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Dossier : 2009-1060(EI)

ENTRE :

DEWDNEY TRANSPORT GROUP LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de

Dewdney Transport Group Ltd. 2009-1061(CPP),

le 18 septembre 2009, à Vancouver (Colombie-Britannique).

 

Devant : L'honorable juge suppléant D.W. Rowe

 

Comparutions :

Représentant de l'appelante :

M. N. S. Jaswal

 

Avocate de l'intimé :

Me Holly Popenia

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          Conformément aux motifs de jugement ci‑joints, l'appel est accueilli et la décision du ministre du Revenu national en date du 8 janvier 2009 est modifiée, de façon qu'il soit conclu que :

 

-         Sukhminder Grewal n'exerçait pas un emploi assurable ouvrant droit à pension auprès de Dewdney Transport Group Ltd. entre le 1er janvier 2007 et le 26 juin 2008.

 

      


Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 5e jour de novembre 2009.

 

« D.W. Rowe »

Juge suppléant D.W. Rowe

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de janvier 2010.

 

David Aubry, LL.B.

Réviseur

 


 

 

 

 

Dossier : 2009-1061(CPP)

ENTRE :

DEWDNEY TRANSPORT GROUP LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de

Dewdney Transport Group Ltd. 2009-1060(EI),

le 18 septembre 2009, à Vancouver (Colombie-Britannique).

 

Devant : L'honorable juge suppléant D.W. Rowe

 

Comparutions :

Représentant de l'appelante :

M. N. S. Jaswal

 

Avocate de l'intimé :

Me Holly Popenia

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          Conformément aux motifs de jugement ci‑joints, l'appel est accueilli et la décision du ministre du Revenu national en date du 8 janvier 2009 est modifiée, de façon qu'il soit conclu que :

 

-         Sukhminder Grewal n'exerçait pas un emploi assurable ouvrant droit à pension auprès de Dewdney Transport Group Ltd. entre le 1er janvier 2007 et le 26 juin 2008.

 

      


Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 5e jour de novembre 2009.

 

« D.W. Rowe »

Juge suppléant D.W. Rowe

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de janvier 2010.

 

David Aubry, LL.B.

Réviseur


 

 

 

Référence : 2009 CCI 569

Date : 20091105

Dossiers : 2009-1060(EI)

2009-1061(CPP)

ENTRE :

DEWDNEY TRANSPORT GROUP LTD.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Rowe

 

[1]     L'appelante, Dewdney Transport Group Ltd., (« Transport » ou « Dewdney ») a interjeté appel de deux décisions – toutes deux datées du 8 janvier 2009 – rendues par le ministre du Revenu national (le « ministre ») conformément à la Loi sur l'assurance‑emploi (la « Loi ») et au Régime de pensions du Canada (le « Régime »), par lesquelles le ministre a décidé que l'emploi que Sukhminder Singh Grewal (« M. Grewal » ou le « travailleur ») exerçait du 1er janvier 2007 au 26 juin 2008 était un emploi assurable ouvrant droit à pension parce qu'il était engagé aux termes d'un contrat de louage de services et qu'il était considéré comme un employé de Transport.

 

[2]     L'appelante était représentée par un représentant – Narinder Jaswal (« M. Jaswal ») – et celui‑ci ainsi que l'avocate de l'intimé ont convenu que les deux appels pouvaient être entendus ensemble.

 

[3]     M. Jaswal a témoigné être président et unique administrateur de Transport, qui exploite une entreprise de livraison de courrier pour Postes Canada et un service de messagerie pour d'autres clients. Il a acheté une société – il y a douze ans – qui exploitait une entreprise de transport et il a changé le nom de cette société étant donné qu'elle devait exercer ses activités dans des municipalités où le nom de Dewdney était bien connu. Transport avait conclu un contrat de livraison du courrier de cinq ans avec Postes Canada et avait conclu un contrat écrit – daté du 30 avril 2007 – avec M. Grewal, en vertu duquel M. Grewal avait convenu de fournir ses services à titre d'entrepreneur indépendant pour une durée de cinq ans. M. Jaswal a déclaré que l'entente – pièce A‑1 – était un contrat type utilisé par Transport dans le cours de ses activités et que M. Grewal fournissait ses services de livraison conformément à l'annexe I, page 9 du contrat, et ce, depuis l'année 2001, à des conditions semblables à celles d'une entente écrite antérieure. M. Jaswal a déclaré que M. Grewal se présentait au centre de livraison de Postes Canada (le « centre »), à Maple Ridge (Colombie‑Britannique), et qu'il assurait la livraison de sacs et de colis, service qu'il facturait à Dewdney en enregistrant les opérations sur une feuille quotidienne – intitulée Carnet de route de l'entrepreneur indépendant – qui servait également de facture. Un échantillon de feuille‑facture a été produit sous la cote A‑2; le montant qui y était facturé s'élevait à 50,50 $. M. Jaswal a déclaré qu'il payait M. Grewal une fois par mois; il a produit une photocopie d'un talon de chèque typique – pièce A‑3 – daté du 31‑08‑2009 – indiquant que le montant payé s'élevait à 1 307,70 $ sans aucune déduction au titre des cotisations d'assurance‑emploi (l'« AE ») et du Régime de pensions du Canada (le « RPC ») ainsi que de l'impôt sur le revenu. M. Jaswal a déclaré que M. Grewal fournit encore à Transport le même service que celui qu'il fournissait pendant la période pertinente et que le système de facturation utilisé par M. Grewal ainsi que la méthode de paiement et la fréquence des paiements effectués par Transport sont les mêmes. M. Jaswal a déclaré que Transport et Postes Canada avaient conclu un contrat concernant le centre, à Maple Ridge, aux termes duquel il fallait accomplir certaines tâches exigeant les services de cinq chauffeurs, dont aucun n'était considéré par M. Jaswal comme un employé de Transport compte tenu du fait que le service était fourni conformément à un contrat écrit dans lequel chaque chauffeur avait convenu d'agir à titre d'entrepreneur indépendant. Le contrat conclu avec Postes Canada exigeait que Transport livre le courrier à l'installation de Whannock‑Albion et livre les colis qui pesaient plus de trois livres – 1,35 kilogramme – et que Transport facturait à Postes Canada, à un taux donné, chaque article livré par M. Grewal et les autres chauffeurs. M. Jaswal a déclaré qu'il voyait M. Grewal de façon irrégulière au cours de la période pertinente étant donné qu'il n'était pas nécessaire de le faire, à moins que quelque événement inhabituel ne se soit produit. M. Jaswal estimait que M. Grewal travaillait de 8 h à environ 13 h – selon le volume de livraisons – et la rapidité avec laquelle la tâche pouvait être accomplie un jour donné. M. Jaswal a souscrit aux hypothèses émises par le ministre – aux alinéas 5l), m), n), q), r), s) et t) de la réponse à l'avis d'appel (la « réponse ») :

 

            [traduction]

 

l)                    l'appelante n'enregistrait pas les heures de travail du travailleur;

 

m)                l'appelante permettait au travailleur d'apporter la fourgonnette de livraison chez lui et de l'utiliser pour se rendre au travail;

 

n)                  le payeur payait toutes les dépenses associées à l'achat et à l'utilisation de la fourgonnette;

 

q)            Postes Canada s'occupait de régler les plaintes des clients;

 

r)             aux termes du contrat, le travailleur était libre d'embaucher des sous‑traitants;

 

s)             le travailleur était libre de travailler ailleurs au cours de la période, en dehors des heures régulières qu'il effectuait pour l'appelante;

 

t)              le travailleur n'avait pas d'assurance le protégeant dans l'exercice de ses fonctions auprès de l'appelante.

