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Dossier : 2008-398(GST)G

ENTRE :

COMTRONIC COMPUTER INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 18 novembre 2009, à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

MDaniel Bourgeois

 

 

Avocat de l’intimée :

MBenoît Denis

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d’accise, dont l’avis est daté du 7 juin 2006 et porte le numéro M06‑DV1‑014AK, pour la période du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2005, est rejeté avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Montréal, Québec, ce 28e jour de janvier 2010.

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 


Référence : 2010 CCI 55

Date : 20100128

Dossier : 2008-398(GST)G

ENTRE :

COMTRONIC COMPUTER INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Boyle

 

[1]              La principale question en litige dans cet appel en matière de taxe sur les produits et services (« TPS ») est de savoir si l’appelante, soit la société Comtronic Computer Inc. (« Comtronic »), a droit à des crédits de taxe sur les intrants (« CTI ») à l’égard d’intrants dans des cas où le numéro d’inscription aux fins de la TPS du fournisseur, qui figurait sur la facture, n’était pas celui du fournisseur, mais plutôt un numéro d’inscription valablement attribué à quelqu’un d’autre. À cet égard, il semble y avoir eu, dans une certaine mesure, ce qu’on appelle couramment du vol d’identité. Je pose donc la question de savoir si c’est l’acheteur canadien ou le gouvernement canadien qui supporte le risque lié aux actes illicites commis par le fournisseur dans de telles circonstances.

 

[2]              Si Comtronic n’a pas gain de cause en ce qui concerne la question principale, la question subsidiaire connexe à trancher est de savoir si elle peut invoquer avec succès le moyen de défense de la diligence raisonnable à l’encontre des pénalités imposées en vertu de l’article 280.

 

 

I. Faits

 

[3]              Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits partiel. De plus, le contrôleur de Comtronic, un vice‑président de Comtronic et le vérificateur du ministère du Revenu du Québec (« MRQ ») ont témoigné.

 

[4]              Comtronic est une entreprise dont les activités consistent en la vente en gros de pièces d’ordinateurs et en l’assemblage d’ordinateurs sur commande. Son siège social est situé dans la région de Toronto et elle a des succursales dans plusieurs villes au Canada, notamment à Montréal. Elle compte parmi ses clients plusieurs détaillants canadiens importants ainsi que quelques conseils scolaires canadiens. Ses revenus annuels au cours des années en cause, soit de 2003 à 2005, étaient de l’ordre de 65 millions de dollars. L’entreprise achète à des sources non canadiennes la grande majorité de ses stocks de pièces. Au cours des années en cause, elle a acheté environ 15 % de ses stocks de pièces à des fournisseurs canadiens. Ses dépenses annuelles pour l’achat de stocks étaient de l’ordre de 60 millions de dollars.

 

[5]              Il a été déterminé que les factures établies par cinq fournisseurs de Comtronic indiquaient des numéros d’inscription aux fins de la TPS qui, bien que valides, avaient été attribués à d’autres personnes que ces fournisseurs. Ce semble être un cas où des actes illicites ont été commis par les fournisseurs. Personne n’a prétendu que Comtronic était complice de tels actes ou bien qu’elle était au courant du fait que les fournisseurs avaient commis quelque acte illicite que ce soit. Il est admis que Comtronic a payé les fournitures ainsi que la TPS applicable et qu’elle a reçu ces fournitures. Il semble que la TPS perçue de Comtronic n’a jamais été versée par les fournisseurs. Il convient de signaler que, par l’effet de la loi, c’est à titre de mandataires de la Couronne que les fournisseurs ont reçu la TPS payée par Comtronic.

 

[6]              D’après l’échantillonnage de factures déposé en preuve, il semble que la TPS payée par Comtronic était de l’ordre de 1 500 $ à 2 000 $ par facture. Le montant total de TPS payé aux cinq fournisseurs au cours des trois années en cause s’élève à près de 500 000 $.

 

[7]              Comtronic faisait vérifier ses états financiers annuels. Dans le cadre de la relation suivie que Comtronic entretenait avec son comptable, le contrôleur de Comtronic, M. Lau, pour se tenir au courant, rencontrait le comptable au moins une fois l’an pour discuter des changements apportés aux exigences en matière fiscale et aux exigences connexes.

