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Dossier : 2009-397(IT)I

 

ENTRE :

ALICE LIPCZAK,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 16 septembre 2009, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Ian Theil

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie à l’égard de l’appelante en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ») pour l’année d’imposition 2005 est accueilli avec dépens, le cas échéant, et la cotisation est renvoyée devant le ministre du Revenu national pour qu’il l’examine de nouveau et établisse une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le montant de 20 000 $ n’a pas à être inclus dans le calcul du revenu de l’appelante pour l’année d’imposition 2005, en application du paragraphe 146(8) et de l’article 146.01 de la Loi.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour d’octobre 2009.

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de janvier 2010.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice

 


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 507

Date : 20091009

Dossier : 2009-397(IT)I

 

ENTRE :

ALICE LIPCZAK,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre

 

[1]              Le présent appel, interjeté à l’encontre de la cotisation que le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établie à l’égard de l’appelante en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ») pour l’année d’imposition 2005, a été entendu sous le régime de la procédure informelle. Plus précisément, quand il a établi la cotisation en cause, le ministre a inclus dans le calcul du revenu de l’appelante pour 2005 un montant de 20 000 $ que l’appelante avait retiré dans le courant de cette même année de son régime enregistré d’épargne-retraite (« REER ») en vertu du Régime d’accession à la propriété (le « RAP »). Le RAP est un régime prévu par la Loi qui permettait à un particulier de retirer jusqu’à 20 000 $[1] de son REER au cours d’une année civile en vue d’acheter ou de faire construire une habitation admissible. S’il remplit toutes les conditions requises par la Loi, un particulier qui se prévaut du RAP n’a pas à inclure les montants admissibles qu’il a retirés de son REER dans le calcul de son revenu pour l’année au cours de laquelle il a effectué lesdits retraits. Généralement, le particulier dispose d’un maximum de 15 ans pour rembourser ses retraits admissibles.

 

[2]              Les dispositions de la Loi relatives au RAP sont l’alinéa 56(1)h.1), le paragraphe 146(8) et l’article 146.01. Je reproduis ci‑dessous les dispositions pertinentes en l’espèce, telles qu’elles s’appliquent à l’année d’imposition en cause :

 

56.(1) Sommes à inclure dans le revenu de l’année Sans préjudice de la portée générale de l’article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition :

 

[...]

 

h.1) Régime d’accession à la propriétéles sommes à inclure, en application de l’article 146.01, dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année;

 

 

146(8) Prestations [et retraits] imposablesEst inclus dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition le total des montants qu’il a reçus au cours de l’année à titre de prestations dans le cadre de régimes enregistrés d’épargne-retraite, à l’exception des retraits exclus au sens des paragraphes 146.01(1) ou 146.02(1), et des montants qui sont inclus, en application de l’alinéa (12)b), dans le calcul de son revenu.

 

 

146.01(1) DéfinitionsLes définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 

[...]

 

« date de clôture » S’agissant de la date de clôture relative à un montant reçu par un particulier :

 

a) le 1er octobre 1993, si le montant est reçu avant le 2 mars 1993;

 

b) le 1er octobre 1994, si le montant est reçu après le 1er mars 1993 et avant le 2 mars 1994;

 

c) le 1er octobre de l’année civile suivant celle de la réception du montant, dans les autres cas.

 

« habitation admissible »

 

a) Logement situé au Canada;

 

b) part du capital social d’une coopérative d’habitation, qui confère au titulaire le droit de posséder un logement situé au Canada.

 

Toutefois la mention d’une habitation admissible qui est une part visée à l’alinéa b) vaut mention, selon le contexte, du logement auquel cette part se rapporte.

 

« montant admissible » Montant admissible principal ou montant admissible supplémentaire.

