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Dossier : 2008-3908(IT)I

ENTRE :

EDWARD PYTEL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 12 août 2009, à Edmonton (Alberta).

 

Devant : L’honorable juge en chef Gerald J. Rip

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Gregory PERLINSKI

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2005 est accueilli et la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que l’appelant a droit à la déduction des dépenses qu’il a supportées en gagnant un revenu d’entreprise au cours de l’année d’imposition 2005.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de décembre 2009.

 

 

« Gerald J. Rip »

Juge en chef Rip

 

Traduction certifiée conforme

ce 8e jours de mars 2010.

 

Marie­Christine Gervais, traductrice

 


 

 

 

 

Référence : 2009 CCI 615

Date : 20091211

Dossier : 2008-3908(IT)I

ENTRE :

EDWARD PYTEL,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge en chef Rip

 

[1]              Edward Pytel a interjeté appel de la cotisation d’impôt établie à son égard pour son année 2005 en se fondant sur le fait qu’il a le droit de déduire les dépenses qu’il a supportées en gagnant un revenu d’entreprise.

 

[2]              M. Pytel a déclaré être « tireur de joints » et travailler à titre d’entrepreneur indépendant. Il n’a pas de formation dans les affaires. Il a complété sa dixième année et il a fréquenté une école de métiers.

 

[3]              Ed Tel Taping Ltd. (« Ed Tel ») est une société dont M. Pytel est l’unique actionnaire, administrateur et dirigeant. M. Pytel a témoigné qu’Ed Ted lui sous‑traite son travail.

 

[4]              Au cours des années antérieures à l’année 2008, M. Pytel avait retenu les services de Big Red Income Tax Accounting (« Big Red ») afin de préparer les états financiers et les déclarations de revenus d’Ed Tel. Big Red a également préparé les déclarations de revenus personnelles de M. Pytel pour l’année 2005 et pour les années d’imposition antérieures.

 

[5]              La déclaration de revenus personnelle de M. Pytel pour l’année 2005 était datée du 17 octobre 2006 et l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») y a apposé le timbre [traduction] « Reçu » le 21 novembre 2006. M. Pytel a déclaré un revenu de location de 6 961 $ et un revenu d’entreprise net de 30 790 $; le revenu d’entreprise brut indiqué s’élevait à 78 264 $. Le revenu d’entreprise était tiré d’une entreprise exploitée sous la raison sociale « Ed’s Handyman Services » (« Ed’s Handyman »), une entreprise individuelle appartenant à M. Pytel. Ed Tel a déclaré un revenu d’entreprise de 4 331 $ pour l’année 2005.

 

[6]              Dans une « Demande de redressement d’une T1 » datée du 27 octobre 2006 (marquée du 5 novembre 2007 par le centre fiscal de l’ARC, à Winnipeg), censément signée par M. Pytel, on demandait que le revenu d’entreprise net de M. Pytel pour l’année 2005 soit porté de 30 790 $ à 78 600 $.

 

[7]              Un État des résultats des activités d’une entreprise d’Ed’s Handyman était joint à la demande de redressement de M. Pytel. M. Pytel a déclaré un revenu brut de 78 600 $; il n’y avait pas de coût des marchandises vendues. Le bénéfice brut s’élevait à 78 600 $. Aucun montant n’a été déduit au titre des dépenses étant donné que [traduction] « toutes les dépenses [avaient] été payées par la société ». Par conséquent, selon la demande de redressement, le revenu d’entreprise net déclaré pour l’année 2005 s’élevait à 78 600 $. Par contre, l’état des résultats des activités d’une entreprise pour l’année 2005 qui avait été joint à la déclaration de revenus de 2005 indiquait un revenu brut de 77 264 $ et un coût des marchandises vendues de 24 346,31 $, de sorte que le bénéfice brut était de 53 917,69 $. Les dépenses s’élevaient à 21 210,71 $. Le revenu net de 32 706,98 $ avait été réduit d’un montant de 1 917,39 $ au titre des frais d’utilisation de la résidence à des fins commerciales. Selon la déclaration de revenus de l’année 2005 de M. Pytel, le revenu d’entreprise net s’élevait à 30 790 $.

