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Référence : 2010 CCI 50

Date : 20100210

Dossier : 2008-1722(GST)I

ENTRE :

 

CORPORATION OF THE COUNTY OF RENFREW,

 

appelante,

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Avocat de l’appelante : Me Brian R. Carr

Avocat de l’intimée : Me Julian Malone

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l’audience le 11 décembre 2009,
à Ottawa, Canada.)

 

Le juge Pizzitelli

[1]             Il y a, au départ, deux questions à trancher en l’espèce :

(i)                si l’appelante avait droit à des crédits de taxe sur les intrants de 201 207,94 $ relativement à la construction de Miramichi Lodge, en vertu des règles sur la fourniture à soi-même de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi »);

(ii)             si l’appelante a droit à des crédits de taxe sur les intrants de 41 615 $ relativement à la fourniture de services administratifs à la province de l’Ontario, dans le cadre du programme Ontario au travail.

[2]             Au début de l’instruction, l’intimée a convenu qu’il fallait accueillir l’appel en ce qui concerne le droit aux crédits de taxe sur les intrants de 41 615 $ qui sont en litige (voir le point (ii) ci-dessus). En conséquence, la principale question que la Cour doit trancher est celle de savoir si l’appelante le comté de Renfrew a droit à des crédits de taxe sur les intrants de 201 207,94 $ aux termes du paragraphe 191(3) de la Loi, tel qu’il s’appliquait à la période allant du 1er avril au 30 juin 2006 et, sinon, si elle aurait droit aux mêmes crédits en vertu des règles d’entrée en vigueur énoncées au paragraphe 73(15) de la Loi d’exécution du budget de 2008, L.C. 2008. ch. 28.

Le contexte

[3]             Le comté de Renfrew est une municipalité qui a procédé à la construction de Miramichi Lodge à Pembroke, en Ontario, entre le 1er avril 2002 et le 31 janvier 2004. À la fin des travaux, le nouveau Lodge (ci-après appelé l’« établissement ») a remplacé l’ancien Miramichi Lodge et était un établissement de soins de longue durée destiné à accueillir 166 pensionnaires âgés, en moyenne,  de 85 ans. L’exploitation de l’établissement était assujettie aux règlements et aux normes du ministère de la Santé et des Soins de longue durée. L’établissement compte 166 lits et 100 chambres privées, et le reste se compose de chambres à deux lits. L’établissement fournit des soins infirmiers et personnels 24 heures sur 24, des repas et des goûters nutritifs, des programmes d’animation et de loisirs, des services de réadaptation, des soins palliatifs, de même que des services d’entretien ménager, de buanderie et de soutien administratif. L’établissement comporte aussi du personnel médical. Les pensionnaires souffrent tous de déficits physiques, psychologiques ou mentaux en plus de leur grand âge, et il s’agit là des conditions à remplir pour pouvoir être admis dans l’établissement. Les tarifs d’hébergement sont fixés par le ministère de la Santé et des Soins de longue durée, et il est possible d’obtenir des tarifs réduits en en faisant la demande au ministre.

[4]             La construction de l’établissement a pris fin en décembre 2004, et la Ville de Pembroke a délivré un certificat d’occupation le 20 décembre 2004. Le déménagement, entre les anciennes installations, situées sur la rue Bell, et le nouvel établissement, situé sur la rue Pembroke, a eu lieu le 16 janvier 2005. Le coût des travaux de construction de l’établissement, pour l’application de la TPS, s’est élevé à 31 234 103 $. La valeur de l’établissement a été évaluée par la Société d’évaluation foncière des municipalités à un montant de 13 420 000 $. Le comté de Renfrew a demandé des remboursements pour organismes de services publics équivalant à 57,14 % de la TPS payée sur les travaux de construction,  conformément à l’article 259 de la Loi et à son règlement. Il convient de signaler qu’après le 31 janvier 2004 le règlement a été modifié afin de faire en sorte que les municipalités puissent demander le remboursement de la totalité (100 %) du montant de TPS payé. Manifestement, l’appelante n’a pas pu bénéficier du pourcentage de remboursement supérieur et elle a donc engagé un montant de TPS de 352 996,39 $, représentant les 42,86 % du montant total de la TPS qui ne lui avait pas été remboursé.

