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Dossier : 2006-3312(IT)G

 

ENTRE :

ROY WALSH,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appel entendu le 1er mai 2009, à Fredericton (Nouveau-Brunswick)

 

Devant : l'honorable juge G. A. Sheridan

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me D. Andrew Rouse

Avocat de l'intimée :

Me David Besler

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel de l'avis de cotisation portant le numéro 19501, daté du 2 février 2005 et établi en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu est accueilli avec dépens, et la cotisation est annulée, compte tenu des faits suivants :

 

1.       le ministre n'a pas prouvé qu'il y a eu défaut d'exécution à l'égard du bref de saisie‑exécution ainsi que l'exige l'alinéa 227.1(2)a) de la Loi;

 

2.       l'appelant a cessé d'être un administrateur de Jardine Security Ltd. le 31 mai 2002 et est par conséquent dégagé de responsabilité en vertu du paragraphe 227.1(4) de la Loi.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de novembre 2009. 

 

 

« G. A. Sheridan »

Le juge Sheridan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de février 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 557

Date : 20091104

Dossier : 2006‑3312(IT)G

 

ENTRE :

ROY WALSH,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Sheridan

 

[1]     En février 2005, une cotisation a été établie à l'égard de l'appelant en vertu de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu au titre des retenues à la source non versées par la société dont il était le seul propriétaire.

 

[2]     La question soulevée dans les actes de procédure est celle de savoir si l'appelant était un administrateur au cours de la période visée au paragraphe 227.1(4) et, dans l'affirmative, s'il a agi avec le degré de diligence exigé par le paragraphe 227.1(3) de la Loi. Une nouvelle question a été soulevée pendant l'audience, celle de savoir s'il y avait eu défaut d'exécution à l'égard d'un bref de saisie‑exécution ainsi que l'exige l'alinéa 227.1(2)a); j'examine cette question ci‑après, à la rubrique « Question préliminaire ».

 

[3]     L'article 227.1 est rédigé en partie ainsi :

 

Responsabilité des administrateurs pour défaut d'effectuer les retenues

 

227.1(1) Lorsqu'une société a omis de déduire ou de retenir une somme, tel que prévu aux paragraphes 135(3) ou 135.1(7) ou aux articles 153 ou 215, ou a omis de verser cette somme ou a omis de payer un montant d'impôt en vertu de la partie VII ou VIII pour une année d'imposition, les administrateurs de la société, au moment où celle‑ci était tenue de déduire, de retenir, de verser ou de payer la somme, sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de cette somme, y compris les intérêts et les pénalités s'y rapportant.

 

Restrictions relatives à la responsabilité

 

227.1(2) Un administrateur n'encourt la responsabilité prévue au paragraphe (1) que dans l'un ou l'autre des cas suivants :

 

aun certificat précisant la somme pour laquelle la société est responsable selon ce paragraphe a été enregistré à la Cour fédérale en application de l'article 223 et il y a eu défaut d'exécution totale ou partielle à l'égard de cette somme;

 

bla société a engagé des procédures de liquidation ou de dissolution ou elle a fait l'objet d'une dissolution et l'existence de la créance à l'égard de laquelle elle encourt la responsabilité en vertu de ce paragraphe a été établie dans les six mois suivant le premier en date du jour où les procédures ont été engagées et du jour de la dissolution;

 

cla société a fait une cession ou une ordonnance de faillite a été rendue contre elle en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et l'existence de la créance à l'égard de laquelle elle encourt la responsabilité en vertu de ce paragraphe a été établie dans les six mois suivant la date de la cession ou de l'ordonnance de faillite.

 

Idem

 

227.1(3) Un administrateur n'est pas responsable de l'omission visée au paragraphe (1) lorsqu'il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

 

Prescription

 

227.1(4) L'action ou les procédures visant le recouvrement d'une somme payable par un administrateur d'une société en vertu du paragraphe (1) se prescrivent par deux ans à compter de la date à laquelle l'administrateur cesse pour la dernière fois d'être un administrateur de cette société.

 

[4]     L'appelant soutient pour l'essentiel que le paragraphe 227.1(4) empêche le ministre de recouvrer de lui les retenues à la source non versées, étant donné qu'il a cessé d'être administrateur de la société le 31 mai 2002, soit plus de deux ans avant l'établissement de la cotisation à son égard relativement à ces montants, c'est‑à‑dire le 2 février 2005. Il soutient subsidiairement que, s'il était administrateur de la société au moment pertinent, il a agi avec le degré de diligence qu'exigeait de lui le paragraphe 227.1(3).

 

[5]     L'intimée soutient que l'appelant n'a jamais cessé d'être un administrateur de droit ou de fait de la société et qu'il a omis de prendre des mesures raisonnables pour empêcher l'omission de cette dernière de verser les retenues à la source.

 

Les faits

 

[6]     En décembre 1996, l'appelant a acheté une société dénommée Jardine Security Ltd. (« JSL ») de Douglas Jardine. À cette époque, JSL fournissait des services de sécurité sur des terrains publics et privés, ainsi que des services de contrôle de sécurité routière sur des chantiers de construction routière, dans la région de Miramichi, au Nouveau‑Brunswick.

 

[7]     L'appelant et son épouse ont acquis toutes les actions de la société. L'appelant en est devenu l'unique administrateur. Pour une quelconque raison, on n'a jamais déposé d'avis de modification des administrateurs auprès du registre des sociétés du Nouveau‑Brunswick. Ainsi, tout au long de la période en cause, c'est le nom de l'ancien propriétaire de JSL, Douglas Jardine, qui a figuré comme unique administrateur de JSL au registre des sociétés du Nouveau‑Brunswick.

 

[8]     En acquérant JSL, l'appelant souhaitait étendre les activités de la société, qui se limitaient alors à la région de Miramichi, à l'ensemble de la province. Il a donc cherché à conclure, avec la société Énergie NB, un contrat prévoyant la prestation de services de sécurité routière aux quatre coins de la province, et il est parvenu à conclure ce contrat. Il a atteint ses objectifs en prenant un risque calculé : par suite de ses négociations avec Énergie NB, l'appelant était convaincu que, s'il s'acquittait convenablement de ses obligations, le contrat de la société serait renouvelé à un prix supérieur, ce qui permettrait à la société de compenser la perte subie par suite de sa basse soumission et de récupérer les frais versés au titre du personnel, de la formation et du matériel additionnels qui étaient nécessaires aux nouveaux chantiers.

