Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossier : 2004-4015(IT)G

ENTRE :

 

NGA THI DAO,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus les 6 et 7 novembre 2008, à Toronto (Ontario),

les 20, 21, 22, 23 et 24 avril 2009, à Toronto (Ontario), et le

11 aôut 2009, à Niagara-on-the-Lake (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Diane Campbell

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

M e John David Buote

Avocate de l’intimée :

M e Lorraine Edinboro

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

Les appels interjetés des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1998, 1999, 2000 et 2001 sont accueillis et les cotisations sont renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs de jugement ci-joints.

 

Les parties pourront présenter des observations par écrit à l’égard des dépens, au plus tard le 31 mars 2010, si elles n’arrivent pas à s’entendre à ce sujet.


 

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de février 2010.

 

 

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de juin 2010.

 

 

 

François Brunet, réviseur

 

 

 

 


 

 

 

 

Référence : 2010 CCI 84

Date : 20100216

Dossier : 2004-4015(IT)G

 

ENTRE :

 

NGA THI DAO,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Campbell

 

[1]              La Cour est saisie d’appels de nouvelles cotisations concernant les années d’imposition 1998, 1999, 2000 et 2001 de l’appelante. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a porté le revenu total de l’appelante à 78 000 $, 107 858 $, 42 585 $ et 129 942 $, respectivement, pour ces années d’imposition, en utilisant la méthode de la valeur nette. Des pénalités ont également été imposées conformément au paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Les années d’imposition 1998 et 1999 de l’appelante ont fait l’objet de cotisations après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation conformément au sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi.

 

[2]              Les questions en litige sont les suivantes :

 

a)     Le ministre a-t-il inclus à bon droit ces montants dans le revenu de l’appelante pour chacune des années d’imposition respectives?

 

b)    Le ministre a-t-il le droit d’établir de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 1998 et 1999 après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation pour ces années-là, et la Cour est-elle à juste titre saisie de la question?

 

c)     Les pénalités imposées conformément au paragraphe 163(2) de la Loi sont-elles justifiées eu égard aux circonstances de l’espèce?

 

Les faits

 

[3]     La vérification de l’appelante a débuté en 2002, par suite d’un article publié dans le journal The Review, à Niagara Falls, relatant une descente effectuée par des policiers dans une résidence. L’appelante était l’unique propriétaire de cette résidence (la « résidence Bishop »). La descente a donné lieu à la saisie de plants de marijuana et de matériel hydroponique d’une valeur de 50 000 $. L’appelante et son mari ont été accusés. Les accusations initiales de production d’une substance désignée et de vol d’électricité visant l’appelante ont été abandonnées, mais son mari, Thu Van Dao, a été accusé et il a présenté un plaidoyer de culpabilité. Lorsqu’elle a témoigné, l’appelante a toujours nié avoir eu quelque lien que ce soit avec les activités liées à la drogue ou avec le matériel hydroponique connexe.

 

[4]     La résidence Bishop, qui appartenait à l’appelante, était un logement locatif. L’appelante a témoigné que son mari et elle avaient été arrêtés et accusés au mois de septembre 2002, pendant qu’ils étaient tous deux sur les lieux afin de percevoir le loyer des locataires. La demande de location (pièce A-1, onglet 78), datée du 28 juillet 2001, stipulait que la période de location allait du 1er août 2001 au mois d’août 2002, mais l’appelante a témoigné que les locataires avaient continué à occuper les lieux jusqu’au 28 septembre 2002.

 

[5]     En plus d’être propriétaire de la résidence Bishop, l’appelante avait de grosses sommes d’argent dans ses comptes bancaires ainsi que des placements. L’appelante affirme que ces augmentations apparentes de sa valeur nette au cours des années d’imposition en question proviennent principalement de sources non imposables, soit des prêts consentis par des membres de la famille, par des amis et par des collègues. L’intimée soutient que ces prêts n’ont jamais existé. L’appelante affirme également que les membres de sa famille consacrent à leurs dépenses des sommes beaucoup moindres que celles qui leur sont attribuées pour leurs dépenses personnelles selon les calculs de Statistique Canada.

 

Analyse

 

[6]     Lorsque le ministre utilise la méthode de la valeur nette afin de calculer le revenu d’un contribuable, c’est parce qu’il ne dispose d’aucun autre moyen lui permettant de vérifier les renseignements contenus dans les déclarations de revenu du contribuable. Cela peut se produire parce que les déclarations de revenu n’ont pas été produites, parce qu’il n’y a pas suffisamment de documents ou parce que les renseignements fournis au ministre ne peuvent pas être vérifiés de manière indépendante et semblent inexacts, ou bien il peut tout simplement être nécessaire d’utiliser cette méthode parce que le contribuable refuse de fournir au ministre les renseignements requis.

 

[7]     Dans la décision Bigayan c. The Queen, 2000 DTC 1619, le juge Bowman (tel était alors son titre), a décrit, à la page 1619, la méthode de la valeur nette comme étant « […] un instrument imprécis, exact à l’intérieur d’un registre dont le champ est indéterminé […] ». Comme on l’a observé dans la décision Ramey c. The Queen, 93 DTC 791, il s’agit d’une solution « de dernier recours » parce qu’aucun des autres moyens de vérification dont le ministre dispose normalement ont abouti. Par conséquent, la méthode, par sa nature même, donne lieu à une estimation inexacte du revenu du contribuable. Cette méthode peut produire des résultats insatisfaisants, mais elle est fondée sur l’hypothèse selon laquelle, dans un régime d’autocotisation, le contribuable est celui qui est le mieux placé pour connaître le montant exact du revenu gagné sur une période donnée. S’il conserve les documents appropriés, il est facile au contribuable de signaler concrètement les erreurs commises dans la cotisation établie par le ministre et de justifier de manière appropriée les modifications proposées à la cotisation à l’aide de documents ou d’autres éléments de preuve appropriés. Dans la décision Bigayan (page 1619), le calcul utilisé pour la méthode de la valeur nette est défini en ces termes :

 

[…] Elle [la méthode] repose sur le postulat selon lequel, si l’on soustrait la valeur nette d’un contribuable en début d’année à sa valeur nette en fin d’année, si l’on ajoute les dépenses du contribuable durant l’année et si l’on soustrait les encaissements non imposables et les plus-values d’actifs existants, alors le résultat net, après déduction de toute somme déclarée par le contribuable, doit être attribuable au revenu non déclaré gagné durant l’année, sauf si le contribuable peut apporter une preuve contraire. […]

 

Le recours à ce type de calcul ne produit jamais, à l’égard du revenu du contribuable, des chiffres aussi précis que ceux qui peuvent être obtenus si le contribuable additionne tout simplement toutes les sources de revenus et de bénéfices comme le prévoit la Loi.

