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Dossiers : 2005-1677(EI), 2005-1678(CPP), 2005-1680(EI), 2005-1681(CPP)

2005-1682(EI), 2005-1683(CPP), 2005-1695(EI), 2005-1696(CPP)

2005-1697(EI), 2005-1698(CPP), 2005-1699(EI), 2005-1701(CPP)

 

ENTRE :

 

VIDA WELLNESS CORPORATION DBA VIDA WELLNESS SPA,

 

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appels entendus les 13 et 14 septembre 2006,

à Vancouver (Colombie-Britannique).

Devant : L’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Timothy W. Clarke

Avocat de l’intimé :

Me John Gibb-Carsley

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés en application du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi et de l’article 28 du Régime de pensions du Canada sont accueillis, et les décisions prises par le ministre du Revenu national relativement aux appels dont il était saisi en vertu de l’article 91 de la Loi et de l’article 27.1 du Régime sont annulées au motif que les personnes suivantes étaient des entrepreneurs indépendants et qu’elles n’exerçaient pas un emploi assurable et ouvrant doit à pension pour les périodes précisées :

 

-        Danielle Guetta, du 18 décembre 2002 au 3 septembre 2004;

-        Nancy Frame, du 23 octobre 2002 au 3 septembre 2004;

-        Courtney Edy, du 1er décembre 2003 au 3 septembre 2004;

-        Yvonne Dobrowolski, du 1er janvier 2002 au 3 septembre 2004;

-        Garrick Cheung, du 23 mai 2004 au 3 septembre 2004;

-        Shahin Azha, du 27 août 2003 au 3 septembre 2004.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour d’octobre 2006.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour d’août 2007

 

Johanne Brassard, trad. a.


 

 

 

 

Référence : 2006CCI534

Date : 20061002

Dossiers : 2005-1677(EI), 2005-1678(CPP), 2005-1680(EI), 2005-1681(CPP)

2005-1682(EI), 2005-1683(CPP), 2005-1695(EI), 2005-1696(CPP)

2005-1697(EI), 2005-1698(CPP), 2005-1699(EI), 2005-1701(CPP)

ENTRE :

 

VIDA WELLNESS CORPORATION DBA VIDA WELLNESS SPA,

 

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Miller

 

[1]   Vida Wellness Corporation DBA Vida Wellness Spa (« Vida ») interjette appel de six décisions touchant l’assurance‑emploi et de six décisions touchant le Régime de pensions du Canada prises par le ministre du Revenu national (le « ministre »). Le ministre a décidé que six massothérapeutes exerçaient un emploi assurable et ouvrant droit à pension chez Vida. Cette dernière soutient que les travailleurs étaient plutôt des entrepreneurs indépendants, aux termes des contrats écrits passés avec eux. C’est la première affaire dont je suis saisi depuis que la Cour d’appel fédérale a prononcé l’arrêt Royal Winnipeg Ballet c. Canada[1]. Il n’est pas étonnant que le premier argument avancé par l’appelante au moment du débat soit fondé sur l’importance qu’il faut accorder à l’intention non réfutée des parties au contrat pour décider de la véritable nature des rapports qui les unissent. L’approche traditionnelle énoncée dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc.[2] de la Cour suprême du Canada consiste à apprécier un certain nombre de facteurs, dont le principal est celui du contrôle. Cette approche doit maintenant être appliquée dans le cadre de la question de savoir si ces facteurs étayent l’intention déclarée des parties contractantes. Bien sûr, si les parties ne s’entendent pas, comme c’est souvent le cas, cet examen préliminaire n’a qu’une valeur restreinte. Ce qui est intéressant en l’espèce c’est que, selon les contrats conclus entre Vida et les massothérapeutes, certains de ces travailleurs sont des employés tandis que d’autres sont des entrepreneurs indépendants. En réalité, Vida offrait aux massothérapeutes de choisir à quel titre ils souhaitaient travailler pour elle. Seul ceux qui ont choisi d’agir comme entrepreneurs indépendants sont visés en l’espèce.

