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Dossier : 2007-1662(IT)G

 

ENTRE :

BONNIE WOODLAND,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

___________________________________________________________________

 

Appel entendu le 19 mars 2009, à St. John’s (Terre-Neuve)

 

Devant : L’honorable juge Diane Campbell

 

Comparutions :

 

Avocate de l’appelante:

Melanie Del Rizzo

Avocat de l’intimée :

Martin Hickey

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, relativement à l’avis de cotisation numéro 32188 daté du 8 février 2006, est rejeté avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

 


Signé à Summerside (Île-du-Prince-Édouard), ce 9e jour de septembre 2009.

 

 

 

« Diane Campbell »

La juge Campbell

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de novembre 2009

 

 

François Brunet, réviseur

 

 


 

 

 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 434

Date : 20090909

Dossier : 2007-1662(IT)G

 

ENTRE :

BONNIE WOODLAND,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Juge Campbell

 

[1]              Le 28 février ou le 1er mars 2001, Donald Gordon Woodland a transféré 46 848 actions d’Icecap Equity Inc. (les actions) dans le régime enregistré d’épargne‑retraite autogéré de l’appelante (le REER) qu’elle détenait à la Banque de Nouvelle-Écosse. L’appelante et M. Woodland sont conjoints et étaient mariés au moment du transfert. Le présent appel résulte de la cotisation établie par le ministre du Revenu national (le ministre) à l’égard de l’appelante, au montant de 28 108,80 $, conformément au paragraphe 160(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi). Les parties ont convenu que M. Woodland avait une dette fiscale pour l’année d’imposition d’un montant supérieur à la valeur nominale des actions transférées. M. Woodland a par la suite déclaré faillite en juillet 2001.

 

[2]              L’unique question en litige est la suivante l’appelante est-elle tenue de payer au ministre le montant de 28 108,80 $ conformément au paragraphe 160(1) de la Loi?

 

[3]              La plupart des faits du présent appel ne sont pas contestés. L’appelante, enseignante de profession, et son mari, avocat de profession, sont mariés depuis le 25 juin 1977. Au cours de sa carrière juridique, M. Woodland a commencé à s’occuper des dossiers juridiques d’Iceberg Industries Corporation (Iceberg), société privée de Terre-Neuve qui se livrait à l’exploitation des icebergs en vue de produire de l’eau embouteillée ainsi que de la vodka et de la bière, à partir de l’eau des icebergs. M. Woodland, l’un des premiers actionnaires d’Iceberg, détenait 83 600 actions ordinaires.

 

[4]              Selon Lewis Stoyles, comptable et directeur financier auprès d’Iceberg, la société était sur le point de s’inscrire à la bourse du NASDAQ aux États‑Unis en mai 1999 par une prise de contrôle inversée de D.V. Holdings Inc. (D.V. Holdings), société américaine cotée en bourse. Une autre société, Icecap Equity Inc. (Icecap Equity), a été constituée à Terre-Neuve : il s’agissait de faciliter la prise de contrôle pour les actionnaires d’Iceberg qui étaient des résidents canadiens. Il s’agissait essentiellement d’une société fictive. Chaque action d’Iceberg était échangeable contre une action et sept dixièmes parmi les actions privilégiées d’Icecap Equity (actions d’Icecap), à être détenues en fiducie par un dépositaire désigné. Avant d’effectuer cette transaction, chaque actionnaire, dont M. Woodland, a échangé ses actions ordinaires d’Iceberg contre des actions échangeables privilégiées d’Icecap Equity. La valeur des actions échangeables privilégiées d’Icecap Equity a été établie au fil du temps par le cabinet comptable de Price Waterhouse Coopers. Par suite de la prise de contrôle, chacune des actions d’Icecap était échangeable contre une action de la société ouverte Iceberg Corporation of America (Iceberg America), auparavant connue sous le nom de D.V. Holdings Inc. Pour disposer des actions d’Icecap, l’actionnaire devait d’abord les échanger contre des actions d’Iceberg America.

 

[5]              M. Woodland a témoigné que les transactions sur les actions d’Iceberg America ont été suspendues, de sorte que les actionnaires d’Icecap Equity souhaitant exercer leurs droits d’échange de leurs actions contre celles d’Iceberg America, devenaient assujettis à cette période de suspension d’un an suivant la date de l’échange avant de pouvoir les négocier ou les revendre.

 

[6]              Les actions d’Icecap n’étaient échangeables que contre des actions d’Iceberg America et ne pouvaient être vendues par ailleurs. La prise de contrôle inversée a eu lieu en mai 1999. M. Woodland n’a pas exercé l’option d’échange de ses actions d’Icecap contre des actions d’Iceberg America.

 

[7]              M. Woodland avait l’habitude de verser la cotisation maximale à son REER en transférant des fonds ou des actions au REER de l’appelante. Le 28 février ou le 1er mars 2001, il a transféré la propriété de 46 848 actions d’Icecap au REER de l’appelante par l’entremise de la société Scotia McLeod (le transfert d’actions). La valeur comptable des actions à cette date était de 28 108,80 $, soit 20 cents de moins que le plafond de cotisation de M. Woodland à son REER pour l’année d’imposition 2000. Lors du transfert  des actions, les documents pertinents précisaient que la juste valeur marchande (la JVM) de chaque action d’Icecap s’élevait à 60 cents. M. Woodland et M. Stoyles ont tous deux indiqué que cette valeur avait été établie en fonction de la valeur des actions d’Iceberg America au NASDAQ. Bien que M. Woodland ait admis que la JVM des actions d’Icecap s’élevait à 28 108,80 $ au moment du transfert, il a souligné que les actions ne pouvaient pas être vendues ni transférées de quelque autre façon sur le marché à ce moment-là. À part le transfert dans un REER, on ne pouvait autrement échanger ces actions que contre des actions d’Iceberg America.

 

[8]              En mai 1999, la valeur des actions d’Icecap et d’Iceberg America a commencé à baisser de façon importante et est essentiellement devenue nulle en 2002. La société Iceberg a cessé ses activités en juin 2002, alors que M. Woodland avait déjà déclaré faillite en juillet 2001.

 

[9]              M. Woodland a témoigné avoir procédé au transfert d’actions dans l’intention d’utiliser au maximum ses déductions au titre des REER pour cette année d’imposition et non de cacher des éléments d’actif à ses créanciers ou à l’Agence du revenu du Canada (l’ARC). Il a confirmé ne pas avoir reçu d’argent de la part de l’appelante au moment du transfert. Toutefois, il a bénéficié d’une déduction d’impôt en raison du transfert au REER de l’appelante, ce qui a réduit son impôt sur le revenu payable pour l’année 2000.

 

[10]        L’appelante détenait un REER autogéré de conjoint auprès de Scotia McLeod. Elle a témoigné que toute contribution à ce REER était faite dans un but de placement à long terme. L’appelante ne se souvenait pas précisément du transfert d’actions en question. Toutefois, dans sa lettre adressée à Kelly Tobin de l’ARC, elle n’a pas dit expressément qu’elle n’était pas au courant du transfert d’actions au moment où celui-ci a été effectué. De plus, elle n’a jamais soulevé ce fait dans son avis d’opposition. M. Woodland a admis avoir signé le formulaire « Autorisation de contributions aux régimes enregistrés relatives aux achats de biens particuliers » pour ce transfert d’actions, mais il a affirmé que le formulaire en question aurait dû être signé par l’appelante.

