la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par le bénéficiaire du transfert.

 

[18] L’application de ces critères dépend dans une mesure particulièrement importante de l’objet du paragraphe 160(1). Dans l’arrêt Medland c. Canada, 98 DTC 6358 (C.A.F.) (« Medland »), notre Cour a conclu que l’objet et l’esprit du paragraphe 160(1) « consistent à empêcher un contribuable de transférer ses biens à son conjoint [ou encore à un mineur ou à une personne avec qui il a un lien de dépendance] afin de faire échec aux efforts déployés par le ministre pour percevoir l’argent qui lui est dû ». Voir également le paragraphe 10 de l’arrêt Heavyside c. Canada, [1996] C.A.F. no 1608 (C.A.) (QL) (« Heavyside »). De façon encore plus pertinente pour la présente espèce, la Cour canadienne de l’impôt a posé en principe qu’il serait contraire à l’objet du paragraphe 160(1) que l’auteur d’un transfert permette au bénéficiaire de celui-ci d’utiliser les sommes transférées pour payer les dettes dudit auteur en vue de favoriser des créanciers déterminés aux dépens de l’ARC; voir le paragraphe 19 de l’arrêt Raphael c. Canada, 2000 DTC 2434.

 

[19] [É]tant donné l'objet du paragraphe 160(1), l'intention de l'auteur et du bénéficiaire du transfert de frustrer l’ARC en tant que créancier peut se révéler pertinente pour l'examen du caractère suffisant ou non de la contrepartie. Cependant, je ne voudrais pas que l'on en conclue qu'il doive y avoir intention de frustrer l’ARC pour déclencher l'application du paragraphe 160(1). En effet, ce paragraphe peut s'appliquer au bénéficiaire d'un transfert qui n'a pas l'intention d’aider le débiteur fiscal principal à éviter de payer ses impôts; voir le paragraphe 3 de Wannan c. Canada, 2003 CAF 423.

 

[19]         Trois de ces quatre conditions ne sont pas matière à controverse en l’espèce.

 

A)      Obligation fiscale – alinéa 160(1)e)(ii)

 

[20]         Une des hypothèses du ministre du Revenu national (le « ministre ») était que le conjoint de l’appelante avait une dette fiscale de 45 287,00 $ au moment du transfert le 8 octobre 2002. Même si l’appelante a déclaré qu’elle n’était pas au courant de la dette fiscale de son mari parce qu’elle avait cessé de produire ses déclarations de revenus au début des années 2000, selon la jurisprudence Wannan, il n’est pas nécessaire qu’elle ait été au courant de la situation fiscale du débiteur principal pour que joue l’article 160. La dette fiscale de M. Campbell n’est pas matière à controverse.

 

B)      Relation entre l’auteur et le bénéficiaire du transfert – alinéa 160(1)a)

 

[21]         La définition de l’expression « personnes liées » figurant au paragraphe 251(2) englobe les personnes liées entre elles par les liens du mariage ou de l’union de fait. Comme les personnes liées sont réputées ne pas faire affaire l’une avec l’autre sans lien de dépendance et qu’il ressort des éléments de preuve démontre que les parties étaient mariées depuis 1979, cette exigence est également satisfaite.

 

C)      Contrepartie et JVM – sous-alinéa 160(1)e)(i)

 

[22]         Selon le sous-alinéa 160(1)e)(i), le bénéficiaire du transfert est responsable de la dette fiscale de l’auteur du transfert dans la mesure où la valeur de la propriété excède la valeur de la contrepartie reçue pour la propriété. Le ministre a assumé que la valeur nette que Gerald Campbell possédait dans le condo était de 24 341,00 $ et qu’il avait transféré à l’appelante à la fois ses droits en common law et en equity sur le condo pour une contrepartie d’un dollar. Il est constant que la JVM du condo s’élevait à 106 000,00 $ au 8 octobre 2002 ou que le solde hypothécaire était de 57 316,00 $. Toutefois, l’appelante maintient que la JVM de l’intérêt de son époux dans le condo était nulle et non de 24 341,00 $ comme le soutient l’intimée. Par conséquent, elle soutient que son obligation était nulle au regard de l’article 160, puisque la JVM de l’intérêt de son mari n’excédait pas la contrepartie d’un dollar.