 

Faits

 

[2]   La situation des six particuliers suivants est en litige dans les présents appels : Danielle Guetta, Nancy Frame, Courtney Edy, Yvonne Dobrowolski, Garrick Cheung et Shahin Azha (collectivement, les « travailleurs »). Chacun d’entre eux, à l’exception de Shahin Azha, qui est à l’étranger, a témoigné, tout comme Mme Allison Hegedus, directrice régionale de Vida, et Mme Peggy Bereza, présidente du College of Massage Therapists en Colombie‑Britannique.

 

[3]   Pour la période en cause, soit de 2002 à septembre 2004, Vida exploitait deux établissements thermaux, l’un au Fairmont, à Whistler, et l’autre au Sheraton, à Vancouver. Bien que les établissements aient offert un certain nombre de services, les présents appels n’intéressent que les massothérapeutes, à savoir les travailleurs. En 2004, de 50 à 60 massothérapeutes avaient conclu des contrats avec Vida; certains avaient signé leur contrat à titre d’employés, mais la plupart avaient choisi de signer leur contrat à titre d’entrepreneurs indépendants. Le [TRADUCTION] « Contrat d’entreprise » signé par l’ensemble des six travailleurs énonce notamment ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

A.        Situation de l’entrepreneur

 

1)         À titre d’entrepreneur indépendant, l’entrepreneur doit fournir des services à la société. L’entrepreneur ne peut être réputé être un employé de la société, peu importe à quelle fin, et il n’a droit à aucun traitement ni salaire, à aucunes vacances payées, à aucune contribution au titre d’une pension, à aucune assurance médicale ou dentaire ni à aucun autre avantage social de quelque nature que ce soit de la part de la société. L’entrepreneur ne peut utiliser la dénomination de la société pour contracter ou assumer une obligation, qu’elle soit expresse ou implicite.

 

B.         Obligations de l’entrepreneur

 

6.         L’entrepreneur s’engage à fournir à la société une preuve des certificats, des numéros d’inscription et du numéro d’entreprise qui lui ont été délivrés pour l’exercice de ses activités dans la province de la Colombie‑Britannique. L’entrepreneur a l’entière responsabilité de souscrire sa propre assurance responsabilité pour lui‑même et, le cas échéant, pour ses employés. L’entrepreneur doit fournir à la société une preuve qu’il détient une assurance responsabilité.

 

8.         À titre d’entrepreneur indépendant, l’entrepreneur a l’entière responsabilité d’effectuer les retenues légales, y compris l’assurance‑emploi, les taxes provinciales et fédérales, les cotisations au Régime de pensions du Canada, la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail relatives à son entreprise, et il s’engage à les remettre aux autorités compétentes au moyen de paiements versés dans les délais prévus. L’entrepreneur s’engage à présenter à la société un double des documents faisant état de ces retenues.

 

G.        Résiliation

 

1.         Le contrat peut être résilié à n’importe quel moment. L’entrepreneur et la société s’engagent à donner un préavis écrit de deux semaines à l’autre partie. L’entrepreneur autorise la société à déduire de sa dernière paie les sommes qu’il lui doit. Il peut s’agir de sommes au titre d’achats, d’avances, de prêts ou de dommages causés aux biens de la société par l’entrepreneur.

 

H.        Modalités du contrat

 

3.         Pendant la durée du présent contrat, l’entrepreneur peut exercer d’autres activités commerciales, à la condition que celles‑ci ne nuisent pas à l’exécution de son obligation d’utiliser les services de la société et qu’il s’agisse d’activités approuvées par les parties.

 

[4]     Les travailleurs qui ont témoigné ont confirmé qu’au moment de signer leur contrat, ils avaient accepté volontairement d’être des entrepreneurs indépendants et non des employés. Certains avaient déjà été des employés et comprenaient la différence. Aucun des travailleurs n’a manifesté une quelconque intention d’être un employé. Après avoir commencé à travailler chez Vida en tant qu’employée, Mme Frame a choisi de devenir une entrepreneuse indépendante et de signer un contrat d’entreprise parce qu’elle n’avait plus besoin d’avantages sociaux et qu’elle estimait préférable de se prévaloir des déductions plus importantes offertes aux entrepreneurs indépendants.

