Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossier : 2006­3858(IT)G

ENTRE :

KATO KRAUSS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus les 26 et 27 mars 2009, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L'honorable juge C.H. McArthur

 

Comparutions :

 

Avocats de l'appelante :

Me Colin Campbell

Me Brent Pidborochynski

Avocate de l'intimée :

Me Jenny Mboutsiadis

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Attendu qu’à l’ouverture de l'audience, l'appelante s'est désistée de l'appel qu'elle avait interjeté pour l'année d'imposition 1993;

 

          Les appels des nouvelles cotisations établies en application de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 sont rejetés avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de novembre 2009.

 

 

« C.H. McArthur »

Juge McArthur

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mars 2010.

 

François Brunet, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 597

Date : 20091119

Dossier : 2006­3858(IT)G

ENTRE :

KATO KRAUSS,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge McArthur

 

[1]     La cour est saisie d'appels interjetés de nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre ») pour les années d'imposition 1992 et 1994 pour Mme Krauss. L'appelante s'est désistée de l'appel qu'elle avait formé à l'égard de l'année d'imposition 1993.

 

[2]     Mme Krauss est une survivante de l'Holocauste âgée de 82 ans; elle est citoyenne canadienne depuis les années 1950. Elle n'a pas comparu à l'audience. Le seul témoin était son fils, Larry Krauss (« Larry »), qui gère les affaires de l'appelante depuis bien des années. Larry est un avocat fiscaliste chevronné, un gestionnaire et promoteur immobilier[1], à Toronto et ailleurs. Il a fait appel à son expertise juridique fiscale afin d'organiser de manière audacieuse les finances de sa mère présentant des faits et des questions complexes.

 

[3]     Parmi les questions en litige, il y a notamment les questions suivantes :

 

(i)      Les appels doivent-ils être rejetés au motif que l'appelante n'était pas personnellement présente à l'instruction?

 

(ii)      La perte de 70 831 $ résultant de la disposition de la propriété située au 5 175, rue Yonge, en 1992, constituait‑elle une perte en capital ou une perte d’une autre nature?

 

(iii)     La réduction de commission de 24 906 $ accordée par la coentreprise Brewers constitue‑t‑elle une dépense déductible pour l'appelante, en 1992, aux termes de l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu?

 

(iv)     L'attribution d'un revenu de 63 360 $, en 1994, de la société de personnes Krauss en faveur de l'appelante, était‑elle appropriée?

 

[4]     J'ai autorisé Larry à témoigner pour le compte de sa mère, et ce, malgré les objections de l'avocate de l'intimée. Celle-ci a cité une décision récente, Luciano c. La Reine[2], où l'appel avait été rejeté pour défaut de poursuite et retard. Par contre, la présente cause a été défendue d'une façon énergique par l'entremise du fils et des avocats de l'appelante. Si les présents appels étaient rejetés au motif que l'appelante n'a pas comparu et qu'elle ne pouvait peut‑être pas comparaître, cela constituerait un grave déni de justice. Le fils et les avocats de l'appelante étaient sans doute les personnes les plus compétentes pour intervenir dans les présents appels. La lecture d'une partie de la transcription de l'interrogatoire préalable de l'appelante montre que celle‑ci est probablement une excellente gestionnaire d'immeuble, mais la planification fiscale et successorale fort complexe présentée surpassait non seulement ses compétences, mais aussi celles de toute personne ne travaillant pas dans le domaine fiscal.

 

[5]     En résumé, le paragraphe 30(1) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) (les « Règles ») et le paragraphe 17.1(1) de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, auxquels vient s'ajouter le paragraphe 140(1) des Règles, autorisent clairement le contribuable à « comparaître » par l'entremise d'un avocat.

 

(ii)      Le 5175, rue Yonge (année d'imposition 1992)

 

[6]     J'examinerai un ensemble de faits et une question à la fois, en commençant par le 5175, rue Yonge. En résumé, l'appelante a acheté, en 1987, un droit en participation sur une partie d'un immeuble au montant de 163 921 $, et elle l’a vendu en 1992, pour la somme de 93 090 $. Il faut rechercher si cette perte était imputable au capital ou au revenu.

 

[7]     Plus précisément, l'appelante a acquis une participation de 20 p. 100 dans l'immeuble au mois de juin 1987, avec Larry, qui a acquis une participation de 40 p. 100, et George Halasi, qui a acquis le reste (40 p. 100), indirectement par l'entremise d'une société. Le bâtiment était composé d'un local commercial au rez‑de‑chaussée et d'au moins deux logements à l'étage supérieur. Le vendeur exploitait une quincaillerie dans le local commercial; il a continué à occuper le local à titre de locataire jusqu'en 1989. Larry a témoigné que la propriété avait été acquise dans le but de rassembler toutes les propriétés situées dans le même pâté de maisons aux fins de l'aménagement du pâté dans son ensemble. Au mois de janvier 1992, lorsque les valeurs immobilières ont chuté au cours de la récession du début des années 1990, l'appelante a vendu sa participation à la société Kraussco Investments Limited (Kraussco)[3], laquelle devait prendre en charge sa part de l'hypothèque (20 p. 100), dont le montant s'élevait à 93 090 $ au moment de la disposition.

 

[8]     Entre l'année 1989 et la date à laquelle le 5175, rue Yonge, a fait l'objet d'une disposition, le local commercial était loué à court terme à divers locataires. La propriété n'a jamais été rentable. Larry a expliqué que le prix d'achat initial qui avait été payé pour la propriété correspondait à sa valeur aux fins de l'aménagement, de sorte que les versements se rapportant aux intérêts hypothécaires étaient supérieurs aux loyers que la propriété pouvait générer avant d'être aménagée. Je ne doute pas que la propriété a été acquise à des fins d'aménagement, mais l'appelante a demandé chaque année des déductions au titre du capital, et ce, jusqu'à la disposition. Étant donné la planification fiscale audacieuse dans son ensemble, cela n'est pas surprenant.