 

[8]              Le contrôleur avait instauré un système pour s’assurer que les obligations en matière de TPS étaient respectées. Un de ses employés établissait les déclarations nécessaires, soit, dans ce cas‑ci, les déclarations de TPS périodiques pour la TPS perçue et les CTI, et le contrôleur les examinait. Dans le cadre de son examen, et avant de signer les déclarations en vue de leur production et du paiement, il avait l’habitude de vérifier quatre ou cinq factures pour confirmer que les données étaient exactes.

 

[9]              M. Tse, le vice‑président de Comtronic qui était responsable, entre autres choses, des achats, avait mis en place un système qui assurait la centralisation des achats à Toronto. Il signait toutes les factures à payer, mais seulement à la livraison des marchandises et après un compte fait par lui ou, si les achats étaient livrés à une succursale, par une personne désignée par lui. Comtronic payait toujours par chèque, et ce, que la facture soit payable à la livraison ou qu’elle comporte des facilités de paiement.

 

[10]         Le vice‑président responsable des achats faisait affaire avec la même personne pour chacun des cinq fournisseurs, soit un certain M. Leung. Les cinq fournisseurs, tels qu’ils sont désignés sur les factures de Comtronic, sont les suivants : Supertech Systems, RMD et RMD Inc., Greeno Trading, Rapid Memory Distribution et PC‑Broker. Le vice‑président connaissait M. Leung depuis 2000, la société pour laquelle M. Leung travaillait, RMD International Trading, étant à l’époque cliente de Comtronic à Toronto. Ce vice‑président avait été le représentant commercial de Comtronic chargé du compte de RMD International Trading.

 

[11]         M. Leung avait communiqué pour la première fois avec M. Tse chez Comtronic à partir de Montréal, en 2002 ou en 2003, dans le but de vendre des unités centrales. Les prix convenaient à M. Tse. Il connaissait M. Leung et il croyait qu’il serait fiable, particulièrement pour ce qui est du respect des délais. M. Tse a commencé à faire affaire avec M. Leung en 2003, croyant que celui‑ci travaillait toujours pour RMD International Trading.

 

[12]         Lorsqu’il a reçu la première facture de Supertech Systems, M. Tse a posé des questions à M. Leung, lequel lui a expliqué qu’il ne travaillait plus pour RMD International Trading et qu’il travaillait maintenant pour une autre société.

 

[13]         Les factures de Supertech Systems ont été établies entre les mois de mars et d’août 2003. Elles indiquaient Supertech Systems comme le fournisseur et donnaient une adresse de la rue Saint‑Urbain à Montréal. Les factures indiquaient également un numéro d’inscription aux fins de la TPS (ainsi qu’un numéro d’inscription aux fins de la taxe de vente du Québec (« TVQ »)). Or, il s’est avéré que le numéro d’inscription aux fins de la TPS appartenait à une tierce société. Il s’est également avéré que le nom commercial Supertech Systems avait été enregistré au Québec au nom d’une autre tierce société. On ne sait pas si ces deux sociétés étaient liées, mais il ne semble pas, d’après la preuve, que M. Leung avait quelque lien légitime que ce soit avec l’une ou l’autre de ces sociétés.

 

[14]         Du mois de septembre ou octobre 2003 au mois de septembre 2004, les commandes que Comtronic a passées par l’intermédiaire de M. Leung ont été facturées par RMD (ou, parfois, RMD Inc.) et Greeno Trading. Lorsque, à la livraison des marchandises, M. Tse a questionné M. Leung au sujet des factures établies par RMD et RMD Inc., celui-ci l’a assuré qu’il n’avait pas à s’en faire, qu’il s’agissait de la même société que Supertech Systems, qu’elle se trouvait à la même adresse et avait le même numéro de téléphone, et qu’il s’agissait simplement d’un changement de nom commercial.

