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Dossier : 2008-3787(IT)I

ENTRE :

PATTRICK A.M. DUNPHY,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 21 octobre 2009, à Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

Devant : L’honorable juge G. A. Sheridan

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me Jan Jensen

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2006 est accueilli et la nouvelle cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait :

 

1.       que le paiement forfaitaire de 45 000 $ reçu par l’appelant au cours de l’année d’imposition 2006 a été effectué dans un double but : à savoir, le règlement de l’appel interjeté par suite de la cessation de son emploi auprès du Halifax Regional School Board et le règlement de la plainte déposée contre le Halifax Regional School Board auprès de la Human Rights Commission;

 

2.       qu’un montant de 11 139 $ sur le paiement de 45 000 $ est attribué au règlement de la plainte en matière de droits de la personne.

 

La Cour ordonne en outre que les droits de dépôt de 100 $ soient remboursés à l’appelant.

 

Signé à Edmonton (Alberta), ce 15e jour de décembre 2009.

 

 

 

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de mars 2010.

 

Marie­Christine Gervais, traductrice

 

 


 

 

 

Référence : 2009 CCI 619

Date : 20091215

Dossier : 2008-3787(IT)I

ENTRE :

PATTRICK A.M. DUNPHY,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Sheridan

 

[1]   Il s’agit ici de savoir si tout ou partie du paiement forfaitaire de 45 000 $ que l’appelant a reçu de son ancien employeur était une « allocation de retraite » et devait être inclus dans son revenu en vertu du sous‑alinéa 56(1)a)(ii) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). L’expression « allocation de retraite » est définie au paragraphe 248(1) de la Loi :

 

« allocation de retraite » Somme [...] reçue par un contribuable [...] :

 

[…]

 

b) soit à l’égard de la perte par le contribuable d’une charge ou d’un emploi, qu’elle ait été reçue ou non à titre de dommages ou conformément à une ordonnance ou sur jugement d’un tribunal compétent.

 

 

[2]     En établissant une nouvelle cotisation à l’égard de l’année d’imposition 2006 de l’appelant, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a conclu que le paiement de 45 000 $ était visé par cette définition et il a inclus le montant au complet dans le revenu de l’appelant.

 

[3]     Selon la position prise par l’appelant, un montant de 17 277 $ sur le paiement de 45 000 $ ne se rattachait pas à la perte de son emploi, mais se rapportait plutôt au règlement d’une plainte qu’il avait déposée contre son employeur auprès de la Human Rights Commission de la Nouvelle‑Écosse; par conséquent, ce montant n’aurait pas dû être inclus dans le revenu.

 

Les faits

 

[4]     L’appelant agissait pour son propre compte; il a été la seule personne à témoigner à l’audition du présent appel. À mon avis, il s’agissait d’un témoin crédible et bien préparé qui a présenté sa preuve de façon sincère.

 

[5]     L’appelant travaillait depuis près de 30 ans pour le Halifax Regional School Board comme professeur d’éducation physique lorsque, en 2003, un nouveau poste de professeur d’éducation physique a été annoncé à l’école où il enseignait. Ce nouveau poste représentait pour l’appelant une mutation latérale dans le système du Halifax Regional School Board, mais le poste en question intéressait vivement l’appelant. L’appelant, qui croyait bien que ses études, son expérience et son ancienneté lui garantiraient le succès, a décidé de se porter candidat. À sa grande surprise, le poste a été offert à une enseignante d’une école différente, comptant six années d’expérience seulement.

 

[6]     L’appelant a réagi en déposant un grief contre le Halifax Regional School Board en vertu de la convention collective qui le régissait, en alléguant la discrimination fondée sur le sexe. Son représentant syndical, M. Kelloway, et un avocat désigné par le syndicat l’aidaient dans ce dossier.

 

[7]     À peu près à ce moment‑là, l’appelant a déposé une plainte de discrimination fondée sur le sexe contre le Halifax Regional School Board auprès de la Human Rights Commission. Étant donné la nature privée de l’affaire, l’appelant a retenu les services de son propre avocat, un certain Me Pavey, pour qu’il s’occupe de la plainte.

