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Dossier : 2006-796(IT)G

 

ENTRE :

EDMOND OHAYON,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appels entendus le 8 avril 2009, à Toronto (Ontario).

Devant : L'honorable juge Brent Paris

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Amit Thakore

Avocate de l'intimée :

Me Carol Calabrese

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels des nouvelles cotisations établies au titre de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1996 et 1997 sont rejetés avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de janvier 2010.

 

 

« Brent Paris »

Le juge Paris

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de mai 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 25

Date : 20100114

Dossier : 2006‑796(IT)G

 

ENTRE :

EDMOND OHAYON,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Paris

 

[1]     Il s'agit d'appels de nouvelles cotisations établies au titre de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »)[1] à l'égard des années d'imposition 1996 et 1997 de l'appelant.

 

[2]     Le ministre du Revenu national a établi de nouvelles cotisations à l'égard de M. Ohayon en ce qui concerne un revenu d'entreprise non déclaré de 71 405 $ pour son année d'imposition 1996 et de 52 346 $ pour son année d'imposition 1997, et il a imposé des pénalités pour faute lourde au titre du paragraphe 163(2) de la Loi. De plus, les nouvelles cotisations ont été établies après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation prévue par la loi.

 

[3]     Le ministre est arrivé à ces chiffres, à l'égard du revenu d'entreprise non déclaré, au moyen d'une vérification de la valeur nette. Ce type de vérification a été décrit par le juge Bowman (tel était alors son titre) dans la décision Bigayan c. La Reine[2], au paragraphe 2 :

 

La méthode de la valeur nette est, comme on le faisait observer dans l'affaire Ramey v. The Queen, 93 DTC 791, une solution de dernier recours que l'on emploie lorsque tout le reste a échoué. On l'utilise souvent lorsqu'un contribuable a omis de produire des déclarations de revenus ou n'a pas conservé de documents. C'est un instrument imprécis, exact à l'intérieur d'un registre dont le champ est indéterminé. Elle repose sur le postulat selon lequel, si l'on soustrait la valeur nette d'un contribuable en début d'année à sa valeur nette en fin d'année, si l'on ajoute les dépenses du contribuable durant l'année et si l'on soustrait les encaissements non imposables et les plus‑values d'actifs existants, alors le résultat net, après déduction de toute somme déclarée par le contribuable, doit être attribuable au revenu non déclaré gagné durant l'année, sauf si le contribuable peut apporter une preuve contraire. C'est au mieux une méthode insatisfaisante, qui est arbitraire et inexacte, mais quelquefois c'est le seul moyen d'arriver à un chiffre qui se rapproche du revenu d'un contribuable.

 

[4]     En l'espèce, le ministre a émis les hypothèses suivantes (énoncées au paragraphe 6 de la réponse à l'avis d'appel) en ce qui concerne la valeur nette de l'appelant :

 

[TRADUCTION]

 

k)         avec ses actifs d'entreprise, l'appelant possédait en tout des actifs s'élevant au moins à 71 690,94 $, 99 861,56 $ et 151 627,53 $, à la fin des années 1995, 1996 et 1997 respectivement [...]

 

l)          avec ses dettes d'entreprise, les dettes de l'appelant s'élevaient au plus à 22 423,14 $, 32 723,78 $ et 66 439,52 $ à la fin des années 1995, 1996 et 1997 respectivement [...]

 

m)        la valeur nette de l'appelant, à la fin des années 1995, 1996 et 1997, s'élevait au moins à 49 266,90 $, 67 127,77 $ et 85 188,01 $ respectivement [...]

 

n)         à la fin des années 1996 et 1997, la valeur nette de l'appelant avait augmenté d'un montant d'au moins 17 860,87 $ et 18 060,24 $ respectivement par rapport à la valeur nette de l'année antérieure [...]

 

[5]     Le ministre a également supposé que les frais personnels et de subsistance de l'appelant s'élevaient à 64 071,91 $ en 1996 et à 65 257,34 $ en 1997.