 

[23]         Pour déterminer la JVM du droit de Gerald Campbell sur le condo, il faut rechercher s’il détenait uniquement le titre en common law, dans lequel cas la JVM de cet intérêt sera nulle, ou s’il avait en outre un droit en equity sur le condo, dans lequel cas la JVM de son intérêt correspondra à 24 341,00 $.

 

D)      Transfert de biens

 

[24]         Le terme « biens » est défini au paragraphe 248(1) de la Loi. Le condo qui a été cédé à l’appelante est visé par cette définition étant donné qu’elle englobe les immeubles.

 

[25]         Le terme « transfert » n’est pas défini dans la Loi, mais il a fait l’objet d’une abondante jurisprudence. Dans l'arrêt Fasken c. Ministre du Revenu national, 49 DTC 491, fréquemment cité, le juge Thorson a donné la définition suivante à la page 497 :

 

[TRADUCTION]

Le mot « transfert » n’est pas un terme technique et n’a pas un sens technique. Il n’est pas nécessaire qu’un transfert de biens par un mari à son épouse revête une forme particulière ni qu’il se fasse directement. Il suffit que le mari agisse de façon à se dessaisir des biens et les faire acquérir à son épouse, c’est-à-dire transmettre les biens de lui à elle. Les moyens par lesquels il arrive à cette fin, qu’ils soient directs ou détournés, peuvent être à juste titre appelés un transfert [...]

 

 

[26]         La décision Livingston, qui a été récemment rendue, enseigne que le simple transfert d’un titre en common law constitue un transfert au sens de l’article 160. Au paragraphe 22, le juge Sexton a fait l’observation suivante :

 

[22] En outre, il y a le transfert de biens pour l’application de l’article 160 même si la propriété bénéficiaire ou effective n’a pas été transféree. Le paragraphe 160(1) s’applique à tout transfert de biens – « au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon ». Par conséquent, ce paragraphe définit le transfert à une fiducie comme un transfert de biens. Il est certain que, même si l’auteur du transfert est le bénéficiaire de la fiducie, le titre juridique a été transféré au fiduciaire. Il s’agit donc là d’un transfert de biens pour l’application du paragraphe 160(1), qui après tout, a entre autres pour objet d’empêcher l’auteur du transfert de cacher ses biens, y compris derrière une fiducie, pour éviter que l’ARC ne les saisisse. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner l’argument de l’intimée selon lequel Mme Davies a conservé le titre de bénéficiaire des sommes déposées.

 

[27]         À la lumière de la jurisprudence Livingston, l’appelante convient qu’il y a eu transfert au sens à l’article 160, mais elle soutient que cette jurisprudence est muette sur la valeur d’un titre en common law. L’appelante fait valoir que puisque Gerald Campbell n’avait pas de titre bénéficiaire sur la propriété, aucune valeur ne lui a été transmise lors du transfert de la propriété, car la valeur du titre en common law était nulle. L’appelante soutient que la jurisprudence semble enseigner que la valeur d’un titre en common law est nulle, mais elle ne la cite pas. Il est probable que l’appelante fasse référence à la décision Gardner c. M.R.N., 88 DTC 1649, dans laquelle le juge Brulé a conclu, à la page 1651, que le droit du contribuable sur la propriété était nul, étant donné qu’il ne détenait qu’un titre en common law sur elle.

 

Titre bénéficiaire et titre en common law

 

[28]         En réponse à la thèse de l’appelante selon laquelle Gerald Campbell n’a transféré qu’un titre en common law sans valeur, l’intimée soutient que, pour conclure que Gerald Campbell n’avait pas de titre bénéficiaire à céder, notre Cour doit au préalable conclure qu’il agissait comme prête-nom ou qu’il était le fiduciaire de l’appelante. L’intimée soutient que rien dans les éléments de preuve ne justifie une telle conclusion.

 

[29]         Dans la décision Gardner, le juge Brulé a conclu que l’époux de l’appelante était devenu tenant conjoint pour faciliter l’obtention du financement et que, par conséquent, il détenait le titre en common law uniquement à titre de fiduciaire. Dans la décision Hurd c. La Reine, [2001] 2 C.T.C. 2489, le juge McArthur a conclu qu’il n’y avait pas eu transfert de titre bénéficiaire à l’oncle, parce qu’il n’était que le fiduciaire du contribuable, puisqu’il avait signé une déclaration de fiducie.