 

[15]         La facture de RMD produite en preuve indique une adresse de la rue Tait à Montréal, ainsi que les mêmes numéros d’inscription aux fins de la TPS et de la TVQ que ceux figurant sur les factures de Supertech Systems. Les factures de RMD Inc. donnaient la même adresse de la rue Saint‑Urbain que celle de Supertech Systems, ainsi que les mêmes numéros d’inscription.

 

[16]         Les factures de Greeno Trading produites en preuve indiquent la même adresse de la rue Tait que celle figurant sur la facture de RMD et donnent elles aussi les mêmes numéros d’inscription aux fins de la TPS et de la TVQ que les factures de Supertech Systems, de RMD et de RMD Inc. Encore une fois, M. Tse a témoigné que M. Leung l’avait assuré qu’il s’agissait simplement d’un nom commercial différent et qu’il n’y avait pas lieu de s’en faire. Or, il s’est avéré que le nom commercial Greeno Trading est enregistré au Québec au nom d’un particulier autre que M. Leung, et il ne semble pas, d’après la preuve, que M. Leung avait quelque lien légitime que ce soit avec ce particulier.

 

[17]         Du mois de novembre 2004 au mois de septembre 2005, les commandes que Comtronic a passées par l’intermédiaire de M. Leung ont été facturées par Rapid Memory Distribution. Les factures de Rapid Memory Distribution produites en preuve indiquent une adresse sur le boulevard Charest à Québec et des numéros d’inscription aux fins de la TPS et de la TVQ différents de ceux qui figuraient sur les factures précédentes. Encore une fois, il s’est avéré que le numéro d’inscription aux fins de la TPS n’était pas celui de Rapid Memory Distribution. Il s’agissait plutôt d’un numéro qui avait été attribué à une entité appelée Eve Informatique. L’adresse sur le boulevard Charest était également celle d’Eve Informatique. Peu d’explications ont été fournies au sujet d’Eve Informatique si ce n’est qu’elle était également un fournisseur de Comtronic pendant le dernier trimestre de 2004 et que les CTI que Comtronic avait demandés à l’égard de ses achats effectués auprès d’Eve Informatique lui avaient été accordés.

 

[18]         Du mois de juillet 2005 au mois de novembre 2005, les commandes que Comtronic a passées par l’intermédiaire de M. Leung ont été facturées par PC‑Broker. Les factures de PC‑Broker indiquent une adresse sur le boulevard René‑Lévesque à Montréal et des numéros d’inscription aux fins de la TPS et de la TVQ uniques. Encore une fois, il s’est avéré que ces numéros d’inscription n’avaient pas été attribués à PC‑Broker mais avaient plutôt été attribués à une tierce société qui, d’après la preuve, ne semble pas avoir eu de lien légitime avec M. Leung.

 

[19]         M. Tse a fait en sorte que Comtronic cesse de faire affaire avec M. Leung lorsqu’on a eu connaissance, à la succursale de Comtronic à Montréal, d’ennuis avec le MRQ.

 

[20]         Ayant été mis au courant des préoccupations du MRQ, M. Leung a tout d’abord assuré M. Tse qu’il n’y avait pas de problème qui ne pouvait pas être réglé. Cependant, la semaine suivante, M. Leung ne répondait plus aux appels de M. Tse ni ne le rappelait plus. Personne ne m’a dit ce qu’il est advenu de M. Leung ni ce qu’il en était des mesures qui ont pu être prises à l’égard de M. Leung et de ses entreprises fournisseuses pour le recouvrement de la TPS perçue de Comtronic qui n’a pas été versée à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »). Selon la preuve présentée par Comtronic, elle a essayé de joindre M. Leung, mais n’a pas réussi à le faire. L’intimée n’a pas dit si elle savait où se trouvait M. Leung ou quelle était sa situation financière ou commerciale. On ne m’a même pas présenté de preuve directe établissant que les montants de TPS payés par Comtronic n’ont toujours pas été perçus de M. Leung et de ses entreprises fournisseuses.

