Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossier : 2008-631(EI)

ENTRE :

MARIE-PAULE SINCLAIR,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de

Gino Manello (2008-632(EI)), Yvon Savard (2008-633(EI)),

Germain Savoie (2008-634(EI)) et Marjolaine Savoie (2008-635(EI)),

le 7 juillet 2009, à Edmundston (Nouveau-Brunswick).

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Denys Saindon

Avocates de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

Me Christina Ham

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel établi en vertu du paragraphe 103 de la Loi sur l’assurance‑emploi est accueilli et la décision rendue par le ministre du Revenu national est annulée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour d'octobre 2009.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 


 

 

 

Dossier : 2008-632(EI)

ENTRE :

GINO MANELLO,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de

Marie-Paul Sinclair (2008-631(EI)), Yvon Savard (2008-633(EI)),

Germain Savoie (2008-634(EI)) et Marjolaine Savoie (2008-635(EI)),

le 7 juillet 2009, à Edmundston (Nouveau-Brunswick).

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Denys Saindon

Avocates de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

Me Christina Ham

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel établi en vertu du paragraphe 103 de la Loi sur l’assurance‑emploi est accueilli et la décision rendue par le ministre du Revenu national est annulée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour d'octobre 2009.

 

 

« François Angers »

Juge Angers


 

 

 

Dossier : 2008-633(EI)

ENTRE :

YVON SAVARD,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de

Marie-Paule Sinclair (2008-631(EI)), Gino Manello (2008-632(EI)),

Germain Savoie (2008-634(EI)) et Marjolaine Savoie (2008-635(EI)),

le 7 juillet 2009, à Edmundston (Nouveau-Brunswick).

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Denys Saindon

Avocates de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

Me Christina Ham

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel établi en vertu du paragraphe 103 de la Loi sur l’assurance‑emploi est accueilli et la décision rendue par le ministre du Revenu national est annulée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour d'octobre 2009.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 


 

 

 

Dossier : 2008-634(EI)

ENTRE :

GERMAIN SAVOIE,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de

Marie-Paule Sinclair (2008-631(EI)), Gino Manello (2008-632(EI)), Yvon Savard (2008-633(EI)) et Marjolaine Savoie (2008-635(EI)),

le 7 juillet 2009, à Edmundston (Nouveau-Brunswick).

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Denys Saindon

Avocates de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

Me Christina Ham

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel établi en vertu du paragraphe 103 de la Loi sur l’assurance‑emploi est accueilli et la décision rendue par le ministre du Revenu national est annulée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour d'octobre 2009.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 


 

 

Dossier : 2008-635(EI)

ENTRE :

MARJOLAINE SAVOIE,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de

Marie-Paule Sinclair (2008-631(EI)), Gino Manello (2008-632(EI)), Yvon Savard (2008-633(EI)) et Germain Savoie (2008-634(EI)),

le 7 juillet 2009, à Edmundston (Nouveau-Brunswick).

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Denys Saindon

Avocates de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

Me Christina Ham

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel établi en vertu du paragraphe 103 de la Loi sur l’assurance‑emploi est accueilli et la décision rendue par le ministre du Revenu national est annulée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour d'octobre 2009.

 

 

« François Angers »

Juge Angers


 

 

 

Référence : 2009 CCI 495

Date : 20091002

Dossiers : 2008-631(EI),

2008-632(EI), 2008-633(EI),

2008-634(EI), 2008-635(EI)

ENTRE :

MARIE-PAULE SINCLAIR,

GINO MANELLO, YVON SAVARD,

GERMAIN SAVOIE et MARJOLAINE SAVOIE,

appelants,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]              Les appelants interjettent appel d'une décision du ministre du Revenu national (le « Ministre ») concernant l'assurabilité de leur emploi exercé auprès du même employeur, soit l'entreprise Foresterie DMR Coulombe Inc. (la « payeuse ») durant les périodes suivantes :

 

Marie-Paule Sinclair : du 21 juin au 1er octobre 2004;

Gino Manello : du 26 juillet au 29 octobre 2004;

Yvon Savard : du 21 juin au 1er octobre 2004;

Germain Savoie : du 4 octobre au 22 octobre 2004;

Marjolaine Savoie : du 7 juin au 29 octobre 2004.