 

[9]     Les choses semblaient prometteuses jusqu'à ce que, en 2000, contrairement à toute attente, Énergie NB décide de ne pas renouveler le contrat; à la dernière minute, un ancien employé de JSL a présenté une soumission plus basse. Cela a porté un dur coup à la société. L'appelant a rencontré Hal Raper, un comptable agréé, avec qui il a examiné la situation financière de la société afin d'élaborer un plan[1] dans le but d'atténuer l'effet de la perte de ce contrat. Monsieur Raper a conseillé à l'appelant d'essayer d'accroître les marges de profit en renégociant les prix des contrats; il prévoyait que, si l'appelant y parvenait, la société serait promise à un bel avenir. L'appelant a par conséquent rencontré les clients de JSL et a réussi à convaincre un certain nombre d'entre eux de payer un prix plus élevé pour les services de la société[2]. Se fondant sur le succès de cette démarche et sur les prévisions de M. Raper, l'appelant a rencontré le banquier de la société dans l'espoir d'obtenir des fonds supplémentaires pour payer diverses dépenses, notamment les retenues à la source. Le responsable du compte de la société à la banque avait cependant changé; le nouveau représentant de la banque n'a pas rejeté la demande de financement supplémentaire, mais il a reporté sa décision de six mois, afin de voir quel serait le rendement de la société par rapport à ses prévisions.

 

[10]    L'appelant a entre‑temps effectué quelques changements importants afin de renflouer la société : il a mis à pied un certain nombre d'employés, notamment le chef de chantier et le commis comptable, dont les tâches ont respectivement été assumées par l'appelant et son épouse. L'appelant a réussi à faire annuler le bail de la société afin de déménager le bureau de l'entreprise dans le sous‑sol de son domicile. Il a injecté ses propres fonds dans la société : il a racheté des polices d'assurance, encaissé des REÉR, grevé sa maison d'une nouvelle hypothèque et utilisé sa marge de crédit et ses cartes de crédit personnelles afin de couvrir les dépenses de la société.

 

[11]    Tout au long de cette période, l'appelant a tenu l'Agence du revenu du Canada au courant des difficultés de la société et a continué à travailler avec les fonctionnaires de l'agence dans le but de réduire les dettes impayées de la société. Même si elle a en définitive réussi à rembourser sa dette concernant la TVH, JSL n'a pas été en mesure de remettre les retenues à la source non versées.

 

[12]    Juste au moment où l'appelant commençait à [TRADUCTION] « voir la lumière au bout du tunnel »[3], deux nouvelles crises sont survenues : un des plus importants clients de JSL a été acheté par une société ontarienne, qui a peu après réduit de plus de la moitié les services de sécurité qu'elle demandait à JSL de fournir jusqu'alors. À peu près à cette époque, une entreprise internationale offrant des services de sécurité, qui s'était jusqu'alors contentée d'offrir ses services dans des grands centres urbains, a commencé à pénétrer le plus petit marché de la région de Miramichi. JSL n'était pas en mesure de faire concurrence à cette importante entreprise établie depuis plus longtemps et offrant à ses clients des prix plus bas.

 

[13]    Telle était la situation lorsque l'appelant s'est présenté de nouveau à la banque à la fin de mars ou au début d'avril 2002; le financement nécessaire à la société a été refusé. Les efforts de dernière minute de l'appelant afin de trouver de nouveaux investisseurs ont également été vains. Après avoir consulté M. Raper, l'appelant a jugé qu'il n'y avait rien d'autre à faire que de dissoudre JSL.

 

[14]    L'appelant a peu après trouvé un emploi dans un salon funéraire local. Il a commencé à faire de longues journées de travail afin de gagner l'argent nécessaire au remboursement de la dette personnelle qu'il avait contractée pour sauver la société. Même s'il est demeuré ouvert, le compte bancaire de la société n'a été utilisé à aucune fin. Après que JSL eut mis fin à ses activités, quelques chèques lui ont été envoyés par des clients retardataires. L'appelant a remis ces chèques à M. Raper, qui les a envoyés directement à l'ARC[4]. À l'époque où les lettres de l'ARC concernant JSL ont commencé à arriver, les liasses de courrier non ouvert ont également été acheminées à M. Raper afin qu'il s'en occupe.

 

[15]    Lorsque l'appelant l'a informé de sa décision de dissoudre la société, M. Raper, comme il le faisait toujours, a dit à l'appelant qu'il serait prudent de démissionner de son poste d'administrateur unique. Environ un mois plus tard, lorsqu'il s'est rendu compte que l'appelant n'avait pas encore donné sa démission et qu'il ignorait les démarches qu'il devait faire à cette fin, M. Raper a rédigé la lettre suivante :

 

[TRADUCTION]

 

Le 31 mai 2002

 

Destinataire : Jardine Security Ltd.

Expéditeur : Roy Walsh

 

Par porteur – Lettre de démission

 

Je ne suis plus en mesure de continuer à occuper les fonctions d'administrateur. La présente est mon avis de démission en qualité d'administrateur.

 

[Signature de Roy Walsh]

 

Roy Walsh[5]

 

[16]    L'appelant s'est présenté au bureau de M. Raper et a signé la lettre en sa présence. Monsieur Raper lui a dit de déposer l'original dans le registre des procès‑verbaux de JSL. L'appelant ne se souvenait pas de ce qu'il avait fait de cette lettre; il suivait pourtant habituellement les consignes de M. Raper. Il a toutefois déclaré qu'à cette occasion, il n'avait probablement pas fait ce que M. Raper lui avait dit de faire, étant donné que le registre des procès‑verbaux n'avait jamais été en sa possession. L'appelant a affirmé qu'il avait vraisemblablement déposé la lettre de démission dans les dossiers de la société, dossiers qu'il avait, à la demande de l'ARC, fait parvenir au fonctionnaire de l'agence qui avait procédé à la vérification des listes de paye de JSL à l'automne 2002. Ces documents n'ont jamais été retournés à la société. Ne pouvant trouver la lettre de démission originale, l'appelant a conclu qu'elle devait faire partie des autres documents de JSL qui avaient été remis à l'ARC.