 

[11]        L’appelante a affirmé également qu’à sa connaissance, elle n’a fourni aucune contrepartie pour les actions reçues de son mari. Plus particulièrement, elle n’a versé aucun montant pour ce transfert d’actions.  

 

[12]        Au moment du transfert d’actions, M. Woodland avait une dette fiscale non réglée relativement aux années d’imposition 1999 et 2000 au montant de 36 823,88 $. Toutefois, M. Woodland a témoigné qu’il était solvable au moment du transfert et que ce dernier n’a pas été effectué dans l’intention de cacher des éléments d’actif à l’ARC.

 

Thèses de l’appelante :

 

[13]        L’appelante avance ses thèses sur quatre éléments :

 

1)    l’intention des parties lorsqu’elles ont effectué le transfert d’actions;

 

2)    la question de savoir si les actions ont été valablement transférées à l’appelante;

 

3)    la JVM des actions au moment du transfert;

 

4)    la valeur de la contrepartie, le cas échéant, transmise d’une partie à l’autre à l’égard du transfert d’actions.

 

[14]        En ce qui concerne l’intention, M. Woodland était solvable au moment du transfert d’actions. Sa seule intention en transférant des actions était de contribuer au REER de sa conjointe et non de cacher des éléments d’actif à l’ARC. Si M. Woodland avait eu l’intention de cacher des éléments d’actif, il aurait transféré toutes ses actions d’Icecap Equity, et non seulement une partie des actions qu’il détenait dans la société.

 

[15]        En ce qui concerne la validité du transfert d’actions, l’appelante n’était pas au courant de ce transfert d’actions en particulier. Elle n’a pas signé le formulaire de consentement au transfert de ces actions à son REER ni n’a accepté les risques qui en découlaient. Par conséquent, le transfert n’a pas été valablement effectué.

 

[16]        En ce qui concerne la JVM des actions, la valeur encaissable réelle des actions échangeables privilégiées d’Icecap Equity découlait de la possibilité d’échange contre des actions d’Iceberg America. Les actions d’Icecap Equity n’avaient pas de valeur nominale et ne pouvaient pas faire l’objet de transactions sur le marché. Icecap Equity était simplement une société fictive dont l’unique objet était la réduction de la dette fiscale des actionnaires canadiens d’Iceberg ayant participé à la prise de contrôle inversée. La JVM de chaque action d’Icecap était celle d’une action d’Iceberg America et, par suite de l’acquisition des actions d’Iceberg America, la revente de ces actions était assujettie à une période de suspension d’un an aux termes de la législation régissant les valeurs mobilières aux États-Unis. Cette restriction à la revente devrait donc rendre nulle la JVM des actions d’Icecap Equity. Si le transfert d’actions n’avait pas eu lieu, l’ARC ne se serait pas trouvée dans une position différente. Au moment où M. Woodland a déclaré faillite, la valeur des actions d’Icecap Equity était nulle.  

 

[17]        En ce qui concerne la valeur de la contrepartie, l’appelante soutient que la seule valeur attribuable aux actions d’Icecap Equity était égale à celle découlant de leur utilisation comme déduction au titre des REER pour réduire la dette fiscale. L’appelante fait valoir qu’elle n’a pas donné de contrepartie à M. Woodland parce qu’elle n’a pas utilisé la déduction au titre des REER découlant du transfert d’actions à son REER et qu’elle a transmis plutôt la valeur de la déduction à M. Woodland.

 

Thèses de l’intimée :

 

[18]        L’intimée porte son attention surtout sur les quatre conditions requises à l’article 160 de la Loi. Les cotisations de l’époux du contribuable à son REER constituent un transfert d’un bien à l’égard duquel l’article 160 pouvait jouer. Une fois que M. Woodland a transféré ses actions au REER de l’appelante, il s’en est départi en faveur de l’appelante. Si la valeur des actions augmentait, l’appelante recevait l’avantage de cette valeur. La question de savoir si l’appelante était ou non au courant du transfert est ici sans importance étant donné que l’ignorance du bénéficiaire du transfert ne fait pas obstacle à l’application de l’article 160.

 

[19]        Les parties avaient un lien de dépendance étant donné qu’elles étaient mariées au moment du transfert d’actions.

 

[20]        L’intimée soutient que l’appelante n’a fourni aucune contrepartie à l’égard du transfert d’actions. La thèse de l’appelante selon laquelle M. Woodland a reçu une contrepartie appropriée au moyen des déductions au titre des REER doit être rejetée parce que la contrepartie doit avoir été fournie par l’appelante.

 

[21]        M. Woodland avait une dette fiscale non réglée qui dépassait 36 000,00 $ au moment du transfert d’actions et cette question n’était pas en litige.

 

[22]        Enfin, l’intimée fait valoir que la JVM des actions d’Icecap Equity, au moment du transfert, s’élevait à 28 108,80 $, montant pour lequel M. Woodland a reçu une déduction au titre des REER pour sa cotisation. Les divers documents produits montrent tous que la JVM des actions était de 28 108,80 $, soit de 60 cents l’action. L’appelante n’a produit aucune preuve établissant que la valeur des actions n’était pas de 60 cents l’action. M. Woodland disposait d’un marché sur lequel il pouvait transférer les actions, à savoir le REER de sa conjointe. On s’est servi d’une JVM particulière lorsque les actions ont été transférées sur le « marché » que constituait le REER de l’appelante. Le seul fait que les actions ont perdu leur valeur après le transfert ne veut pas dire que leur valeur ne s’élevait pas à 28 108,80 $ au moment du transfert.

 

Analyse :

 

[23]        Voici les parties pertinentes du paragraphe 160(1) de la Loi :

 

160(1) Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :

 

a)                  son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

 

b)                  une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

 

c)                  une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance;

 

les règles suivantes s’appliquent :

 

[…]

 

e)                  le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

 

                                          (i)                        l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

 

                                        (ii)                        le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années;

 

aucune disposition du présent paragraphe n’est toutefois réputée limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

 

[24]        Quatre conditions doivent être réunies pour que l’appelante soit tenue responsable en l’espèce au titre du paragraphe 160(1). Dans l’arrêt La Reine c. Livingston, 2008 DTC 6233, le juge Sexton a formulé le critère d’application du paragraphe 160(1). Après avoir examiné le paragraphe 160(1) selon le principe contemporain d’interprétation des lois formulé par Driedger, il a dit ce qui suit aux paragraphes 17 à 19 :

 

[17] Étant donné la signification claire des termes du paragraphe 160(1), les critères dont dépend le déclenchement de son application se révèlent évidents :

 

1)                 L’auteur du transfert doit être tenu de payer des impôts en vertu de la Loi au moment de ce transfert.  

 

2)                 Il doit y avoir eu transfert direct ou indirect de biens au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon.

 

3)                 Le bénéficiaire du transfert doit être :

 

                                            i.                        soit l’époux ou conjoint de fait de l’auteur du transfert au moment de celui-ci, ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;  

 

                                          ii.                        soit une personne qui était âgée de moins de 18 ans au moment du transfert;

 

                                        iii.                        soit une personne avec laquelle l’auteur du transfert avait un lien de dépendance.