 

[2]              Les cinq appels ont été entendus sur preuve commune. Selon la décision du Ministre, aucun des appelants n'occupait un emploi assurable auprès de la payeuse au cours des périodes en question au motif qu'ils n'occupaient pas un emploi en vertu d'un contrat de louage de services. Subsidiairement, leur emploi n'était pas assurable, car il existait entre eux un lien de dépendance au sens de l'alinéa 5(2)i) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi ») et, plus précisément, un lien de dépendance factuel au sens de l'alinéa 25(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu (LIR).

 

[3]              La payeuse a été constituée en société en janvier 2004 et aurait été dissoute en juin 2006. Le seul actionnaire de la payeuse était monsieur Danny Coulombe et la personne responsable de superviser les activités était monsieur Claude St-Onge. Durant l'année 2004, la payeuse a eu à son emploi un peu plus d'une vingtaine d'employés travaillant principalement à titre de bûcherons et de planteurs de semis. Les appelants Germain Savoie, Gino Manello et Yvon Simard ont rendu des services à titre de bûcherons et les appelantes Marjolaine Savoie et Marie-Paule Sinclair à titre de planteuses de semis.

 

[4]              Toute cette affaire a commencé lorsque des représentants du ministère de Ressources Humaines Canada ont constaté que plusieurs entreprises dans le domaine forestier au Nouveau-Brunswick étaient constituées en société mais qu'elles ne demeuraient en exploitation qu'une seule année et que certains des mêmes employés de ces sociétés étaient embauchés par une société différente. Ce scénario s'est répété de 2002 à 2007. Selon l'enquêteur, le problème principal était dû au peu d'information que ces différentes sociétés fournissaient aux agences gouvernementales, particulièrement la documentation visant leurs activités. Seulement trois ou quatre des sociétés ayant fait l'objet d'une enquête ont fourni leurs livres de paie et quelques chèques endossés. Les représentants du ministère ont demandé aux sociétés une copie de leur contrat concernant leur droit de coupe mais n'ont rien reçu. Les représentants des sociétés en question ont été convoqués aux bureaux des enquêteurs, mais seulement trois sur 18 d'entre eux s'y sont présentés. Il est donc devenu impossible de vérifier la validité des relevés d'emploi ou encore de déterminer si un bûcheron avait réellement coupé du bois. Ils ont pu constater certains transferts d'argent dans le cas de deux sociétés qui leur ont fourni des chèques oblitérés.

 

[5]              Il ne fait aucun doute que les représentants du ministère de Ressources Humaines Canada ont entrepris une multitude de démarches afin de rencontrer l'actionnaire principal de la payeuse, monsieur Danny Coulombe. Plusieurs demandes de renseignements lui ont été envoyées par la poste ou ont été signifiées à son domicile, mais toutes ces demandes sont restées sans réponse, sauf une lettre de monsieur Coulombe exigeant que la correspondance lui soit acheminée en anglais, ce qui a été fait mais ce qui n'a pas donné plus de résultats. Bref, les représentants du ministère  n'ont jamais pu interviewer Danny Coulombe ou obtenir quelconque documentation de ce dernier. Il n'a pas été appelé à témoigner par l'une ou l'autre des parties.

 

[6]              Madame Lucie St-Amour est à l'emploi de Ressources Humaines Canada et a la responsabilité de valider les demandes d'assurance-emploi. Elle a traité le dossier de la payeuse et, à cette fin, a dressé un tableau des périodes d'emploi de tous les employés de la payeuse à partir des relevés d'emploi de chacun. Ce travail lui a permis de constater certaines anomalies, tel le fait que deux employés auraient été embauchés par le superviseur Claude St-Onge avant que ce dernier ne soit lui-même à l'emploi de la payeuse. Elle a aussi appris, lors des entrevues avec des employés, que certains d'entre eux auraient travaillé ensemble malgré que les dates figurant sur leur relevé d'emploi n'appuient pas ces affirmations. Elle a déclaré que l'appelant Germain Savoie lui aurait dit avoir travaillé avec l'appelant Yvon Savard. De son côté, l'appelant Germain Savoie a déclaré à la Cour avoir dit à madame St-Amour qu'il avait vu Yvon Savard travailler en compagnie de Claude St-Onge, mais ce, avant qu'il ne commence lui-même à travailler pour le compte de la payeuse. Selon la pièce I-17, l'emploi d'Yvon Savard auprès de la payeuse a pris fin la semaine du 2 octobre et Germain Savoie a commencé à travailler pour la payeuse la semaine suivante.

