Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Dossiers : 2007-2523(IT)I

2007-4728(IT)I

ENTRE :

JAMES NIGHTINGALE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[traduction française officielle]

 

____________________________________________________________________

 

Appels entendus le 16 décembre 2009, à Ottawa (Ontario)

 

 Devant : L’honorable juge Campbell J. Miller

 

 Comparutions :

 

Représentant de l’appelant :

M. Jack R. Bowerman

 

Avocat de l’intimée :

Me Andrew Miller

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l’égard des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2004 et 2005 sont rejetés.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de janvier 2010.

 

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mars 2010.

 

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 1

Date : 20090111

Dossiers : 2007-2523(IT)I

2007-4728(IT)I

ENTRE :

JAMES NIGHTINGALE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[traduction française officielle]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Miller

 

[1]     M. Nightingale, un citoyen canadien qui réside au Canada, a conclu un contrat de prestation de services personnels avec la Vietnam Veterans of America Foundation (la « VVAF ») à la fin 2004. Il s’était engagé à agir comme conseiller technique en Irak dans le cadre de l’Information Management and Mine Action Program de la VVAF (un programme de gestion de l’information et d’action antimines). L’appelant a travaillé en Irak pour la VVAF à la fin de l’année 2004 et durant toute l’année 2005. En l’espèce, la question est de savoir s’il a le droit de déduire les revenus qu’il a reçus de la VVAF pour la période en cause. L’appelant a invoqué les arguments suivants pour appuyer sa demande de déduction :

 

a)                 le sous‑alinéa 110(1)f)(iii) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») lui permet de déduire le revenu tiré d’un emploi auprès d’une organisation internationale visée par règlement – à cet égard, l’appelant soutient avoir exercé indirectement un emploi auprès des Nations Unies, une organisation internationale visée par règlement;

 

b)                l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») – l’appelant soutient avoir fait l’objet de discrimination fondée sur deux motifs :

 

i)   en tant que citoyen canadien qui réside au Canada, par rapport au citoyen américain qui réside au Canada et qui, selon le représentant de l’appelant, ne paierait pas d’impôt aux États-Unis à cause des dispositions législatives relatives aux primes de danger et ne paierait pas d’impôt au Canada à cause de l’application de l’article XV de la Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis (1980) (la « Convention »),

 

ii)  en tant que civil canadien, par rapport aux militaires ou aux policiers canadiens qui ne paient pas d’impôt au Canada en application du sous‑alinéa 110(1)f)(v) de la Loi.

 

Aucun des arguments de l’appelant n’est convaincant.

 

Faits

 

[2]     Au cours des années précédant et suivant la période où l’appelant a travaillé pour la VVAF (en 2004 et 2005), il travaillait directement pour les Nations Unies. Cependant, pour des raisons de sécurité, les Nations Unies ne pouvaient pas être présentes officiellement en Irak pendant cette période‑là. Elles devaient donc conclure des contrats avec d’autres organisations. Cette situation est expliquée dans une note de service, datée du 19 avril 2004, du United Nations Mine Action Service (le service des Nations Unies pour la lutte antimines, ci‑après l’« UNMAS »)[1] :

 

          [traduction]

 

[…]

 

Étant donné la situation précaire de la sécurité en Irak et les restrictions qui encadrent le déploiement du personnel de l’ONU dans ce pays, l’ONU et l’Autorité nationale de lutte antimines d’Irak ont établi une stratégie de lutte antimines faisant appel à des ONG et à des sociétés commerciales dont la présence en Irak ne souffre aucune restriction et à des programmes gérés à distance qui mettent à profit l’expertise et les ressources nationales.

 

[…]

 

Cette situation a aussi été confirmée dans une lettre du Programme des Nations Unies pour le développement (le « PNUD ») datée du 23 novembre 2006 et envoyée à l’Agence du revenu du Canada[2] :

 

          [traduction]

 

Objet : Coopération pour la lutte antimines en Irak entre le PNUD et la Vietnam Veterans of America Foundation

 

La présente vise à confirmer que pour la période allant du 14 janvier 2005 au 30 avril 2006, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a conclu avec la Vietnam Veterans of America Foundation (VVAF) un contrat de prestation de services de conseil technique pour faire de cette dernière son partenaire de mise en œuvre pour appuyer l’Autorité nationale de lutte antimines d’Irak et les Centres régionaux de lutte antimines d’Erbil et de Basra, aussi en Irak.

