Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Référence : 2010 CCI 4

Date : 20100118

Dossier : 2006-3297(IT)G

ENTRE :

ROBERT JEWETT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me John David Buote

Avocate de l’intimée :

Me Jenny P. Mboutsiadis

 

 

 

(Rendus oralement à l’audience le 20 novembre 2009,

à Toronto (Ontario))

Le juge Miller

  • [1] Il s’agit d’une affaire de cotisation de valeur nette portant sur les années d’imposition 1999, 2000 et 2001. L’appelant, M. Jewett, prétend avoir gagné un faible revenu au cours de ces années, tandis que le ministre du Revenu national a établi une cotisation en incluant dans le revenu de M. Jewett, pour les années en cause, des montants de 111 323 $, de 194 765 $ et de 195 605 $, respectivement. Le ministre est arrivé à ces montants en se fondant sur la présomption que M. Jewett était personnellement propriétaire de neuf immeubles à usage locatif, dont il tirait un revenu considérable. M. Jewett soutient qu’il ne possédait pas personnellement ces immeubles, mais qu’il était propriétaire d’une société qui, elle, en tirait un revenu locatif. Compte tenu du témoignage de M. Jewett, je conclus que ses pratiques commerciales étaient peu orthodoxes, mais pas au point de générer la totalité des revenus d’un demi-million de dollars que le ministre a établis dans sa cotisation; il s’agirait tout de même d’une part considérable de cette somme, soit environ 295 000 $.

LES FAITS

  • [2] L’entreprise de M. Jewett consistait à louer des chambres à des locataires à faible revenu ou touchant des prestations d’assistance sociale. Il pouvait y avoir jusqu’à neuf ou dix locataires par immeuble. Au début, au milieu des années 1980, il était lui-même propriétaire de ces immeubles, mais il a laissé entendre que, sur les conseils d’avocats, pour se mettre à l’abri des créanciers, il avait ensuite inscrit chaque immeuble à usage locatif au nom d’une société.

  • [3] Il a constitué une société de portefeuille, 802179 Ontario Inc., que j’appellerai « 802 »; cette dernière a constitué des filiales qui sont devenues propriétaires des immeubles. M. Jewett soutient qu’au cours des premières années, il a pu compter sur l’aide financière de sa famille et d’amis, ainsi que sur le montant net dégagé de la vente d’une maison. Cette affirmation n’a pas été corroborée.

  • [4] M. Jewett prétend qu’à la fin des années 1980, il a été touché par des changements apportés à la législation provinciale qui visaient à protéger les droits des locataires et qui lui ont rendu la tâche plus difficile pour ce qui est de l’expulsion des locataires indésirables. De plus, les règlements de Mississauga n’autorisaient l’hébergement de pensionnaires que dans les logements de type propriétaire-occupant. M. Jewett a conçu un nouveau plan. Il inscrirait les immeubles au nom de locataires, et sa société ou lui-même supporterait la totalité des dépenses et continuerait de percevoir un loyer des pensionnaires. C’est ainsi que deux immeubles ont été achetés en 1996, cinq en 1997, un en 1998 et un en 1999. On m’a présenté un tableau dans lequel figuraient les adresses des immeubles ainsi que les noms des locataires inscrits sur le titre de propriété. M. Jewett a soutenu que les locataires agissant à titre de prête-noms dont le nom apparaissait sur le titre de propriété savaient qu’ils le faisaient, savaient qu’ils devaient présenter une demande de prêt hypothécaire et savaient qu’ils pouvaient tirer profit de l’arrangement en obtenant une part de la valeur nette de l’immeuble si la valeur de ce dernier augmentait considérablement.

  • [5] D’après le témoignage de MM. Weston, Martin et Overton, trois des locataires agissant à titre de prête-noms, il était évident que la compréhension qu’ils avaient de cet arrangement variait, mais aucun d’eux n’était parfaitement au courant de la situation, comme le laissait entendre M. Jewett. M. Weston, par exemple, a reconnu qu’il avait accepté que son nom figure sur le titre de propriété d’un seul immeuble, mais jamais qu’un autre immeuble soit inscrit à son nom. Il ne pensait pas non plus qu’il pourrait un jour obtenir une part de la valeur nette de l’immeuble. Il a également nié avoir signé des documents hypothécaires quelconques. M. Martin a déclaré qu’il avait participé à l’arrangement sous la contrainte et contre son gré. M. Overton ne se souvenait pas d’avoir pris part à un tel arrangement. Les immeubles étaient fortement hypothéqués. J’en dirai plus sur la question dans un moment.

