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Dossier : 2009-984(EI)

ENTRE :

LYNE GAGNÉ

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

PATRICK BÉLAND

intervenant.

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

L’Express Marchandiseur Inc., 2009-985(EI),

le 7 octobre 2009, à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Représentant de l'appelante :

Michel Normandin, comptable

Avocat de l'intimé :

Me Mounes Ayadi

Avocat de l'intervenant :

Me Patrick Brunelle

____________________________________________________________________

JUGEMENT

        L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance‑emploi est rejeté et la décision du ministre du Revenu national est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour d'octobre 2009.

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard


 

 

Dossier : 2009-985(EI)

ENTRE :

L’EXPRESS MARCHANDISEUR INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

FRÉDÉRIC POULIN,

intervenant.

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

Lyne Gagné, 2009-984(EI),

le 7 octobre 2009, à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Représentant de l'appelante :

Michel Normandin, comptable

Avocat de l'intimé :

Me Mounes Ayadi

Avocat de l'intervenant :

Me Patrick Brunelle

____________________________________________________________________

JUGEMENT

        L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance‑emploi est rejeté et la décision du ministre du Revenu national est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour d'octobre 2009.

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 549

Date : 20091026

Dossiers : 2009-984(EI)

2009-985(EI)

ENTRE :

LYNE GAGNÉ et L'EXPRESS MARCHANDISEUR INC.,

appelantes,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

PATRICK BÉLAND et FRÉDÉRIC POULIN,

intervenants.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bédard

 

[1]              Les appelantes interjettent appel des décisions du ministre du Revenu national (le « ministre ») rendues en vertu de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi »). Dans le dossier 2009‑984(EI), le ministre a décidé que, pour la période du 31 octobre 2006 au 2 décembre 2007, monsieur Patrick Béland exerçait un emploi aux termes d’un contrat de louage de services et qu’il occupait donc un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi lorsqu’il était au service SOS Garnisseurs, une entreprise exploitée par madame Lyne Gagné. Dans le dossier 2009‑985(EI), le ministre a décidé que, pour la période du 1er janvier 2007 au 5 janvier 2008, monsieur Frédéric Poulin exerçait un emploi aux termes d’un contrat de louage de services et qu’il occupait donc un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi, lorsqu’il était au service de L’Express Marchandiseur Inc. (l’« Express »).

 

[2]              Pour rendre sa décision dans le dossier 2009‑984(EI), le ministre s’est appuyé sur les hypothèses de faits suivantes :

 

                  a)            l’appelante a immatriculé une entreprise individuelle le 24 février 2006; (admis)

 

                  b)            l’appelante avait enregistré la raison sociale « SOS Garnisseurs »; (admis)

 

                  c)            l’appelante exploitait une entreprise d’étalage et de mise en place des pains dans les supermarchés; (admis)

 

                  d)            les clients de l’appelante étaient Maxi et Loblaws pour le fournisseur de pains Weston et Super C, Métro et IGA pour le fournisseur de pains Multimarques; (admis)

 

                  e)            l’appelante embauchait entre 10 à 20 travailleurs selon la période de l’année; (admis)

 

                    f)            le travailleur a été embauché comme garnisseur par l’appelante; (admis)

 

                  g)            les tâches du travailleur consistaient à faire la mise en place des pains, leurs rotations, à vérifier les codes des attaches et à prendre l’inventaire; (admis)

 

                  h)            les parties ne s’entendent pas sur l’interprétation des services du travailleur à titre de salarié ou à titre de travailleur autonome; (admis)

 

                    i)            selon l’appelante, le travailleur avait signé un contrat de travailleur autonome, selon le travailleur, il n’y avait aucun contrat écrit entre les parties; (admis)

 

                    j)            le travailleur a suivi une période de formation, non rémunérée, de 3 jours pour les pains Weston et de sept jours pour les pains Multimarques; (admis)

 

                  k)            le travailleur n’avait aucune expérience d’étalagiste ou de garnisseur avant de travailler pour l’appelante; (admis)

 

                    l)            après sa formation, le travailleur s’est vu assigner un secteur près de chez lui par l’appelante; (admis)

 

                m)            l’horaire de travail était fixé par l’appelante; (nié)

 

                  n)            l’horaire de travail était principalement de nuit de 2 h à 7 h du matin, ainsi que de la mise en place en après-midi les jours de grand achalandage soit du jeudi au dimanche; (admis)