 

[8]     Dans l’intervalle, l’appelant a continué à occuper le poste d’enseignant qu’il avait occupé avant de présenter sa demande. Selon la preuve qu’il a présentée, avant de déposer le grief syndical et la plainte devant la Human Rights Commission, l’appelant avait un [traduction] « dossier impeccable » auprès du Halifax Regional School Board; par la suite, a‑t‑il dit, [traduction] « [...] tout a mal tourné »[1]. Ce qui était au départ un problème désagréable a escaladé au point où l’appelant a porté une accusation de harcèlement criminel contre l’un de ses collègues. L’appelant était accusé de divers méfaits, notamment d’avoir fabriqué des notes et d’avoir détourné des fonds de l’école. En fin de compte, l’appelant a perdu l’emploi qu’il exerçait auprès du Halifax Regional School Board pour ce qui est décrit, d’une façon générale, comme une inconduite dans l’exécution de ses tâches. L’appelant s’est ensuite prévalu du droit qui lui était accordé, en vertu de la Education Act de la Nouvelle‑Écosse, d’en appeler de son congédiement devant le ministre de l’Éducation.

 

[9]     L’appel a été inscrit au rôle pour arbitrage, mais il a finalement été ajourné sine die à cause, entre autres choses, de problèmes médicaux sérieux auxquels l’appelant et sa femme faisaient alors face. Le temps a passé et, au début de l’année 2006, l’appelant a commencé à envisager de cesser de vivre avec le stress causé par l’appel interjeté à la suite de son congédiement. La plainte en matière de droits de la personne, qui n’était toujours pas réglée, le préoccupait également. Des négociations ont été entamées et, au mois de mars 2006, le représentant syndical de l’appelant et l’avocat du syndicat sont arrivés à une entente avec l’avocat du Halifax Regional School Board, Me Pickard. L’appelant a consenti aux conditions qui lui étaient présentées et il a signé un procès‑verbal de transaction[2] daté du 21 mars 2006.

 

[10]    Le 23 mars 2006, conformément au paragraphe 6 du procès‑verbal de transaction, l’avocat qui représentait l’appelant dans la plainte en matière de droits de la personne, Me Parvey, a écrit à la Human Rights Commission afin de retirer la plainte. En fin de compte, il a été répondu à cette lettre le 31 août 2006 seulement, lorsque la Human Rights Commission a finalement informé l’appelant par écrit qu’il avait en fait été mis fin à la plainte au mois de janvier 2006 et qu’étant donné qu’elle n’avait pas reçu de réponse de l’appelant dans le délai imparti, la Human Rights Commission avait confirmé cette décision le 16 mars 2006, environ cinq jours avant que les parties eussent signé le procès‑verbal de transaction. Or, ni l’appelant ni le Halifax Regional School Board n’avaient été informés de ces décisions lorsqu’ils ont signé le procès‑verbal de transaction. (De fait, à la date de la présente audience, l’appelant n’avait toujours pas reçu d’avis officiel de la Human Rights Commission au sujet de la décision qui avait été prise en 2006).

 

[11]    Aux termes de l’entente qu’ils avaient conclue, le Halifax Regional School Board a versé à l’appelant un montant de 68 276 $ en tout. Sur ce montant, un montant de 23 276 $ était un paiement versé au titre de l’ancienneté qui a été transféré dans un REER; seul le solde de 45 000 $ est ici en cause. À un moment donné, l’appelant a reçu du Halifax Regional School Board à l’égard du paiement de 68 276 $ trois feuillets T4, dont l’un au montant de 17 277 $. Dans chacun des feuillets T4 délivrés par le Halifax Regional School Board, le montant a été qualifié [traduction] d’« allocation de retraite ».