  • [6] M. Jewett a suggéré que, pour chacun des immeubles, un bail soit conclu avec 802, aux termes duquel cette dernière conviendrait de payer un loyer mensuel qui couvrirait l’hypothèque, les intérêts et les taxes. De plus, aux termes du bail, 802 supporterait la totalité des frais de services publics. Elle aurait le droit de sous-louer l’immeuble.

  • [7] M. Jewett a fourni une copie de quatre de ces baux, dont la plupart n’étaient pas dûment signés, et qui ont été produits un jour ouvrable avant le procès. Ces baux s’étendaient effectivement sur plusieurs années. Vraisemblablement, une fois qu’un bail expirait, celui-ci pouvait être renouvelé ou, d’après M. Jewett, un nouveau bail pouvait être conclu avec une nouvelle personne, ou l’immeuble pouvait être acheté par l’une des sociétés de M. Jewett. En fait, c’est ce qui est arrivé dans le cas d’un immeuble en particulier, qui a été transféré au nom de l’une des sociétés de M. Jewett, MLZ Productions Inc. Là encore, la preuve concernant la compréhension qu’avaient les personnes inscrites sur le titre de propriété au sujet des baux était minime. Ces personnes avaient tenu pour acquis qu’elles faisaient affaire avec M. Jewett.

  • [8] On ne m’a pas convaincu de la validité de ces baux. J’imagine un arrangement nettement plus flou, suivant lequel M. Jewett touchait un loyer de ses pensionnaires et se servait simplement de ces fonds locatifs pour payer les dépenses. Il n’y avait pas non plus de baux conclus avec les pensionnaires; aucun n’a été produit lors de l’instruction.

  • [9] Au moment de l’achat d’un immeuble, M. Jewett donnait instruction à un mandataire d’obtenir une hypothèque d’un montant proche du prix de l’immeuble. Les prix des neuf immeubles variaient d’environ 160 000 $ à 190 000 $, avec, en moyenne, un versement comptant de 20 000 $ et une hypothèque pour le solde. M. Jewett soutient que c’est lui qui a fourni l’acompte, par l’intermédiaire de 802, au moyen d’une avance de l’actionnaire. Là encore, il n’y a eu aucun document pour le confirmer.

  • [10] Les hypothèques étaient obtenues auprès d’établissements de crédit de bonne réputation, à la suite de demandes qui auraient été présentées par les locataires agissant à titre de prête-noms. Il est clairement ressorti d’un examen des demandes de prêt hypothécaire, qui étaient accompagnées d’une lettre de l’employeur présumé du demandeur et d’un feuillet T4, qu’elles étaient inventées de toutes pièces. Il faut se souvenir que les locataires inscrits recevaient pour la plupart des prestations d’assistance sociale; pourtant, leurs demandes précisaient qu’ils avaient tiré des gains élevés d’une société appelée Grand Trunk Holdings et étaient accompagnées d’un faux feuillet T4 qui confirmait ces gains fictifs. M. Jewett a reconnu que Grand Trunk était le nom d’une société américaine dont il avait déjà été propriétaire, mais qui n’existait plus depuis longtemps, encore que, longtemps après les demandes d’hypothèque, il avait eu l’occasion de constituer une société ontarienne appelée Grand Trunk. M. Jewett n’a pu expliquer l’origine de ces fausses demandes. Je ne le crois pas. Et je ne le crois pas parce que : premièrement, il a plus tard reconnu avoir falsifié des demandes de carte de crédit; deuxièmement, personne d’autre que M. Jewett n’aurait été au courant de l’existence de Grand Trunk et n’aurait utilisé cette société dissoute comme faux employeur; troisièmement, les propriétaires agissant à titre de prête‑noms m’ont convaincu qu’ils n’avaient pris part à la présentation d’aucune demande de prêt hypothécaire; quatrièmement, M. Jewett a admis qu’il avait en fait signé les noms de personnes inscrites sur des documents à l’égard desquels il croyait disposer d’une procuration.