 

                  o)            l’horaire de travail du travailleur était toujours identique d’une semaine à l’autre; (nié)

 

                  p)            en cas d’absence du travailleur, ce dernier avertissait l’appelante qui devait trouver un remplaçant; (admis)

 

                  q)            pour les pains de la société Weston, l’appelante versait de 7 à 8 cents au travailleurs; (admis)

 

                   r)            pour les pains de la société Multimarques, l’appelante versait 12,00 $ de l’heure au travailleur; (admis)

 

                   s)            le travailleur devait assumer ses frais de déplacement pour se rendre aux supermarchés mais comme le travailleur se déplaçait à vélo et il n’avait presque aucune dépense dans l’exercice de ses fonctions; (admis)

 

                    t)            l’appelante communiquait ses directives par téléphone ou par courriel, au travailleur; (admis)

 

                  u)            l’appelante se rendait à l’occasion, sur les lieux de travail pour vérifier la qualité de la mise en place des travailleurs; (admis)

 

                  v)            le travailleur devait suivre les instructions de l’appelante et des clientes de l’appelante dans l’exécution de ses tâches; (admis)

 

                w)            les plaintes des clientes ou des directeurs de supermarchés étaient dirigées à l’appelante qui prenait action en conséquence; (admis)

 

                  x)            les clients étaient ceux de l’appelante et non pas ceux du travailleur. (admis)

 

 

[3]              Pour rendre sa décision dans le dossier 2009‑985(EI), le ministre s’est appuyé sur les hypothèses de faits suivantes :

 

                  a)            l’appelante a été constituée en société le 31 août 2006; (admis)

 

                  b)            Lyne Gagné était l’actionnaire unique de l’appelante; (admis)

 

                  c)            l’appelante exploitait une entreprise d’étalage et de mise en place des pains dans les supermarchés; (admis)

 

                  d)            les clients de l’appelante étaient Maxi et Loblaws pour le fournisseur de pains Weston et Super C, Métro et IGA pour le fournisseur de pains Multimarques; (admis)

 

                  e)            l’appelante embauchait entre 10 et 20 travailleurs selon la période de l’année; (admis)

 

                    f)            le travailleur a été embauché comme garnisseur pour l’appelante; (admis)

 

                  g)            les tâches du travailleur consistaient à faire la mise en place des pains, leurs rotations, à vérifier les codes des attaches et à prendre l’inventaire; (admis)

 

                  h)            les parties ne s’entendent pas sur l’interprétation des services du travailleur à titre de salarié ou à titre de travailleur autonome; (admis)

 

                    i)            selon l’appelante, le travailleur avait signé un contrat de travailleur autonome, selon le travailleur, il n’y avait aucun contrat écrit entre les parties; (admis)

 

                    j)            le travailleur a suivi une période de formation, non rémunérée, de 3 jours pour les pains Weston et de sept jours pour les pains Multimarques; (nié)

 

                  k)            le travailleur n’avait aucune expérience d’étalagiste ou de garnisseur avant de travailler pour l’appelante; (nié)

 

                    l)            après sa formation, le travailleur s’est vu assigner un secteur près de chez lui par l’appelante; (nié)

 

                m)            l’horaire de travail était fixé par l’appelante; (admis)

 

                  n)            l’horaire de travail était principalement de nuit de 2 h à 7 h du matin, ainsi que de la mise en place en après-midi les jours de grand achalandage soit du jeudi au dimanche; (admis)

 

                  o)            l’horaire de travail du travailleur était toujours identique d’une semaine à l’autre; (nié)

 

                  p)            en cas d’absence du travailleur, ce dernier avertissait l’appelante qui devait trouver un remplaçant; (admis)

 

                  q)            pour les pains de la société Weston, l’appelante versait de 7 à 8 cents par pain au travailleur; (admis)

 

                   r)            pour les pains de la société Multimarques, l’appelante versait 12,00 $ de l’heure au travailleur; (admis)

 

                   s)            le travailleur devait assumer ses frais de déplacement pour se rendre aux supermarchés; (admis)

 

                    t)            l’appelante communiquait ses directives par téléphone ou par courriel avec le travailleur; (admis)

 

                  u)            Lyne Gagné se rendait à l’occasion, sur les lieux de travail pour vérifier la qualité de la mise en place des travailleurs; (admis)

 

                  v)            le travailleur devait suivre les instructions de l’appelante et des clients de l’appelante dans l’exécution de ses tâches; (admis)