 

[5]     Parmi les cinq travailleurs qui ont témoigné, deux étaient massothérapeutes autorisés en Colombie‑Britannique, tandis que les trois autres avaient une formation poussée dans diverses formes de massage. Ils avaient tous dépensé plusieurs milliers de dollars et consacré un nombre considérable d’heures de formation pour obtenir leurs titres et qualités. Les cours d’appoint étaient également monnaie courante. Les travailleurs étaient tenus de payer pour cette formation continue en massothérapie, y compris les cours offerts par Vida elle‑même.

 

[6]     Les travailleurs étaient rémunérés conformément aux modalités prévues par leur contrat. Selon l’entente écrite, ils recevaient un pourcentage des honoraires que Vida demandait au client. Il semble que le pourcentage se fondait sur un taux horaire. Ainsi, le contrat de M. Cheung stipulait[3] :

 

[TRADUCTION]

 

C.        Honoraires

 

1)         En fonction du service fourni, la société verse à l’entrepreneur un taux variant entre 27,5 pour 100 et 47 pour 100. L’entrepreneur reçoit 15 pour 100 sur la marchandise vendue au détail. L’entrepreneur convient que, si le prix d’un service ou d’une marchandise au détail fait l’objet d’une réduction, celle‑ci se reflétera dans le taux qui lui est versé, en proportion du prix réduit du service. L’entrepreneur recevra le pourcentage prévu au contrat sur le fondement du prix réduit. La société peut modifier le prix des services ou des marchandises au détail.

 

Durée

Prix

% du thérapeute

Taux du thérapeute

 

 

 

 

30 min

65,00 $

34 %

22,10 $

30 min

80,00 $

27,5 %

22,00 $

60 min

112,50 $

39 %

43,89 $

60 min

140,00 $

31,5 %

44,10 $

90 min

165,00 $

40 %

66,00 $

90 min

180,00 $

37 %

66,60 $

120 min

187,50 $

47 %

88,13 $

120 min

240,00 $

36,5 %

87,60 $

 

Plutôt que de fixer un taux horaire, le contrat prévoyait que M. Cheung et Vida se partageaient les honoraires en fonction d’un pourcentage. Si les honoraires faisaient l’objet d’une réduction, comme c’était parfois le cas (par exemple, pour les résidents de la Colombie‑Britannique), M. Cheung ne recevait pas le taux horaire d’environ 44,00 $, mais plutôt sa part de pourcentage des honoraires réduits. Le travailleur recevait en outre une somme additionnelle de 10,00 $ pour un massage en chambre et de 10,00 $ pour un massage des tissus profonds. Les massothérapeutes recevaient également une commission sur les produits thermaux qu’ils vendaient.

 

[7]   Si les travailleurs se présentaient pour une période de travail et qu’il n’y avait aucun client, ils n’étaient pas payés. Lorsqu’il semblait qu’une période de travail allait être peu occupée, les travailleurs pouvaient choisir de demeurer en disponibilité ou de ne se présenter que sur appel. Les travailleurs pouvaient conserver la totalité de leurs pourboires en espèces, mais un pourcentage des pourboires laissés au moyen de cartes de crédit était mis en commun pour les frais d’administration des cartes de crédit et le personnel qui travaillait à l’officine.

 

[8]   Les travailleurs fixaient leurs périodes de travail trois ou quatre fois par année pour trois ou quatre mois à la fois. Ils pouvaient réserver autant ou aussi peu de périodes qu’ils le souhaitaient. Il y avait deux périodes de travail par jour. Ils pouvaient fixer les périodes de travail en fonction de leurs propres exigences, comme d’autres engagements professionnels ou des obligations familiales, peu importe qu’il s’agisse de la haute saison ou de la basse saison, peu importe les autres personnes travaillant pendant la période de travail visée (un trop grand nombre de massothérapeutes de niveau supérieur risquait de se traduire par moins de travail puisque les clients étaient adressés aux massothérapeutes en fonction de l’ancienneté des travailleurs, à moins que les clients n’aient demandé un massothérapeute en particulier), et peu importe que les clients pendant cette période de travail bénéficient ou non d’une réduction. Comme l’a dit M. Cheung, il n’était jamais tenu de travailler contre son gré. Si un travailleur était dans l’impossibilité de se présenter pour une période de travail, il pouvait demander à un autre massothérapeute de le remplacer, à la condition que ce dernier ait été approuvé par Vida. Les travailleurs pouvaient refuser de masser quelqu’un.