 

[8]     Dans l’arrêt Hsu c. The Queen, 2001 DTC 5459,  la cour a clairement dit que le ministre n’a qu’à démontrer que la valeur nette du contribuable a augmenté entre deux dates, mais qu’il n’a pas à prouver l’existence d’une source imposable de revenu. Au paragraphe 29, la cour a fait les observations suivantes :

 

[29] Les évaluations de la valeur nette sont une solution de dernier recours communément employée dans les cas où le contribuable refuse de produire une déclaration de revenus, qu’il a produit une déclaration fort inexacte ou qu’il refuse de fournir des documents qui permettraient à Revenu Canada de vérifier le rendement (V. Krishna, The Fundamentals of Canadian Income Tax Law, 5e éd. (Toronto : Carswell, (1995) à la page 1089). La méthode de la valeur nette est fondée sur l’hypothèse selon laquelle une augmentation de la richesse d’un contribuable au cours d’une certaine période peut être imputée au revenu pour cette période à moins que le contribuable ne démontre le contraire (Bigayan, précité, à la page 1619). Cette méthode vise à libérer le ministre de l’obligation ordinaire qui lui incombe de prouver l’existence d’une source imposable de revenu. Le ministre est uniquement tenu de démontrer que la valeur nette du contribuable a augmenté entre deux dates. En d’autres termes, une évaluation de la valeur nette ne se rapporte pas à la détermination de la source ou de la nature de l’augmentation de la richesse du contribuable. Une fois qu’il est démontré qu’il y a eu augmentation, il incombe entièrement au contribuable de séparer son revenu imposable des gains provenant de sources non imposables (Gentile c. La Reine, [1988] 1 C.T.C. 253, à la page 256 (C.F. 1re inst.)).

 

[9]     Dans biens des cas, les cotisations fondées sur  la valeur nette dépendent invariablement de la crédibilité de l’appelant et des témoins ainsi que des explications que ceux-ci donnent afin de montrer que les calculs du ministre sont erronés. En l’espèce, l’évaluation de la crédibilité a une importance cruciale pour l’issue de la cause parce que la preuve documentaire qui a été produite est peu abondante. Au paragraphe 23 de la décision Nichols c. La Reine, 2009 CCI 334, 2009 DTC 1203, la juge V.A. Miller a donné un aperçu fort utile des critères à prendre en compte dans l’appréciation de la crédibilité d’un témoin :

 

[23] En matière de crédibilité, je peux tenir compte des incohérences ou des faiblesses que comporte le témoignage des témoins, y compris les incohérences internes (si le témoignage change pendant que le témoin est à la barre ou s’il diverge du témoignage rendu à l’interrogatoire préalable), les déclarations antérieures contradictoires et les incohérences externes (soit lorsque le témoignage est incompatible avec des éléments de preuve indépendants que j’ai acceptés). Il m’est ensuite loisible d’apprécier l’attitude et le comportement du témoin. Troisièmement, je peux rechercher si le témoin a des raisons de rendre un faux témoignage ou d’induire la Cour en erreur. Enfin, je peux prendre en compte la teneur générale de la preuve. C’est-à-dire que j’ai toute latitude pour rechercher si l’examen du témoignage à la lumière du sens commun donne à penser que les faits exposés sont impossibles ou hautement improbables.

 

Vu les éléments de preuve, suivant les critères susmentionnés, je conclus que l’appelante n’a pas produit les éléments de preuve précis et convaincants nécessaires qu’appelle la contestation d’une cotisation fondée sur la valeur nette.

 

Les prêts

 

[10]    Étant donné que l’ensemble de la preuve mettait l’accent sur les présumés prêts, j’examinerai chacun de ces prêts séparément. Il y aurait eu huit prêts en tout, tous en espèces et ne portant pas intérêt, et aucun d’eux n’a été remboursé.

 

a)                 Le prêt de 70 000 $ consenti par Luyen Thi Le

 

[11]    Mme Le connaît l’appelante depuis l’âge de douze ans. Elles étaient voisines au Vietnam avant de venir au Canada. Selon l’appelante et Mme Le, il s’agissait d’un prêt en espèces, sans intérêt. L’appelante a témoigné avoir reçu plusieurs versements, notamment un montant de 45 000 $ en 1998, qu’elle a en partie utilisé afin de payer un voyage que la famille avait fait en Angleterre, ainsi qu’un autre montant de 20 000 $ en 2001. La preuve produite par l’appelante lors de l’interrogatoire principal et du contre-interrogatoire était vague et difficile à suivre. L’appelante a affirmé avoir [TRADUCTION] « perdu » 20 000 $ sur ce montant, mais il ne ressort pas clairement de la preuve dans quelles circonstances. Lors des interrogatoires préalables, l’appelante a affirmé que l’argent avait en partie été utilisé pour des meubles, pour un cautionnement et pour des frais juridiques. À un autre moment, l’appelante a déclaré avoir [TRADUCTION] « […] conservé l’argent afin de donner un cadeau à [s]a sœur […] » (transcription, page 68). L’appelante n’a jamais déposé intégralement ces versements dans un compte bancaire. Elle a plutôt témoigné avoir déposé de petits montants de 1 000 $ et de 2 000 $ à différent moments.

 

[12]    Au cours de cette période, Mme Le était employée comme caissière à la TD Canada Trust. Elle a témoigné avoir pu consentir ce prêt de 70 000 $ à l’appelante parce qu’elle avait gagné 136 000 $ au Casino de Niagara pendant la période des Fêtes, en 1998. Elle a reçu un chèque de 80 000 $ du casino et le solde lui a censément été versé en argent. Toutefois, un document du casino (pièce R-3) confirmait qu’elle avait gagné 64 275 $ plutôt que le montant de 136 000 $ dont elle avait fait mention. Mme Le a donné deux raisons afin d’expliquer cet écart important. En premier lieu, elle a soutenu que le casino ne tient pas nécessairement compte de l’identité des gagnants à l’aide de numéros d’identification, puis en second lieu, elle a avancé que le montant de 64 275 $ représentait peut‑être la différence entre les sommes gagnées et les sommes perdues pour toute l’année. Outre cette incohérence de la preuve, Mme Le a déclaré que le prêt de 70 000 $ provenait de gains de jeu (le montant de 136 000 $ initialement mentionné ainsi qu’une somme de 66 000 $ gagnée au mois de février 1999) gagnés dans deux casinos différents.