 

[9]     Compte tenu de la thèse qu'elle soutient, l'appelante affirme maintenant que les déductions pour amortissement ont été demandées par erreur. Lors de la disposition, la fraction non amortie du coût en capital de la propriété s'élevait à 163 921 $, d'où une perte de 70 831 $. La part du coût initial de la propriété, pour l'appelante, s'élevait à 186 500 $, ce qui aurait donné lieu à une perte de 93 410 $ si aucune déduction pour amortissement n'avait été demandée. L'appelante possède encore indirectement une participation dans le 5 175, rue Yonge, par l'entremise de Kraussco. Larry a témoigné que les autres propriétés situées dans le pâté de maisons ont récemment été acquises, ou doivent bientôt l'être, de sorte que toutes les propriétés situées dans ce pâté de maisons sont maintenant rassemblées à des fins d'aménagement. L'appelante a disposé de la propriété en faveur de Kraussco uniquement afin d’encourir une perte fiscale. La question de savoir si la perte est imputable au revenu ou au capital est principalement une question de fait. Comme il en a été fait mention, je retiens le témoignage de Larry lorsqu'il déclare que sa mère avait une compréhension limitée des faits, que c'était lui qui avait pris la plupart des décisions pertinentes pour le compte de celle‑ci et qu'il est celui qui est le mieux placé pour produire la preuve.

 

[10]De toute évidence, le 5175, rue Yonge a été acquis en vue d'être aménagé une fois que les propriétés adjacentes auraient été acquises, de sorte qu'il pourrait constituer un élément d'inventaire ou une immobilisation, selon l'intention, une fois que tout le pâté de maisons aurait été prêt à être aménagé ou aurait de fait été aménagé. Si l'appelante voulait louer la propriété à long terme, la propriété peut être traitée comme une immobilisation, mais, si l'appelante voulait revendre rapidement la propriété une fois aménagée, il s'agit d'un élément de l'inventaire. Pour les motifs énoncés ci‑dessous, je crois qu'au moment de la disposition, l'appelante avait une immobilisation entre ses mains.

 

[11]La question de savoir si un contribuable possède un bien faisant partie de l'inventaire ou une immobilisation est principalement tranchée au moment de la disposition. Une fois que la propriété a fait l'objet d'une disposition, toutes les opérations y afférentes sont pertinentes quant à la question de savoir si le contribuable était un négociant ou un investisseur. La vente en faveur de la société a en fait mis fin aux opérations effectuées par l'appelante à l'égard du 5175, rue Yonge, et l’on peut rechercher si la propriété faisait partie de l'inventaire ou s'il s'agissait d'une immobilisation avec les éléments de preuve entre les années 1987 et 1992. Les intentions de l'appelante à long terme ne sont pas concluantes, puisque celle‑ci possède encore indirectement l'immeuble par l'entremise de Kraussco. D'une façon ou d'une autre, il convient de conclure que la vente constituait une disposition imputable au capital.

 

[12]Le seul élément de preuve concernant l'utilisation du 5175, rue Yonge, entre le mois de juin 1987 et le mois de janvier 1992, est que l'immeuble était loué, soit une utilisation compatible avec le fait qu'une immobilisation est en cause. La disposition ne constituait pas une revente rapide d'un élément de l'inventaire, puisque l'immeuble était conservé par l'entremise d'une société possédée à cent pour cent. Somme toute, la preuve objective de l'utilisation de l'immeuble, lorsque l'appelante en était directement propriétaire à 20 p. 100, tend à indiquer que la vente était imputable au capital.

 

[13]  On n’a pas vendu la propriété en tant qu'élément de l'inventaire, mais afin de donner lieu à une perte fiscale. L'appelante avait l'habitude de conserver des biens locatifs, comme le montre le fait qu'elle a conservé et géré des maisons en rangée initialement achetées par son mari (maintenant décédé), il y a bien des années. Étant donné qu'en procédant à la disposition, l'appelante avait l'intention de conserver le 5175, rue Yonge, tant qu'il n'en serait pas finalement disposé à l'avenir, il n’y avait pas d’intention de conclure une opération à l'égard d'un bien faisant partie de l'inventaire. La perte qui a été subie est imputable au capital et, artificiellement créée, elle est nulle selon le sous‑alinéa 40(2)g)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »), lequel dispose notamment, aux fins qui nous occupent :

 

      40(2)    Malgré le paragraphe (1) :

 

a)         le sous-alinéa (1)a)(iii) n'autorise pas le contribuable à demander la déduction d'un montant en vertu de ce sous‑alinéa dans le calcul d'un gain pour une année d'imposition dans l'un ou l'autre des cas suivants :

 

b)         […]

 

g)         est nulle la perte subie par un contribuable et résultant de la disposition d'un bien, dans la mesure où elle est :

 

(i)                  une perte apparente,

(ii)                […]

 

Nul doute qu’il y a perte apparente. Lorsque l'appelante était directement ou indirectement propriétaire de l'immeuble, elle l'a uniquement utilisé afin de le louer à des locataires, quoique à perte. À ce jour, la propriété a uniquement été utilisée à titre d'immobilisation.

 

[14]Enfin, la logique confirme également cette conclusion. L'appelante s'est contentée de changer la forme du droit de propriété en procédant à une disposition en faveur de Kraussco. L'intention de l'appelante, avant la disposition du 5175, rue Yonge, était peut‑être bien la même que celle de Kraussco après la disposition (intention qui aurait de toute façon comme origine l'âme dirigeante en ce qui concerne l'appelante). Il ne s'agissait pas d'une affaire à caractère commercial. L'appel interjeté par l'appelante, pour ce qui est de la déduction d'un montant de 70 831 $ au titre d'une perte d'entreprise, est rejeté.