 

[7]              En plus d'interviewer les employés, madame St-Amour a rencontré des camionneurs qui faisaient le transport de bois. Elle a obtenu de ces derniers le nom de deux des acheteurs de bois de la payeuse et les factures d'achat de ces deux acheteurs. Elle a donc dressé une liste de tous les achats comprenant les dates et la quantité de bois acheté de la payeuse par ces deux acheteurs. Selon ces informations, une première vente a eu lieu en mai 2004. Cependant, à cette date, la payeuse n'avait pas encore embauché de bûcherons. En somme, la payeuse aurait vendu à ces deux acheteurs 23 561 cordes de bois en 2004. Or, les bûcherons, qui travaillaient avec une scie à chaîne, ne pouvaient couper que 25 à 30 cordes de bois par semaine. Selon le témoin, il aurait donc fallu que ces 14 bûcherons travaillent environ 67 semaines chacun pour couper la quantité de bois vendue à ces deux acheteurs. Les camionneurs qui transportent le bois ont cependant déclaré que le bois qu'ils transportaient n'avait pas été coupé à la scie à chaîne mais plutôt avec des machines abatteuses.

 

[8]              Lors de son enquête, madame St-Amour a été incapable de déterminer la provenance du bois ni de mettre la main sur les contrats de coupe de bois de la payeuse. La payeuse n'a pas fait de déclaration de revenus, n'a pas versé la taxe de vente harmonisée et n'a pas versé les déductions à la source sur les paies de ses employés. Madame St-Amour a reconnu ne pas avoir vérifié si la payeuse avait vendu du bois à d'autres moulins de la région. Elle a du même coup reconnu que la payeuse avait peut-être vendu une quantité de cordes de bois supérieure aux 23 561 cordes de bois répertoriées.

 

[9]              À l'étape des appels, chaque employé de la payeuse a reçu un questionnaire et les cinq appelants en l'espèce y ont répondu. L'agente des appels affectée au dossier n'a pas obtenu plus de succès à rejoindre l'actionnaire principal de la payeuse. L'agente des appels a cependant retracé la provenance du bois vendu par la payeuse en se servant des certificats de transport des transporteurs de bois qui étaient au dossier, soit les certificats de ceux qui ont transporté le bois aux deux acheteurs de bois connus de la payeuse. Ces certificats identifient le numéro du lot d'où provient le bois. Elle a ainsi trouvé le nom des propriétaires des lots d’où provenait le bois en vérifiant le site Internet de Service Nouveau-Brunswick qui, en plus d'identifier le propriétaire, indique l'emplacement du lot, donne une brève description du lot, à savoir s'il s'agit d'une résidence ou d'un lot boisé, donne la dimension du lot et indique si un contrat de coupe de bois a été enregistré au bureau d'enregistrement des titres de propriété du Nouveau-Brunswick. Ce travail lui a permis de conclure que l'information sur ces certificats concernant les numéros d'identification des lots était erronée et donc qu'il lui était impossible d'identifier la provenance du bois coupé.

 

[10]         En ce qui concerne la validité des relevés d'emploi des appelants ou encore des talons de paie de ces derniers, elle ne peut les authentifier car elle ne possède aucune preuve qu'il ait pu y avoir de transferts d'argent, de dépôts ou de retraits bancaires liés au paiement d'un salaire.

 

[11]         Jacques Francoeur est propriétaire d'une compagnie forestière et opérateur d'une machine multifonctionnelle pour faire la coupe du bois. Cette machine peut couper de 200 à 350 cordes de bois par semaine. Ses employés opèrent sa machine ainsi qu'un transporteur de bois. Il a coupé du bois pour la payeuse au printemps et à l'automne de 2004. Au printemps, il a coupé du bois pendant environ quatre semaines pour la payeuse sur un petit lot dont il ignore le nom du propriétaire et seule sa compagnie exploitait le lot. Il a affirmé qu'une machine multifonctionnelle pour faire la coupe du bois et un transporteur coûtent environ 800 000 $.