 

[21]         Le vérificateur du MRQ a témoigné qu’au cours des années en cause, l’ARC n’avait pas encore de site Web sur lequel les acheteurs canadiens pouvaient confirmer les noms et les numéros d’inscription des inscrits aux fins de la TPS. L’ARC a lancé un tel site en 2006. Le MRQ avait mis sur pied un site Web semblable en 2002, mais ce site ne fournissait pas de renseignements au sujet des numéros d’inscription aux fins de la TPS ni ne comportait de liste des noms commerciaux utilisés par les inscrits aux fins de la TVQ. Aucune preuve ne m’a été présentée à ce sujet, mais, dans son argumentation, l’avocat de l’intimée a attiré mon attention sur certaines publications d’où il ressort que, durant les années en cause, l’ARC était en mesure de fournir par téléphone certains renseignements sur les inscrits aux fins de la TPS et sur les numéros d’inscription. Je reviendrai sur ce point plus loin.

 

[22]         Le contrôleur de Comtronic a témoigné qu’avant que le vérificateur du MRQ dans ce dossier ne l’en informe, il ne savait pas qu’il fallait, afin de pouvoir avoir droit aux CTI, communiquer avec l’ARC pour vérifier les numéros d’inscription aux fins de la TPS.

 

 

II. Dispositions Applicables

 

[23]         Les dispositions pertinentes en matière de TPS sont l’alinéa 169(4)a) de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi ») et l’article 3 du Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants (TPS/TVH) (le « Règlement »), dont voici les extraits pertinents :

 

[Loi sur la taxe d’accise]

 

169(4) L’inscrit peut demander un crédit de taxe sur les intrants pour une période de déclaration si, avant de produire la déclaration à cette fin :

 

a) il obtient les renseignements suffisants pour établir le montant du crédit, y compris les renseignements visés par règlement;

169(4) A registrant may not claim an input tax credit for a reporting period unless, before filing the return in which the credit is claimed,

 

(a) the registrant has obtained sufficient evidence in such form containing such information as will enable the amount of the input tax credit to be determined, including any such information as may be prescribed; and

 

[Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants (TPS/TVH)]

 

3.   Les renseignements visés à l’alinéa 169(4)a) de la Loi, sont les suivants :

 

[...]

 

b) lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de 30 $ ou plus et de moins de 150 $ :

 

 

 

(i) le nom ou le nom commercial du fournisseur ou de l’intermédiaire et le numéro d’inscription attribué, conformément au paragraphe 241(1) de la Loi, au fournisseur ou à l’intermédiaire, selon le cas,

 

 

[...]

 

 

c) lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de 150 $ ou plus :

 

 

 

(i) les renseignements visés aux alinéas a) et b),

 

(ii) soit le nom de l’acquéreur ou son nom commercial, soit le nom de son mandataire ou de son représentant autorisé,

 

 

(iii) les modalités de paiement,

 

(iv) une description suffisante pour identifier chaque fourniture.

3. For the purposes of paragraph 169(4)(a) of the Act, the following information is prescribed information:

 

. . .

 

(b) where the total amount paid or payable shown on the supporting documentation in respect of the supply or, if the supporting documentation is in respect of more than one supply, the supplies, is $30 or more and less than $150,

 

(i) the name of the supplier or the intermediary in respect of the supply, or the name under which the supplier or the intermediary does business, and the registration number assigned under subsection 241(1) of the Act to the supplier or the intermediary, as the case may be,

 

. . .

 

(c) where the total amount paid or payable shown on the supporting documentation in respect of the supply or, if the supporting documentation is in respect of more than one supply, the supplies, is $150 or more,

 

(i) the information set out in paragraphs (a) and (b),

 

(ii) the recipient’s name, the name under which the recipient does business or the name of the recipient’s duly authorized agent or representative,

 

(iii) the terms of payment, and

 

(iv) a description of each supply sufficient to identify it.

 

[Loi sur la taxe d’accise]

 

280(1) Sous réserve du présent article et de l’article 281, la personne qui ne verse pas ou ne paie pas un montant au receveur général dans le délai prévu par la présente partie est tenue de payer la pénalité et les intérêts suivants, calculés sur ce montant pour la période commençant le lendemain de l’expiration du délai et se terminant le jour du versement ou du paiement :

 

a) une pénalité de 6 % par année;

 

b) des intérêts au taux réglementaire.