 

(iii) La coentreprise Brewers

 

[15]La coentreprise Brewers était l'un des promoteurs d'un projet d'immeuble en copropriété, au 2727, rue Yonge, dans le secteur Lawrence Park de Toronto. La société en commandite Yonge‑Blythwood a été constituée en vue de réaliser ce projet. Toutefois, afin de se conformer aux exigences du droit des sûretés de l'Ontario concernant la vente d'unités condominiales, il fallait avoir recours aux services d'un courtier sur le marché des valeurs dispensées. On a retenu à cette fin les services d'Elkay Consultants Inc., courtier sur le marché des valeurs dispensées possédé à cent pour cent et géré par Larry. Elkay devait commercialiser au grand public les parts de la société en commandite Blythwood et assurer certains autres services moyennant le versement d'une commission. Elkay a sous‑traité la prestation des services de commercialisation à deux personnes, à savoir MM. Gilbert et Taub, moyennant le versement de frais correspondant aux frais qui devaient lui être versés pour ces services.

 

[16]Les faits sont complexes. En termes fort simples, en 1990, l'appelante a inclus un montant de 70 091 $ dans son revenu au titre de sa part d'un compte client à l'égard des services de commercialisation fournis à la société en commandite Blythwood. En 1992, ce compte client a été réduit d'un montant de 24 906 $. Le ministre a refusé la déduction demandée, au montant de 24 906 $, au cours de l'année d'imposition 1992 de l'appelante au motif que cette dépense n’avait pas été engagée en vue de gagner un revenu.

 

[17]L'appelante déclare que la somme à recouvrer au cours de l'année d'imposition 1990 à l'égard des services de commercialisation assurés à la société en commandite Blythwood était un revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien et qu'elle pouvait à juste titre déduire la réduction, au cours de l'année d'imposition 1992, d'une partie de cette somme dans le calcul de son revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien au cours de cette année d'imposition.

 

[18]L'intimée soutient que ni la coentreprise ni l'appelante n'ont assuré de services à la société en commandite Blythwood et que la société en commandite Blythwood ne leur devait pas rien non plus. Tout paiement, le cas échéant, devait être effectué en faveur d'Elkay Consultants. En outre, l'appelante a admis qu'elle avait passé tout son temps entre les années 1988 et 1994 à louer ses biens locatifs.

 

Analyse

 

[19]A peu de choses près, les faits sont constants et les parties n’ont cité aucune jurisprudence à l’appui de leurs thèses respectives, bien que les avocats de l'appelante aient affirmé qu'il existait [traduction] « une abondante jurisprudence » à l'appui de la thèse de leur cliente, mais sans renvoyer la Cour à ces décisions.

 

[20]En 1990, Elkay Consultants a cédé un compte client de 198 617 $ à la coentreprise Brewers, et cette année‑là, ce compte a été inclus dans le revenu des membres de la coentreprise Brewers. En 1992, lors du règlement du compte client, un montant d'environ 70 571 $ a été déduit et la coentreprise Brewers n’a en fait reçu qu’un montant de 128 046 $. Par conséquent, entre les années 1990 et 1992, les membres de la coentreprise Brewers ont constaté d'avance un revenu de 198 617 $, mais ils n’ont en fait reçu qu’un montant de 128 046 $.

 

[21]L'appelante possédait une participation de 35,29 p. 100 dans la coentreprise Brewers, alors que Larry possédait une participation de 46 p. 100.

 

[22]Contrairement à ce qui était le cas pour le 5175, rue Yonge, la question qui se pose en ce qui concerne la coentreprise Brewers ne dépend pas, de toute évidence, de l'intention de l'appelante. Quoi qu'il en soit, je suis d’avis que la coentreprise Brewers ou ses membres ne pouvaient pas déduire le montant de 70 571 $.

 

[23]Selon le témoignage de Larry, on a organisé Elkay Consultants en vue de satisfaire à la législation en matière de sûretés et de n'avoir aucun revenu imposable. En ce qui concerne le revenu de commission, cela a été accompli, comme je l'ai mentionné, au moyen d'ententes successives avec Yonge‑Blythwood et avec MM. Gilbert et Taub. En concluant les ententes l'une à la suite de l'autre, Elkay Consultants aurait compensé les montants à inclure par les déductions, de sorte qu'il n'y avait pas de revenu imposable.

 

[24]Toutefois, compte tenu du marché immobilier du début des années 1990, MM. Gilbert et Taub n'ont pas réussi à vendre toutes les parts de la société en commandite, de sorte qu'ils n'avaient plus droit à une partie de leur commission. Lorsque des parts ont été vendues à la coentreprise Brewers, Elkay Consultants a néanmoins eu le droit de recevoir certains frais de Yonge‑Blythwood. Afin de réduire à zéro son revenu imposable, Elkay Consultants a tenté de céder à la coentreprise Brewers les frais de commission à recouvrer.

 

[25]Aucun élément de preuve ne montre ou n’indique que la coentreprise Brewers a assuré des services aux fins du paiement par Elkay Consultants à titre de sous‑traitant, comme c'était le cas pour MM. Gilbert et Taub, ou de quelque autre façon. De fait, le témoignage de Larry et la preuve documentaire indiquent que le paiement en faveur de la coentreprise Brewers n'avait pas été effectué conformément à une entente formelle, mais qu'il était uniquement comptabilisé dans les livres de la coentreprise Brewers.