 

[13]    Contrairement à la preuve produite par l’appelante, Mme Le a déclaré avoir remis cet argent à l’appelante à trois occasions distinctes : 30 000 $ le 27 décembre 1998; 15 000 $ le 29 décembre 1998; 25 000 $ le 2 janvier 1999. Pourtant, lorsque l’appelante et son mari ont rencontré le représentant de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), l’appelante a allégué que ce prêt lui avait été consenti en petits versements, pour atteindre finalement un total de 70 000 $.

 

[14]    Lorsqu’elle a témoigné, Mme Le a changé sa réponse en ce qui concerne la raison pour laquelle elle avait remis 70 000 $ à l’appelante en argent, sans intérêt, et sans signer de document; elle avait initialement dit que c’était pour [TRADUCTION] « le mettre [l’argent] […] en sécurité » (transcription, page 250), mais elle a ensuite affirmé : [TRADUCTION] « Je ne veux pas qu’ils [la banque, son employeur] sachent que je l’ai gagné au jeu » (transcription, page 265). Bien sûr, cela donne à penser qu’elle ne considérait pas du tout ce montant comme un prêt.

 

[15]    Il existe de nombreuses incohérences et contradictions entre le témoignage de l’appelante et celui de Mme Le, ainsi que dans le témoignage rendu par chaque témoin. L’appelante se fondait sur son [TRADUCTION] « Sommaire des prêts remboursés en argent aux Dao » (pièce A-1, onglet 80), selon lequel les 70 000 $ lui avaient été prêtés le 24 décembre 1998. Cela contredit les témoignages oraux de l’appelante et de Mme Le ainsi que la déclaration par affidavit antérieurement produite par Mme Le. En plus des écarts entre les versements, sur le montant de 70 000 $, la confirmation fournie par le casino indiquait que les gains de jeu de Mme Le représentaient moins de la moitié du montant qu’elle avait déclaré avoir gagné. Le document du casino n’étaye pas la déclaration par affidavit de Mme Le et l’appelante n’a produit aucun relevé bancaire à l’appui de ce prêt. Le témoignage de l’appelante était également contradictoire, en ce qui concerne la façon dont elle avait dépensé les 70 000 $. Je ne retiens pas non plus l’une des explications de Mme Le, à savoir qu’elle craignait que son employeur découvre qu’elle avait gagné de l’argent au jeu. Puisqu’elle était employée de banque, elle devait avoir été au courant des autres possibilités de placement dont elle aurait pu se prévaloir dans d’autres établissements de crédit. Je doute également sérieusement que, même si elle éprouvait pareille crainte, elle aurait prêté ou donné 70 000 $ sans intérêt, aucune trace écrite et sans aucun document de quelque type que ce soit, et essentiellement sans chercher activement à se faire rembourser.

 

 

b)      Le prêt de 20 000 $ consenti par Nhung Thi Nguyen

 

[16]    Il s’agissait encore une fois d’un prêt en espèces sans intérêt consenti à l’appelante le 5 février 2001. Ce prêt devait aider l’appelante à acheter la résidence Bishop. Mme Nguyen a déclaré que l’appelante était la cousine de son ancien fiancé, qu’elles vivaient dans des villes différentes et qu’elles se voyaient peu, sauf lors de réunions de famille. Le témoignage de l’appelante au sujet de la relation qu’elle entretenait avec Mme Nguyen était encore une fois vague et embrouillée, et il y avait des contradictions entre les propos tenus lors de son interrogatoire préalable et le témoignage rendu à l’audition des appels. Lors de l’interrogatoire préalable, l’appelante avait déclaré que Mme Nguyen était la petite amie de son cousin, alors qu’à l’audience, elle a déclaré qu’ils étaient mariés. Lorsqu’on l’a confrontée à ces déclarations contradictoires au sujet de quelque chose d’aussi fondamental que leur relation, l’appelante a tenté de clarifier la chose en disant qu’ils avaient vécu ensemble et qu’ils étaient maintenant mariés. Même cette explication contredit le témoignage de Mme Nguyen, à savoir qu’elle n’avait jamais été mariée ou qu’elle n’avait jamais vécu avec le cousin de l’appelante et qu’ils ne se fréquentaient plus.

 

[17]    En 2001, lorsque le prêt aurait été consenti, Mme Nguyen était coiffeuse. Les fonds provenaient dans une proportion de 70 p. 100 de sommes qu’elle avait économisées pour son fils, âgé de sept ans. Mme Nguyen a déclaré qu’elle conservait l’argent dans une boîte chez ses parents, où elle habitait. Son revenu annuel n’a jamais dépassé 15 000 $.

 

[18]    Il n’existe aucun document à l’appui de ce prêt et je conclus qu’il est fort douteux et invraisemblable qu’une jeune mère célibataire qui travaille, qui a un fils de sept ans et qui gagne tout au plus 15 000 $ par année remette allègrement plus de 20 000 $ provenant de ses économies parce que l’appelante [TRADUCTION] « […] en avait vraiment besoin […] » (transcription, page 201). Mme Nguyen semblait être un témoin intelligent et je ne puis croire en l’existence de ce prêt. Je ne crois pas qu’il s’agisse du genre de chose qu’une personne pragmatique et raisonnable ferait eu égard à la situation dans laquelle se trouvait Mme Nguyen.

 

c)       Le prêt de 20 000 $ consenti par Huynh Thi Lien

 

[19]    Il s’agissait d’un prêt en espèces, sans intérêt, en quatre versements : 5 000 $ le 10 février 2001, 5 000 $ le 16 février 2001, 5 000 $ le 18 février 2001 et 5 000 $ le 15 mars 2001. Mme Lien et l’appelante étaient toutes deux employées par Pizza Roll Food Sales entre 1997 et 2001 et elles étaient voisines. Le prêt a censément été consenti en vue d’aider encore une fois l’appelante à acheter la résidence Bishop, quoique, au cours de l’interrogatoire préalable, Mme Lien eût déclaré ne pas savoir pourquoi l’appelante voulait le prêt. Cet argent provenait de gains de jeu ainsi que d’argent donné dans des [TRADUCTION] « enveloppes rouges ». Le don d’enveloppes rouges est une tradition vietnamienne dans le cadre de laquelle des membres de la famille et des amis remettent de l’argent dans des enveloppes rouges pendant les fêtes et pour des occasions spéciales.