 

[30]         Dans les affaires Gardner et Hurd, ainsi que dans l’affaire Linke c. La Reine, 94 DTC 1549, les noms des particuliers ont été ajoutés sur le titre de la propriété en tant que tenants conjoints pour que les appelants dans ces affaires puissent obtenir un financement hypothécaire. Toutefois, en l’espèce, l’appelante n’a pas inscrit le nom de son époux comme tenant conjoint du condo pour obtenir un financement, car elle a déclaré avoir choisi la propriété en se fondant uniquement sur son salaire. En outre, elle a déclaré qu’il n’y avait eu aucune discussion officielle concernant l’ajout du nom de son conjoint sur l’acte au moment de l’achat ou du moins de discussions avec son époux ou l’avocat qui a conclu l’achat à ce sujet, si ses souvenirs étaient exacts. L’appelante soutient que la preuve confirme qu’elle était simplement satisfaite d’avoir fait enregistrer le titre comme cela se faisait généralement – c’est-à-dire en tenance conjointe. L’appelante avait compris que cela signifiait que le nom de son mari figurait sur le titre par mesure de précaution pour éviter des problèmes de succession advenant son décès et assurer un toit à sa fille.

 

[31]         Même s’il est vrai que l’appelante est une profane sans aucune formation juridique, elle a gravi les échelons jusqu’au poste de secrétaire de direction et elle a en outre bénéficié des services d’un conseiller juridique au moment de l’achat. La preuve démontre que l’époux de l’appelante avait un problème d’alcool et de jeu. Si elle était, au moment de l’achat, soucieuse du bien-être de sa fille comme elle l’a affirmé dans son témoignage, il m’est difficile de concevoir qu’elle n’ait pas évoqué cette question avec son avocat au moment de l’achat au lieu de fier à sa conception de la « tenance conjointe ». Je suis confortée par le fait qu’elle a refusé de renoncer au secret professionnel de l'avocat et qu’elle n’a pas cité son avocat à comparaître pour corroborer son témoignage. Cela confirme mes soupçons quant au fait que si cet avocat avait été cité à comparaître comme témoin, il aurait contredit son témoignage.

 

[32]         L’intimée invoquer les jurisprudences Miller c. M.R.N., 88 DTC 1488, Splinter c. La Reine, [2001] 3 C.T.C. 2553, et Isaac c. La Reine, [2006] G.S.T.C. 6, pour soutenir que l’époux de l’appelante n’était pas un prête-nom détenant le droit sur le condo en fiducie pour l’appelante. Dans les affaires Miller et Splinter, le titre n’était pas détenu par des tenants conjoints. Dans l’affaire Miller, le juge Taylor a conclu qu’étant donné que la convention de fiducie indiquait que l’auteur du transfert n’avait obtenu qu’un titre en common law sur la propriété, il ne pouvait pas transférer ce qu’il ne possédait pas, à savoir un titre bénéficiaire.

 

[33]         Dans l’affaire Splinter, même si aucune déclaration de fiducie n’avait été signée, la Cour a conclu qu’il y avait une autre preuve documentaire démontrant l’existence d’une relation fiduciaire et que, par conséquent, l’auteur du transfert détenait la propriété en fiducie seulement.

 

[34]         Dans l’affaire Isaac, l’auteur du transfert n’habitait pas dans la propriété au moment du transfert et, de plus, les documents, notamment une procuration et un accord de séparation signés, indiquaient que l’auteur du transfert ne détenait pas de titre bénéficiaire.

 

[35]         En se fondant sur cette jurisprudence, l’intimée soutient qu’il n’y avait aucun élément de preuve, notamment documentaire, comme une déclaration de fiducie, indiquant que l’époux de l’appelante détenait la propriété en fiducie pour elle. Bien que l’appelante n’ait pas expressément répondu à la thèse du prête-nom, elle n’a pas soutenu que Gerald Campbell détenait un droit sur la propriété en fiducie pour l’elle, l’avocat de l’appelante s’est fondé, à l’audience, sur une jurisprudence de la Cour d’appel de la Saskatchewan, Anderson c. Hervieux, [1985] S.J. No. 29 (C.A. Sask.). Dans cette décision, la cour a déclaré que le demandeur, qui vivait en relation de fait, avait droit, selon la théorie de la fiducie par déduction, à la pleine propriété de la maison en cas de séparation, car la défenderesse n’avait effectué aucune contribution financière et que le plaignant avait enregistré la propriété aux deux noms afin de s’assurer que sa valeur nette lui revienne s’il décédait. L’appelante soutient que ces deux facteurs pris en compte dans l’affaire Anderson sont semblables aux faits de la présente cause et tendent à confirmer la thèse de l’appelante selon laquelle seul le titre en common law a été transféré et non pas le titre bénéficiaire.