 

[6]     Le ministre a conclu qu'afin de mener aux augmentations de sa valeur nette, une fois effectués les rajustements pour les frais personnels et de subsistance ainsi que pour les éléments non imposables, le revenu que l'appelant avait tiré d'une entreprise s'élevait au moins à 91 865,78 $ en 1996 et au moins à 67 230,58 $ en 1997. Dans ses déclarations de revenus, l'appelant a indiqué un revenu d'entreprise de 20 461 $ pour l'année 1996 et de 14 885 $ pour l'année 1997.

 

[7]     L'appelant conteste les cotisations pour le motif que son revenu en sus des montants qu'il a déclarés en 1996 et en 1997 provenait de sources non imposables : le jeu et des dons d'or et d'espèces consentis par son père. L'appelant ne conteste pas les chiffres auxquels le ministre est arrivé pour les frais personnels et de subsistance, ni aucun autre aspect du calcul de son revenu pour les années en litige.

 

[8]     L'appelant prend également la position selon laquelle le ministre n'avait pas le droit d'établir de nouvelles cotisations pour ses années d'imposition 1996 et 1997 après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation, parce qu'il n'avait pas fait de présentation erronée des faits en produisant ses déclarations de revenus. Il maintient également que rien ne permet d'imposer des pénalités pour faute lourde.

 

La preuve

 

[9]     Monsieur Ohayon et son ancienne épouse, Mme Catherine Raby, ont témoigné pour le compte de M. Ohayon, et la vérificatrice à l'Agence du revenu du Canada, Mme Christina Peycha, a été citée par l'intimée.

 

[10]    Monsieur Ohayon a témoigné avoir commencé à jouer lorsqu'il était jeune et avoir continué à jouer fréquemment. Il a affirmé qu'il subvenait parfois à ses besoins à l'aide des gains tirés du jeu. Il a déclaré qu'il avait beaucoup de succès au jeu et qu'il était juste de dire que c'était pour lui une profession en soi. Même après qu'il eut lancé son entreprise de bijouterie à Toronto, en 1986, le jeu lui fournissait un revenu secondaire. Selon le témoignage qu'il a présenté, au début des années 1990, lorsque l'économie a ralenti, M. Ohayon gagnait plus d'argent à jouer qu'à exploiter son entreprise (et il y consacrait également plus de temps). Monsieur Ohayon a déclaré qu'il jouait tous les jours, qu'il effectuait des voyages, en vue de jouer, à Atlantic City, à Las Vegas, à Niagara Falls, aux Bahamas, à Zagreb et à Budapest, et qu'il effectuait des croisières depuis Miami. Il a affirmé qu'on l'invitait souvent à des voyages de jeu, tous frais payés, parce qu'il était un client régulier à certains de ces endroits.

 

[11]    Monsieur Ohayon a témoigné qu'il limitait ses pertes et qu'il gagnait parfois de gros montants, de 10 000 $ à 15 000 $. Il a affirmé avoir gagné 68 000 $ une fois aux Bahamas, en 1994 ou en 1995, et avoir déposé l'argent dans un compte qu'il avait avec son épouse à la Royal Bank of Scotland, à Nassau. Il accédait ensuite aux fonds au moyen de virements télégraphiques. Aucun relevé n'était disponible pour ce compte, a‑t‑il dit, parce que la succursale avait fermé ses portes à la fin des années 1990.

 

[12]    En ce qui concerne son entreprise de bijouterie, M. Ohayon a affirmé qu'elle [TRADUCTION] « n'était pas ouverte ces années‑là » et que, la plupart du temps, il n'était pas à Toronto. J'ai supposé que cela voulait dire qu'il n'exploitait pas son entreprise en 1996 et en 1997, puisqu'il avait antérieurement témoigné avoir fermé son entreprise et s'être installé à Miami avec Mme Raby vers 1994 ou 1995, ou en 1998, mais qu'il ne savait pas trop à quel moment. Toutefois, il a ensuite affirmé que son entreprise était fermée pendant la plus grande partie des années 1995 et 1996, et qu'il ne se rappelait pas si elle était ouverte en 1997. Finalement, lors du contre‑interrogatoire, lorsqu'on lui a montré des documents comptables concernant l'entreprise, lesquels indiquaient qu'il avait exploité son entreprise pendant toute l'année 1996 et pendant toute l'année 1997, M. Ohayon a affirmé que, ces années‑là, il s'absentait de Toronto pour de brèves périodes seulement et qu'il n'avait pas fermé son entreprise.