 

« montant admissible principal » Montant qu’un particulier reçoit à un moment donné à titre de prestation dans le cadre d’un régime enregistré d’épargne-retraite, si les conditions suivantes sont réunies :

 

a) le particulier reçoit le montant à sa demande écrite présentée sur le formulaire prescrit dans lequel il indique l’emplacement de l’habitation admissible qu’il a commencé à utiliser comme lieu principal de résidence ou qu’il a l’intention de commencer à utiliser ainsi au plus tard un an après son acquisition;

 

b) le particulier a conclu une convention écrite avant le moment donné visant l’acquisition de l’habitation ou sa construction;

 

c) le particulier :

 

(i) soit acquiert l’habitation ou un bien de remplacement y afférent avant la date de clôture relative au montant,

 

(ii) soit décède avant la fin de l’année civile qui comprend cette date;

 

d) ni le particulier ni son époux ou conjoint de fait n’ont acquis l’habitation plus de 30 jours avant le moment donné;

 

e) le particulier ne possédait pas d’habitation à titre de propriétaire-occupant au cours de la période :

 

(i) ayant commencé au début de la quatrième année civile précédente qui a pris fin avant le moment donné,

 

(ii) s’étant terminée le trente et unième jour précédant ce moment;

 

f) l’époux ou conjoint de fait du particulier ne possédait pas d’habitation à titre de propriétaire-occupant au cours de la période visée à l’alinéa e) qui était :

 

(i) soit une habitation que le particulier occupait pendant leur mariage ou union de fait,

 

(ii) soit une part du capital social d’une coopérative d’habitation se rattachant à un logement que le particulier occupait pendant leur mariage ou union de fait;

 

g) le particulier :

 

(i) soit a acquis l’habitation avant le moment donné et réside au Canada à ce moment,

 

(ii) soit réside au Canada tout au long de la période commençant au moment donné et se terminant à son décès ou, s’il est antérieur, au moment où il a acquis l’habitation ou un bien de remplacement pour la première fois;

h) la somme du montant et des autres montants admissibles reçus par le particulier au cours de l’année civile qui comprend le moment donné n’excède pas 20 000 $;

 

i) le solde RAP du particulier au début de l’année civile qui comprend le moment donné est nul.

 

« retrait déterminé » Montant qu’un particulier reçoit à titre de prestation dans le cadre d’un régime enregistré d’épargne-retraite à sa demande écrite présentée sur le formulaire prescrit visé à l’alinéa a) de la définition de « montant admissible » (dans sa version applicable aux montants reçus avant 1999), à l’alinéa a) de la définition de « montant admissible principal » ou à l’alinéa a) de la définition de « montant admissible supplémentaire ».

 

« retrait exclu » Retrait d’un particulier qui constitue :

 

a) soit un montant admissible qu’il a reçu; [...]

 

 

 

(2)    Règles spécialesLes présomptions suivantes s’appliquent au présent article :

 

a) un particulier est réputé acquérir une habitation admissible s’il l’acquiert conjointement avec une ou plusieurs personnes;

 

a.1) le particulier qui possède, conjointement avec une autre personne ou autrement, un logement ou une part du capital social d’une coopérative d’habitation à un moment donné est réputé posséder une habitation à titre de propriétaire-occupant à ce moment si, selon le cas :

 

(i)                  il habite le logement comme lieu principal de résidence à ce moment,

 

(ii) la part a été acquise en vue d’acquérir le droit de posséder un logement appartenant à la coopérative, logement que le particulier habite comme lieu principal de résidence à ce moment;

 

b) le particulier qui accepte d’acquérir un logement en copropriété est réputé l’acquérir le jour où il a droit d’en prendre possession;

 

c) sauf pour l’application du sous-alinéa g)(ii) de la définition de « montant admissible principal » et du sous-alinéa f)(ii) de la définition de « montant admissible supplémentaire », le particulier ou une personne handicapée déterminée quant à lui est réputé avoir acquis une habitation admissible avant la date de clôture relative à un retrait déterminé qu’il a reçu relativement à l’habitation, si les conditions suivantes sont réunies :

 

(i) ni le particulier, ni la personne handicapée déterminée n’ont acquis l’habitation, ni un bien de remplacement y afférent, avant la date de clôture en question,

 

(ii) l’une ou l’autre des situations suivantes se présente :

 

(A) le particulier ou la personne handicapée déterminée, à la fois :

 

(I)                 est tenu, par convention écrite en vigueur à la date de clôture en question, d’acquérir l’habitation ou le bien de remplacement à cette date ou postérieurement,

 