 

[12]    À un moment donné, au mois de juin 2006, l’appelant a demandé à un représentant de l’Agence du revenu du Canada de lui donner un avis au sujet des conséquences fiscales du paiement de 45 000 $ qu’il avait reçu aux termes du procès‑verbal de transaction. À la suite de cette conversation, l’appelant croyait comprendre que lorsqu’une somme forfaitaire était reçue en raison de la perte d’un emploi qui faisait également l’objet d’une plainte en matière de droits de la personne, environ 30 p. 100 de ce montant pouvait raisonnablement être attribué à des dommages‑intérêts se rattachant à la question relative aux droits de la personne. On a également renvoyé l’appelant au bulletin d’interprétation IT‑337R4, intitulé : « Allocations de retraite ». Les paragraphes 9 et 12 de ce document sont reproduits ci‑dessous :

 

Genres de paiements

Dommages-intérêts

9. En général, une indemnité versée à un particulier par son employeur ou son ancien employeur à titre de dommages-intérêts peut être un revenu d’emploi, une allocation de retraite, des dommages-intérêts non imposables ou une combinaison de ces éléments. La détermination de la nature d’une telle indemnité est une question de fait qui nécessite un examen de tous les faits et documents propres à chaque cas.

 

[…]

 

12. Si le particulier a subi un préjudice personnel avant ou après la perte de son emploi (par exemple, s’il a été victime de harcèlement pendant qu’il occupait son emploi ou s’il a subi des diffamations après avoir été renvoyé), il peut être considéré que les dommages-intérêts généraux reçus à l’égard de ce préjudice n’ont aucun rapport avec la perte de l’emploi et, donc, qu’ils ne sont pas imposables. Pour qu’il soit considéré que les dommages-intérêts reçus à l’égard d’un préjudice personnel n’ont rien à voir avec la perte de l’emploi, il doit être démontré clairement que les dommages-intérêts se rapportent à des actions ou à des événements distincts de la perte d’emploi. Pour déterminer si c’est le cas, l’indemnité de fin d’emploi à laquelle l’employé aurait raisonnablement eu droit est prise en compte.

De même, les dommages-intérêts généraux reçus par suite d’une violation des droits de la personne peuvent être considérés comme étant sans rapport avec la perte de l’emploi, même s’il arrive souvent que la perte de l’emploi découle d’une plainte de violation des droits de la personne. Une somme qu’un tribunal des droits de la personne adjuge à un contribuable à titre de dommages-intérêts généraux n’a normalement pas à être incluse dans le revenu. Lorsque la perte d’un emploi est liée à une violation des droits de la personne et qu’il y a un règlement hors cour, une somme raisonnable à l’égard des dommages-intérêts généraux peut être exclue du revenu. La question de savoir ce qui est raisonnable dépend notamment de la somme maximale qui peut être adjugée en vertu des dispositions législatives applicables en matière de droits de la personne, ainsi que de la preuve présentée dans l’affaire. Tout montant excédentaire sera imposé à titre d’allocation de retraite.

 

 

[13]    L’appelant, qui savait que le procès‑verbal de transaction ne disait rien au sujet de la répartition du paiement de 45 000 $, a consulté son représentant syndical et l’avocat du syndicat. Ces derniers étaient d’avis qu’il ne serait pas prudent de demander au Halifax Regional School Board de signer une nouvelle entente. Selon l’appelant, le Halifax Regional School Board était alors [traduction] « tombé dans un marasme »[3], de sorte que l’appelant a convenu qu’il était plus sage de demander à l’avocat du Halifax Regional School Board, Me Pickard, de rédiger une lettre en vue de confirmer qu’une partie du paiement de 45 000 $ se rapportait à la plainte en matière de droits de la personne et d’en préciser le montant.

 

[14]    Le 26 juin 2006, l’appelant a envoyé une lettre[4] à Me Pickard pour lui rappeler que le Halifax Regional School Board avait convenu qu’une partie du paiement forfaitaire devait être attribué à la plainte en matière de droits de la personne. Il a joint un exemplaire du bulletin d’interprétation IT‑337R4 et a indiqué que, selon son interprétation de ce document, il serait raisonnable d’attribuer 30 p. 100 du paiement de 45 000 $ (13 500 $) au règlement de la plainte en matière de droits de la personne.

 

[15]    Me Pickard a répondu à la lettre le 17 juillet 2006; il a reconnu qu’une partie du paiement se rapportait au règlement de la plainte en matière de droits de la personne, mais il n’a pas répondu à la demande que l’appelant avait faite pour qu’un montant soit attribué au règlement de la plainte en matière de droits de la personne :

 

[traduction]

 

[...]