 

[17]    Après la vérification des listes de paye, en décembre 2002, on a établi à l'égard de JSL une cotisation au titre des retenues à la source non versées ainsi que des pénalités et des intérêts applicables.

 

[18]    En février 2003, M. Lawrence Anderson, agent de recouvrement de l'ARC, a appelé l'appelant pour l'informer qu'il était responsable du paiement des retenues à la source de la société[6]. Cela a grandement surpris l'appelant, qui croyait que ses obligations à titre d'administrateur s'étaient éteintes lorsque la société avait mis fin à ses activités. Même s'il a dit à M. Anderson qu'il demanderait à son comptable de communiquer avec lui, l'appelant n'a en fait pas immédiatement respecté son engagement, étant donné qu'il devait de l'argent à M. Raper pour des services antérieurs et qu'il n'avait pas d'argent pour payer ce dernier, ni pour payer l'ARC. Il a peu après accidentellement rencontré M. Raper, qui a décidé, en apprenant que l'appelant faisait face à de nouvelles difficultés, de l'aider même si l'appelant lui devait encore de l'argent. C'est donc environ un mois plus tard, soit le 12 mars 2003, que M. Raper, alors que l'appelant était dans son bureau, a appelé M. Anderson pour discuter de la situation.

 

[19]    L'événement important suivant est survenu le 14 mai 2004. Conformément à l'alinéa 227.1(2)a) de la Loi, le ministre a enregistré un certificat[7] pour un montant de 75 503,11 $ à la Cour fédérale du Canada, montant qui correspond aux retenues à la source non versées de JSL pour 2001 et 2002. Le 15 décembre 2004, un bref de saisie‑exécution[8] a été décerné et envoyé au bureau du shérif du Nouveau‑Brunswick en vue de son exécution. La question de savoir s'il y a eu défaut d'exécution à l'égard du bref est en litige en l'espèce; j'examinerai cette question ci-après à la rubrique « Question préliminaire ».

 

[20]    Une cotisation a été établie à l'égard de l'appelant le 2 février 2005 en vertu de l'article 227.1 au titre des retenues à la source non versées de la société.

 

1.       Question préliminaire

 

[21]    Une question a été soulevée au cours de l'audience, celle de savoir si le ministre pouvait prouver qu'il avait respecté l'alinéa 227.1(2)a), c'est‑à‑dire qu'il y avait eu défaut d'exécution à l'égard du bref d'exécution :

 

227.1(2) Un administrateur n'encourt la responsabilité prévue au paragraphe (1) que dans l'un ou l'autre des cas suivants :

 

aun certificat précisant la somme pour laquelle la société est responsable selon ce paragraphe a été enregistré à la Cour fédérale en application de l'article 223 et il y a eu défaut d'exécution totale ou partielle à l'égard de cette somme;

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[22]    La question a été soulevée au cours de l'interrogatoire du représentant de l'ARC, M. Anderson. L'avocat de l'intimée venait tout juste de déposer en preuve des copies du certificat prévu à l'article 223[9] et du bref de saisie‑exécution[10] (le « bref ») qui avait été envoyé aux fins d'exécution. L'avocat a ensuite présenté à M. Anderson une copie de la lettre du bureau du shérif, datée du 24 janvier 2005, indiquant qu'il y avait eu défaut d'exécution à l'égard du bref. L'avocat de l'appelant s'est alors opposé à la production de cette lettre, au motif qu'elle ne figurait pas dans la liste des documents de l'intimée et qu'il s'agissait de ouï‑dire. Après une courte pause, l'avocat de l'intimée (qui n'était pas l'avocat pendant l'échange de documents ni pendant les interrogatoires préalables) a confirmé que, contrairement à ce qu'il avait cru comprendre, la lettre du shérif ne figurait pas sur la liste des documents de l'intimée.

 

[23]    Cette question en a soulevé une autre, celle de savoir si l'appel devait être accueilli si la lettre était écartée de la preuve, au motif que la responsabilité d'un administrateur peut être retenue en application du paragraphe 227.1(1) uniquement lorsque le ministre peut établir qu'il a satisfait aux conditions prévues à l'alinéa 227.1(2)a). L'avocat de l'appelant a soutenu que seul le ministre pouvait savoir s'il y avait eu défaut d'exécution à l'égard du bref et qu'il incombait donc à ce dernier de prouver qu'il avait rigoureusement satisfait à toutes les exigences de l'alinéa 227.1(2)a). Ayant omis de mentionner la lettre du shérif dans la liste des documents ou de convoquer un témoin qui avait une connaissance personnelle du fait qu'il y avait eu défaut d'exécution à l'égard du bref, le ministre n'était pas en mesure de fournir cette preuve; l'appelant n'était donc pas responsable en vertu du paragraphe 227.1(1), et la cotisation n'était pas valide.