 

[12]         Arthur Roy a aussi coupé du bois pour la payeuse en 2004. Claude St-Onge lui aurait demandé de couper du bois sur la terre d'un dénommé Aurèle St-Pierre. Des représentants du ministère des Ressources Naturelles du Nouveau-Brunswick lui auraient interdit de continuer à couper du bois au motif qu'il coupait sur les terres de la Couronne. La ligne tracée par monsieur St-Pierre se trouvait à 100 pieds à l'intérieur des terres de la Couronne. Il n'a donc pas coupé d'autre bois pour la payeuse en 2004. Il utilisait une machine désignée sous le nom de « fellerbuncher » pour faire la coupe du bois et une personne qui était son employé faisait fonctionner la machine.

 

[13]         Luc Castonguay est à l'emploi de l'Office de commercialisation des produits forestiers du Nord (« l'Office »). Cet organisme s'occupe de faire la vente du bois pour les producteurs de lots boisés privés. Il s'occupe aussi d'un programme de reboisement. Il vend donc des semis et offre les services d'un entrepreneur pour en faire la plantation. Un propriétaire peut aussi simplement se procurer des semis et s'occuper lui-même de les faire planter. L'Office n'a pas le monopole sur la vente des semis et on peut s'en procurer dans d'autres pépinières sans passer par l'Office. La payeuse a acheté des semis de l'Office en 2004.

 

[14]         L'intimé a également fait témoigner un expert qui connaît les us et coutumes de l'industrie forestière. Ce dernier a acquis son expérience à la suite des nombreuses enquêtes qu'il a effectuées à titre d'agent d'enquête majeure pour Service Canada, particulièrement dans des affaires de fraude majeure. Dans son rapport et lors de son témoignage, il a fait un résumé de l'évolution de l'industrie forestière au Nouveau‑Brunswick sur la façon de faire la coupe du bois, de le transporter et de faire le reboisement des terres. Cette évolution a permis d'améliorer la productivité des travailleurs forestiers; ainsi, un bûcheron utilisant une scie à chaîne pouvait couper de 25 à 30 cordes de bois par semaine; à l'aide d'une débusqueuse, il pouvait couper de 50 à 70 cordes de bois par semaine. Une machine multifonctionnelle permet à un travailleur forestier de couper 300 à 400 cordes de bois par semaine et, avec une abatteuse, il peut atteindre les 500 à 600 cordes par semaine.

 

[15]         Selon l'expert, au Nouveau Brunswick, 15% à 20% du bois est coupé  selon la méthode conventionnelle, soit la scie à chaîne et la débusqueuse. La débusqueuse transporte l'arbre dans toute sa longueur à une coupeuse pour être ensuite chargé sur un camion. Selon l'expert, un bûcheron travaillera sans sa machinerie lourde si le terrain est trop accidenté ou s'il est situé trop près d'un cours d'eau. L'expert reconnaît également qu'un bûcheron peut travailler sans machinerie lourde dans le cas de l'exploitation d'une petite parcelle de terre où chacun a son sentier.

 

[16]         Selon l'expert, les bûcherons sont payés à la pièce, c'est-à-dire au volume de bois coupé. Ils peuvent obtenir une avance et leur paie est rajustée à la fin de leur engagement. Quant au reboisement, les propriétaires de lots privés passent par l'Office et, avec l'aide de subventions, ils reboisent habituellement l'année suivant les lots où a eu lieu la coupe.

 

[17]         En contre-interrogatoire, l'expert a reconnu qu'en principe un bûcheron pouvait être payé à l'heure, mais il a ajouté qu'à son avis un producteur qui ferait ça ne pourrait survivre financièrement. Il a également reconnu qu'il était possible pour un producteur ou un propriétaire de lot d'acheter des semis lui-même ou encore d'en acheter ailleurs que par l'entremise de l'Office. Les planteurs peuvent être payés à la pièce mais il n'en était pas certain. Il a ajouté qu'ils peuvent être payés à salaire. Finalement, il a affirmé que ce ne sont pas tous les propriétaires de lots boisés qui sont membres de l'Office de commercialisation.