 

[26]Vu les éléments de preuve, il est certain que le compte client de 198 617 $ constituait un revenu pour Elkay Consultants, et non pour la coentreprise Brewers ou pour l'appelante. Il est sans aucun doute logique d'admettre la déduction de 70 571 $ en vue de maintenir la symétrie à l'égard du traitement par l'appelante du montant initial de 198 617 $, mais le ministre doit établir sa cotisation conformément à la loi. En d'autres termes, le ministre ne doit pas, et la Cour non plus, perpétuer une erreur au cours d'une année future afin d'arriver à un résultat compatible avec celui d'une année antérieure au cours de laquelle le contribuable a commis une erreur. Voir la décision Coastal Construction and Excavating Ltd. c. R.[4], dans laquelle le juge Bowman a fait les observations suivantes :

 

[] Le ministre est tenu d'établir la cotisation conformément à la loi. S'il établit une cotisation erronée à l'égard d'une année antérieure et que cette année devienne par la suite prescrite, il ne peut pas établir une nouvelle cotisation pour cette année-là. Cela ne l'empêche toutefois pas de corriger l'erreur dans une année qui n'est pas prescrite [...].

 

[27]Le bon résultat semblerait être le suivant : l'appelante ne devait pas inclure dans son revenu, en 1990, sa part du montant de 198 617 $ et Elkay Consultants devait inclure ce montant dans son revenu. Étant donné que l'appelante n'aurait jamais eu de montant à inclure en 1990, aucune déduction ne pouvait être faite en 1992 à l'égard de la réduction.

 

(iv)     Le montant à inclure dans le revenu provenant de la société de personnes

 

La société de personnes et le gel successoral

 

[28]La société de personnes a été créée le 31 décembre 1992, conformément à un contrat de société de personnes que Kraussco, Larry, l'appelante et la fiducie familiale Krauss avaient conclu en vue de procéder à un gel successoral, la croissance future afférente aux biens transférés à la société de personnes devant échoir aux bénéficiaires de la fiducie familiale Krauss.

 

[29]L'appelante et Larry ont chacun transféré et transmis à la société de personnes une part indivise de 50 p. 100 dans les propriétés situées aux 1421‑25 et 1429, rue Yonge, sur la base d'un report d'impôt, conformément au paragraphe 97(2) de la Loi. Pour l'application de ce paragraphe, les propriétés étaient assimilées à des immobilisations. La société de personnes a pris en charge toutes les dettes des auteurs du transfert à l'égard des propriétés.

 

[30]Ils se sont chacun vu émettre 1 252 000 parts rachetables de catégorie A, et un apport en capital de 1 252 000 $ représentant la juste valeur marchande des propriétés de la rue Yonge, à ce moment‑là, moins les dettes prises en charge, a été porté à leur crédit. Le contrat de société de personnes renfermait une clause de rajustement du prix à l'égard de la valeur de rachat des parts de catégorie A émises pour les propriétés de la rue Yonge, au cas où la juste valeur marchande des propriétés ferait l'objet d'une nouvelle détermination, entre autres, par le fisc.

 

[31]Kraussco et Larry ont également transféré à la société de personnes une participation dans Hudson Movers Co‑Tenancy moyennant un apport en capital respectif de 182 303 $ et de 233 722 $, et 182 303 et 233 722 parts remboursables de catégorie B ont été émises en leur faveur. Le contrat de société de personnes renfermait une clause de rajustement du prix similaire à l'égard de la valeur de rachat des parts de catégorie B détenues dans la propriété Hudson. Le 1er janvier 1993, Larry a transféré une participation additionnelle dans la propriété Hudson et 233 722 parts de catégorie B additionnelles ont été émises en sa faveur.

 

[32]Le 2 janvier 1993, la société de personnes a émis 100 parts de catégorie C en faveur de la fiducie familiale Krauss, moyennant une contrepartie en espèces de 100 $ payée par la fiducie. Les fonds provenaient de dons que des membres de la famille avaient consentis au fils aîné de Larry lors de son anniversaire, et non de l'appelante. Le rendement privilégié correspondait au taux de rendement commercial prévu des propriétés. Le revenu ou la perte afférents aux propriétés a été attribué au prorata aux détenteurs de parts.

 

[33]Au cours de l'année d'imposition 1994, les propriétés de la rue Yonge ont rapporté un montant de 343 431 $ à la société de personnes. Conformément au contrat de société de personnes, l'appelante et Larry ont obtenu un rendement de 108 355 $ sur leurs parts de catégorie A. Le solde de 126 721 $ a été attribué à la fiducie. En établissant la nouvelle cotisation, le ministre a ajouté au revenu de l'appelante 50 p. 100 du montant attribué à la fiducie, soit un montant de 63 360 $.

 

La thèse de l'intimée

 

[34]La société de personnes était fondamentalement structurée de façon qu'il y ait partage du revenu. L'intimée soutient que, compte tenu des apports en capital, l'appelante détient directement ou indirectement environ 50 p. 100 de la participation dans la société de personnes, parce qu'elle est également l'unique propriétaire de Kraussco.

 

[35]L'intimée soutient qu'étant donné que l'appelante avait investi 50 p. 100 du capital dans la société de personnes et qu'elle est responsable à 50 p. 100 de la conduite de la société de personnes conformément au contrat de société de personnes, c’est à bon droit que le ministre lui a attribué 50 p. 100 du revenu de la société de personnes. En outre, le gel successoral effectué au moyen d'une société fait l'objet d'un traitement fiscal différent aux termes de la Loi uniquement parce celle-ci le permet. Toutefois, aucune disposition de la Loi ne permet qu'un gel successoral soit effectué par l'entremise d'une société de personnes.