(II)              acquiert l’habitation ou le bien de remplacement avant le jour qui suit d’un an la date de clôture en question,

 

(B) le particulier ou la personne handicapée déterminée a fait des paiements – dont le total est au moins égal au total des retraits déterminés que le particulier a reçus relativement à l’habitation – qui répondent aux conditions suivantes :

 

(I)                 ils ont été faits à des personnes avec lesquelles le particulier n’a aucun lien de dépendance,

 

(II)              ils se rapportent à la construction de l’habitation ou du bien de remplacement,

 

(III)            ils ont été faits au cours de la période commençant au moment où le particulier a reçu son premier retrait déterminé relativement à l’habitation et se terminant avant la date de clôture en question;

 

d) le montant que le particulier reçoit au cours d’une année civile donnée est réputé avoir été reçu à la fin de l’année civile précédente et à aucun autre moment si les conditions suivantes sont réunies :

 

(i) le particulier le reçoit en janvier de l’année donnée ou à tout moment postérieur que le ministre estime acceptable,

 

(ii) il ne serait pas un montant admissible en l’absence du présent alinéa,

 

(iii) il serait un montant admissible en l’absence de l’alinéa i) de la définition de « montant admissible principal » au paragraphe (1) et de l’alinéa h) de la définition de « montant admissible supplémentaire » à ce même paragraphe.

 

[3]              En l’espèce, la question en litige est de savoir si le montant de 20 000 $ que l’appelante a retiré de son REER en 2005 est un « montant admissible principal » et, par conséquent, un « retrait exclu » d’un REER en vertu du RAP. Si la réponse est affirmative, le montant de 20 000 $ n’avait pas à être inclus dans le revenu de l’appelante pour l’année d’imposition 2005 et la cotisation faisant l’objet du présent appel est erronée. Si la réponse est négative, le montant de 20 000 $ devait être inclus dans le revenu de l’appelante pour 2005 et la cotisation sera ratifiée.

 

Les faits

 

[4]              Les faits ne sont pas contestés; ils sont énoncés au paragraphe 11 de la réponse à l’avis d’appel, qui est ainsi rédigé :

 

[traduction]

 

11. Quand il a calculé l’impôt de l’appelante pour l’année d’imposition 2005, le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

 

a)      le 14 juin 2005, dans le cadre du Régime d’accession à la propriété, l’appelante a retiré la somme de 20 000 $ (le « retrait ») d’un régime enregistré d’épargne‑retraite qu’elle possédait à la Banque ING du Canada;

 

b)      l’appelant a conclu une convention écrite avec West Harbour City (1) Residences Corp., avant de retirer de l’argent de son REER, relativement à ce retrait en vue de la construction d’une unité condominiale (le « logement ») qui serait située à Toronto, en Ontario;

 

c)      entre le 10 juin 2005 et le 25 avril 2006, l’appelante a effectué des paiements s’élevant à un total de 41 774 $ en vue de la construction du logement;

 

d)      la convention écrite conclue avec West Harbour City (1) Residences Corp. exigeait de l’appelante qu’elle prenne possession du logement le 1er mai 2008;

 

e)      l’appelante n’a pas pris possession du logement, ou de tout autre logement situé au Canada, avant le 1er octobre 2006;

 

f)        l’appelante n’était pas tenue par convention écrite en vigueur le 1er octobre 2006 d’acheter un autre logement situé au Canada, relativement au retrait, avant le 1er octobre 2007;

 

g)      l’appelante n’a pas pris possession du logement ou de tout autre logement situé au Canada relativement au retrait;

 

h)      l’appelante n’a versé aucun montant relatif au retrait du régime enregistré d’épargne-retraite dont elle était titulaire, pendant l’année d’imposition 2005 ou dans les 60 jours suivant la fin de cette année d’imposition;

 

i)        l’appelante n’a inclus aucun montant relatif au retrait dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2005;

 

j)        l’appelante résidait au Canada pendant toute l’année d’imposition en cause.