[5]             Le 19 juillet 2006, l’appelante a produit une déclaration de TPS visant la période du 1er avril au 30 juin 2006 et dans laquelle elle déclarait avoir perçu la somme de 4 033,36 $ sur des recettes de 69 627 $. Elle a demandé un remboursement de TPS de 188 515,46 $, vraisemblablement le solde du montant total de remboursement pour organismes de services publics auquel elle avait droit, puisque ce n’était pas refusé.

[6]             Le 26 juillet 2006, l’appelante a écrit à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») pour demander de pouvoir rectifier sa déclaration de TPS en demandant des crédits de taxe sur les intrants (« CTI ») additionnels de 242 822,94 $. Cette somme comprenait un montant de 201 207,94 $ pour la construction du bâtiment ainsi qu’un montant de 41 615 $ pour des services administratifs fournis au ministère de la Santé et des Soins de longue durée, montant auquel l’intimée a convenu de faire droit dans le cadre du présent appel, comme il a été mentionné plus tôt. Le montant en litige, toujours refusé, est donc celui de 201 207,94 $ qui, d’après ce qu’a déclaré le trésorier de l’appelante, a été calculé comme les 42,86 % des CTI pour lesquels cette dernière n’a pas obtenu le remboursement, en se fondant uniquement sur la fraction du coût excédant la juste valeur marchande du bien. En d’autres termes, l’appelante était d’avis que, à l’époque, elle ne pouvait pas demander de CTI pour la fraction des coûts de construction qui représentaient la juste valeur marchande du bien évalué à 13 420 000 $, mais qu’elle pouvait seulement en demander pour le montant excédant cette valeur. Il convient de signaler que la lettre du 26 juillet 2006 ne faisait toujours pas mention de la TPS à payer sur une autocotisation quelconque.

[7]             De plus, le 26 juillet 2006, après quelques conversations téléphoniques avec la Division des décisions de la TPS, l’appelante a écrit à l’ARC pour lui demander de décider si elle avait droit ou non à un CTI ou à un remboursement de TPS additionnel fondé sur la juste valeur marchande du bien ou sur le coût réel des travaux de construction. Il ressort clairement de cette lettre, ainsi que de la réponse de l’ARC, datée du 3 octobre 2006, que l’appelante souhaitait obtenir une décision concernant le fait de savoir si les règles sur la fourniture à soi-même de la Loi s’appliquaient aux travaux de construction, ce qui permettrait à l’appelante de demander des CTI pour le coût l’ensemble des travaux de construction. L’ARC a répondu qu’elle n’était pas prête à rendre une décision, et elle n’a fourni qu’une interprétation, à savoir que les dispositions concernant la fourniture à soi-même du paragraphe 191(3) ne s’appliquaient pas, car le constructeur ne répondait pas à la condition énoncée dans ce paragraphe, c’est-à-dire qu’il devait transférer « la possession ou l’utilisation d’une habitation de [l’immeuble] aux termes d’un bail, d’une licence ou d’un accord semblable conclu en vue de l’occupation de l’habitation à titre résidentiel ». L’appelante ne pourrait donc pas se prévaloir des dispositions du paragraphe 191(3) pour considérer la fourniture comme une fourniture taxable et, par conséquent, demander la totalité des CTI. L’ARC a également fait part de son interprétation selon laquelle l’établissement de soins de longue durée n’était pas utilisé dans le cadre d’une activité commerciale puisqu’il s’agissait d’une fourniture exonérée au sens des articles 1 et 2 de la partie II de l’annexe V à titre de fourniture de services de santé en établissement. Manifestement, l’ARC a rejeté la demande de CTI additionnels présentée par l’appelante, ce qui a amené celle-ci à interjeter appel. Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’ARC a maintenant convenu d’accepter la demande en partie pour les services administratifs fournis, mais non en ce qui concerne la construction de l’établissement.