  • [11] Outre les hypothèques de premier rang qui grevaient ces immeubles, M. Jewett avait sur ces derniers des hypothèques de second rang, au nom d’une autre de ses sociétés, MLZ Productions Inc., d’un montant d’environ 150 000 $ dans chaque cas. Cette mesure, d’après M. Jewett, avait pour but de protéger la valeur nette réelle des immeubles. Souvenons-nous que quelqu’un avait avancé les fonds qu’il manquait pour ces immeubles. Comme l’a déclaré M. Jewett, 802 contrôlait le loyer et la valeur nette réelle des immeubles, mais elle n’en était pas la propriétaire en common law. Il a laissé entendre qu’il avait indemnisé les propriétaires, mais on ne m’a montré aucune preuve de cela.

  • [12] Je conclus qu’il y a certainement eu un arrangement suivant lequel les immeubles que contrôlait M. Jewett étaient détenus au nom d’autres personnes, que celles-ci le sachent ou non. Comme il a été mentionné, je doute que les baux conclus avec 802 aient été valides, quoique quelqu’un sous-louait des chambres à des locataires à faible revenu. Cependant, là encore, il n’existait aucune copie d’un contrat de location écrit avec ces locataires.

  • [13] Les immeubles étaient mal entretenus et avaient plus d’occupants que le nombre pour lequel ils étaient vraisemblablement conçus. Je conclus également que les loyers, en espèces principalement, étaient perçus par M. Jewett par l’entremise de mandataires, dont l’un a témoigné en ce sens.

  • [14] Les documents ayant servi à inscrire les loyers, les expulsions ou les avis aux locataires provenaient de la société de M. Jewett, 802, à titre de société de gestion. Les loyers étaient déposés dans le compte bancaire de 802, mais M. Jewett a reconnu qu’il ne détenait pas de compte personnel. Je conclus que M. Jewett s’est servi du compte de 802 à la fois comme compte commercial et comme compte personnel. Je conclus également que 802 était la société de gestion ou la mandataire de M. Jewett pour la perception des loyers et l’application de l’arrangement; il s’agissait en réalité d’une société de gestion immobilière, par opposition à un propriétaire bailleur. En fait, les avis d’expulsion faisaient référence à la société de gestion, plutôt qu’au propriétaire bailleur.

  • [15] M. Jewett est allé jusqu’à inscrire sa résidence personnelle au nom de prêtes‑noms, à utiliser de faux renseignements pour demander des cartes de crédit au nom d’autres personnes, à ouvrir des comptes bancaires au nom d’autres personnes et à signer des documents en employant les noms d’autres personnes. Ni lui ni 802 n’ont produit de déclarations de revenus avant que les cotisations de valeur nette soient établies. À l’époque où l’Agence du revenu du Canada a mené son enquête, M. Jewett a retenu les services d’un comptable agréé pour établir les états financiers de 802 et remplir, pour lui-même et pour 802, les déclarations de revenus concernant les années 1999, 2000 et 2001.

  • [16] M. Gray, le comptable, a établi les états financiers en se fondant sur des documents que l’ARC avait auparavant saisis de M. Jewett. Ces documents faisaient état, pour les trois années en question, de revenus bruts de 290 000 $, de 364 000 $ et de 365 000 $, respectivement, ce qui n’est pas si différent que cela des chiffres de M. Lewis, l’enquêteur de l’ARC. M. Gray a également calculé, pour 802, des dépenses de 250 000 $, de 321 000 $ et de 320 000 $ pour les trois années en question, ce qui donnait lieu à des gains de 40 000 $, de 43 000 $ et de 44 000 $, respectivement, tirés des immeubles à usage locatif. Il a également calculé que M. Jewett avait reçu de la société des honoraires de gestion de 12 290 $, de 24 000 $ et de 31 800 $ en 1999, en 2000 et en 2001, respectivement, qu’il a portés au crédit du compte de prêt de l’actionnaire de M. Jewett. En août 2005, M. Gray a produit, tant pour M. Jewett que pour 802, des déclarations de revenus faisant état de ces chiffres. Il a également produit un sommaire du compte de prêt de l’actionnaire de M. Jewett auprès de 802, qui faisait état de retraits nets du compte, au cours de chacune des trois années, de 51 000 $, de 56 000 $ et de 38 000 $. Aucune justification solide n’a été présentée au sujet de ces états établis longtemps après le fait, et j’hésite à leur accorder quelque poids que ce soit.