 

[13]    Monsieur Ohayon a également mentionné un voyage qu'il avait fait avec des connaissances à Zagreb et à Budapest, au cours des années ici en cause. Monsieur Ohayon a témoigné que ses connaissances avaient payé tous les frais du voyage, parce qu'elles étudiaient des occasions d'affaires à ces endroits et qu'elles l'avaient invité. Il se rappelait qu'à Zagreb, il avait gagné 8 000 marks allemands, ce qui représente, a‑t‑il dit, 5 000 $, et à Budapest, il avait gagné 4 000 marks allemands dans un casino. Cependant, lors du contre‑interrogatoire, M. Ohayon a semblé dire qu'il avait peut‑être dépensé un montant pouvant atteindre 10 000 $ sur les montants gagnés au cours du voyage et qu'il ne se rappelait pas combien d'argent il avait rapporté au Canada.

 

[14]    Monsieur Ohayon a également dit qu'après le décès de sa mère, en Israël, en 1994, son père avait apporté à Toronto des bijoux en or valant près de 200 000 $ et qu'il les lui avait remis pour qu'il les mette en sécurité. (Lors du réinterrogatoire, M. Ohayon a dit que la quantité d'or reçue de son père avait une valeur d'environ 240 000 $.) Il a déclaré avoir vendu à divers moments, en 1996 et en 1997, de petites quantités d'or à des bijoutiers, à Toronto; selon lui, le produit des ventes s'élevait en tout à 50 000 ou à 60 000 dollars américains. Il n'avait pas de reçus ou d'autres documents à l'égard de ces ventes, mais il avait deux reçus pour des ventes d'or de 84 000 $ et de 99 999,98 $, conclues avec deux sociétés de Toronto, en 1998 et en 1999.

 

[15]    Monsieur Ohayon a dit à la Cour que son père lui avait également donné 10 000 $, lorsqu'il l'avait visité en Israël, en 1993.

 

[16]    Monsieur Ohayon a présenté une lettre datée du 21 juillet 2002 d'une personne identifiée comme étant Sigal Shitrit, dans laquelle il était déclaré que celui‑ci était [TRADUCTION] « l'avocat représentant la famille de M. Simon Ohayon » et [TRADUCTION] qu'« à ce qu'il sache », M. Simon Ohayon avait remis à l'appelant un montant d'environ 200 000 ou 250 000 dollars américains ainsi que de l'or, entre les années 1985 et 1997. Monsieur Shitrit ajoutait ce qui suit dans la lettre :

 

[TRADUCTION]

 

Monsieur Simon Ohayon a mis de côté des espèces et de l'or, comme le faisaient de nombreuses gens de sa génération. Sa sécurité reposait sur le fait qu'il pouvait faire des économies et remettre son argent à son fils aîné. Étant donné que Simon Ohayon avait connu la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle les personnes d'ascendance juive ont été dépouillées de leurs possessions personnelles et de tous les fonds qu'elles avaient à la banque et ont été envoyées à des camps de concentration, il estimait, comme de nombreuses gens de cette génération, que les espèces et l'or lui donnaient un sentiment de sécurité, dans un monde où les gens n'en avaient pas.

 

Étant donné la façon dont M. Simon Ohayon a réalisé ses économies, il n'est pas possible de fournir de documents bancaires à l'appui de ces épargnes.