 

La présente lettre est envoyée pour le compte du Halifax Regional School Board (le « Conseil ») en vue de confirmer qu’une partie du montant qui vous a été versé par le Conseil dans le cadre du règlement se rapportait au règlement de la plainte en matière de droits de la personne que vous aviez déposée contre le Conseil.

 

Le Conseil souscrit à la façon dont vous avez désigné une partie du montant du règlement à titre de dommages‑intérêts généraux à l’égard du règlement d’une affaire en matière de droits de la personne.

 

[…]

 

[16]    À peu près au même moment, l’appelant avait également demandé à un employé du Halifax Regional School Board de délivrer un feuillet T4 modifié en vue de désigner une partie du paiement de 45 000 $ comme se rapportant au règlement de la plainte en matière de droits de la personne. Cette demande est également demeurée sans réponse.

 

[17]    En l’absence de toute indication de la part du Halifax Regional School Board au sujet du montant ainsi désigné, l’appelant, en produisant sa déclaration de revenu de 2006, a déduit un montant de 17 277 $ (environ 38 p. 100) du paiement de 45 000 $ au titre du règlement de la plainte en matière de droits de la personne.

 

[18]    Juste avant l’audition du présent appel et plus de trois ans après les demandes initiales qu’il avait faites afin d’obtenir des éclaircissements du Halifax Regional School Board, l’appelant a été surpris de recevoir une copie[5] d’une lettre datée du 23 septembre 2009 que Me Pickard avait envoyée à l’Agence du revenu du Canada, à l’attention de l’avocat de l’intimée, indiquant que, selon le procès‑verbal de transaction, le Halifax Regional School Board avait envisagé [traduction] « un montant de l’ordre de 5 000 $ » au titre du règlement de l’affaire en matière de droits de la personne :

 

[traduction]

 

Agent des litiges

Agence du revenu du Canada

a/s de Jan Jensen

Ministère de la Justice

Duke Tower

5251, rue Duke, bureau 1400,

Halifax (N.‑É.)  B3J 1P3

 

Monsieur,

 

Halifax Regional School Board – Patrick Dunphy

 

Le 17 juillet 2006, afin de régler diverses questions qui se posaient entre le Halifax Regional School Board (le « Conseil ») et Patrick Dunphy, j’ai rédigé une lettre dans laquelle il était fait mention de la plainte que celui‑ci avait déposée en matière de droits de la personne. Dans cette lettre, j’ai indiqué que le Conseil était prêt à ranger une partie du montant du règlement dans la catégorie des dommages‑intérêts généraux par suite du règlement de la plainte que M. Dunphy avait déposée en matière de droits de la personne contre le Conseil.

 

De l’avis du Conseil, la plainte était dénuée de fondement; toutefois, dans le cadre du règlement global d’un certain nombre de questions se rattachant à l’emploi de M. Dunphy auprès du Conseil, le Conseil a jugé bon d’imputer au règlement de la plainte une partie du montant du règlement.

 

En parlant d’une « partie du montant du règlement », le Conseil envisageait un montant de l’ordre de 5 000 $.

 

Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de mes meilleurs sentiments.

 

 

Ian C. Pickard

 

ICP/cs

c.c.       Client

            Patrick Dunphy

 

[19]    On peut se demander pourquoi ce renseignement n’aurait tout simplement pas pu être donné à l’appelant lorsqu’il l’a demandé, peu de temps après la signature du procès‑verbal de transaction. Que ce soit par indifférence ou à cause de son inaptitude, le Halifax Regional School Board a plutôt décidé de laisser l’appelant dans l’incertitude, de sorte que celui‑ci a en fin de compte fait l’objet de la nouvelle cotisation ici en cause. Le témoignage de l’appelant révèle l’effet décourageant qu’a eu la façon dont le Halifax Regional School Board l’avait traité :

 

[traduction]

 

Et j’ai également rappelé [au Halifax Regional School Board par l’entremise de Me Pickard] les circonstances dans lesquelles nous nous étions – les circonstances dans lesquelles cela s’était produit, et que le Conseil allait – n’a peut‑être pas – que l’entente avait peut‑être été annulée, et plutôt que de voir cela se produire, j’ai accepté de signer l’entente à l’amiable initiale en croyant recevoir une lettre.