 

[8]              À la demande de redressement, sous le titre [traduction] « Ed Tel Taping Ltd., contrat de sous­traitance (Edward Pytel), janvier à décembre 2005 », sont également jointes deux listes de contrats de sous­traitance en faveur d’Ed’s Handyman. Une liste qui, comme je le suppose, a initialement été préparée pour Ed Tel, indique ce qui suit :

 

[traduction]

 

Revenu

 

 

 

174 895,97 $

Coût des marchandises vendues (CMV)

 

 

            Sous-traitants

122 008,77 $

 

            Fournitures et matériaux

  26 955,88 $

 

Montant total (CMV)

 

148 964,65 $

 

 

 

Bénéfice brut

 

25 931,32 $

            Dépenses diverses

 

21 600,39 $

 

 

4 330,93 $

 

 

[9]              La seconde liste, désignée comme étant une liste révisée, est libellée ainsi :

 



[traduction]

 

Revenu

 

 

 

174 895,97 $

Coût des marchandises vendues (CMV)

 

 

            Sous-traitants

43 408,77 $

 

            Fournitures et matériaux

  26 955,88 $

 

Montant total (CMV)

70 364,65 $

 

 

 

 

Bénéfice brut

 

104 531,22 $

            Dépenses

 

 

            Ed’s Handyman, sous-traitant

78 600,00 $

 

            Autres dépenses

21 600,39 $

 

 

 

100 200,39 $

Revenu net

 

4 330,93 $

 

[10]         La demande de redressement visait à augmenter le revenu de M. Pytel d’un montant de 336 $ (à 78 600 $) et à supprimer toutes les dépenses d’entreprise déduites dans l’état des résultats des activités d’une entreprise de M. Pytel qui avait été produit avec la déclaration de revenus de 2005 de M. Pytel. (Ces dépenses auraient dû être ajoutées aux dépenses d’Ed Tel, mais cela n’a pas été fait).

 

[11]         L’ARC a établi une nouvelle cotisation à l’égard de M. Pytel pour l’année 2005 conformément aux renseignements figurant dans la demande de redressement. Comme il en a ci‑dessus été fait mention, aucune nouvelle cotisation correspondante n’a été établie à l’égard d’Ed Tel.

 

[12]         M. Pytel a témoigné ne pas avoir autorisé la demande de redressement et avoir été mis au courant de l’existence de la demande en 2007 seulement. Il a affirmé qu’il signait ce que son comptable lui présentait. Toutefois, il a témoigné que la signature apposée dans la demande de redressement [traduction] « n’était pas la [s]ienne ». Je remarque qu’il existe une différence importante entre la soi‑disant signature de M. Pytel, par laquelle les renseignements figurant dans sa déclaration de revenus de 2005 étaient attestés, et celle qui est apposée dans la demande de redressement.

 

[13]         Ed’s Handyman [traduction] « s’occupe » de biens locatifs appartenant à M. Pytel. Presque tout l’argent que M. Pytel utilise dans sa vie quotidienne provient de biens locatifs. La relation entre Ed Tel et Ed’s Handyman est floue. À un moment donné, M. Pytel a semblé laisser entendre qu’Ed’s Handyman paie toutes les dépenses supportées par Ed Tel. Plus tard, lors du contre‑interrogatoire, M. Pytel a expliqué que l’argent de la société [traduction] « va à » Ed’s Andyman et qu’à l’aide de cet argent, Ed’s Handyman paie toutes les dépenses, notamment les dépenses d’Ed Tel. Après qu’Ed Tel a acquitté toutes les factures, l’argent qui reste est prêté à M. Pytel. Ed Tel et M. Pytel ont des comptes bancaires distincts.

 

[14]         M. Pytel a déclaré s’être fié à son comptable pour que celui‑ci produise sa déclaration de revenus personnelle et la déclaration de revenus de la société pour l’année 2005.

 

[15]         M. Pytel n’établit pas de documents. Il dresse des factures et obtient des reçus. Il semble que les factures et les reçus sont placés dans des dossiers mensuels, un pour Ed Tel, un pour Ed’s Handyman et un pour M. Pytel personnellement. Les dossiers sont placés dans une boîte et, à la fin de l’année, ils sont remis au comptable pour qu’il fasse le tri.