[8]             Près de trois ans plus tard, soit le 31 mars 2009, l’appelante, sur l’avis de ses comptables, a écrit à l’ARC pour demander que la déclaration de TPS applicable à la période du 1er janvier au 31 mars 2005, qui englobait la date d’occupation de l’établissement, soit modifiée de façon à ce que soit inscrit à la ligne 103 un montant de TPS perçue de 2 439 735,18 $, représentant le montant de la fourniture à soi-même. L’objet déclaré des redressements était de [traduction] « permettre au comté de satisfaire à la disposition d’entrée en vigueur en vue de l’application du paragraphe 191(3) modifié de la Loi », qui figurait alors au paragraphe 73(15) de la Loi d’exécution du budget de 2008. Dans cette même lettre, le comté confirmait qu’il était d’avis qu’il lui fallait procéder à une autocotisation de TPS conformément au paragraphe 191(3) et qu’il ne l’avait pas fait à cause de la lettre du 3 octobre 2006 dans laquelle l’ARC disait ne pas avoir l’impression que le comté était assujetti aux règles sur la fourniture à soi-même. Le comté demandait donc que la déclaration modifiée du 31 mars 2009 soit acceptée afin de prendre en compte l’obligation de procéder à une autocotisation dans les circonstances.

[9]             La première question dont il faut traiter consiste à savoir si l’appelante pouvait procéder à une autocotisation aux termes de l’ancien paragraphe 191(3) qui était en vigueur à l’époque de la fourniture, soit le 16 janvier 2005, date de l’occupation de la première chambre (ou « habitation ») de l’établissement. Il y a lieu de signaler que les parties conviennent que toutes les conditions préalables à l’admissibilité que prévoit ce paragraphe sont remplies, sauf celle selon laquelle le constructeur doit transférer la possession ou l’utilisation d’une habitation de l’immeuble aux termes d’un bail, d’une licence ou d’un accord semblable conclu en vue de l’occupation de l’habitation à titre résidentiel.

[10]        Les parties conviennent toutes deux que le mot « possession » n’est pas défini dans la Loi; cependant, la Cour d’appel fédérale en a traité dans l’arrêt North Shore Health Region c. La Reine, 2008 CAF 2, où elle a conclu que le mot « possession », au paragraphe 191(3), visait à décrire un droit de possession qui était équivalent ou analogue à celui dont bénéficiait habituellement un locataire aux termes d’un bail résidentiel. La juge Sharlow a ensuite déclaré, au paragraphe 44 :

44        […] ce qui laisserait entrevoir, de manière générale, un droit à l’usage et à la jouissance exclusifs d’un appartement déterminé pour une période de temps défini à titre résidentiel, un droit auquel on ne peut faire échec durant la période prévue sauf en cas de violation, par le locataire, des modalités de son bail. […]

[11]        Dans North Shore Health Region, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’étant donné que North Shore Health Region pouvait changer à son gré l’affectation des chambres, c’est-à-dire que le droit qu’avait une personne d’occuper une chambre particulière était laissé à l’entière discrétion de North Shore, cette personne ne bénéficierait pas d’un droit de possession, au sens où ce terme est généralement employé dans le contexte de l’occupation d’un lieu résidentiel.

[12]        En l’espèce, l’appelante a fait valoir que les conditions d’occupation sont nettement plus strictes que celles dont il était question dans North Shore Health Region, et que, de ce fait, il y a lieu d’établir une distinction entre cette dernière affaire et la présente. En particulier, elle a fait valoir qu’on affecte les pensionnaires à des chambres précises et qu’ils ne peuvent pas être déplacés sans leur autorisation, que la personne est en mesure d’exclure d’autres de la chambre, qu’elle a le droit de faire des changements dans la chambre (mobilier ou décoration) et qu’elle peut régler la température dans la chambre et obtenir une assurance pour les biens personnels qui s’y trouvent. Selon ce qu’a déclaré en interrogatoire principal l’administratrice de l’établissement de l’appelante, aucun pensionnaire n’a jamais été déplacé sans son consentement ou celui de la personne qui prend les décisions pour son compte, et si l’établissement considère qu’il faut déplacer un pensionnaire pour qu’il ait un meilleur accès à des traitements ou à du matériel au sein de l’établissement, les responsables rencontrent dans ce cas le pensionnaire ou son représentant et lui expliquent les raisons du déplacement, qui n’ont jamais été refusées. Cependant, en contre-interrogatoire, la même administratrice a déclaré que la décision revenait ultimement à l’établissement et non au pensionnaire, et qu’elle prendrait les mesures qu’il fallait pour assurer la sécurité du pensionnaire ou d’autres pensionnaires et membres du personnel. Elle a de plus convenu qu’il y avait des restrictions quant au type de mobilier que le pensionnaire pouvait apporter dans les lieux, suivant la taille et les exigences, qu’il n’y avait pas de serrure aux portes des chambres, que les membres du personnel avaient accès à ces dernières en tout temps, que, de façon générale, les pensionnaires atteints de la maladie d’Alzheimer entraient dans les chambres et en sortaient à leur guise et que la température ne pouvait être changée qu’à l’intérieur d’une fourchette de cinq degrés.