 

[9]   Tous les travailleurs pouvaient offrir des services de massothérapie ailleurs que chez Vida. Certains en profitaient plus que d’autres. Les travailleurs pouvaient faire de la publicité en distribuant à la fois des cartes professionnelles de Vida (où figurait le nom du travailleur) et des cartes professionnelles personnelles – et certains se prévalaient de cette possibilité –, mais il leur était interdit de tenter de recruter les clients de Vida.

 

[10]    Vida exigeait que les travailleurs portent des pantalons et des chemises ou des chemisiers noirs pour assurer une certaine uniformité. Vida fournissait les tables, le linge de maison et les huiles nécessaires à la fourniture des services dans ses locaux. Certains travailleurs, lorsqu’ils effectuaient des massages en chambre, utilisaient leur propre table portative. La plupart des travailleurs avaient leur propre table et leurs propres huiles mais, selon leur témoignage, il était plus pratique de se servir du matériel de Vida lorsqu’ils travaillaient dans l’établissement de cette dernière. En réalité, le partage des honoraires visait justement à payer pour ces avantages. Vida se chargeait d’établir les factures et de recouvrer les paiements auprès des clients. Manifestement, lorsque des clients ne payaient pas Vida, les travailleurs n’étaient pas payés non plus.

 

[11]    Mme Hegedus et les travailleurs ont fait état de certains des risques inhérents à la pratique de la massothérapie. Il fallait porter une attention particulière au massage des femmes enceintes, éviter certaines parties du corps et même certaines huiles. De même, si un client avait eu de quelconques troubles de santé antérieurs ou en présence d’une contre‑indication, les travailleurs procédaient avec prudence. Pour ces raisons, il était important que les travailleurs obtiennent des antécédents médicaux relativement détaillés au sujet des clients avant d’effectuer le massage. L’ordre professionnel des travailleurs exigeait que ces derniers détiennent une assurance. Vida ne payait pas pour la couverture d’assurance des travailleurs.

 

[12]    Vida avait adopté une politique globale et des règles à suivre à l’intention des massothérapeutes. L’exemplaire du document produit à l’instruction portait une date postérieure à la période pertinente. Certains des travailleurs n’avaient jamais vu le document tandis que d’autres l’avaient vu, mais n’y avaient pas vraiment prêté attention. Vida comptait dans son personnel un superviseur des thérapeutes chargé de l’horaire des massothérapeutes et de la liaison entre ces derniers et Vida. Les travailleurs ne s’estimaient pas tenus de rendre compte au superviseur. Leurs témoignages comportaient certaines divergences quant à la fréquence des réunions du personnel. Je conclus que celles‑ci étaient plutôt rares et que la présence des travailleurs n’était pas obligatoire.

 

Question en litige

 

[13]    Les travailleurs étaient‑ils des entrepreneurs indépendants ou des employés de Vida qui exerçaient un emploi assurable et ouvrant droit à pension?

 

Analyse

 

[14]    Dans l’arrêt Sagaz de la Cour suprême du Canada, M. le juge Major explique que, pour décider si un travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant, il faut analyser la question de la manière suivante :

 

47        Bien qu’aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

48        Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

 

[15]    La Cour d’appel fédérale a quelque peu nuancé cette approche. C’est ce qu’il ressort de l’arrêt Wolf c. Canada[4], prononcé l’année suivant l’arrêt Sagaz, et dans lequel M. le juge Décary déclare ce qui suit après avoir renvoyé aux arrêts Wiebe Door Services Ltd. c. Canada[5] et Sagaz :

 

[…] en fin de compte, on finit par faire, en droit civil comme en common law, un examen des termes des conventions pertinentes et des circonstances pour découvrir la véritable réalité contractuelle des parties.

 

Il ajoute[6] :

 

[…] Je dirai, avec le plus grand respect, que les tribunaux, dans leur propension à créer des catégories juridiques artificielles, ont parfois tendance à ne pas tenir compte du facteur même qui est l’essence d’une relation contractuelle, à savoir l’intention des parties.

 

[…] Lorsqu’un contrat est signé de bonne foi comme un contrat de service et qu’il est exécuté comme tel, l’intention commune des parties est claire et l’examen devrait s’arrêter là.