 

[5]              Dans la réponse à l’avis d’appel, l’intimée a fait valoir qu’eu égard au retrait, l’appelante n’a pas acquis le logement avant la date de clôture (soit le 1er octobre 2006, comme le prévoit la définition de « date de clôture » reproduite ci‑dessus). L’intimée a ajouté qu’en ce qui concernait le retrait, l’appelante n’était pas tenue, par convention écrite en vigueur le 1er octobre 2006 (la date de clôture), d’acquérir tout autre logement situé au Canada avant le 1er octobre 2007. L’intimée a conclu que, par conséquent, le retrait de 20 000 $ n’était ni un « montant admissible principal » ni un « retrait exclu » au sens du paragraphe 146.01(1) de la Loi. L’intimée a ainsi décidé que le retrait de 20 000 $ était une prestation reçue dans le cadre d’un REER au cours de l’année 2005, au sens du paragraphe 146(8) de la Loi, et que le ministre avait à juste titre inclus ce montant dans le calcul du revenu de l’appelante pour cette année d’imposition, en application de l’alinéa 56(1)(h.1) de la Loi.

 

[6]              À l’audience, l’avocat de l’intimée a demandé à l’appelante de produire la convention d’achat qui a été signée le 23 mai 2005 (pièce R‑1, onglet 2). Cette convention stipule que l’appelante devait prendre possession de son logement le 1er mai 2008. L’appelante a reconnu que, quand elle a retiré les fonds en cause de son REER le 14 juin 2005, elle ne s’attendait pas à prendre possession de son unité condominiale avant le 1er mai 2008, dans la mesure où le logement n’aurait pas été habitable avant cette date. L’entrepreneur a tout de même exigé que des paiements soient effectués en 2005 et en 2006, afin de lui permettre de commencer la construction (il s’agit des paiements s’élevant à un total de 41 774 $ dont il est question à l’alinéa 11c) de la réponse à l’avis d’appel reproduit ci‑dessus, lesquels sont présentés en détail dans la pièce R-1, onglet 2, paragraphe 2).

 

[7]              L’avocat de l’intimée a fait valoir que l’appelante n’avait pas rempli toutes les conditions requises pour que le retrait de 20 000 $ soit considéré comme un montant admissible principal. Il a soutenu que l’appelante, tout en sachant qu’elle ne prendrait pas possession de son logement avant le 1er mai 2008, a retiré les fonds de son REER trop tôt dans le processus. D’après lui, elle aurait dû pour cela attendre au moins jusqu’en 2006. L’analyse faite par l’avocat de l’intimée de l’article 146.01 de la Loi est essentiellement fondée sur l’objet de la loi introduisant le RAP.

 

[8]              L’avocat de l’intimée a affirmé que les REER avaient été créés pour permettre aux citoyens de cotiser en vue de leur propre retraite et qu’à cette fin, les placements dans des REER fructifient grâce à l’intérêt composé, l’impôt à payer sur ces montants étant reporté.

 

[9]              Le RAP met un frein à l’accumulation, avec report d’impôt, de cet argent et de l’intérêt. Selon l’avocat de l’appelante, le facteur clé est la durée pendant laquelle ces fonds, qui ont été investis dans les domaines de l’immobilier et de la construction, vont rester en dehors du REER.

 

[10]         C’est pour cette raison, selon lui, que le législateur a institué la définition de « montant admissible principal », exigeant de la personne qui se prévaut du RAP qu’elle achète l’habitation admissible dans un délai prescrit, lequel prend fin, en principe, à la date de clôture (soit le 1er octobre de l’année civile suivant l’année au cours de laquelle le montant est reçu) si le montant n’est pas imposable.

 

[11]         En l’espèce, l’appelante a retiré le montant en cause de son REER le 14 juin 2005. La date de clôture, et donc la date limite pour acquérir l’habitation admissible, était par conséquent le 1er octobre 2006. Le paragraphe 146.01(2) de la Loi prévoit des prorogations quand l’habitation admissible n’a pas été acquise avant la date de clôture. L’avocat de l’intimée a laissé entendre que ces prorogations ne s’appliquaient qu’en cas de retard imprévu, et non pas quand on sait d’avance que la date d’acquisition sera postérieure à la date de clôture, ce qui est le cas en l’espèce. L’avocat de l’intimée a en effet rappelé à la Cour que, dans la convention d’achat, l’appelante avait accepté que la date de prise de possession soit fixée au 1er mai 2008. L’appelante a retiré les fonds en cause de son REER en juin 2005. Elle savait donc à l’époque qu’elle ne ferait pas l’acquisition du logement avant la date de clôture. Elle ne pouvait donc pas avoir eu l’intention de commencer à utiliser le logement comme lieu principal de résidence avant la date de clôture, comme l’exigent les alinéas a) et c) de la définition de « montant admissible principal » lus conjointement. Selon l’avocat de l’intimée, c’est en toute connaissance de cause que l’appelante a retiré les fonds trop tôt, et elle ne peut par conséquent se prévaloir du report d’impôt relativement à ce retrait.