  • [17] M. Lewis, l’enquêteur de l’ARC, a établi la cotisation de valeur nette concernant M. Jewett en mai 2003. Pour ses calculs, il a présumé que ce dernier possédait les neuf immeubles, et il a donc inclus, d’une part, leur prix d’achat à titre d’actif de M. Jewett et, d’autre part, les hypothèques grevant les immeubles à titre de passif de M. Jewett. Il a inscrit les soldes des cartes de crédit dans le passif personnel de M. Jewett, de même que des sommes d’environ 80 000 $ en 2000 et 56 000 $ en 2001, soit des montants dus à Sally Durie. M. Jewett soutient que le passif était de 200 000 $, et il a produit un billet à ordre prouvant ce montant. Ce billet avait été émis à la fois par M. Jewett et un certain M. Witt. En se fondant sur ce calcul de l’actif et du passif, tant commercial que personnel, M. Lewis est arrivé à une valeur nette majorée de 43 669 $, de 71 336 $ et de 59 852 $ pour les années 1999, 2000 et 2001, respectivement, soit un total de 175 000 $. Il a ensuite ajouté les dépenses personnelles de M. Jewett, qu’il avait relevées dans les documents saisis auprès de M. Jewett, soit des montants de 67 654 $, de 123 429 $ et de 135 740 $, ce qui représente un total de 326 000 $. Le revenu total établi pour les trois années était donc tout juste supérieur à 500 000 $.

  • [18] Je n’ai pas analysé de manière très détaillée la totalité des éléments de preuve, car une bonne part de ces derniers avait trait à de fausses demandes, à des signatures contestées et à ce que des personnes savaient ou ignoraient. J’ai simplement tenté de cerner la nature de ce témoignage, en ce sens que M. Jewett a exploité son entreprise d’une manière pas tout à fait honnête. Toutefois, il incombe à la Cour de décider si le ministre a estimé correctement les revenus de M. Jewett, peu importe la façon dont ces revenus ont été gagnés au cours des années en question. Le ministère public a accordé une importance considérable au fait que c’était M. Jewett qui était en réalité le propriétaire des immeubles. Si ce n’était pas le cas, il était bel et bien propriétaire d’une entreprise, 802, qui contrôlait les loyers et la valeur réelle nette de ces immeubles. Cette question est importante, non pas parce qu’elle se rapporte à la valeur nette majorée des immeubles eux-mêmes, mais parce qu’elle pourrait avoir une incidence sur l’argument de l’appelant selon lequel M. Jewett a reçu des fonds non pas à titre de revenu, mais par l’intermédiaire de son compte de prêt de l’actionnaire. L’augmentation véritable de la valeur nette réelle des immeubles représentait moins de 100 000 $ sur les 500 000 $ d’augmentation de valeur nette.

L’ANALYSE

  • [19] L’analyse consiste à déterminer le revenu de M. Jewett, un revenu qui, comme le reconnaît le ministère public, n’aurait pu provenir que des immeubles à usage locatif, du moins c’est ce que M. Lewis a soutenu. Il ne fait aucun doute que les affaires commerciales de M. Jewett étaient – et je suis indulgent – un fouillis sans nom. Il ne tenait pas d’états financiers. Il ne produisait pas de déclarations. Il n’avait pas de compte bancaire personnel. Il se servait de comptes d’entreprise pour ses dépenses personnelles. Il a inscrit le nom d’autres personnes sur des cartes de crédit dont il se servait à titre personnel. Il signait le nom d’autres personnes sur des documents, prétendant disposer de procurations. C’est là une conduite qui ne laisse à l’ARC pas d’autre choix que de recourir à cet « instrument imprécis » qu’est une cotisation de valeur nette. Le but n’est pas de prouver que M. Jewett a peut-être dupé certaines personnes, mais de déterminer quel revenu il a tiré personnellement de l’entreprise d’immeubles à usage locatif. Voyons les chiffres.