280(1) Subject to this section and section 281, where a person fails to remit or pay an amount to the Receiver General when required under this Part, the person shall pay on the amount not remitted or paid

 

 

 

 

 

(a) a penalty of 6% per year, and

 

(b) interest at the prescribed rate,

 

computed for the period beginning on the first day following the day on or before which the amount was required to be remitted or paid and ending on the day the amount is remitted or paid.

 

 

 

III. Analyse

 

[24]         Le paragraphe 169(4) énonce clairement qu’un inscrit ne peut demander un CTI que s’il obtient les renseignements visés par règlement. L’article 3 du Règlement dit clairement que les renseignements visés par règlement doivent comprendre le nom ou le nom commercial du fournisseur et le numéro d’inscription attribué au fournisseur.

 

[25]         Dans l’arrêt Systematix Technology Consultants Inc. c. Canada, 2007 CAF 226, [2007] G.S.T.C. 74, la Cour d’appel fédérale a eu l’occasion de se pencher sur cette même question dans un cas où une demande de CTI avait été faite dans des circonstances malheureuses, semblables à celles en l’espèce, où, pour diverses raisons, les fournisseurs n’avaient pas de numéro d’inscription aux fins de la TPS valide. La Cour d’appel fédérale a écrit ce qui suit :

 

4          Nous sommes d’avis que la Loi exige que les personnes ayant versé des sommes au titre de la TPS à des fournisseurs veillent à fournir des numéros d’inscription des fournisseurs valides lorsqu’elles demandent un crédit de taxe sur les intrants.

[Je souligne.]

 

[26]         Compte tenu du libellé de l’alinéa 169(4)a), ainsi que des motifs du jugement du juge Archambault de la Cour de l’impôt (2006 CCI 277, [2006] G.S.T.C. 120), qui avait siégé en première instance, motifs auxquels la Cour d’appel fédérale a souscrit, j’estime qu’en parlant de « numéros d’inscription des fournisseurs valides », la Cour d’appel a voulu dire des numéros d’inscription aux fins de la TPS qui avaient été valablement attribués à ces fournisseurs.

 

[27]         Dans l’arrêt Systematix, la Cour d’appel a poursuivi en citant avec approbation un passage tiré de la décision Key Property Management Corp. c. La Reine, 2004 CCI 210, [2004] G.S.T.C. 32, où le juge Bowie avait écrit que le but de l’alinéa 169(4)a) de la Loi et de l’article 3 du Règlement, qui est de protéger le fisc contre les violations tant frauduleuses qu’innocentes, ne peut être atteint que si les exigences sont considérées comme étant obligatoires et sont rigoureusement appliquées. La Cour d’appel fédérale a insisté sur les termes « que si les exigences sont considérées comme étant obligatoires et sont rigoureusement appliquées ».

 

[28]         La Cour d’appel fédérale a en outre cité avec approbation un passage tiré de la décision Davis c. La Reine, 2004 CCI 662, [2004] G.S.T.C. 134, où la juge Campbell avait écrit qu’étant donné leur libellé très précis, ces dispositions sont manifestement obligatoires et il n’est pas possible de les contourner.

 

[29]         En l’espèce, je suis lié par la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’affaire Systematix. Je dois toutefois souligner que (comme l’a fait remarquer mon collègue le juge Archambault, qui a statué sur l’affaire Systematix en première instance) cette approche stricte est une source potentielle d’injustice pour l’acheteur qui paye la TPS de bonne foi. Elle a pour conséquence que les entreprises canadiennes doivent supporter le risque lié à la fraude, au vol d’identité et aux actes illicites, et les oblige dans les faits à mettre en place des mesures de gestion du risque dans leurs relations tant avec leurs nouveaux fournisseurs qu’avec leurs fournisseurs existants de manière à déterminer quels renseignements fournis par les fournisseurs peuvent nécessiter qu’elles fassent des recherches plus approfondies. Un tel résultat peut s’avérer sévère et injuste, mais il est loisible au législateur fédéral d’instaurer un tel régime et je suis tenu d’appliquer les dispositions législatives telles qu’elles ont déjà été interprétées par la Cour d’appel fédérale.