 

[24]    J'avais d'abord envisagé d'accepter la production de la lettre du shérif. Lorsque l'avocat s'est opposé à la production de cette lettre, l'appelant avait lui‑même déjà témoigné que la société [TRADUCTION] « n'avait pas d'actifs »[11]. Avant que la lettre du shérif ne soit présentée à M. Anderson, aucun des deux avocats ne semblait s'être aperçu que la lettre ne figurait pas sur la liste des documents de l'intimée. De plus, même si la réponse à l'avis d'appel ne faisait aucunement mention de cette lettre, l'hypothèse figurant à l'alinéa 8aa) était qu'il y avait eu défaut d'exécution à l'égard du bref de saisie‑exécution le 24 janvier 2005, soit la date de la lettre du shérif. L'avocat de l'intimée a mentionné certaines affirmations faites par l'avocat de l'appelant au cours de l'interrogatoire préalable : lorsqu'il a lu la transcription, il a soutenu que l'avocat de l'appelant avait indiqué que son client ne niait pas l'hypothèse figurant à l'alinéa 8aa). Enfin, M. Anderson a témoigné qu'il avait examiné le dossier de l'ARC et, en particulier, les documents déposés auprès de la Cour fédérale. Monsieur Anderson est un fonctionnaire qui compte plus de 20 années d'expérience au sein de l'ARC, essentiellement à la direction du recouvrement. L'avocat de l'appelant n'a pas mis en doute la crédibilité de M. Anderson. J'ai pour ma part conclu que celui‑ci était un témoin très fiable : il a répondu aux questions qu'on lui a posées en exposant les faits tels qu'il les connaissait. Comme on pourra le constater ci‑après, lorsque j'examinerai son témoignage au sujet du statut de l'appelant à titre d'administrateur, il n'était pas de ceux qui ornent leurs réponses pour étayer la cause de l'intimée. Lorsqu'il ignorait la réponse ou qu'il ne pouvait avancer une réponse en se fondant sur les notes de ses collègues, il le disait avec candeur.

 

[25]    Toutefois, malgré ce qui précède, j'ai en dernière analyse conclu que la lettre devait être écartée. Rien ne justifiait que l'on s'écarte de la règle générale selon laquelle les documents non mentionnés dans les actes de procédure ou dans la liste des documents d'une partie doivent être exclus de la preuve[12]. Même si le témoignage de l'appelant portant que JSL n'avait pas d'actifs est compatible avec l'hypothèse du ministre selon laquelle il y a eu défaut d'exécution à l'égard du bref de saisie‑exécution, cela ne prouve pas que le ministre a pris les mesures que lui impose l'alinéa 227.1(2)a)[13]. Cette disposition n'exige rien du contribuable; elle met l'accent sur les mesures que le ministre doit prendre pour que la responsabilité du contribuable soit engagée en vertu du paragraphe 227.1(1) et, par conséquent, pour que le ministre soit en mesure d'établir une cotisation. En ce qui a trait aux observations que l'avocat de l'appelant a formulées au cours de l'interrogatoire préalable, je retiens son interprétation des passages de l'interrogatoire qui ont été cités pendant l'audience[14], à savoir que, puisque son client n'avait aucunement connaissance des faits présumés à l'alinéa 8aa), il ne pouvait les nier; il ne les a cependant pas non plus admis. Enfin, même s'il était un témoin crédible, M. Anderson avait cessé de s'occuper du dossier de l'appelant bien avant que le bref de saisie‑exécution ne soit envoyé aux fins d'exécution. Son témoignage portant qu'il y avait eu défaut d'exécution était entièrement fondé sur les renseignements contenus dans la lettre écartée[15]. Bien que l'avocat de l'intimée ait soutenu que la question du ouï‑dire se rapportait au poids de la preuve plutôt qu'à son admissibilité, le juge Rip (tel était alors son titre) a tiré une conclusion différente dans l'affaire Les Gestions Rodney Cleary & Fils ltée c. La Reine[16], un des jugements produits par l'intimée. Dans cette affaire, le juge en chef Rip a comparé l'utilisation que le ministre avait faite de la preuve par ouï-dire pendant le processus d'établissement de la cotisation et à l'audience :

 

J'examinerai d'abord l'objection relative à la preuve par ouï‑dire. À coup sûr, en établissant une cotisation, les fonctionnaires d'une administration fiscale, comme l'Agence des douanes et du revenu du Canada et le ministère du Revenu du Québec, se fondent sur le ouï‑dire ainsi que sur une preuve directe. Une cotisation n'est pas mauvaise simplement parce que le répartiteur s'est fondé sur une preuve par ouï‑dire. Mais voici le problème : si la cotisation est contestée devant un tribunal judiciaire et qu'il incombe au ministre de prouver, par exemple, qu'une présentation erronée des faits a été faite, ou si la charge de la preuve passe à la Couronne, la preuve par ouï‑dire recueillie par le répartiteur ne peut pas être utilisée pour justifier la cotisation; les règles ordinaires de la preuve l'emportent. La preuve fournie par un employé de l'ADRC, du ministère du Revenu du Québec ou d'un ministère gouvernemental quelconque est assujettie aux mêmes normes que la preuve soumise par n'importe quel autre citoyen. Le fait que la personne en cause occupe une charge particulière ne lui permet pas pour autant de présenter une preuve inadéquate. Le tribunal ne peut pas admettre des énoncés comme preuve de leur exactitude ou comme preuve d'assertions qui y sont implicitement faites lorsque ces énoncés, écrits ou oraux, sont faits par des personnes autrement que dans le cadre d'un témoignage et dans l'instance où lesdits énoncés sont présentés[17].

 

[26]    Quelle est donc la conséquence de l'exclusion de la lettre du shérif? Compte tenu du fait que cette question a été soulevée de façon inattendue, les avocats n'ont pas eu (ni demandé) la possibilité de présenter des observations fondées sur un examen approfondi de la loi et de la jurisprudence, s'il en est. Toutefois, dans la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Worrell c. La Reine[18] et citée par l'appelant au regard de la question de la diligence raisonnable, le juge Evans a déclaré ce qui suit :

 

Que les administrateurs aient fait preuve ou non de diligence raisonnable pour prévenir le défaut [de verser les retenues à la source] est à la fois un point de droit et un point de fait. Sur le plan juridique, la responsabilité d'un administrateur en cas de défaut de versement des retenues à la source et de la TPS ne se cristallise qu'une fois que les conditions prévues au paragraphe 227.1(2) auront été réunies. Qui plus est, si les sommes dues sont par la suite intégralement réglées, même tardivement, ces administrateurs ne seront pas tenus responsables du défaut par la compagnie de les verser en premier lieu[19].