 

[16]         L’avocat de l’intimée a demandé à M. Pytel si, en supportant les dépenses, Ed Tel le faisait pour les travaux de tirage de joints ou pour les services d’Ed’s Handyman. M. Pytel a répondu qu’il n’en avait pas la moindre idée. Il a supposé que le comptable savait qui avait supporté les dépenses.

 

[17]         L’appellation « Big Red Income Tax Accounting » est la raison sociale d’une société à numéro de l’Alberta dont les actions sont détenues par David Patterson. M. Patterson travaille comme teneur de livres et comme comptable depuis les années 1980. Il n’a pas de titre professionnel comptable. Il a préparé les déclarations de revenus de 2005 de M. Pytel et d’Ed Tel. M. Patterson conserve des copies des déclarations de revenus, mais il ne conserve aucun autre document.

 

[18]         M. Patterson a expliqué avoir préparé la demande de redressement parce qu’il croyait qu’il serait préférable que les dépenses initialement déduites par M. Pytel soient indiquées dans la déclaration de la société. Il a déclaré avoir rédigé la demande au complet. On ne sait pas trop si cela comprenait la soi‑disant signature de M. Pytel. Toutefois, bien qu’il eût préparé la demande de redressement pour M. Pytel, il n’a pas préparé la déclaration de la société en vue d’indiquer le redressement qui était demandé à l’égard de la déclaration de M. Pytel.

 

[19]         La déclaration de revenus de M. Pytel était datée du 17 octobre 2006. La déclaration de revenus de la société a été préparée le 16 octobre. La demande de redressement a été faite le 27 octobre.

 

[20]         Big Red a facturé la préparation des déclarations de revenus à M. Pytel le 17 octobre 2006. Les montants facturés s’élevaient à 1 249,95 $ pour la société et à 298,90 $ pour M. Pytel. M. Pytel s’est présenté au cabinet le 27 octobre afin de payer les factures et il a laissé un chèque de 1 000 $, qui a été accepté en paiement intégral. La demande de redressement est datée du même jour que celui où M. Pytel a acquitté le compte.

 

[21]         M. Patterson admet maintenant que la demande de redressement a été envoyée par erreur. Il affirme que les dépenses auraient dû être attribuées à l’entreprise individuelle, Ed’s Handyman. M. Patterson ne se rappelait pas pourquoi la demande avait été faite; elle a peut‑être été envoyée par erreur.

 

[22]         Wendy Stasiuk, agente des appels à l’ARC, a témoigné que malgré les demandes qui avaient été faites à M. Pytel et à son représentant, M. Kwok, aux fins de l’obtention de documents visant à établir que les dépenses avaient été supportées par Ed’s Handyman, c’est‑à‑dire par M. Pytel personnellement, rien n’a été reçu. Le bureau de l’ARC, à Winnipeg, a demandé à Mme Stasiuk [traduction] « d’enlever les dépenses, conformément à la demande de révision ».

 

[23]         M. Pytel semble être un homme qui s’emporte facilement. La salle d’audience est pour lui un lieu qui ne lui est pas familier et il était sans doute nerveux dans ce milieu. Il lui déplaisait d’être questionné lors du contre‑interrogatoire. Il se méfiait des questions qui lui étaient posées. On lui a expliqué que le contre‑interogatoire est une étape normale du processus d’instruction. M. Pytel a continué à voir d’un œil suspicieux le processus auquel il participait contre son gré. M. Pytel n’a rien fait de mal – il s’est fié à son comptable – et il se trouvait pris dans un litige qu’il avait de la difficulté à comprendre.

 

[24]         La question dont je suis ici saisi n’est pas de savoir si M. Pytel a autorisé la demande de redressement ou même s’il était au courant de son existence. Cette question n’est pas à l’origine de l’appel. Je dois me prononcer sur le bien‑fondé de la cotisation qui m’a été soumise. En établissant une cotisation comme il l’a fait, le ministre avait‑il raison de ne pas accorder de déductions à M. Pytel en déterminant son revenu d’entreprise? Il s’agit donc de savoir qui a supporté le coût des marchandises vendues, de 24 346 $, et les dépenses de 21 211 $ dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise, montants que M. Pytel a initialement déduits dans sa déclaration de revenus de 2005. Était‑ce lui ou Ed Tel qui avait supporté ces dépenses?