[13]        Le contrat d’admission que l’on fait signer à l’égard des pensionnaires de l’établissement indique clairement, au paragraphe 2 :

[traduction] Les règlements provinciaux en matière de financement permettent à chaque pensionnaire de s’absenter de l’établissement pour les périodes suivantes :

1.         Congé occasionnel – 2 jours par semaine, […]

2.         Vacances – 21 jours par année […]

À l’évidence, les clauses du contrat restreignent la liberté qu’a un pensionnaire d’aller et venir comme bon lui semble sans risquer d’être renvoyé de l’établissement.

[14]        De plus, un nouveau guide du pensionnaire qu’utilise l’appelante limite la consommation d’alcool à un maximum de deux consommations par jour si un médecin le prescrit, tandis que la décoration des chambres dépend de ce qu’autorisent l’espace disponible et la sécurité, ce qui donne à penser que l’établissement exerce un contrôle prépondérant. Dans le même ordre d’idées, il y a des restrictions quant à la possession d’un réfrigérateur, de coussins chauffants électriques ou de coussins emplis de grains réchauffables au four à micro-ondes, et les pensionnaires ne peuvent avoir dans les chambres que les meubles personnels que les membres du personnel considèrent comme sécuritaires et que l’espace disponible autorise. Étant donné que les chambres privées ne mesurent que 180 pieds carrés et que c’est l’établissement qui fournit la totalité du mobilier de chambre à coucher, comme les lits, les tables de chevet, les fauteuils, etc., il semble raisonnable de conclure qu’il y a fort peu de place pour les effets personnels supplémentaires des pensionnaires. Toutes ces restrictions concernant l’utilisation des lieux et la conduite des pensionnaires à l’intérieur de ces derniers ne concordent guère avec l’utilisation d’un lieu loué ou d’un droit de possession dont bénéficie habituellement le locataire d’un appartement résidentiel, comme l’envisageait la Cour d’appel fédérale dans l’affaire North Shore Health Region.

[15]        Il convient de signaler que, dans l’affaire North Shore Health Region, North Shore avait pour politique de ne pas déplacer un pensionnaire, à moins que son état physique ou mental change. Malgré cela, la Cour d’appel a quand même décrété qu’il n’y avait pas de « possession » de la chambre au sens ordinaire du terme. La présente affaire n’est pas différente, en ce sens que l’établissement recommande un changement de chambre s’il survient un changement dans l’état de santé d’un pensionnaire et que, pour ce qui est de savoir si cela se fera ou non, c’est l’établissement qui a le dernier mot.

[16]        Compte tenu de la preuve dans son ensemble, je conclus que l’établissement n’accorde pas la « possession » de la chambre (ou de l’« habitation ») à une personne pour les fins envisagées par le paragraphe 191(3), tel qu’il était à l’époque, et que les faits dont il est question en l’espèce ne se distinguent d’aucune manière importante de ceux dont il était question dans l’affaire North Shore Health Region.

[17]        L’avocat de l’intimée a fait valoir aussi qu’étant donné que le Plan budgétaire de 2008, lequel est à l’origine de la Loi d’exécution du budget de 2008 qui a modifié le paragraphe 191(3), mentionne qu’il a pour objet de « préciser » le traitement des établissements de soins résidentiels de longue durée sous le régime de la TPS/TVH, les tribunaux devraient considérer dans ce cas qu’il a toujours été envisagé que l’ancien paragraphe 191(3) s’applique à ces établissements. En fait, l’avocat de l’appelante demande à la Cour de faire abstraction, vu la précision déclarée, de la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’affaire North Shore Health Region.

[18]        La Cour n’est pas compétente pour passer outre à la décision de son instance d’appel, et le législateur a traité de la question dans le projet de loi C‑50, qui a donné naissance à la Loi d’exécution du budget de 2008.