 

[3]     La VVAF était l’une des ONG avec lesquelles l’ONU avait conclu des contrats de prestation de services en Irak. À son tour, la VVAF a conclu un contrat avec l’appelant (appelé le « consultant » dans le contrat), et ce contrat était notamment rédigé de la sorte[3] :

 

          [traduction]

 

[…]

 

La VVAF a engagé le consultant pour qu’il agisse comme conseiller technique au sein des programmes de gestion de l’information et de lutte antimines de la VVAF, en coopération avec le Département d’État (le DOS), dans le cadre de l’enquête sur les effets des mines en Irak.

 

[…]

 

Le consultant travaillera sous l’autorité de William Barron et de Joseph Donahue, et devra faire rapport mensuellement à M. Barron. […]

 

En reconnaissance des services rendus par le consultant, la VVAF lui versera 8 500 $ par mois. […] Il est entendu que le consultant est un entrepreneur indépendant.

 

Le présent accord est conditionnel au financement adéquat des programmes de la VVAF (y compris son entente avec le DOS) et est subordonné au rendement satisfaisant du consultant. […]

 

Dans une lettre datée du 16 février 2006 qu’il a envoyée à son représentant, l’appelant s’est ainsi exprimé :

 

          [traduction]

 

[…]

 

Je n’avais pas le choix d’accepter l’emploi en Irak que m’avait offert la VVAF, car il s’agissait du seul travail disponible dans mon domaine à ce moment‑là. J’espérais qu’en saisissant le poste offert par la VVAF, peu importe sa nature, je serais le candidat pressenti pour tout nouveau poste créé par l’ONU. […]

 

[4]     Pour ce qui est du financement, dans un courriel envoyé à son représentant, l’appelant avait dit comprendre que les fonds provenaient de membres du Comité consultatif de vérification international, notamment le Fonds arabe de développement économique et social, le Fonds monétaire international, les Nations Unies, la Banque mondiale et le gouvernement intérimaire iraquien.

 

[5]     L’appelant a bel et bien travaillé dans le nord de l’Irak, à Erbil, puis, plus tard en 2005, dans le sud du pays, à Bassora. Manifestement, son travail était lié à des projets des Nations Unies, et, de temps à autre, il devait quitter l’Irak pour rencontrer des représentants des Nations Unies, par exemple, avec des gestionnaires du Programme de lutte antimines du PNUD. De plus, il n’y a aucun doute que l’appelant était rémunéré directement par la VVAF pendant la période en cause, et ce, même si les sommes en question étaient en fait déposées dans un compte bancaire de la United Nations Federal Credit Union, qui est située à New York. La VVAF, qui est établie à Washington, examinait les feuilles de temps et les relevés de compte de dépense produits mensuellement par l’appelant.

 

[6]     L’appelant n’a produit aucune déclaration de revenus aux États-Unis relativement à la période en cause. Il a déclaré des revenus d’emploi provenant de la VVAF à hauteur de 20 416 $ pour 2004 et de 131 943 $ pour 2005 aux fins de l’impôt canadien. L’appelant se fonde maintenant sur l’alinéa 110(1)f) de la Loi et sur l’article 15 de la Charte pour chercher à exclure ces sommes dans le calcul de ses revenus aux fins de l’impôt canadien.

 

Analyse

 

[7]     L’appelant invoque trois arguments à l’appui de sa position :

 

i.        Le sous‑alinéa 110(1)f)(iii) de la Loi permet la déduction du revenu tiré d’un emploi auprès des Nations Unies, une organisation internationale visée par règlement – plus précisément, par l’article 8900 du Règlement de l’impôt sur le revenu (le « Règlement »). Le représentant de l’appelant a soutenu que l’appelant exerçait indirectement un emploi auprès des Nations Unies, et qu’il a donc droit à cette déduction.