 

[25]         De toute évidence, si la demande de redressement n’avait pas été envoyée à l’ARC, la nouvelle cotisation ici en cause n’aurait fort probablement pas été établie. L’ARC aurait été satisfaite de la déclaration de revenus de 2005 de M. Pytel, telle qu’elle avait été produite. La production de la demande de redressement a fait tomber M. Pytel dans un guêpier. Lorsque la demande de redressement a été reçue, l’ARC l’a apparemment jugée légitime et une cotisation a été établie en conséquence. Après que M. Pytel eut fait opposition, l’ARC a demandé des preuves à l’appui de la position que celui‑ci avait prise. Étant donné que ni M. Pytel ni son ancien comptable n’avaient conservé de documents se rattachant aux activités commerciales, en 2005, l’ARC a ratifié la cotisation. La demande de redressement et les documents qui y étaient joints sont pertinents parce que le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de M. Pytel compte tenu des renseignements figurant dans ces documents.

 

[26]         Je dois maintenant me prononcer sur le bien‑fondé de la cotisation.

 

[27]         Si M. Pytel était un sous‑traitant, serait‑il raisonnable pour lui d’exploiter une entreprise sans engager de dépenses? L’ARC croit de toute évidence que cela peut être raisonnable. Toutefois, l’ARC se fondait simplement sur la demande de redressement et elle n’a pas pu obtenir de l’appelant de documents permettant d’établir qui avait supporté les dépenses.

 

[28]         Le problème auquel les fonctionnaires de l’ARC ont peut‑être fait face, et auquel j’ai moi‑même fait face, est que M. Pytel ne pouvait pas se dissocier d’Ed Tel, une société. La chose a eu pour effet de compliquer même la question la plus simple. À son avis, il n’existe pas de différences entre Ed Tel et lui‑même. M. Pytel a déclaré que son comptable lui avait dit : [traduction] « [...] eh bien, il y a de l’argent dans cette poche ... à qui appartient‑il? Dans les deux cas, ce sont vos poches, comme il me l’a expliqué ».

 

[29]         Ainsi, lorsque j’ai demandé à M. Pytel qui exploitait l’entreprise de tirage de joints, si c’était lui ou Ed Tel, il a répondu que cela importait peu, mais qu’il croyait qu’il s’agissait de sa propre entreprise personnelle.

 

[30]         La personnalité de M. Pytel ainsi que le fait qu’il se trouvait dans un milieu inconnu ont contribué à l’amener à quitter la salle d’audience lorsque l’avocat de l’intimée présentait son plaidoyer. J’avais demandé à l’avocat de l’intimée de présenter d’abord son plaidoyer, de façon que M. Pytel puisse connaître la position prise par la Couronne et qu’il puisse faire, dans ses observations, tous les commentaires qu’il veut au sujet de la preuve de la Couronne. M. Pytel a semblé hésiter à présenter des observations. Lorsque l’avocat de l’intimée présentait son plaidoyer, M. Pytel s’est opposé avec véhémence à la thèse de l’avocat, qui affirmait qu’il n’agissait pas comme sous‑traitant, et après une seconde interruption, il a quitté la salle d’audience[1] :

 

[traduction]

 

LE JUGE :        Par conséquent, si Ed’s Handyman exploite elle‑même l’entreprise, les dépenses auraient été accordées, n’est‑ce pas?

 

Me PERLINSKI :         Si Ed’s Handyman exploitait elle-même l’entreprise, elle aurait en effet droit à ces dépenses.

 

LE JUGE :        Et il y a ici des documents montrant qu’il agissait comme sous‑traitant.

 

Me PERLINSKI :         Il a également déclaré, aujourd’hui, qu’il n’agissait pas comme sous‑traitant, qu’il s’agissait entièrement de son entreprise.

 

LE JUGE :        Oui. C’est bien ce que je dis. Je dis que cela pourrait jouer dans les deux sens.