[19]        En fait, la question suivante qu’il faut trancher consiste à savoir si l’appelante tombe sous le coup des dispositions d’entrée en vigueur du projet de loi C‑50, soit le paragraphe 73(15) de la Loi d’exécution du budget de 2008.

[20]        Étant donné que la période particulière qui est en cause est antérieure au 27 février 2008, c’est donc dire que seules les dispositions de l’alinéa 73(15)b) de la Loi d’exécution du budget de 2008 s’appliquent. Les conditions que comporte cet alinéa sont essentiellement de deux ordres.

[21]        Premièrement, l’appelante doit être réputée avoir effectué une fourniture taxable si les dispositions des paragraphes 73(1) à 73(13) s’appliquaient, dans leur forme modifiée, à elle à un moment particulier, lequel moment est défini au paragraphe 73(14) comme étant le dernier en date des suivants : la date d’achèvement de la construction ou la date de la première possession ou utilisation d’une habitation, ce qui, dans le cas qui nous occupe, est le 16 janvier 2005. Étant donné que les dispositions indiquent maintenant que le constructeur doit transférer la « possession ou utilisation » d’une habitation à une personne, il est clair que les nouvelles dispositions auraient été applicables à ce moment particulier, et l’intimée l’a reconnu.

[22]        Deuxièmement, l’appelante, à titre de constructeur, doit avoir déclaré un montant à titre de taxe après avoir appliqué l’article 191 de la Loi à l’égard de l’immeuble dans sa déclaration aux termes de la section V de la partie IX de la Loi, et ce, pour une période de déclaration pour laquelle une déclaration est produite avant le 27 février 2008, ou doit être produite au plus tard à une date antérieure à cette date. C’est cette seconde exigence qui donne lieu au litige qui oppose les parties.

[23]        Les éléments requis de cette seconde condition, qui figurent au sous-alinéa (ii) de l’alinéa 73(15)b) de la Loi d’exécution du budget de 2008, sont les suivants :

(i)                le constructeur doit avoir déclaré la totalité ou une partie de la taxe à la suite d’une autocotisation effectuée en vertu de l’article 191 à l’égard de l’immeuble;

(ii)             la taxe doit être indiquée dans une déclaration du constructeur aux termes de la section V de la partie IX de la Loi;

(iii)           la déclaration doit s’appliquer à une période de déclaration pour laquelle une déclaration est produite avant le 27 février 2008 ou doit être produite au plus tard à une date antérieure à cette date.

[24]        Il ressort de la preuve que des déclarations ont été produites pour deux périodes différentes :

(i)                pour la période du 1er avril au 30 juin 2006, l’appelante a produit une déclaration le 19 juillet 2006, qui a été modifiée le 26 juillet 2006;

(ii)             pour la période du 1er janvier au 31 mars 2005, l’appelante a produit une déclaration qui a été modifiée le 31 mars 2009.

L’appelante est d’avis que les déclarations visant les deux périodes sont conformes aux exigences de l’alinéa 73(15)b), tandis que l’intimée soutient qu’aucune d’elles ne l’est.

[25]        Pour ce qui est de la production de la déclaration concernant la première période, soit du 1er avril au 30 juin 2006, la déclaration datée du 19 juillet 2006, et envoyée par la poste le 20 juillet 2006, fait état de recettes de 69 627 $ et d’un montant de TPS perçu ou devenu percevable de 4 033,36 $. La ligne 405, qui se rapporte à l’autocotisation de TPS, est laissée en blanc. À l’évidence, il n’y a aucune preuve qu’un montant de taxe quelconque, et encore moins le montant de taxe total, a été déclaré relativement à la fourniture à soi-même de l’immeuble, qui a coûté 31 234 103 $. Le montant de 4 033,36 $ se rapporte à des recettes de 69 627 $ et il y a une preuve que l’établissement a effectué des fournitures taxables, comme des services de coiffure et d’autres services pour lesquels la TPS devait être versée. Plus important encore, la preuve indique qu’aucune fourniture à soi-même n’était envisagée à ce moment. La modification du 26 juillet 2006 ne touchait que le montant des CTI et des redressements déclarés à la ligne 108 ainsi que les dispositions ultérieures faisant état de demandes de remboursements plus élevés, de sorte qu’il est évident que les CTI étaient demandés relativement à l’immeuble, comme il a été indiqué plus tôt, mais qu’aucune taxe au titre de l’autocotisation n’a été inscrite. C’est donc dire que la déclaration produite pour cette période ne faisait tout simplement état d’aucun montant de taxe au titre de l’autocotisation et que, de ce fait, les conditions requises, indiquées plus tôt, n’ont pas été remplies à l’égard de cette déclaration.