 

[36]L'intimée ajoute que les paragraphes 103(1) et 103(1.1) de la Loi visent à interdire le recours à des sociétés de personnes pour procéder à des gels successoraux. Elle invoque les paragraphes 103(1), 103(1.1) et 74.1(2) à l'appui de la décision du ministre de réattribuer le revenu de la société de personnes comme il l'a fait. Ces dispositions sont libellées comme suit :

 

103(1)              Lorsque les associés d'une société de personnes sont convenus de partager en proportions déterminées tout revenu ou perte de la société de personnes provenant d'une source donnée ou de sources situées dans un endroit déterminé ou tout autre montant qui se rapporte à une activité quelconque de la société de personnes et qui doit entrer en ligne de compte dans le calcul du revenu ou du revenu imposable de tout associé de cette société de personnes et lorsqu'il est raisonnable de considérer que cette convention a pour objet principal de réduire les impôts ou de différer le paiement des impôts qui auraient pu être ou devenir payables par ailleurs en vertu de la présente loi, la part du revenu ou de la perte, selon le cas, ou de l'autre montant, revenant à chaque associé de la société de personnes est le montant qui est raisonnable, compte tenu des circonstances, y compris les proportions dans lesquelles les associés sont convenus de partager les profits et les pertes de la société de personnes provenant d'autres sources ou de sources situées à d'autres endroits.

 

103(1.1)           Lorsque plusieurs associés d'une société de personnes qui ont, entre eux, un lien de dépendance conviennent de partager tout revenu ou toute perte de la société de personnes, ou tout autre montant qui se rapporte à une activité quelconque de la société de personnes, et qui doit entrer en ligne de compte dans le calcul du revenu ou du revenu imposable de ces associés et que la part du revenu, de la perte ou de cet autre montant revenant à l'un de ces associés n'est pas raisonnable dans les circonstances, compte tenu du capital qu'il a investi dans la société de personnes ou du travail qu'il a accompli pour elle ou de tout autre facteur pertinent, cette part est réputée, indépendamment de toute convention, être le montant qui est raisonnable dans les circonstances.

 

74.1(2)         Lorsqu'un particulier transfère ou prête un bien – directement ou indirectement, par le biais d'une fiducie ou par tout autre moyen – à une personne de moins de 18 ans qui a un lien de dépendance avec le particulier ou qui est le neveu ou la nièce du particulier ou au profit de cette personne (sauf un montant reçu à l'égard de cette personne par suite de l'application du paragraphe 122.61(1)), le revenu ou la perte de cette personne pour une année d'imposition provenant du bien ou d'un bien qui y est substitué et qui se rapporte à la période de l'année tout au long de laquelle le particulier réside au Canada est considéré comme un revenu ou une perte du particulier et non de cette personne, sauf si celle‑ci atteint l'âge de 18 ans avant la fin de l'année.

 

La thèse de l'appelante

 

[37]Le montant inclus dans le revenu de l'appelante a été calculé conformément au contrat de société de personnes et il a donc été à juste titre inclus dans le revenu de l'appelante conformément à l'alinéa 96(1)a) de la Loi. La participation de la fiducie dans la société de personnes a été acquise dans le cadre d'un gel successoral; or, une telle opération, si elle est effectuée d'une façon appropriée, ne fait pas jouer le paragraphe 103(1) ou le paragraphe 103(1.1), ou la règle d'attribution du paragraphe 74.1(2).

 

[38]L'émission de parts privilégiées de catégorie A et de catégorie B en faveur de l'appelante, de Larry et de Kraussco, correspondant à la juste valeur marchande des propriétés transférées, et l'émission de parts de « croissance » de catégorie C en faveur de la fiducie, moyennant une contrepartie symbolique, sont conformes à la Loi et, dans chaque cas, satisfaisaient aux exigences de l'intimée quant à une part gelée dans le cadre d'un gel successoral effectué au moyen d'une société, ou excédaient ces exigences, la seule différence étant ici que le gel a été effectué au moyen d'une société de personnes plutôt qu'au moyen d'une société.

 

[39]Selon l'appelante, le paragraphe 103(1) exige que la répartition du revenu entre les associés d'une société de personnes soit raisonnable, compte tenu des circonstances dans leur ensemble. L'appelante soutient, et cela constitue réellement le noeud de sa thèse, qu'étant donné que la juste valeur marchande des parts de catégorie A de la société de personnes qu'elle a reçues en échange de son droit afférent aux propriétés de la rue Yonge était égale à la juste valeur marchande de ce droit, elle n'a pas transféré de valeur à la fiducie ou à quelque autre personne, et que la répartition du revenu de la société de personnes prévue lors de sa création était raisonnable, compte tenu des circonstances. L'appelante soutient en outre que, selon le même raisonnement, d'autres dispositions anti‑évitement comme les paragraphes 103(1.1) et 74.1(2) ne doivent pas jouer.

 

[40]Selon l'appelante, la clause de rajustement du prix figurant dans le contrat de société de personnes garantissait qu'en cas de contestation, la valeur des parts de catégorie A correspondrait à la juste valeur marchande des propriétés au moment de leur transfert. L'intimée n'a pas émis d'hypothèse au sujet de l'évaluation des propriétés et aucune cotisation n'a été établie sur la base du mécanisme de rajustement du prix prévu dans le contrat de société de personnes, de sorte que l'appelante s'est acquittée de la charge de la preuve qui lui incombe à l'égard d'une telle évaluation.

 

[41]La thèse de l'appelante est essentiellement que l'opération sous‑jacente de gel successoral ne constitue pas un abus aux termes de la politique de cotisation de l'intimée. La mission de la Cour en l’espèce n'est pas de rechercher s'il y a eu abus dans l'application de la Loi, mais de rechercher si les dispositions techniques de la Loi ont été respectées.

 

[42]Je suis d’avis que si l’on fait abstraction de toute cette rhétorique, la Cour doit simplement rechercher si la part de l'appelante, en 1994, était « raisonnable dans les circonstances », au sens du paragraphe 103(1.1). Si la réponse est négative, « cette part est réputée [...] être le montant qui est raisonnable » (paragraphe 103(1.1).