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[27]    L'objet de l'alinéa 227.1(2)a) est d'exiger que le ministre épuise ses recours contre la société contribuable en matière de recouvrement avant de lui permettre de se prévaloir du recours extraordinaire qu'est l'établissement d'une cotisation à l'égard d'un tiers, à savoir son administrateur, au titre des retenues à la source non versées de la société[20]. Bien que le paragraphe 227(10) prévoie que le ministre « peut, en tout temps, établir une cotisation pour [...] un montant payable [...] en vertu [de l'article] 227.1 », ce pouvoir général d'établir une cotisation est néanmoins subordonné au respect des conditions énoncées à l'alinéa 227.1(2)a). Ainsi, l'alinéa 227.1(2)a) est semblable au sous‑alinéa 152(4)a)(i), lequel, en résumé, limite le pouvoir du ministre d'établir une cotisation après la période normale de nouvelle cotisation aux circonstances dans lesquelles les actes du contribuable équivalent à une présentation erronée. Bien que le sous‑alinéa 152(4)a)(i) n'indique rien en ce qui concerne la charge de la preuve et le mode de preuve, il est établi, dans la jurisprudence, que l'établissement de conditions à l'exercice du pouvoir du ministre d'établir une cotisation a pour effet de faire porter au ministre le fardeau de la preuve qui, sinon, incomberait au contribuable, et que le fardeau de la preuve qui incombe au ministre en application de cette disposition est lourd.

 

[28]    De la même façon, selon le libellé de l'alinéa 227.1(2)a), la charge de la preuve incombe au ministre, mais l'alinéa ne précise pas de quelle manière ce dernier doit prouver qu'il a respecté les conditions qui y sont énoncées. Il revient donc au tribunal de décider si le ministre s'est acquitté de son fardeau. Bien que je sois quelque peu sensible à l'argument de l'avocat de l'intimée selon lequel l'omission d'inclure la lettre du shérif dans la liste des documents de l'intimée constitue une [TRADUCTION] « irrégularité », il me semble que la preuve du fait que le ministre a satisfait aux conditions prévues à l'alinéa 227.1(2)a) est si indispensable lorsqu'il exerce son pouvoir d'établir une cotisation en vertu du paragraphe 227(10) qu'en cas de doute à cet égard, il faut trancher en faveur du contribuable. En l'espèce, le ministre n'a produit aucune preuve établissant qu'il y a eu défaut d'exécution à l'égard du bref de saisie‑exécution. Vu l'absence de preuve du fait que le ministre a satisfait aux exigences de l'alinéa 227.1(2)a), l'administrateur ne peut être tenu responsable en application du paragraphe 227.1(1) et la cotisation sur laquelle la responsabilité est fondée ne peut être considérée valide.

 

[29]    L'appel est accueilli avec dépens, et la cotisation est annulée, compte tenu du fait que le ministre n'a pas prouvé qu'il y a eu défaut d'exécution totale ou partielle à l'égard du bref de saisie‑exécution, ainsi que l'exige l'alinéa 227.1(2)a) de la Loi.

 

2.       L'appelant était‑il un administrateur de droit ou de fait?

 

[30]    Au cas où je me tromperais en ce qui concerne la question préliminaire, j'ai également examiné le motif d'appel principal de l'appelant, à savoir qu'il n'était pas administrateur de JSL au moment pertinent au regard du paragraphe 227.1(4) de la Loi.

 

A.      L'appelant était-il un administrateur de droit?

 

[31]    Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue que l'appelant n'était pas un administrateur de droit de JSL, étant donné qu'il avait démissionné de son poste le 31 mai 2002.

 

[32]    Les passages pertinents de l'article 66 de la Loi sur les corporations commerciales du Nouveau‑Brunswick sont rédigés ainsi :

 

66(1) Le mandat d'un administrateur prend fin en raison :

 

a) de son décès ou de sa démission;

 

[...]

 

(2) Une démission d'un administrateur prend effet à la date de son envoi par écrit à la corporation ou à la date qui est indiquée dans la démission, selon la dernière éventualité.

 

[33]    L'intimée soutient que, compte tenu de l'absence de la lettre de démission originale et de l'improbabilité que cette lettre ait été égarée au moment où les registres de la société avaient été remis à l'ARC, on ne peut croire l'appelant lorsqu'il affirme qu'il a signé une lettre de démission le 31 mai 2002 ou vers cette date. À cet égard, l'avocat de l'intimée a déclaré ceci :

 

[TRADUCTION]

 

[...] si une lettre de démission s'était trouvée [dans les documents de JSL qui ont été livrés au vérificateur des listes de paye de l'ARC], les représentants de l'ARC en auraient pris connaissance. Si nous sommes ici aujourd'hui, c'est parce qu'aucun fonctionnaire de l'ARC n'a trouvé une telle lettre; selon moi, cela prouve en soi que la lettre ne s'est jamais trouvée dans les documents et registres de la société[21].

 

[34]    La première faiblesse de cet argument tient au fait qu'il s'appuie sur l'infaillibilité du processus de gestion des documents d'un important organisme gouvernemental. Étant fondé sur le fait que la lettre n'aurait pas été [TRADUCTION] « trouvée », l'argument de l'avocat présuppose en outre qu'il y a quelqu'un au sein de l'ARC qui l'avait effectivement cherchée. Je ne puis souscrire à l'une ou l'autre de ces hypothèses. La vérification des listes de paye de JSL était une affaire tout à fait différente de la cotisation établie à l'égard de l'appelant personnellement au titre des retenues à la source non versées de la société. Plusieurs fonctionnaires de l'ARC se sont occupés de ces dossiers entre le moment où JSL a commencé à omettre d'effectuer les versements et le moment de l'établissement de la cotisation à l'égard de l'appelant à titre personnel en février 2005. Étant donné les circonstances, il n'y a aucune raison de conclure que les registres contenus dans un dossier particulier se retrouveraient nécessairement dans l'autre. La conclusion de l'appelant selon laquelle la lettre devait avoir été égarée lorsque les autres registres de JSL avaient été remis à l'ARC est donc plausible; quoi qu'il en soit, cette hypothèse est plus probable que celle de l'intimée.