 

ii.       L’alinéa 110(1)f) de la Loi est discriminatoire parce qu’il contrevient à l’article 15 de la Charte en opérant une discrimination à l’encontre du citoyen canadien qui réside au Canada par rapport au citoyen américain qui réside au Canada. M. Bowerman, le représentant de l’appelant, soutient que le citoyen américain qui réside au Canada et qui aurait exercé le même emploi que l’appelant en Irak ne serait pas assujetti à l’impôt canadien – il s’agirait donc d’une discrimination fondée sur l’origine nationale.

 

iii.      L’alinéa 110(1)f) de la Loi est discriminatoire parce qu’il contrevient à l’article 15 de la Charte en opérant une discrimination à l’encontre du civil canadien qui participe à une mission en Irak par rapport à l’agent de police canadien ou au membre canadien des Forces canadiennes déployé en Irak. En application du sous‑alinéa 110(1)f)(v) de la Loi, ces derniers peuvent déduire leurs revenus d’emploi ainsi gagnés.

 

Argument fondé sur le sous‑alinéa 110(1)f)(iii) de la Loi

 

[8]     Le sous‑alinéa 110(1)f)(iii) de la Loi est ainsi rédigé :

 

110(1)  Pour le calcul du revenu imposable d’un contribuable pour une année d’imposition, il peut être déduit celles des sommes suivantes qui sont appropriées :

 

[...]

 

f) toute prestation d’assistance sociale payée après examen des ressources, des besoins ou du revenu et incluse en application de la division 56(1)a)(i)(A) ou de l’alinéa 56(1)u) dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année ou toute somme dans la mesure où elle a été incluse dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année, représentant, selon le cas :

 

[...]

 

(iii) un revenu tiré d’un emploi auprès d’une organisation internationale visée par règlement;

 

L’article 8900 du Règlement vise les Nations Unies.

 

[9]     Pour ce qui est de l’application de ces dispositions, la question fondamentale est de savoir si l’appelant exerçait un emploi auprès des Nations Unies. Il n’y a aucun doute que la VVAF n’était pas une organisation internationale visée par règlement, car il ne s’agissait pas d’une institution spécialisée reliée aux Nations Unies conformément à l’article 63 de la Charte des Nations Unies.

 

[10]    L’appelant n’était pas un employé des Nations Unies. Il n’avait aucune relation contractuelle avec les Nations Unies. Aucun élément de preuve ne permet de conclure que les Nations Unies exerçaient un contrôle direct sur les activités de l’appelant. Ce n’étaient pas les Nations Unies qui le rémunéraient. Dans sa correspondance, l’appelant a reconnu qu’il avait conclu son contrat avec la VVAF – en fait, une copie de ce contrat a même été déposée en preuve. Compte tenu de la position officielle des Nations Unies au sujet de l’Irak, elles n’auraient pas pu être l’employeur de l’appelant dans ce pays. J’ai conclu que les Nations Unies n’étaient pas l’employeur de l’appelant.

 

[11]    M. Bowerman a déployé de vaillants efforts, en invoquant la jurisprudence, pour me convaincre de l’importance de faire primer le fond sur la forme et de conclure que le contrat liant l’appelant à la VVAF n’était pas le véritable accord juridique, mais plutôt un écran servant à camoufler le lien de travail entre l’appelant et les Nations Unies. La preuve n’étaye pas cette conclusion. Les décisions Dunbar c. La Reine[4] et Purves c. La Reine[5] ne sont d’aucun secours à M. Bowerman à cet égard.

 

[12]    Récemment, le juge Little de la Cour a dû trancher la même question dans Herchak c. La Reine[6]. Il s’est prononcé de la sorte sur certains des précédents jurisprudentiels invoqués par M. Bowerman :

 

[11]      La Cour a étudié une question semblable dans la décision Creagh v. Canada, [1997] 1 C.T.C. 2392. Dans cette affaire, l’appelant soutenait qu’il avait droit à la déduction prévue par le sous‑alinéa 110(1)f)(iii) de la Loi parce qu’il était un employé des Nations Unies. Il ressort des faits que l’appelant était employé par Canadian Helicopter, laquelle tirait un revenu de sa participation à une opération de maintien de la paix au Cambodge. Après étude des dispositions en cause, la Cour a déclaré que, pour avoir gain de cause en pareilles circonstances, le contribuable devait établir l’existence d’une relation contractuelle entre lui et les Nations Unies. Il ne suffit pas que le contribuable travaille dans le cadre d’une opération de maintien de la paix, encore faut‑il qu’il soit employé par les Nations Unies. La Cour a conclu que l’appelant n’avait pas droit à l’exonération.