4)                 La juste valeur marchande des biens transférés doit excéder la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par le bénéficiaire du transfert.

 

[18] L’application de ces critères dépend dans une mesure particulièrement importante de l’objet du paragraphe 160(1). Dans l’arrêt Medland c. Canada, 98 DTC 6358 (C.A.F.) (Medland), notre Cour a conclu que l’objet et l’esprit de ce paragraphe « consistent à empêcher un contribuable de transférer ses biens à son conjoint [ou encore à un mineur ou à une personne avec qui il a un lien de dépendance] afin de faire échec aux efforts déployés par le ministre pour percevoir l’argent qui lui est dû ». Voir aussi le paragraphe 10 de Heavyside c. Canada, [1996] A.C.F. no 1608 (C.A.) (QL) (Heavyside). De façon encore plus pertinente pour la présente espèce, la Cour canadienne de l’impôt a posé en principe qu’il serait contraire à l’objet du paragraphe 160(1) que l’auteur d’un transfert permette au bénéficiaire de celui-ci d’utiliser les sommes transférées pour payer les dettes dudit auteur en favorisant des créanciers déterminés aux dépens de l’ARC; voir le paragraphe 19 de Raphael c. Canada, 2000 DTC 2434.  

 

[19] […] étant donné l’objet du paragraphe 160(1), l’intention de l’auteur et du bénéficiaire du transfert de frustrer l’ARC en tant que créancier peut se révéler pertinente pour l’examen du caractère suffisant ou non de la contrepartie. Cependant, je ne voudrais pas que l’on en conclue qu’il doive y avoir intention de frustrer l’ARC pour déclencher l’application du paragraphe 160(1). En effet, ce paragraphe peut s’appliquer au bénéficiaire d’un transfert qui n’a pas l’intention d’aider le débiteur fiscal principal à éviter de payer ses impôts; voir le paragraphe 3 de Wannan c. Canada, 2003 CAF 423.

 

[25]        Dans l’arrêt Wannan c. La Reine, 575 DTC 5715, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de notre Cour entérinant la cotisation du ministre établie sous le régime du paragraphe 160(1), lorsqu’une épouse a reçu des cotisations au REER de la part de son époux. Au paragraphe 3, elle a défini l’objet du paragraphe 160(1) comme suit :

 

[3] L’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu est un instrument important de recouvrement des impôts, parce qu’il contrarie les tentatives d’un contribuable de mettre de l’argent ou d’autres biens hors de la portée du fisc en les transférant censément à des amis. C’est cependant une disposition draconienne. Les recours à l’article 160 ne sont pas tous injustifiés ou injustes, mais un résultat inique est toujours possible. Il n’existe pas de défense de diligence raisonnable à l’encontre de l’application de l’article 160. Cet article peut s’appliquer au cessionnaire de biens qui n’a pas l’intention d’aider le débiteur fiscal primaire à se soustraire à l’impôt. Il peut même s’appliquer au cessionnaire qui n’a pas connaissance de la situation fiscale du débiteur fiscal primaire. Cependant, l’article 160 a été validement promulgué comme partie des lois du Canada. Si la Couronne entend se fonder sur l’article 160 dans un cas donné, elle doit être autorisée à le faire pour autant que les conditions prévues soient remplies.

 

[26]        L’appelante et M. Woodland ont tous deux témoigné qu’ils n’avaient pas l’intention de cacher des éléments d’actif ni de les transférer frauduleusement au moment du transfert d’actions. Puisque l’objet de l’article 160 est de « contrarier les tentatives d’un contribuable de mettre de l’argent ou d’autres biens hors de la portée du fisc », une des thèses de l’appelante est que, vu l’absence d’intention, l’article 160 ne peut jouer en l’espèce.

 

[27]        Toutefois, il n’existe aucune mention d’« l’intention » dans ce texte. Les jurisprudences Livingston et Wannan de la Cour d’appel fédérale enseignent que l’application du paragraphe 160(1) n’exige pas l’intention de frustrer les créanciers. Au paragraphe 3 de l’arrêt Wannan, il est souligné clairement que la diligence raisonnable à n’est pas un moyen de défense que l’on peut opposer à la cotisation établie en application du paragraphe 160(1) et que ce texte peut s’appliquer au bénéficiaire « qui n’a pas l’intention d’aider le débiteur fiscal primaire à se soustraire à l’impôt » et « qui n’a pas connaissance de la situation fiscale du débiteur fiscal primaire ».

 

[28]        Bien que l’article 160 ait été souvent qualifié de disposition draconienne, ce texte est clair. Si les quatre conditions sont réunies, aux termes de l’article 160, l’appelante sera tenue responsable de l’excédent de la JVM des actions d’Icecap Equity au moment du transfert sur la JVM de la contrepartie. Il est constant que deux des quatre conditions sont remplies et elles ne sont pas en matière à controverse. Premièrement, l’appelante (le bénéficiaire) et M. Woodland (l’auteur du transfert) sont mariés et ils ont donc un lien de dépendance. Il y a donc eu transfert « à son époux ou son conjoint de fait ». Deuxièmement, l’appelante a admis qu’au moment du transfert d’actions M. Woodland devait au fisc un montant de 36 823,88 $ pour les années d’imposition 1999 et 2000. Par conséquent, cette condition est remplie.

 

[29]        J’examinerai maintenant les deux autres conditions qui sont matière à controverse en l’espèce. 

 

Y a-t-il eu transfert de biens?

 

[30]        Le terme « transfert » n’est pas défini par la Loi. Le Black’s Law Dictionary, 6e édition, définit le terme « transfert » comme suit :

 

[traduction] Transférer ou déplacer d’un endroit à un autre, d’une personne à une autre, etc.; passer ou transmettre d’une personne à une autre; en particulier, céder la possession ou le contrôle de (par exemple, transférer un titre de propriété). Vendre ou donner. Chappell c. State, 216 Ind. 666, 25 N.E.2d 999, 1001.

 

La définition de la common law du terme « transfert » que l’on trouve dans la décision de la Cour de l’Échiquier Estate of David Fasken c. Minister of National Revenue, 49 DTC 491, est souvent citée. Le président Thorson a fait l’observation suivante, à la page 497 :

 

Le mot « transfert » n’est pas un terme technique. Pour qu’il y ait transfert d’un bien d’un mari à sa femme, il n’est pas nécessaire qu’il soit fait selon une forme particulière, ni qu’il soit fait directement. Il suffit que le contribuable se départisse du bien et le remette à son épouse, c’est-à-dire qu’il lui transmette le bien. Le moyen employé pour atteindre ce résultat, qu’il soit direct ou indirect, peut à juste titre être appelé un transfert. […]

 

[31]        L’appelante ne conteste pas que son époux a versé 46,848 actions d’Icecap Equity dans son REER de conjoint. Toutefois, l’appelante soutient que ces actions ne lui ont été jamais transférées selon les règles parce qu’elle n’était pas au courant du transfert d’actions et qu’elle n’y a pas donné son consentement. On s’appuie sur la jurisprudence Mah c. La Reine, 93 DTC 5267, pour soutenir que, en l’absence de connaissance et de consentement, il n’y a pas transfert aux fins de l’article 160.