 

Me PERLINSKI :         Je m’en rends bien compte.

 

M. PYTEL :     Si je ne suis pas sous-traitant, qu’est-ce que je pourrais bien être?

 

LE JUGE :        Monsieur, vous ne devez rien dire en ce moment. Il ne s’agit pas d’un argument, il s’agit d’une déclaration. Chaque partie doit faire preuve de politesse envers l’autre. Je poserai toutes les questions, mais pas à vous en ce moment; comprenez‑vous, monsieur?

 

M. PYTEL :     Eh bien, si je dois entendre quelque chose comme le fait que je ne suis pas sous‑traitant –

 

LE JUGE :        Écoutez, il s’agit de la position qu’ils prennent. Il s’agit de leur position, et chaque partie est autorisée à expliquer la position qu’elle prend ou doit le faire, et ce, sans argument de la part de l’autre partie, tant que ce n’est pas son tour. Lorsque ce sera votre tour, vous pourrez m’expliquer votre position. Poursuivez.

 

Me PERLINSKI :         Pardon.

 

LE JUGE :        Comprenez-vous ce que je dis?

 

Me PERLINSKI :         Je comprends bien, monsieur, et vous devez comprendre la position que je prends. Il s’agit pour le ministre de présenter son plaidoyer sous son meilleur jour.

 

LE JUGE :        Je m’en rends bien compte. Je m’en rends bien compte.

 

Me PERLINSKI :         Et je me rends compte –

 

M. PYTEL :                 Oui. Et vous avez –

 

LE JUGE :        Bon. Monsieur, si vous ajoutez quoi que ce soit, il vous faudra quitter la salle. Je ne vous demande pas de quitter la salle, mais vous devez faire preuve de politesse en écoutant. Veuillez indiquer pour le dossier que M. Pytel a quitté la salle.

 

(M. PYTEL QUITTE LA SALLE D’AUDIENCE)

 

Me PERLINSKI :         Je vous demanderais de ne pas lui en tenir rigueur, si la Cour estime encore qu’il est préférable pour lui –

 

LE JUGE :        Eh bien, je vous pose des questions, et je ne sais pas, la porte est ouverte. Je ne sais pas si M. Pytel écoute ou non. Je crois qu’en somme M. Pytel est un homme qui s’emporte facilement, c’est l’impression que j’ai eue.

 

Me PERLINSKI :         Je crois qu’il serait approprié de dire qu’il a l’esprit de contestation, comme l’a dit son comptable.

 

LE JUGE :        Et le problème est le suivant, je ne sais pas ce qui se passe. Je connais votre position, je connais sa position.

 

Me PERLINSKI :         Eh bien, le problème aujourd’hui, monsieur, se résume en fait à une absence horrible de preuve. Une absence horrible d’explications.

 

LE JUGE :        De la part des deux parties.

 

Me PERLINSKI :         De la part des deux parties. [...]

 

 

[31]         J’ai demandé au greffier de la Cour d’envoyer à M. Pytel une copie de la transcription du plaidoyer de l’avocat de l’intimée et de lui faire savoir que, s’il veut me soumettre des observations ou des commentaires, il doit le faire au plus tard le 22 novembre 2009. Cela a été fait le 22 octobre 2009. Or, M. Pytel n’a pas communiqué avec la Cour. Néanmoins, il avait témoigné avant de quitter la salle d’audience et il a produit une preuve documentaire, soit sa déclaration de revenus de 2005.

 

[32]         M. Pytel est un appelant peu instruit qui ne connaît pas le processus de la Cour. Toutefois, il devrait se rendre compte que s’il quitte la salle au cours de l’audience et qu’il n’y retourne pas, il met sa cause en péril. M. Pytel n’avait peut‑être rien à dire au début de l’argumentation, mais il aurait pu entendre, dans le plaidoyer de la Couronne, quelque chose qui était susceptible de l’aider s’il avait la possibilité de répondre.