 

Dans la même décision, M. le juge Noël conclut ainsi ses brefs motifs du jugement[7] :

 

123      Mon évaluation des critères juridiques applicables aux faits de l’espèce est essentiellement la même que celle de mes collègues. J’estime que leur évaluation du critère de contrôle, du critère d’intégration et de la propriété des outils n’est pas concluante, ni dans un sens ni dans l'autre. En ce qui concerne le risque financier [page 442], je conviens avec mes collègues que l’appelant, en contrepartie d’un salaire plus élevé, avait renoncé à bon nombre des prestations qui étaient habituellement dévolues à l’employé, y compris la sécurité d’emploi. Toutefois, je conviens avec la juge de la Cour de l’impôt que l’appelant était payé pour ses heures travaillées, quels que soient les résultats atteints, et qu’en ce sens, il ne supportait pas plus de risques qu’un employé ordinaire. Mon évaluation de l’ensemble de la relation entre les parties ne n’amène pas à une conclusion claire et c’est pourquoi, selon moi, il faut examiner la façon dont les parties voyaient leur relation.                                                      [Non souligné dans l’original.]

 

J’ai déjà qualifié l’approche suivie par le juge Noël d’élément de démarcation, bien que, dans l’arrêt Winnipeg Ballet, Mme la juge Sharlow ait affirmé[8] :

 

[…] À mon avis, ces motifs ne permettent pas de faire cette affirmation. […]

 

 

Elle ajoute ce qui suit[9] :

 

[…] Un de ces principes veut que, lorsqu’il s’agit d’interpréter un contrat, il faut rechercher l’intention commune des parties plutôt que de s’en remettre uniquement au sens littéral des mots utilisés. …

 

Elle s’est en outre exprimée en ces termes au paragraphe 61 :

 

            Je souligne, une fois de plus, que cela ne veut pas dire que les affirmations que font les parties quant à la nature juridique de leur contrat sont concluantes. Cela ne veut pas dire non plus que les déclarations que font les parties quant à leurs intentions doivent nécessairement amener le tribunal à conclure que leurs intentions ont été concrétisées. Pour paraphraser la juge Desjardins (au paragraphe 71 des motifs principaux de l’arrêt Wolf), lorsqu’il est prouvé que les modalités du contrat, examinées dans le contexte factuel approprié, ne reflètent pas la relation juridique que les parties affirment avoir souhaité établir, alors il ne faut pas tenir compte de leur intention déclarée.

 

[16]    Ce qui nous mène à l’avant‑dernière question posée par la juge Sharlow :

 

[…] Le juge aurait dû examiner les facteurs de l’arrêt Wiebe Door à la lumière de ce témoignage non contredit et se demander si, dans l’ensemble, les faits étaient compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des travailleurs indépendants, comme les parties le pensaient, ou s’ils étaient davantage compatibles avec la conclusion selon laquelle les danseurs étaient des employés. […]

 

Elle conclut en ces termes[10] :

 

[…] Il s’ensuit donc qu’on ne peut raisonnablement considérer comme incompatible avec l’intention des parties d’attribuer aux danseurs le statut d’entrepreneur indépendant le contrôle exercé en l’espèce sur les danseurs.

 

            Le même raisonnement s’applique à tous les facteurs, considérés dans leur ensemble, dans le contexte de la nature des activités qu’exerce le RWB et du travail qu’exécutent les danseurs engagés par le RWB. À mon avis, dans la présente affaire, la façon dont les parties interprétaient la nature de leur relation juridique est étayée par les clauses contractuelles et les autres faits pertinents.

 

[17]    J’arrive à la conclusion que, s’il est établi que les parties à un contrat s’étaient clairement entendues sur le fait que les travailleurs étaient des entrepreneurs indépendants, il importe de se demander, au moment d’analyser les facteurs traditionnels, si ces derniers sont compatibles avec cette entente. Dans l’affirmative, l’intention visée par les parties dans leur contrat doit alors prévaloir.