 

[32]        Dans la décision Mah, la section de première instance de la Cour fédérale a statué que le transfert effectué entre les parties était nul parce que le prétendu bénéficiaire n’en avait pas connaissance et qu’il n’avait jamais reçu le droit de bénéficiaire sur la propriété. Toutefois, on a donné des précisions sur cette décision par la suite dans Goldberg et al. c. La Reine,  2003 DTC 190, où le juge Bonner a fait les observations suivantes aux paragraphes 16 et 17 :

 

[16] Il n’y a pas de doute que les appelants n’étaient pas conscients du fait que la fiducie payait les frais de scolarité et les frais de camp. Les appelants ne savaient pas que la fiducie existait. L’avocat a fait valoir qu’une opération effectuée sans que le bénéficiaire du transfert le sache ou y consente n’entre pas dans le cadre du paragraphe 160(1). À cet égard, il s'est appuyé sur la décision rendue par la section de première instance de la Cour fédérale dans l’affaire Finley Mah c. Sa Majesté la Reine, 93 DTC 5267. Dans l’affaire Mah, les parents du contribuable avaient, par le transfert d’un terrain, transféré au contribuable le titre de propriété relatif à leur maison. Ils avaient fait cela sans que le contribuable le sache ou y consente. Dans cet appel du contribuable contre une cotisation établie en vertu de l’article 160, la cour a statué que le prétendu transfert était nul. À la page à 5270, le juge en chef adjoint Jerome a écrit:

 

Peut-il y avoir en l’espèce cession de la part de M. et Mme Mah et l’acquisition par le Dr Mah? Je ne le crois pas. Une opération effectuée entièrement sans la connaissance et le consentement du demandeurs ne peut certainement pas avoir cet effet; je ne comprends pas non plus pourquoi le ministre devrait recourir à l’application de l’article 160 à moins que le transfert ne soit valide.

 

Selon moi, la décision rendue dans l’affaire  Mah n’étaye pas la proposition selon laquelle la connaissance et le consentement du bénéficiaire du transfert est nécessaire aux fins de l’application de l’article 160. L’affaire Mah était tout simplement une affaire dans laquelle l’article 160 a été considéré comme ne s’appliquant pas à une tentative infructueuse pour effectuer un transfert à l’insu du bénéficiaire du transfert.

 

[17] Il n’y a rien dans le libellé ou l’objet de l’article 160 qui puisse justifier une conclusion selon laquelle le bénéficiaire du transfert doit être au courant ou comprendre les rouages de l’opération par laquelle un transfert est effectué. L’imposition d’une telle restriction quant au sens du mot « transfert » viendrait contrecarrer l’intention claire qui est à la base de l’article 160.

(Non souligné dans l’original.)

 

[33]        Dans le même ordre d’idées, dans la décision Kadola et al. c. La Reine, 2008 DTC 4727, le juge Paris, a conclu, au paragraphe 32, que l’absence de connaissance à l’égard du transfert ne fait pas obstacle à l’application de l’article 160 :

 

[32] S’agissant de l’appel formé par Harish, je ferais observer que, même s’il n’avait pas connaissance des dépôts faits dans son compte bancaire, cela ne fait pas obstacle à l’application du paragraphe 160(1). Les sommes déposées dans son compte pouvaient être retirées par lui n’importe quand, et aucune contrepartie n’était donnée par lui. Dans un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Livingston c. La Reine, [2008 DTC 6233] 2008 CAF 89, la Cour d’appel a fait les observations suivantes concernant les dépôts faits par une personne dans le compte bancaire d’une autre personne :

 

21. Le dépôt de sommes sur le compte bancaire d’une autre personne constitue un transfert de biens. Rappelons, pour lever toute ambiguïté, que le dépôt de sommes par Mme Davies sur le compte de l’intimée permettait à cette dernière de les en retirer n’importe quand. Le bien transféré était le droit d’exiger de la banque qu’elle remette à l’intimée la totalité des sommes déposées. La valeur de ce droit était la valeur totale desdites sommes.

 

[34]        Selon la jurisprudence récente, l’absence de connaissance et de consentement à l’égard d’un transfert ne fait pas nécessairement obstacle à l’existence d’un transfert valide aux fins de l’article 160. En l’occurrence, l’appelante a reçu le droit de bénéficiaire sur les actions une fois qu’elles ont été versées à son REER de conjoint, contrairement aux faits dans l’affaire Mah où la Cour a conclu que le transfert était nul. De plus, en l’espèce, l’époux de l’appelante versait depuis longtemps des cotisations au REER de sa conjointe sous forme d’argent ou d’éléments d’actif.

 

[35]        Au paragraphe 15 de la décision Wannan c. La Reine, 2003 DTC 76 (confirmée par la Cour d’appel fédérale), le juge O’Connor fait les observations suivantes :

 

[15] Il semble tout à fait évident qu’un transfert a bel et bien été effectué en l’espèce. Le conjoint de l’appelante a versé des cotisations au REER de l’appelante. Vraisemblablement, ces fonds, une fois dans le REER, étaient sous le seul contrôle de l’appelante et étaient donc, vu l’absence apparente d’autres stipulations, en la possession de l’appelante. La jurisprudence considère automatiquement comme des transferts des actes semblables à celui qui est en cause dans la présente espèce.

 

[36]         Comme dans l’affaire Wannan, M. Woodland s’est départi de toutes ses actions en les versant au REER de conjoint de l’appelante. Le certificat d’actions à l’égard des actions d’Icecap Equity a été dûment émis le 28 février 2001 à « Scotia McLeod ITF Bonnie E. Woodland » (pièce R-1, onglet 1). Le 1er mars 2001, Scotia McLeod a délivré à l’appelante un reçu de cotisation à un REER au montant de 28 108,80 $ indiquant M. Woodland comme auteur du versement (pièce R-1, onglet 5). L’extrait de compte de placement de Scotia McLeod relativement au compte REER de l’appelante, en date du 31 décembre 2001 (pièce A-9), confirme le versement d’une cotisation de 28 108,80 $, correspondant aux actions d’Icecap Equity, effectuée en 2001. À ce stade, vu l’augmentation de la valeur des actions, l’appelante aurait été le bénéficiaire unique de cette augmentation. Il est évident que la cotisation de M. Woodland au REER de l’appelante a donné par la suite à cette dernière le contrôle exclusif sur ces actions.

 

[37]        Par conséquent, cette condition est remplie parce qu’un « transfert d’un bien », au moyen des actions en question, a été effectué par M. Woodland à l’appelante.

 

[38]        Les trois conditions précédentes étant remplies, l’appelante est tenue maintenant, aux termes de l’article 160, au paiement de la différence entre la JVM des actions et la JVM de la contrepartie reçue en échange.

 

[39]        La thèse de l’appelante sur ce point comporte deux volets : premièrement, la JVM des actions est nulle aux fins de l’article 160 et deuxièmement, que M. Woodland a reçu une contrepartie suffisante pour le transfert des actions au moyen de la déduction au titre des REER demandée dans sa déclaration d’impôt sur le revenu pour l’année 2000. Toutefois, l’intimée a fait valoir que la JVM des actions s’élève à 28 108,80 $, valeur déclarée au moment du transfert d’actions, et que l’appelante n’a versé aucune contrepartie à M. Woodland à l’égard de ce transfert.