  • [20] Il y a deux façons d’aborder les chiffres : premièrement, la méthode de la valeur nette de l’ARC, une méthode qui repose sur les actifs ou, deuxièmement, une méthode axée sur les revenus, pour tenter de déterminer ce qui pourrait raisonnablement être tiré de cette entreprise d’immeubles à usage locatif.

  • [21] Examinons tout d’abord la méthode de M. Lewis, qui repose sur la valeur nette. Il a tout d’abord considéré les immeubles et leurs hypothèques comme des éléments d’actif et de passif personnels de M. Jewett. L’augmentation de la valeur nette réelle des immeubles, selon cette méthode, représentait moins du cinquième de la cotisation globale, soit une somme d’environ 90 000 $.

  • [22] J’accepterai pour le moment que l’on puisse considérer que ces immeubles appartiennent à M. Jewett, mais il s’agit quand même, comme M. Lewis l’a souligné avec raison dans son tableau, d’éléments d’actif commercial; cependant, M. Lewis n’a tenu aucun compte de la déduction pour amortissement qu’une entreprise pourrait demander à l’égard de ces éléments d’actif commercial. M. Gray, le comptable, a certes reconnu ce fait au moment d’établir les états financiers de 802, en estimant, pour l’amortissement, une somme d’environ 40 000 $ par année. Je ne blâme pas M. Lewis de ne pas avoir pris cet aspect en compte lorsqu’il a utilisé la méthode reposant sur les actifs. Cependant, il ne s’agissait pas d’un élément d’actif personnel, mais d’un élément d’actif commercial qui, normalement, figurerait dans les registres de l’entreprise comme ayant été amorti. Pour répondre à la question de savoir quelle est la valeur la plus exacte, à des fins commerciales, pour établir une cotisation d’impôt sur le revenu, à mon avis, il faut dûment tenir compte de l’amortissement dans les immobilisations d’une entreprise.

  • [23] Je conclus donc que la valeur censément majorée des éléments d’actif commercial, soit 34 620 $, 26 043 $ et 30 207 $, est inexacte et devrait être ramenée à zéro, si l’on tient compte d’un amortissement de 40 000 $ par année.

  • [24] M. Lewis a considéré que, sur le solde de la cotisation de 410 000 $, une somme de 326 000 $ se composait de dépenses personnelles et une somme de 85 000 $ représentait une augmentation d’autres éléments d’actif personnels. L’appelant soutient qu’en ce qui concerne les éléments d’actif et de passif personnels, M. Lewis a sous-estimé le montant de l’obligation relative au prêt consenti par Mme Durie, premièrement, en ne reconnaissant pas que M. Jewett était responsable du montant total de 200 000 $ et, deuxièmement, en soustrayant du capital seuls les paiements d’intérêts que M. Jewett avait faits.

  • [25] Pour ce qui est des éléments d’actif personnels, M. Lewis fait état d’une créance d’environ 140 000 $ de 1399726 Ontario Limited, soit la moitié de ce que devait la société, censément, à M. Jewett et à M. Witt. Selon la preuve, la somme de 200 000 $ qui a été empruntée à Sally Durie, comme le prouve un billet à ordre, a bel et bien été investie dans 1399726 Ontario Limited. Je conclus qu’il s’agissait d’un emprunt et d’un investissement conjoint de la part de M. Jewett et de M. Witt. Les sommes dont M. Jewett était personnellement responsable en 2000 et en 2001 ne devraient pas être les montants de 79 000 $ et de 55 600 $. Il ne devrait pas non plus s’agir du montant de 200 000 $, mais plutôt de 100 000 $. Cela réduit la cotisation de valeur nette de 21 000 $ pour l’année 2000 et de 44 400 $ pour l’année 2001.