 

[4]     M. Jaswal n’a pas souscrit pas à l'hypothèse – à l'alinéa 5o) – selon laquelle M. Grewal devait aviser Transport s'il n'était pas en mesure de travailler, étant donné que M. Grewal pouvait, s'il le voulait, trouver son propre chauffeur remplaçant dans le bassin d'autres travailleurs de Transport et qu'il n'avait pas à demander une autorisation préalable. M. Jaswal a déclaré que Transport n'avait souscrit aucune police d'assurance spéciale pour couvrir les dommages causés à des articles dans le cadre des livraisons effectuées par M. Grewal. Les tâches de M. Jaswal l'obligeaient à apporter des sacs de courrier jusqu'à certaines [traduction] « cases vertes » au bout d'une rue; il utilisait une clé pour placer les sacs dans la case, où un facteur ramassait ces sacs pour les livrer sur son parcours. Le contrat conclu avec Postes Canada n'exigeait pas que Transport effectue des livraisons à des destinations situées sur des parcours ruraux, mais Transport fournissait un service connu sous le nom de services de livraison urbains combinés. M. Jaswal s'est reporté à la facture – pièce A‑2 – et il a expliqué qu'elle indiquait que M. Grewal avait livré 30 sacs en tout le 4 août 2009 et 15 articles additionnels, soit 45 articles en tout, lesquels – à 0,90 $ la pièce – représentaient une somme de 40,50 $, auquel était ajouté le tarif fixe de dix dollars pour le trajet jusqu'à Whannock‑Albion, soit 50,50 $ en tout. Habituellement, M. Grewal facturait à Transport une somme de 1 000 à 1 800 $ par mois – selon la saison – et sa rémunération était plus élevée au cours de la période précédant Noël, lorsqu'il y avait énormément de courrier. Il ne connaissait pas les détails précis du travail effectué chaque jour par M. Grewal ou les autres chauffeurs qui fournissaient leurs services à Postes Canada conformément au contrat qu'ils avaient conclu avec Transport, mais il estimait que M. Grewal pouvait livrer jusqu'à 50 sacs par heure parce qu'il pouvait y avoir jusqu'à neuf sacs qui étaient livrés à un seul endroit. M. Jaswal a déclaré ne pas savoir combien d'heures de travail M. Grewal avait effectuées afin de gagner le montant facturé dans une facture. M. Jaswal a déclaré que lorsque quelqu'un, au centre, demandait à M. Grewal d'assurer un service de livraison particulier, celui‑ci consignait les détails pertinents sur la feuille‑facture quotidienne et Transport utilisait ces renseignements afin de facturer le service à Postes Canada en fonction d'un taux applicable énoncé dans leur contrat. Au cours de la période pertinente, les services fournis par M. Grewal l’étaient uniquement au profit de Postes Canada et M. Grewal n'effectuait par de livraisons pour des clients privés de Transport. M. Jaswal a dit que les activités dans leur ensemble se déroulaient [traduction] « d'une façon ordonnée et efficace », conformément à une feuille d'instructions et de lignes directrices qui faisait partie du contrat conclu entre Postes Canada et Transport.

 

[5]     M. Jaswal a été contre‑interrogé par l'avocate de l'intimé. Il a déclaré que le contrat conclu entre Transport et Postes Canada comportait certaines conditions se rapportant au rendement, mais qu'il n'y avait pas de normes de livraison précises quant au délai de livraison. Le contrat n'incluait pas de livraisons à domicile étant donné que ces livraisons étaient assurées par les facteurs. M. Jaswal a déclaré que M. Grewal travaillait du lundi au vendredi, mais qu'il ne savait pas quelles étaient ses heures d'arrivée et de départ, étant donné que Transport se fondait uniquement sur les feuilles‑factures quotidiennes afin de calculer le paiement qui était dû à M. Grewal à la fin de chaque mois, en fonction du taux par article et du taux fixé pour la livraison à un endroit précis. M. Jaswal a déclaré que la rétribution de M. Grewal et des autres travailleurs était toujours basée sur un taux à la pièce et, qu'à sa connaissance, contrairement à ce que l'avocate avait soutenu, M. Grewal et les autres préposés à la livraison qui avaient conclu un contrat avec Transport n'étaient pas rémunérés à l'heure – qu'il s'agisse d'un taux de dix dollars ou d'un autre taux. Au cours de la période pertinente, la rétribution était basée sur un taux à la pièce correspondant à 70 p. 100 des frais bruts que Postes Canada versait à Transport, comme il en est fait mention dans le contrat – pièce 1 – à la page 10. Si M. Grewal ou un chauffeur utilisait son propre véhicule, Transport avait comme politique de payer un pourcentage plus élevé des frais bruts de livraison à titre d'indemnité pour pareil usage. Sur les fourgonnettes de livraison utilisées par M. Grewal et par d'autres chauffeurs qui effectuaient des livraisons pour Postes Canada était apposé un logo indiquant que le propriétaire du véhicule était : [traduction] « Dewdney Transport Group Ltd., sous‑traitant de Postes Canada ». M. Jaswal a déclaré que l'entente qui avait été conclue au sujet des frais de 70 p. 100 résultait de négociations avec les chauffeurs et que toute la rétribution – qu'elle soit versée par Postes Canada à Transport ou par Transport à un sous‑traitant – était basée sur un taux à la pièce ou sur un taux fixe pour une livraison spéciale. Transport versait à la commission des accidents du travail les cotisations qui s'appliquaient aux chauffeurs. M. Jaswal a déclaré ne pas savoir si une personne – M. Darnell – avait eu un rôle à jouer lorsqu'il s'était agi de superviser M. Grewal ou de trouver un remplaçant si M. Grewal ne pouvait pas travailler. M. Jaswal a déclaré qu'il arrivait parfois qu'un chauffeur embauche à son insu un remplaçant. Il n'était pas au courant de quelque plainte ou de quelque différend résultant du rendement de M. Grewal ou de celui d'autres chauffeurs et il supposait que ces questions auraient été réglées par Postes Canada. Il n'y avait pas de contact entre les chauffeurs de Transport et les personnes recevant leur courrier à domicile étant donné que les chauffeurs de Transport apportaient simplement le courrier jusqu'aux cases vertes ou jusqu'à une installation de Postes Canada et que toute plainte aurait été portée par un facteur ou un autre employé de Postes Canada. L'avocate a renvoyé M. Jaswal à l'alinéa b) de l'annexe 1, page 9 du contrat, selon lequel M. Grewal – en sa qualité de sous‑traitant – devait [traduction] « être disponible afin de fournir les services de livraison pour Dewdney aux dates, heures et endroits stipulés par Dewdney ». M. Jaswal a déclaré que le contrat avait été conçu en vue de s'appliquer également au service de messagerie de l'entreprise exploitée par Transport et qu'il n'avait pas été modifié en vue de s'appliquer aux ententes conclues avec des particuliers – comme M. Grewal – qui assuraient des services de livraison exclusivement pour Postes Canada, même si chacun d'eux pouvait effectuer d'autres livraisons. M. Jaswal a reconnu que – selon la clause 7.1 du contrat – Transport avait le droit de céder certains secteurs à un sous‑traitant, mais il a déclaré que cette condition s'appliquait uniquement aux services de messagerie fournis à d'autres clients que Postes Canada. À l'alinéa f) de l'annexe I, il était fait mention de l'obligation qu’a un sous‑traitant d’aviser Dewdney de tout différend ou manque se rattachant aux livraisons. M. Jaswal a déclaré que cette condition devait s'appliquer aux services de livraison fournis à des clients – en général du secteur privé – mais non à Postes Canada. Toutefois, la clause 2.3 du contrat s'appliquait à toutes les composantes de l'entreprise et permettait à M. Grewal et à d'autres d'avoir recours – à leurs frais – à toute aide qu'ils jugeaient nécessaire pour fournir les services prévus par l'entente et que Dewdney convenait qu'elle n'avait pas la capacité [traduction] « de diriger ou de superviser le sous‑traitant ou les assistants ou employés du sous‑traitant ou d'exercer un contrôle sur ceux‑ci dans la prestation de ces services ». M. Jaswal a déclaré que, selon la pratique suivie lorsqu'un chauffeur remplaçant s'était chargé des livraisons un jour donné ou au cours d'une période donnée, Transport examinait les feuilles‑factures quotidiennes soumises et notait le volume des livraisons. La rétribution était calculée sur cette base et le paiement était effectué directement au chauffeur remplaçant, qui était l'un des cinq chauffeurs fournissant les mêmes services ou des services similaires à Postes Canada. M. Jaswal a déclaré qu'étant donné que le contrat conclu avec Postes Canada exigeait que toutes les fourgonnettes utilisées par Transport soient des modèles récents – de trois ans ou moins – les chauffeurs pouvaient acheter – à la fin de leur contrat —le véhicule particulier utilisé pour leurs livraisons et qu'un chauffeur s'était prévalu de cette possibilité. Un chauffeur qui était sous‑traitant pouvait utiliser son propre véhicule, et ce, qu'il fournisse ses services au profit de Postes Canada ou d'autres clients; c'est ce qui arrivait au cours de la période des Fêtes, lorsque Transport n'avait pas suffisamment de fourgonnettes pour s'occuper du volume de livraisons. M. Jaswal a déclaré que, lorsque les chauffeurs utilisaient leurs propres véhicules, un taux plus élevé était négocié et que même M. Grewal avait parfois utilisé son propre véhicule, ce qu'il notait sur la feuille‑facture quotidienne. M. Jaswal a déclaré que Postes Canada n'imposait pas de délais de livraison à Transport et que toutes les activités étaient effectuées depuis le centre, à Maple Ridge. Durant une période de douze ans, aucun problème n'avait été porté à son attention au sujet des livraisons et, si un problème s'était posé, il supposait qu'il avait été réglé par la direction de Postes Canada. De l'avis de M. Jaswal, toutes les personnes qui étaient en cause dans l'exploitation du centre comprenaient que le mandat consistait à [traduction] « acheminer le courrier », même lorsqu'il était difficile de le faire à cause de circonstances inhabituelles telles qu'une circulation intense, des voies de circulation bloquées par suite d'accidents, de travaux de construction, de détours ou du mauvais temps.