 

(A) La JVM des actions :

 

[40]        Généralement, la détermination de la JVM d’un bien est une question de fait. Vu qu’aucune des parties n’a produit d’expertise afin d’établir l’évaluation des actions, je dois me fonder sur les éléments de preuve produits au cours de l’audience ainsi que sur les principes de droit établis et la jurisprudence.

 

[41]        Le texte de l’alinéa 160(1)e) est clair : le bien transféré doit être évalué « au moment du transfert ». Je dois donc déterminer la JVM des actions à la date du transfert au REER de l’appelante. La preuve produite au cours de l’audience a établi que M. Woodland a déclaré que la JVM des actions s’élevait à 28 108,80 $ au moment du transfert d’actions. Il a expliqué qu’il avait déterminé que la JVM était de 60 cents l’action selon la valeur des actions d’Iceberg America (l’ancienne D.V. Holdings) sur le NASDAQ. À la suite du transfert d’actions au compte REER de son épouse, il a demandé une déduction au titre des REER de 28 108,80 $  à l’égard de ce transfert (pièce A-8).

 

[42]        De plus, la preuve montre que cette évaluation de 60 cents l’action en date du 28 février 2001 a été confirmée par des conseillers professionnels. Lewis Stoyles, le directeur financier du groupe d’entreprises Iceberg, a signé le document [traduction] « Déclaration initiale du vérificateur » à l’égard de ces actions qui précisait qu’à son avis [traduction] « la juste valeur marchande de chaque action est de 0,60 $ » (pièce R-1, onglet 3). Dans le même ordre d’idées, le cabinet comptable Deloitte & Touche a certifié dans un questionnaire relatif au REER que [traduction] « la juste valeur marchande des actions privilégiées de [Icecap] a été établie la dernière fois en février 2001 » et qu’elle s’élevait à « 0,60 $ l’action » (pièce R-1, onglet 4). Le reçu officiel de cotisation à un REER et l’extrait de compte de placement relativement au REER délivrés par Scotia McLeod à l’appelante  indiquent tous deux que la JVM des actions était de 28 108,80 $ au moment du transfert (pièce R-1, onglet 5; pièce A-9). Malgré tous ces éléments de preuve à l’appui de l’évaluation de 60 cents l’action au moment du transfert, l’appelante fait valoir que la JVM des actions est nulle aux fins de l’article 160. On invoque le fait que les actions d’Icecap Equity n’avaient aucune valeur nominale et que la restriction relativement à la vente des actions ainsi que la période de suspension d’un an des échanges contre des actions d’Iceberg America devraient rendre sans valeur les actions d’Icecap Equity.

 

[43]        Je dois rejeter la thèse de l’appelante pour deux raisons. Premièrement, on ne saurait dire que, aux fins du présent appel, la JVM des actions au moment du transfert est nulle alors que M. Woodland a demandé une déduction au titre des REER à la suite de ce transfert, fondée sur une JVM de 28 108,80 $. Les observations du juge Rothstein, dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada Redeemer Foundation c. M.N.R., 2008 DTC 6474, sont pertinentes. Bien que dissident en partie, mais pas sur ce point, il s’est exprimé en ces termes au sujet de la notion de « réciprocité dans le traitement fiscal », aux paragraphes 53 et 54:

 

[53] Selon la Cour d’appel fédérale, étant donné la réciprocité dans le traitement fiscal de la plupart des opérations commerciales, l’ARC peut utiliser les renseignements qu’elle a obtenus d’un contribuable pour s’assurer que l’autre partie à l’opération respecte la Loi.  La Cour d’appel a dit ce qui suit :

 

Le ministre a tout intérêt à vérifier que le montant réclamé au titre des dépenses d’entreprise par l’acheteur correspond au montant enregistré à titre de revenu par le vendeur. Dans le cas des organismes de bienfaisance, la même réciprocité s’applique.  Si le ministre détermine que les dons reçus ne sont pas admissibles à une déduction, il a alors intérêt à vérifier les déclarations de ceux à qui un reçu a été remis pour ces dons. Le fait de pouvoir assujettir les deux parties d’une transaction à un traitement fiscal équivalent représente un aspect fondamental du processus de vérification.

 

([2006 DTC 6712] [2007] 3 R.C.F. 40, 2006 FCA 325, au par. 41)

 

[54] Je conviens qu’il y a réciprocité dans le traitement fiscal de nombreuses opérations commerciales et que l’ARC peut avoir intérêt à vérifier comment le contribuable et l’autre partie à l’opération l’ont qualifiée pour fins d’imposition. […]

 

[44]        Le témoignage de M. Woodland sur la JVM de 28 108,80 $ des actions au moment du transfert est corroboré par celui de M. Stoyles et par l’ensemble de la preuve documentaire produite. Il s’agit du montant dont M. Woodland s’est servi pour faire sa déduction au titre des REER et on ne peut maintenant permettre à l’appelante d’invoquer une évaluation différente pour la même transaction, les mêmes actions et la même date aux fins de la présente procédure.

 

[45]        Deuxièmement, même si je permettais à l’appelante d’utiliser une évaluation différente des actions, une nouvelle analyse de la JVM des actions aboutirait probablement pas à un résultat différent. L’expression « juste valeur marchande » n’est pas définie par la Loi, mais la définition de celle-ci selon la common law généralement acceptée est énoncée dans Henderson Estate and Bank of New York c. M.N.R., 73 DTC 5471, à la page 5476 :

 

[…] Dans son sens courant, me semble-t-il, cette expression désigne le prix le plus élevé que le propriétaire d’un bien peut raisonnablement s’attendre à en tirer s’il le vend de façon normale et dans le cours ordinaire des affaires, le marché n’étant pas soumis à des pressions inhabituelles et étant constitué d’acheteurs disposés à acheter et de vendeurs disposés à vendre, qui n’ont entre eux aucun lien de dépendance et qui ne sont en aucune façon obligés d’acheter ou de vendre. J’ajouterais que cet exposé succinct de mon point de vue sur le sens à donner à l’expression « juste valeur marchande » comprend ce que j’estime être l’élément essentiel, soit un marché libre de toutes restrictions, où le prix est établi par le jeu de la loi de l’offre et de la demande entre des acheteurs et des vendeurs avertis et désireux d’acheter et de vendre.

 

[46]         Par conséquent, l’élément essentiel de cette analyse est le marché libre de toutes restrictions. Dans la décision M.N.R. c. Northwood Country Club, 89 DTC 173, notre Cour a expliqué qu’en l’absence d’un marché facilement disponible relativement à un titre, il est possible de concevoir un marché théorique pour déterminer la valeur de ce titre. À la page 176, le juge Kempo a fait les observations suivantes :

 

Les experts en évaluation d’entreprise dont les services avaient été retenus par les deux parties s’entendaient également sur le principes fondamentaux suivants. La définition et le sens de l’expression « juste valeur marchande » ont été décrits par l’expert du Ministre,  M. D. Alan Jones, à la page 2 du rapport qu’il a produit (pièce R-2) de la façon suivante :

 

Une définition généralement acceptée de l’expression « juste valeur marchande » à laquelle je souscris a été donnée dans la décision Mann Estate c. Minister of Finance of British Columbia, 1972 W.W.R. 23, à la page 27:

 

« juste valeur marchande » signifie le prix le plus élevé possible évalué en termes d’espèces qu’un vendeur consentant peut obtenir en échange du bien dans un marché ouvert et sans restriction d’un acquéreur consentant et éclairé agissant sans lien de dépendance.