 

[35]    En outre, bien qu'il ait suggéré à la Cour de déduire que cette lettre n'existait pas puisqu'on ne pouvait plus la trouver, l'avocat de l'intimée n'a pas directement attaqué la crédibilité de l'appelant ou de M. Raper. La candeur avec laquelle l'appelant a avoué qu'il ne se souvenait aucunement de ce qu'il avait fait de la lettre donne à penser qu'il disait la vérité. L'appelant ne me semble pas être le genre de personne à systématiquement déposer tous les documents, même dans les meilleures conditions[22]. Il se trouve qu'il a pendant plusieurs mois dû lutter contre le stress, cherchant à sauver une entreprise qui se dirigeait vers la faillite; lorsqu'il a signé la lettre de démission, il venait tout juste de prendre une décision difficile, à savoir celle de dissoudre JSL. Lorsque M. Raper lui a conseillé de démissionner de son poste d'administrateur, l'appelant a ressenti un malaise — tout à fait compréhensible — en tant que non‑initié devant écrire à lui‑même une lettre indiquant qu'il avait démissionné. Ce malaise est devenu procrastination, à laquelle seul a mis fin M. Raper lorsqu'il a offert à l'appelant de rédiger la lettre pour lui tout en insistant pour qu'il la signe. Même s'il ne se souvenait pas précisément des événements du 31 mai 2002, M. Raper a témoigné qu'il consignait habituellement dans son agenda, aux fins de facturation, le nom du client et le temps consacré au dossier. L'appelant a produit en preuve une copie de l'agenda[23] de M. Raper, dans lequel il était indiqué que les deux hommes s'étaient réunis pendant 15 minutes le 31 mai 2002. Ce document n'a pas été contesté lors du contre‑interrogatoire.

 

[36]    L'appelant a témoigné qu'il suivait normalement les conseils de M. Raper, témoignage corroboré par le fait qu'il avait suivi les recommandations de M. Raper en vue d'améliorer la situation financière de la société. Il y a toutefois une exception, à savoir la façon dont il s'y est pris pour ce qui est de la lettre de démission. Étant donné que l'appelant n'avait jamais eu en sa possession le registre des procès‑verbaux de la société, il serait logique qu'il se contente de joindre la lettre aux autres dossiers de la société qui se trouvaient dans le bureau d'affaires qu'il avait aménagé chez lui, compte tenu en particulier du fait que la société était à ce moment‑là déjà dissoute. Compte tenu des circonstances, l'appelant aurait été moins crédible s'il avait insisté sur le fait qu'il se rappelait clairement avoir rangé convenablement la lettre dans le registre des procès‑verbaux comme on le lui avait conseillé.

 

[37]    Le deuxième volet de l'argument de l'intimée est que, même si l'appelant avait signé la lettre, son geste ne constitue pas un « envoi par écrit à la corporation » d'une lettre de démission ainsi que le prévoit le paragraphe 66(2) de la Loi sur les corporations commerciales du Nouveau‑Brunswick. Bien qu'il reconnaisse qu'il est difficile sur le plan pratique de démissionner du poste d'administrateur d'une société dont on est propriétaire unique, l'avocat de l'intimée a soutenu qu'un administrateur doit faire davantage que simplement [TRADUCTION] « démissionner dans son propre esprit »[24]. À mon avis, cette caractérisation des actes de l'appelant ne décrit pas correctement la façon dont celui‑ci a réellement agi.

 

[38]    La Loi sur les corporations commerciales du Nouveau‑Brunswick n'exige pas expressément que la lettre de démission, pour être valable, soit insérée dans le registre des procès‑verbaux de la société. L'essentiel, dans des dispositions telles que le paragraphe 66(2), c'est que la décision d'un administrateur de démissionner soit [TRADUCTION] « communiquée à la société de façon intelligible »[25].

 

[39]    Dans Perricelli c. La Reine[26], même si la loi provinciale pertinente exigeait une démission écrite, la Cour a décidé, compte tenu des faits de l'affaire, qu'un administrateur avait convenablement démissionné lorsqu'il avait fait part de son intention aux deux administrateurs encore en fonction :

 

[32]      Je suis convaincu que M. Perricelli a démissionné au cours de l'été 1990. Il l'a fait lorsque les trois administrateurs et actionnaires étaient tous ensemble. Il faut déterminer si la démission a pris effet conformément aux lois de l'Ontario. L'un des trois hommes a‑t‑il déclaré : « Nous renonçons à l'avis de convocation »? Probablement pas. MM. Cuthbert et Lishman ont‑ils dit : « Nous acceptons la démission de M. Perricelli et nous nous élisons tous les deux en tant qu'administrateurs permanents »? Là encore, probablement pas. Toutefois, les trois hommes ont‑ils quitté la réunion en sachant bien que M. Perricelli ne remplirait plus ses fonctions d'administrateur? Oui, sans aucun doute[27].

 

[40]    Les faits de l'affaire qui nous occupe sont encore plus convaincants. En l'espèce, il y a eu une lettre de démission signée par le seul administrateur de la société, en présence du témoin corroborant qui avait rédigé cette lettre. Celle‑ci avait ensuite été emportée au bureau d'affaires de la société.

 

[41]    Je suis convaincue, compte tenu de ces circonstances, que la démission de l'appelant a été « communiquée de façon intelligible » à JSL et qu'elle a pris effet le 31 mai 2002; l'appelant a donc cessé d'être administrateur de droit à cette date.

 

B.      L'appelant était‑il un administrateur de fait de JSL?

 

[42]    L'intimée soutient subsidiairement que, même si la démission de l'appelant était valable, celui‑ci demeurait administrateur de fait de JSL et qu'il était à ce titre responsable des retenues à la source non versées de la société[28]. Même s'il a reconnu que l'appelant n'avait eu que peu de choses à faire une fois que la société avait cessé ses activités, l'avocat de l'intimée a soutenu que le peu qu'il avait fait justifiait tout de même la conclusion portant qu'il avait conservé la maîtrise de JSL. L'avocat fondait cet argument notamment sur le fait que l'appelant avait fait parvenir les chèques et la correspondance de JSL à M. Raper et qu'il avait autorisé celui‑ci à poursuivre les discussions avec les représentants de l'ARC. L'avocat a soutenu qu'en posant de tels actes, l'appelant avait fait davantage que simplement se présenter comme administrateur, comme ce fut le cas dans Hartrell c. La Reine[29]. En l'espèce, l'appelant avait de fait continué à exercer un contrôle sur JSL pendant toute la période à laquelle se rapporte le présent appel.