[26]        Pour ce qui est de la période de déclaration allant du 1er janvier au 31 mars 2005, la copie originale de la déclaration n’a pas été produite en preuve. Cependant, étant donné que l’appelante a demandé, dans une lettre datée du 31 mars 2009, que l’on modifie cette déclaration en incluant à la ligne 103 un montant de 2 439 735,18 $, il est clair à ce stade-ci que l’appelante a tenté de procéder à une autocotisation. La question qui demeure est donc celle de savoir si cette déclaration modifiée satisfait aux exigences de l’alinéa 73(15)b) de la Loi d’exécution du budget de 2008.

[27]        Même si une copie de la déclaration initiale qui s’applique à cette période n’a pas été produite en preuve, l’intimée n’a pas fait valoir ou plaidé que la déclaration initiale produite ne satisfaisait pas aux dispositions de la section V de la partie IX de la Loi. Le second élément n’est donc pas en litige. La seule objection de l’intimée est que l’on ne pourrait pas dire que la déclaration a été produite dans les délais que prescrit la disposition.

[28]        L’appelante était manifestement une entité inscrite aux fins de la TPS qui produisait des déclarations trimestrielles, comme l’indique la preuve. Elle reconnaît dans la lettre du 31 mars 2009 que l’obligation de procéder à une autocotisation a pris naissance dans la période de déclaration allant du 1er janvier au 31 mars 2005 et que la déclaration de TPS qui s’appliquait à cette période devait être produite au plus tard le 2 mai 2005. Manifestement, dans la déclaration initiale, il n’y a pas eu d’autocotisation car l’objet déclaré de la déclaration modifiée du 31 mars 2009 était de remédier à ce fait. L’appelante a déclaré dans la lettre de redressement que [traduction] « les redressements qui précèdent ont pour but de permettre au comté de déclarer la TPS au titre du paragraphe 191(3) de la Loi sur la taxe d’accise au moyen d’une déclaration de TPS/TVH modifiée pour la période de déclaration en 2005 […] » en question.

[29]        Cependant, selon le troisième élément de l’alinéa 73(15)b), il faut que la déclaration ait été produite avant le 27 février 2008 ou doive être produite au plus tard à une date antérieure à cette date. La modification a manifestement eu lieu le 31 mars 2009 et on ne peut pas dire qu’elle a été produite avant le 27 février 2008. Cependant, l’intimée a fait valoir que les mots « ou doit être produite […] au plus tard à une date antérieure à cette date » doivent vouloir dire qu’étant donné que la période de déclaration en question exigeait qu’une déclaration ait été produite avant le 27 février 2008, la question de savoir si la production a réellement eu lieu avant cette date ne fait aucune différence. Je suis d’accord avec l’intimée sur ce point.

[30]        Le libellé de la disposition envisage clairement que l’allègement s’applique aux périodes pour lesquelles une déclaration a été effectivement produite avant le 27 février 2008, ou aux périodes à l’égard desquelles une déclaration devait être produite à une date antérieure, même si elle ne l’a pas été; sans cela, cet élément précis de la disposition n’aurait aucun sens pertinent. Il serait absurde de laisser entendre que la déclaration contenant l’autocotisation doit avoir été produite avant le 27 février 2008, relativement à une opération qui a eu lieu avant cette date, alors que l’objet tout entier de la disposition d’allègement est de permettre de faire et de produire un choix en vue de bénéficier d’un traitement rétroactif.