 

[6]     M. Jaswal a mis fin à la présentation de la preuve de l'appelante.

 

[7]     M. Grewal a été appelé à la barre par l'avocate de l'intimé. Il a témoigné résider à Maple Ridge et travailler comme chauffeur pour Transport depuis 2005. Comme il l'avait fait pendant toute la période pertinente, il utilise une fourgonnette de transport pour apporter les sacs de courrier jusqu'à des cases vertes, où les facteurs vont chercher le courrier, ainsi que du courrier en vrac destiné aux clients de Postes Canada, comme des écoles, des bureaux d'agences immobilières et tout autre destinataire lorsque la liasse de lettres pèse plus de trois livres. M. Grewal se présente au centre à 8 h et apporte les sacs jusqu'à deux à cinq cases vertes, où les facteurs vont chercher le courrier. Il travaille du lundi au vendredi et chaque journée de travail dure de cinq à six heures. M. Grewal a déclaré : [traduction] « Je connais mon travail, c'est tous les jours la même chose »; il a affirmé ne pas avoir eu à recevoir des instructions de qui que ce soit chez Transport. La première livraison ou le premier [traduction] « parcours » de la journée est toujours le même et il apporte les sacs jusqu'à certaines cases vertes, après quoi il retourne au centre pour ramasser d'autres sacs pour un second parcours dans un secteur différent. S'il faut effectuer un troisième ou un quatrième parcours, ces livraisons sont effectuées à d'autres endroits désignés. Le courrier est trié au centre par chaque facteur, en fonction de son parcours, qui est identifié – par une couleur donnée – sur une carte. M. Grewal est le seul travailleur de Transport qui se présente au centre pour le premier parcours, mais trois ou quatre autres chauffeurs de Transport effectuent d'autres livraisons après la fin de ce premier parcours. M. Grewal ne savait pas si d'autres entités fournissaient également un service similaire à Postes Canada, depuis le centre. M. Grewal enregistrait les pièces livrées en remplissant la feuille‑facture quotidienne –pièce A‑2 – et il inscrivait le voyage effectué entre le centre et le bureau de poste, à Whannock‑Albion, pour lequel il facturait une somme de dix dollars. Ce voyage représentait la première tâche qu'il exécutait chaque matin, mais il ne s'agissait pas du [traduction] « premier parcours », qui était effectué entre 9 h et 9 h 45 et qui comportait le transport de sacs de courrier jusqu'aux cases vertes. M. Grewal conservait les feuilles‑factures quotidiennes jusqu'à la fin de chaque mois et il les remettait alors personnellement à M. Jaswal. Il était rémunéré – par chèque – une fois par mois. En ce qui concerne le taux à la pièce, de 90 cents par pièce, M. Grewal a déclaré qu'il croyait comprendre qu'il s'agissait du montant versé à l'ancien chauffeur sur ce parcours, qu'il avait accepté le contrat avec Transport en se fondant sur cette somme et qu'il n'était jamais rémunéré à l'heure. M. Grewal s'est reporté à l'inscription, dans l'espace [traduction] « livraisons supplémentaires » dans l'échantillon de feuille‑facture – pièce A‑2 – et il a expliqué que le chiffre – 15 – qui y figurait indiquait qu'il avait livré 15 liasses de lettres, – chacune de plus de trois livres – en plus des autres articles enregistrés. Habituellement, environ dix à 20 liasses de lettres étaient ainsi livrées chaque jour. M. Grewal a déclaré verser des cotisations au RPC lorsqu'il produisait sa déclaration de revenu annuelle et il croyait avoir rémunéré son propre chauffeur remplaçant à un moment donné lorsqu'il entretenait une relation de travail avec Transport. Quoi qu'il en soit, il prenait des dispositions – personnellement – pour se faire remplacer au besoin en en parlant à ses compagnons de travail chez Transport, et il n'avait jamais eu de problème à cet égard. M. Grewal a déclaré qu'au cours des cinq ou six années pendant lesquelles il avait accompli les mêmes tâches depuis le centre, il n'avait été au courant d'aucune plainte attribuable à son travail et qu'il réglait tout problème mineur avec le facteur concerné. M. Grewal n'avait pas d'assurance responsabilité pour les livraisons qu'il effectuait pour Transport. M. Grewal croyait comprendre qu'à l'expiration de son contrat avec Transport, il pouvait, s'il le voulait, acheter la fourgonnette qu'il conduisait chaque jour afin d'effectuer ses livraisons. Il n'engageait pas de dépenses, sauf pour les vêtements et les aliments, et il n'avait pas engagé de fonds ou n'avait aucune participation dans Transport. Il ne possédait pas de permis d'exploitation et il n'était pas inscrit pour les besoins de la taxe sur les produits et services (la « TPS ») étant donné que son revenu annuel brut était inférieur au seuil aux fins de l'inscription obligatoire même si le revenu qu'il gagnait en livrant des pizzas – avec son propre véhicule – était inclus. Lorsqu'il travaillait pour la pizzeria, les livraisons ne prenaient qu'une petite partie de son temps parce que sa principale tâche, à cet endroit, consistait à préparer des pizzas.

 

[8]     M. Grewal a été contre‑interrogé par M. Jaswal, qui l'a renvoyé à une lettre – pièce A‑4 – datée du 16 octobre 2008 – signée par P. Sandhu, de la Section des sources et avantages des particuliers, à l'Agence du revenu du Canada. La lettre confirmait que les déclarations de revenu de 2005 et de 2006 de M. Grewal avaient fait l'objet de nouvelles cotisations par lesquelles le revenu déclaré avait été rangé dans la catégorie du revenu d'un travail indépendant et par lesquelles on informait M. Grewal qu'il était tenu de verser des cotisations au RPC. M. Grewal a déclaré qu'au cours de la période pertinente, tout le revenu gagné dans le cadre du contrat conclu avec Transport était déclaré à titre de revenu d'un travail indépendant.

 

[9]     Le représentant de l'appelante a soutenu que les intéressés voulaient que M. Grewal fournisse ses services à titre d'entrepreneur indépendant et qu'il l'avait fait pendant de nombreuses années sans aucun problème. Aucun contrôle n'était exercé sur M. Grewal dans le cadre de l'exécution de ses tâches et M. Grewal pouvait, s'il le voulait, utiliser son propre véhicule et négocier un pourcentage plus élevé des frais bruts que Postes Canada versait à Transport pour la livraison de divers articles.