 

[18]         Les cinq appelants ont témoigné. Chacun a raconté avoir été convoqué par les représentants de Service Canada au bureau de la Gendarmerie royale du Canada à Campbellton, avoir reçu un questionnaire contenant environ 43 questions portant sur leur relation de travail avec la payeuse durant les périodes en question et y avoir répondu. Les questionnaires n'ont pas été déposés en preuve et aucune question suggérant quelconques contradictions entre les réponses fournies et leurs témoignages n'a été posée en contre-interrogatoire.

 

[19]         Chacun des appelants a déclaré avoir été embauché et supervisé par Claude St‑Onge au nom de la payeuse. Chacun des appelants a témoigné avoir travaillé durant sa période d'emploi respective en sa qualité de bûcheron ou de planteuse de semis. Dans le cas des trois bûcherons, le représentant de la payeuse leur assignait un territoire où ils devaient abattre les arbres, les couper en billots de huit pieds et les rassembler en forme de cône, ce qu'illustre la photo déposée à titre d'exemple sous la cote A-3. L'expression utilisée par l'appelant Germain Savoie pour décrire le travail est « bûcher à la bunch ». Chaque bûcheron fournissait sa scie à chaîne, de même que l'essence et l'huile pour la faire fonctionner. Ils étaient rémunérés sur une base horaire au taux de 15 $ à raison de 50 heures par semaine. L'appelant Germain Savoie a affirmé avoir été rémunéré de la même façon en 2008 pour un dénommé Lurette et pour quatre semaines de travail cette année. La photo désignée comme la pièce A-3 a d'ailleurs été prise lorsqu'il a effectué ce genre de travail pour Lurette en 2008.

 

[20]         Les conditions de travail des deux autres appelants bûcherons étaient similaires. Ils ont fourni la description des lieux où ils ont coupé « à la bunch » pour la payeuse. L'appelant Gino Manello a témoigné avoir travaillé pour d'autres employeurs à des conditions semblables.

 

[21]         Les deux appelantes ont témoigné avoir été embauchées pour planter des semis. Elles étaient rémunérées au taux de 11 $ l'heure et travaillaient 45 heures par semaine. Claude St-Onge, le représentant de la payeuse, leur disait où planter. Elles travaillaient en équipe de deux et il y avait souvent deux équipes. Les semis leur étaient fournis de même que le plantoir à pistolet utilisé pour planter et la ceinture pour tenir les semis. Le même Claude St-Onge venait les surveiller souvent accompagné de son amie Sylvette Poitras.

 

[22]         Les cinq appelants ont tous produit les relevés de paie qui leur étaient remis par la payeuse lors de la paie qui était versée le jeudi ou vendredi de chaque semaine. Ils recevaient leur paie sur le chantier des mains de Claude St-Onge sous forme de chèques qu'ils endossaient sur place. Claude St-Onge leur remettait alors de l'argent. Cette façon de faire avait été convenue afin d'accommoder les appelants qui ne pouvaient pas se rendre à la banque ou à la Caisse pendant la semaine puisqu'ils travaillaient sur les chantiers. Chacun des appelants a reçu un T‑4 de la payeuse indiquant son revenu et ses déductions à la source. Aucun d'entre eux n'a de lien de parenté avec l'actionnaire unique de la payeuse ni d'actions de cette dernière.

 

[23]         La position de l'intimée est que les appelants n'exerçaient pas pour la payeuse un emploi aux termes d'un véritable contrat de louage de services, donc, ils n'occupaient pas un emploi assurable au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi au cours de leurs périodes respectives de travail. Subsidiairement, l'intimé soutient que, s'il s'agit de contrats de louage de services au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi, ces derniers ne sont pas légalement assurables puisque les appelants et la payeuse ont agi ensemble et sans intérêt distinct de sorte qu'il existait entre eux un lien de dépendance factuel au sens de l'alinéa 251(1)c) de la LIR, et qu'en vertu de l'alinéa 5(2)i) de la Loi un tel emploi n'est pas assurable. Il était donc raisonnable pour l'intimé de conclure que les appelants et la payeuse n'auraient pas conclu entre eux un contrat de travail semblable s'il n'y avait pas eu un lien de dépendance entre eux au sens de l'alinéa 5(3)b) de la Loi.