 

Pour déterminer la valeur nette réelle d’un titre, l’expert en évaluation d’entreprise doit, conformément à la pratique d’évaluation en vigueur, se référer à une opération théorique tenant compte des droits et des restrictions applicables au titre de la date de l’évaluation. La notion de marché théorique suppose qu’à un point précis dans le temps, les restrictions sur la cession d’un titre sont levées de façon à permettre à un acquéreur éventuel éclairé de se substituer au vendeur qui est lui-même également éclairé. L’acquéreur théorique reçoit le titre sous réserve des mêmes droits et restrictions que le vendeur – ni plus, ni moins. Il est également présumé que les deux parties théoriques agissent de bonne foi et qu’à la date de l’évaluation, il n’existe rien qui porte l’une ou l’autre des parties à agir de telle sorte que la valeur du bien en soit affectée.

 

Le fondement jurisprudentiel du concept portant que dans un marché théorique, les restrictions sont levées momentanément puis imposées à nouveau après l’achat théorique se trouve dans la décision Salvesen's Trustees v. Commissioners of Inland Revenue, [1930] S.L.T. 387, à la page 391 et Commissioners of Inland Revenue v. Ethel MacLean Crossman et al., [1937] A.C. 26 (H.L.).

 

[47]        La notion de marché théorique exige par conséquent que les restrictions à la vente du titre soient levées pour permettre la vente théorique. En l’espèce, cela veut dire que la restriction à la vente des actions d’Icecap Equity au grand public doit être levée pour permettre de déterminer leur valeur. La question à laquelle il faut répondre est celle de savoir quelle serait la valeur des actions si les actionnaires d’Icecap Equity étaient libres de vendre leurs actions à un acquéreur théorique sans aucune restriction. La valeur d’une action d’Icecap Equity est essentiellement celle d’une action d’Iceberg America à un moment donné. Bien qu’Icecap Equity ait été une société fictive sans aucun élément d’actif, chaque actionnaire jouissait pratiquement des mêmes droits qu’un actionnaire d’Iceberg America (l’ancienne D.V. Holdings). Par exemple, les conditions relatives aux actions d’Icecap Equity étaient les suivantes : chaque action était échangeable au choix de l’actionnaire à tout moment contre une action d’Iceberg America; chaque action donnait le droit de recevoir des dividendes d’Iceberg America; chaque action conférait un droit de vote relativement à Icecap Equity et aussi à Iceberg America, indirectement; les actionnaires d’Icecap Equity jouissaient de droits de liquidation d’un montant équivalent à celui reçu pour les actions d’Iceberg America en cas de liquidation (pièce A-1).

 

[48]        La seule restriction aux actions d’Icecap Equity visait la période de suspension d’un an applicable à toute action nouvellement échangée contre une action d’Iceberg America. L’appelante a cité plusieurs décisions où la JVM des actions a été réduite en raison de diverses restrictions rattachées aux actions. Toutefois, dans les décisions que l’appelante a citées, on s’est servi de témoins experts dans l’analyse relative à l’évaluation des actions. De plus, dans ces affaires, la valeur des actions était réduite en raison des conditions spécifiques qui n’existent pas dans le cas des actions d’Icecap Equity. Par exemple, dans Rodgers and 493800 Ontario Ltd. c. M.N.R., 89 DTC 78, le témoin expert a évalué les actions à zéro en raison de l’absence de garantie de l’actif, l’absence de gains et du fait que les actions privilégiées n’étaient pas encaissables par anticipation, au choix des détenteurs.

 

[49]        L’appelante fait valoir que, si un actionnaire d’Icecap Equity avait échangé ses actions contre des actions d’Iceberg America le 28 février 2001, la valeur de celles-ci serait devenue nulle avant la fin de la période de suspension de un an. Dans la décision Hallatt et al. c. La Reine, 2001 DTC 128, le juge en chef adjoint Bowman (tel était alors son titre) a expliqué que l’estimation de la valeur des actions d’une société fermée doit se fonder sur le bon sens et la réalité commerciale, selon l’hypothèse que la société continuera à faire affaire en tant qu’entreprise en exploitation. Au paragraphe 30, il s’est exprimé en ces termes :

 

[30] Je n’ai aucune difficulté particulière à comprendre les calculs mathématiques fournis par M. Johnson. Il faut toutefois garder à l’esprit que ce que la Cour doit faire dans une cause d’évaluation de ce genre, c’est de tenter d’arriver au prix sur lequel s’entendraient des vendeurs et des acheteurs sérieux et bien informés. C’est une tâche relativement banale dans laquelle le bon sens et la réalité commerciale jouent nécessairement un grand rôle. En général, les actions d’une société fermée qui compte peu d’actionnaires doivent être évaluées selon l’hypothèse que la société continuera à faire affaire en tant qu’entreprise en exploitation. En d’autres termes, la valeur de liquidation n’est pas un critère approprié lorsque la société exploite une entreprise activement. L’évaluation de M. Johnson part évidemment du principe que la société continuera à exploiter la maison de soins infirmiers.

 

[50]        Le 28 février 2001, les actions d’Iceberg America étaient cotées en bourse à 60 cents l’action. Par la suite, ces actions ont perdu toute valeur. Toutefois, comme il a été expliqué dans la décision Hallatt, les actions doivent être « évaluées selon l’hypothèse que la société continuera à faire affaire en tant qu’entreprise en exploitation ». Les activités d’Icecap Equity étaient inextricablement liées aux activités d’Iceberg America. Si la Cour retient l’hypothèse qu’Iceberg America continuera à faire affaire en tant qu’entreprise en exploitation, alors il n’y aura aucune raison, à la lumière de la preuve dont j’ai été saisie, de retenir une JVM autre que le prix courant auquel se vendaient les actions Iceberg America en date du 28 février 2001.

 

[51]        Dans la décision Taylor c. M.N.R., 88 DTC 1571, le juge Rip (plus tard juge en chef) a dit, à la page 1576 :

 

En règle générale, lorsque le propriétaire du bien n’est pas libre d’en disposer à son gré, la valeur du bien se voit diminuée au moins dans une certaine mesure. Dans Steen c. La Reine, 86 DTC 6498 (C.F. 1re inst.), le juge Rouleau a dit, à la page 6504 :

 

En outre, il n’y a pas d’obstacle à la vente des actions du demandeur qui justifierait une réduction de la cotation du prix courant [... ]

 

Lorsqu’il y a donc obstacle à la vente des actions, une réduction de la valeur serait justifiée.

 

Ce principe pourrait être pertinent en l’espèce parce les actions placées en dépôt, comme dans le cas des actions d’Iceberg America nouvellement échangées, risquent de subir une réduction de leur valeur aux fins d’évaluation par rapport aux actions qui ne sont pas placées en dépôt. Toutefois, l’appelante n’a pas produit de preuve quant à la JVM des actions d’Icecap Equity en cas de réduction de leur valeur due à la période de suspension imposée. On soutient simplement que la valeur de ces actions est nulle. Essentiellement, les mêmes droits et conditions étaient rattachés aux actions d’Icecap Equity et d’Iceberg America. Par conséquent, la valeur des actions d’Icecap Equity ne serait pas nulle simplement en raison de la période de suspension imposée. L’appelante n’a pas réussi à me convaincre que les restrictions touchant les actions auraient aussi une incidence sur leur valeur après une opération d’achat théorique sur un marché théorique.