 

                w)            les plaintes des clients ou des directeurs de supermarchés étaient dirigées à l’appelante qui prenait action en conséquence, (admis)

 

                  x)            les clients étaient ceux de l’appelante et non pas ceux du travailleur. (admis)

 

 

Témoignage de madame Gagné

 

[4]              Il ressort notamment du témoignage de madame Gagné que :

 

i)                   les appelantes n’avaient pas signé de contrat avec messieurs Poulin et Béland (les « travailleurs »). Par ailleurs, madame Gagné a expliqué que les parties avaient tout de même conclu verbalement, librement et en connaissance de cause un contrat d’entreprise. Elle a ajouté que, lors de la conclusion du contrat avec les deux travailleurs, il avait été aussi établi que les travailleurs ne bénéficieraient d’aucun avantage social et qu’ils devraient payer leurs frais de déplacement pour se rendre d’un supermarché à l’autre. Enfin, madame Gagné a expliqué que, peu de temps après l’embauche des deux travailleurs, les appelantes avaient établi une politique aux termes de laquelle elles faisaient signer à tous les travailleurs dont elles retenaient les services un contrat qui fixe les modalités des relations entre les parties et les conditions de la mise en place des pains par les travailleurs qui y sont décrits comme des entrepreneurs indépendants et non comme des employés des appelantes. À cet égard, je souligne immédiatement que les travailleurs ont témoigné que la nature du contrat qu’ils avaient conclu avec les appelantes n’avait pas véritablement fait l’objet de discussions avec Madame Gagné, cette dernière s’étant essentiellement attardée à leur expliquer le mode de leur rémunération;

 

ii)                 les travailleurs étaient libres de faire la mise en place de produits autres que du pain chez les clients des appelantes pourvu que cette activité ne soit pas défavorable à ces dernières;

 

iii)               les travailleurs pouvaient se faire remplacer sans l’assentiment ou l’intervention des appelantes. Toutefois, madame Gagné a expliqué qu’elle avait exigé des travailleurs qu’ils l’avisent rapidement dans le cas où ils n’étaient pas en mesure de trouver un remplaçant et qu’ils lui donnent les coordonnées de leurs remplaçants, et ce, pour être en mesure de leur transmettre des directives, le cas échéant;

 

iv)               les appelantes n’avaient donné aucune formation aux travailleurs, ces derniers ayant l’expérience nécessaire pour faire ce genre de travail. Je souligne par ailleurs que madame Gagné a admis que, généralement, les travailleurs dont les services étaient retenus suivaient une formation non rémunérée;

 

v)                 les travailleurs avaient beaucoup de latitude dans l’organisation de leur travail en ce qu’ils pouvaient déterminer le moment où ils faisaient la mise en place des pains dans les supermarchés et l’ordre dans lequel ces derniers étaient approvisionnés. Par ailleurs, la preuve a révélé que les travailleurs avaient peu de latitude en ce qui concerne l’organisation de leur travail en ce que les directives qu’ils recevaient des appelantes (des directives imposées par Weston et Multimarques aux appelantes) faisaient en sorte que la plage dans laquelle les pains devaient être mis en place était clairement établie et généralement très courte;

 

vi)               la rémunération accordée à un travailleur pour faire la mise en place des pains était convenue entre les parties pour chacun des supermarchés. En effet, les parties convenaient pour chaque supermarché d’un nombre d’heures maximum pour faire la mise en place des pains et du taux horaire (qui était de 12 $ pendant les périodes pertinentes), de sorte que les travailleurs plus expérimentés, et donc généralement plus rapides, avaient un taux horaire effectif supérieur à 12 $ et que les travailleurs moins expérimentés, et donc généralement moins rapides, avaient un taux horaire effectif inférieur à 12 $.