 

[...]

 

[15]      Dans la décision Lalancette v. The Queen, 2001 D.T.C. 352, la Cour s’est penchée sur le cas d’un contribuable qui était policier et qui avait été « prêté » aux Nations Unies dans le cadre d’une mission en Haïti. Dans cette décision, le contribuable était apparemment soumis au commandement et à la supervision quotidienne des Nations Unies. Apparemment, il s’était également vu accorder certains droits et immunités en sa qualité de représentant des Nations Unies. Dans la décision Lalancette, la Cour a déclaré qu’un contribuable ne pouvait s’autoproclamer employé des Nations Unies et qu’afin d’avoir gain de cause, il devait fournir des éléments de preuve provenant des Nations Unies.

 

[16]      La décision rendue par la Cour dans l’affaire Lalancette a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Lalancette c. Canada, 2002 CAF 335. La Cour d’appel fédérale a déclaré que le contribuable n’était pas un employé des Nations Unies étant donné que la GRC gardait sur lui le contrôle ultime. Même si les Nations Unies supervisaient quotidiennement l’appelant en Haïti, c’est la GRC qui avait le dernier mot. En l’espèce, il se peut que l’appelant ait travaillé dans un pays placé sous administration des Nations Unies, mais il est clair que Chemonics, qui l’avait embauché, le supervisait et pouvait en tout temps mettre fin à son contrat, gardait sur lui le contrôle ultime.

 

[...]

 

[22]      Dans les décisions susmentionnées, la Cour a conclu que, quand une personne est embauchée par une entreprise, laquelle conclut un contrat avec une personne morale, laquelle à son tour conclut un contrat avec les Nations Unies, ladite personne ne peut se prévaloir de la déduction prévue par l’alinéa 110(1)f) de la Loi. L’appelant est resté l’employé de Chemonics en dépit du fait qu’il travaillait à un projet dans un pays placé sous l’administration des Nations Unies.

 

[23]      Comme la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans l’arrêt Lalancette, afin d’établir si un contribuable est employé par les Nations Unies, la question pertinente est de savoir qui contrôle cet employé. En l’espèce, la preuve indique clairement que les Nations Unies ne contrôlaient pas l’appelant de manière directe de façon quotidienne et que la décision finale au chapitre de la discipline ou de la cessation d’emploi ne leur appartenait pas.

 

[13]    La situation de l’appelant est identique à celle de M. Herchak. Je me rends donc à la même conclusion que le juge Little. La véritable relation contractuelle existait entre l’appelant et la VVAF, et non pas entre l’appelant et les Nations Unies. L’appelant ne peut donc pas se prévaloir de la déduction prévue au sous‑alinéa 110(1)f)(iii) de la Loi, car il n’a pas su établir qu’il exerçait un emploi auprès des Nations Unies.

 

[14]    Je tiens maintenant à souligner que l’intimée a soulevé un argument qui n’avait pas été exposé dans les plaidoiries – le fait que le contrat liant l’appelant à la VVAF précisait que l’appelant était un entrepreneur indépendant plutôt qu’un employé. Cela empêcherait tout à fait l’appelant de se prévaloir de la déduction prévue au sous‑alinéa 110(1)f)(iii) de la Loi. M. Bowerman s’est opposé à la présentation de cet argument en disant qu’il ne s’agissait pas de la question en litige dont avaient convenu l’appelant et l’intimée. M. Bowerman a dit que, si l’intimée tenait à soulever cet argument‑là à l’audience, il allait demander l’ajournement de l’audience pour préparer la présentation d’un argument portant sur le lieu de résidence de l’appelant. Jusqu'à ce moment‑là, les parties s’étaient entendues sur le fait que l’appelant résidait au Canada. Il n’est pas nécessaire que je me penche sur ces questions – d’ailleurs, trop peu d’éléments de preuve m’ont été présentés à ce sujet pour que je puisse le faire. Cependant, les faits établis en l’espèce m’ont permis d’arriver à une conclusion, et ce, en tenant pour acquis que l’appelant a gagné des revenus d’emploi en tant que résident du Canada.