 

[20]    Il n’existe aucun document. On me demande de me fier à la mémoire de Mme Lien. Mme Lien ne se rappelle pas combien d’argent, sur les 20 000 $, pouvait être attribué à des sommes gagnées au casino ou à des dons d’enveloppes rouges. La déclaration par affidavit de Mme Lien contredisait le témoignage qu’elle a rendu à l’audience. Toutefois, ce qui sert de base à tout cela, c’est l’idée invraisemblable selon laquelle Mme Lien, une mère mariée ayant quatre enfants et gagnant moins de 20 000 $ par année au cours de la période où le prêt a été consenti, aurait accordé à l’appelante ce prêt non garanti sans réellement savoir ce à quoi il était destiné et sans que l’appelante ait apparemment les moyens de le rembourser.

 

d)      Le prêt de 15 000 $ consenti par Tra Thi Dang

          Le prêt de 15 000 $ consenti par Quang Vinh Tran

 

[21]    Selon le témoignage de George Dubiel, spécialiste de la vérification du commerce électronique, ces personnes étaient des conjoints. L’appelante a affirmé qu’ensemble, ils lui avaient consenti un prêt s’élevant en tout à 30 000 $. Le vérificateur a effectué un rajustement à l’égard des 15 000 $ qui avaient été accordés par Tra Thi Dang, compte tenu d’une traite bancaire de la CIBC datée du 20 avril 2001 de Tra Thi Dang. Il n’existe aucun document pour les 15 000 $ restants et aucun renseignement n’a pu être trouvé quant à un dépôt, dans un des comptes de l’appelante à la RBC Banque Royale (la « RBC ») ou à la CIBC. Ce témoin, Quang Vinh Tran, bien qu’il eût été assigné à comparaître et bien qu’un mandat eût été délivré, n’a jamais comparu à l’audience pour témoigner. L’appelante a témoigné avoir déposé les 30 000 $ dans son compte, à la RBC, au moyen de deux traites bancaires, le 26 avril 2001. Toutefois, les documents bancaires (pièce A-1, onglet 19) indiquent uniquement un retrait en argent de 30 000 $ le 26 avril 2001. La documentation, lorsqu’elle a été produite, ne faisait que contredire le témoignage de l’appelante. Je dois encore une fois conclure que ce prêt n’a jamais été consenti à l’appelante.

 

e)       Le prêt de 20 000 $ consenti par Dung Duy Dao

 

[22]    Dung Duy Dao n’a pas témoigné, mais l’appelante affirme que ce montant lui avait été prêté en espèces, sans intérêt, par son oncle, Dung Duy Dao, le 14 novembre 2000. Le mari de l’appelante affirme que Dung Duy Dao avait consenti ce prêt après qu’il eut vendu un bateau, au montant de 1,2 million de dollars. On m’a renvoyée à un dépôt bancaire effectué le 14 novembre 2000 (pièce A-1, onglet 19) indiquant un virement au montant de 20 000 $. Toutefois, aucun élément de preuve n’établit que ce virement provenait de l’oncle de l’appelante. De plus, l’appelante n’a pas divulgué ce soi-disant prêt lorsqu’elle a rencontré le représentant de l’ARC et elle en a fait mention pour la première fois au cours de l’interrogatoire préalable. Je ne dispose d’aucun élément de preuve, à part le témoignage de l’appelante, montrant que Dung Duy Dao a consenti ce prêt. À cause des nombreuses incohérences et contradictions figurant dans la preuve de l’appelante en général, je dois rejeter ce que l’appelante allègue au sujet de ce prêt.

 

f)       Le prêt de 13 990 $ consenti par Duoi Van Nguyen

 

[23]    M. Nguyen n’a pas témoigné, mais selon l’appelante et son mari, ce prêt a été consenti au moyen d’un virement télégraphique, au mois d’octobre 1998, en vue de lui permettre d’acheter un véhicule. Les dossiers bancaires confirment qu’une [TRADUCTION] « note de crédit » au montant de 13 990 $ a été établie au compte de l’appelante. Selon le témoignage de Herman Johnson, directeur du service à la clientèle à la TD Canada Trust, cette note bancaire pouvait représenter un virement télégraphique de 14 000 $ étant donné que les frais de virement bancaire pour ce type d’opération s’élèvaient normalement à 10 $. Toutefois, M. Johnson n’a pas pu préciser la provenance du virement à l’aide des documents et il n’a pas pu dire s’il s’agissait d’un virement international comme l’appelante l’affirmait. (Selon l’appelante, M. Nguyen vivait en Finlande.) Encore une fois, ce prêt n’a jamais été déclaré lors de la rencontre avec le représentant de l’ARC et il en a uniquement été fait mention par la suite. Compte tenu des éléments de preuve dont je dispose, je dois également rejeter l’existence de ce prêt étant donné que je soupçonne que, comme les autres prêts, il n’a jamais été consenti.

 

g)       Le prêt de 20 000 $ consenti par Quang Van Dao

 

[24]    Quang Van Dao est le beau-frère de l’appelante. Le mari de l’appelante a allégué qu’il conservait cet argent pour son frère cadet. L’appelante elle-même n’a jamais fait mention de ce prêt, que ce soit à l’audience ou lors de l’interrogatoire préalable. Quang Van Dao, qui en 1999 et en 2000 était sans emploi et habitait avec l’appelante et son mari, a témoigné qu’il avait réalisé des économies de 20 000 $ provenant de son emploi au cours d’années antérieures ainsi que de dons en argent [TRADUCTION] « d’enveloppes rouges ». Il avait un compte de banque, mais il a confié la garde de l’argent à son frère étant donné qu’il aimait les jeux de hasard. Il a également dit qu’il ne s’agissait pas d’un prêt et qu’il avait simplement demandé à son frère de garder l’argent pour lui. Il a témoigné que, dans la collectivité vietnamienne, on avait l’habitude de demander à un membre plus âgé de la famille de garder de l’argent sans payer d’intérêt. Le mari de l’appelante a initialement témoigné que son frère lui avait remis l’argent pour qu’il le garde, mais il a par la suite affirmé qu’il s’agissait d’un prêt consenti à sa femme, l’appelante (transcription, page 311). Toutefois, lors du contre‑interrogatoire, le mari de l’appelante a déclaré que c’était à lui que son frère avait remis l’argent plutôt qu’à l’appelante, qu’il était demeuré en possession des fonds et qu’il avait par la suite dépensé l’argent lui-même.

 

[25]    Vu les contradictions flagrantes dans ce témoignage, je ne saurais le retenir et je rejette l’idée selon laquelle Quang Van Dao a consenti un prêt, de quelque montant que ce soit, à l’appelante ou à son mari.