 

[43]    À mon avis, les actes de l'appelant ne justifient pas une telle conclusion. Il faut se rappeler que, même s'il a démissionné de son poste d'administrateur le 31 mai 2002, l'appelant était toujours actionnaire de JSL, et qu'il était tenu de se conformer à la demande de l'ARC de remettre les registres de la société. En fait, le courrier de JSL était acheminé au domicile de l'appelant uniquement parce que celui‑ci avait dû y déménager son bureau d'affaires après que JSL eut commencé à éprouver des difficultés financières; sinon, compte tenu du fait qu'il avait peu fait pour la société après le 31 mai 2002, l'appelant n'aurait peut‑être même pas été au courant de l'existence de cette correspondance. Si l'appelant avait agi en qualité d'administrateur, il aurait été logique qu'il dépose les chèques dans le compte bancaire de la société, qui était encore ouvert. L'appelant les a plutôt simplement remis au comptable de la société pour qu'il s'en occupe, tout comme les lettres que l'ARC avait envoyées à la société et qui s'étaient accumulées.

 

[44]    L'appelant a fait bien moins que ce qu'avaient fait les contribuables dans les affaires Netupsky c. La Reine[30] et Scavuzzo c. La Reine[31]. Dans Netupsky, la Cour a jugé que l'appelant n'était pas un administrateur de fait, même s'il avait, après avoir démissionné, signé une série de lettres détaillées destinées à des tiers et contracté un emprunt bancaire pour le compte de la société. Dans Scavuzzo, le juge en chef Bowman a établi une distinction entre les mesures que l'appelant avait prises en sa qualité de directeur général et celles qu'il avait prises en tant qu'administrateur de la société, et il a conclu que l'appelant n'était pas un administrateur de fait de la société, même s'il avait signé « un grand nombre de contrats »[32] pour le compte de cette dernière après avoir démissionné. En l'espèce, M. Anderson a confirmé, au cours du contre‑interrogatoire, que l'ARC n'avait aucun document ayant été signé par l'appelant pour le compte de JSL après qu'il eut donné sa démission, soit le 31 mai 2002.

 

[45]    En ce qui a trait aux discussions que l'appelant ou M. Raper a eues avec les fonctionnaires de l'ARC après le 31 mai 2002, M. Raper agissait tant pour le compte de JSL que pour celui de l'appelant à titre personnel. Le fait que l'ARC avait également des dossiers actifs à l'égard des deux contribuables (la cotisation faisant suite à la vérification des listes de paye de JSL et la cotisation relative à la responsabilité de l'appelant en tant qu'administrateur) a compliqué davantage les choses. Comme cela arrive souvent dans le cas des sociétés à propriétaire unique, on ne maintenait pas toujours clairement une distinction entre la société et l'âme dirigeante. Même les fonctionnaires de l'ARC semblaient ne pas toujours savoir quand il était question de JSL et quand il était question de l'appelant : leurs notes indiquent qu'il était parfois difficile de déterminer quelle question avait été discutée avec qui et au nom de qui. Par exemple, même si les entrées de son agenda[33] indiquaient « Jardine Security Ltd. », M. Anderson a témoigné que, dans son esprit, le « client » mentionné dans ces notes était l'appelant à titre personnel.

 

[46]    Il semble que la confusion était essentiellement attribuable au fait que, pour des raisons inconnues, on n'avait jamais déposé au registre des sociétés du Nouveau‑Brunswick d'avis du changement d'administrateur de JSL. Selon le témoignage de M. Anderson, la fonctionnaire de l'ARC à qui le dossier avait été confié, Phyllis Koval, avait constaté, au moment de la vérification des listes de paye en septembre 2003, que c'était le nom de l'ancien propriétaire, Douglas Jardine, qui, erronément, figurait à titre d'administrateur de JSL au registre des sociétés du Nouveau‑Brunswick. Se fondant sur les notes de Mme Koval, M. Anderson a confirmé qu'une certaine « Trinda Blackmore », qui y était qualifiée de [TRADUCTION] « comptable pour l'entreprise de M. Jardine »[34], avait dit à Mme Koval que Douglas Jardine avait cessé d'être administrateur lorsque la société avait été vendue[35]. Bien qu'on n'ait pas clairement établi qui était Trinda Blackmore ni quel rôle elle avait eu dans ces affaires, M. Anderson croyait qu'elle était au service de Grant Thornton, le même cabinet comptable que celui de M. Raper. Ce qui importe, toutefois, c'est qu'il n'y a rien dans les notes de Mme Koval qui indique que l'appelant ou M. Raper ait jamais participé à ces discussions ou qu'on leur ait demandé quel était le statut de l'appelant. Monsieur Anderson a témoigné qu'il n'avait jamais abordé la question du poste d'administrateur avec l'appelant ou M. Raper, étant donné que la seule chose qui l'intéressait était le fait que JSL eut cessé ses activités. Même s'il ne pouvait se souvenir si l'appelant s'était déjà présenté comme administrateur, M. Anderson a ajouté qu'en tant que fonctionnaire de l'ARC, il n'avait [TRADUCTION] « jamais vu, en 20 ans, qui que ce soit se présenter en tant qu'administrateur d'une société »[36]. Ainsi, lorsqu'il avait, dans ses notes, décrit l'appelant comme [TRADUCTION] « l'administrateur de cette entreprise inactive [JSL] »[37], M. Anderson se fondait sur sa propre hypothèse plutôt que sur des renseignements obtenus de l'appelant ou de M. Raper.