 

[10]    L'avocate de l'intimé a soutenu que la preuve n'étayait pas l'idée selon laquelle M. Grewal exploitait une entreprise à son compte. Il n'y avait aucun des indices habituels d'activité commerciale et la preuve établissait que M. Grewal était un chauffeur de fourgonnette travaillant à temps partiel qui était rémunéré à la pièce. L'avocate a fait valoir que l'appelante n'avait pas démontré que le ministre avait eu tort de décider que M. Grewal était un employé travaillant aux termes d'un contrat de louage de services et que la décision devait être confirmée.

 

[11]    En l'espèce, je suis convaincu que M. Grewal et M. Jaswal – pour le compte de Transport – avaient clairement exprimé l'intention que M. Grewal fournisse ses services à titre d'entrepreneur indépendant, comme le prévoyait le contrat écrit. M. Grewal a déclaré être au courant du taux à la pièce versé à l'ancien chauffeur et être satisfait de ce montant; il s'acquittait des obligations prévues au contrat en ce qui concerne les livraisons au profit de Postes Canada et il avait par la suite renouvelé cette entente en signant le contrat actuel de cinq ans – pièce A‑1 – daté du 1er avril 2007. Comme M. Jaswal l'a déclaré dans son témoignage, le contrat était un contrat type utilisé par Transport, et ce, que l'entrepreneur individuel s'occupe exclusivement de tâches concernant Postes Canada ou qu'il s'occupe des activités plus étendues de l'entreprise dans son ensemble, dans le cadre de laquelle des services de messagerie étaient fournis à d'autres clients.

 

[12]    Dans l'arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983 – (« Sagaz »), la Cour suprême du Canada était saisie d'une affaire de responsabilité du fait d'autrui; en examinant diverses questions pertinentes, la cour a également eu à se demander ce qu'était un entrepreneur indépendant. Le jugement de la cour a été rendu par le juge Major, qui a étudié l'évolution de la jurisprudence dans le contexte de l'importance de la différence existant entre un employé et un entrepreneur indépendant, telle qu'elle influe sur la question de la responsabilité du fait d'autrui. Après s'être reporté aux motifs énoncés par le juge MacGuigan, dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. Minister of National Revenue, [1986] 2 C.T.C. 200, et à la mention qui y était faite du critère d'organisation énoncé par lord Denning – et de la synthèse que le juge Cooke avait faite dans l'arrêt Market Investigations Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 – le juge Major a dit ce qui suit aux paragraphes 45 à 48 inclusivement de ses motifs :

 

45                             Enfin, un critère se rapportant à l’entreprise elle-même est apparu.  Flannigan [...] [« Enterprise control: The servant‑independent contractor distinction » (1987), 37 U.T.L.J. 25, p. 29] énonce le [traduction] « critère de l’entreprise » selon lequel l’employeur doit être tenu responsable du fait d’autrui pour les raisons suivantes :  (1) il contrôle les activités du travailleur, (2) il est en mesure de réduire les risques de perte, (3) il tire profit des activités du travailleur, (4) le coût véritable d’un bien ou d’un service devrait être assumé par l’entreprise qui l’offre.  Pour Flannigan, chaque justification a trait à la régulation du risque pris par l’employeur, et le contrôle est donc toujours l’élément crucial puisque c’est la capacité de contrôler l’entreprise qui permet à l’employeur de prendre des risques.  Le juge La Forest a lui aussi formulé un « critère du risque de l’entreprise » dans l’opinion dissidente qu’il a exposée relativement au pourvoi incident dans l’arrêt London Drugs.  Il  a écrit, à la p. 339, que « [l]a responsabilité du fait d’autrui a pour fonction plus générale de transférer à l’entreprise elle-même les risques créés par l’activité à laquelle se livrent ses mandataires ».

 

46                             À mon avis, aucun critère universel ne permet de déterminer, de façon concluante, si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant.  Lord Denning a affirmé, dans l’arrêt Stevenson Jordan, [[1952] 1 The Times L.R. 101] qu’il peut être impossible d’établir une définition précise de la distinction (p. 111) et, de la même façon, Fleming signale que [traduction] « devant les nombreuses variables des relations de travail en constante mutation, aucun critère ne semble permettre d’apporter une réponse toujours claire et acceptable » (p. 416).  Je partage en outre l’opinion du juge MacGuigan lorsqu’il affirme — en citant Atiyah, [Vicarious Liability in the Law of Torts. London: Butterworths, 1967] p. 38, dans l’arrêt Wiebe Door, p. 563 — qu’il faut toujours déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles :

 

 

       [traduction]  [N]ous doutons fortement qu’il soit encore utile de chercher à établir un critère unique permettant d’identifier les contrats de louage de services [. . .]  La meilleure chose à faire est d’étudier tous les facteurs qui ont été considérés dans ces causes comme des facteurs influant sur la nature du lien unissant les parties.  De toute évidence, ces facteurs ne s’appliquent pas dans tous les cas et n’ont pas toujours la même importance.  De la même façon, il n’est pas possible de trouver une formule magique permettant de déterminer quels facteurs devraient être tenus pour déterminants dans une situation donnée.

 

47                             Bien qu’aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante.  La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte.  Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur.  Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

 

48                             Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer.  Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

 

 

[13]    J'examinerai les faits par rapport aux indices mentionnés dans les motifs que le juge Major a énoncés dans l'arrêt Sagaz.

 

Le degré de contrôle 

 

[14]    Les témoignages de MM. Jaswal et Grewal sont clairs : Transport ne supervisait pas chaque jour la façon dont les livraisons étaient effectuées. Pendant de longues périodes, M. Jaswal n'avait aucun contact avec M. Grewal; M. Jaswal n'avait pas à donner sa permission pour qu'un chauffeur remplaçant assume les tâches de M. Grewal à un moment donné et il arrivait souvent que M. Jaswal ne se rende compte de la substitution qu'au moment où il examinait les feuilles‑factures quotidiennes à la fin du mois. M. Jaswal décidait de rémunérer le chauffeur remplaçant directement selon les renseignements figurant dans les feuilles‑factures parce qu'il estimait qu'un chauffeur remplaçant était un entrepreneur, selon une entente écrite conclue avec Transport. M. Grewal reconnaissait qu'il devait se rendre au centre tôt chaque matin afin d'exécuter le travail nécessaire et qu'il était important que les sacs de courrier soient apportés le plus rapidement possible jusqu'aux cases vertes, de façon que les facteurs puissent commencer la livraison sur les parcours qui leur étaient assignés. Il n'existait aucune obligation de faire rapport et aucune plainte n'avait à être réglée par M. Jaswal dans le contexte du contrat conclu entre Transport et Postes Canada. Conformément au contrat conclu entre M. Grewal et Transport, M. Grewal avait convenu de se conformer à certaines conditions énoncées à l'annexe 1, dont un grand nombre ne s'appliquaient pas expressément aux tâches qu'il accomplissait pour Postes Canada. Les faits de la présente affaire ne ressemblent pas à ceux de certaines affaires dans lesquelles le contrôle exercé sur un travailleur était confié au bénéficiaire réel des services, selon un type de détachement. M. Grewal savait ce qu'il y avait à faire et il accomplissait ces tâches avec efficacité et sans supervision.

 

La fourniture des instruments de travail ou d'aides 

 

[15]    M. Grewal pouvait, s'il le voulait, utiliser son propre véhicule et il le faisait occasionnellement, probablement au cours de la période des Fêtes, lorsque les activités allaient bon train et que Transport n'avait pas suffisamment de fourgonnettes. Rien ne montrait que M. Grewal l'ait fait au cours de la période pertinente et il n'a pas été expressément été fait mention de la rétribution à la pièce en pareil cas. M. Jaswal a témoigné qu'un taux plus élevé [traduction] « pouvait être négocié », le chauffeur‑entrepreneur obtenant un pourcentage plus élevé que les 70 p. 100 habituels des frais bruts par ailleurs payables conformément au contrat. Aux termes du contrat, M. Grewal avait le droit d'embaucher une aide à ses frais et Transport convenait de ne pas diriger ou superviser pareil assistant ou employé dans l'exécution des tâches à effectuer, et de ne pas exercer de contrôle sur celui‑ci. Comme il en a ci‑dessus été fait mention, M. Grewal prenait au besoin des dispositions pour se faire remplacer par un chauffeur provenant du bassin des autres chauffeurs de Transport. Il était commode pour M. Jaswal de payer cette personne directement – en ajoutant le montant au chèque régulier – compte tenu des détails que le chauffeur remplaçant fournissait dans la ou les feuilles‑factures quotidiennes en question qu'il soumettait de la façon habituelle.