 

[36]         La décision Anderson ne se rapporte pas à une cotisation relevant de l’article 160. Elle concerne le droit de la famille et des fiducies. Dans cette affaire, les parties étaient séparées tandis que, en l’espèce, les parties sont toujours mariées et continuent, concrètement, d’habiter dans le condo. Dans l’affaire Anderson, il n’y avait aucune preuve de contribution monétaire aux frais du ménage tandis qu’en l’espèce, Gerald Campbell a effectué des contributions financières de l’ordre de 100,00 $ et de 600,00 $ une ou deux fois par mois. En outre, dans l’affaire Anderson, il n’y avait aucune preuve de l’existence de comptes bancaires conjoints ni de relevés de comptes-cartes VISA conjoint comme dans le présent appel. Bien que l’appelante ait déclaré que le titre de la propriété avait été enregistré à son nom et à celui de son époux afin de protéger leur fille, elle a affirmé n’avoir jamais formellement discuté avec son époux ou l’avocat du titre ou des effets possibles d’un enregistrement du condo aux deux noms.

 

[37]         En somme, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour me permettre de conclure que l’époux de l’appelante était un prête-nom, détenant un droit sur le condo à titre de fiduciaire au bénéfice de l’appelante. Il n’y a aucune preuve documentaire en ce sens, et le témoignage verbal contient certaines incohérences.

 

Tenance conjointe

 

[38]         La tenance conjointe est une forme de propriété selon laquelle les tenants conjoints ont la propriété et la possession concurrentes du même bien. L’intimée allègue que le facteur le plus important qui milite en faveur du titre bénéficiaire est le fait que l’appelante et son époux ont acquis le condo et qu’ils en ont détenu comme tenants conjoints plutôt que comme tenants communs. L’intimée soutient également que lorsque les parties ont la propriété du même bien en tant que tenants conjoints, il y a présomption, en l’absence d’une preuve documentaire crédible, que chacun des tenants a à la fois le titre en common law et le titre bénéficiaire sur la propriété. Comme l’intérêt de chaque tenant conjoint est identique et que la propriété ne peut être vendue ou hypothéquée sans le consentement des deux tenants conjoints, tout ce que l’appelante détenait en droit, son époux le détenait également.

 

[39]         L’appelante soutient qu’elle avait toujours voulu que son époux ne détienne que le titre en common law. Toutefois, il n’existe aucune preuve documentaire ou indirecte allant en ce sens. La preuve confirme que l’époux de l’appelante a participé dans une certaine mesure à l’achat. Il a rencontré le courtier en immeubles et a examiné le condo avant l’achat; il a rencontré l’avocat, examiné les documents et signé tous les documents relatifs à l’hypothèque (bien que peu de ces documents aient été produits devant moi). En fait, son nom a continué de figurer sur l’hypothèque lorsqu’elle a été renégociée en 2000 jusqu’en 2002. Advenant le décès de l’appelante, son mari avait un droit de survie relativement à la propriété et en serait devenu l’unique propriétaire. J’ai du mal à comprendre le témoignage de l’appelante, selon lequel elle a voulu protéger l’avenir de sa fille en mettant la propriété à leurs deux noms, étant donné que son mari avant un problème d’alcool et de jeu et que c’était principalement sa mère qui prenait soin de sa fille lorsqu’elle était jeune. La désignation de l’appelante et de son époux comme tenants conjoints et codébiteurs hypothécaires contredit clairement l’assertion de l’appelante selon laquelle elle a toujours voulu que son époux n’ait que le titre en common law à l’égard de la propriété.

 

[40]         Selon l’intimée, je dois tirer une conclusion défavorable du fait que l’avocat ayant représenté les parties lors de l’achat en 1993 n’a pas été cité à comparaître comme témoin pour confirmer les intentions de l’appelante au moment de l’achat. L’appelante a soutenu que son avocat était en vacances et qu’il ne pouvait pas, par conséquent, se présenter à l’audience. En outre, l’appelante a fait valoir que l’intimée aurait pu assigner cet avocat.