 

Premier argument fondé sur la Charte – citoyenneté

 

[15]    Les dispositions pertinentes sont les articles XV et XXV de la Convention, l’article 15 de la Charte et le sous‑alinéa 110(1)f)(i) de la Loi, qui sont ainsi rédigés :

 

Articles XV et XXV de la Convention :

 

Article XV

 

1. Sous réserve des dispositions des articles XVIII (Pensions et rentes) et XIX (Fonctions publiques), les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu’un résident d’un État contractant reçoit au titre d’un emploi salarié ne sont imposables que dans cet État, à moins que l’emploi ne soit exercé dans l’autre État contractant. Si l’emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre État.

 

2. Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, les rémunérations qu’un résident d’un État contractant reçoit au titre d’un emploi salarié exercé dans l’autre État contractant au cours d’une année civile ne sont imposables que dans le premier État:

 

a) Si ces rémunérations n’excèdent pas dix mille dollars (10 000 $) en monnaie de cet autre État; ou

 

b) Si le bénéficiaire séjourne dans l’autre État contractant pendant une période ou des périodes n’excédant pas au total 183 jours au cours de cette année, et si la charge des rémunérations n’est pas supportée par un employeur qui est un résident de cet autre État ou par un établissement stable ou une base fixe que l’employeur a dans cet autre État.

 

[...]

 

Article XXV[7]

 

1. Les citoyens d’un État contractant qui sont des résidents de l’autre État contractant ne sont soumis dans cet autre État à aucune imposition ou obligation y relative, qui est autre ou plus lourde que celles auxquelles sont ou pourront être assujettis les citoyens de cet autre État qui se trouvent dans la même situation.

 

2. Les citoyens d’un État contractant qui ne sont pas des résidents de l’autre État contractant ne sont soumis dans cet autre État à aucune imposition ou obligation y relative, qui est autre ou plus lourde que celles auxquelles sont ou pourront être assujettis les citoyens de tout État tiers qui se trouvent dans la même situation (y compris l’État de résidence).

 

[...]

 

Article 15 de la Charte :

 

15(1)    La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

 

Sous‑alinéa 110(1)f)(i) de la Loi :

 

110(1)  Pour le calcul du revenu imposable d’un contribuable pour une année d’imposition, il peut être déduit celles des sommes suivantes qui sont appropriées :

 

[...]

 

f) toute prestation d’assistance sociale payée après examen des ressources, des besoins ou du revenu et incluse en application de la division 56(1)a)(i)(A) ou de l’alinéa 56(1)u) dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année ou toute somme dans la mesure où elle a été incluse dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année, représentant, selon le cas :

 

(i) une somme exonérée de l’impôt sur le revenu au Canada par l’effet d’une disposition de quelque convention ou accord fiscal avec un autre pays qui a force de loi au Canada,

 

[16]    M. Bowerman soutient que l’article XV de la Convention permet aux États‑Unis d’imposer le revenu de l’appelant même si celui‑ci est citoyen canadien parce que, aux termes de cette disposition, il avait « exercé » son emploi aux États‑Unis. C’est ici que l’argument de M. Bowerman devient un peu nébuleux. M. Bowerman semble affirmer que le citoyen américain résidant au Canada pourrait se servir de l’article XV de la Convention pour ensuite se prévaloir du sous‑alinéa 110(1)f)(i) de la Loi afin d’échapper à l’impôt canadien. Toutefois, selon mon interprétation de l’article XV de la Convention, cette disposition s’applique à tout résident du Canada qui exerce un emploi aux États‑Unis, et ce, peu importe sa citoyenneté. De son côté, M. Bowerman n’a pas soutenu que l’article XV s’applique à l’appelant, mais plutôt que, pour une raison ou une autre, cette disposition opère une discrimination à l’endroit du citoyen canadien par rapport au citoyen américain. Je n’arrive tout simplement pas à comprendre ce raisonnement. Si l’article XV de la Convention s’applique au résident du Canada parce que celui‑ci exerce un emploi aux États-Unis, celui‑ci n’aura aucun impôt à payer au Canada – il sera plutôt assujetti à l’Internal Revenue Code (la loi américaine qui régit l’impôt sur le revenu), et devra peut‑être payer de l’impôt, selon ce que prévoient les dispositions de l’Internal Revenue Code.