 

[30]         La question de savoir si, en matière de perception et de versement de la TPS, c’est l’acheteur ou le fisc qui doit supporter le risque lié au vol d’identité et aux actes illicites commis par les fournisseurs est une question de politique valable qu’on pourrait débattre. Cependant, dans des circonstances comme celles en l’espèce, la Cour d’appel fédérale a jugé que le législateur fédéral s’est déjà penché sur la question. La Cour de l’impôt ne peut donc pas la réexaminer.

 

[31]         L’avocat de l’appelante a voulu établir une distinction entre la présente affaire et Systematix en faisant valoir qu’il ressort clairement des faits exposés dans les motifs de la décision rendue en première instance par le juge Archambault que l’affaire Systematix portait sur des numéros d’inscription valides qui avaient été révoqués auparavant par l’ARC, sur des numéros d’inscription valides qui n’avaient été attribués qu’après la période en cause, et sur des numéros d’inscription qui n’étaient pas valides et qui n’avaient jamais été attribués à qui que ce soit. Il a en outre soutenu que le juge Archambault n’a pas exprimé de désaccord relativement à la décision rendue antérieurement par cette Cour dans l’affaire Joseph Ribkoff Inc. c. La Reine, 2003 CCI 397, [2003] G.S.T.C. 162, ni n’a rejeté cette décision; il a plutôt fait une distinction entre Ribkoff et Systematix. L’avocat de l’appelante a également soutenu que les faits dans la décision Ribkoff s’apparentent davantage à ceux en l’espèce.

 

[32]         Il n’est pas du tout évident que les questions relatives aux numéros d’inscription des fournisseurs de Systematix étaient nettement différentes de celles qui se posent en l’espèce. Au paragraphe 5 de ses motifs, le juge Archambault a mentionné que les factures d’un des fournisseurs indiquaient un numéro d’inscription qui n’était valide que pour une période antérieure et qui avait été attribué à une autre personne que ce fournisseur de Systematix et à elle seulement. Je ne suis pas convaincu non plus que les faits dans Ribkoff ressemblent nécessairement davantage à ceux dans le cas de Comtronic. La question principale dans Ribkoff concernait le fait que les fournisseurs qui avaient établi les factures, lesquels, à une exception près, étaient tous des inscrits aux fins de la TPS, ne fournissaient pas eux‑mêmes les services, mais avaient recours à la sous‑traitance pour la prestation de ces services.

 

[33]         En ce qui concerne les deux arguments invoqués par l’appelante, je ne vois pas en quoi le libellé général des dispositions pertinentes, qui exige que les personnes qui demandent des CTI possèdent le numéro d’inscription attribué au fournisseur, et l’interprétation qui en a été faite par la Cour d’appel fédérale, selon laquelle ce libellé crée une obligation et doit être rigoureusement appliqué, devraient entraîner un résultat diffèrent en l’espèce. De la même façon, même si, en première instance, le juge Archambault a fait une distinction entre l’affaire Systematix, dont il était saisi, et l’affaire Ribkoff, et même si la Cour d’appel fédérale a conclu que le juge de première instance n’avait commis aucune erreur, je ne vois pas comment l’approche adoptée par notre Cour dans la décision Ribkoff et dans d’autres décisions antérieures peut encore valoir compte tenu de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Systematix.

 

 

IV. Diligence raisonnable

 

[34]         Dans l’arrêt Corporation de l’École Polytechnique c. Canada, 2004 CAF 127, [2004] G.S.T.C. 39, la Cour d’appel fédérale a décrit en ces termes le moyen de défense de la diligence raisonnable invoqué à l’encontre d’une pénalité imposée en vertu de l’article 280 :

 

27        Notre Cour a déjà statué que rien ne s’oppose à ce que le moyen de défense de la diligence raisonnable, dont une personne peut se prévaloir à l’encontre d’infractions de responsabilité stricte, puisse être invoqué à l’encontre de pénalités administratives. Plus spécifiquement, elle a décidé que l’article 280 de la Loi sur la taxe d’accise, par son libellé et son contenu, donne ouverture à cette défense : Canada (P.G.) c. Consolidated Canadian Contractors Inc., [1999] 1 C.F. 209 (C.A.F.). Il n’est peut-être pas inapproprié de rappeler les principes qui gouvernent la défense de diligence raisonnable avant de les appliquer aux faits de l’espèce.