 

[24]         Il s'agit donc de déterminer si les appelants en l'espèce ont occupé un emploi assurable au sens de la Loi avec la payeuse et ce, durant les périodes respectives attribuées à chacun des appelants. Dans les hypothèses de fait sur lesquelles le Ministre s'est basé pour prendre sa décision, il est évident que sa position initiale repose sur l'hypothèse qu'il s'agit en l'espèce d'un stratagème auquel la payeuse et les 18 autres sociétés ayant fait l'objet d'une enquête ont participé avec des individus comme les appelants et qui visait à leur délivrer de faux relevés d'emploi dans le but de les rendre admissibles à des prestations d'assurance-emploi auxquelles ils n'avaient pas droit. Le Ministre ajoute aussi que 14 bûcherons ont été embauchés par la payeuse, que, de mars à juin 2004, la payeuse a vendu du bois alors qu'aucun employé ne travaillait pour elle, que pendant une période débutant en mars 2004 et se terminant au mois de mars 2005, 23 521 cordes de bois ont été vendues à divers moulins au nom de la payeuse; que la quantité de bois vendue par la payeuse aurait dû être coupée par ces 14 bûcherons sur une période de 56 à 84 semaines en supposant qu'un bûcheron coupe en moyenne 30 cordes par semaine mais qu'aucun de ces 14 bûcherons n'a travaillé aussi longtemps.

 

[25]         Or, selon la preuve, il s'agit d'une enquête dont le portrait révèle que, parmi les 18 sociétés ayant fait l'objet d'une enquête, il y en avait 14 qui étaient constituées en personne morale et dont l'existence ou les activités ne duraient qu'une année avant d'être, par la suite, remplacées. Les employés en l'espèce étaient embauchés par une société différente chaque année. Treize des employés de la payeuse se trouvent sur la liste d'employés de ces compagnies en 2002 et 2003, dont les deux appelants Gino Manello et Germaine Savoie. Le problème, selon l'enquêteur, est qu'il était presque impossible d'obtenir de l'information des dirigeants de ces sociétés. Quoiqu'il obtenait à l'occasion des réponses logiques, elles n'étaient pas cohérentes. Il a obtenu des documents de trois ou quatre sociétés, tels que des livres de paie et quelques chèques endossés. L'enquête révèle que du bois a été coupé mais l'enquêteur n'a pas obtenu de copie des ententes de coupe. Il devenait donc impossible de valider quoi que ce soit, incluant les relevés d'emploi.

 

[26]         Il est possible de déduire, selon la preuve avancée, que la payeuse a retenu les services d'entrepreneurs forestiers pour faire la coupe du bois à grande échelle. Les 23 521 cordes vendues à deux moulins ont été coupées, selon les transporteurs, par des moyens autres qu'une scie à chaîne. Le bois n'a donc pas été coupé par les appelants. De plus, l'enquête ne révèle pas si la payeuse a vendu de façon exclusive son bois à ces deux moulins. Il existe d'ailleurs plus de deux moulins qui achètent du bois dans cette région. Il est donc faux de la part de l'intimé de prétendre que les 23 521 cordes de bois ont dû être coupées par ces 14 bûcherons et qu'il leur a fallu 56 à 84 semaines pour couper cette quantité de bois, d'autant plus qu'on savait que ce bois avait été coupé par des moyens autres qu'une scie à chaîne.

 

[27]         En ce qui concerne les deux appelantes, l'intimé a aussi tenu pour acquis, dans les réponses aux avis d'appel, que le seul fournisseur de semis au Nouveau‑Brunswick était l'Office de commercialisation des produits forestiers du Nord, que ce dernier fournissait les semis aux sylviculteurs et aux entreprises d'exploitation forestière et que le prix de vente comprenait la main d'œuvre. En vertu de ces hypothèses de fait, l'intimé allègue que les appelantes n'ont jamais travaillé dans les sentiers. Or, la preuve a pourtant révélé qu'il est possible d'acheter des semis ailleurs qu'auprès de l'Office de commercialisation, et que les acheteurs des semis peuvent utiliser la main d'œuvre de l'Office ou embaucher leur propre main-d'œuvre. L'expert de l'intimé a d'ailleurs confirmé le fait qu'il soit possible pour un producteur de planter lui-même les semis sans passer par l'Office. Il a d'ailleurs aussi signalé que, quoiqu'il n'était pas absolument certain, il était concevable qu'une planteuse de semis soit payée à la pièce ou qu'elle reçoive un salaire.