 

[41]         L’appelante et son époux ont rencontré l’avocat, mais la preuve était vague quant à ce qui a pu être discuté au moment de l’achat. Par conséquent, le témoignage dudit avocat aurait pu faire la lumière sur les questions, les préoccupations et les explications ayant donné lieu à des discussions avec l’appelante et son époux. Son témoignage aurait pu valider le témoignage de l’appelante sur ses intentions au moment de l’achat. Vu que l’appelante a refusé de renoncer au secret professionnel, je peux me demander si son avocat aurait contredit son témoignage concernant les ramifications de la tenance conjointe s’il avait été cité à témoigner. Quant à l’allégation de l’appelante selon laquelle l’intimée aurait pu assigner l’avocat à comparaître, elle vaut bien peu de choses étant donné que l’appelante n’a pas renoncé au secret professionnel. Il n’aurait pu fournir aucune information pertinente sans la renonciation de l’appelante à ce privilège.

 

[42]         L’intimée prétend que, malgré tout, l’époux de l’appelante avait, même s’il n’était pas tenant conjoint, un titre bénéficiaire sur le condo au moment du transfert. Selon le ministre, la concept de « propriété bénéficiaire » englobe le droit de faire usage ou de bénéficier d’une propriété que l’on en détienne ou non le titre en common law (Observations de l’intimée, paragraphe 40). L’intimée a produit plusieurs bulletins techniques et interprétatifs pour établir de quelle manière l’Agence de revenu du Canada (« ARC ») définit les concepts de « propriété conjointe » et de « propriété bénéficiaire » [Technical Interpretation 2000-0048195 – Joint Tenancy – Beneficial Ownership; Interpretation – external 2007-025699IE5 – Beneficial Ownership; Bulletin d’interprétation IT‑437R – Propriété d’un bien (résidence principale)].

 

[traduction]

La Loi de l’impôt sur le revenu (Loi) ne définit pas le terme « propriété ». Dans les juridictions de common law, deux formes de propriété sont reconnues, soit la propriété en common law et la propriété bénéficiaire. Habituellement, la « propriété en common law » existe lorsque le titre de propriété est transféré à une personne ou qu'il est inscrit, enregistré ou tenu en son nom. Le propriétaire en common law a, en général, le pouvoir d'exercer ses droits de propriété à l'égard de toute autre personne. Par contre, l'expression « propriété bénéficiaire » sert à décrire le type de propriété d'une personne qui a droit à l'usage et aux avantages d'un bien, que cette personne détienne ou non le titre en common law. Lorsqu’il faut décider si l’interessé a la propriété bénéficiaire d’un bien, cela est une question de fait, on ne peut statuer qu’après avoir examiné tous les documents et les circonstances au cas par cas.

 

Les principaux attributs de la propriété bénéficiaire sont la possession, l’usage et les risques. Par conséquent, pour décider si l’intéressé a la propriété bénéficiaire d’un bien, il faut tenir compte de facteurs tels que le droit de posséder celui-ci, d’en toucher le loyer, de l’hypothéquer et d’en transférer le titre par vente ou par testament, l’obligation de faire les réparations et de payer les impôts fonciers et d’autres droits et obligations pertinents. [...] (CRA Views – external 2007-025699IE5 – Beneficial ownership, 6 décembre 2007).

(Non souligné dans l’original.)

 

[43]         Je retient la thèse de l’intimée : Gerald Campbell avait le titre bénéficiaire sur le condo puisqu’il l’a utilisé et l’a eu en sa possession de façon continue et qu’il a assumé les risques financiers habituels qu’assume le proprétaire d’une résidence (observations de l’intimée, paragraphe 42). Étant désigné tenant conjoint sur l’acte et codébiteur hypothécaire sur les documents financiers, le mari de l’appelante était responsable sur un pied d’égalité avec l’appelante du paiement des impôts fonciers, des réparations, des frais de condo et du solde du prêt hypothécaire impayé. La propriété ne pouvait pas être vendue ou grevée d’autres hypothèques sans son consentement. Bien qu’il ressort des éléments de preuve que l’appelant versait tous les paiements hypothécaires, cela ne saurait constituer en soi un moyen de défense contre une cotisation en vertu de l’article 160 ni ne tend à établir que son époux n’a pas de droit bénéficiaire. Le juge Bowman (tel était alors son titre) a fait l’observation suivante, au paragraphe 25, dans l’arrêt MacDougall c. La Reine, 98 DTC 2180 :

 

[25] Même si cette cause avait eu lieu dans une province de common law, je serais arrivé à la même conclusion. Le simple fait qu'un mari effectue tous les paiements hypothécaires d'une maison que lui et sa femme possèdent conjointement ne signifie pas qu'elle n'est pas un propriétaire effectif de la moitié du bien. Il faut une preuve forte pour démontrer qu'un conjoint qui est le propriétaire légal d'un bien n'est pas aussi le propriétaire effectif. [...]