 

Autres sources non imposables

 

[26]    En plus des prêts susmentionnés, l’appelante a soutenu que certains des gains indiqués dans la cotisation fondée sur la valeur nette pouvaient être attribués à des éléments tels que des économies réalisées grâce aux prestations pour enfants et à des dons d’enveloppes rouges. Les sommes se rapportant aux prestations pour enfants auraient été indiqués dans la valeur nette. Aucune somme précise qui aurait pu être reçue dans des enveloppes rouges n’est indiquée; il n’existait aucun document faisant état des sommes reçues et il n’existe aucun document indiquant que ces sommes auraient été déposées. Enfin, tout gain établi, pour les années visées par les appels, qui était peut-être attribuable à des économies, aurait dû figurer et être identifié dans les comptes bancaires et dans les placements à compter de l’année de base 1997.

 

[27]    En résumé, je rejette les témoignages de l’appelante et des témoins et je conclus qu’aucun de ces prêts n’a jamais existé et qu’aucun des gains établis dans la valeur nette ne peut être attribué à des sources non imposables. Une partie du témoignage de l’appelante rendu au cours de l’audience contredit le témoignage qu’elle avait rendu sous serment lors de l’interrogatoire préalable. Il y a des incohérences et des contradictions entre le témoignage de l’appelante et celui de certains tiers qui avaient témoigné et, en fait, certaines contradictions dans le témoignage des tiers eux-mêmes. Personne ne semble être en mesure de répondre franchement. En outre, il n’existe aucune preuve documentaire à l’appui des différentes versions. Certaines versions à elles seules sont peut-être bien en partie exactes, mais puisqu’elles sont viciées par un si grand nombre d’incohérences et de contradictions flagrantes, et puisqu’il n’existe aucune pièce justificative, je dois rejeter toutes ces versions en tenant pour acquis qu’elles ne sont pas dignes de foi, qu’elles sont peu probables et qu’elles sont à  peu près aussi vraisemblables que la semaine des quatre jeudis.

 

Les actifs

 

[28]    L’intimée a fait les concessions suivantes au sujet des actifs de l’appelante ([TRADUCTION] « Comptes de banque, de société de fiducie, de coopérative de crédit » et [TRADUCTION] « Autres placements »), compte tenu du témoignage de Ludgero Duarte, directeur de banque à la CIBC, et d’autres éléments de preuve produits par l’intimée juste avant l’audience :

 

[TRADUCTION]

Compte bancaire et autres placements

Année

Montant de la vérification

Concession

Comptes / société de fiducie / coopérative de crédit

Compte no 819735 CIBC – NGA

1997

--

 8 511 $

T5 CIBC NGA à 3,75 % NGA

1997

10 000 $

70 000 $

T5 CIBC NGA à 3,75 % NGA

1998

40 000 $

90 000 $

CIBC DM NGA

2000

122 728 $

125 100 $

CIBC DM NGA

2001

136 192 $

131 561 $

 

Il n’existe aucun élément de preuve, documentaire ou autre, à l’appui de quelque autre modification apportée au bilan personnel de l’appelante. Selon le témoignage de Nick Siena, les actifs de l’appelante ont été appréciés à l’aide d’un certain nombre de sources, recueillies notamment lors de perquisitions dans des banques et dans des immeubles et de fouilles de véhicules ainsi que par suite d’articles parus dans les journaux. Compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve, je conclus que le matériel hydroponique doit également être inclus à titre d’actif. Le mari de l’appelante a déclaré qu’il déposait presque tout son argent dans le compte de l’appelante et que les principaux placements et actifs, notamment la résidence Bishop, étaient au nom de l’appelante.

 

Les dépenses

 

[29]    L’élément suivant de la valeur nette, les dépenses personnelles, est fondé sur les chiffres de Statistique Canada et sur des montants qui sont justifiés par des factures que M. Siena a trouvées dans les documents de l’appelante. M. Siena fonde ses calculs sur les chiffres de Statistique Canada pour une famille composée de deux adultes et de trois enfants pour les années en question. Le mari a témoigné avoir remis l’argent à l’appelante pour les dépenses du ménage étant donné que cela faisait partie de la tradition vietnamienne. Il incombe encore une fois à l’appelante de convaincre la Cour que ces chiffres sont inexacts. Les sommes que l’appelante a reçues de son mari sont déjà prises en compte dans la valeur nette étant donné que les comptes bancaires du mari sont énumérés à titre d’actifs. L’appelante a témoigné que quatre personnes seulement faisaient partie du ménage en 1997, et cinq personnes, de 1998 à 2001. Cette déclaration est conforme au fondement que M. Siena a utilisé pour ses calculs, mais le mari de l’appelante a en fait témoigné que, pendant presque toute cette période, il ne vivait pas en Ontario puisqu’il travaillait en Colombie-Britannique. Toutefois, au cours de la période où il aurait vécu ailleurs et où il ne visitait pas la maison, un reçu d’une cour de district américaine, à Buffalo, a été établi à son nom. Le mari a nié la chose, mais le reçu se passe de commentaires et montre que le mari était probablement à la maison, du moins pendant une partie du temps. Je préfère retenir la version de l’appelante, qui correspond à ce sur quoi M. Siena s’est fondé dans ses calculs. Le mari de l’appelante a donné un si grand nombre de versions contradictoires que je rejette tout simplement son témoignage au complet.

 

[30]    Dans le témoignage qu’elle a rendu au cours de son interrogatoire préalable et celui qu’elle a rendu à l’audience, l’appelante a donné des renseignements contradictoires. En 2006, elle a affirmé que les dépenses du ménage auraient été inférieures aux chiffres du vérificateur, mais elle n’avait aucun document à l’appui. Au cours de l’audience, elle a témoigné au sujet des montants qui avaient réellement été dépensés. Le mari de l’appelante et sa fille, Huong Dao, ont témoigné que la famille dépensait beaucoup moins que ce qu’indiquaient les chiffres de Statistique Canada. Le témoignage de la jeune fille était peu utile. Au cours de la période en cause, elle était adolescente et elle a admis qu’elle n’était pas en mesure de témoigner au sujet des montants exacts que sa famille avait peut-être dépensés. Cela est en fait conforme au témoignage que l’appelante a rendu au cours de son interrogatoire préalable, en 2006. Il y a également une certaine divergence entre le témoignage de la jeune fille et celui de l’appelante, ce qui permet de conclure qu’il est impossible de croire la version de l’appelante, considérée dans son ensemble.