 

[43]Je pars de la prémisse selon laquelle une société de personnes, si elle est structurée de manière appropriée, peut remplacer la société qui est habituellement utilisée dans un gel successoral. Je conclus que la société de personnes Krauss s'écarte du gel successoral habituel pour ce qui est du rachat des parts privilégiées et de la répartition des pertes. Je mettrai cette question de côté et j'examinerai maintenant la question du montant approprié du revenu de l'appelante. Le traitement des pertes de la société de personnes constitue un second facteur distinctif.

 

[44]Fondamentalement, les paragraphes 64 et 65 du contrat de société de personnes disposent que toutes les pertes relatives aux propriétés situées aux 1421‑29, rue Yonge doivent être attribuées aux parts de catégorie A, et ce, peu importe le moment auquel ces pertes ont été subies et peu importe si le revenu avait déjà été attribué aux parts de catégorie C. En outre, les parts de catégorie A doivent financer les besoins en trésorerie à l'égard de l'exploitation continue des propriétés situées aux 1421‑29, rue Yonge. Cette exigence en particulier n'est pas conforme au gel successoral habituel s'il est par ailleurs tenu compte du fait que l'appelante ne pouvait pas unilatéralement demander le rachat de ses parts de catégorie A. Si Larry ne voulait pas coopérer, l'appelante pouvait être tenue d'effectuer un apport en capital additionnel en faveur de la société de personnes Krauss sans pouvoir choisir de ne pas le faire en exigeant un rachat. En outre, il semble que l'attribution du revenu à l'appelante et son droit aux montants distribués continueraient à être les mêmes à la suite d'un tel apport en capital.

 

[45]Ces différences, par rapport au gel successoral habituel, entraînent directement la réduction de la valeur de la part de la société en commandite que l'appelante détenait dans la société de personnes Krauss. Or, cela n'est pas compatible avec l'égalité entre la valeur de rachat unitaire de un dollar et la juste valeur marchande des propriétés situées aux 1421‑29, rue Yonge, au moment de l'apport. Tout rachat appelle un vote conjoint de la part de l'appelante et de Larry.

 

[46]Le traitement des pertes de la société de personnes constitue le second élément distinctif de la société de personnes Krauss par rapport au gel successoral habituel. Les avocats de l'appelante ont mis l'accent sur la clause de rajustement selon laquelle la valeur de rachat des parts de catégorie A est rajustée rétroactivement en vue de correspondre à toute révision de la juste valeur marchande des propriétés situées aux 1421‑29, rue Yonge. Le passage pertinent de cette clause du contrat de société de personnes stipule que :

[traduction]

[…] au cas où, à un moment donné dans l'avenir, le ministre du Revenu national, tout représentant dûment autorisé de Revenu Canada (Impôt), toute autorité fiscale provinciale, tout tribunal ayant la compétence voulue, ou les parties elles‑mêmes feraient une détermination à laquelle les parties consentent ou à l'égard de laquelle il n'existe pas d'autre droit de faire opposition ou d'en appeler, détermination selon laquelle la juste valeur marchande des [propriétés situées aux 1421‑29, rue Yonge] [...] obtenue par la société de personnes en contrepartie de l'émission des parts de catégorie A est supérieure ou inférieure à la somme obtenue lorsque le nombre de parts de catégorie A émises en contrepartie des [propriétés situées aux 1421‑29, rue Yonge] est multiplié par le prix de rachat des parts de catégorie A, le prix de rachat des parts de catégorie A sera rajusté nunc pro tunc [...] de façon que le nombre de parts de catégorie A émises en contrepartie des [propriétés situées aux 1421‑29, rue Yonge] multiplié par le prix de rachat rajusté des parts de catégorie A soit égal à la juste valeur marchande des [propriétés situées aux 1421‑29, rue Yonge] [...]

 

[47]Cette clause de rajustement du prix comporte un mécanisme par lequel, au moyen de rajustements, le prix de rachat des parts de catégorie A est égal à la juste valeur marchande des propriétés situées aux 1421‑29, rue Yonge au moment de leur apport à la société de personnes Krauss. Même si l'on suppose que le prix de rachat des parts de catégorie A est égal à la juste valeur marchande des propriétés situées aux 1421‑29, rue Yonge au moment de l'apport, ou que la clause de rajustement du prix permet d'accomplir ce qu'elle devait accomplir, la juste valeur marchande des parts de catégorie A ne sera pas égale à la juste valeur marchande des propriétés situées aux 1421‑29, rue Yonge, si l'absence de rachat unilatéral et les besoins futurs en capital modifient la valeur des parts de catégorie A.

 

[48]La société de personnes ne reproduisait pas les éléments économiques du gel successoral habituel. Il existe une faille plus fondamentale dans la planification fiscale par laquelle on a cherché au cours d'une année à transmettre à un associé dont l'apport s'élevait à 100 $ seulement un montant de 126 721 $ au titre du revenu.

 

[49]Le paragraphe 74.1(2) stipule en résumé que (i) lorsqu'un particulier transfère un bien directement ou indirectement par le biais d'une fiducie ou par tout autre moyen; et (ii) que le bénéficiaire du transfert ou le débiteur est une personne de moins de 18 ans qui a un lien de dépendance avec le particulier, l'auteur du transfert se voit en général attribuer le revenu ou la perte provenant du bien transféré (ou d'un bien qui y est substitué) tant que la personne n'a pas atteint l'âge de 18 ans.