 

[17]    Madame Raby a témoigné que M. Ohayon jouait [TRADUCTION] « beaucoup » et qu'elle l'accompagnait souvent dans ses voyages, lorsqu'il jouait. Elle a déclaré qu'elle ne restait pas à le regarder jouer, mais selon elle, il lui arrivait plus souvent de gagner que de perdre. Elle a raconté que, lors d'un voyage aux Bahamas, il avait gagné de 70 000 à 80 000 dollars américains dans un casino et que l'argent avait été déposé dans un compte à leurs noms, à la succursale de la Royal Bank of Scotland, à Nassau. Elle ne se rappelait pas en quelle année le voyage avait été effectué, mais elle a dit que c'était avant 1998. Elle n'a pas utilisé les fonds qui étaient dans le compte, mais elle a déclaré qu'un gros montant avait été viré à un compte qu'elle avait à la Banque de commerce, à Toronto, en l'an 2000. Elle se rappelait que le virement avait posé des problèmes et que les fonds avaient apparemment été perdus, mais qu'ils avaient par la suite été recouvrés. Elle a fait référence à une lettre datée du 20 août 2004 de Mme Kathy Howes, conseillère financière à la Banque de commerce, à Toronto, dans laquelle il était déclaré ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

Nous aimerions vous informer que nous essayons d'obtenir une copie d'un télégramme reçu par Mme Raby il y a environ quatre ans. Nous prévoyons qu'il faudra énormément de temps pour le trouver, étant donné que peu de renseignements ont été fournis et que certains documents datant de cette époque ont été détruits.

 

Je me rappelle certains détails de la transaction au sujet de laquelle vous demandez des renseignements. Madame Raby a reçu un virement télégraphique d'environ 50 000 dollars américains (le montant exact n'est pas connu) de la Royal Bank of Scotland, à Nassau. Le télégramme a été perdu en transit et notre succursale a passé au moins un mois à tenter de trouver les fonds. Nous croyons que cela s'est produit au premier semestre de l'année 2000, mais la date exacte n'est pas connue. J'ai pu trouver le nom et l'adresse de la banque dans le dossier de Mme Raby.

 

La Royal Bank of Scotland (Nassau) Ltd.

 

[18]    Madame Raby a également témoigné que le père de M. Ohayon avait apporté les bijoux en or de sa femme, qui était décédée, à Toronto afin de les remettre à la famille. Elle n'a pas précisé à quel moment cela s'était produit.

 

Analyse

 

[19]    La première question qui se pose dans les présents appels est de savoir si le ministre avait le droit d'établir de nouvelles cotisations à l'égard de l'appelant après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation. Le sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la Loi permet au ministre de le faire dans les circonstances suivantes :

 

a)         le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

 

(i)         [...] a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, [...]

 

C'est à l'intimée qu'incombe la charge de la preuve en ce qui concerne les faits justifiant l'établissement d'une nouvelle cotisation après la période normale.

 

[20]    L'avocat de l'appelant a soutenu que l'intimée ne s'était pas acquittée de cette obligation et que la preuve présentée à la Cour ne montre pas que l'appelant ait fait une présentation erronée des faits en produisant ses déclarations de revenus des années 1996 et 1997. L'appelant admet avoir eu le revenu qu'a calculé le ministre, en 1996 et 1997, mais il a soutenu que rien ne montrait que les augmentations de la valeur nette étaient attribuables à un revenu qu'il avait tiré de son entreprise de bijouterie ou de quelque autre source imposable. Le revenu d'entreprise déclaré pour les années 1996 et 1997 était compatible avec ce qui avait été déclaré au cours des années antérieures et des années ultérieures. L'avocat a soutenu que l'appelant et Mme Raby étaient tous deux des témoins crédibles et que leurs témoignages montraient que l'augmentation de la valeur nette de l'appelant était attribuable aux montants gagnés au jeu ainsi qu'à l'or et aux espèces reçus du père de l'appelant.

 

[21]    Récemment, dans l'arrêt Lacroix c. La Reine[3], la Cour d'appel fédérale a examiné ce que le ministre était tenu de faire afin de s'acquitter de son obligation lorsqu'une nouvelle cotisation était établie après l'expiration de la période prévue par la loi et que des pénalités pour faute lourde étaient imposées dans le cas d'une cotisation fondée sur la valeur nette. Au paragraphe 32, le juge Pelletier a dit ce qui suit :

 

Qu'en est-il alors du fardeau du ministre? Comment s'en acquitte-t-il? Il se peut que dans certaines circonstances, le ministre soit en mesure de faire une preuve directe de l'état d'esprit du contribuable lorsque ce dernier a produit sa déclaration de revenu. Mais dans la grande majorité des cas, le ministre ne pourra que miner la crédibilité du contribuable, soit par des éléments de preuve qu'il apporte, soit en contre-interrogatoire du contribuable. Dans la mesure où la Cour canadienne de l'impôt est persuadée que le contribuable touche un revenu qu'il n'a pas déclaré et que l'explication offerte par le contribuable pour l'écart constaté entre son revenu déclaré et l'accroissement de son actif est non crédible, le ministre s'est acquitté du fardeau de preuve qui lui incombe aux termes du sous‑alinéa 152(4)a)(i) et du paragraphe 162(3).