 

[52]        La preuve présentée était insuffisante pour conclure que la JVM de ces actions était différente de la valeur de 60 cents l’action en date du 28 février 2001. En fait, tous les conseillers professionnels, M. Stoyles ainsi que le cabinet comptable Deloitte & Touche, qui connaissaient les conditions rattachées à ces actions, les ont évalué à 60 cents l’action.

 

[53]        Par conséquent, je conclus que la JVM des actions d’Icecap Equity transférées par M. Woodland au REER de conjoint de l’appelante a été correctement évaluée à 28,108,80 $.

 

(B) L’éventuelle JVM de la contrepartie :

 

[54]        Le juge Sexton a expliqué l’objet de la condition concernant la « contrepartie suffisante » prévue par le paragraphe 160(1), au paragraphe 27 de l’arrêt Livingston :

 

[27] Sous le régime du paragraphe 160(1), le bénéficiaire d’un transfert de biens est redevable à l’ARC dans la mesure où la juste valeur marchande de la contrepartie donnée pour ces biens est inférieure à la juste valeur marchande de ceux-ci. L’objet même du paragraphe 160(1) est d’assurer la conservation de la valeur des biens existants dans le patrimoine du contribuable aux fins de recouvrement par l’ARC. Dans le cas où le contribuable s’est entièrement dessaisi de ces biens, le paragraphe 160(1) prévoit la possibilité pour l’ARC d’exercer ses droits sur lesdits biens contre le bénéficiaire de leur transfert. Cependant, ce paragraphe n’est pas d’application lorsque l’auteur du transfert a reçu au moment de celui-ci une somme équivalente à la valeur des biens transférés, c’est-à-dire une contrepartie à la juste valeur marchande. La raison en est qu’une telle transaction ne lèse pas l’ARC en tant que créancier. […]

 

[55]        La thèse de l’appelante est que, bien qu’elle n’ait jamais versé d’argent ni d’autre type de contrepartie à M. Woodland pour le transfert des actions à son REER, une contrepartie a été versée à M. Woodland au moyen de la déduction au titre des REER qu’il avait demandée dans sa déclaration d’impôt sur le revenu pour l’année 2000.

 

[56]        L’expression « contrepartie donnée pour un bien », au paragraphe 160(1), a été interprétée dans la décision Livingston, au paragraphe 17 comme « contrepartie donnée par le bénéficiaire ». Dans le même ordre d’idées, dans Goldberg, le juge Bonner a dit au paragraphe 20 :

 

[20] Enfin, à part l’argumentation selon laquelle aucun transfert n’avait eu lieu dans les circonstances, l’avocat des appelants a soutenu subsidiairement que la fiducie avait reçu au titre du transfert de biens une contrepartie complète sous la forme de services fournis à sa demande par l’école et le camp. Comme un transfert fait sans contrepartie valable est une condition préalable à l’application de l’article 160, aucune responsabilité ne pourrait être imposée aux appelants, disait-il. À mon avis, la mention, à l’alinéa 160(1)e), d’une contrepartie donnée pour le bien doit, quand on situe le libellé législatif dans son contexte, être considérée comme une mention d’une contrepartie donnée par le bénéficiaire du transfert du bien. Cet aspect de l’argumentation des appelants doit donc échouer.

(Non souligné dans l’original.)

 

[57]        Dans l’arrêt Yates c. La Reine, 2009 DTC 5062, la Cour d’appel fédérale a fait les observations suivantes, aux paragraphes 41 et 42 :

 

[41] […] Comme je l’ai déjà indiqué, le paragraphe 160(1) ne comporte aucune ambiguïté. S’il y a un transfert auquel s’étend cette disposition, le bénéficiaire du transfert doit convaincre la Cour qu’il ou elle a donné une contrepartie égale à la juste valeur marchande. Compte tenu du libellé du paragraphe 160(1), le point de vue adopté par le juge ne repose sur aucun fondement.

 

[42] Le juge devait décider si Mme Yates avait donné une contrepartie à la juste valeur marchande; or, à mon avis, il ressort clairement de la preuve dont disposait le juge que l’appelante n’a pas donné une telle contrepartie. […]

 

[58]        La valeur de la déduction au titre des REER demandée par M. Woodland dans sa déclaration d’impôt sur le revenu pour l’année 2000 et la réduction afférente de sa dette fiscale ne peuvent pas être considérées comme des fonds ou une autre contrepartie donnée par l’appelante à M. Woodland. Le crédit d’impôt reçu par le contribuable ne constitue pas une contrepartie donnée par un autre contribuable et certainement pas le type de contrepartie prévu au paragraphe 160(1).

 

[59]        À titre subsidiaire, l’appelante a fait valoir que le fait d’avoir donné à M. Woodland la possibilité d’utiliser la déduction au titre des REER constituait une contrepartie donnée pour le transfert. Toutefois, aucun élément de preuve ne permet d’établir si l’appelante aurait pu bénéficier elle-même de la déduction au titre des REER. En l’absence d’un maximum déductible important au titre des REER pour l’année d’imposition 2000, l’appelante n’aurait jamais pu utiliser la déduction au titre des REER pour son propre compte ou sans risquer d’encourir une pénalité.

 

[60]        Par conséquent, la déduction au titre des REER que M. Woodland a demandée dans sa déclaration d’impôt sur le revenu pour l’année 2000 n’est pas admissible à titre de « contrepartie donnée pour le bien » aux fins du paragraphe 160(1).

 

La question de preuve :

 

[61]        Enfin, je voudrais examiner brièvement la question de preuve concernant l’objection de l’appelante à la production en preuve d’une lettre qu’elle a écrite à l’ARC (pièce R-1, onglet 10) en date du 30 janvier 2006 et qui portait la mention [traduction] « Sous toutes réserves ». L’appelante invoque le privilège relatif à la transaction quant au document en question alors que l’intimée fait valoir que la lettre ne faisait pas partie d’une négociation en vue d’un règlement et qu’elle demandait à l’utiliser seulement pour établir certains faits qui y étaient soulignés. J’ai permis la production de ce document sous réserve du poids à lui accorder.

 

[62]        Les principes généraux concernant le privilège relatif à la transaction ont été résumés dans la doctrine. Dans Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada (Sopinka’s Evidence), 3e édition (Markham : LexisNexis, 2009), il est expliqué aux pages 1030 à 1033 :

           

             [traduction]

§14.313 On admet depuis longtemps la valeur du principe d’action publique selon lequel les parties doivent être incitées à régler leurs différends privés sans recourir aux tribunaux ou, si une instance est déjà introduite, à transiger plutôt que de plaider.

 

[…]

 

§14.315 Afin de favoriser la réalisation de ces objectifs, les tribunaux sne sont pas favorables à la divulgation les communications, orales ou écrites, faites en vue d’un accommodement ou d’une transaction. […]

 

[…]

 

§14.322 La reconnaissance du privilège est subordonnée à un certain nombre de conditions :

 

a)                  un différend doit né ou être envisagé;

b)                  la communication doit être faite sous la réserve explicite ou tacite qu’elle ne soit pas divulguée au tribunal en cas d’échec des négociations;

c)                  la communication doit avoir pour but un règlement à l'amiable.