 

[31]    L’intimée s’est fondée sur [TRADUCTION] l’« expérience personnelle » de M. Siena à l’égard des chiffres de Statistique Canada, à savoir que ces chiffres reflètent une approche [TRADUCTION] « prudente » (transcription, pages 530 et 531). En l’espèce, étant donné que la preuve produite pose tant de problèmes, je ne modifierai pas les chiffres utilisés par M. Siena. Je les retiens uniquement parce qu’ils semblent plus fiables que les témoignages en bonne partie contradictoires de l’appelante et des témoins. Cela ne veut pas pour autant dire que je considère les chiffres de Statistique Canada comme constituant une source entièrement fiable. M. Siena n’est pas un expert en ce qui concerne les chiffres de Statistique Canada. Lorsqu’il a affirmé qu’il s’agissait de chiffres prudents, il exprimait simplement son opinion personnelle. Aucun représentant de Statistique Canada n’a été appelé à témoigner à l’appui de cette déclaration. Rien n’indique qu’il soit nécessairement tenu compte de différences régionales et culturelles dans le calcul de ces chiffres. Je n’ai aucune idée de la façon dont les données sont recueillies ou de la méthode employée pour arriver à ces statistiques. Dans la décision Bigayan, le juge Bowman (tel était alors son titre) a exprimé certaines réserves au sujet du sens de l’expression « moyenne nationale » lorsque les chiffres de Statistique Canada sont en cause. Je les considère avec un certain scepticisme et, dans d’autres circonstances, je n’hésiterais pas à tenir compte d’autres éléments de preuve dignes de foi si pareils éléments étaient produits en vue de réfuter ces chiffres, en particulier lorsqu’il est possible de démontrer l’existence de différences régionales et culturelles.

 

Le droit du ministre d’établir de nouvelles cotisations à l’égard des années prescrites conformément au paragraphe 152(4) de la Loi et d’imposer des pénalités conformément au paragraphe 163(2) de la Loi

 

[32]    Les nouvelles cotisations concernant les années 1998 et 1999 ont été établies après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation et il incombe donc à l’intimée d’établir qu’une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, a été faite ou qu’une fraude a été commise conformément au sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi. Dans ses observations, l’appelante soutient que ce point n’a pas été expressément plaidé en tant que point litigieux dans l’avis d’appel. Toutefois, l’avis d’appel, tel que je l’interprète, semble, à l’alinéa D(1), mettre en question la cotisation fondée sur la valeur nette dans son ensemble et, implicitement, les deux années prescrites, puisqu’il est expressément déclaré que le premier point litigieux est [TRADUCTION]  « de savoir si la cotisation fondée sur la valeur nette est justifiée eu égard aux circonstances ». Dans la section intitulée [TRADUCTION] « Les conclusions recherchées » de l’avis d’appel, l’appelante sollicite une ordonnance tendant à l’annulation de l’avis de ratification et des avis de nouvelle cotisation pour les années d’imposition 1998, 1999, 2000 et 2001. La réponse prévoit clairement qu’il s’agit d’un point litigieux puisqu’il en est expressément question aux paragraphes 8 et 12.

 

[33]    Les actes de procédure visent à définir clairement les points litigieux. À mon avis, c’est ce qu’accomplissent l’avis d’appel et la réponse. L’intimée me cite la décision Bigayan, dans laquelle la Cour a conclu que, même si la cotisation était établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation, étant donné que la question n’avait pas été soulevée dans l’avis d’appel, il n’était pas possible de contester les calculs de la valeur nette pour l’année prescrite en se fondant sur le fait que l’année était prescrite. Cette décision n’indique pas l’état des actes de procédure déposés devant la Cour et, de plus, aucun représentant de l’ARC n’avait témoigné en vue de s’exprimer sur ce problème. Dans ces conditions, il était clairement approprié de tirer cette conclusion. Toutefois, en l’espèce, ma décision est fondée sur l’exactitude des actes de procédure mis à ma disposition et sur le fait que je disposais du témoignage de l’agent de l’ARC, M. Nick Siena.

 

[34]    Aucune partie ne m’a cité l’arrêt Naguib c. The Queen, 2004 DTC 6082, mais les remarques qui sont faites aux paragraphes 6 et 7 sont pertinentes :

 

[6] Nous croyons que l’intimée n’était pas tenue d’invoquer des faits qui justifierait l’application du sous-alinéa 152(4)a)(i) en l’absence de contestation de la part de l’appelant dans son avis d’appel ou à l’instruction devant la Cour canadienne de l’impôt quant à la nouvelle cotisation pour le motif qu’elle a été établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation. Bien que les faits dans l’arrêt Crête c. Canada, [1997] A.C.F. no 214 (C.A.F.) ne soient pas les mêmes qu’en l’espèce en ce qu’il y était question d’une requête relative aux actes de procédure, il reste néanmoins que la déclaration suivante faite par la Cour est peut‑être utile :

 

Il est évident que le juge a erré. Il reproche au ministre de ne pas avoir allégué dans la réponse à l’avis d’appel des faits pour démontrer que la nouvelle cotisation n’était pas prescrite. Mais le ministre, comme tout autre plaideur, n’est jamais tenu de répondre à une allégation qui n’a pas été faite et on a beau lire l’avis d’appel du contribuable pour trouver une allégation que l’avis de cotisation était nul parce que prescrit.

 

[7] De plus, la Cour a affirmé clairement qu’un nouvel argument ne peut être invoqué pour la première fois en appel lorsque la partie intimée subirait un préjudice du fait qu’elle n’aurait pas eu la possibilité de présenter des éléments de preuve qui, s’ils étaient acceptés, pourraient réfuter l’argument. SMX Shopping Centre Ltd. c. Canada, [2003] A.C.F. no 1870 (C.A.F.).

 

[35]    L’arrêt Naguib semble trancher d’une façon définitive la question qui se pose en l’espèce, mais je crois qu’il faut établir une distinction, comme l’a fait le juge Bonner dans la décision Trojan c. The Queen, 2006 DTC 2212. Au paragraphe 9 de cette décision, le juge Bonner a mentionné les observations que le juge Cameron avait faites dans la décision M.N.R. c. Taylor, 61 DTC 1139, comme constituant l’énoncé de droit quant à la charge de la preuve dans les appels de nouvelles cotisations établies après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation. Dans la décision Taylor (page 1141), le juge Cameron a fait les observations suivantes :

 

[TRADUCTION]

 

Après avoir examiné très attentivement la question, je conclus que, dans tout appel qui est interjeté soit devant la Commission de révision de l’impôt soit devant la présente cour, à propos d’une nouvelle cotisation établie après l’expiration du délai de prescription fixé par la loi, et qui est fondé sur une fraude ou une présentation erronée des faits, c’est au ministre qu’il incombe d’établir le premier, à la satisfaction de la Cour, que le contribuable (ou la personne qui a produit la déclaration) a « fait une présentation erronée des faits ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi », sauf si le contribuable, dans les actes de procédure, dans son avis d’appel (ou, s’il s’agit d’une partie intimée devant la présente cour, dans sa réponse à l’avis d’appel) ou lors de l’audition de l’appel, a admis avoir commis une telle fraude ou fait une telle présentation erronée des faits. Lorsque le ministre établit une nouvelle cotisation après l’expiration du délai prévu à cette fin, il faut considérer qu’il allègue qu’il y a eu présentation erronée des faits ou fraude et, si c’est le cas, il est tenu d’en faire la preuve.