 

[47]    L'appelant et M. Raper ont tous deux témoigné que celui‑ci n'avait jamais conseillé à l'appelant de ne pas révéler qu'il avait démissionné de son poste d'administrateur de JSL. Il semble, d'après la preuve produite, que personne au sein de l'ARC n'ait cherché à obtenir confirmation de ce fait auprès de l'appelant ou de son représentant. Les notes de l'ARC ne sont pas assez précises pour que l'on puisse conclure — ainsi que l'avocat de l'intimée m'a exhorté de le faire — que l'appelant était un administrateur de fait de JSL, au seul motif que quelqu'un (apparemment un comptable) chez Grant Thornton, agissant pour le compte de M. Jardine, avait entrepris des démarches pour faire supprimer le nom de M. Jardine du registre des sociétés du Nouveau‑Brunswick, après que l'appelant eut démissionné et au moment où les fonctionnaires de l'ARC discutaient de l'éventuelle dette fiscale de l'appelant.

 

[48]    Comme je l'ai indiqué ci‑dessus, le paragraphe 227(10) autorise le ministre à établir une cotisation « en tout temps ». Il peut, pour ce faire, se fonder sur des hypothèses de fait. De la façon dont M. Anderson a interprété les notes de Mme Koval, dès l'automne 2003, l'ARC savait que M. Jardine n'était pas administrateur de JSL et commençait, à tout le moins, à croire que l'appelant pouvait être administrateur. Pour des raisons que lui seul connaît, le ministre, plutôt que de se fonder sur les hypothèses de ses fonctionnaires, a décidé d'attendre jusqu'au 2 février 2005 avant d'établir une cotisation à l'égard de l'appelant. Il en résulte que le paragraphe 227.1(4) de la Loi l'empêche maintenant de recouvrer les montants à l'égard desquels il a établi une cotisation en vertu du paragraphe 227.1(1).

 

[49]    Pour les motifs susmentionnés, l'appel est accueilli avec dépens, et la cotisation est annulée compte tenu du fait que l'appelant a cessé d'être administrateur de droit ou de fait de Jardine Security Ltd. le 31 mai 2002.

 

 

3.       L'appelant a-t-il exercé une diligence raisonnable?

 

[50]    Compte tenu des conclusions que j'ai tirées ci‑dessus, il n'est pas nécessaire que je me penche sur la question de savoir si l'appelant a fait preuve de la diligence raisonnable exigée par le paragraphe 227.1(3) de la Loi.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de novembre 2009.

 

 

« G. A. Sheridan »

Le juge Sheridan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de février 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 557

 

DOSSIER DE LA COUR :                 2006-3312(IT)G

 

INTITULÉ :                                       ROY WALSH et SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Fredericton (Nouveau-Brunswick)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 1er mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge G. A. Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 4 novembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me D. Andrew Rouse

Avocat de l'intimée :

Me David Besler

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelant :

 

                   Nom :           D. Andrew Rouse

 

                   Cabinet :      Mockler Peters Oley Rouse

                                       Fredericton (Nouveau-Brunswick)

 

          Pour l'intimée :       John H. Sims, c.r.

                                       Sous-procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada



[1]           Pièce A-1, onglets 2 et 3.

 

[2]           Pièce A-1, onglet 3.

 

[3]           Transcription, page 53, lignes 1 et 2.

 

[4] Pièce A-1, onglets 6 et 7.

 

[5] Pièce A-1, onglet 5.

 

[6] Pièce R-4.

 

[7] Pièce R-1 et, dans sa version modifiée, pièce R-2.

 

[8] Pièce R-3.

 

[9] Pièces R-1 et R-2.

 

[10] Pièce R-3.

 

[11] Transcription, page 73, ligne 21.

 

[12] Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), paragraphe 89(1), Scavuzzo c. La Reine, 2005 CCI 772.

 

[13] Je ferai également remarquer que, bien que l'appelant ait soutenu, au paragraphe 2 de l'avis d'appel, que JSL était [TRADUCTION] « insolvable » lorsqu'elle avait cessé ses activités, le ministre a nié cette allégation aux paragraphes 2 et 6 de la réponse à l'avis d'appel.

 

[14] Transcription, de la page 106, lignes 20 à 25, à la page 110, lignes 1 à 15 inclusivement.

 

[15] Transcription, page 91, lignes 9 à 18 inclusivement.

 

[16] 2005 CCI 337.

 

[17] Précité, au paragraphe 22. En arrivant à sa décision, le juge Rip a également tenu compte de certaines dispositions de la Loi sur la preuve au Canada; les avocats n'ont pas invoqué cette loi dans leurs observations.

 

[18] [2001] 2 C.F. 203 (C.A.F.).

 

[19] Précité, au paragraphe 76.

 

[20] Cette interprétation est compatible avec le paragraphe 227.1(5), qui limite le montant recouvrable du contribuable en vertu de l'alinéa 227.1(2)a) à la « somme [...] qui demeure impayée après l'exécution ».

[21] Transcription, page 164, lignes 17 à 24.

 

[22] Et, comme la présente espèce l'a démontré, même les avocats peuvent égarer des documents.

 

[23] Pièce A-1, onglet 4.

 

[24] Transcription, page 165, ligne 4.

 

[25] Hart v. Lefebvre (1991), 2 B.L.R. (3d) 84, au paragraphe 5 (C.S.J. Ont., 1er décembre 1999).

 

[26] no 2000‑946(GST)G, 5 juin 2002 (C.C.I.).

 

[27] Précité, au paragraphe 32.

 

[28] Wheeliker c. La Reine, [1999] 3 C.F. 173 (C.A.F.), McDougall c. La Reine, no 2000‑346(IT)I, 15 novembre 2000 (C.C.I.).

 

[29] 2006 CCI 480.

 

[30] no 2000‑4608(GST)G, 21 janvier 2003 (C.C.I.).

 

[31] Précité.

 

[32] Au paragraphe 25.

 

[33] Pièce R-4.

 

[34] Transcription, page 123, lignes 23 et 24.

 

[35] J'en déduis que l'ARC a, à un moment donné, demandé à M. Jardine de verser les retenues à la source en souffrance.

 

[36] Transcription, page 115, lignes 6 et 7.

 

[37] Pièce R-4.

 

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