 

[5]              Par ailleurs, la preuve a révélé que :

 

i)                   les appelantes remplissaient fréquemment des fiches d’évaluation du travail accompli par les travailleurs et leur communiquaient par écrit les résultats de l’évaluation. Je constate à la lecture des fiches d’évaluation ainsi déposées en preuve (pièces A‑3 et A‑4) que le langage utilisé par les appelantes est celui d’un patron qui s’adresse à son employé et non celui d’un donneur d’ouvrage à son sous‑traitant;

 

ii)                 les appelantes communiquaient fréquemment par téléphone ou par courriel avec les travailleurs pour leur donner des directives quant à la façon d’exécuter le travail;

 

iii)               les travailleurs n’avaient besoin d’aucun outil pour exécuter leur travail, si ce n’est d’un diable qui leur était fourni par Weston et Multimarques;

 

iv)               les travailleurs ne se sont jamais comportés comme des travailleurs autonomes. En effet, ces travailleurs n’ont jamais immatriculé leurs entreprises chez l’inspecteur général des entreprises financières. Ils n’étaient pas non plus inscrits auprès des autorités fiscales aux fins de la TPS;

 

v)                 les travailleurs devaient remplir à chacune de leurs visites dans les supermarchés un formulaire qui attestait de leur travail dans les supermarchés, formulaire qui devait être signé par un employé autorisé de chaque supermarché donné.

 

 

Analyse

 

Le droit

 

[6]              Quand les tribunaux ont à définir des notions de droit privé québécois aux fins de l’application d’une loi fédérale, telle la Loi sur l’assurance‑emploi, ils doivent se conformer à la règle d’interprétation de l’article 8.1 de la Loi d’interprétation. Pour déterminer la nature d’un contrat de travail québécois et le distinguer d’un contrat de service, il faut, tout au moins depuis le 1er juin 2001, se fonder sur les dispositions pertinentes du Code civil du Québec (« Code civil »). Ces règles sont incompatibles avec les règles énoncées dans des arrêts comme 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001]2 R.C.S. 983 et Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553. Contrairement à la situation en common law, les éléments constitutifs du contrat de travail ont été codifiés et les tribunaux n’ont plus, depuis l’entrée en vigueur de l’article 2085 et de l’article 2099 du Code civil, le 1er janvier 1994, la latitude qu’ont les tribunaux de common law pour définir ce qui constitue un contrat de travail. S’il est nécessaire de s’appuyer sur des décisions jurisprudentielles pour déterminer s’il existait un contrat de travail, il faut choisir celles qui ont appliqué une approche conforme aux principes du droit civil.

 

[7]              Dans le Code civil, des chapitres distincts portent sur le « contrat de travail » (articles 2085 à 2097) et sur le « contrat d’entreprise et de service » (articles 2098 à 2129).

 

 

[8]              L’article 2085 porte sur le contrat de travail :

 

[...] est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

 

 

[9]              L'article 2098 porte que le contrat d'entreprise :

 

[...] est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

 

 

[10]         L'article 2099 suit, rédigé dans les termes suivants :

 

L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

 

 

[11]         On peut dire que ce qui distingue fondamentalement un contrat de service d'un contrat de travail est l'absence, dans le premier cas, d'un lien de subordination entre le prestataire de services et le client et la présence, dans le second cas, du droit de l'employeur de diriger et de contrôler l'employé. Il faut donc déterminer en l’espèce s'il y avait ou non un lien de subordination entre les appelantes et les travailleurs.

 

 

[12]         Les appelantes avaient le fardeau de faire la preuve, selon la prépondérance des probabilités, des faits en litige pour établir leur droit à l'annulation des décisions du ministre. Elles devaient faire la preuve du contrat que les parties ont conclu et établir leur intention commune quant à la nature de ce contrat. Si elles n'avaient pas de preuve directe de cette intention, les appelantes pouvaient avoir recours à des indices à titre de preuve du contrat qui aurait été convenu et invoquer les dispositions du Code civil qui le régissaient. Les appelantes devaient en l’espèce démontrer qu’il n’y avait pas de lien de subordination en vue d’établir qu’elles n’avaient pas conclu un contrat de travail et, pour ce faire, elles pouvaient utiliser, si nécessaire, des indices d’autonomie tels que ceux qui ont été énoncés dans l’arrêt Wiebe Door, précité, soit la propriété des outils ainsi que le risque de perte et la possibilité de profit.

 

 

[13]         Je suis d’avis toutefois que, contrairement à l’approche qui a cours en common law, une fois qu’un juge est en mesure de conclure à l’absence d’un lien de subordination, son analyse s’arrête là pour déterminer s’il s’agit d’un contrat de service. Il n’est pas nécessaire de considérer la pertinence de la propriété des outils ainsi que le risque de perte ou la possibilité de profit puisqu’en vertu du Code civil, l’absence du lien de subordination constitue le seul élément constitutif du contrat de service qui le distingue du contrat de travail. Les éléments tels la propriété des outils et les risques de perte ou la possibilité de profit ne sont pas des éléments essentiels à un contrat de service. Par contre, l’absence d'un lien de subordination est un élément essentiel. À l’égard des deux formes de contrat, il faut décider s'il existe ou non un lien de subordination. Évidemment, le fait que le travailleur se comportait comme un entrepreneur pourrait être un indice de l’absence d’un lien de subordination.