  • [26] Examinons maintenant les dépenses personnelles. Il faut se rappeler que ces chiffres sont tirés des documents que le gouvernement a saisis. Tant M. Lewis, pour l’intimée, que M. Gray, pour l’appelant, ont passé en revue ces documents. M. Lewis a conclu qu’il y avait eu des dépenses personnelles de 67 654 $, de 123 429 $ et de 135 742 $. M. Gray a conclu qu’il y avait eu des dépenses personnelles tirées de 802 s’élevant à 94 091 $, à 90 256 $ et à 79 980 $. La vérité réside quelque part entre ces deux séries de chiffres.

  • [27] Me Buote, pour le compte de l’appelant, a traité d’un certain nombre d’aspects relatifs aux dépenses personnelles qu’il jugeait douteux. Premièrement, les frais bancaires, les frais de carte de crédit et les frais juridiques étaient des dépenses personnelles et commerciales amalgamées. Comme je n’ai reçu aucune preuve directe de M. Jewett quant à une ventilation appropriée de ces montants, et j’ai entendu M. Lewis dire qu’il avait examiné ces dépenses en détail, je ne suis pas disposé à effectuer un rajustement quelconque. Comme cela a été le cas pour les comptes de Visa et de MasterCard, aucun élément de preuve n’a permis d’aider à bien déterminer les dépenses.

  • [28] Pour ce qui est des comptes d’Edward Jones et de TD Waterhouse, l’appelant fait valoir qu’ils sont inscrits au nom de 802, mais je signale que, dans le cas d’Edward Jones, ils sont aux soins de M. Jewett et, dans le cas de TD Waterhouse, aux soins de Grand Trunk, une entité inexistante. Vu l’habitude qu’avait M. Jewett d’utiliser 802 comme un instrument personnel, le fait que son nom apparaisse sur les comptes n’est pas suffisant pour me convaincre qu’il ne s’agissait pas d’investissements de sa part.

  • [29] Pour 2001, il y a une dépense que M. Lewis a considérée comme un gain en capital de 2 770 $. À mes yeux, cela n’a tout simplement aucun sens. Cette somme devrait être considérée comme une dépense et rayée.

  • [30] Le principal élément que Me Buote a demandé que l’on raye des dépenses personnelles est ce qu’il appelle les dépenses encore impayées. Il s’agit des soldes de carte de crédit en fin d’année qui, d’après M. Lewis, étaient des dettes personnelles de M. Jewett. Il s’agit simplement, selon Me Buote, d’une question de moment. Je suis d’accord. La dette relative aux cartes de crédit d’environ 40 000 $ à la fin de l’année 2000 ne devrait pas être ajoutée aux dépenses personnelles de M. Jewett pour cette année-là en vue de déterminer sa valeur nette. Il faudrait l’ajouter à l’année dans laquelle il fait le paiement, car c’est dans cette année-là qu’il faut se poser la question : d’où a-t-il tiré le revenu qui lui a permis de faire le paiement? Il s’agit là d’une approche logique, mais qui a toutefois pour effet de déplacer les 47 000 $ de dépenses personnelles attribuables à des paiements par carte de crédit de 2001 à 2002, et donc en dehors de la période que représentent les années dont il est question en l’espèce. En conséquence, la somme de 40 280 $, soit le solde des cartes de crédit qui s’applique à l’année 2000, devrait être rayée des dépenses personnelles relatives à l’année 2000 et déplacée à 2001, et le solde des cartes de crédit de 47 576 $ qui s’applique à l’année 2001 devrait être rayé des dépenses personnelles relatives à l’année 2001 et reporté à 2002. Cela a pour effet de réduire les dépenses personnelles en 2001 de 7 296 $, et les dépenses personnelles en 2000 de 40 280 $.

  • [31] Pour l’année 1999, selon la méthode reposant sur les actifs, le revenu visé par la cotisation est réduit de 34 620 $ et il passe à 76 703 $; pour 2000, il passe de 194 765 $ à 107 442 $ et, pour 2001, de 195 605 $ à 110 932 $.