 

[33]         L’appel a été interjeté par M. Pytel. C’est lui qui a décidé de quitter la salle d’audience prématurément. Il n’a pas reconnu la tentative que la Cour faisait pour lui donner la possibilité de répondre au plaidoyer de la Couronne. Il serait possible de soutenir, ce qui n’a pas été fait, qu’il a abandonné son appel. À l’appui d’un tel argument il y a l’arrêt Brassington v. Brassington, [1961] 3 All E.R. 988, qui a été examiné dans la décision R. v. Swartz, [1977] M.J. no 28 (QL), [1977] 2 W.W.R. 751, 34 C.C.C. (2d) 477, selon lequel une réparation ne doit être accordée qu’exceptionnellement au plaideur qui a de son propre chef quitté le champ de bataille avant la fin du combat. Toutefois, compte tenu des antécédents de M. Pytel et de son manque d’expérience, je ne retiens pas cet argument.

 

[34]         D’une part, M. Pytel demande que la cotisation soit établie conformément aux renseignements figurant dans sa déclaration de revenus de 2005 et compte tenu du fait qu’il exploitait une entreprise et qu’il a supporté les dépenses refusées par l’ARC a refusées. D’autre part, l’ARC a établi une nouvelle cotisation à l’égard de M. Pytel en se fondant sur les renseignements figurant dans la demande de redressement. Ni l’une ni l’autre partie n’a offert de preuve corroborante. Toutefois, étant donné qu’il a la charge de la preuve, c’était à M. Pytel qu’il incombait de le faire. Quoi qu’il en soit, comme l’avocat de l’intimée l’a déclaré, il y avait une [traduction] « absence horrible de preuve, [...] de la part des deux parties ».

 

[35]         En fin de compte, il n’y a que deux documents sur lesquels je puis me fonder, la déclaration de revenus de 2005 et les pièces qui y sont jointes d’une part et la demande de redressement et les pièces qui y sont jointes d’autre part. M. Pytel a fondamentalement témoigné avoir rassemblé ses factures et reçus et les avoir remis à son comptable pour que celui‑ci prépare la déclaration de revenus de 2005, s’être fié à son comptable et avoir signé tout ce que le comptable lui présentait, notamment la déclaration de revenus de 2005. La nouvelle cotisation a été établie comme elle l’a été parce que la Couronne n’avait reçu aucune preuve montrant que les renseignements donnés dans la demande de redressement étaient erronés. Il est également possible de dire que la Couronne n’a reçu aucune preuve que les renseignements donnés dans la déclaration de revenus étaient erronés. Bref, malgré la demande qu’elle avait faite, l’ARC n’a rien reçu du contribuable ou de son représentant. Comme M. Patterson l’a indiqué, c’était parce qu’il avait uniquement conservé les déclarations de revenus et qu’il n’avait conservé aucun renseignement additionnel.

 

[36]         Dans ces conditions, l’ARC aurait pu se fonder sur la cotisation, qui était basée sur les renseignements donnés dans la déclaration de revenus qui a servi de fondement à l’égard de la cotisation initiale, tout aussi bien que sur les renseignements figurant dans la demande de redressement. Or, l’ARC s’est fondée sur la demande de redressement; le fait que cela avait pour effet d’augmenter le montant que M. Pytel devait au titre de l’impôt, en 2005, a peut‑être bien influencé l’ARC.

 

[37]         Je préfère me fonder sur les renseignements contenus dans la déclaration de revenus. Il s’agissait d’un document que M. Pytel avait en fait signé. Les renseignements fournis dans l’état des résultats des activités d’une entreprise qui avait été joint à la déclaration de revenus de 2005, auxquels vient s’ajouter la preuve présentée par M. Pytel, à savoir qu’il exploitait personnellement une entreprise de tirage de joints, donnent à penser que M. Pytel exploitait de fait une entreprise. La relation qui existe entre M. Pytel et Ed Tel est confuse et embrouillée, sinon mystérieuse.

 

[38]         Il n’existait aucune preuve ou suggestion de la part de la Couronne montrant que M. Pytel était un employé d’Ed Tel et c’était peut‑être bien la raison pour laquelle Ed Tel absorbait toutes les dépenses. Si M. Pytel exploitait une entreprise, comme il en a ci‑dessus été fait mention, il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’il ait supporté des dépenses, des dépenses énumérées dans l’état des résultats des activités d’une entreprise qui était joint à la déclaration de revenus de 2005 de M. Pytel.