(Non souligné dans l’original.)

 

[44]         L’appelante a déclaré que la banque avait inclus le nom de son mari sur sa demande de prêt hypothécaire afin que son dossier paraisse mieux et qu’elle obtienne son prêt plus facilement (transcription, page 78). Selon son témoignage, la banque a effectué une « estimation approximative » des revenus de son mari sans preuve et s’est plutôt fiée à sa déclaration de revenus. J’ai peine à croire qu’une institution prêteuse se fonderait sur une « estimation approximative » car si, comme le soutient l’appelante, le condo a été acheté et financé en fonction de son salaire uniquement, il n’aurait pas alors été nécessaire que le nom de son époux continue de figurer sur les documents hypothécaires jusqu’au 8 octobre 2002.

 

[45]         En l’espèce, il y a peu d’éléments de preuve en ce qui concerne la contribution financière réelle de son époux. Sa contribution a varié entre 100,00 $ et 600,00 $ une ou deux fois par mois. Il n’y a pas de preuve précise indiquant comment les frais et les obligations du ménage étaient répartis. Les paiements hypothécaires étaient tirés sur un compte conjoint. L’appelante a fait valoir que le pouvoir de signature de son époux avait été retiré en 1994, mais aucun document bancaire confirmant ce fait n’a été déposé devant moi. Les documents bancaires ne pouvaient que confirmer le retrait de ce pouvoir en 2001. En outre, ces documents ne couvrent pas toute la période durant laquelle les parties ont possédé le condo.

 

[46]         L’appelante a déclaré que sa mère lui avait donné en cadeau 11 000,00 $ pour couvrir le versement initial et les frais juridiques liés à l’achat et a fait valoir que le témoignage de sa mère corroborait le sien quant à la façon dont les fonds ont été transmis – à savoir au moyen d’un compte conjoint. Cependant, bien que la mère de l’appelante ait déclaré qu’elle avait donné en cadeau 11 000,00 $ à l’appelante, elle n’a pas corroboré le témoignage de l’appelante concernant le virement des fonds. Au départ, elle ne se rappelait plus comment ils avaient été virés et, lorsqu’elle a été interrogée plus à fond, Pearl Engram s’est rappelé qu’elle avait laissé l’argent dans un compte TD duquel sa fille, l’appelante, retirait les fonds même s’il ne semble pas que l’appelante ait été désignée à l’égard de ce compte. En outre, il n’y avait aucun relevé bancaire, reçu ou autre document financier tendant à confirmer les dires de l’appelante selon lesquels ladite somme de 11 000,00 $ a été utilisée comme versement initial sur le condo. Par conséquent, le témoignage de l’appelante n’a pas été entièrement corroboré en l’espèce.

 

[47]         Selon la prépondérance des probabilités, la contribution financière de l’appelante au regard du condo a été supérieure à celle de son époux. Toutefois, comme l’a signalé le juge Angers dans la décision Burns c. La Reine, 2006 DTC 3383, la Cour ne peut pas invoquer aucune doctrine d’equity pour conclure que le transfert correspondait à un acte de transfert du droit qu’il/elle avait sur le domicile à ce moment, alors qu’en fait l’appelante et son époux vivaient ensemble dans la propriété et qu’il n’y a aucune cause ou besoin apparent de remédier à une injustice sur le plan économique.

 

[48]         L’intimée soutient qu’il est difficile de retenir l’affirmation de l’appelante voulant qu’elle ne se soit pas rendu compte, pendant de nombreuses années, qu’elle partageait un compte conjoint avec son époux. Bien que la preuve donne à penser que le nom de Gerald Campbell a été retiré du compte en 1999, il n’en ressort nullement que son nom a été retiré du compte avant cette date (transcription, pages 168-169). Les dossiers bancaires sont incomplets et ne couvrent pas toute la période durant laquelle l’appelante et son conjoint ont été propriétaires du condo. Le témoignage de l’appelante concernant l’origine des opérations de moins de 500,00 $ était vague, et peu de documents confirmant quelque transaction que ce soit ont été produits.