 

[18]    Compte tenu de cette approche, existait‑il une entente claire entre Vida et les travailleurs quant à la nature du contrat? Une réponse affirmative s’impose. Il existait une entente écrite qui précisait sans équivoque que les travailleurs étaient des entrepreneurs indépendants. Cependant, une déclaration d’intention claire ne permet pas à elle seule de trancher l’affaire. En effet, les parties à un contrat peuvent bien ajouter une clause stipulant que le travailleur est un entrepreneur indépendant et qu’il a la responsabilité d’effectuer ses propres retenues simplement pour éviter que l’employeur ne fasse des retenues salariales. Cela permet tout au plus d’affirmer que l’employeur avait l’intention de ne pas faire de retenues salariales, mais pas que le travailleur est un entrepreneur indépendant. Dans la présente affaire toutefois, je suis convaincu que l’intention des parties de conclure un contrat selon lequel les travailleurs étaient des entrepreneurs indépendants ne fait aucun doute. L’intimé a soutenu qu’il n’y avait pas vraiment une intention claire que les travailleurs soient des entrepreneurs indépendants, mais plutôt une indifférence quant à leur situation d’emploi. Aucun élément de preuve ne laissait croire que l’un ou l’autre des travailleurs aurait préféré être un employé. Ils connaissaient tous la nature de l’offre qui leur était faite, ils semblaient en avoir compris les conséquences (par exemple, pas de salaire minimum) et il ne fait aucun doute qu’ils ont tous volontairement signé une entente prévoyant leur situation d’entrepreneur indépendant. Bien qu’elles ne permettent pas de penser que les travailleurs aient insisté pour être des entrepreneurs indépendants (à l’exception, peut‑être, de Mme Frame), les circonstances reflètent néanmoins davantage que de l’indifférence.

 

[19]    Je me penche maintenant sur les facteurs liés au contrôle, au risque de perte, à la possibilité de profit et à la propriété de l’outillage pour décider s’ils sont compatibles avec l’intention déclarée des parties d’être des entrepreneurs indépendants.

 

[20]    Il importe de prime abord d’établir une distinction entre la recherche d’éléments étayant la situation d’employé par opposition à celle d’entrepreneur indépendant d’une part, et l’issue découlant d’une conclusion selon laquelle le travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant, d’autre part. À titre d’exemple, lorsqu’elle a tenté de définir en quoi consiste la différence entre la situation de massothérapeute employé et celle de massothérapeute entrepreneur indépendant, Mme Hegedus a mentionné ce qui suit :

 

-                l’employé recevait une paye de vacances de 4 pour 100;

-                l’employé recevait un taux de salaire majoré de moitié pour les jours fériés;

-                l’employé avait droit à une indemnité de départ.

 

Cependant, ces différences tiennent au fait d’être un employé. Il ne s’agit pas de facteurs utilisés pour définir une relation d’emploi. Les facteurs servant à cette fin sont ceux que j’ai mentionnés plus haut.

 

[21]    La présente affaire illustre parfaitement à quel point la différence entre la situation d’employé et celle d’entrepreneur indépendant peut être ténue. Les travailleurs peuvent choisir de bénéficier des avantages liés à la situation d’employé ou de les refuser pour se prévaloir de ceux qui découlent de la situation de travailleur autonome. Ce choix, auquel Vida a volontairement consenti, doit nécessairement être pris en considération dans le cadre de l’analyse. En fait, c’est lui qui ouvre la voie à cette analyse.

 

Contrôle

 

[22]    Même si le critère du contrôle comporte certaines faiblesses, il demeure un facteur dont il faut toujours tenir compte. L’une de ces faiblesses se manifeste lorsqu’il s’agit de travailleurs professionnellement formés. L’employeur peut‑il jamais contrôler « comment » ces derniers accomplissent leur travail? Comme l’ont signalé tous les travailleurs qui ont témoigné, il n’y avait jamais personne d’autre dans la pièce pour observer, faire des remarques ou donner des conseils sur la façon d’appliquer le traitement. Je n’en tire pas la conclusion qu’un massothérapeute ne peut jamais être un employé. Il est important d’examiner chaque facteur dans le contexte de l’ensemble de la relation. En l’espèce, les travailleurs ont‑ils exercé des libertés qu’on associe plus facilement à une personne en affaires à son propre compte, ou Vida imposait‑elle des contrôles, autres que sur la façon d’appliquer le traitement, dont la nature relevait manifestement d’une relation d’emploi?