 

[17]    Si l’article XV de la Convention ne s’appliquait pas parce que l’appelant n’avait pas exercé son emploi aux États-Unis – j’ai conclu que tel était le cas dans la présente affaire –, le résident canadien serait alors assujetti à l’impôt du Canada, peu importe sa citoyenneté. D’une manière ou de l’autre, je ne crois pas qu’il y ait de discrimination fondée sur la citoyenneté.

 

[18]    M. Bowerman a invoqué l’article XXV de la Convention pour alléguer qu’en application de cette disposition, le citoyen américain pourrait être mieux traité que le citoyen canadien s’ils résidaient tous deux au Canada et se trouvaient dans la même situation que l’appelant. Une fois encore, je ne comprends pas le raisonnement de M. Bowerman. L’article XXV de la Convention traite de la situation où un citoyen américain résidant au Canada serait tenu de payer plus d’impôt qu’un citoyen canadien résidant au Canada. La situation en cause dans la présente affaire n’est pas du tout la même – on ne peut établir aucun parallèle avec la situation de l’appelant. Je ne vois pas comment l’on pourrait conclure que l’article XXV de la Convention opère une discrimination fondée sur la citoyenneté. Il n’y a aucune raison d’avoir recours à la Charte.

 

Deuxième argument fondé sur la Charte – statut professionnel

 

[19]    Le sous‑alinéa 110(1)f)(v) de la Loi est ainsi rédigé :

 

110(1)  Pour le calcul du revenu imposable d’un contribuable pour une année d’imposition, il peut être déduit celles des sommes suivantes qui sont appropriées :

 

[...]

 

f) toute prestation d’assistance sociale payée après examen des ressources, des besoins ou du revenu et incluse en application de la division 56(1)a)(i)(A) ou de l’alinéa 56(1)u) dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année ou toute somme dans la mesure où elle a été incluse dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année, représentant, selon le cas :

 

[...]

 

(v) la moins élevée des sommes suivantes :

 

(A) le revenu d’emploi gagné par le contribuable, à titre de membre des Forces canadiennes ou d’agent de police, lors des missions suivantes :

 

(I) toute mission opérationnelle internationale, déterminée par le ministère de la Défense nationale, assortie d’une prime de risque de niveau 3 ou plus, déterminé par ce ministère,

 

(II) toute mission visée par règlement qui est assortie d’une prime de risque de niveau 2, déterminé par ce même ministère,

 

(III) toute autre mission qui est visée par règlement,

 

(B) le revenu d’emploi qui aurait été ainsi gagné par le contribuable s’il avait été rémunéré au taux maximal atteint pendant la mission par un militaire de rang des Forces canadiennes;

 

L’appelant soutient que cette disposition est discriminatoire parce qu’elle accorde aux membres des Forces canadiennes et aux agents de police une déduction à laquelle les civils n’ont pas droit. À mon avis, il est ici question de discrimination fondée sur le statut professionnel. La Cour suprême du Canada a eu l’occasion de trancher une affaire relative à l’article 15 de la Charte et dans laquelle la discrimination fondée sur le statut professionnel avait été alléguée. Dans Baier c. Alberta[8], la Cour suprême s’est prononcée de la façon suivante :

 

[63]      Les appelants soutiennent que les modifications apportées par la Loi modificative violent le par. 15(1) de la Charte en portant atteinte à leur droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination fondée sur le motif analogue que constitue, selon eux, le statut professionnel. Il est inutile de décrire les étapes de l’analyse fondée sur le par. 15(1), que le juge Iacobucci a exposées en détail dans l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, aux par. 21‑87, puis résumées au par. 88, et qui ont été réitérées dans de nombreux arrêts depuis. Appliquant cette analyse, je conclus que la Loi modificative traite différemment les employés d’écoles et le groupe de comparaison retenu par les appelants, les employées municipaux, mais que ce traitement différent n’est pas fondé sur un motif énuméré ou analogue.