 

[49]         Ni l’avocat de l’appelante ni celui de l’intimée n’ont interrogé Gerald Campbell sur son revenu ou l’institution où il déposait son argent à part le compte conjoint de la Banque Scotia. Cela aurait certainement été judicieux, vu qu’il avait contracté une dette fiscale importante de 1999 à 2002. Cela me porte à croire qu’il tirait un revenu même si l’appelante a affirmé qu’il travaillait par intermittence et qu’elle ne pouvait pas compter sur une aide financière de sa part. S’il ne déposait pas son argent dans un compte séparé et qu’il buvait et jouait, je me demande pour quelle raison l’appelante a permis que son nom figure sur le titre du condo comme tenant conjoint, l’a inscrit comme codébiteur hypothécaire, a maintenu un compte conjoint, une assurance-vie sur deux têtes et des comptes-cartes de crédit conjoints. Dans son témoignage, l’appelante ne s’est pas exprimée sur ces questions. En fait, il est intéressant de souligner que bien qu’elle ait fait retirer le nom de son époux sur le titre du condo, l’hypothèque et le compte bancaire conjoint, l’appelante ne l’a pas fait retirer sur les comptes-cartes de crédit conjoints, même si elle a dû refinancer son hypothèque pour en payer les soldes. Elle a expliqué qu’elle avait besoin de sa signature à cette fin et qu’elle voulait éviter les disputes en ce qui a trait aux cartes de crédit. Je m’interroge encore une fois sur le fait que l’appelante se soit sentie à l’aise pour demander à son époux de retirer son nom à l’égard des transactions importantes qui exigeaient sa signature et qu’elle n’ait pas voulu aborder avec lui la question de la dette relative aux cartes de crédit. En outre, M. Campbell a contredit ledit témoignage lorsqu’il a dit qu’il ne croyait pas partager avec l’appelante de comptes‑cartes de crédit conjoints. Il est également étrange que M. Campbell ait déclaré que l’appelante payait une assurance-vie sur deux têtes alors que l’appelante a affirmé ne pas être au courant de ce fait – pourquoi son conjoint aurait-il su que cette assurance existait si, comme l’a prétendu l’appelante, il n’a jamais contribué aux paiements hypothécaires et que c’est elle qui voyait à toutes les affaires qui concernaient le condo? Comment l’appelante pouvait-elle ignorer qu’elle payait une assurance-vie sur deux têtes alors que son mari le savait?

 

[50]         L’appelante prétend que les contradictions dans son témoignage étaient des « différences de détail » uniquement et qu’elles avaient peu d’importance. Néamoins, vu la preuve produite devant moi, je suis en mesure de conclure que Gerald Campbell n’avait pas de droit bénéficiaire. Il y avait plusieurs contradictions dans le témoignage, et plusieurs questions sont demeurées sans réponse : pour quelle raison le nom de Gerald Campbelle figurait sur le titre du condo et sur l’hypothèque, la provenance des divers dépôts effectués au compte, comment Gerald Campbell a participé à l’achat, l’absence de l’avocat et le refus de l’appelante de renoncer au secret professionnel. En outre, les documents à l’appui étaient soit manquants, soit incomplets.

 

Nova Scotia Matrimonial Property Act (« MPA »)

 

[51]         L’intimée a fait valoir que même si le conjoint de l’appelante n’était pas propriétaire en common law du bien, il avait, à titre de conjoint aux termes de la MPA, droit à une part égale du droit de sa conjointe à la possession du condo, conformément à ses droits absolus en common law tirés de la législation provinciale pertinente. Selon l’intimée, aux termes du paragraphe 8(1) de la MPA, l’appelante ne pouvait céder le condo ou le grever sans que le conjoint n’y consente ou qu’il renonce autrement à ses droits par exemple au moyen d’un accord de séparation ou d’une ordonnance de la cour. À toutes les périodes pertinentes, il a vécu dans le condo, après le transfert, avec l’appelante et leur fille.

 

[52]         L’appelante s’appuie sur la jurisprudence Yates c. La Reine, 2009 DTC 5062;  la Cour d’appel fédérale a statué que les obligations familiales imposées par la loi provinciale ne comportent aucune exception à la règle de l’article 160. La Cour a fait les observations suivantes aux paragraphes 41, 43, 54 et 70 :

 

[traduction]

[41] [...] Comme je l'ai déjà indiqué, le paragraphe 160(1) ne comporte aucune ambiguïté. S’il y a un transfert auquel s’étend cette disposition, le bénéficiaire du transfert doit convaincre la Cour qu’il ou elle a donné une contrepartie égale à la juste valeur marchande. Compte tenu du libellé du paragraphe 160(1), le point de vue adopté par le juge ne repose sur aucun fondement.