 

Et lorsque j’ai reçu – bon. Et ensuite, j’ai finalement obtenu une lettre de [Me Pickard] le 17 juillet [2006]. C’était environ un mois, un peu moins d’un mois plus tard, et disait qu’une partie du montant – sans toutefois préciser le montant exact.

 

Me Pickard a ensuite répondu à ce qui, selon ce que je suppose, est une demande de renseignements [de l’ARC, à l’attention] de Me Jensen au sujet de ce qui se passait et il a ensuite renvoyé à Me Jensen une lettre lui disant que le Conseil envisageait un montant de l’ordre de cinq mille dollars, et je me demande bien pourquoi il n’en avait pas fait mention en 2005.

 

En effet, il me semble qu’il a amené mon avocat – mon représentant syndical – à croire que cela n’allait pas se produire, on ne pouvait pas – nous ne pouvions pas indiquer un montant dans l’entente. Nous ne serions pas ici aujourd’hui si nous avions pu indiquer un montant dans l’entente à l’amiable.

 

Mais cela n’a pas été fait. On m’a remis une lettre disant qu’une partie du montant serait attribuée au règlement par suite de la signature de l’entente, mais le montant n’a jamais été précisé.

 

Et maintenant, il le fait trois ans plus tard.[6]

 

Analyse

 

[20]    La jurisprudence établit clairement que l’emploi des mots « à l’égard de », dans la définition de l’« allocation de retraite », est de portée très générale[7].

 

[21]    Pour déterminer s’il existe un lien suffisant entre la perte d’un emploi et le paiement reçu, les tribunaux ont conclu que le critère à appliquer est le suivant : « S’il n’y avait pas eu perte d’emploi, la somme aurait‑elle été reçue? »[8]. Pour paraphraser l’ancien juge en chef Bowman dans la décision Stolte v. R.[9], il s’agit de savoir ce à quoi se rapportait le paiement, la réponse dépend des faits propres à chaque affaire.

 

[22]    L’avocat de l’intimée a soutenu que le montant de 45 000 $ au complet pouvait être attribué à la perte de l’emploi de l’appelant étant donné que, si ce n’était du défaut de l’appelant d’obtenir le nouveau poste d’enseignant et du dépôt subséquent de la plainte auprès de la Human Rights Commission, les événements qui ont abouti au congédiement de l’appelant ne se seraient pas produits.

 

[23]    Cet argument ne me convainc pas. Je reconnais que l’appelant était mécontent de la décision du Halifax Regional School Board de choisir une candidate qu’il estimait moins compétente et que, par la suite, ses relations avec certaines personnes au sein du Halifax Regional School Board se sont détériorées, mais rien ne montre que le Halifax Regional School Board ait congédié l’appelant parce qu’il avait déposé une plainte auprès de la Human Rights Commission. À coup sûr, l’employeur qui admettrait avoir congédié un employé pour un tel motif ferait preuve d’audace. L’appelant n’a pas non plus perdu son emploi parce qu’il n’avait pas obtenu le nouveau poste. Il a continué à travailler pour le Halifax Regional School Board après s’être porté sans succès candidat au nouveau poste d’enseignant et, de fait, pendant un certain temps après avoir déposé sa plainte auprès de la Human Rights Commission.

 

[24]    Il ressort clairement des lettres qui ont été envoyées pour le compte du Halifax Regional School Board et du procès‑verbal de transaction que les parties ont signé que le paiement de 45 000 $ se rapportait au règlement de deux questions distinctes : le congédiement de l’appelant pour inconduite dans l’exécution de ses tâches et la plainte déposée auprès de la Human Rights Commission après que l’appelant se fut sans succès porté candidat au nouveau poste.