 

[64]      Dans l’arrêt Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, par. 13, la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) et le juge Bastarache, qui s’exprimaient au nom de la majorité, ont expliqué à quoi peuvent se reconnaître des motifs analogues :

 

En conséquence, quels sont les critères qui permettent de qualifier d’analogue un motif de distinction? La réponse est évidente, il s’agit de chercher des motifs de distinction analogues ou semblables aux motifs énumérés à l’art. 15 – la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. Il nous semble que le point commun entre ces motifs est le fait qu’ils sont souvent à la base de décisions stéréotypées, fondées non pas sur le mérite de l’individu, mais plutôt sur une caractéristique personnelle qui est soit immuable, soit modifiable uniquement à un prix inacceptable du point de vue de l’identité personnelle. [...] D’autres facteurs, que la jurisprudence a rattachés aux motifs énumérés et analogues, tel le fait que la décision produise des effets préjudiciables à une minorité discrète et isolée ou à un groupe qui a historiquement fait l’objet de discrimination, peuvent être considérés comme émanant du concept central que sont les caractéristiques personnelles immuables ou considérées immuables, caractéristiques qui ont trop souvent servi d’ersatz illégitimes et avilissants de décisions fondées sur le mérite des individus.

 

Ils ont ajouté, au par. 8, que les motifs analogues « constituent des indicateurs permanents de l’existence d’un processus décisionnel suspect ou de discrimination potentielle ».

 

[65]      Je ne vois aucune raison, à la lumière de la preuve présentée en l’espèce, de considérer le statut professionnel comme un motif analogue. On n’a pas démontré que le statut professionnel des employés d’écoles ou celui des enseignants constituait une caractéristique immuable ou considérée immuable. On ne saurait non plus qualifier les employés d’écoles de minorité distincte et isolée. Les appelants n’ont pas établi que le statut professionnel des employés d’écoles est un indicateur permanent de l’existence d’un processus décisionnel suspect ou de discrimination potentielle.

 

[20]    J’ai conclu que la législation établit une distinction entre la situation de l’appelant, un civil canadien exerçant un emploi dans une zone de combat, et la situation du soldat canadien exerçant un emploi dans une zone de combat, et qu’il s’agit là d’une discrimination fondée sur le statut professionnel – ce qui ne constitue pas un motif analogue pour l’application de l’article 15 de la Charte. Il est possible d’arriver à la même conclusion en comparant le civil employé par les Nations Unies et le civil employé par une entreprise privée qui travaille en Irak. Ces différences ne s’apparentent pas aux caractéristiques personnelles et aux stéréotypes que le législateur a voulu viser par l’article 15 de la Charte.

 

[21]    En conclusion, l’appelant ne m’a pas convaincu qu’il a droit à une déduction en vertu de l’alinéa 110(1)f) de la Loi ou qu’il a fait l’objet d’une discrimination interdite par l’article 15 de la Charte. Les appels sont rejetés.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de janvier 2010.

 

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mars 2010.

 

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.



RÉFÉRENCE :

2010 CCI 1

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

2007-2523(IT)I et 2007-4728(IT)I

 

INTITULÉ :

James Nightingale c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Campbell J. Miller

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 11 janvier 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelant :

M. Jack R. Bowerman

 

Avocat de l’intimée :

Me Andrew Miller

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

Nom :

 

 

Cabinet :

 

 

Pour l’intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Onglet 11, Recueil de documents de l’appelant.

[2] Onglet 19, recueil de documents de l’intimée.

[3] Onglet 4, recueil de documents de l’intimée.

[4] 2005 CCI 769.

[5] 2005 CCI 290.

[6] 2009 CCI 486.

[7] Note – cet article a été modifié en 2007.

[8] 2007 CSC 31.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.