  • [32] J’aimerais aborder maintenant la seconde méthode, celle qui est axée sur les revenus, par opposition à celle qui repose sur les actifs. Me Buote a affirmé que la cotisation de valeur nette donnait lieu à un résultat manifestement déraisonnable. Je ne serais pas aussi sévère que cela, mais je trouve qu’elle fait abstraction d’un certain nombre de réalités commerciales.

  • [33] La tentative que M. Gray a faite pour établir les états financiers de la société donne lieu à un revenu net tiré des immeubles à usage locatif d’environ 40 000 $, 43 000 $ et 44 000 $ pour les trois années, soit un montant total de 127 000 $, par opposition au montant de 501 000 $ que l’ARC a estimé. Je reconnais que M. Gray a combiné ces chiffres à partir des mêmes documents que M. Lewis a utilisés, ainsi que des discussions qu’il a eues avec M. Jewett. Les deux parties sont proches l’une de l’autre, au chapitre des chiffres de revenu brut. Le calcul des dépenses que M. Gray a fait est-il donc raisonnable? Là encore, je reconnais que M. Jewett ne m’a pas décrit ces dépenses et ne les a pas justifiées. Il a simplement laissé les états financiers de M. Gray parler d’eux-mêmes. Cela n’a pas été particulièrement utile. Certes, les dépenses locatives qui suivent sont justifiées, selon moi, et les montants ne sont pas contestés. Je prendrai comme exemple une année en particulier, l’année 2000, en me fondant sur les états financiers de M. Gray. Ceux‑ci indiquent ce qui suit :

- intérêts hypothécaires  90 766 $

- services publics  44 869 $

- amortissement  40 785 $

- taxes foncières   22 697 $

- assurances  7 230 $

Total  206 347 $

Ce qui réduit les revenus à 157 985 $.

  • [34] Les dépenses qui suivent sont plausibles, mais l’exactitude des chiffres est quelque peu suspecte :

- frais afférents à un véhicule  22 320 $

- honoraires professionnels  13 914 $

- fournitures  17 900 $

- publicité et promotion  12 713 $

- réparations  8 368 $

- téléphone  9 977 $

- banque  5 511 $

Total  90 703 $

  • [35] Si je considère que la moitié de ces dépenses est légitime, cela réduirait le revenu tiré des immeubles à usage locatif d’un montant additionnel de 45 000 $; le revenu passerait donc de 158 000 $ à environ 112 000 $, ce qui, en définitive, est très près des 107 000 $ auxquels je suis arrivé en analysant la méthode de la valeur nette.

  • [36] J’utilise la méthode axée sur le revenu à seule fin de vérifier si le revenu, tel qu’il est déterminé par la méthode reposant sur les actifs, est sensé si on le considère sous l’angle d’une méthode axée sur le revenu. Je crois que oui, et je suis disposé à m’en tenir à ce que j’ai constaté grâce à la méthode reposant sur les actifs.

  • [37] Je souhaite traiter brièvement de la thèse de l’appelant selon laquelle c’était 802 qui gagnait les revenus, et que M. Jewett retirait des fonds par voie de réduction de son compte de prêt de l’actionnaire. C’est là un argument auquel je ne souscris pas, pour des raisons que Me Mboutsiadis a déjà évoquées et expliquées en détail. Cependant, si j’avais conclu que 802 avait droit aux revenus locatifs et ne faisait pas simplement office de société de gestion de M. Jewett pour la perception de ses loyers, je serais finalement arrivé à un résultat assez semblable, car j’aurais adopté avec plus de soin la méthode axée sur le revenu pour déterminer le revenu locatif net, et on ne m’a pas convaincu qu’il avait été prouvé de quelque façon que le compte de prêt de l’actionnaire reflétait de manière exacte les entrées et les sorties de M. Jewett. Ce dernier ne m’a tout simplement pas présenté assez d’éléments de preuve pour m’en persuader.