 

[28]         Je suis convaincu, selon la prépondérance de la preuve, que les appelants en l'espèce ont effectivement travaillé pour la payeuse durant les périodes en question. Nonobstant le fait que la coupe du bois au Nouveau‑Brunswick se fait surtout à grande échelle et que la plupart des semis sont plantés par l'entremise de l'Office, il est possible de faire certaines coupes à la scie à chaîne et d'engager des planteurs de semis achetés de l'Office ou d'ailleurs. Cette conclusion est également appuyée par le fait que les cinq appelants ont rendu un témoignage, à mon avis, très crédible, à savoir qu'ils ont effectivement travaillé et rendu des services à la payeuse durant leur période de travail respective. Il n'y a rien dans le témoignage des appelants qui révèle des contradictions ou des invraisemblances qui pourrait amener la Cour à conclure qu'ils ont participé à un stratagème visant à leur permettre de devenir admissibles à des prestations d'assurance-emploi. Il n'y a rien dans la preuve avancée qui me permet de conclure que les talons de paie ou les T-4 sont authentiques, mais, par contre, il n'y a rien qui me porte à croire qu'ils pourraient être faux non plus. Contrairement à ce qui prévaut dans la plupart des dossiers de ce genre, personne ici ne prétend avoir travaillé le minimum d'heures nécessaires pour devenir admissible aux prestations. Le fait qu'il a été impossible pour les représentants de l'intimé d'obtenir des informations et des documents de la payeuse n'est pas un motif pour pénaliser les appelants.

 

[29]         Les appelants ont répondu à un questionnaire et ont subi une entrevue avec les représentants de Service Canada de façon individuelle et il semble que leur version des faits à cette époque n'a pas changé lorsqu'ils sont venus témoigner si je me fie aux contre-interrogatoires.

 

[30]         Il ne fait aucun doute que les activités de la payeuse, de même que celles des autres sociétés auxquelles on a fait référence, soulèvent des doutes et des questions. Il n'est pas normal que de tels entrepreneurs puissent exploiter leur entreprise sans être redevables de quelque façon. Comment se fait-il que les informations obtenues par des transporteurs soient fausses et que les numéros d'identification des lots soient inexacts? Toutes ces anomalies n'ont, par contre, rien à voir avec la question de savoir si les appelants ont rendu ou non des services à la payeuse, à moins d'établir un lien entre ces faits.

 

[31]         La preuve n'a établi d'aucune façon la probabilité de l'existence d'un stratagème entre la payeuse et les appelants dans le but de leur procurer des prestations d'assurance-emploi ni de l'existence d'un lien de dépendance factuel tel que le soutient l'intimé.

 

[32]         Il faut donc maintenant analyser s'il existait en l'espèce un contrat de louage de services entre les appelants et la payeuse. Pour ce faire, les critères que l'on trouve dans l'arrêt Wiebe Doors Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 et qui ont été confirmés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Sagaz Industries Canada Inc. et al c. 671122 Ontario Limited, [2001] 2 R.C.S. 983, sont de mise. Il faut aussi se rappeler que, quoique les critères soient utiles à la détermination de la question, il ne s'agit que de points de repère. La Cour d'appel fédérale nous a rappelé d'ailleurs dans l'arrêt Charbonneau c. Canada, [1996] A.C.F. no 1337, que l'objectif ultime de l'exercice est de rechercher la relation globale que les parties entretiennent entre elles.