 

28        La défense de diligence raisonnable permet à une personne d’éviter l’imposition d’une pénalité si elle fait la preuve qu’elle n’a pas été négligente. Elle consiste à se demander si cette personne a cru, pour des motifs raisonnables, à un état de fait inexistant qui, s’il eut [sic] existé, aurait rendu son acte ou son omission innocent ou si elle a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l’événement qui mène à l’imposition de la peine? [sic] Voir La Reine c. Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299; La Reine c. Chapin, [1979] 2 R.C.S. 121. En d’autres termes, la diligence raisonnable excuse soit l’erreur de fait raisonnable, soit la prise de précautions raisonnables pour se conformer à la loi.

 

29        La défense de diligence raisonnable ne doit pas être confondue avec la défense de bonne foi qui a cours dans le régime de responsabilité pénale exigeant la preuve d’une intention ou d’une connaissance coupable. La défense de bonne foi permet l’exonération d’une personne qui a commis une erreur de fait de bonne foi, même si celle-ci est déraisonnable, alors que la défense de diligence raisonnable exige que cette erreur soit raisonnable, c’est‑à‑dire une erreur qu’une personne raisonnable aurait aussi commise dans les mêmes circonstances. La défense de diligence raisonnable qui requiert une croyance raisonnable, mais erronée, en une situation de fait est donc plus exigeante que celle de bonne foi qui se contente d’une croyance honnête, mais tout aussi erronée.

 

30        La personne qui invoque une erreur de fait raisonnable doit satisfaire un double test : subjectif et objectif. Il ne lui suffit pas d’invoquer qu’une personne raisonnable aurait commis la même erreur dans les circonstances. Elle doit d’abord établir qu’elle s’est elle‑même méprise quant à la situation factuelle : il s’agit là du test subjectif. Évidemment, la défense échoue en l’absence d’une preuve que la personne qui l’invoque a, de fait, été induite en erreur et que cette erreur a mené au geste posé. Elle doit ensuite établir que son erreur était raisonnable dans les circonstances : il s’agit là du test objectif.

 

31        Sitôt la défense de diligence raisonnable acceptée en matière d’infractions de responsabilité stricte, s’est soulevée la question de savoir si la défense d’erreur de droit pouvait, elle aussi, être invoquée pour éviter l’imposition d’une sanction pénale. Cette question ne s’est pas posée uniquement en rapport avec les infractions de responsabilité stricte, encore qu’avec l’inflation réglementaire et la multiplication des infractions statutaires, le champ de la responsabilité stricte s’est avéré le lieu le plus propice à l’éclosion de cette défense.

 

[...]

 

38        Ce bref tour d’horizon de la loi et de la jurisprudence nous amène à la conclusion suivante. Sauf exceptions, l’erreur commise de bonne foi et l’erreur de droit raisonnable portant sur l’existence et sur l’interprétation d’une loi ne sont pas reconnues comme moyens de défense à des infractions criminelles non plus qu’à des infractions de responsabilité stricte ou à des poursuites régies par les principes applicables à la responsabilité stricte. Deux exceptions au principe méritent, cependant, d’être notées : l’erreur de droit provoquée par une personne en autorité et l’erreur de droit invincible.

 

[35]         De ces propos tenus par la Cour d’appel fédérale, je retiens ce qui suit :

 

1.    Pour établir une défense de diligence raisonnable à l’encontre d’une pénalité, un appelant doit démontrer a) qu’il a commis une erreur raisonnable dans sa compréhension des faits, ou b) qu’il a pris des précautions raisonnables pour éviter l’événement qui a mené à l’imposition de la pénalité.