 

L'étendue des risques financiers et la responsabilité à l'égard des mises de fonds et de la gestion  

 

[16]    M. Grewal n'était pas exposé à des risques financiers et il n'avait pas à assumer quelque responsabilité pour quiconque d'autre que lui‑même dans l'exécution de ses tâches.

 

La possibilité de faire un profit dans l'exécution des tâches 

 

[17]    La seule façon dont M. Grewal pouvait accroître son revenu consistait à livrer un plus grand nombre d'articles, ce qui se produisait pendant la longue période des Fêtes, lorsque son revenu s'élevait à environ 1 800 $ par mois, comparativement à 1 000 $ – et plus – compte tenu de certaines fluctuations du volume des livraisons au cours du reste de l'année. M. Grewal n'avait aucun contrôle sur le volume et il continuait simplement à faire son travail régulier habituel du mieux qu'il le pouvait compte tenu de la circulation plus ou moins intense ou du temps qu'il faisait. Selon la preuve qu'il a soumise, il fallait à M. Grewal de cinq à six heures par jour pour accomplir ses tâches et en donnant son meilleur rendement, il lui restait tout au plus une heure supplémentaire seulement pour gagner un revenu additionnel en travaillant à la pizzeria, où il utilisait son propre véhicule afin d'effectuer certaines livraisons. M. Grewal pouvait, s'il le voulait, utiliser son propre véhicule en exécutant ses tâches contractuelles pour Transport, mais rien ne permet de conclure que ce choix aurait généré un revenu net supplémentaire.

 

[18]    Dans l'arrêt Standing c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.) (C.A.F.), [1992] A.C.F. no 890, le juge Stone a dit ce qui suit :

 

[...] Rien dans la jurisprudence ne permet d'avancer l'existence d'une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l'arrêt Wiebe Door. [...]

 

[19]    Dans plusieurs décisions récentes, notamment Wolf v. The Queen, 2002 DTC 6853 (« Wolf »), The Royal Winnipeg Ballet v. The Minister of National Revenue, 2006 DTC 6323 (« Ballet »), Vida Wellness Corp. (s/n Vida Wellness Spa) c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [2006] A.C.I. no 570 (« Vida Wellness »), et City Water International Inc. c. Canada, [2006] A.C.F. no 1653, aucune question ne se posait à ce sujet parce que les parties avaient clairement convenu que la personne fournissant ses services le ferait à titre d'entrepreneur indépendant et non en tant qu'employé. La clarté de l'intention existe également dans les présents appels.

 

[20]    Après la décision rendue dans l'affaire Wolf, précitée, la question soumise à la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Ballet était de savoir si les danseurs qui s’exécutaient pour cette compagnie de renommée mondiale étaient des employés ou des entrepreneurs indépendants. La Canadian Actors' Equity Association (la « CAEA »), en sa qualité d'agent négociateur des danseurs, appuyait la position prise par le Royal Winnipeg Ballet (le « RWB »). En décidant que les danseurs n'étaient pas des employés du RWB, la juge Sharlow a dit ce qui suit, aux paragraphes 60 à 64 inclusivement de ses motifs :

 

[60]      Le juge Décary n’affirmait pas que la nature juridique d’une relation donnée est toujours celle que lui prêtent les parties. Il faisait référence en particulier aux articles 1425 et 1426 du Code civil du Québec, qui énoncent des principes du droit des contrats que l’on retrouve également en common law. Un de ces principes veut que, lorsqu’il s’agit d’interpréter un contrat, il faut rechercher l’intention commune des parties plutôt que de s’en remettre uniquement au sens littéral des mots utilisés. Un autre principe est que, pour interpréter un contrat, il convient de tenir compte des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que lui ont déjà donnée les parties ou d’autres personnes, ainsi que de l’usage. La conclusion inévitable est qu’il faut toujours examiner les éléments de preuve qui reflètent la façon dont les parties ont compris leur contrat et leur accorder une force probante appropriée.

 

[61]      Je souligne, une fois de plus, que cela ne veut pas dire que les affirmations que font les parties quant à la nature juridique de leur contrat sont concluantes. Cela ne veut pas dire non plus que les déclarations que font les parties quant à leurs intentions doivent nécessairement amener le tribunal à conclure que leurs intentions ont été concrétisées. Pour paraphraser la juge Desjardins (au paragraphe 71 des motifs principaux de l’arrêt Wolf), lorsqu’il est prouvé que les modalités du contrat, examinées dans le contexte factuel approprié, ne reflètent pas la relation juridique que les parties affirment avoir souhaité établir, alors il ne faut pas tenir compte de leur intention déclarée.

 

[62]      La question de savoir si l’intention contractuelle qu’une des parties déclare avoir eue coïncide avec celle de l’autre partie donne fréquemment lieu à des différends. En particulier, dans les appels intentés aux termes du Régime de pensions du Canada et de la Loi sur l’assurance-emploi, il arrive que les parties présentent des preuves contradictoires au sujet de la nature de la relation juridique qu’elles souhaitaient créer. Ce genre de différend prend habituellement naissance dans le cas où une personne est embauchée pour fournir des services et signe un formulaire de contrat présenté par l’employeur dans lequel la personne en question est qualifiée d’entrepreneur indépendant. L’employeur insère parfois une telle clause dans le contrat dans le but d’éviter de créer une relation employeur‑employé. Il arrive que la personne en question affirme par la suite qu’elle était une employée. Elle pourrait déclarer qu’elle s’est sentie obligée d’indiquer son consentement sur le formulaire de contrat pour des raisons financières ou autres. Elle pourrait également déclarer qu’elle pensait, malgré le fait qu’elle a signé un contrat contenant ces termes, qu’elle serait traitée comme les autres travailleurs qui étaient manifestement des employés. Dans ce genre d’affaire, le tribunal pourrait fort bien conclure, en se fondant sur les facteurs exposés dans l’arrêt Wiebe Door, que la personne en question est une employée, mais cela ne veut pas dire que l’intention des parties n’est pas pertinente. En fait, les parties sont généralement d’accord sur le sens à donner à la plupart des modalités énoncées dans leur contrat. Cela veut simplement dire qu’une stipulation du contrat portant sur la nature juridique de la relation créée par celui‑ci n’est pas déterminante.

 

 

[63]      Ce qui est inhabituel en l’espèce, c’est qu’il n’y a pas d’accord écrit qui vise à qualifier la relation juridique existant entre les danseurs et le RWB, et que, parallèlement, les parties s’entendent sur ce qu’elles croient être la nature de leur relation. La preuve révèle que le RWB, la CAEA et les danseurs pensaient tous que les danseurs étaient des travailleurs indépendants et qu’ils avaient agi en conséquence. Le litige portant sur la nature de la relation juridique existant entre les danseurs et le RWB vient du fait qu’un tiers (le ministre), qui a un intérêt légitime à ce que la relation juridique soit correctement qualifiée, souhaite faire écarter le témoignage des parties au sujet de leur intention commune parce que ce témoignage n’est pas compatible avec les faits objectifs.

 

[64]      Dans les circonstances, il me semble qu’il serait contraire aux principes applicables de mettre de côté, en le considérant comme dépourvu de toute force probante, le témoignage non contredit des parties quant à la façon dont elles comprennent la nature de leur relation juridique, même si ce témoignage ne saurait être déterminant. Le juge aurait dû examiner les facteurs de l’arrêt Wiebe Door à la lumière de ce témoignage non contredit et se demander si, dans l’ensemble, les faits étaient compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des travailleurs indépendants, comme les parties le pensaient, ou s’ils étaient davantage compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des employés. C’est parce que le juge n’a pas adopté cette approche qu’il en est arrivé à une conclusion erronée.