 

[33]         La jurisprudence en cette matière établit de façon très claire qu'un contrat d'entreprise existe dans l'industrie forestière lorsqu'un travailleur est propriétaire d'une débusqueuse, évaluée à plusieurs milliers de dollars, qu'il choisit son ou ses  co-équipiers et que le paiement est fait en fonction du volume de bois coupé. Cet état de chose n'est cependant pas le même lorsqu'il est d'usage pour un bûcheron de fournir sa propre scie à chaîne, qu'il n'est pas tenu de transporter le bois coupé et qu'il ne fait que suivre les directives d'un payeur. La preuve entendue en l'espèce n'exclut pas la possibilité qu'il fût nécessaire d'effectuer des coupes de bois sélectives ou des coupes en montagne et dans des régions où les machines lourdes ne pouvaient se rendre. La coupe de bois « à la bunch » se fait encore aujourd'hui sans l'aide de machines lourdes. L'expert de l'intimé a d'ailleurs lui-même appuyé cette affirmation en précisant toutefois qu'un producteur qui dépend du travail à la scie à chaîne se dirige tout droit vers la faillite. Il en va de même pour son affirmation voulant que la majorité du bois au Nouveau-Brunswick soit coupé par des machines lourdes. Cette affirmation n'exclut pas la possibilité qu'il y ait encore du bois coupé à la scie à chaîne. Quant au fait qu'un coupeur de bois soit rémunéré en fonction du volume coupé, l'expert n'exclut pas la possibilité qu'un bûcheron utilisant la scie à chaîne soit rémunéré à salaire  sur une base horaire.

 

[34]         Cela étant dit, les cinq appelants en l'espèce recevaient leurs instructions de Claude St-Onge. Celui-ci indiquait aux trois bûcherons ils devraient « couper à la bunch » et aux deux appelantes où elles devaient planter les semis.

 

[35]         Pour ce qui est du travail des deux appelantes, l'expert a été incapable de dire si des planteuses de semis étaient payées au volume ou à l'heure. Chose certaine, rien n'exclut qu'elles puissent être rémunérées sur une base horaire. L'ensemble de la preuve, en ce qui concerne les deux appelantes, favorise d'avantage, à mon avis, le contrat de louage de services que celui d'entreprise. Elles étaient supervisées par Claude St-Onge de façon régulière. Il leur disait où aller travailler et quand elles devaient travailler. À mon sens, cela constitue un degré de contrôle sur les travailleuses qui correspond à un contrat de louage de services. Elles ne fournissaient aucun outil et elles ne courraient aucun risque de profit ni de perte. Elles n'étaient pas libres de ne pas se présenter au travail ou de remettre le travail à plus tard. Elles n'avaient en fait aucun pouvoir décisionnel sur leurs heures de travail et ne pouvaient qu'être subordonnées aux conditions de travail imposées par la payeuse. Tout cela favorise le contrat de louage de services.

 

[36]         Pour les trois bûcherons, ils savaient comment faire leur travail mais ce travail était exécuté aux endroits et en fonction des directives du représentant de la payeuse, à savoir quand et comment ils devraient le faire. Cela me porte à conclure qu'il y avait un contrôle du travail des appelants. Même si le fait de fournir leur propre scie-à-chaîne pourrait favoriser le contrat d'entreprise, il est tout à fait normal que dans l'exercice de ce métier, un bûcheron possède sa propre scie à chaîne tout comme bien des mécaniciens employés par des garagistes doivent avoir et fournir leurs propres outils. Dans l'ensemble, je suis convaincu que les trois appelants bûcheron en l'espèce ne travaillaient pas à leur compte. Ils n'étaient pas libres de leur va-et-vient. Ils devaient se présenter au travail tous les jours et exécuter les tâches qu'on leur assignait.

 

[37]         Ayant déjà conclu qu'il n'y avait pas en l'espèce de lien de dépendance factuel entre la payeuse et les appelants, ni de preuve fiable voulant que la documentation fournie par le payeur soit falsifiée, je conclus que les appelants exerçaient en l'espèce, un emploi assurable au sens de la Loi.

 

[38]         Les appels sont accueillis et la décision du Ministre est annulée.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour d'octobre 2009.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 495

 

Nº DES DOSSIERS DE LA COUR :  2008-631(EI), 2008-632(EI),

                                                          2008-633(EI), 2008-634(EI), 2008-635(EI)

 

INTITULÉS DES CAUSES :             Marie-Paule Sinclair et M.R.N.

                                                          Gino Manello et M.R.N.

                                                          Yvon Savard et M.R.N.

                                                          Germain Savoie et M.R.N.

                                                          Marjolaine Savoie et M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Edmundston (Nouveau-Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 7 juillet 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 2 octobre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat des appelants :

Me Denys Saindon

Avocates de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

Me Christina Ham

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                            Me Denys Saindon

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

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