 

[36]    Dans la décision Trojan, le juge Bonner opère la distinction suivante, au paragraphe 10, à l’égard de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Naguib :

 

[…] la règle énoncée dans la décision Taylor (précitée) selon laquelle l’intimée doit « établir la première » la présentation erronée des faits paraît, à tout le moins à première vue, avoir été modifiée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Naguib c. Canada, 2004 CAF 40, où le juge Sexton mentionne :

 

[...] Mais le ministre, comme tout autre plaideur, n’est jamais tenu de répondre à une allégation qui n’a pas été faite et on a beau lire l’avis d’appel du contribuable pour trouver une allégation que l’avis de cotisation était nul parce que prescrit.

 

Cette affirmation a toutefois été faite dans le cadre d’une affaire où le contribuable avait soulevé, pour la première fois pendant l’appel devant la Cour d’appel, le défaut de l’intimé de présenter des éléments de preuve établissant que les exigences du sous-alinéa 152(4)a)(i) avaient été remplies. L’affaire Naguib diffère de la présente situation en ce que l’intimée a reconnu dès le début qu’il lui incombait de prouver la fraude ou la présentation erronée des faits. En réalité, l’intimée a renoncé à invoquer le défaut de l’appelant d’alléguer dans un acte de procédure qu’il s’appuyait sur le sous-alinéa 152(4)a)(i) […]

 

[37]    La décision Trojan a été rendue sous le régime de la procédure informelle et, même si je ne suis pas tenue de la suivre, je suis d’avis que le juge Bonner dit le droit correctement. Il faut opérer une distinction entre l’affaire Naguib et le présente espèce : dans celle-là, la Cour d’Appel fédérale de prononçait sur une question qui avait été soulevée pour la première fois au stade de l’appel. Je conclus que le sous-alinéa 152(4)a)(i) est en cause dans les présents appels.

 

[38]    L’appelante a clairement fait une présentation erronée des faits dans ses déclarations de revenu pour les années d’imposition pour ce qui est du revenu total  qu’elle a reçu. Il n’a pas été soutenu qu’une fraude avait été commise, mais compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve produits, il ne m’est pas difficile de conclure que le ministre a eu raison de rouvrir les deux années prescrites parce que l’appelante a fait une présentation erronée des faits, en ce qui concerne son revenu, par négligence ou inattention du moins, et, d’une façon plus vraisemblable, par omission volontaire. Le revenu additionnel est une réalité et aucun élément de preuve crédible susceptible de démolir les hypothèses du ministre et la preuve que l’intimée a produite à l’audience n’a été produit.

 

[39]    Il est clair que le genre de conduite d’un contribuable qui justifie la réouverture, par le ministre, du dossier concernant les années prescrites ne justifie peut-être pas nécessairement l’imposition de pénalités aux termes du paragraphe 163(2). C’est pourquoi l’expression faute « lourde » est employée au paragraphe 163(2), par opposition à la faute « ordinaire ». Dans certains cas, il peut y avoir chevauchement ou confusion en ce qui concerne la conduite visée par le paragraphe 163(2) et celle qui est visée par le sous‑alinéa 152(4)a)(i), mais dans d’autres cas, la ligne de démarcation est claire. Étant donné que la conduite de l’appelante est selon moi davantage assimilable à une omission volontaire au sens du sous-alinéa 152(4)a)(i), on peut constater un certain chevauchement des deux dispositions eu égard aux circonstances de l’espèce. Toutefois, bien que le paragraphe 163(2) soit une disposition pénale, le sous-alinéa 152(4)a)(i) ne l’est pas. Le paragraphe 163(2) exige implicitement l’existence de l’intention de dissimuler une opération en matière fiscale. Je conclus que les faits, en l’espèce, justifient l’imposition de pénalités aux termes du paragraphe 163(2). Toutefois, cela ne veut nullement dire que des agissements permettant au ministre de rouvrir des années prescrites justifie nécessairement l’imposition de pénalités aux termes de ce texte. Étant donné que les dispositions du paragraphe 163(2) sont de nature pénale, elles appellent un degré de culpabilité plus élevé, et une pénalité ne doit être imposée que lorsque la preuve le justifie clairement. Si la preuve suscite un doute quant à la question de savoir si ces dispositions doivent s’appliquer eu égard aux circonstances de l’espèce, la seule conclusion équitable est qu’il faut accorder le bénéfice du doute au contribuable eu égard aux circonstances. Dans la décision Farm Business Consultants Inc. c. The Queen, 95 DTC 200, qui a été confirmée par la Cour d’appel fédérale (96 DTC 6085), aux pages 205 et 206, le juge Bowman (tel était alors son titre) a fait les observations suivantes :

 

Une cour doit faire preuve d’une prudence extrême lorsqu’elle sanctionne l’imposition de pénalités prévues au paragraphe 163(2). Une conduite qui légitime l’établissement d’une nouvelle cotisation à l’égard d’une année frappée de prescription ne justifie pas d’office l’imposition d’une pénalité, et l’imposition systématique de pénalités, par le ministre, est une pratique qui est à déconseiller […]  Par ailleurs, quand une pénalité est imposée en vertu du paragraphe 163(2) même si une norme de preuve civile est exigée, lorsque la conduite d’un contribuable cadre avec deux hypothèses viables et raisonnables, l’une qui justifie la pénalité et l’autre pas, il convient d’accorder le bénéfice du doute au contribuable, et de supprimer la pénalité […]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[40]    Dans ce domaine du droit, la jurisprudence est abondante. La jurisprudence Udell c. M.N.R., (1969) 70 DTC 6019, est toujours d’actualité; le juge Cattanach a formulé certains critères d’imposition de pénalités. En interprétant le paragraphe 56(2) de l’ancienne Loi de l’impôt sur le revenu, dont le libellé était semblable à celui du paragraphe 163(2) actuel, le juge Cattanach a fait les observations suivantes (page 6025) :

 

[TRADUCTION]

 

   Il ne fait aucun doute que le paragraphe 56(2) est une disposition de nature pénale. Lorsque l’on interprète une telle disposition, il convient de tenir compte des observations sans faille de lord Esher dans l’affaire Tuck & Sons v. Priester, (1887) 19 Q.B.D. 629 : lorsque le texte d’une disposition de nature pénale est susceptible à la fois d’une interprétation qui mènerait à l’imposition de la pénalité prévue, et d’une autre qui n’y mènerait pas, c’est cette dernière qui prévaut. Voici ce qu’il dit à la page 638 :

 

   Il faut interpréter cette disposition avec grand soin car elle mène à l’imposition d’une pénalité. S’il existe une interprétation raisonnable qui permettra d’éviter la pénalité dans une cause particulière, c’est celle-là qu’il faut retenir.