 

La Cour d'appel fédérale a également cité son arrêt antérieur Molenaar c. La Reine[4], dans lequel une cotisation fondée sur la valeur nette avait également été établie. Voici ce que le juge Létourneau avait dit au paragraphe 4 :

 

À partir du moment où le ministère établit selon des données fiables un écart, substantiel dans le cas présent, entre les actifs d'un contribuable et ses dépenses et où cet écart demeure inexpliqué et inexplicable, le ministère a assumé son fardeau de preuve. Il appartient alors au contribuable d'identifier la source et d'établir la nature non imposable de ses revenus.

 

[22]    En l'espèce, je conclus que M. Ohayon n'a pas fourni d'explications crédibles au sujet de l'écart entre son revenu, tel qu'il était déclaré dans ses déclarations de revenus pour ses années d'imposition 1996 et 1997, et le revenu global qu'il a gagné ces années‑là, tel que la vérification de la valeur nette l'a établi.

 

[23]    La preuve qui a été fournie au sujet des montants gagnés au jeu est vague et n'est pas corroborée par quelque preuve documentaire. De fait, l'assertion de l'appelant selon laquelle il gagne régulièrement au jeu plus d'argent qu'il n'en perd n'était pas étayée par les documents concernant les joueurs établis par deux casinos de l'Ontario : le casino Rama et le casino de Niagara. La vérificatrice a signifié à ces établissements des demandes en vue d'obtenir des renseignements ou des documents indiquant les opérations effectuées par l'appelant dans ces casinos. Apparemment, chacun des casinos avait remis une carte de joueur à M. Ohayon, carte que ce dernier utilisait lorsqu'il jouait à ces endroits. Les renseignements portant sur la carte de joueur montraient qu'en 1996, l'appelant avait subi des pertes nettes de 1 000 $ au casino de Niagara et de 14 556 $ au casino Rama. En 1997, il avait fait des gains nets de 8 900 $ au casino de Niagara et avait subi une perte nette de 4 300 $ au casino Rama. Par conséquent, au cours de ces deux années, l'appelant avait subi, en jouant, des pertes nettes d'environ 11 000 $ dans ces deux casinos. Au cours de cette période, l'appelant a perdu à peu près deux fois plus d'argent qu'il n'en a gagné dans ces deux établissements pendant les activités de jeu consignées au dossier.

 

[24]    Comme l'avocat de l'appelant l'a signalé, il est vrai que l'appelant n'a peut‑être pas utilisé sa carte de joueur tout le temps pendant qu'il jouait au casino de Niagara et au casino Rama, de sorte que les montants gagnés et perdus au jeu n'ont peut‑être pas tous été consignés, mais en l'absence d'une preuve contraire, je crois que les résultats consignés constituent un échantillon représentatif des montants gagnés et perdus par l'appelant à ces deux endroits. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les résultats au casino Rama, où les résultats semblent se rapporter à un grand nombre de visites[5].

 