 

[25]    Malgré la description peu précise des 45 000 $ dans le procès‑verbal de transaction et dans les feuillets T4 délivrés par le Halifax Regional School Board, comme le montrent les lettres de Me Pickard, l’ancien employeur de l’appelant n’a pas contredit la preuve de l’appelant selon laquelle une partie de ce montant se rapportait au règlement de la plainte en matière de droits de la personne. Quant au procès‑verbal de transaction, après s’être penchées sur le règlement de l’appel que l’appelant avait interjeté à la suite de son congédiement, dans le préambule ainsi qu’aux paragraphes 1 à 5, les parties se sont arrêtées à l’autre question en litige, à savoir la plainte déposée devant la Human Rights Commission. Au paragraphe 6, l’appelant a accepté de se désister de sa plainte une fois que le Halifax Regional School Board se serait acquitté des obligations qui lui incombaient aux termes du procès‑verbal de transaction. Il importe de noter que le paragraphe 6 traite la [traduction] « plainte en matière de droits de la personne » comme étant quelque chose de différent de l’appel interjeté en vertu de la Education Act, mentionné dans le préambule. La même distinction est faite au paragraphe 7.

 

[26]    À mon avis, l’appelant s’est acquitté de l’obligation qui lui incombait de démontrer que le règlement de la plainte en matière de droits de la personne se rapportait à une « réclamation [...] exist[ant] indépendamment de la perte d’emploi », soit le critère énoncé dans la décision Fawkes v. R. [10] suivant le raisonnement qui avait été fait dans la décision Jolivet v. Minister of National Revenue[11].

 

[27]    Dans la décision Fawkes, le juge Hershfield a conclu que le contribuable avait utilisé « la menace de faire valoir une réclamation en matière de droits de la personne "apparemment" justifiable pour demander la réintégration dans le poste ou une réclamation pour de vagues dommages‑intérêts additionnels dans le but d’obtenir une indemnité de cessation d’emploi élevée » et il a donc conclu que « [...] le lien entre le paiement et la perte de l’emploi [était] suffisant pour faire entrer la totalité de la somme reçue dans la définition du terme "allocation de retraite" donnée dans la Loi, malgré toute insinuation contraire énoncée dans le bulletin [IT‑337R4] »[12]. On ne saurait dire la même chose dans ce cas‑ci. Rien ne donne à penser que le dépôt de la plainte en matière de droits de la personne ait été un moyen de pression faisant partie d’une stratégie plus générale visant à augmenter le montant du règlement à l’égard de la perte d’un emploi. Comme dans la décision Stolte[13], la plainte que l’appelant a déposée en matière de droits de la personne découlait du comportement de son ancien employeur avant les événements qui ont abouti au congédiement.

 

[28]    Dans l’ensemble, la preuve permet de conclure que les parties comprenaient et acceptaient que le règlement de la plainte en matière de droits de la personne était quelque chose de tout à fait distinct du règlement à l’égard de la perte de l’emploi de l’appelant. Par conséquent, le ministre n’aurait pas dû traiter la totalité du paiement de 45 000 $ comme une « allocation de retraite ».

 

[29]    Il reste à savoir s’il est loisible à la Cour d’attribuer une partie du paiement de 45 000 $ au règlement de la plainte en matière de droits de la personne et, dans l’affirmative, quel devrait être ce montant.

 

[30]    Quant au premier point, l’avocat de l’intimée a renvoyé la Cour à un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Forest v. R.[14], dans lequel le juge Noël s’est fondé sur l’arrêt Schwartz c. R., [1996] 1 R.C.S. 254, afin de conclure ce qui suit :

 

[25]      [...] à compter du moment où il a été démontré qu’un paiement a une double vocation, la barre pour en établir la répartition ne doit pas être trop élevée. Comme l’explique le juge La Forest (Schwartz, [...] au para. 41), la partie qui a le fardeau [de prouver la double vocation] :

 

[…] ne devrait pas être tenue de présenter, dans tous les cas où le litige porte sur la répartition d’une somme globale, un élément de preuve particulier équivalant à une expression explicite de l’intention des parties concernées à cet égard. Il doit cependant y avoir une certaine preuve, quelle qu’elle soit, qui permettra au juge de première instance de déduire, selon la prépondérance des probabilités, quelle partie de la somme globale était destinée à indemniser d’un préjudice donné.

 

[26]      Je retiens de ce passage que dans la mesure où il existe une certaine preuve permettant d’identifier sur une base raisonnable la composition d’un montant global, elle doit être retenue.[15]

 

[31]    Il s’ensuit qu’ayant établi la nature double du paiement de 45 000 $, l’appelant fait face à un seuil de preuve peu élevé pour ce qui est de la façon dont il convient de répartir ce montant.