 

[21]    Dans des motifs concourants, la juge Desjardins a dit ce qui suit aux paragraphes 71 et 72 :

 

[71]      La question de savoir si les parties ont conclu un contrat de travail aux fins de l’assurance‑emploi (AE) ou du Régime de pensions du Canada (RPC) a soulevé de nombreuses difficultés au cours des ans, comme en témoigne la jurisprudence émanant de la Cour. Je ne pense pas qu’il convienne de priver le juge de common law de la possibilité de tenir compte de l’intention des parties, et ce, afin qu’il puisse confronter cette intention aux facteurs objectifs et aux circonstances factuelles de l’affaire lorsqu’il rend sa décision définitive.

 

[72]      Comme l’a démontré la juge Sharlow, même si l’intention des parties n’est pas contestée, sauf par des tiers, comme c’est le cas en l’espèce, le juge de common law a néanmoins le devoir de « vérifier » si les modalités utilisées et les faits de l’affaire sont compatibles avec la qualification donnée au contrat par les parties. Le juge de common law doit veiller à ce que le contrat signé par les parties reflète effectivement l’entente qu’elles affirment avoir conclue.             

 

          La juge Desjardins a ajouté ce qui suit, aux paragraphes 79 à 81 inclusivement :

 

[79]      En l’espèce, c’est la nature du contrat qu’il convient de préciser, et ce, en effectuant une analyse de ses clauses à la lumière du critère à quatre volets, à savoir le niveau de contrôle, la propriété de l’équipement, l’ampleur du risque financier et la possibilité de faire des bénéfices.

 

[80]      Compte tenu de la jurisprudence mentionnée ci‑dessus, je ne vois aucune raison convaincante qui empêcherait le juge de common law, amené à trancher la difficile question de savoir s’il s’agit d’un contrat d’entreprise ou d’un contrat de louage de services, de recourir à tous les critères et indices possibles dans le but de déterminer la véritable nature de la relation unissant les parties.

 

[81]      Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis, à mon avis, une erreur de droit lorsqu’il a déclaré que l’intention des parties ne pouvait être utilisée qu’à titre d’élément de démarcation (paragraphes 31 et 82 de ses motifs). Je souscris à l’analyse de la juge Sharlow, exposée au paragraphe 64 de ses motifs, selon laquelle le juge de la Cour canadienne de l’impôt aurait dû prendre acte du témoignage non contredit relatif à l’interprétation commune des parties selon laquelle les danseurs étaient des entrepreneurs indépendants et se demander ensuite, en se fondant sur les facteurs de l’arrêt Wiebe Door, si cette intention avait été réalisée. Elle s’est fondée pour tenir ce raisonnement, au paragraphe 61 de ses motifs, sur toute une série de décisions de la Cour, adoptant le point de vue exprimé par le juge Stone dans l’arrêt Ministre du Revenu national c. Standing, [1992] A.C.F. no 890 (C.A.) (QL), que j’ai reformulé dans l’arrêt Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396, au paragraphe 71, lorsque j’ai déclaré qu’il ne convenait d’accorder du poids à l’intention des parties que si le contrat reflétait exactement la relation juridique qui les unissait.

 

          Étant donné que la décision Wolf portait sur un contrat auquel le droit du Québec s'appliquait, la juge Desjardins a ajouté ce qui suit :

 

[82]      Il n’est pas nécessaire, pour trancher le présent litige, de décider si l’expression « l’intention des parties » a en théorie la même portée dans le système de common law qu’en droit civil québécois. Cette question ne peut être tranchée qu’en fonction des faits particuliers à chaque affaire.

 

[22]    Le juge Miller a entendu l'appel Vida Wellness, après que la décision Ballet eut été rendue. Dans l'affaire Vida Wellness, le juge Miller examinait la situation de six massothérapeutes qui, selon le ministre, exerçaient un emploi assurable ouvrant droit à pension, même si chaque travailleur avait conclu une entente écrite dans laquelle il était stipulé qu'il était un entrepreneur indépendant. En examinant les faits, le juge Miller a constaté que tous les travailleurs avaient dépensé plusieurs milliers de dollars et consacré un nombre considérable d'heures à assurer leur formation afin d'obtenir l'agrément nécessaire pour exécuter leur travail. Les thérapeutes étaient rémunérés à des taux variant de 27,5 à 47 p. 100 des frais que Vida Spa recevait du client. Ils pouvaient toucher une commission en vendant des produits thermaux. Si les travailleurs se présentaient pour effectuer un poste et qu'il n'y avait pas de clients, aucune rétribution ne leur était versée. Les travailleurs pouvaient conserver les pourboires en espèces, mais ils devaient mettre en commun les pourboires laissés au moyen de cartes de crédit. Les travailleurs pouvaient décider de leur horaire trois ou quatre fois par année pour trois ou quatre mois à la fois; il y avait deux postes par jour. Les travailleurs pouvaient travailler – ou ne pas travailler – à leur gré et ils pouvaient offrir leurs services à d'autres entreprises de massothérapie, à condition de ne pas essayer de recruter des clients de Vida. Le payeur, dans l'affaire Vida Wellness, fournissait les tables, le linge de maison, les huiles et les travailleurs étaient obligés de porter une chemise ou un chemisier et un pantalon noirs pour assurer l'uniformité. Le juge Miller a mentionné certains risques inhérents à l'exécution de leurs tâches. Voici ce qu'il a dit au paragraphe 11 :

 

[11]   Mme Hegedus et les travailleurs ont fait état de certains des risques inhérents à la pratique de la massothérapie. Il fallait porter une attention particulière au massage des femmes enceintes, éviter certaines parties du corps et même certaines huiles. De même, si un client avait eu de quelconques troubles de santé antérieurs ou en présence d’une contre‑indication, les travailleurs procédaient avec prudence. Pour ces raisons, il était important que les travailleurs obtiennent des antécédents médicaux relativement détaillés au sujet des clients avant d’effectuer le massage. L’ordre professionnel des travailleurs exigeait que ces derniers détiennent une assurance. Vida ne payait pas pour la couverture d’assurance des travailleurs.

 

[23]    Après avoir examiné la jurisprudence pertinente, notamment les décisions Wolf, Sagaz et Ballet, précitées, le juge Miller a dit ce qui suit au paragraphe 18 de ses motifs :

 

[18]   Compte tenu de cette approche, existait‑il une entente claire entre Vida et les travailleurs quant à la nature du contrat? Une réponse affirmative s’impose. Il existait une entente écrite qui précisait sans équivoque que les travailleurs étaient des entrepreneurs indépendants. Cependant, une déclaration d’intention claire ne permet pas à elle seule de trancher l’affaire. En effet, les parties à un contrat peuvent bien ajouter une clause stipulant que le travailleur est un entrepreneur indépendant et qu’il a la responsabilité d’effectuer ses propres retenues simplement pour éviter que l’employeur ne fasse des retenues salariales. Cela permet tout au plus d’affirmer que l’employeur avait l’intention de ne pas faire de retenues salariales, mais pas que le travailleur est un entrepreneur indépendant. Dans la présente affaire toutefois, je suis convaincu que l’intention des parties de conclure un contrat selon lequel les travailleurs étaient des entrepreneurs indépendants ne fait aucun doute. L’intimé a soutenu qu’il n’y avait pas vraiment une intention claire que les travailleurs soient des entrepreneurs indépendants, mais plutôt une indifférence quant à leur situation d’emploi. Aucun élément de preuve ne laissait croire que l’un ou l’autre des travailleurs aurait préféré être un employé. Ils connaissaient tous la nature de l’offre qui leur était faite, ils semblaient en avoir compris les conséquences (par exemple, pas de salaire minimum) et il ne fait aucun doute qu’ils ont tous volontairement signé une entente prévoyant leur situation d’entrepreneur indépendant. Bien qu’elles ne permettent pas de penser que les travailleurs aient insisté pour être des entrepreneurs indépendants (à l’exception, peut‑être, de Mme Frame), les circonstances reflètent néanmoins davantage que de l’indifférence.