[25]    De même, la preuve présentée par M. Ohayon, selon laquelle il avait gagné de gros montants aux Bahamas, en Croatie et à Budapest, n'était pas étayée par des documents. Je note également que la vérificatrice a témoigné que M. Ohayon ne lui avait pas révélé qu'il avait gagné de gros montants en jouant à ces endroits ni qu'il avait ouvert un compte à la Royal Bank of Scotland, à Nassau, afin d'y déposer les montants gagnés au jeu. Il n'avait pas non plus mentionné qu'il jouait ailleurs qu'à Las Vegas et à Atlantic City. Les relevés de carte de crédit de M. Ohayon que la vérificatrice a obtenus indiquent que des dépenses avaient effectivement été faites dans ces villes, ainsi que dans un casino à Niagara Falls et au casino Rama, ce qui montre, selon moi, que si M. Ohayon s'était rendu aux Bahamas ou en Europe afin de jouer, il existerait probablement une preuve documentaire à cet égard. Enfin, si, comme M. Ohayon l'affirme, tous les frais se rapportant au voyage en Europe avaient été payés par quelqu'un d'autre, ce fait aurait pu être confirmé par la personne en cause ou par d'autres personnes avec qui M. Ohayon a affirmé avoir voyagé.

 

[26]    La déclaration de M. Ohayon selon laquelle il n'a pas pu obtenir de preuve au sujet du compte à la Royal Bank of Scotland, à Nassau, pose également des problèmes. Selon une lettre que le comptable de M. Ohayon a envoyée à la Direction générale des appels de l'ARC le 26 avril 2004, la Royal Bank of Scotland avait informé M. Ohayon que la banque [TRADUCTION] « ne conserve pas de documents de sa succursale à Nassau pendant plus de sept ans ». Toutefois, selon le témoignage de Mme Raby, le virement du compte de Nassau au compte de la Banque de commerce, à Toronto, a eu lieu en l'an 2000, quatre ans seulement avant que M. Ohayon eût censément tenté d'obtenir des documents relatifs au compte[6].

 

[27]    L'existence du compte en banque à Nassau est dans une certaine mesure corroborée par la lettre de Mme Howes de la Banque de commerce, mais rien ne montre à quel moment les fonds ont été déposés dans le compte ni quelle était la source de ces fonds. Comme l'avocate de l'intimée l'a signalé, même si le compte avait été ouvert à l'aide des montants gagnés au jeu, cela se serait produit avant les années visées par l'appel, et les montants gagnés allégués auraient dans l'ensemble été conservés dans le compte jusqu'en l'an 2000. Cela veut dire qu'il y aurait eu peu d'argent qui aurait été utilisé pour financer les dépenses de l'appelant au cours des années ici en cause. En outre, l'appelant a affirmé que des fonds avaient été retirés du compte en vue de payer les dépenses à Nassau, lorsqu'il s'y rendait avec Mme Raby. Étant donné que ces dépenses n'ont pas été prises en compte dans la vérification de la valeur nette, l'emploi d'actifs antérieurement non divulgués à ces fins ne devrait pas non plus être pris en compte.

 

[28]    Le témoignage que Mme Raby a présenté au sujet des montants que M. Ohayon avait gagnés au jeu était également vague. À part les montants gagnés aux Bahamas, elle n'a pas pu donner de détails au sujet de quelque montant gagné au jeu, qu'il s'agisse de la date, de l'endroit ou du montant en cause.

 

[29]    Je conclus également que le témoignage de l'appelant n'est pas convaincant, lorsqu'il déclare qu'en 1996 et en 1997, il a tiré de 50 000 à 60 000 dollars américains de la vente de l'or que son père lui avait donné. Encore une fois, l'appelant n'avait pas de documents ou de reçus en vue de corroborer cette allégation, bien qu'il ait eu des reçus pour de grosses ventes au cours des deux années subséquentes. L'appelant n'a pas non plus indiqué à qui il avait vendu l'or, sauf pour dire qu'il l'avait vendu à des bijoutiers. Étant donné les gros montants en cause, je m'attendrais à ce que certains documents aient été conservés à l'égard de ces opérations, si elles ont eu lieu, ou à ce que certains témoins aient pu confirmer que les opérations avaient été conclues. Je tire une déduction défavorable de l'omission de l'appelant de citer comme témoin l'un ou l'autre des bijoutiers à qui l'or a censément été vendu.

 

[30]    Le témoignage que Mme Raby a présenté au sujet de l'or n'était pas utile. Madame Raby a affirmé que le père de l'appelant avait apporté de l'or à Toronto, mais elle n'a pas révélé combien d'or il avait apporté, et elle n'a pas fourni de preuve au sujet de ventes d'or réellement conclues.