 

[39]         Selon la prépondérance des probabilités, M. Pytel était un sous‑traitant d’Ed Tel et, cela étant, il exploitait une entreprise pour son propre compte et les dépenses censément « transférées » à Ed Tel dans la demande de redressement devraient plutôt être celles de M. Pytel.

 

[40]         L’appel sera accueilli en conséquence.

 

[41]         J’aimerais ajouter quelques remarques.

 

[42]         La grande majorité des personnes qui interjettent appel devant la présente cour sous le régime de la procédure informelle agissent pour leur propre compte ou sont représentées par des personnes qui n’ont pas d’antécédents juridiques. La Cour de l’impôt a cela en commun avec tous les autres tribunaux canadiens. Les employés de la Cour de l’impôt essaient d’aider les appelants, existants et éventuels, à faire entendre leur appel. La Cour a produit une vidéo décrivant la conduite des appels. Les juges essaient d’aider les contribuables, tout en tenant compte des restrictions qu’impose l’impartialité judiciaire. Néanmoins, le processus intimide souvent les contribuables et leurs représentants profanes, de sorte que ceux‑ci ne sont pas en mesure de poursuivre pleinement leurs appels. C’est ici ce qui s’est produit.

 

[43]         On m’a informé que les programmes provinciaux d’aide juridique n’aident pas les contribuables qui n’ont pas les moyens de se faire représenter par un avocat dans un appel de nature fiscale. Je puis uniquement supposer que c’est parce que la personne qui fait face à un problème fiscal doit avoir de l’argent. Or, la Cour est saisie d’appels se rapportant à des questions de droit de la famille, comme la Prestation fiscale canadienne pour enfants. Or, en cas de contestation devant un juge d’un tribunal de la famille, les parties peuvent avoir droit à l’aide juridique. Il y a également des appels portant sur les frais médicaux, sur les prestations d’assurance‑emploi, sur les prestations accordées en vertu du Régime de pensions du Canada, entre autres, qui ont des incidences pour les personnes à faible revenu.

 

[44]         De toute évidence, les contribuables qui interjettent appel devant la présente cour doivent être mieux préparés. Les services d’aide juridique doivent envisager d’offrir de l’aide aux contribuables, et ce, malgré les problèmes budgétaires qui existent à l’heure actuelle. Le fait d’avoir à traiter avec la bureaucratie gouvernementale, comme l’ARC, et ensuite avec un tribunal, suscite énormément de stress, même lorsque la personne en cause possède une grande expérience. Les cotisations d’impôt injustes peuvent occasionner des tensions dans les relations familiales et les contribuables devraient bénéficier d’un soutien public, le cas échéant, en cas de contestation. Les cabinets d’avocats et les facultés de droit sont également en mesure de fournir de l’aide.

 

[45]         Les cabinets d’avocats pourraient contribuer à résoudre ce problème en veillant à ce que leurs avocats fournissent des services « pro bono » aux contribuables à faible revenu. Les facultés de droit peuvent encourager les étudiants qui s’intéressent à la fiscalité et qui désirent plaider à organiser des programmes dans le cadre desquels une aide serait fournie aux contribuables qui cherchent à contester une cotisation. La chose sensibiliserait les avocats fiscalistes éventuels au fait que certains contribuables à faible revenu font face à des problèmes fiscaux réels et que ces contribuables ont besoin d’assistance juridique, et ce, peu importe le montant de l’impôt ou même le fait que le problème n’a rien à voir avec une planification fiscale complexe. La Cour serait heureuse de coopérer avec les cabinets d’avocats et avec les facultés de droit qui sont prêts à aider les appelants à faible revenu.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de décembre 2009.

 

 

« Gerald J. Rip »

Juge en chef Rip

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 8e jours de mars 2010.

 

Marie­Christine Gervais, traductrice

 


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 615

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-3908(IT)I

 

INTITULÉ :                                       EDWARD PYTEL

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 12 août 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge en chef Gerald J. Rip

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 11 décembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Gregory PERLINSKI

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :                        

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 



[1]           Pages 6 à 9 de la transcription.

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