 

[24]    Le juge Miller a ensuite analysé les divers facteurs : contrôle, risque de perte, possibilité de profit et propriété de l'outillage, afin de décider si ces facteurs étaient compatibles avec l'intention exprimée par les parties, à savoir que les travailleurs fournissent leurs services à titre d'entrepreneurs indépendants. À mon avis, le paragraphe 20 des motifs énoncés par le juge Miller est extrêmement important parce qu'il y est question du problème qui peut se produire si l'on examine la situation sous le mauvais angle. Le juge Miller a fait les remarques suivantes :

 

[20]   Il importe de prime abord d’établir une distinction entre la recherche d’éléments étayant la situation d’employé par opposition à celle d’entrepreneur indépendant d’une part, et l’issue découlant d’une conclusion selon laquelle le travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant, d’autre part. À titre d’exemple, lorsqu’elle a tenté de définir en quoi consiste la différence entre la situation de massothérapeute employé et celle de massothérapeute entrepreneur indépendant, Mme Hegedus a mentionné ce qui suit :

 

               l’employé recevait une paye de vacances de 4 pour 100;

               l’employé recevait un taux de salaire majoré de moitié pour les jours fériés;

               l’employé avait droit à une indemnité de départ.

 

Cependant, ces différences tiennent au fait d’être un employé. Il ne s’agit pas de facteurs utilisés pour définir une relation d’emploi. Les facteurs servant à cette fin sont ceux que j’ai mentionnés plus haut.

 

[21]   La présente affaire illustre parfaitement à quel point la différence entre la situation d’employé et celle d’entrepreneur indépendant peut être ténue. Les travailleurs peuvent choisir de bénéficier des avantages liés à la situation d’employé ou de les refuser pour se prévaloir de ceux qui découlent de la situation de travailleur autonome. Ce choix, auquel Vida a volontairement consenti, doit nécessairement être pris en considération dans le cadre de l’analyse. En fait, c’est lui qui ouvre la voie à cette analyse.

 

 

[25]    Le juge Miller estimait que l'élément « contrôle » était compatible avec la relation dont les parties avaient convenu et, bien qu'il ait mis peu d'accent sur la propriété de l'outillage, il a conclu que ce facteur n'était pas plus compatible avec un emploi qu'avec le statut d'entrepreneur indépendant. Quant aux possibilités de profit, le juge Miller a conclu qu'il y avait un certain nombre de choses qu'un travailleur, chez Vida Spa, pouvait faire afin de maximiser sa rémunération, notamment en effectuant un double poste ou en refusant d'effectuer un poste au cours d'une période creuse et en encourageant le client à obtenir un massage en chambre ou un massage des tissus profonds, pour lequel le travailleur conservait les frais supplémentaires sans les partager avec Vida Spa. De plus, les massothérapeutes pouvaient promouvoir la vente de produits et toucher une commission et ils pouvaient refuser de fournir des services aux clients pour lesquels l'assurance maladie versait un montant inférieur à celui qu'exigeait habituellement Vida Spa. En ce qui concerne le facteur des risques de perte, le juge Miller – aux paragraphes 28 à 31 inclusivement – a dit ce qui suit :

 

[28]   Une perte d’entreprise peut survenir d’au moins trois façons; premièrement, les dépenses ordinaires de l’entreprise sont plus importantes que le revenu courant; deuxièmement, un événement catastrophique peut être causé par suite de l’exploitation de l’entreprise et, troisièmement, la source de revenu de l’entreprise peut tarir.

 

[29]   Les travailleurs engageaient bien certaines dépenses, comme le téléphone cellulaire, la mise à niveau et la formation (y compris les frais liés aux cours offerts par Vida elle‑même) et l’assurance. Il est toutefois peu probable que ces dépenses aient pu excéder leur revenu, même si, pendant une période particulièrement creuse où il n’y a que quelques clients, voire aucun, un faible risque était possible. En cas de rappel au travail, s’il n’y avait aucun client, le travailleur n’était pas rémunéré.

 

[30]   Par contre, la possibilité d’un risque découlant d’un préjudice était très réelle. Les témoins ont expliqué le danger potentiel qu’il peut y avoir à traiter une femme enceinte ou une personne ayant eu de quelconques troubles de santé antérieurs. Les conséquences peuvent être préjudiciables jusqu’au point d’entraîner la mort. C’est pour cette raison que les travailleurs étaient tenus par leur ordre professionnel de détenir une assurance. Vida ne défrayait pas les travailleurs de cette dépense. Les travailleurs devaient l’assumer eux‑mêmes.

 

[31]   Enfin, la possibilité de perdre Vida en tant que source de revenu était aussi très réelle. Il n’y avait aucune sécurité d’emploi. Le contrat pouvait être résilié sur préavis de deux semaines pour n’importe quelle raison, sans aucune rémunération. À mon avis, ces circonstances sont assimilables à l’acceptation d’un risque de perte important, lequel est compatible avec la situation d’une personne qui exploite une entreprise pour son propre compte.

 

 

[26]    Au paragraphe 32, le juge Miller a conclu ce qui suit :

 

[32]   Après avoir examiné les facteurs traditionnels à la lumière de la compréhension qu’ont les parties de la nature de leur contrat, je suis convaincu que celui‑ci reflète fidèlement la relation juridique à laquelle un contrat d’entreprise donne naissance. Les travailleurs avaient l’intention d’être, et ils étaient, des entrepreneurs indépendants.     

 

[27]    Dans l'affaire A.L.D. Enterprises Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [2007] A.C.I. no 36 (« A.L.D. »), j'ai entendu l'appel interjeté par un payeur qui avait conclu un contrat écrit avec deux chauffeurs qui conduisaient les camions de l'appelante pour des transports de longue distance. Les faits de cette affaire‑là qui sont pertinents aux fins d'une analyse en l’espèce sont les suivants :

        

            [traduction]

 

            […]

 

3.         Le nom de l’appelante figurait sur tous les camions. Le nom de l’appelante ou de Dairyland figurait sur les remorques réfrigérées qui étaient tirées par les camions. [Tous les AA, paragraphe 3]

 

4.         Pendant la période pertinente, l’appelante engageait des chauffeurs pour conduire les camions. [Tous les AA, paragraphe 4]

 

5.         David Parks et Rémi-Paul Bellemare (les « travailleurs ») étaient engagés et rémunérés par l’appelante et fournissaient des services pour l’appelante. [Tous les AA, alinéa 6]

 

6.         Chacun des travailleurs devait se procurer le principal instrument du métier, à savoir un permis de conduire de catégorie A avec autorisation Z, et en assurer le maintien. [Tous les AA, alinéa 7c)]

 

7.         La seule obligation de faire rapport des travailleurs était celle qui était prévue dans le Règlement sur les heures de travail pris en vertu du Code de la route (Ontario). Aux termes de ce règlement, les chauffeurs de camion, qu’il s’agisse d’entrepreneurs indépendants ou d’employés, sont tenus de remplir des fiches journalières et de transmettre ces fiches ainsi que les documents justificatifs au propriétaire du véhicule à moteur (c’est‑à‑dire à l’appelante). Ce règlement exigeait également que le propriétaire du véhicule à moteur conserve toutes les fiches journalières et les documents justificatifs pour une période de six mois à son bureau principal. [Tous les AA, alinéa 7d)]

 

8.         Les travailleurs devaient respecter certains délais de livraison étant donné qu’ils transportaient des denrées périssables. Toutefois, dans les limites de ces délais, établis selon les produits, les travailleurs décidaient de la façon d’effectuer chaque livraison : leur propre horaire ainsi que leurs parcours, heures de repas et périodes de repos. [Tous les AA, alinéa 7e)]

 