 

2.    Sauf de très rares exceptions, l’erreur de droit portant sur l’existence ou sur l’interprétation d’une loi n’est pas reconnue comme excuse ou comme moyen de défense à l’égard d’une pénalité imposée en vertu de l’article 280. Ces exceptions sont l’erreur de droit provoquée par une personne ayant autorité et l’erreur de droit invincible attribuable à un défaut dans la promulgation ou la publication de la loi.

 

[36]         En ce qui concerne la position de l’appelante selon laquelle elle a fait preuve de diligence raisonnable pour éviter le manquement à son obligation d’avoir les numéros d’inscription de ses fournisseurs, je ne suis pas convaincu que ce soit le cas compte tenu des faits de l’espèce. Tout d’abord, je fais remarquer que Comtronic n’a en fait pris aucune mesure pour vérifier ou confirmer les numéros d’inscription imprimés sur les factures. Les circonstances de l’espèce ne sont pas de nature à me faire croire que ne rien faire pour éviter le risque de ne pas avoir les bons numéros d’inscription est suffisant. M. Leung était réapparu à Montréal après que se furent écoulées quelques années depuis l’époque où Comtronic l’avait connu à Toronto. M. Leung n’a dit à M. Tse qu’il ne travaillait plus pour RMD International Trading qu’après l’envoi des factures de Supertech Systems. Toutefois, des factures ont par la suite été envoyées par des entités désignées par les noms de RMD et de RMD Inc., ainsi que de Rapid Memory Distribution. Bien qu’il puisse être raisonnable d’accepter qu’une personne morale soit exploitée sous différents noms commerciaux à partir d’une même adresse et en ayant les mêmes numéros d’inscription, la réapparition de factures de RMD après que M. Leung a dit avoir quitté RMD, conjugué au fait qu’il a dit à M. Tse qu’il avait quitté RMD seulement lorsque celui‑ci l’a questionné au sujet des factures de Supertech Systems et non pas lorsqu’il s’est de nouveau présenté à M. Tse après plusieurs années, est un élément qui justifiait un examen plus poussé, sans quoi l’erreur de Comtronic  dans sa compréhension des faits n’était pas raisonnable.

 

[37]         Comtronic ne peut pas, du fait qu’elle ne savait pas qu’aux termes de la loi c’était à elle qu’incombait la responsabilité de s’assurer que les numéros d’inscription des fournisseurs étaient valides, échapper à la pénalité imposée en vertu de l’article 280; il s’agit là d’une erreur de droit.

 

[38]         L’ARC n’avait certes pas, durant les années en cause, de système de vérification en ligne permettant aux acheteurs de confirmer les noms et les numéros d’inscription des fournisseurs, mais elle offrait un service de renseignements téléphonique à cette fin. Quant au MRQ, il offrait un service de confirmation en ligne tout au cours des années en cause, lequel service, s’il avait été consulté pour vérifier les numéros d’inscription aux fins de la TVQ figurant sur les factures des cinq fournisseurs, aurait permis de déceler le problème. Compte tenu des circonstances, je ne suis pas convaincu que la compréhension erronée ou la supposition erronée de Comtronic à l’égard de la validité de l’inscription de ces fournisseurs était raisonnable, et, comme Comtronic n’a pas activement pris de précautions pour s’assurer que les fournisseurs en question avaient des numéros d’inscription valides, on ne peut pas dire qu’elle a pris des précautions raisonnables en vue de respecter son obligation ou pour éviter le manquement à son obligation. Cela ne veut pas dire pour autant que l’appelant qui a accepté d’emblée le numéro d’inscription figurant sur une facture, sans prendre activement de précautions additionnelles ne pourra jamais être considéré comme ayant pris des précautions raisonnables en vue de se conformer à la législation en matière de TPS.

 

[39]         L’appel est rejeté avec dépens.

 

Signé à Montréal, Québec, ce 28e jour de janvier 2010.

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 55

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2008-398(GST)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              COMTRONIC COMPUTER INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 18 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 28 janvier 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Daniel Bourgeois

 

Avocat de l’intimée :

Me Benoît Denis

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                      Daniel Bourgeois

 

                          Cabinet :                  De Grandpré Chait s.e.n.c.r.l.

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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