 

[23]    Vida avait adopté plusieurs lignes directrices que devaient suivre les travailleurs; en fait, Vida publiait un manuel à l’intention du personnel du service des massages. Il ressort de la preuve que les travailleurs ne connaissaient pas l’existence de ce document, ou qu’ils n’y portaient pas grande attention. Néanmoins, j’estime qu’il y avait une certaine uniformité dans l’approche suivie par les travailleurs (par exemple, l’utilisation de chandelles dans la pièce, le fait de raccompagner le client à la porte, le port de pantalons et de chemises ou de chemisiers noirs), mais cela était plus attribuable à leur simple présence sur les lieux qu’à l’existence du manuel, aux rares réunions du personnel ou aux courriels occasionnels. Pourtant, il s’agissait à n’en pas douter d’un certain degré de contrôle.

 

[24]    Cependant, les travailleurs jouissaient également de libertés appréciables : liberté de demeurer en disponibilité ou de ne se présenter que sur appel, liberté de choisir autant ou aussi peu de périodes de travail qu’ils le souhaitaient en fonction de leurs autres engagements, liberté d’offrir des soins de massothérapie ailleurs, liberté de trouver un remplaçant (parmi des massothérapeutes approuvés par Vida, toutefois) en cas d’impossibilité de se présenter pour une période de travail et liberté de refuser des clients peu importe la raison. Je conclus que l’absence de contrôle dans ces domaines l’emporte sur le contrôle qu’exerçait Vida à l’égard des aspects plus superficiels du milieu de travail. Dans l’ensemble, ce facteur est compatible avec la relation convenue entre les parties.

 

Propriété de l’outillage

 

[25]    À nouveau, je suis saisi de l’argument voulant que le principal outil employé par les travailleurs fasse partie de leur corps, à savoir, en l’espèce, leurs mains. Ce facteur ne permet pas de distinguer un employé d’un entrepreneur indépendant puisque, peu importe la nature juridique de la relation, l’importance (et la « propriété ») de ce présumé outil demeure toujours liée au travailleur. Je dois donc examiner les outils plus courants : dans le cas d’un massothérapeute, il s’agirait principalement d’une table, de linge de maison et d’huiles. Vida fournissait ce matériel, lequel donne à penser, à première vue, que la relation s’apparentait davantage à une relation d’emploi. Or, trois facteurs font obstacle à cette conclusion. En premier lieu, les travailleurs recevaient seulement une partie de la somme payée par le client, le reste servant visiblement à payer pour l’usage de la table, du linge de maison et des huiles. En deuxième lieu, de nombreux travailleurs possédaient leur propre table, leur propre linge de maison et leurs propres huiles, mais il était plus pratique d’utiliser le matériel de Vida, même si certains travailleurs se servaient de leur propre table pour les massages en chambre. En troisième lieu, il ne s’agit pas d’une entreprise où l’outillage est très important. À titre d’exemple, certains traitements n’exigent aucun outil du tout. Pour ces raisons, j’accorde peu de poids à ce facteur puisqu’il est autant compatible avec une relation d’emploi qu’avec la situation d’entrepreneur indépendant.

 

Possibilité de profit

 

[26]    Les travailleurs avaient‑ils la possibilité d’augmenter leurs profits? Je crois que oui. Ils pouvaient prendre un certain nombre de mesures pour augmenter leurs profits chez Vida :

 

-                Choisir les périodes de travail les plus occupées, y compris les doubles postes;

 

-                Éviter les périodes de travail creuses;

 

-                Choisir les périodes de travail où moins de massothérapeutes de niveau supérieur étaient présents puisque les clients qui ne demandaient pas un massothérapeute en particulier étaient adressés au travailleur ayant le plus d’ancienneté;

 

-                Promouvoir les massages en chambre et des tissus profonds;

 

-                Refuser les clients auxquels on accordait une réduction en faveur des clients payant le plein prix;

 

-                Faire une promotion vigoureuse des produits.

 

[27]    En outre, le travailleur, même s’il ne tentait pas d’augmenter ses profits chez Vida, pouvait décider de fixer son horaire en fonction des massages chez Vida et des massages effectués ailleurs de manière à augmenter les profits tirés de ces deux sources, ce qui est compatible avec la situation de travailleur à son propre compte en général et non uniquement en relation avec Vida. Le travailleur pouvait également promouvoir ses services à la fois au moyen des cartes professionnelles de Vida, sur lesquelles figurait son nom, et de ses propres cartes professionnelles pour le travail exécuté ailleurs que chez Vida. Tous ces faits tendent à montrer qu’il existait une entente compatible avec la compréhension qu’avaient les travailleurs et Vida de la situation d’entrepreneur indépendant.