 

 

[14]         En dernier ressort, c’est habituellement sur la base des faits révélés par la preuve au sujet de l’exécution du contrat que la Cour doit rendre une décision, et cela, même si cette décision va à l’encontre de l’intention manifestée par les parties. Si la preuve au sujet de l’exécution du contrat n’est pas concluante, la Cour s’appuiera sur l’intention des parties et la façon dont elles ont décrit le contrat, si la preuve est probante sur ces questions. Si cette preuve non plus n'est pas concluante, alors la sanction sera le rejet de l’appel des appelantes pour cause d’insuffisance de preuve.

 

 

[15]         La question consiste alors à déterminer si, en l’espèce, les travailleurs travaillaient sous le contrôle ou la direction des appelantes ou encore si les appelantes pouvaient contrôler ou diriger les travailleurs ou étaient en droit de le faire.

 

 

[16]         En l’espèce, la preuve ne me permet pas de déterminer clairement l’intention des parties. En effet, les appelantes ont soutenu qu’elles avaient voulu conclure des contrats d’entreprise alors que les travailleurs ont soutenu que la nature des contrats n’a jamais fait l’objet de semblables discussions et que, de toute façon, ils n’auraient pu alors manifester clairement, librement et en toute connaissance de cause leur intention à cet égard puisqu’ils n’étaient pas alors en mesure de faire la distinction entre un contrat d’entreprise et un contrat de travail. Par conséquent, seul un examen de faits à la lumière de la preuve fournie permettra dans cette affaire de déterminer la nature de la relation contractuelle.

 

 

[17]         À mon avis, le contrat qui liait les travailleurs aux appelantes est un contrat de travail puisqu’il y avait un lien de subordination. En effet, la preuve a révélé que les appelantes exerçaient sur les travailleurs la forme la plus traditionnelle de contrôle : les appelantes donnaient aux travailleurs des directives fréquentes et précises sur l’exécution du travail. Il s’agit d’un contrôle direct. Les travailleurs n’avaient pas en l’espèce le libre choix des moyens d’exécution. Tout au plus, ils avaient une latitude très mince à l’égard de l’organisation de leur travail. Cette faculté de contrôle des appelantes sur les travailleurs se manifestait également par la supervision du travail des travailleurs. En effet, non seulement madame Gagné se rendait à l’occasion sur les lieux de travail pour vérifier la qualité du travail des travailleurs, mais elle remplissait fréquemment des fiches d’évaluation du travail accompli par les travailleurs et leur communiquait par écrit les résultats de l’évaluation. Les appelantes exigeaient en plus des travailleurs qu’ils remplissent des formulaires de présence. Devant l’ensemble de tels éléments de preuve, on ne peut conclure autrement qu’à l’existence de liens de subordination entre les travailleurs et les appelantes. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner et de pondérer les autres faits mis en preuve qui rendent probables l’existence ou l’absence de liens de subordination. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de faire cet exercice, je souligne que la plupart des autres faits mis en preuve (par exemple, le fait que les travailleurs ne se soient jamais comportés comme des entrepreneurs, le fait que les travailleurs ne travaillaient que pour les appelantes pendant la période pertinente, le fait que la clientèle servie était celle des appelantes) m’amènent à conclure à l’existence d’un lien de subordination.

 

 

[18]         Pour ces motifs, l’appel est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour d'octobre 2009.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 549

 

Nºs DES DOSSIERS DE LA COUR : 2009-984(EI), 2009-985(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              LYNE GAGNÉ ET L'EXPRESS MARCHANDISEUR INC. et M.R.N. ET PATRICK BÉLAND ET FRÉDÉRIC POULIN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 7 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 26 octobre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant des appelantes :

Michel Normandin, comptable

Avocat de l'intimé :

Me Mounes Ayadi

Avocat pour l'intervenant:

Me Patrick Brunelle

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour les appelantes:

 

                     Nom :                           

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

       Pour les intervenants :

 

                     Nom :                            Me Patrick Brunelle

                 Cabinet :                           Ratelle, Ratelle et Associés

                                                          Joliette, Québec

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