  • [38] Je conclus que M. Jewett est également passible des pénalités prévues au paragraphe 162(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), lesquelles seront fondées sur le montant d’impôt que l’on déterminera d’une manière conforme à la présente décision. Vu la durée maximale de douze mois dont fait état l’alinéa 162(1)b) de la Loi, la question de savoir si M. Jewett a produit une déclaration en 2005 ne devrait pas poser problème. Ce dernier se fera néanmoins imposer la pénalité maximale que prévoit l’article 162 de la Loi.

  • [39] J’aimerais traiter des dépens. Le ministère public a eu plus de succès que l’appelant, mais ce dernier a pu faire réduire la cotisation de 500 000 $ en faisant passer les revenus à environ 295 000 $. Compte tenu de ce succès partagé, et vu que l’appelant était disposé, dans la semaine précédant l’instruction, à prendre part à une conférence de règlement, contrairement au ministère public, je ne suis pas disposé à adjuger des dépens à une partie ou à l’autre.

  • [40] Les cotisations de valeur nette, plus que de nombreux autres types d’affaires, peuvent souvent tirer avantage d’une conférence de règlement. Dans le cas présent, le ministère public était d’avis que ce serait tout ou rien. Je n’ai manifestement pas partagé ce point de vue, mais je peux comprendre que, dans une affaire mettant en cause le genre de pratiques commerciales dont M. Jewett a fait preuve, le ministère public préfère peut-être la tenue d’une audience. Quoi qu’il en soit, je ne rends aucune ordonnance quant aux dépens.

  • [41] Les présents appels sont accueillis sans frais, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, compte tenu de ce qui suit :

    1. pour l’année d’imposition 1999, le revenu de l’appelant est réduit de 34 620 $, et passe de 111 323 $ à 76 703 $;

    2. pour l’année d’imposition 2000, le revenu de l’appelant est réduit des montants de 26 043 $, de 21 000 $ et de 40 280 $, soit 87 323 $ en tout, ce qui fait passer le revenu de l’appelant de 194 765 $ à 107 442 $;

    3. pour l’année d’imposition 2001, le revenu de l’appelant est réduit des montants de 30 207 $, de 44 400 $, de 2 770 $ et de 7 296 $, soit 84 673 $ en tout, ce qui fait passer le revenu de l’appelant de 195 605 $ à 110 932 $;

    4. l’appelant est passible des pénalités maximales prévues pour les années d’imposition 1999, 2000 et 2001, conformément au paragraphe 162(1) de la Loi.

  • [42] Les cotisations de valeur nette dont il est question en l’espèce sont une forme relativement grossière de détermination du revenu, due dans la plupart des cas à l’absence de registres exacts du contribuable. La présente affaire va au-delà de mauvaises habitudes sur le plan de la comptabilité et de la production de déclarations, et elle relève du domaine des pratiques fort douteuses dans leur ensemble, ce qui rend encore plus difficile une tâche qui l’est déjà.

  • [43] J’allais dire à M. Jewett, s’il était présent, qu’il ne peut pas exploiter une entreprise comme il l’a fait et s’attendre à ce que le gouvernement accepte qu’il ne touchait aucun revenu. S’il tient à exploiter une entreprise par l’intermédiaire d’une société et à la financer au moyen de prêts d’actionnaires, je lui suggère de consigner par écrit ses affaires de manière méticuleuse et honnête, en ne laissant subsister aucun doute quant au montant des revenus et à leur bénéficiaire. Il a négligé de le faire, et cela n’a pas été sans conséquence.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de janvier 2010.

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de février 2014.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice

 


RÉFÉRENCE :  2010 CCI 4

 

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :  2006-3297(IT)G

 

 

INTITULÉ :  ROBERT JEWETT c.

  SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :  Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 20 novembre 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :  L’honorable juge Campbell J. Miller

 

 

DATE DU JUGEMENT :  Le 24 novembre 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me John David Buote

Avocate de l’intimée :

Me Jenny P. Mboutsiadis

 

AVOCATS INSCRITS
AU DOSSIER :

 

  Pour l’appelant : 

 

  Nom :  John David Buote

 

  Cabinet :  J.D. Buote & Associates Tax Lawyers

 

  Pour l’intimée :  John H. Sims, c.r.

  Sous-procureur général du Canada

  Ottawa, Canada


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