 

[12]         En revanche, l’appelante a déclaré s’être fondée sur différentes publications disponibles sur le site Web de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), publications qu’elle a déposées en preuve sous les cotes A-1 (publication de 2005), A‑2 (publication de 2009) et A-3 (guide de l’ARC sur le RAP). L’appelante avait compris de ces publications que dans la mesure où elle disposait d’une convention écrite en vigueur pendant la période prescrite, elle était réputée avoir acquis le logement avant la date de clôture. Elle avait compris que l’exigence d’intention de l’alinéa a) à laquelle l’avocat de l’intimée a fait référence ne s’appliquait qu’une fois le logement construit, autrement dit, quand le logement devenait habitable et pas avant.

 

Analyse

 

[13]         La question à trancher est de savoir si le retrait de 20 000 $ que l’appelante a effectué le 14 juin 2005 est un « montant admissible principal » au sens du paragraphe 146.01(1) de la Loi. La définition de « montant admissible principal » exige que toutes les conditions énoncées aux alinéas a) à i) de la définition soient remplies. J’analyserai donc chacune des conditions posant problème aux yeux de l’intimée.

 

a) le particulier [doit avoir reçu] le montant à sa demande écrite présentée sur le formulaire prescrit dans lequel il indique l’emplacement de l’habitation admissible [...] qu’il a l’intention de commencer à utiliser comme lieu principal de résidence [...] au plus tard un an après son acquisition.

 

[14]         À cet égard, l’alinéa 146.01(2)b) établit que le particulier qui accepte d’acquérir un logement en copropriété est réputé l’acquérir le jour où il a droit d’en prendre possession.

 

[15]         En l’espèce, l’appelante a présenté sa demande écrite sur le formulaire prescrit le 13 juin 2005, pour un montant de 20 000 $. Dans sa demande, elle a indiqué l’emplacement de l’habitation admissible et précisé qu’elle avait l’intention de commencer à l’utiliser comme lieu principal de résidence au plus tard un an après son acquisition ou sa construction (pièce R-1, onglet 1). En application de l’alinéa 146.01(2)b), elle serait réputée avoir acquis l’habitation admissible le jour où elle a eu droit d’en prendre possession. Aux termes de la convention d’achat, cette date avait été fixée au 1er mai 2008 (pièce R‑1, onglet 2, paragraphe 3). Toutefois, au moment de l’audience, le logement n’était toujours pas prêt, l’appelante ne pouvant en prendre possession. Quoi qu’il en soit, l’appelante a toujours eu l’intention, du jour où elle a retiré les fonds jusqu’à aujourd’hui, d’utiliser ledit logement comme lieu principal de résidence au plus tard un an après son acquisition, date qui est réputée être, au sens de l’alinéa 146.01(2)b), le jour où elle a droit d’en prendre possession.

 

[16]         Je conviens avec l’appelante que la première condition a été remplie.

 

b) Le particulier a conclu une convention écrite avant le moment donné visant l’acquisition de l’habitation admissible ou sa construction.

 

[17]         L’appelante a également rempli cette condition, comme le confirme la convention qu’elle a déposée en preuve sous la cote R‑1, onglet 2, le 23 mai 2005.

 

c) Le particulier :

 

(i)                soit acquiert l’habitation [...] avant la date de clôture relative au montant,

(ii)              [sans objet.]