9.         Chacun des travailleurs était rémunéré par l’appelante en fonction du travail accompli, à savoir les ramassages et les livraisons qu’il faisait. L’appelante effectuait le paiement uniquement après avoir reçu une facture de chacun des travailleurs. Chacun des travailleurs remettait ses factures à intervalles irréguliers et pour divers montants, selon le travail accompli. Le travailleur qui, pour une raison ou une autre, ne travaillait pas n’était pas rémunéré. [Tous les AA, alinéa 7i)]

 

10.      L’appelante ne remboursait pas les travailleurs des frais de repas et des autres frais engagés. Il lui incombait de payer l’essence et l’entretien du camion ou de la remorque et elle souscrivait une assurance‑responsabilité pour les chargements qu’elle transportait. [Tous les AA, alinéa 7g]

 

11.      Les travailleurs n’avaient pas droit à des vacances, aux jours fériés, à des congés de maladie, à une pension d’invalidité ou à d’autres avantages de la part de l’appelante. Celle-ci ne déduisait, de la rétribution du travailleur, ni cotisations d’assurance-emploi (l’« AE ») et du RPC ni impôt sur le revenu. Les travailleurs ne recevaient pas de feuillets T4. [Tous les AA, alinéa 7i)]

 

          […]

 

[28]    Dans la décision A.L.D., j'ai fait les remarques suivantes :

 

[47]   Dans les présents appels, je tiens à réitérer que les parties étaient indubitablement de bonne foi. Les chauffeurs, MM. Parks et Bellemare, voulaient fournir leurs services dans le contexte de l’exploitation de leur propre entreprise. M. Parks n’avait jamais fourni ses services à ALD dans quelque autre contexte, et ce, que ce soit en conduisant des camions ou en exécutant des travaux de construction ou de rénovation pour ALD ou pour d’autres clients. M. Bellemare avait conduit un camion pour une autre entreprise à titre d’entrepreneur indépendant et il voulait à tout prix conserver ce statut en conduisant pour ALD. Il estimait, ainsi que M. Parks, que le statut d’entrepreneur indépendant leur accordait une certaine liberté, peut‑être bien conformément à l’impression d’être les chevaliers de la route, qu’avaient autrefois les conducteurs de grands routiers.

 

[48]   En ce qui concerne l’élément « contrôle », MM. Parks et Bellemare n’étaient pas supervisés lorsqu’ils conduisaient ou accomplissaient quelque autre aspect de leurs tâches dans le cadre des divers voyages qu’ils acceptaient. Il y avait certes moins de contrôle que dans le cas des danseurs du RWB. Les chauffeurs n’avaient pas la possibilité de réaliser des profits, contrairement à ce qui était le cas pour les massothérapeutes, chez Vida, et ils ne risquaient pas non plus réellement de subir des pertes par suite de l’exécution de leurs tâches. Ils n’avaient pas à exercer des fonctions de gestion ni à embaucher des assistants afin de conduire le semi‑remorque d’ALD de A à B à C et d’en revenir et, de plus, ils ne fournissaient pour ainsi dire pas d’outils.

 

[49]   Si la décision RWB n’avait pas été rendue, je n’aurais pas considéré comme convaincante l’intention claire des parties, en particulier dans le contexte de l’effet combiné des autres facteurs Toutefois, dans le présent appel, les chauffeurs étaient inébranlables dans leur recherche du statut souhaité d’entrepreneur indépendant et, par la suite, ni leur conduite ni celle de l’employeur n’ont vraiment changé. Les parties ont toujours agi conformément à l’intention qu’elles avaient exprimée et, dans le cadre de leurs relations de travail, aucune circonstance inhabituelle n’a porté atteinte à l’effet de leur entente initiale ni, encore moins, n’a anéanti cet effet.

 

[29]    Quant aux faits de la présente affaire, il est certain que les intéressés voulaient que M. Grewal fournisse ses services à titre d'entrepreneur indépendant et que le contrat actuel maintienne ce statut, qui avait été mentionné en toutes lettres dans une entente antérieure. L'absence de contrôle était semblable à l'absence de contrôle dans l'affaire A.L.D. et la possibilité pour M. Grewal de faire un profit l'obligeait à livrer un plus grand nombre de colis. M. Grewal n'était pas exposé à des risques de perte et la seule fonction de gestion qu'il exerçait consistait à prendre des dispositions pour se faire remplacer par un chauffeur provenant du bassin des entrepreneurs de Transport. Il y a un point important : Transport gagnait son revenu en livrant des articles pour Postes Canada conformément à son contrat et elle était rémunérée à la pièce. Les chauffeurs gagnaient 70 p. 100 des frais bruts perçus par Transport, à condition que la livraison soit effectuée à l'aide d'une fourgonnette appartenant à Transport. Par conséquent, la possibilité pour M. Grewal et pour Transport de générer un revenu supplémentaire dépendait d'un nombre accru d'articles à livrer entre le centre de Maple Ridge et diverses destinations. La relation entre M. Grewal et Transport étaient quelque peu inhabituelle étant donné qu'ils pouvaient fonctionner « sur pilote automatique » sans supervision ou même sans communication régulières. Les intéressés agissaient selon l'intention exprimée dans le contrat écrit, même si certaines conditions qui y étaient stipulées n'avaient rien à voir avec le rendement de M. Grewal puisque ses services étaient uniquement fournis à Postes Canada et non à d'autres clients de Transport.

 

[30]    La jurisprudence établit clairement qu'il ne faut pas trancher ces affaires compte tenu du fait qu'une majorité des facteurs habituels militent en faveur d'un statut particulier. Il faut veiller à ne pas se fonder strictement sur une conclusion d'existence d'un statut privilégié dans chaque analyse de ces facteurs puisque pareil compartimentage, s'il n'est pas tenu compte de la substance de la preuve dans son ensemble, peut produire un résultat erroné. L'absence de contrôle dans la présente affaire est une force importante qui étaye le point de vue selon lequel M. Grewal était un entrepreneur indépendant. D'autre part, M. Grewal n'était exposé à aucun risque financier. Il avait un rôle du fait qu'il gérait la partie importante des activités de livraison du centre dont il s'occupait en veillant à ce que ses chargements de courrier soient livrés en temps opportun même s'il devait prendre des dispositions pour se faire remplacer. M. Grewal n'avait pas engagé de fonds dans Transport et sa capacité de gagner plus d'argent était liée au nombre d'articles qui étaient livrés. Compte tenu des limites particulières de l'activité exercée par M. Grewal, il n'est pas difficile de reconnaître que celui‑ci fournissait ses services à Transport à son compte. Il n'était pas nécessaire pour M. Grewal d'avoir acquis les caractéristiques habituelles de la commercialité afin de générer un revenu. M. Grewal était satisfait de conclure un contrat écrit qui – selon la clause 8.1 – permettait à l'une ou l'autre partie de résilier l'entente – sans avoir à donner de motifs – en donnant un préavis de 30 jours de son intention. Malgré cette clause offrant une échappatoire, la relation de travail des intéressés durait depuis plusieurs années.

 

[31]    La présente affaire représente l'un des cas limites, mais l'effet des décisions qui sont ici mentionnées, tel qu'il s'applique aux faits, m'a amené à conclure que les présents appels doivent être accueillis. Les décisions du ministre sont par la présente modifiées, de façon qu'il soit conclu que :

 

          Sukhminder Grewal n'exerçait pas un emploi assurable ouvrant droit à pension auprès de Dewdney Transport Group Ltd. entre le 1er janvier 2007 et le 26 juin 2008.

 

 

       Signé à Sidney (Colombie‑Britannique), ce 5e jour de novembre 2009.

 

 

« D.W. Rowe »

Juge suppléant D.W. Rowe

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de janvier 2010.

 

David Aubry, LL.B.

Réviseur


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 569

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2009-1060(EI); 2009-1061(CPP)

 

INTITULÉ :                                       DEWDNEY TRANSPORT GROUP LTD.

                                                          c.

                                                          LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 18 septembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge suppléant D.W. Rowe

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 5 novembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l'appelante :

M. N. S. Jaswal

 

Avocate de l'intimé :

Me Holly Popenia

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :                        

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

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