 

[…]

 

   Il est clair que selon moi lorsqu’il est question d’imposer un impôt ou un droit, et plus encore une pénalité, s’il existe un doute raisonnable il faut interpréter la loi de manière à accorder le bénéfice du doute à la partie à qui l’on cherche à imputer le montant en question.

 

[41]    Dans la décision Can-Am Realty Limited c. The Queen, 94 DTC 6069, la cour a défini le genre d’agissements constitutifs de faute lourde : ils doivent  être flagrants et exceptionnels.

 

[42]    Dans la décision Venne c. The Queen, 84 DTC 6247, le juge Strayer a défini la faute lourde ainsi (page 6256) :

 

Quant à la possibilité d’une faute lourde, j’ai conclu, après hésitation, qu’elle n’a pas non plus été établie ici. La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi. Je ne conclus pas à l’existence d’un tel degré de négligence en rapport avec les faux énoncés de revenus commerciaux. Certes, le contribuable n’a pas fait preuve de la prudence d’un homme raisonnable et, comme je l’ai déjà fait remarquer, il aurait au moins dû réviser ces déclarations de revenus avant de les signer. Ce faisant, un homme raisonnable, eu égard aux autres renseignements dont il disposait, aurait été amené à croire que quelque chose n’allait pas et aurait cherché à en savoir plus long auprès de son teneur de livres.

 

Cette décision est souvent citée et mentionnée par la Cour de l’impôt et par la Cour d’appel fédérale (Boyer c. The Queen, 2008 DTC 4891; Cayer c. The Queen, 2007 DTC 557; Findlay c. The Queen, 2000 DTC 6345; Mark c. The Queen, 2006 DTC 2227; Richard c. The Queen, 2006 DTC 2568; Savard c. The Queen, 2008 DTC 5026; Sprio c. The Queen, 2009 DTC 1169; Vaillancourt c. The Queen, 2008 DTC 3844; Zsoldos c. The Queen, 2004 DTC 6672).

 

[43]    L’intention coupable ou la négligence constitue un élément nécessaire de la conduite qui justifie l’imposition de pénalités, et le paragraphe 163(2) sanctionne ce genre de comportement.

 

[44]    Cela m’amène à la décision la plus récente de la Cour d’appel fédérale dans laquelle il est question du sous-alinéa 152(4)a)(i) et du paragraphe 163(2). Avec tout le respect qui lui est dû, les observations du juge Pelletier dans l’arrêt Lacroix c. La Reine, [2008] A.C.F. 1092, m’étonnent et me laissent quelque peu perplexe lorsque je compare l’analyse qu’il a effectuée aux décisions antérieures de la Cour de l’impôt et de la Cour d’appel fédérale. Aux paragraphes 30 à 32, ces deux dispositions sont essentiellement juxtaposées, et la même obligation est imposée au ministre à l’égard des deux dispositions. Or, cela aura pour effet de supprimer l’exigence concernant l’intention coupable et, par conséquent, d’établir des circonstances dans lesquelles des pénalités pourraient être imposées dans de nombreux appels rejetés. Lorsqu’un contribuable est accusé de s’être conduit d’une façon négligente et répréhensible, et que sa conduite est presque assimilable à un comportement criminel et peut donner lieu à l’imposition de pénalités pour faute lourde, le ministre est tenu, en vertu du paragraphe 163(2), de justifier sa décision; il ne suffit pas, comme l’enseigne l’arrêt Lacroix, de démontrer que le contribuable a un revenu non déclaré et qu’il n’a pu donner aucune explication crédible.

 

[45]    En l’espèce, les omissions, par rapport au revenu déclaré, sont importantes et elles se sont échelonnées sur un certain nombre d’années. En examinant les motifs pour lesquels le ministre a établi des pénalités et la façon dont ces pénalités ont été calculées, M. Siena a signalé que les montants représentaient parfois le triple des montants déclarés au titre du revenu. De plus, l’appelante a eu recours à un spécialiste en déclaration de revenu et a exercé un contrôle sur les renseignements fournis aux fins de la préparation des déclarations de revenu. Compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve, je conclus que l’omission de l’appelante de déclarer la totalité de son revenu au cours des années en question est attribuable à une tromperie délibérée et à une fausse représentation volontaire de l’état véritable de ses affaires, et qu’il y a eu l’intention de dissimuler des sources imposables de revenu. Je conclus que, en l’espèce, les faits justifient l’imposition de pénalités.

 

Conclusion 

 

[46]    L’appelante ne s’est pas acquittée de l’obligation qui lui incombait de produire des éléments de preuve crédibles en vue de démolir les hypothèses du ministre. Le ministre a respecté les conditions d’imposition de pénalités. Les appels sont accueillis, et il sera tenu compte des concessions qui ont été faites à l’égard de la valeur nette de l’appelante, de sorte qu’il sera peut-être également nécessaire de rajuster les pénalités. Les parties pourront présenter des observations par écrit à 0l’égard des dépens, au plus tard le 31 mars 2010, si elles n’arrivent pas à s’entendre à ce sujet.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de février 2010.

 

 

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de juin 2010.

 

 

 

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :                                  2010 CCI 84

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2004-4015(IT)G

 

INTITULÉ :                                       Nga Thi Dao

                                                          c.

                                                          Sa Majesté la Reine

 

LIEUX DES AUDIENCES :               Toronto et

                                                          Niagara-on-the-Lake (Ontario)

 

DATES DES AUDIENCES :              Les 6 et 7 novembre 2008,

                                                          20, 21, 22, 23 et 24 avril 2009 et

                                                          11 août 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Diane Campbell

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 16 février 2010

 

COMPARUTIONS:

 

Avocat de l’appelante :

M e John David Buote

Avocate de l’intimée :

M e Lorraine Edinboro

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                      John David Buote

 

                            Cabinet :                J.D. Buote & Associates Tax Lawyers

                                                          Brampton (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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