 

[18]         À cet égard, l’alinéa 146.01(2)c) prévoit que :

 

sauf pour l’application du sous‑alinéa g)(ii) [l’obligation de résidence au Canada] de la définition de « montant admissible principal » [...], le particulier [...] est réputé avoir acquis une habitation admissible avant la date de clôture relative à un retrait déterminé qu’il a reçu relativement à l’habitation, si les conditions suivantes sont réunies :

 

(i)                [...] le particulier, [...] n’[a pas] acquis l’habitation [...] avant la date de clôture en question,

 

(ii)              l’une ou l’autre des situations suivantes se présente :

 

(A)             [sans objet.]

 

(B)            le particulier [...] a fait des paiements – dont le total est au moins égal au total des retraits déterminés que le particulier a reçus relativement à l’habitation – qui répondent aux conditions suivantes :

 

(I)               ils ont été faits à des personnes avec lesquelles le particulier n’a aucun lien de dépendance,

 

(II)            ils se rapportent à la construction de l’habitation [...],

 

(III)         ils ont été faits au cours de la période commençant au moment où le particulier a reçu son premier retrait déterminé relativement à l’habitation et se terminant avant la date de clôture en question;

 

 

[19]         En l’espèce, l’appelante n’a pas acquis l’habitation admissible avant la date de clôture (le 1er octobre 2006) et l’appelante a effectué des paiements s’élevant à un total d’environ 41 774 $ à West Harbour City (I) Residences Corp. (société avec laquelle elle n’a aucun lien de dépendance) relativement à l’habitation admissible entre le 14 juin 2005 (date où elle a retiré 20 000 $ de son REER) et le 1er octobre 2006 (la date de clôture) (aux termes de la convention d’achat, pièce R‑1, onglet 2, paragraphe 2).

 

[20]         Toutes les conditions énoncées à l’alinéa c) de la définition de « montant principal admissible » au paragraphe 146.01(1) et à l’alinéa 146.01(2)c) de la Loi, nécessaires pour que l’habitation admissible soit réputée avoir été acquise avant la date de clôture, ont donc été remplies.

 

[21]         Aucune des autres conditions énoncées aux alinéas d) à i) de la définition de « montant admissible  principal » ne sont en cause, l’intimée ayant admis qu’elles avaient été remplies.

 

[22]         L’avocat de l’intimée a soulevé le problème selon lequel la date d’acquisition réputée aux fins de l’alinéa a) de la même définition (soit la date à laquelle le logement serait habitable en vertu de la disposition déterminative à l’alinéa 146.01(2)b)) et la date d’acquisition réputée aux fins de l’alinéa c) de la définition (qu’on affirme être antérieure à la date de clôture) ne coïncident pas.

 

[23]         Selon l’avocat de l’intimée, on ne peut considérer que la date d’acquisition est postérieure à la date de clôture dans le premier cas et antérieure à la date d’achèvement des travaux dans le second cas. Il est nécessaire de trancher.

 

[24]         Si on se fie à cette interprétation, la disposition déterminative à l’alinéa 146.01(2)c) devrait l’emporter sur celle énoncée à l’alinéa 146.01(2)b). L’avocat de l’intimée explique cela par le fait que l’alinéa 146.01(2)c) est rédigé de telle manière que la seule exception qu’il prévoit à sa disposition déterminative a trait à l’obligation de résidence (sous‑alinéa g)(ii) de la définition de « montant admissible  principal » au paragraphe 146.01(1)). L’avocat de l’intimée a soutenu que, si le législateur avait prévu une exception à l’alinéa 146.01(2)c), mais pas à l’alinéa 146.01(2)b), c’était parce qu’il voulait que la disposition déterminative spéciale à l’alinéa 146.01(2)c) s’applique à toutes les autres dispositions de la définition, ce qui n’est pas le cas pour l’alinéa 146.01(2)b).

 

[25]         Le fait d’analyser individuellement chacune des conditions requises dans la définition pertinente du paragraphe 146.01(1), sans donner un rôle prépondérant à la disposition déterminative à l’alinéa 146.01(2)c), permettrait l’application simultanée des deux dispositions déterminatives, ce qui, aux yeux de l’avocat de l’intimée, aurait pour effet de supprimer toute exigence de délai pour le RAP. Il a conclu que cela n’aurait pas de sens du point de vue de la politique gouvernementale, dans la mesure où toute personne ayant versé de l’argent à une entité avec laquelle elle n’a aucun lien de dépendance, laquelle entité a l’intention de construire une habitation admissible dans un avenir lointain, serait admissible, peu importe le temps nécessaire à la construction de l’habitation en question. En fait, cette personne serait admissible même si, en fin de compte, l’habitation admissible n’était jamais construite.