 

[50]Les bénéficiaires de la fiducie familiale Krauss sont la femme de Larry et ses deux enfants, nés en 1992 et en 1994. L'intimée ne pouvait se fonder sur le paragraphe 74.1(1) de la Loi afin de procéder à une attribution de la femme de Larry en faveur de l'appelante. Au mieux, le paragraphe 74.1(2) vise la part de l'appelante correspondant aux deux tiers du revenu attribué à la fiducie familiale Krauss.

 

[51]Dans l’affaire Romkey et al. c. The Queen[5], où les faits étaient semblables aux faits ici en cause, la Cour d'appel fédérale a interprété comme suit le paragraphe 74.1(2) de la Loi :

Il me semble que, en faisant en sorte que des actions de catégorie " B " soient émises aux fiducies, les appelants se sont effectivement départis de leur droit de recevoir une plus grande part des dividendes futurs déclarés et versés par la société. Comme l'a déclaré le juge Linden [...] :

            Par ce transfert de bien à sa femme, le contribuable s'est départi de certains droits de recevoir des dividendes, si des dividendes étaient déclarés. Ainsi, lorsque les dividendes ont été distribués à sa femme en 1982, il s'agissait d'un revenu qui provenait du bien transféré et qui était à juste titre attribuable au contribuable[6].

 

Cette observation est directement pertinente en l’espèce. En ce qui concerne les propriétés situées aux 1421‑29, rue Yonge, l'appelante a renoncé à son droit de recevoir une fraction plus importante de tout revenu de location ou autre revenu futur, en sus du rendement privilégié des parts de catégorie A.

 

[52]La fiducie familiale Krauss a versé environ 100 $ afin d'obtenir le droit à tout revenu tiré des propriétés situées aux 1421‑29, rue Yonge, en sus des rendements privilégiés des parts de catégorie A et B. Les actions ordinaires n'ont aucune valeur au moment de leur émission, étant donné que les actions privilégiées ont une valeur fixe égale à la totalité des actifs du véhicule utilisé aux fins du gel à ce moment‑là; tel est, de manière générale, le fondement du gel successoral. Les parts de catégorie C n'avaient pas de valeur symbolique lors de leur émission, parce qu'elles comportaient des droits ayant une certaine valeur, à savoir le droit de participer au revenu et l'absence d'obligation de supporter les pertes. Ces droits ont été transférés avant que les détenteurs de parts de catégorie C soient admis.

 

[53]L'appelante cite une décision rendue par la Cour de justice de l'Ontario[7] dans en matière de droit de la famille à l'appui de la thèse selon laquelle aucun don n'est consenti dans le cas d'un gel successoral. En l’espèce, la fiducie familiale a obtenu des droits afférents au revenu en 1994, revenu qui s'est finalement élevé à 126 721 $, en échange d'un apport en capital de 100 $ effectué le 2 janvier 1993. La juste valeur marchande des parts de catégorie C n'était pas symbolique.

 

[54]Le fait que le revenu attribué aux parts de catégorie C provenait éventuellement d'un paiement de résiliation du bail plutôt que de loyers ne change rien à cette conclusion. En échange de 100 $, les parts de catégorie C comportaient néanmoins des droits sur tout le revenu tiré des propriétés situées aux 1421‑29, rue Yonge, en sus du rendement privilégié payable à l'égard des parts de catégorie A. Des paiements sont fréquemment effectués à la fin d'un bail se rapportant à un magasin de détail, rue Yonge, à Toronto; de tels paiements ont une certaine valeur.

 

[55]Ce qui est unique, en ce qui concerne la tentative qui a été faite pour établir un gel successoral au moyen d'une société de personnes, c'est que le paragraphe 103(1.1) de la Loi attribue la part revenant à l'appelante du revenu attribué à la fiducie familiale Krauss à l'égard de la femme de Larry. Cette disposition attribuerait également le revenu attribué à l'égard des enfants de Larry, empiétant ainsi sur l'application du paragraphe 74.1(2) de la Loi dans le contexte de la société de personnes.

 

[56]Le paragraphe 103(1.1) comporte notamment les éléments suivants : (i) les associés d'une société de personnes ont entre eux un lien de dépendance; (ii) les associés conviennent de partager le revenu ou les pertes; (iii) le montant revenant à un associé n'est pas raisonnable dans les circonstances, compte tenu du capital qu'il a investi dans la société de personnes ou du travail qu'il a accompli pour la société de personnes. S'il n'est pas satisfait aux dispositions du paragraphe 103(1.1) de la Loi et que la part du revenu, de la perte ou de tout autre montant revenant à l'un de ces associés n'est pas raisonnable, cette part est réputée être le montant qui est raisonnable dans les circonstances.

 