[...]

 

[43] Enfin, l'appelante soutient qu'elle a donné une contrepartie représentant la juste valeur marchande pour les montants qu'elle a reçus de son époux. Je ne vois aucune preuve au dossier qui permette d’étayer cette prétention. Pour être tout à fait clair, je dirai qu’en permettant à son époux de vivre dans la maison familiale, l’appelante n’a pas donné une contrepartie représentant la juste valeur marchande. Il s’agit tout simplement d’une autre tentative de Mme Yates pour profiter de l’exception énoncée au paragraphe 160(4).

[...]

 

[54] Rien, dans le paragraphe 160(1) ne permet à un tribunal d'exempter un époux de cette responsabilité lorsque les conditions énoncées dans la disposition sont réunies; en fait, cette disposition ne fait état d'aucune exception relative au droit de la famille.

[...]

 

[70] Il existe une certaine confusion dans la jurisprudence, étant donné que la législation provinciale en droit de la famille varie d'une province à l'autre en ce qui concerne les biens, la définition de la famille, les conjoints de fait et le foyer conjugal. Néanmoins, le paragraphe 160(1) devrait s’appliquer de la même façon partout au Canada sans exception, abstraction faite des exceptions expressément prévues au paragraphe 160(4).

(Non souligné dans l’original.)

 

[53]         Je retiens la thèse de l’appelante : les notions et les principes du droit de la famille ne doivent jouer aucun rôle lorsque l’article 160 est en jeu, ce que confirme l’enseignement de la jurisprudence  Yates. J’observe que l’appelante se fonde largement sur la jurisprudence Anderson, laquelle se rapporte du droit de la famille et des fiducies, pour soutenir que son mari ne détienne qu’un titre en common law à l’égard du condo. De l’aveu même de l’appelante, la décision Anderson ne devrait pas, par conséquent, être prise en considération, étant donné que la jurisprudence ne préconise pas le regroupement des lois provinciales et des principes ayant trait aux biens matrimoniaux avec l’article 160. En outre, comme il est souligné dans l’exposé de l’avocat déposé en réponse, la notion de droits matrimoniaux ne joue pas tant et aussi longtemps qu’il n’y a pas séparation des intéressés. Dans l’affaire Anderson, les parties avaient été conjoints de fait mais elles s’étaient séparées. En l’espèce, les parties demeurent unies par les liens du mariage et elles continuent toutes deux de vivre dans le condo. Par conséquent, je suis d’avis que la jurisprudence Anderson n’a aucune pertinence en l’occurrence.

 

Article 20 de la Loi de la N.-É.

 

[54]         Enfin, l’exposé faisait référence à l’article 20 de la Loi de la N.-É., lequel donne une formule de calcule du revenu non gagné au sein de la province de la Nouvelle-Écosse. Ni l’appelante ni l’intimée ne se sont exprimées sur cette disposition dans leurs observations, et je vois mal dans quelle mesure elle est pertinente en l’espèce. Étant donné que je n’ai eu droit à aucune observation de la part de l’un ou l’autre des avocats et qu’on ne sait pas avec certitude pour quelle raison le ministre aurait eu recours à ladite disposition pour établir la cotisation de l’appelante, je suis d’avis qu’il n’est pas nécessaire pour moi de faire des observations à cet égard.

 

[55]         Par conséquent, l'appel est rejeté avec dépens.

 

Signé à Summerside (Île-du-Prince-Édouard), ce 9e jour de septembre 2009.

 

 

 

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de mars 2010.

 

 

 

François Brunet, réviseur


 

 

 

RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 431

 

N° DU DOSSIER DE LA COUR :     2007-1132(IT)G

 

INTITULÉ:                                        Bernice A. Campbell et

                                                          Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 14 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge Diane Campbell

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 9 septembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

M Bruce S. Russell, c.r.

Avocate de l’intimée :

Me Devon E. Peavoy

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                            Nom :                    Me Bruce S. Russell, c.r.

 

                            Cabinet :                McInnes Cooper

                                                          Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général Canada

                                                          Ottawa, Canada

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