 

[63]        Aux pages 1033 à 1035 de l’ouvrage, les auteurs étudient spécifiquement l’emploi de l’expression « sous toutes réserves ». Ils font les observations suivantes :

 

             [traduction]

1.  Différends litigieux nés

 

§14.323 Un différend doit été né ou être envisagé pour que ce privilège soit reconnu. Il n’est pas nécessaire qu’une action ait été engagée.

 

2.  Fait sous la réserve de la non-divulgation : l’emploi de l’expression « sous toutes réserves »

 

§14.324 Une deuxième condition veut que la communication soit faite sous la réserve que, en cas d’échec des négociations, elle ne soit pas divulguée sans consentement. Cette réserve tacite est illustrée par l’emploi de l’expression « sous toutes réserves » au début de la correspondance. Dans Maracle c. Travellers Indemnity Co. of Canada, en faisant référence à une lettre portant la mention « sous toutes réserves », le juge Sopinka, a fait l’observation suivante :

 

Cette expression s’emploie communément pour indiquer qu’au cas où aucun règlement n’interviendrait, la partie qui a fait l’offre est libre de se prévaloir de tous ses droits indépendamment de tout ce qu’elle a pu dire ou faire au cours des négociations.

 

Bien que l’emploi de cette expression ne soit pas décisif à l’égard de la réserve, il peut en constituer une preuve, sinon une preuve prima facie, et il est donc utile. De plus, au cours des négociations, si une partie rédige une lettre « sous toutes réserves », alors la réserve de garder le privilège afférent à l’ensemble de la correspondance comprenant la lettre en question peut être sous-entendue.

 

[…]

 

3. Le but de la communication

 

§14.327 La communication doit avoir pour but un règlement à l’amiable. Le privilège se rapporte aux communications ayant pour but la négociation d’un règlement. Si les circonstances révèlent le contraire, alors ni la présence de l’expression « sous toutes réserves » ni le différend élevé ne servent à conférer un privilège. […]

(Non souligné dans l’original.)

 

[64]        Par conséquent, le privilège relatif à la transaction protège seulement la communication faite au cours des négociations d’une transaction ou ayant pour but une transaction. Dans l’arrêt Bertram et al. c. La Reine, 96 DTC 6034, la Cour d’appel fédérale a confirmé le refus de notre Cour d’appliquer ce privilège au sujet de renseignements obtenus lors d’une entrevue de l’appelant avec l’ARC. En rejetant la demande de l’appelant fondée sur ce privilège, le juge Hugessen a fait les observations suivantes à la page 6038 :

 

[…] dans le cadre d’un régime fiscal d’autocotisation où le contribuable est tenu de communiquer au fisc l’ensemble des renseignements pertinents, et où il arrive souvent que les contribuables et leurs conseillers rencontrent des représentants du fisc pour tenter de les convaincre qu’aucun impôt, ou aucun impôt de plus, n’est exigible, il faudrait des preuves bien plus claires que celles que l’on trouve dans ce dossier pour me convaincre qu’une réunion peut être qualifiée de négociation en vue d’un règlement de manière à empêcher que l’une ou l’autre partie utilise subséquemment tout ce qui s’y est passé. […]

 

[65]        Dans le même ordre d’idées, dans la décision Histed c. Law Society of Manitoba, 2007 MBCA 150, il a été expliqué au paragraphe 33 :

 

            [traduction]

[33] Le fait que l’expression « Strictement confidentiel et sous toutes réserves » a été écrite au début de la lettre ne fait pas en sorte que celle-ci bénéficie d’un privilège si, en fait, celle-ci n’a pas été envoyée dans le cadre d’une négociation en vue d’un règlement. Il faut examiner le contenu de la lettre. La sélection d’un juge responsable de la gestion de l’instance constituait une question de procédure. Bien que les Règles de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba ne prévoient pas une procédure relative à la gestion de l’instance (sauf une exception non pertinente dans les présents motifs), selon la pratique établie il n’est pas rare que l’avocat demande qu’un juge responsable de la gestion de l’instance soit nommé. Je souligne qu’en l’espèce les parties ont envisagé, comme l’a admis Histed lorsqu’il a présenté ses observations devant le tribunal, la présence d’un juge responsable de la gestion de l’instance qui fixerait des échéances, donnerait des directives, serait disponible pour entendre des requêtes interlocutoires et généralement pour faire avancer une action. Il s’agit d’une situation différente de celle où le juge procéderait par un mode alternatif de règlement des litiges, une pratique également habituelle à la Cour du Banc de la Reine du Manitoba. Je ne me prononce pas sur le rôle de cette dernière relativement à la question du privilège découlant d’un règlement. Il suffit, pour ce qui nous concerne, de confirmer que les faits en l’espèce étayent la conclusion selon laquelle les parties ont envisagé le rôle de ce juge comme relatif à la gestion de l’instance et donc uniquement relatif à la procédure. Par conséquent, cette communication n’avait pas pour but un règlement à l’amiable. Dans ce contexte, le tribunal a conclu, et je suis d’accord, que cette lettre ne bénéficie pas du privilège découlant d’un règlement.

 

[66]        Bien que la lettre de l’appelante contienne au tout début l’expression « sous toutes réserves », elle n’a pas été écrite dans le cadre d’une négociation en vue d’une transaction. En fait, la lettre a été écrite avant que la cotisation soit établie. L’objet de la lettre était de donner à l’ARC un aperçu des faits pertinents dans le but de la dissuader d’établir une cotisation aux termes de l’article 160 de la Loi. Par conséquent, ce document ne peut pas être protégé par le privilège relatif à la transaction et il a été, à bon droit, produit en preuve. Toutefois, le contenu de cette lettre ne présente aucun fait supplémentaire pouvant m’aider parce que les faits pertinents ont été présentés de toute manière par les témoignages des témoins.  

 

 

 

Conclusion :

 

[67]        En résumé, les quatre conditions prévues au paragraphe 160(1) étant réunies, l’appelante est redevable pour la JVM des actions transférées le 28 février 2001 à son compte REER, d’un montant de 28 108,80 $.

 

[68]        Par conséquent, l’appel est rejeté avec dépens.

 

 

Signé à Summerside (Île-du-Prince-Édouard), ce 9e jour de septembre 2009.

 

 

 

 

« Diane Campbell »

La juge Campbell

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour de novembre 2009

 

 

François Brunet, réviseur

 


 

 

 

RÉFÉRENCE :                                2009 CCI 434

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :  2007-1662(IT)G

 

INTITULÉ :                                      Bonnie Woodland et

                                                          Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 St. John’s (Terre-Neuve)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Diane Campbell

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 9 septembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l’appelante :

Melanie Del Rizzo

Avocat de l’intimée :

Martin Hickey

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                                 Nom:               Melanie Del Rizzo

 

                            Cabinet :              Smyth Woodland Del Rizzo & LeDrew

                                                          St. John’s (Terre-Neuve)

 

       Pour l’intimée :                          John H. Sims c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa (Canada)

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