 

[32]    Puisqu’il n’avait pas reçu de réponse du Halifax Regional School Board à la suite de la proposition qu’il avait faite pour qu’un montant de 13 500 $ soit attribué au règlement de l’affaire en matière de droits de la personne, l’appelant a finalement attribué un montant de 17 277 $ sur le paiement de 45 000 $, probablement parce que ce chiffre correspondait à un montant indiqué dans l’un des feuillets T4 que le Halifax Regional School Board ne s’était pas donné la peine de modifier.

 

[33]    L’avocat de l’intimée a fait valoir qu’étant donné que la Human Rights Commission n’a jamais accordé de dommages‑intérêts, aucune valeur ne pouvait à vrai dire être attribuée au règlement de la plainte en matière de droits de la personne. Toutefois, il me semble qu’il ne s’agit pas de savoir ce que l’appelant aurait finalement pu se voir accorder s’il avait donné suite à sa demande, mais plutôt quelle valeur le Halifax Regional School Board a attribuée au règlement de l’affaire. Après n’avoir fait aucun cas pendant environ trois ans des demandes que l’appelant avait faites pour obtenir des éclaircissements au sujet du montant, le Halifax Regional School Board a finalement révélé (non à l’appelant, mais à l’ARC, comme il convient de le noter) qu’il avait envisagé [traduction] « un montant de l’ordre de 5 000 » à l’égard de l’affaire en matière de droits de la personne. Je déduis donc que ce montant représente la valeur minimale que le Halifax Regional School Board aurait attribuée au règlement de la plainte en matière de droits de la personne.

 

[34]    Cela étant, il me semble que la mesure qu’il convient de prendre consiste à faire la moyenne du montant de 17 277 $ dont l’appelant a demandé la déduction et du montant minimum de 5 000 $ admis par le Halifax Regional School Board, de sorte qu’un montant de 11 139 $ est attribué au règlement en matière de droits de la personne.

 

[35]    L’appel est accueilli et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation compte tenu du fait que le paiement forfaitaire de 45 000 $ reçu par l’appelant au cours de l’année d’imposition 2006 a été effectué dans un double but : le règlement de l’appel interjeté par suite de la cessation de son emploi auprès du Halifax Regional School Board et le règlement de la plainte déposée contre le Halifax Regional School Board auprès de la Human Rights Commission et que, sur ce montant, un montant de 11 139 $ est attribué au règlement de la plainte en matière de droits de la personne.

 

       Signé à Edmonton (Alberta), ce 15e jour de décembre 2009.

 

 

 

 

« G. A. Sheridan »

Juge Sheridan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jours de mars 2010.

 

Marie­Christine Gervais, traductrice

 


RÉFÉRENCE :                                  2009 CCI 619

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-3787(IT)G

 

INTITULÉ :                                       PATTRICK A.M. DUNPHY

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 21 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable G. A. Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 15 décembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me Jan Jensen

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :                        

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 



[1] Transcription, page 49, ligne 2.

 

[2] Pièce A-1.

[3] Transcription, page 24; lignes 17 et 18.

 

[4] Pièce A-5.

[5] Pièce A-4.

[6] Transcription, page 60, lignes 4 à 25, à la page 61, lignes 1 à 6 inclusivement.

 

[7] Niles v. M.N.R., 91 DTC 806 (C.C.I.), paragraphe 19; Overin v. R., 98 DTC 1299 (C.C.I.), paragraphes 16 à 19; Fawkes v. R., [2004] 5. C.T.C. 2430 (C.C.I.), paragraphe 23.

 

[8] Overin, précité, paragraphe 16, citant Merrins v. The Queen, 94 DTC 6669 (C.F. 1re inst.).

 

[9] [1996] 2 C.T.C. 2421, paragraphe 20.

[10] [2004] 5 C.T.C. 2430, paragraphe 24.

 

[11] [2000] 2 C.T.C 2118.

 

[12] Fawkes, précité, paragraphe 27.

 

 

[13] Précité, paragraphe 20.

 

[14] [2008] 3 C.T.C 394.

 

[15] Précité, paragraphes 25 et 26.

 

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