 

[31]    De plus, il ne va pas de soi que l'appelant aurait eu droit au produit des ventes d'or, si de fait elles avaient eu lieu. L'appelant avait initialement affirmé qu'on lui avait remis l'or pour le mettre en sécurité, à l'abri de sa nouvelle belle‑mère, mais il a par la suite parlé d'un héritage. Toutefois, il a témoigné avoir huit frères et soeurs et, à un autre moment, il a affirmé que, dans sa famille, les héritages étaient partagés également. Si c'est le cas, l'appelant n'aurait eu droit qu'à une petite partie de l'or. Dans son témoignage, Mme Raby a confirmé que le père de l'appelant avait apporté de l'or pour le distribuer à ses enfants. Madame Raby a également déclaré qu'un des frères de l'appelant vit à Toronto, ce qui m'amène à me demander pourquoi ce frère n'a pas été cité pour témoigner, étant donné qu'il aurait probablement pu fournir une preuve pertinente au sujet du fait que leur père avait apporté au Canada l'or appartenant à leur mère décédée.

 

[32]    Je n'accorde aucun poids à la lettre de M. Shitrit, étant donné que l'on ne sait pas trop comment il a été mis au courant des dons que Simon Ohayon avait consentis à l'appelant. En outre, la période pendant laquelle les dons ont eu lieu, selon M. Shitrit, soit de 1985 à 1997, rend sans valeur ce renseignement dans la lettre lorsqu'il s'agit d'expliquer toute augmentation de la valeur nette de l'appelant, en 1996 et en 1997 en particulier.

 

[33]    Je note également que l'appelant a affirmé avoir reçu de l'argent de son père en 1993 ou 1994 seulement, soit en dehors de la période ici en cause; cette affirmation n'est donc pas pertinente lorsqu'il s'agit de déterminer la source du revenu de l'appelant au cours des années visées par l'appel.

 

[34]    Enfin, l'appelant soutient que les montants qu'il a déclarés au titre du revenu en 1996 et en 1997 étaient généralement compatibles avec les montants qu'il a déclarés au cours des années antérieures et des années subséquentes, mais ces autres années n'ont pas fait l'objet d'une vérification et, en l'absence d'éléments de preuve additionnels, je ne puis déduire que les montants déclarés étaient exacts.

 

[35]    Puisque j'ai rejeté l'explication que l'appelant a donnée au sujet de l'origine des montants élevés qu'il a admis avoir reçus au titre du revenu en 1996 et en 1997, et en l'absence de quelque élément de preuve crédible indiquant que le revenu provenait d'une source ou de sources non imposables, je dois conclure que l'appelant a omis de déclarer un revenu imposable correspondant aux montants établis pour ses années d'imposition 1996 et 1997, et que cette omission a donc été faite sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde. Les remarques que la Cour d'appel fédérale a faites dans l'arrêt Lacroix, dont j'ai déjà fait mention dans les présents motifs, s'appliquent également à l'obligation qui incombe à l'intimée de prouver les faits nécessaires en vue de confirmer l'imposition des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi.

 

[36]    Pour ces motifs, les appels sont rejetés, les dépens étant adjugés à l'intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de janvier 2010.

 

 

« Brent Paris »

Le juge Paris

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de mai 2010.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 25

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2006‑796(IT)G

 

INTITULÉ :                                       EDMOND OHAYON c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 8 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge Brent Paris

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 14 janvier 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Amit Thakore

Avocate de l'intimée :

Me Carol Calabrese

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelant :

 

                   Nom :                     Amit Thakore

 

                   Cabinet :                Lafontaine & Associates

 

          Pour l'intimée :                 John H. Sims, c.r.

                                                 Sous-procureur général du Canada

                                                 Ottawa, Canada

 



[1]           L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), dans sa version modifiée.

 

[2]           no 97‑2699(IT)G, 10 novembre 1999, 2000 D.T.C. 1619 (C.C.I.).

 

[3]           2008 CAF 241.

 

[4]           2004 CAF 349.

 

[5]           Pièce R-1, onglet 19, recueil de documents de l'intimée.

 

[6]           Pièce A-1, onglet 14.

 

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