 

Risque de perte

 

[28]    Une perte d’entreprise peut survenir d’au moins trois façons; premièrement, les dépenses ordinaires de l’entreprise sont plus importantes que le revenu courant; deuxièmement, un événement catastrophique peut être causé par suite de l’exploitation de l’entreprise et, troisièmement, la source de revenu de l’entreprise peut tarir.

 

[29]    Les travailleurs engageaient bien certaines dépenses, comme le téléphone cellulaire, la mise à niveau et la formation (y compris les frais liés aux cours offerts par Vida elle‑même) et l’assurance. Il est toutefois peu probable que ces dépenses aient pu excéder leur revenu, même si, pendant une période particulièrement creuse où il n’y a que quelques clients, voire aucun, un faible risque était possible. En cas de rappel au travail, s’il n’y avait aucun client, le travailleur n’était pas rémunéré.

 

[30]    Par contre, la possibilité d’un risque découlant d’un préjudice était très réelle. Les témoins ont expliqué le danger potentiel qu’il peut y avoir à traiter une femme enceinte ou une personne ayant eu de quelconques troubles de santé antérieurs. Les conséquences peuvent être préjudiciables jusqu’au point d’entraîner la mort. C’est pour cette raison que les travailleurs étaient tenus par leur ordre professionnel de détenir une assurance. Vida ne défrayait pas les travailleurs de cette dépense. Les travailleurs devaient l’assumer eux‑mêmes.

 

[31]    Enfin, la possibilité de perdre Vida en tant que source de revenu était aussi très réelle. Il n’y avait aucune sécurité d’emploi. Le contrat pouvait être résilié sur préavis de deux semaines pour n’importe quelle raison, sans aucune rémunération. À mon avis, ces circonstances sont assimilables à l’acceptation d’un risque de perte important, lequel est compatible avec la situation d’une personne qui exploite une entreprise pour son propre compte.

 

[32]    Après avoir examiné les facteurs traditionnels à la lumière de la compréhension qu’ont les parties de la nature de leur contrat, je suis convaincu que celui‑ci reflète fidèlement la relation juridique à laquelle un contrat d’entreprise donne naissance. Les travailleurs avaient l’intention d’être, et ils étaient, des entrepreneurs indépendants.

 

[33]    Les appels sont accueillis et sont renvoyés au ministre compte tenu du fait que les travailleurs étaient des entrepreneurs indépendants et non des personnes qui exerçaient un emploi assurable ou ouvrant droit à pension.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour d’octobre 2006.

 

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour d’août 2007

 

Johanne Brassard, trad. a.


RÉFÉRENCE :                                  2006CCI534

 

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :          2005-1677(EI), 2005-1678(CPP)

                                                          2005-1680(EI), 2005-1681(CPP)

                                                          2005-1682(EI), 2005-1683(CPP)

                                                          2005-1695(EI), 2005-1696(CPP)

                                                          2005-1697(EI), 2005-1698(CPP)

                                                          2005-1699(EI), 2005-1701(CPP)

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Vida Wellness Corporation DBA Vida Wellness Spa c. M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 13 et 14 septembre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge Campbell J. Miller

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 2 octobre 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Timothy W. Clarke

Avocat de l’intimé :

Me John Gibb-Carsley

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                             Me Timothy W. Clarke

 

                   Cabinet :                         Bull, Housser & Tupper LLP

 

       Pour l’intimé :                             John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           [2006] A.C.F. no 339 (C.A.F.).

[2]           (2001), 204 DLR (4th) 542 (C.S.C).

[3]           Pièce A-1, onglet 25.

[4]           [2002] A.C.F. no 375 (C.A.F.).

[5]           1987 DTC 5025 (C.A.F.).

[6]           Paragraphes 117 et 119.

[7]           Paragraphe 123.

[8]           Paragraphe 57.

[9]           Paragraphe 60.

[10]          Paragraphes 66 et 67.

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