[31]        Dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, la Cour suprême du Canada, au moment d’analyser les règles d’interprétation législative, a déclaré au paragraphe 23 que lorsque le sens d’une telle disposition ou son application aux faits ne présente aucune ambiguïté, il y a lieu de l’appliquer d’une manière stricte. Je trouve que les mots « ou doit être produite » sont clairs et non ambigus. Même si j’avais accepté que, au vu des positions différentes des parties, les mots présentaient une réelle ambiguïté, alors la Cour suprême du Canada, dans Hypothèques Trustco Canada, aurait prescrit, au paragraphe 47, que :

47        […] Pour relever et dissiper toute ambiguïté latente du sens des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, les tribunaux doivent adopter une méthode d’interprétation législative textuelle, contextuelle et téléologique unifiée.

et déclaré, au paragraphe 29, que les tribunaux pourraient dans ce cas recourir à des outils d’interprétation externes.

[32]        Si l’on considère le Plan budgétaire de 2008 comme un outil d’interprétation de ce genre, je signale qu’à la page 340 de ce plan, il est clairement indiqué que le changement s’appliquera dorénavant à ces établissements ainsi qu’à certaines opérations passées où le propriétaire a versé la taxe à l’égard de l’établissement « ou choisit maintenant de se prévaloir de l’application des nouvelles règles ». De plus, à la page 342, où l’on fait directement référence à un « Apport de modifications aux règles d’autocotisation », il est évident que les modifications ne s’appliquent aux opérations ayant lieu avant le 27 février 2008 que si le propriétaire a établi une autocotisation de TPS/TVH « ou si un choix a été fait ». Le budget semble clairement indiquer que le traitement rétroactif était la méthode par laquelle le législateur avait décidé de donner suite aux résultats de l’affaire North Shore Health Region dans les cas où certaines conditions étaient remplies. L’intention du législateur était claire : soit qu’il y avait déjà une autocotisation, soit qu’un choix pouvait être fait à cet égard. Sans cela, seuls les contribuables ayant établi une autocotisation avant le 27 février 2008, contrairement à la loi telle qu’elle était à l’époque, pourraient bénéficier de la disposition rétroactive, tandis que les  contribuables respectueux de la loi telle qu’elle était libellée, y compris ceux qui faisaient l’effort de confirmer l’état de la loi auprès de l’ARC, recevaient l’avis de cette dernière et s’y conformaient, à l’instar du comté de Renfrew en l’espèce, seraient pénalisés, ce qui serait un résultat absurde.

[33]        Par sa lettre du 31 mars 2009, l’appelante a exprimé l’avis qu’il faudrait faire droit à la modification en vertu de la politique administrative de l’ARC, décrite dans l’énoncé de politique P-149R, qui consiste à autoriser le redressement des déclarations de TPS, sauf lorsqu’une personne tente d’augmenter le montant des crédits de taxe sur les intrants ou d’autres redressements créditeurs sans augmentation correspondante de l’obligation fiscale. Il semble évident que la modification n’avait pas pour effet de changer le remboursement net et, de ce fait, elle satisfait au critère. Quoi qu’il en soit, bien qu’il soit évident que la Cour n’est pas liée par une politique administrative de l’ARC, le ministre n’a plaidé aucune supposition quant à la forme de la déclaration produite. En fait, l’intimée a fait valoir que la seule question en litige était une question de délai, et non de forme. En tout état de cause, compte tenu du libellé de la disposition, comme nous l’avons vu plus tôt, que la déclaration produite soit nouvelle ou modifiée ne ferait aucune différence selon moi, dans la mesure où elle se rapportait à une période pour laquelle une déclaration devait être produite avant le 27 février 2008, car le libellé envisage clairement une production tardive.

[34]        En conséquence, l’appel est accueilli dans son intégralité et l’affaire renvoyée au ministre pour nouvelle cotisation sur ce fondement. Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de février 2010.

 

 

 

« F.J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de février 2014

 

S. Tasset

 


RÉFÉRENCE :                                 2010 CCI 50

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2008-1722(GST)I

 

INTITULÉ :                                      CORPORATION OF THE COUNTY OF RENFREW et SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Les 8 et 11 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge F.J. Pizzitelli

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 15 décembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Brian R. Carr

Avocat de l’intimée :

Me Julian Malone

 

 

AVOCATS INSCRITS
AU DOSSIER :

 

          Pour l’appelante :

 

                             Nom :                   Me Brian R. Carr

 

                        Cabinet :                   Moskowitz & Meredith LLP
Toronto (Ontario)

 

              Pour l’intimée :                   John H. Sims, c.r.
Sous-procureur général du Canada
Ottawa, Canada

 

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