[57]L'appelante n’élève aucune contestation quant aux deux premiers éléments. Elle fait valoir à cet égard que la valeur des parts de catégorie A qu'elle a reçues était égale à la juste valeur marchande de sa part des propriétés situées aux 1421‑29, rue Yonge, et, au regard de la clause de rajustement du prix, elle soutient que le montant attribué à la fiducie familiale Krauss doit être raisonnable dans les circonstances[8]. Comme cela a été mentionné plus haut, l'absence de possibilité unilatérale de rachat de la part de l'appelante et les besoins en capital futurs des détenteurs de parts de catégorie A auraient influé d'une façon défavorable sur la valeur des parts de catégorie A. Cependant, telle n'est pas, de toute évidence, la question. En ce qui concerne le paragraphe 103(1.1) de la Loi, il faut rechercher si la part d'« un » associé de la société de personnes est déraisonnable. Les parts de catégorie C ont été émises en échange d'un montant de 100 $, soit 0,000034 p. 100 du capital de la société de personnes Krauss. En outre, aucun élément de preuve n’indique que la fiducie familiale Krauss ait oeuvré au service de la société de personnes Krauss. En 1994, les parts de catégorie C se sont vu attribuer un montant de 126 721 $, ce qui représente un rendement annuel de 126 721 p. 100 sur le placement pour l'année d'imposition 1994. De plus, comme cela a été mentionné plus haut, les parts de catégorie C étaient entièrement protégées contre toute baisse. Bref, un placement immobilier qui ne comporte aucun risque de perte et dont le rendement est de 126 721 p. 100 est tout à fait déraisonnable. Il est illusoire au point d'être absurde et révèle quelque chose de plus qu'une planification fiscale audacieuse. On peut même se demander comment de tels faits ont pu donner lieu à un contentieux. A supposer qu’une jurisprudence soit nécessaire pour soutenir qu’une attribution constituant un taux de rendement sans risque de 126 721 p. 100 est déraisonnable, il est possible de signaler la décision Zalesky c. The Queen[9], laquelle enseigne que l'obligation de supporter des pertes peut justifier une majoration du montant attribué. En l'espèce, même après s'être vu attribuer un revenu pendant des années, la fiducie familiale Krauss n'aurait jamais à supporter des pertes. Par conséquent, les seuls facteurs qui pourraient justifier une attribution en faveur de la fiducie familiale Krauss sont les apports en capital que celle‑ci a effectués et les services qu'elle a assurés. Or, il n'y avait aucun apport en capital et aucun service. En outre, la jurisprudence Fillion c. The Queen[10] enseigne que la « raisonnabilité » pour l'application du paragraphe 103(1.1) de la Loi exige tout au moins que les montants attribués correspondent à la réalité. En l’espèce, il n'était tout simplement pas réaliste d'attribuer un montant de 126 721 $ à la fiducie familiale Krauss environ deux ans après qu'elle eut effectué un apport de 100 $.

 

[58]Les avocats de l'appelante ont axé leur argumentation sur des articles de doctrine dans lesquels des réflexions étaient faites au sujet de la possibilité de procéder à un gel successoral par l'entremise d'une société de personnes. Si on s'était concentré sur les faits de la présente espèce, et peut‑être sur les dispositions uniques en leur genre qui visent les sociétés de personnes, il est à supposer que l'appelante aurait réduit ses pertes à un stade antérieur du processus. Il n'est pas nécessaire de rechercher si un gel successoral peut être effectué au moyen d'une société de personnes en théorie. Je suis d’avis que, dans la mesure où il est possible de procéder à un gel successoral par l'entremise d'une société, un gel successoral peut être effectué au moyen d'une société de personnes si les mêmes éléments économiques peuvent être reproduits au moyen d'une société de personnes.

 

[59]En conclusion, aux termes du paragraphe 74.1(2) de la Loi, les droits de la fiducie familiale Krauss à un revenu tiré des propriétés situées aux 1421‑29, rue Yonge, découlent d'un transfert effectué par l'appelante et par M. Krauss (qui ont chacun transféré 50 p. 100 de ces droits). Le revenu généré par la partie des droits transférés au profit des deux enfants bénéficiaires de la fiducie familiale Krauss est attribué à l'appelante. L'apport en capital de 100 $ effectué par la fiducie familiale Krauss est trop peu élevé pour qu'il en soit tenu compte. Cela représente 50 p. 100 du revenu attribué à la fiducie familiale Krauss multiplié par la part des deux enfants bénéficiaires dans la fiducie.

 

[60]De plus, le montant attribué à la fiducie familiale Krauss aux termes du contrat de la société de personnes Krauss n'était pas raisonnable dans les circonstances. Aux termes du paragraphe 103(1.1) de la Loi, en ce qui concerne le revenu se rapportant aux propriétés situées aux 1421‑29, rue Yonge, il faut attribuer aux parts de catégorie A leur part au prorata du revenu qui est réputé être attribué aux parts de catégorie C aux termes du contrat de la société de personnes Krauss. Toute autre répartition pourrait réduire l'avoir de l'appelante et est contraire au gel successoral habituel.

 

[61]Par ces motifs, les appels sont rejetés avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de novembre 2009.

 

 

« C.H. McArthur »

Juge McArthur

Traduction certifiée conforme

ce 31 jour de mars 2010.

 

François Brunet, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 597

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2006­3858(IT)G

 

INTITULÉ :                                       KATO KRAUSS

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 26 et 27 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable C.H. McArthur

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 19 novembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

 

Avocats de l'appelante :

Me Colin Campbell

Me Brent Pidborochynski

Avocate de l'intimée :

Me Jenny Mboutsiadis

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                             Colin Campbell

                                                          Brent Pidborochynski

 

                   Cabinet :                         Davies Ward Phillips Vineberg LLP

                                                          Toronto (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 



[1]           Il a mis sur pied des montages d’investissements comportant des avantages fiscaux pour lui‑même ainsi que pour d'autres personnes, par l'entremise de Syndicat Management Inc., qui gère des immeubles d'une superficie globale d'environ 2,5 millions pieds carrés.

 

[2]           2007 CCI 230.

 

[3]           Larry a également vendu à une société qu'il possédait à cent pour cent la participation de 40 p. 100 qu'il avait dans la propriété située au 5175, rue Yonge, en même temps que l'appelante ou à peu près en même temps que l'appelante.

 

[4]           [1996] 3 C.T.C. 2845 (C.C.I.).

[5]           2000 DTC 6047 (C.A.F.), confirmant 97 DTC 719 (C.C.I.).

 

[6]           Ibid., paragraphe 21, citant The Queen c. Kieboom, 92 DTC 6382 (C.A.F.).

 

[7]           Karakatsanis c. Gerogiou, (1991), 33 R.F.L. (3d) 263 (Div. gén. Ont.).

 

[8]           Argumentation écrite de l'appelante, paragraphe 4.16.

 

[9]           [2000] 4 C.T.C. 2126 (C.C.I.).

 

[10]          2004 DTC 2667.

 

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