 

[26]         Cela étant dit, je suis d’avis que l’interprétation donnée par l’avocat de l’intimée n’est pas fondée sur les dispositions de la Loi ou des publications affichées sur le site Web de l’ARC. En outre, l’avocat de l’intimée n’a présenté à la Cour aucun document, comme des notes techniques, étayant son argument.

 

[27]         Bien qu’il soit vrai que la lecture des deux dispositions déterminatives se solde par deux dates d’acquisition réputées distinctes, la question à trancher est de savoir si le retrait que l’appelante a effectué est admissible aux fins du RAP. Il faut respecter un certain délai, mais rien ne laisse entendre que les prorogations prévues au paragraphe 146.01(2) ne s’appliquent qu’en cas de retard imprévu. Si les montants retirés du REER ont servi à construire l’habitation admissible avant la date de clôture, il importe peu de savoir quand le logement a ensuite été habitable. À ce stade, la seule exigence est de savoir si le particulier a l’intention de prendre possession de ce logement afin de l’utiliser comme lieu principal de résidence au plus tard un an après qu’il soit habitable. Le délai imposé par la date de clôture est respecté si le particulier effectue des paiements équivalant à au moins la totalité de ses retraits aux entrepreneurs ou aux fournisseurs (avec lesquels le particulier n’a aucun lien de dépendance) avant la date de clôture fixée pour la construction de l’habitation admissible. En l’espèce, il n’y a aucune raison d’interpréter les dispositions de la Loi de manière à leur donner une signification allant au‑delà des termes employés par le législateur, comme l’intimée l’a suggéré.

 

[28]         Je reproduis ci‑dessous le paragraphe 43 de l’arrêt de la Cour suprême du Canada Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622 :

 

43 [...] La Loi est un texte législatif complexe au moyen duquel le législateur tente d’établir un équilibre entre d’innombrables principes. La jurisprudence de notre Cour est constante : les tribunaux doivent par conséquent faire preuve de prudence lorsqu’il s’agit d’attribuer au législateur, à l’égard d’une disposition claire de la Loi, une intention non explicite : Canderel Ltd. c. Canada, 1998 CanLII 846 (C.S.C.), [1998] 1 R.C.S. 147, au par. 41, le juge Iacobucci; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., 1997 CanLII 377 (C.S.C.), [1997] 1 R.C.S. 411, au par. 112, le juge Iacobucci; Antosko, précité, à la p. 328, le juge Iacobucci. En concluant à l’existence d’une intention non exprimée par le législateur sous couvert d’une interprétation fondée sur l’objet, l’on risque de rompre l’équilibre que le législateur a tenté d’établir dans la Loi.

 

[29]         Je conclus par conséquent que l’appelante a démontré selon la prépondérance des probabilités qu’elle a rempli toutes les conditions nécessaires pour que le montant de 20 000 $ soit considéré comme un montant admissible principal et, par conséquent, comme un retrait exclu, en application du paragraphe 146(8) et de l’article 146.01 de la Loi.

 

[30]         L’appel est accueilli avec dépens, le cas échéant, et la cotisation est renvoyée au ministre pour qu’il l’examine de nouveau et établisse une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que le montant de 20 000 $ ne doit pas être inclus dans le calcul du revenu de l’appelante pour 2005 en application du paragraphe 146(8) et de l’article 146.01 de la Loi.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour d’octobre 2009.

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de janvier 2010.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice


 

RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 507

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2009-397(IT)I

 

INTITULÉ :                                       Alice Lipczak et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 16 septembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 9 octobre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

Avocat de l’intimée :

Me Ian Theil

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                        Nom :                       

 

                    Cabinet :

 

           Pour l’intimée :                        John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]   Le maximum est maintenant fixé à 25 000 $ pour les retraits effectués après le 27 janvier 2009.

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